Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Réunion du lundi 27 mai 2024 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • casting
  • charte
  • cinéma
  • conservatoire
  • référent
  • sexiste
  • signalement
  • spectacle
  • tournage

La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures trente.

La commission procède à l'audition de membres du Collectif 50/50 : Mme Fanny De Casimacker, déléguée générale, Mmes Clémentine Charlemaine et Sophie Lainé Diodovic, membres du conseil d'administration.

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Chers collègues, je rappelle que les travaux de notre commission s'articulent autour de plusieurs axes et d'une ambition. Les axes incluent l'évaluation de la situation des mineurs et des majeurs dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité. Nous devons identifier les mécanismes et les responsabilités permettant la perpétration et la perpétuation des violences et définir la responsabilité de chacun en la matière. Notre ambition est de formuler des recommandations pour améliorer la situation dans ces secteurs.

Mesdames, nous souhaiterions que vous présentiez, dans un court propos introductif, la genèse de votre collectif, ainsi que les nombreuses actions qu'il mène en lien avec les sujets de la commission d'enquête dans le secteur du cinéma. Nous aimerions également que vous expliquiez pourquoi, selon vous, la prise de parole en matière de lutte contre les violences est si difficile dans le cinéma français.

Dans un deuxième temps, notre rapporteure, Francesca Pasquini, vous posera un certain nombre de questions, ainsi que mes collègues.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Sophie Lainé Diodovic, Mme Clémentine Charlemaine et Mme Fanny De Casimacker prêtent successivement serment.)

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Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50

Notre association, régie par la loi de 1901 et d'intérêt général, a été fondée en 2018. Je souhaite commencer par lire la déclaration d'intention des signataires, lors de sa création, en février 2018.

« Depuis quelques mois, nous nous demandons, collectivement, à l'initiative du Deuxième Regard, l'association qui préexistait au Collectif 50/50, comment transformer un moment en mouvement. Alors que le cinéma français n'a pas été ébranlé par l'onde de choc de l'affaire Weinstein, il nous semble essentiel d'avancer sur des mesures concrètes, qui dépassent le seul sujet des violences sexuelles. Nous pensons que la parité réduit les rapports de force. Nous pensons que la diversité change en profondeur les représentations. Nous pensons qu'il faut saisir cette opportunité de travailler à l'égalité et à la diversité, parce que nous avons la certitude qu'ouvrir le champ du pouvoir favorisera, en profondeur, le renouvellement de la création. Nous pensons qu'il faut questionner la répartition du pouvoir. Comment faire ? En challengeant nos institutions culturelles afin qu'en 2020, leurs conseils d'administration soient paritaires. Nous pensons aux institutions publiques, mais aussi aux groupes privés, aux syndicats professionnels, aux festivals, aux jurys, aux écoles de cinéma. Nous attendons des décisionnaires au cœur de ces instances une prise de conscience visant à la parité, la jeunesse, la diversité, que la pluralité réelle de notre pays soit davantage représentée. »

J'ai lu un extrait de cette déclaration pour illustrer le positionnement du collectif. Depuis quelques années, la lutte et la prévention contre les violences sexistes et sexuelles ont pris une place plus importante dans le débat public par rapport au combat global pour l'égalité et l'inclusion. Cependant, pour nous, il s'agit d'une même lutte, car il est impossible de dissocier notre combat quotidien pour une industrie plus égalitaire et inclusive de celui contre les violences. Aujourd'hui, le Collectif 50/50 rassemble environ mille adhérents, représentant toute la diversité des métiers de l'industrie, de la production à la distribution, en passant par les comédiens, les agents, les directeurs de casting. Notre association couvre l'ensemble de la filière du cinéma et de l'audiovisuel.

Nous comptons quatorze membres dans notre conseil d'administration, ainsi qu'une équipe permanente de trois salariés. Nos actions se divisent en quatre axes principaux. Premièrement, nous produisons des études chiffrées pour objectiver les perceptions et fournir un levier concret et non subjectif à l'ensemble de la profession et aux pouvoirs publics. Chaque année, nous publions plusieurs études chiffrées sur les questions de parité, de diversité et de représentation. Cela nous permet de dialoguer avec l'ensemble des acteurs de l'industrie et, à partir de ces constats, d'élaborer des mesures concrètes avec les pouvoirs publics. Par exemple, la première mesure créée par le Collectif 50/50 est le bonus parité, mis en place en 2019, pour inciter les équipes de production à un recrutement plus égalitaire au niveau des chefs de poste.

Deuxièmement, nous menons un travail de sensibilisation et d'accompagnement de toute l'industrie, des festivals aux syndicats, en passant par les écoles et les institutions. Nous créons des outils concrets pour accélérer le changement. Parmi ces outils, l'annuaire inclusif, la bible 50-50 permet de référencer des professionnels sous-représentés dans l'industrie et de les mettre en lien avec des recruteurs désireux d'adopter une démarche plus inclusive et paritaire dans leur recrutement.

Troisièmement, nous avons mis en place un programme de mentorat, qui permet de mettre en relation des jeunes intéressés par les métiers du cinéma et de l'audiovisuel avec des professionnels expérimentés. Cette mise en relation est essentielle, car nos métiers reposent sur des réseaux, avec des processus de recrutement peu classiques, reposant sur des codes et un fonctionnement souvent opaques, pour ceux qui ne font pas partie de la grande famille du cinéma.

Sur le sujet précis des violences sexistes et sexuelles, nous avons organisé, dès 2020, les premiers états généraux de prévention et de lutte contre ces violences, réunissant syndicats, associations féministes et institutions. À la suite de cette première édition, nous avons entrepris la rédaction du Livre blanc de lutte et de prévention contre les violences sexistes et sexuelles, conçu comme un guide pour les professionnels, qui, dès 2019-2020, se trouvaient complètement désemparés face à ces situations de violence. En 2022, ce Livre blanc a donné naissance à un kit de prévention, élaboré conjointement avec les Comités centraux d'Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CCHSCT) des secteurs du cinéma et de l'audiovisuel, comprenant des fiches pratiques pour aider les professionnels à agir et lutter contre ces violences.

Nous sommes fréquemment sollicités par les professionnels sur des questions de parité, d'égalité, d'inclusion, mais aussi de prévention des violences. En tant qu'association ressource, nous accompagnons l'ensemble de la filière sur ces divers sujets. Nous œuvrons également à la mise en place de formations sur les violences sexistes et sexuelles. Depuis plusieurs années, nous avons assisté le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) dans l'instauration de formations obligatoires pour les dirigeants d'entreprises de production, de distribution et d'exploitation. Actuellement, nous les accompagnons dans la mise en place de formations obligatoires pour l'ensemble de la profession, incluant non seulement les dirigeants, mais aussi les intermittents et les intermittentes, les salariés et tous les acteurs des secteurs du cinéma et de l'audiovisuel.

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Pourquoi, selon vous, la prise de parole en matière de dénonciation des violences est-elle si difficile en France. Les violences y sont-elles peut-être moins traitées que dans d'autres pays ?

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Le cinéma, bien que spécifique, n'est pas le seul domaine concerné par les questions traitées dans cette commission d'enquête. En effet, ce qui est acceptable ou non au nom de l'art est une problématique très particulière. Cependant, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas exclusives à un secteur. Il en va de même des violences morales. Vous comprenez certainement de quoi il s'agit. Le cinéma ne se situe pas en dehors de la société.

La production de films, en particulier dans l'industrie que nous connaissons, passe par différentes étapes. Certaines de ces étapes entrainent un certain isolement, comme l'écriture de scénarios ou, parfois, la post-production, où les personnes impliquées travaillent en petit nombre et souvent seules. D'autres moments, comme les tournages, sont des périodes de travail en groupe. Lorsque l'on tourne dans une région différente de celle où l'on réside habituellement, cela peut ressembler à une grande colonie de travail, où chacun œuvre dans une bulle, au service d'un projet commun.

Le système de production cinématographique est très hiérarchisé et pyramidal, avec des amplitudes horaires importantes, parfois des horaires décalés. En discutant avec des psychologues du travail, nous avons constaté que tous les facteurs de risque sont réunis dans le milieu du cinéma. Ces facteurs incluent des horaires décalés, une certaine précarité due au statut d'intermittent, où chaque tournage peut influencer la carrière future de chaque membre de l'équipe. Cet isolement des proches et la réalité quotidienne du travail sont également des éléments à prendre en compte.

La majorité des travailleurs et travailleuses du secteur cinématographique sont initialement engagés par passion. Cet engagement impliquerait souvent une implication totale. Si vous assistez, un jour, au premier jour d'un tournage, vous constaterez que c'est fascinant, voire émouvant, de voir toute une équipe se mettre en place, chacun connaissant bien son poste. Le cinéma fonctionne avec une hiérarchie stricte et des codes spécifiques, et lorsque chacun connaît son travail, tout le monde sait exactement où se placer et, surtout, se met collectivement au service d'une œuvre. Dans le cinéma d'auteur, l'objectif est de donner vie à la vision du réalisateur ou de la réalisatrice, et toute l'équipe se concentre sur cet objectif.

Donc, au nom de l'art, on tend à excuser des désagréments, des comportements abusifs, voire violents, comme si c'était le prix à payer. J'ai très souvent entendu des réalisateurs discuter de tournages compliqués et conclure par : « Oui, mais, de toute façon, à la fin, il n'y a que les films qui restent ». Ces dernières années, je n'ai plus entendu ce propos, peut-être en raison de mon engagement personnel. Cependant, il est indéniable que cette réponse a longtemps été une manière de justifier des périodes de travail violentes, en les minimisant comme de simples mois de tournage. Or, ces quelques mois peuvent suffire à briser des vies. Et il est sidérant de penser que, sous prétexte que le film reste, les souffrances endurées seraient négligeables.

Les films qui demeurent sont souvent perçus à une grande échelle, vue de l'extérieur. Cependant, lorsqu'on se trouve à l'intérieur, on peut se retrouver victime ou complice de comportements abusifs, simplement parce que l'on ne sait pas comment réagir ou que l'on en est spectateur. Il est difficile de savoir comment agir face à ces comportements. Il semble insensé de nos jours de laisser ces situations perdurer en se disant simplement que les films resteront. Il existe une véritable confusion entre la liberté de création et la liberté d'agir sans limites, au détriment de celles et ceux qui travaillent au service de l'œuvre. Il ne faut pas oublier que la passion reste un moteur essentiel, c'est ce qui pousse chacun à continuer. Néanmoins, il est impératif de respecter les limites de chaque individu.

Par ailleurs, certaines spécificités du milieu cinématographique incluent des figures emblématiques d'acteurs, d'actrices, de réalisateurs et de réalisatrices, qui sont souvent considérées comme intouchables. Légalement, les chefs de tournage sont les producteurs ou les productrices. Cependant, dans la pratique, la plupart des personnes engagées sur un tournage estiment travailler au service du réalisateur ou de la réalisatrice. En réalité, ce climat, avec une personne qui est une icône, contribue à renforcer un système de protection des auteurs de violences, au détriment de la protection des victimes. Parce que ces individus, bien que responsables de violences, sont également adulés par ailleurs.

Il est essentiel de comprendre que les amis des uns peuvent être les abuseurs et les abuseuses des autres. Une personne n'est jamais abusive à 100 % du temps, cela n'existe pas. La plupart des individus abusifs sont également très sympathiques avec d'autres. Dans le domaine du cinéma, on entend souvent « je le connais » ou « je la connais », et cette personne est très agréable avec vous. Cela peut être dû à votre position, qui ne vous expose pas à une vulnérabilité susceptible de conduire à des abus.

Un autre point concerne la relativité des comportements abusifs. Dans le cinéma, les rapports de domination attirent de nombreuses personnes occupant des positions de pouvoir parfois abusives. Et la plupart des professionnels doivent leur carrière à des personnes qui, même si elles n'ont pas été abusives envers eux, l'ont été envers d'autres. Cela rend donc difficile de se positionner publiquement contre une personne qui nous a aidés, même si l'on sait qu'elle a détruit une autre personne. Je parle ici des violences dans leur ensemble, car cela s'applique à toutes les formes de violences.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Il est important de préciser que notre travail se déroule sur une période courte. En effet, lorsque l'on travaille sous un contrat de huit semaines, cela favorise les abus, puisqu'il suffit de se taire pendant ces huit semaines, puis de reprendre notre vie normale. Cette durée brève est spécifique à nos métiers. Le lien de subordination est immense, car notre abuseur peut être notre supérieur direct. Nous sommes tous des assistants de quelqu'un, ce qui ouvre la porte à de nombreux abus.

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Un point m'intéresse particulièrement, car nous avons entamé les auditions la semaine dernière et nous avons rencontré des difficultés à obtenir des chiffres. Il est intéressant que les études chiffrées fassent partie de votre travail.

Pourriez-vous nous indiquer si, au cours de vos années d'activité, vous avez collecté des témoignages de victimes de violences sexistes et sexuelles ? Si oui, avez-vous des chiffres concernant le nombre de témoignages recueillis ? J'aimerais, également, en savoir plus sur le profil des personnes concernées ? S'agit-il principalement d'actrices et d'acteurs, ou de personnes travaillant sur les tournages ? Parmi ces dernières, y a-t-il des catégories de personnel plus touchées que d'autres ? De plus, quel type de violences ces personnes subissent-elles, puisque notre commission d'enquête couvre tous les types de violences ?

Également, quelles sont les spécificités de ces violences dans les secteurs du cinéma et de l'audiovisuel. Vous avez mentionné brièvement que certains moments des tournages, où les équipes sont en petits groupes seraient particulièrement propices aux violences ? Vos travaux et les témoignages que vous avez recueillis suggèrent-ils d'autres moments de vulnérabilité à signaler ?

Par ailleurs, proposez-vous un accompagnement psychologique et judiciaire aux victimes qui témoignent auprès de vous ? Si tel est le cas, pouvez-vous nous éclairer sur les difficultés auxquelles ces victimes sont confrontées, tant dans le domaine judiciaire que dans leur environnement professionnel ?

Madame Diodovic, vous êtes également directrice de casting, ce qui nous intéresse particulièrement. Pouvez-vous nous indiquer s'il existe des défaillances spécifiques à ce moment précis, notamment en ce qui concerne l'organisation et le manque de clarté, étant donné l'absence de contrat signé entre les candidats aux castings et la production ? Quelles améliorations préconiseriez-vous ?

Enfin, pourriez-vous décrire la situation des mineurs dans le monde du cinéma, un aspect également couvert par notre commission d'enquête ? Quels sont leurs conditions de travail, leurs horaires et les accompagnements prévus lors des castings et des tournages ? Avez-vous aussi eu connaissance de violences spécifiques commises à leur encontre ?

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

En ce qui concerne l'accompagnement et les témoignages que nous recevons, il est important de préciser que le collectif n'est pas une cellule d'écoute. Nous ne recueillons donc pas de témoignages et ne réalisons pas de statistiques à ce sujet. Cependant, la cellule d'écoute d'Audiens, que je vous recommande d'auditionner, dispose de chiffres. Depuis que Judith Godrèche s'est exprimée en février, les appels ont augmenté de 75 %. C'est le seul chiffre que je peux vous fournir aujourd'hui.

Notre objectif, et c'est la raison pour laquelle nous avons créé des outils, est d'orienter les victimes ou les témoins vers les personnes compétentes, car ce n'est pas notre rôle. Bien que nous ayons tous reçu une formation sur les violences sexistes et sexuelles (VSS) nous ne sommes ni psychologues, ni juristes, ni avocats. Nous renvoyons donc toujours les personnes concernées vers la cellule d'écoute d'Audiens pour les conseils psychologiques et juridiques, vers le CCHSCT ou encore vers les syndicats, car comme vous l'avez mentionné, les violences peuvent être morales et prises en charge par ces derniers. Notre travail au sein du collectif consiste à orienter les victimes ou les témoins vers les personnes compétentes.

Nous ne proposons donc pas d'accompagnement spécifique, hormis les outils déjà existants dans nos métiers, que nous espérons voir s'améliorer. Par exemple, il manque encore de personnels pour la cellule d'Audiens, ce qui la rend moins efficace.

En tant que référente VSS au sein du Collectif 50/50, je suis souvent sollicitée par des appels ou des courriels. Les témoignages que je reçois proviennent souvent de personnes vulnérables dans nos postes professionnels, comme les comédiennes ou comédiens jouant des petits rôles ou des seconds rôles dans le cinéma, ainsi que de jeunes techniciennes qui sont assistantes ou stagiaires. Je travaille avec de nombreux stagiaires, car le secteur du cinéma emploie massivement des stagiaires à tous les postes. Ces jeunes professionnels sont souvent ceux qui se manifestent en tant que victimes, se plaignant fréquemment de leur supérieur hiérarchique. Il ne s'agit pas uniquement des producteurs ou réalisateurs, mais aussi des chefs de poste techniciens. Quand j'évoque les violences en général et le rôle des syndicats dans la lutte contre les violences morales, j'encourage les victimes à se tourner vers les syndicats, car ils offrent une protection de nos droits.

En tant que directrice de casting, le casting est un moment particulièrement isolé et intime, étant un lieu de recrutement où l'on se retrouve seul avec un comédien ou une comédienne. Les sociétés de production ne nous fournissent pas toujours un cadre adéquat, parfois en raison de moyens financiers limités, ce qui nous place parfois dans des environnements isolés. Cette situation peut faciliter les abus, car un environnement mal encadré permet les comportements maltraitants.

Je fais partie de l'association ARDA, que vous allez auditionner prochainement. Nous avons élaboré une charte de déontologie, en collaboration avec les syndicats. Et grâce à un nouvel avenant signé récemment, désormais, certaines pratiques sont interdites lors des casting, comme demander aux comédiennes de se dénuder, ce qui pouvait exister pour recruter. Bien que je me sois toujours opposée à ces pratiques, je n'ai pas toujours réussi à les empêcher. J'ai été témoin de situations où un réalisateur demandait à une actrice de se dénuder sans l'avoir prévenue, ni moi-même, d'ailleurs. Ces pratiques ne devraient plus être possibles dorénavant, à condition que les producteurs veillent au respect de ces nouvelles règles, afin de garantir un cadre plus sécurisé pour nous tous. Il s'agit souvent d'une question de financement, louer des bureaux adéquats, s'assurer d'un comportement approprié, ne jamais être seul avec les comédiens et garantir leur droit d'être accompagnés. Ce dernier droit a été inscrit dans l'avenant à la convention collective.

En ce qui concerne les mineurs, je travaille également beaucoup avec des enfants. Actuellement, je mène un casting pour des enfants de 6 à 11 ans. Je laisse la porte ouverte lorsque je fais passer des auditions à des enfants, afin que les parents puissent entendre ce qui se passe dans la salle de casting. Je ne les fais pas entrer dans la salle, car les enfants n'aiment pas jouer devant leurs parents, ce que je comprends parfaitement. Toutefois, je tiens à ce que les parents puissent entendre toutes les interactions, car il arrive que des enfants de cet âge pleurent soudainement par peur ou par manque d'envie. Il est important que les parents en soient conscients, car ils ne réalisent pas toujours que l'enthousiasme manifesté à la maison peut disparaître face à une inconnue et son assistante. Je souhaite que les parents ne forcent pas leurs enfants en leur rappelant qu'ils étaient moins timides à la maison.

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Concernant les caractéristiques et les conditions dans lesquelles se déroulent les tournages, il est important de préciser plusieurs éléments. Tout d'abord, comme Sophie l'a décrit pour les castings, il existe une forte territorialisation sur les lieux de tournage. Chaque espace est dédié à un corps de métier spécifique, les loges, les camions, les stocks, etc. Cela crée un rapport très territorial au travail, avec un petit côté : « c'est mon espace, c'est ma loi ». Nous militons constamment pour une meilleure prévention, mais cette territorialisation est tellement ancrée culturellement dans la manière de se déplacer sur les tournages qu'elle est omise, la plupart du temps. En cas d'abus, la chorégraphie quotidienne de la gestion des espaces rend difficile pour les victimes d'éviter les lieux problématiques. Les routines des tournages sont très établies, ce qui complique leur modification.

Enfin, il ne faut pas oublier que le cinéma, tout comme le théâtre ou l'industrie de la mode, est associé à une certaine culture de la fête. Les membres de ces communautés partagent souvent un état d'esprit similaire, ce qui crée une bonne ambiance générale et une envie de se détendre après une journée ou une semaine de travail intense. La culture de la fête est profondément enracinée dans le monde du cinéma. Cette ambiance festive est bien acceptée, mais elle masque un tabou majeur autour de la consommation de substances psychoactives. Cela va de la consommation d'antidépresseurs, utilisés par des personnes en souffrance et épuisées par leur travail, ou d'anxiolytiques, jusqu'à l'usage régulier d'alcool et de drogues plus ou moins dures.

On évoque souvent les violences, mais rarement cette question de la consommation de drogues, d'alcool et de médicaments, pourtant généralement périphérique à de nombreux débordements. Presque chaque fois qu'un comportement problématique nous est rapporté, la personne accusée était sous l'emprise d'une substance. Ce tabou persiste et, avec le Collectif 50/50, nous avons commencé à travailler sur cette question, parce que, lors des assises de décembre 2023, nous avons constaté que ce sujet préoccupait de nombreuses personnes. Il existe une sorte de camaraderie qui rend difficile de se couper de cette culture de la fête. On craint de devenir celui ou celle qui gâche la fête en dénonçant des comportements inappropriés. Ces questions sont omniprésentes, mais rarement abordées lors des festivals, en faisant de la prévention.

Il est essentiel de rappeler que, dans le cadre d'un tournage, la responsabilité juridique des comportements déviants incombe aux producteurs. Ces comportements ont un impact sur notre travail collectif. Depuis quelques années, ces questions émergent, notamment dans le contexte des tournages. Cependant, l'industrie du cinéma englobe tout, de l'écriture à la diffusion, et les festivals ne font pas exception. Nous avons fortement incité le Festival de Cannes, notamment, à renforcer son affichage. En effet, la prévention doit concerner non seulement les potentielles victimes, mais aussi les potentiels agresseurs. Cela peut sembler simple, mais afficher derrière chaque porte de toilette des messages tels que « comportement correct exigé », « tolérance zéro pour les abus » ou encore « si vous êtes victime de telle violence, contactez telle cellule, disponible de telle heure à telle heure », permet à certaines personnes de se sentir protégées. Parallèlement, cela rappelle à ceux qui pourraient avoir des comportements inappropriés qu'ils doivent se modérer.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Effectivement, dans les spécificités évoquées précédemment, il est important de noter que nous travaillons souvent en région, en dehors de notre lieu de domiciliation. Le soir, en semaine, ces déplacements sont propices à des comportements violents, car on oublie que l'on reste dans un cadre professionnel. Ces moments sont souvent plus festifs et l'on ressent le besoin de boire un verre pour se détendre. Ce besoin de consommer de l'alcool dans nos métiers est préoccupant, car l'alcool sert justement à la décontraction pour faire face au stress et à la fatigue. Ce qui soulève la question de savoir pourquoi nous avons autant besoin de nous détendre après la journée de travail. Cela reflète la dureté de notre métier. Bien que ce métier fasse rêver et soit souvent fantasmé, on oublie que les petites mains de ce secteur, que l'on appelle les ouvriers, travaillent dur. Ce travail est physiquement très fatigant et épuisant.

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J'ai relevé un paradoxe intéressant dans nos débats. Vous évoquez la chorégraphie, ce qui implique une codification, et il apparaît qu'il existe une codification informelle dans ce milieu. Je connais quelque peu ce domaine et, comme vous l'avez mentionné, chacun y déclare « c'est mon espace, c'est ma loi ». Et on a l'impression que la loi de la République qui existe, en l'occurrence le code du travail, n'est pas du tout appliquée. Aujourd'hui, sur un tournage, le chef n'est pas le responsable légal. En effet, dans le modèle français, le réalisateur est le chef sur le plateau, mais le producteur est le responsable au regard du droit du travail.

J'aimerais connaître votre avis sur ces deux sujets. Pensez-vous que le code du travail actuel est suffisant ? Ne devrait-il pas être adapté à certains métiers, comme cela se fait parfois, dans le cinéma et le champ de notre étude ?

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Notre convention collective pallie parfois les lacunes du code du travail, plus général. Cependant, la réalité est qu'il y a une multitude de chefs. Le réalisateur est considéré comme un chef, alors qu'il n'en est pas un. Je faisais référence aux chefs de poste, au chef opérateur, à l'ingénieur du son. En tant que directrice de casting, j'ai une assistante. Donc, le problème réside dans le fait que nous sommes chefs, avec un lien de subordination, mais sans aucune responsabilité réelle. Cela peut effectivement poser problème.

Concernant les territoires, par exemple, les loges sont des lieux où l'abus peut être très fort. Par exemple, si un acteur souhaite se comporter de manière exhibitionniste ou importuner sa maquilleuse pendant qu'elle le maquille, il le fait sans difficulté, car c'est perçu comme son espace de détente. Le HMC (Habillage, Maquillage, Coiffure) est l'endroit où se trouvent tous les autres acteurs, à l'exception des acteurs et actrices très connus qui ont accès aux loges. Les autres acteurs, ainsi que les figurants, sont regroupés dans un coin, sans considération pour leurs conditions de travail. Tout cela fonctionne mal.

Les producteurs et productrices de notre secteur ont oublié qu'ils sont des chefs d'entreprise. Aujourd'hui, on est en train de leur rappeler cette réalité. En tant que membre d'un syndicat, j'ai l'occasion de leur expliquer qu'ils ne sont pas de simples collaborateurs, mais bien nos employeurs. Il est essentiel de rappeler aux producteurs et productrices le contenu du code du travail. Ce dernier est suffisant pour encadrer leurs responsabilités en tant qu'employeurs. En choisissant cette profession, ils assument de grandes responsabilités. Souvent, ils semblent avoir opté pour ce métier, comme tout autre métier du cinéma, sans pleinement mesurer l'importance de leur rôle d'employeur. J'ai souvent observé que les producteurs et productrices se souviennent de leur statut d'employeurs principalement lorsqu'ils rencontrent des problèmes. Lorsqu'il s'agit de discuter des salaires, ils se rappellent soudainement qu'ils sont employeurs. Je pense que la plupart d'entre eux réalisent progressivement qu'ils dirigent une petite entreprise et que cela implique de nombreuses responsabilités.

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Je souhaite revenir sur le processus de casting, en particulier celui concernant les enfants. Si je comprends bien, il n'existe pas de formation spécifique pour encadrer les auditions des enfants. Pensez-vous que ce soit un point important à travailler ? La manière de s'adresser à un enfant est différente de celle employée avec un adulte. Par exemple, si un enfant exprime son désir de ne plus participer à un casting, il est essentiel de respecter sa volonté et ce qu'il peut exprimer, sans insister. D'ailleurs, je m'interroge sur le parcours pour devenir directeur ou directrice de casting. Existe-t-il une formation spécifique pour ce métier ?

En ce qui concerne la société de production, qui détient la responsabilité légale, mais qui n'est pas toujours présente sur les tournages, pensez-vous qu'une présence accrue de la production serait bénéfique ? Cela permettrait de superviser le déroulement des événements, d'être à l'écoute des employés et de réagir rapidement en cas de problèmes, notamment, en cas de violences. Une telle présence pourrait faciliter la mise en place rapide de systèmes d'alerte efficaces.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Il n'y a effectivement pas de formation spécifique ou de certification pour le métier de directeur de casting. C'est parce que l'on a été formé à d'autres postes que l'on devient directeur ou directrice de casting. Pour la part, j'ai un bachelor en réalisation et j'ai toujours fait du théâtre, ce qui a rendu cette transition assez naturelle pour moi. J'ai commencé comme assistante de mise en scène, ce qui m'a permis de découvrir le plateau. Cependant, en tant que jeune femme de 24-25 ans, je n'ai pas apprécié cette expérience. Passionnée par les comédiens et les comédiennes, je suis venue au cinéma par ce biais, ayant à la fois joué et dirigé des acteurs. C'est ainsi que je me suis orientée vers le casting.

L'ARDA tente de pallier ce manque. On ne peut pas intégrer cette association professionnelle sans un certain parcours. L'ARDA cherche à créer une forme de labellisation qui compense l'absence de certification officielle, en exigeant un CV solide. Notre expérience professionnelle remplace en quelque sorte le diplôme. Sans cette expérience professionnelle, on ne peut pas rentrer à l'ARDA. Cette association a pour but de garantir que ses membres respectent une charte de déontologie et possèdent les compétences nécessaires pour exercer leur métier.

Au sein de l'ARDA, nous travaillons également sur une charte concernant le travail des mineurs, notamment sur la manière de les accueillir lors des castings et sur les plateaux de tournage. Nous avons mis en place de nombreuses mesures à ce sujet. Par exemple, je suis titulaire du brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), mais je ne dispose pas d'un certificat spécifique pour caster les enfants. Si je devais suivre une formation d'une semaine avec l'Afdas (Assurance formation des activités du spectacle) pour continuer à travailler avec des enfants, je n'hésiterais pas à la suivre, parce que je souhaite poursuivre dans le domaine du casting d'enfants. Ce travail diffère grandement de celui avec des acteurs professionnels adultes. Une grande part de psychologie est nécessaire.

Grâce à mon parcours, j'ai acquis ces compétences, mais je suis consciente que ce n'est pas le cas de toutes les personnes exerçant ce métier. Je trouve surprenant qu'il ne soit pas au moins nécessaire d'être titulaire du Bafa pour encadrer des enfants, surtout sur un tournage où la présence d'un responsable enfant est normalement obligatoire. Or, ce responsable n'est pas toujours présent et, lorsqu'il l'est, il n'est pas toujours expérimenté. Il s'agit d'un véritable manque, bien que des améliorations soient en cours. Cependant, il reste encore beaucoup à faire avec la commission des enfants du spectacle, qui ne prend peut-être pas suffisamment en charge ces aspects. Il ne s'agit pas seulement des heures de travail d'un enfant. J'ai constaté que la maltraitance ne réside pas dans le fait qu'un enfant travaille cinq heures au lieu de quatre. Lorsqu'il s'agit de manipuler un enfant dans le cadre d'un casting, il est essentiel de respecter son consentement.

Dès leur entrée dans mon bureau, je leur explique les différentes étapes du processus, ce qui leur permet de prendre le temps de réfléchir et de changer d'avis si nécessaire. Je leur rappelle constamment qu'ils ont le droit de revenir sur leur décision. Récemment, une petite fille m'a serrée dans ses bras à la fin de notre séance, car elle ne souhaitait plus participer au casting. Elle s'est mise à pleurer, et je lui ai immédiatement proposé d'arrêter. Je lui ai assuré qu'elle avait le droit de changer d'avis et que si elle souhaitait revenir la semaine suivante, elle serait la bienvenue. Si elle ne voulait plus jamais revenir, elle en avait également le droit. En agissant ainsi, j'ai simplement accompli mon devoir. Cette enfant m'a remerciée chaleureusement d'avoir respecté son consentement et reconnu son droit de ne plus vouloir participer, tout en lui laissant la possibilité de changer d'avis ultérieurement. Le fait qu'elle m'ait pris dans ses bras pour exprimer sa gratitude montre à quel point les enfants sont rarement écoutés. Lorsqu'on leur accorde le droit de dire non, cela a un impact profond sur eux.

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Je souhaite apporter une précision concernant les formations. En réalité, la majorité des professionnels de ce secteur ont acquis leurs compétences de manière empirique. Cela s'applique également aux producteurs. Bien qu'il existe des formations spécifiques à la production, la plupart des producteurs n'ont pas nécessairement étudié le droit avant d'exercer leur métier. Il existe une véritable méconnaissance du droit du travail dans ce domaine. Lorsque vous évoquiez l'insuffisance du droit du travail, en réalité, ce qui fait défaut, c'est la connaissance que le secteur en a.

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J'entends vos explications, mais lorsque vous êtes chef d'entreprise, dans toutes sortes métiers, vous n'avez pas nécessairement cette connaissance. Or, vous devez respecter des obligations légales en tant qu'employeur. C'est peut-être sur ce point qu'il serait pertinent de travailler.

Nous venons d'évoquer les certifications et l'éventualité d'obtenir des diplômes. Aujourd'hui, de nombreux métiers exigent un diplôme spécifique pour être exercés, y compris par la voie de la Validation des Acquis de l'Expérience (VAE). Seriez-vous favorables à ce que, pour devenir directeur de casting, il soit nécessaire d'obtenir une validation des acquis, un diplôme ou une formation diplômante ? Cette exigence devrait-elle également s'appliquer aux coachs pour enfants et à ceux qui accompagnent les enfants de manière générale ? Selon vous, ces professions devraient-elles être mieux encadrées ?

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

J'aurais adoré que, durant ma formation en école de cinéma, une formation de directrice de casting me soit proposée, parce que je pense que je l'aurais suivie. Aujourd'hui, mon diplôme réside dans mes vingt ans de métier. J'espère que cette longue expérience est reconnue comme une forme de certification. Mais pour ceux qui débutent, je suis favorable, a minima, à l'idée de certifications. Comme l'a mentionné Clémentine, nous sommes nombreux à être autodidactes et à commencer par des stages. Dans nos métiers, la formation passe par le stage. Mon assistante actuelle a débuté en tant que stagiaire. Je lui ai enseigné les rouages du casting durant son stage de plus d'un mois. Après quoi, je l'ai embauchée comme assistante. Depuis trois ans, elle travaille à mes côtés, évoluant de stagiaire à assistante, et elle a appris le métier de casting sous ma tutelle. J'ai été sa formatrice, en réalité. Mon propre parcours a suivi un schéma similaire, j'ai été formée par ma directrice de casting lorsque j'étais assistante.

Travailler avec des professionnels compétents est essentiel. Cependant, certains de mes collègues ont eu des expériences difficiles avec leurs directeurs de casting, subissant parfois des maltraitances morales. Cette dynamique peut malheureusement conduire à reproduire ces comportements maltraitants, une fois que l'on atteint un poste de responsabilité. Cela constitue un véritable problème dans notre profession. Je suis favorable à la création d'un poste de responsable enfants, ou même un directeur de casting spécialisé pour les enfants. Tout comme j'aimerais qu'il y ait un référent anti-harcèlement, un poste à part entière et non une mission bénévole effectuée par des techniciens et techniciennes. Cette personne devrait être formée et présente dans tous nos métiers, à chaque étape.

La fabrication d'un film se déroule en trois phases, la préparation ou le développement, le tournage et la post-production, même si on ne parle généralement que du tournage. En préparation, je suis parfois impliquée dès la phase de développement, notamment pour le casting, car je recherche des acteurs connus pour financer le projet. En tout cas, cette phase est effectivement très complexe et s'effectue parfois sans contrat formel. Mais tout cela reste très flou, car il n'existe pas de règle établie dans la convention collective. C'est effectivement là où il y a encore des manques.

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Je suis très heureuse que cette commission d'enquête existe et qu'elle permette d'approfondir ces sujets. Vous avez bien mis en lumière tous les paramètres qui se cumulent comme autant de facteurs de risque pour les violences, que ce soit la pression, la précarité des conditions de travail, etc. La dimension à la fois très hiérarchique, potentiellement informelle et festive, a également été évoquée. Nous avons beaucoup discuté des éléments de prévention et de vos préconisations en la matière.

Je souhaite revenir spécifiquement sur les constats que vous faites et les recommandations que vous proposez en matière de procédures lorsqu'un signalement survient. En d'autres termes, lorsque la prévention n'a pas fonctionné et qu'une violence a eu lieu, on se focalise souvent sur le plan judiciaire, avec un prisme pénal.

Ensuite, il y a la dimension du code du travail, que mon collègue Balanant a soulignée. Je reviens sur les mêmes questions, mais du point de vue du code du travail, on sait que l'employeur a une obligation de sécurité vis-à-vis de ses employés. Vous semblez indiquer que cette question n'est pas bien connue. Cependant, identifie-t-on correctement, lors d'un tournage, ainsi que dans la préparation et la post-production, qui est le responsable légal en matière de code du travail ? Il pourrait y avoir un problème de formation, mais aussi une difficulté à identifier les responsabilités.

Et au-delà de la question judiciaire, quelles bonnes pratiques constatez-vous et que préconisez-vous en matière de mesures de précaution ? Je parle ici de mesures à prendre avant et hors de toute décision de justice ou administrative. Je sais qu'il y a eu, récemment, des exemples de tournages où un protocole de confinement a été appliqué à un réalisateur accusé de violence. Est-ce une démarche que vous recommandez ? Cela pourrait-il être, au moins, intégré dans des chartes éthiques. Cela pourrait-il même être inscrit dans la loi ? Même s'il ne s'agit pas de déclarer quelqu'un coupable, mais pour établir qu'en cas d'accusations, un protocole doit être suivi, afin de protéger les éventuelles victimes et éviter que les violences se renouvellent.

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Je vous remercie, mesdames, pour votre présence et vos éclaircissements. J'ai deux questions à poser. La première concerne la place des parents dans le cinéma, plus précisément lors des tournages. Vous avez beaucoup évoqué la partie casting, mais j'aimerais obtenir des précisions sur la présence des parents lorsque de jeunes enfants sont acteurs. Sont-ils présents sur les tournages ?

Ma deuxième question porte sur l'augmentation récente du nombre de dévoilements d'affaires. Pensez-vous que cela reflète une évolution de la société ? Vous avez mentionné la culture de la fête dans le cinéma. Observez-vous des changements dans ce milieu, depuis plusieurs années ? Je pense qu'il y a eu des modifications, donc j'aimerais connaître votre avis sur ce point. Est-ce lié à une évolution propre au cinéma ou un phénomène récent ?

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Je vais clarifier les mesures déjà en place, quelles formations existent ou non, car il est essentiel de comprendre ce qui est dit par chacun. Affirmer que cela ne suffit pas est une chose, mais il est important de savoir ce qui manque précisément.

En écoutant les précédentes auditions, j'ai constaté que certains points n'ont pas été abordés. En effet, la cellule d'écoute d'Audiens recueille les témoignages de manière anonyme et peut proposer un accompagnement juridique et psychologique. Une formation obligatoire de trois heures est prévue pour les gérants d'entreprises de production, de distribution et d'exploitation. Cette formation constitue un rappel du droit positif. Des formations sont également accessibles à tous les salariés de l'audiovisuel et du cinéma. Elles sont remboursables à 100 %, sans période de carence pour les intermittents. Ces formations durent une journée pour les fondamentaux et trois jours pour ceux qui souhaitent devenir référents ou référentes en matière de harcèlement. Actuellement, ces formations sont facultatives, c'est-à-dire que seules les personnes intéressées les suivent. Depuis décembre 2023, l'extension de l'obligation des formations à l'ensemble des participants et participantes au tournage de films a été annoncée. Pour l'instant, cela ne concerne ni les personnes en préparation ni celles en post-production. Seules les personnes participant au tournage suivront deux heures et demie de formation à distance et deux heures et demie sur le plateau, portant sur les questions de violences sexistes et sexuelles.

Dans la mesure où tout le monde n'est pas forcément présent dès le premier jour, nous ignorons donc encore si tous seront effectivement présents aux formations.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Ce sont d'abord les chefs de poste qui vont être sensibilisés.

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Il s'agit bien des formations qui conditionnent l'obtention des aides du CNC ?

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

La conditionnalité était jusqu'à présent limitée aux trois heures de formation suivie par les producteurs. Désormais, elle s'étendra à tout le monde. Cependant, l'objectif actuel est de former l'ensemble des personnes concernées, avec la possibilité de suivre la formation plusieurs fois. Étant donné l'état de notre industrie, je considère que le fait qu'elle puisse être suivie à plusieurs reprises n'est pas inopportun. Mais pour l'instant, la conditionnalité n'est pas encore totalement mise en place, car il est impossible de garantir une mise en œuvre à 100 %. Nous avons rencontré des difficultés pour que cela se concrétise, car c'est une demande de longue date. C'est toutefois une avancée remarquable. Je pense qu'il nous faudra environ six mois pour évaluer avec plus de recul l'efficacité de cette mesure. Nous pourrons alors déterminer si elle est suffisante ou non. Bien que cela ne soit jamais totalement suffisant, nous pourrons au moins vérifier si cela fonctionne bien et si tout le monde est prêt à se former.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

La formation se compose de deux modules. Le premier, dispensé à distance, est accessible à tous. En revanche, le second module, représentant la moitié de la formation, est réservé aux participants présents sur le tournage. Cette restriction exclut effectivement une grande partie des intéressés. Cependant, la sensibilisation des trois heures, dont ont bénéficié les employeurs, sera accessible à tous. Cela signifie que le rappel de la loi ne sera pas exclusivement destiné aux employeurs et employeuses. Cette mesure vise à rétablir un certain équilibre, car le savoir ne doit pas être l'apanage de quelques-uns. Il est essentiel que chacun ait accès à ce savoir pour renforcer ses compétences.

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Dans les dossiers de demande d'agrément des investissements pour la production d'un film, il est nécessaire de déposer un dossier avant le tournage. À la fin du tournage, un dossier d'agrément de production doit être soumis, listant notamment les participants au tournage et le nom du référent harcèlement. En sachant que, jusqu'à présent du moins, ces personnes ne sont pas obligatoirement formées aux formations de trois jours. Il peut donc arriver que des personnes désignées à ce poste ne soient ni formées ni capables de susciter la confiance, en raison de leur position.

Nous estimons qu'il est impératif de légiférer sur ce point, pour déterminer clairement qui peut être référent ou référente harcèlement. Il ne devrait pas y avoir qu'une seule personne désignée, car il existe souvent une séparation notable entre la production et les techniciens. Il est essentiel que des référents soient issus de tous les métiers, pour favoriser un meilleur travail collectif. Nous œuvrons pour que les choses s'améliorent, malgré les dysfonctionnements que nous pointons. Nous constatons une bonne volonté générale, mais il est indéniable qu'un référent ou une référente harcèlement assume un rôle très lourd. En cas de situation grave, comme un viol, ces personnes ne sont pas nécessairement aptes à recueillir de tels témoignages. De plus, le référent est censé mener une enquête, ce qui est disproportionné par rapport à ses responsabilités, d'autant plus qu'il n'est ni rémunéré ni formé pour cela. Ce point mérite une attention particulière et doit absolument être soulevé.

Par ailleurs, de nombreuses personnes ne sont pas formées, et ce qui était perçu comme une simple blague peut en réalité constituer un agissement sexiste. Avec une meilleure formation, cela ne rendra pas les choses moins drôles, mais cela permettra à certains de cesser de rire au détriment des autres.

Les dispositifs actuels doivent donc impérativement être renforcés. Il en va de même pour les clauses assurantielles, déjà existantes, qui nécessitent un renforcement significatif.

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Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50

Depuis quelques années, une clause assurantielle a été créée pour permettre l'interruption des tournages en cas de signalement, afin de gérer les situations de violences sexistes et sexuelles. Cependant, cette clause n'a jamais été mobilisée par les productions, ce qui constitue un problème majeur. Les motifs de déclenchement de cette clause ne sont pas adaptés à la réalité des situations rencontrées par les productions. Il est donc impératif de revoir ces clauses assurantielles pour qu'elles puissent être effectivement utilisées. Il est essentiel de pouvoir arrêter un tournage pour engager une structure externe capable de mener une enquête. Actuellement, les tournages sont souvent maintenus jusqu'à leur terme, malgré les signalements, en raison de la durée limitée des tournages. Pour agir efficacement, il est nécessaire de disposer de dispositifs assurantiels adaptés.

Par ailleurs, nous recommandons fortement le recours à une structure externe pour mener les enquêtes. En effet, les formations conseillent aux productions de mener ces enquêtes en interne, mais nous constatons une grande défiance de la part des équipes techniques envers la production. Cette défiance entraîne la formation de clans et empêche la bonne conduite des enquêtes. Faire appel à un organisme externe est donc une étape obligatoire pour garantir l'impartialité et l'efficacité des investigations. Le travail sur la révision des clauses assurantielles est en cours, mais il est crucial d'accélérer ce processus. C'est indispensable pour améliorer la gestion des violences sexistes et sexuelles dans l'industrie du cinéma.

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Vous dites que, selon vous, la clause n'a pas été correctement élaborée, ce qui pourrait expliquer qu'elle n'ait jamais été mise en œuvre jusqu'à présent. Pourriez-vous nous fournir un exemple concret illustrant en quoi cette clause manque de précision ou n'est pas applicable dans la réalité des faits ?

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Il est particulièrement complexe d'interrompre un tournage pendant cinq jours pour mener une enquête. En effet, cela nécessite, soit un signalement au procureur de la République, soit, à une époque, la combinaison d'une plainte et d'un signalement au procureur. La difficulté réside dans la nature de nos métiers. Je n'ai encore jamais rencontré un producteur ou une productrice capable de signaler au procureur de la République des faits de violence commis par son réalisateur ou sa réalisatrice. Les relations professionnelles sont souvent aussi des relations amicales de longue date, parfois de vingt ans. Ces personnes ont souvent lutté ensemble pour construire leurs films. Signaler au procureur revient presque à déclarer « tu es coupable », ce qui rend la décision très difficile pour un employeur.

Ainsi, il serait pertinent que n'importe qui puisse signaler au procureur afin qu'un contrat d'assurance puisse fonctionner et qu'il ne soit pas nécessaire de passer par une plainte pour enquêter sur des faits de violence. C'est cette procédure qui empêche souvent d'agir. Je pense, par exemple, au cas que vous avez mentionné, où, sur un tournage, on a dû confiner son réalisateur pour le terminer. La productrice a dû dépenser beaucoup d'argent de sa poche pour pallier de nombreuses difficultés, car elle n'a pas pu mettre en place la clause dédiée son contrat d'assurance.

En résumé, la complexité de la procédure actuelle empêche souvent de prendre les mesures nécessaires pour enquêter sur des faits de violence, et cela met les producteurs et productrices dans des situations extrêmement délicates. L'enquête doit être menée dans un délai limité, ne dépassant pas un mois après la fin du tournage. Nous savons que les plaintes ne sont pas toujours déposées immédiatement après le tournage. Par exemple, dans le cas de ce tournage spécifique, la plainte n'a pas été déposée pendant le tournage. De ce fait, le contrat d'assurance n'aurait pas été applicable, car il est bien connu que les victimes ne portent pas plainte dans les quarante-huit heures ou même dans les deux semaines suivant l'incident. Il leur faut d'abord prendre conscience qu'elles ont été victimes, ce qui demande du temps.

C'est pourquoi j'évoquais plus tôt les spécificités de notre métier. En tant qu'intermittents, nous travaillons sur des périodes très courtes, presque comme des intérimaires. Cette situation complique considérablement les procédures et la conduite d'enquêtes rigoureuses.

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Étant donné que nous avons juré de dire toute la vérité, je tiens à préciser, en toute transparence, qu'il existe un film ayant fait l'objet d'une interruption de tournage de trois jours. Il s'agit d'un seul film, sur les centaines de films réalisés chaque année. Cet exemple est particulièrement révélateur de l'incapacité en question, car une plainte avait effectivement été déposée dans les vingt-quatre heures suivant l'incident.

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Nous reviendrons sur ces questions. J'ai indiqué que, pour l'instant, nous n'avions pas nécessairement prévu de rencontrer les assureurs. Cependant, je pense qu'il serait pertinent d'auditionner également les assureurs spécialisés dans ces domaines. Cela nous apportera certainement des éclairages instructifs.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

En ce qui concerne les parents et leur rôle sur les tournages, il existe une obligation pour l'employeur de désigner un responsable enfant. Ce dernier doit posséder une certification attestant de ses compétences pour exercer cette mission. Il doit accompagner l'enfant non seulement durant le tournage, mais également jusqu'à la promotion du film. Cependant, il arrive que ce responsable n'ait pas les compétences requises, notamment en raison des budgets variés des films. Parfois, les moyens financiers ne permettent pas d'employer un responsable enfant et l'on confie cette tâche à un stagiaire ou à un assistant, qui doit alors s'occuper de l'enfant, en plus de ses autres responsabilités. On parle souvent de nounous dans ce contexte.

Il est essentiel d'impliquer les parents en permanence. Ils sont souvent aussi ignorants que leurs enfants concernant notre métier. C'est pourquoi j'aime laisser la porte ouverte lors de mes castings, afin que les parents puissent comprendre ce que nous faisons. Sur un tournage, la situation est similaire. Toutefois, leur présence ne doit pas être excessive, car notre métier est unique en ce qu'il fait travailler des enfants. Cette responsabilité est immense et je pense que peu de personnes en ont réellement conscience. Nos producteurs et productrices ne réalisent pas toujours qu'ils sont des employeurs. Il est important de rappeler que la mode, le cinéma et d'autres secteurs sont parmi les rares à faire travailler des mineurs. C'est une énorme responsabilité que nous avons peut-être prise un peu trop à la légère.

Bien que la considération accordée aux enfants sur les tournages se soit améliorée au cours des quarante dernières années, il est impératif de trouver un juste milieu. Les parents ne peuvent pas devenir les nounous sur un tournage. Parfois, les parents ne peuvent participer aux tournages et l'enfant est pris en charge par l'ensemble de l'équipe sans avoir un référent particulier. Ensuite, il retourne auprès de ses parents, qui ne savent pas ce qui s'est passé durant la journée. Un responsable enfant fait le lien entre le plateau et les parents. Cette personne est dédiée à l'enfant et peut être à l'écoute de son consentement à chaque étape du film.

Ce poste est vraiment très important. Il ne suffit pas de le rendre obligatoire, il faut également s'assurer qu'il soit effectivement mis en œuvre. C'est pour cela que je mentionnais la Drieets, car, parfois, on a l'impression que son action se limite à examiner le plan de travail d'un film et le nombre d'heures de tournage d'un enfant. Souvent, il est moins fatigant pour un enfant de tourner que d'aller à l'école car un enfant y passe sept heures contre quatre sur un tournage. Mais ces quatre heures peuvent être consécutives, ce qui n'est pas forcément mieux. Donc, je trouve qu'il n'y a pas de mesures efficaces pour garantir le bien-être de l'enfant.

Parfois, les enfants sont traités comme des enfants-rois, d'autres fois, ils peuvent être maltraités. Il n'y a pas de juste milieu. Pour moi, le responsable enfant est essentiel et doit être présent dès la validation d'un enfant jusqu'à la fin, y compris lors de la promotion du film, pour détecter d'éventuels problèmes. Dans la charte que l'ARDA, il y aussi l'idée cruciale d'assurer un suivi psychologique. La médecine du travail se limite à un rendez-vous avec un médecin généraliste qui vérifie si l'enfant est apte à tourner. Un suivi psychologique avant, pendant et après le tournage serait indispensable pour s'assurer que tout se passe bien. J'ai observé des enfants qui, après avoir été très choyés durant le tournage, retournent dans une précarité familiale. Cette transition est extrêmement violente et engendre des dysfonctionnements chez l'enfant. Bien que des améliorations et des obligations existent, elles ne sont pas encore correctement mises en place, principalement en raison de contraintes budgétaires.

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Merci pour vos témoignages qui sont très éclairants dans de nombreux domaines. J'avais initialement une question à poser, mais elle a déjà été abordée et vous y avez répondu. Il s'agissait de savoir ce qui singularise l'industrie du cinéma par rapport aux autres secteurs d'activité. Vous avez mentionné les horaires et les lieux décalés, l'isolement, la hiérarchie, l'entre-soi, la cooptation, l'emprise, l'ambiguïté des situations et l'ambiance festive.

Cependant, la question qui se pose ensuite est que la loi est la même pour tous. Même si chacun n'est pas censé connaître le code du travail en détail, tout le monde dans notre société a intégré les tabous et les composantes des violences sexistes et sexuelles, y compris dans le domaine du cinéma. On a l'impression que ceux qui se rendent coupables de ces actes, et qui sont censés en connaître le caractère délictuel, voire criminel, semblent bénéficier d'une sorte d'immunité ou d'impunité. Ils semblent affranchis des conséquences pénales de leurs actes, qui sont pourtant les mêmes pour tous les citoyens et citoyennes de notre pays. Qu'est-ce qui explique cette apparente exemption des conséquences de ces actes répréhensibles ?

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Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Le pouvoir, avant tout, parce que, si vous observez le mouvement actuel #MeToo dans les hôpitaux, on lit des choses absolument choquantes. Jusqu'à présent, je n'ai lu aucun témoignage d'aide-soignant très abusif à l'égard de chefs de service. Il s'agit donc, vraiment, de questions de pouvoir et de domination. En réalité, cela concerne toute la société. Certes, le cinéma a ses spécificités, notamment, celle d'être sous les feux des projecteurs et de faire rêver les gens. Il me semble toujours incroyable que le Festival de Cannes continue de faire rêver, alors que les gens n'ont même pas vu les films. Ce fantasme qu'il peut véhiculer est assez étonnant. Néanmoins, les questions de pouvoir et de domination y sont également présentes. En politique, vous avez tous et toutes fait l'expérience de ces dynamiques. Je ne connais personne évoluant dans des domaines où le pouvoir est en jeu qui puisse affirmer : « Non, je n'ai jamais rien vu de déplacé. »

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Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50

J'ai l'impression, après plusieurs années de travail sur ces questions, que nous ne sommes pas tous au même niveau en termes de connaissances sur les violences sexistes et sexuelles. Lors des nombreuses formations que nous avons organisées, nous avons constaté qu'un certain nombre de personnes avaient à peine conscience des différentes caractérisations des violences, que ce soit selon le droit du travail ou le droit pénal. À plusieurs reprises, on a adressé des quiz à des professionnels pour mieux cerner leur capacité à caractériser ces violences et l'ensemble de l'industrie se révélait assez peu performante.

Nous ne disons pas que les personnes qui perpétuent ces violences ne sont pas au courant de leurs actes. Notre objectif principal est de souligner l'importance de la responsabilisation de chacun. Lorsque l'on est témoin de comportements que l'on sait caractériser, on est plus enclin à créer un environnement de travail qui ne tolère pas ces violences et à réagir face à des actes inacceptables. C'est pourquoi la formation est indispensable. Je ne crois pas que les gens, que ce soit dans l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel ou dans la société en général, soient actuellement capables de bien caractériser ces violences. On entend encore parler de drague lourde ou de gestes déplacés, alors qu'il faudrait parler d'agissements sexistes, de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

C'est la culture du viol, la société et la justice sont des problématiques interconnectées. Lorsqu'on ne parle pas, c'est parce qu'on sait que personne n'est jamais condamné. L'impunité existe uniquement parce que l'on sent qu'il n'y aura pas de sanction. En réalité, cela dépasse nos métiers du cinéma et de la mode, c'est un problème sociétal. On ne condamne pas les auteurs de violences, ce qui dissuade les victimes de les dénoncer, sachant qu'il n'y aura pas de condamnation. La majorité des actrices ayant témoigné publiquement n'ont pas porté plainte. Elles partagent leurs expériences personnelles, mais ne se tournent pas vers la justice, convaincues que l'impunité règne au sein du système judiciaire.

Nous devons donc envisager des réformes judiciaires, telles que la possibilité de porter des plaintes collectives, lorsqu'il y a une répétition des comportements. Cela dépasse le cadre du cinéma. Cela pourrait nous aider dans nos métiers, mais il s'agit avant tout d'une réforme de la justice. Il y a de nombreuses mesures à mettre en place. Par exemple, la désignation d'un référent anti-harcèlement externe à l'équipe serait aussi une avancée considérable.

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Je précise que si vous voulez compléter vos propos, vous pouvez nous envoyer des propositions et une contribution écrite.

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Souhaitez-vous partager des éléments de réflexion, que l'on n'aurait pas abordés lors de nos questions ?

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Fanny De Casimacker, déléguée générale du Collectif 50/50

Pour répondre à la question posée précédemment sur l'évolution actuelle liée à ce que l'on pourrait appeler la libération de la parole, il est important de nuancer. En effet, cela fait longtemps que les femmes et les victimes s'expriment. Aujourd'hui, ce dont nous avons besoin, c'est d'une écoute attentive. Il est vrai que nous avons l'impression d'obtenir un peu plus d'écoute chaque jour, chaque semaine, chaque mois. Il est essentiel de continuer dans cette direction. Cependant, si 94 % des plaintes pour viol sont classées sans suite, l'écoute seule ne suffira pas. On n'encouragera pas les femmes à porter plainte et l'on n'incitera pas les auteurs potentiels de violences à cesser. Il est donc urgent de réformer notre système juridique.

Nous soutenons pleinement la position de la Fondation des femmes, qui propose une loi intégrale pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Cette loi inclut la question des différentes plaintes pour viol et notamment, la possibilité d'une prescription glissante, permettant de rouvrir la prescription lorsque plusieurs victimes sont identifiées pour un même agresseur. De plus, cette réforme doit être accompagnée d'un budget adéquat. Actuellement, l'État dépense seulement 12 millions d'euros pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, alors qu'il faudrait en réalité au minimum 360 millions d'euros pour répondre aux besoins des seules victimes qui portent plainte. Il est crucial de rappeler que seulement 6 % des victimes de violences portent plainte, ce qui montre l'ampleur du problème et la nécessité d'une réponse plus substantielle.

Je cite ces éléments, mais il nous faut également créer de meilleures conditions pour porter plainte, faciliter la collecte des preuves et mieux protéger les victimes ayant porté plainte. Il est impératif de permettre aussi aux victimes de faire appel d'une décision de relaxe et de leur offrir un meilleur accès aux soins spécialisés, notamment en remboursant les soins de prise en charge psychologique. Bien que le cinéma et l'audiovisuel aient leurs spécificités, ils ne se situent pas en dehors de la société. Si notre justice n'est pas efficace pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, nous n'irons pas bien loin. C'est un point que nous souhaitions souligner. Nous constatons une augmentation de 164 % des plaintes pour viol depuis #MeToo. Il est donc essentiel de pouvoir répondre à ces plaintes de manière adéquate.

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Sophie Lainé Diodovic, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50

Il faut que les ministères, comme le ministère de la culture, créent des budgets VSS. Si le CNC ou les Drieets ne disposent pas des financements et des moyens humains pour mettre en place tous les outils que l'on a créés, la situation ne changera pas. L'argent, c'est le nerf de la guerre. Tout le monde dit : « oui, il faut arrêter, il faut arrêter », mais personne ne met de l'argent sur la table pour que cela s'arrête.

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Nous l'avons noté. Nous sommes ici pour vous écouter et pour formuler des propositions, avec la rapporteure et nos collègues. Il est quand même important de noter que le budget de la justice a été augmenté de 40 % ces dernières années. Bien que cela ne soit certainement pas suffisant, il convient de souligner que des efforts sont réalisés dans ce sens. Il est impératif de poursuivre ces efforts et d'aller plus loin, comme vous l'avez justement indiqué.

Nous vous remercions pour vos témoignages, vous pouvez nous fournir des compléments d'information si besoin.

La commission procède à l'audition de directeurs d'établissements formant aux métiers du spectacle vivant : M. Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène, Mme Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Mme Simone Strickner, directrice du Cours Florent, et Mme Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique-PSL.

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Nous reprenons nos travaux en accueillant les représentants des écoles de formation aux métiers du spectacle vivant, lesquelles peuvent jouer un rôle important dans la création de mécanismes susceptibles de conduire à des abus, mais aussi, de façon plus positive, dans la formation des élèves – c'est-à-dire des futurs professionnels – aux bonnes pratiques.

Je propose à chacun des intervenants de commencer par un propos liminaire pour présenter son école et les actions qu'elle mène sur les thématiques qui font l'objet des travaux de la commission d'enquête. Dans un second temps, Mme la rapporteure, mes collègues et moi-même poserons des questions plus précises.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sandy Ouvrier, Mme Simone Strickner, Mme Émilie Delorme et M. Pierre Delavène prêtent successivement serment.)

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

Le CNSAD, que je dirige depuis quelques mois, a entamé un travail sur ces questions depuis quelques années, sous l'impulsion de la précédente directrice, Claire Lasne Darcueil, à qui je tiens à rendre hommage. La première action, d'ordre symbolique, a consisté en la rédaction d'une charte dont la signature s'impose à toute personne travaillant au conservatoire, qu'il s'agisse des élèves, des personnels administratifs, techniques ou pédagogiques, ou encore des intervenantes et intervenants extérieurs. J'estime toutefois que cette simple signature ne suffit plus et qu'il faut l'assortir d'un temps d'échange pour les personnes appelées à intervenir nouvellement au conservatoire ou d'une lecture commune pour les élèves.

Nous avons par ailleurs reçu, il y a deux ans, la certification de l'Association française de normalisation (Afnor) pour les labels Égalité professionnelle et Diversité. Une telle reconnaissance, si elle nous inspire et témoigne du travail déjà réalisé, nous engage surtout à aller plus loin. Nous serons d'ailleurs auditionnés à mi-parcours, c'est-à-dire en novembre prochain, pour évaluer les progrès réalisés.

Plusieurs procédures de recueil de la parole ont également été instaurées. Des référents ont ainsi été désignés, pour chaque cycle d'enseignement et pour chaque année du premier cycle. Pour que leur travail soit pertinent, ils seront obligatoirement formés, à partir de juin pour les référents issus du personnel pédagogique et administratif et à partir de septembre pour ceux désignés parmi les élèves.

En tant que composante de l'université PSL, nous avons par ailleurs la chance de bénéficier de sa cellule d'écoute ainsi que de celle du ministère de culture. Les élèves désireux de témoigner peuvent ainsi s'adresser à des personnes extérieures à l'école, leurs signalements étant ensuite susceptibles de donner lieu à des enquêtes internes, qu'ils impliquent des intervenants extérieurs, des professeurs ou des élèves.

J'ajoute que le conservatoire, qui délivre une formation supérieure, compte peu d'élèves mineurs : nos étudiants sont, pour la plupart, âgés de 18 à 26 ans.

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, qui opère sous le statut d'établissement public administratif, est un des deux seuls établissements français à délivrer des diplômes de second cycle en musique et en danse, avec le CNSMD de Lyon, qui compte environ moitié moins d'élèves. Fondé en 1795, il est un des plus anciens et des plus prestigieux conservatoires au monde, dispensant des enseignements de haut niveau dans diverses disciplines musicales et chorégraphiques et formant aux diplômes de professeur et de directeur de conservatoire. Les professeurs, qui sont très souvent des artistes de renommée internationale, ne bénéficient pas du statut d'enseignant – le corps ayant été mis en extinction – et exercent en tant que contractuels. Le conservatoire compte environ 400 enseignants, 200 agents et 1 400 étudiants, dont 1 200 en musique et 200 en danse. Parmi eux se trouvent quatre-vingt-quatorze mineurs, dont quarante-deux accueillis en internat, qui suivent presque tous en parallèle un autre cursus au sein de l'éducation nationale. Environ un quart de nos étudiants sont étrangers ; la moitié d'entre eux viennent d'Asie.

J'ai été nommée directrice de l'établissement en début d'année 2020. Parce que j'avais auparavant produit un travail remarqué sur la question de l'égalité et de la diversité dans le milieu musical lorsque j'étais à la tête de l'Académie européenne de musique du festival d'Aix-en-Provence, ma nomination semble avoir été perçue comme un signe d'ouverture, si bien que, dès mon entrée en fonction, d'anciennes étudiantes ont tenu à me faire part de leur expérience. Je les ai reçues sans avoir idée des drames qu'elles avaient vécus, de l'ampleur de leurs traumatismes et surtout de l'impérieuse nécessité que constituait pour elles le fait d'être entendues.

Quelques mois après mon arrivée, l'établissement a reçu les résultats d'une enquête de perception des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l'enseignement supérieur artistique et culturel commandée par le ministère de la Culture. Les résultats étaient effarants : sur un peu plus de 300 participants, vingt-cinq femmes déclaraient avoir été victimes d'agressions sexuelles dans le cadre de leur activité au conservatoire et dix personnes témoignaient d'un viol subi dans ce même cadre – des chiffres supérieurs aux statistiques nationales.

Nous avons donc fait de cette question une priorité. Dès la rentrée 2020, une formation obligatoire a été dispensée aux étudiants, aux agents et aux enseignants, assortie d'actions de sensibilisation et de communication et d'une procédure de signalement adossée à une cellule de traitement des cas. Dès l'installation de ce dispositif, des signalements nous sont parvenus. Ils ont conduit à une procédure très médiatisée, qui s'est conclue par un licenciement et une condamnation pénale. Cette médiatisation a eu deux conséquences.

D'une part, j'ai fait l'objet de pressions, émanant à la fois de professeurs ou de musiciens extérieurs m'exhortant à interrompre la procédure par crainte que je perde mon poste, et de journalistes, dont certains m'ont menacée. Une fois le processus mené à son terme, j'ai été félicitée pour mon courage, ce qui m'interpelle fortement : signaler une agression sexuelle ou protéger de jeunes adultes contre des prédateurs ne devrait pas être considéré comme un acte de bravoure.

D'autre part, bon nombre de musiciennes ou de musiciens m'ont fait part de cas ne présentant aucun lien avec le conservatoire. Aucun équivalent du mouvement #MeTooThéâtre n'existant dans le domaine de la musique classique, beaucoup de personnes ne savent pas à qui s'adresser si elles n'envisagent pas de se rendre directement au commissariat. Même si, neuf fois sur dix, je conseille aux victimes de porter plainte, je constate que peu franchissent le pas, d'abord parce qu'elles sous-estiment très fortement la gravité des faits, ensuite parce qu'elles sont souvent convaincues qu'ils sont prescrits, enfin parce qu'elles doutent que le fait de porter plainte puisse mener à une condamnation.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

J'ai conscience de la responsabilité qui nous incombe, en tant qu'institutions accueillant des jeunes personnes désireuses d'intégrer le monde du spectacle vivant ou du cinéma : nous devons nous saisir de ces questions et les traiter en faisant preuve d'une vigilance permanente et en menant une action continue.

Le Cours Florent a été fondé en 1967 par François Florent. Je le dirige pour la deuxième saison, après y avoir enseigné pendant quelques années et y avoir étudié à l'issue de ma formation au Conservatoire national autrichien.

L'école a institué un règlement intérieur et une charte déontologique très stricts. Il importe en effet de définir clairement des lignes rouges : on ne peut pas se contenter de parler de zones grises ou d'un flou lorsqu'il s'agit de protéger l'intégrité physique et psychique des élèves et des collaboratrices ou collaborateurs.

Ces documents s'accompagnent de procédures bien définies, dans le cadre desquelles nous appliquons le droit du travail, sans attendre une éventuelle décision pénale – même si l'un n'exclut pas l'autre. De ce fait, certains cas se soldent par une décision aux prud'hommes ou une saisine de l'inspection du travail lorsqu'ils concernent un salarié protégé. La sécurité de chacun est à ce prix. Nous pouvons également être amenés à prononcer des suspensions à titre préventif, avant de procéder à une enquête interne, que les personnes concernées soient des collaborateurs de l'école ou des élèves.

Nous avons aussi institué un dispositif d'écoute externe, à savoir une ligne que chacun peut joindre à toute heure, sans qu'une qualification préalable des faits soit nécessaire. J'insiste sur ce point : les appels peuvent concerner aussi bien des enjeux privés ou un besoin d'assistance psychologique que des faits en lien avec l'école. Des psychologues formés à recueillir les témoignages peuvent ainsi aider les personnes à sortir de l'anonymat et à procéder à un signalement.

Une référente Écoute, respect, égalité est également présente à plein temps dans l'établissement pour recueillir la parole. Afin de garantir sa neutralité et son indépendance, elle n'appartient pas à l'équipe pédagogique.

Enfin, nous menons des actions de prévention dans les classes, en présentant ces mécanismes d'écoute et d'alerte en début de saison puis en organisant des séances de prévention pour aider à repérer les violences ou les discriminations. Une campagne d'affichage et de vidéo, intitulée « Non, c'est non », est également déployée à l'intention des élèves et de l'équipe.

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Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène

L'école de théâtre Cochet-Delavène accueille environ 200 étudiants à Paris, dont très peu sont mineurs : les admissions commencent généralement à 18 ans et peuvent s'échelonner tout au long de la vie, puisque nous dispensons aussi des cours semi-professionnels. Elle a été créée en 1965 par Jean-Laurent Cochet et a formé des générations de comédiens et de comédiennes.

Depuis l'émergence du mouvement # MeToo, une révolution s'est opérée et la parole s'est beaucoup libérée, notamment parmi les jeunes femmes. Si nous sommes très sensibles à ces questions, nous n'avons pas nommé de personne référente. Les élèves peuvent s'adresser à l'équipe enseignante, constituée de cinq professeurs. Ils connaissent mon implication dans ce domaine et plusieurs se sont confiés à moi. Ils savent que nous les accompagnons, que nous les écoutons et que nous n'hésitons pas à prendre les mesures qui s'imposent.

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Mme Delorme a fait référence à l'affaire Pernoo et à son traitement par le CNSMD, qui, en prenant notamment des mesures à titre conservatoire, a offert un bon exemple de la façon dont un établissement doit agir face à un cas de VSS. Ce constat m'amène à m'interroger sur le Cours Florent et le Cours Cochet-Delavène : nos travaux préparatoires et les auditions que nous avons menées jusqu'à présent révèlent que ce type d'établissements fait, depuis des décennies, l'objet de témoignages de femmes dénonçant des abus – le phénomène est plus récent pour les hommes. Pourquoi, selon vous, a-t-il fallu attendre si longtemps pour y instituer des procédures d'écoute et de prise en charge des élèves ?

Madame Strickner, à quelle époque le règlement intérieur et la charte en vigueur au Cours Florent ont-ils été rédigés ? Qui gère la structure externe d'écoute à laquelle vous avez fait référence ? Ces deux dispositifs vous semblent-ils constituer une réponse complète aux besoins ? Des articles relayaient encore, en 2021, des accusations d'inaction, voire de tentatives d'étouffement de cas de VSS au Cours Florent, mais peut-être ces procédures ont-elles été instituées depuis.

Monsieur Delavène, comment traitez-vous ces questions auxquelles vous indiquez être particulièrement sensible ? Je crois comprendre que vous agissez comme référent auprès de vos élèves. Assumez-vous seul ce rôle ? Y avez-vous été formé ? En l'absence de charte, de formation spécifique ou de mesure de sensibilisation destinée aux enseignants, estimez-vous être en mesure d'apporter une réponse suffisante à vos quelque 200 élèves ?

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Les établissements rattachés aux ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur et de la recherche sont tenus, par la circulaire du 25 novembre 2015 sur la prévention et le traitement du harcèlement sexuel dans les établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche, de présenter les procédures à suivre en cas de harcèlement sexuel. En tant qu'établissements publics administratifs dispensant un enseignement supérieur, les conservatoires sont-ils concernés par cette circulaire, même s'ils sont rattachés au ministère de la culture ?

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a par ailleurs rendu obligatoire l'instauration, par les employeurs publics, de dispositifs de signalement et de suivi des violences sexistes ou sexuelles, de harcèlement moral et de discrimination. Avez-vous, au sein des conservatoires, institué de tels dispositifs, au-delà des diverses démarches que vous avez évoquées ?

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Le dispositif d'écoute instauré au Cours Florent, intitulé HuCare, est géré par le cabinet Empreinte humaine. Nous avons décidé d'y avoir recours pendant le confinement, pour prêter assistance à tout moment à nos élèves en détresse. Le fait de ne pas les contraindre à caractériser la raison du signalement nous a paru constituer un gage d'efficacité.

Je ne sais pas si notre système de prévention est suffisant, mais je sais que nous devons faire preuve d'une vigilance permanente et avoir à cœur de l'améliorer en continu. L'articulation entre un dispositif d'écoute externe et la présence à plein temps d'une référente interne à l'établissement mais indépendante de la direction me semble aussi très importante.

Nous avons commencé à proposer ce dispositif à nos élèves lorsque j'ai pris mes fonctions, il y a deux saisons. Auparavant, le principal problème, c'est que les élèves ne voulaient pas trop se confier à des personnes qui étaient certes des référents, mais qui faisaient partie du corps professoral. Il m'a donc paru essentiel qu'ils puissent s'adresser à une personne qui n'avait pas de fonction pédagogique et qui ne venait pas voir les spectacles.

Ce que j'essaie de faire – et c'est vraiment un travail de fond, un changement de culture –, c'est de combattre avec fermeté les représentations mentales selon lesquelles il est normal, pour avoir du succès au théâtre ou au cinéma, de passer par la souffrance, d'accepter tout et n'importe quoi sous prétexte que l'on fait de l'art, ou de faire tout ce que demande un professeur. Ce n'est pas le cas et il est très important de le formuler tel quel.

Je crois vraiment qu'il faut commencer par changer en profondeur ces représentations et les stéréotypes qui entourent les métiers de la culture si l'on veut que les outils dont on se dote – chartes, dispositifs de prévention et de signalement – soient efficaces. À mon arrivée en France, j'ai été très surprise de la lecture, à mon sens totalement erronée, que l'on y fait de Constantin Stanislavski, selon laquelle il faudrait appuyer sur des traumatismes. Il n'a jamais dit cela et ce n'est pas ce qu'il faut véhiculer. Ce qui peut expliquer qu'il y ait eu si peu de témoignages par le passé, c'est ce mécanisme, qui fait que les personnes concernées se disaient qu'il était normal d'en passer par là pour réussir. Ce que nous essayons de faire, c'est de mettre des mots là-dessus et de dire que non, ce n'est pas normal.

Nous avions déjà une charte par le passé : je vous fournirai tous les documents qui peuvent vous être utiles. Nous veillons à maintenir une frontière stricte entre le cadre privé et ce qui se passe à l'école et à définir très clairement les règles déontologiques qui nous guident. Même si tout cela existait déjà avant, nous l'avons vraiment explicité il y a deux ans. Je crois qu'il faut expliquer les choses très clairement. Comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, ce n'est pas parce qu'on fait de l'art que l'on peut accepter des zones grises : il y a une ligne rouge à ne pas franchir.

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Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène

Notre école ne s'est pas dotée d'une charte et je ne suis pas certain qu'elle soit rattachée au ministère de l'éducation nationale, mais je vais m'en enquérir dès la fin de cette audition.

Je souscris aux propos de Mme Strickner : les chartes sont une chose, mais il importe surtout d'avoir un discours très clair. Nous veillons nous aussi à ce que la ligne rouge ne soit jamais franchie. Je ne suis pas le centralisateur des informations ; les élèves parlent entre eux et aux différents professeurs, mais je suis à l'écoute et j'interviens s'il y a une décision à prendre.

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Pourriez-vous tous, comme Mme Strickner l'a proposé, nous envoyer votre charte, si vous en avez une ?

J'aimerais savoir, pour ceux qui en ont, comment sont formés vos référents, et comment les choses se passent, concrètement, lorsqu'un élève vient dénoncer quelqu'un. Comment se fait, au Cours Florent, l'articulation entre le cabinet extérieur et la référente qui se trouve sur place ?

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Pourriez-vous également répondre à ma question relative à la circulaire de 2015 ?

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Comme nous délivrons des diplômes de deuxième cycle, nous sommes aussi accrédités par le ministère de l'enseignement supérieur, et une des sous-directions du ministère de la culture décline les circulaires de l'enseignement supérieur dans les établissements qui lui sont rattachés. Nous y sommes donc soumis.

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

C'est la même chose pour nous.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Concernant la formation, nous travaillons avec différentes associations et structures. Nos professeurs sont tous formés par un organisme extérieur qui fait de la prévention en matière de violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) et de la sensibilisation contre tout agissement sexiste et déontologiquement contraire à nos valeurs. Notre référente se forme régulièrement, auprès d'Empreinte humaine, mais aussi d'un cabinet d'avocats, car il est important qu'elle puisse à la fois assurer un accompagnement psychologique, en utilisant toutes les nouvelles ressources en matière de prévention, et avoir une compétence juridique. Nous organisons aussi beaucoup de conférences au sein du Cours Florent, auxquelles assistent nos permanents et notre référente. J'ai invité plusieurs collectifs pour qu'ils nous fassent part de leur expérience et qu'ils nous transmettent les bonnes pratiques qu'ils mettent au point dans leur recherche quotidienne. La formation est effectivement un élément clé et il importe de la mettre à jour en permanence.

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Le Cours Florent et le Cours Cochet-Delavène sont des cours privés. Avez-vous des agréments délivrés par le ministère de la culture ou un autre ministère ? Quoi qu'il en soit, la loi du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire oblige chaque établissement, qu'il soit privé ou public, sous contrat ou hors contrat, de l'école maternelle jusqu'à l'enseignement supérieur, à avoir un plan de prévention et un protocole de résolution. La loi étant assez récente, je comprendrais que vous n'en ayez pas encore, mais je voudrais savoir si vous avez connaissance de cette disposition et quand vous comptez l'appliquer.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Dès qu'un employé du Cours Florent est impliqué dans un signalement quelconque, le service des ressources humaines entre en action et applique notre protocole d'enquête interne, que je vous ferai parvenir. C'est un document de quinze pages, qui décrit très précisément, étape par étape, les règles à respecter. Nous avons eu, à deux reprises, des cas complexes à traiter et avons décidé de confier l'enquête à un organisme externe, qui nous a rendu ses conclusions après avoir entendu tous les témoins. Il nous a paru important de confier cette démarche à des personnes neutres et éloignées de la maison, dont c'est le métier. Nous avons effectivement des protocoles et il est très important pour nous de les appliquer méthodiquement, en procédant toujours de la même façon.

S'agissant des élèves, notre devoir est aussi, comme vous l'avez dit en introduction, de former les personnes qui feront le théâtre et le cinéma de demain. C'est pourquoi nous leur demandons, dans le règlement intérieur, de se conformer à des valeurs essentielles et de respecter toutes les personnes qu'ils fréquentent au sein de notre école. En cas de problème entre des élèves, nous avons aussi des protocoles très stricts, que je vous transmettrai également, qui prévoient une enquête, puis un conseil de discipline et, le cas échéant, des mesures disciplinaires.

Nos élèves nous signalent souvent, et je le regrette, des violences dont ils sont victimes en dehors du Cours Florent, dans leur vie privée. Ils se confient à nous et il est très important que nous puissions leur prêter assistance, aussi bien sur le plan psychologique que juridique.

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Pourriez-vous exposer quelques cas concrets où vous avez pu prendre des mesures à titre conservatoire, qu'il s'agisse d'une interdiction d'accès aux locaux ou de toute autre mesure disciplinaire ? Pouvez-vous nous expliquer quel est le cheminement de l'élève, à partir du moment où il décide de témoigner et de dénoncer quelqu'un, jusqu'à la fin de la procédure en interne, et avant que ne commence la procédure judiciaire ?

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Les mesures conservatoires peuvent concerner les étudiants et les agents et nous en avons pris à plusieurs reprises contre des enseignants. Le problème, c'est que la durée maximale de suspension est de quatre mois dans la fonction publique : c'est un délai très court pour faire une enquête, lancer une procédure disciplinaire et réunir une commission consultative paritaire (CCP) – s'il s'agit d'un agent. Pour peu que les quatre mois incluent les vacances d'été, cela devient très compliqué. Il nous est arrivé de prendre une mesure conservatoire quand nous avons estimé qu'il y avait un danger immédiat pour les étudiants, mais la brièveté du délai est vraiment un problème. On peut par exemple se retrouver dans une situation paradoxale si une procédure pénale commence alors que le délai de suspension est terminé.

Par ailleurs, les artistes ne peuvent pas être reclassés dans un autre emploi : on ne peut pas demander à un professeur de danse, de musique ou de théâtre de travailler à la comptabilité s'il ne peut plus être au contact des étudiants. Il importe donc de bien réfléchir avant de prendre une mesure conservatoire, et ce délai de quatre mois crée vraiment une difficulté, surtout lorsque la procédure pénale s'ajoute à la procédure administrative.

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Juridiquement, rien ne s'oppose à ce qu'une procédure administrative ait lieu en même temps qu'une procédure pénale, mais je comprends le problème que vous soulevez.

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Il est vrai que les deux peuvent se dérouler parallèlement, mais l'enquête administrative porte sur la dignité et la probité de l'agent, ce qui n'est pas une qualification pénale, et nous sommes obligés d'agir vite, du fait de ce délai de quatre mois. Nous agissons souvent avant le déclenchement de la procédure pénale et on nous demande, pour des faits d'agression sexuelle, de faire une enquête dans des délais contraints, alors que nous n'avons ni les moyens, ni la légitimité de la police. Il est donc très difficile pour nous de traiter correctement les signalements.

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

Il n'y a eu ni suspension, ni exclusion d'artistes intervenant au CNSAD. Avant que je devienne directrice, il est toutefois arrivé que les élèves alertent la direction au sujet d'un intervenant qui avait déjà travaillé au conservatoire et qui devait y revenir : ce sont des étudiants d'une autre école qui les avaient mis en garde. Or, s'il est très précieux que les élèves de différentes écoles communiquent entre elles et eux, ce n'est pas leur rôle de gérer ce genre de situation. Nos étudiantes et étudiants viennent d'écoles privées, de conservatoires d'arrondissement, de conservatoires régionaux, de classes égalité des chances : certains de ces établissements font ce qu'il faut, mais ce n'est pas le cas dans tout le territoire, loin de là. Or je trouve très violent que ce soit aux élèves de faire ce travail, qui consiste à prendre soin des autres. L'année dernière, nous avons su après-coup qu'un élève qui avait été reçu au concours posait un problème. Nsous avons été alertés par une école, mais tardivement ; cet élève n'est pas entré au conservatoire.

Vous nous interrogiez tout à l'heure sur les raisons du silence terrible qui a dominé pendant des décennies. Je suis actrice, j'ai été une jeune élève de cours de théâtre, puis j'ai moi-même été élève au conservatoire ; je pense qu'il y a un gros travail à faire sur le répertoire. Il ne s'agit pas de ne plus le jouer, mais il faut le questionner, car il induit un rapport entre les hommes et les femmes qui est un peu vertigineux. Il n'a jamais été dégenré mais il commence à l'être et je crois que cela constitue une ouverture énorme, aussi bien au sein de l'école que sur les plateaux de théâtre. Il y a des années, alors que je jouais une pièce de Shakespeare dans un théâtre qui avait mis cet auteur à l'honneur, j'ai voulu calculer combien de femmes – actrices, intermittentes – allaient travailler dans ce théâtre pendant un an : j'en ai compté quinze, pour une centaine d'hommes. Cela fragilisait indéniablement les femmes.

Les choses sont en train de changer. Au conservatoire, nous travaillons par exemple à mettre en avant le matrimoine, tout le répertoire invisibilisé. Les récits sont fondamentaux : faire la part belle aux autrices, c'est changer notre vision du monde.

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Avez-vous introduit dans votre programmation pédagogique des objectifs de rattrapage, des quotas ?

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

Oui. Nous avons créé un laboratoire de recherche, avec l'aide d'Aurore Évain, pour travailler sur le matrimoine, sur les autrices de l'Ancien Régime qui ont été invisibilisées. Nous avons aussi mené un travail intitulé « Déconstruire les regards », sur les coordinatrices d'intimité. Cette question pose aussi celle des moyens : il faut avoir les moyens financiers de faire intervenir des coordinatrices d'intimité, lorsque c'est nécessaire, pour faire en sorte que l'acte de création soit apaisé.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Nous avons aussi, au Cours Florent, des listes de lecture paritaires. Faire connaître les créatrices féminines est effectivement une nécessité absolue. Nous organisons, une fois par mois, des conférences qui les mettent à l'honneur et qui permettent à toute la maison de les découvrir. Aurore Évain intervient également chez nous, comme formatrice auprès du corps professoral. Il convient de créer un nouveau vocabulaire, pour que la parole puisse se libérer de façon durable et que les choses changent.

Pour vous donner un exemple de signalement, une élève a dénoncé le non-respect du consentement par un professeur au cours d'une répétition. Alors que notre charte proscrit tout acte qui consiste, sous couvert de répétition, à entrer dans l'intimité d'un ou d'une élève, cette étudiante a expliqué que l'enseignant avait eu, devant toute la classe, un geste violent à son égard. Le jour même, il a été mis à pied, puis l'enquête a commencé. Notre référente a entendu tous les élèves qui avaient été témoins de la scène et les ressources humaines ont convoqué le professeur dans les délais légaux pour procéder à son licenciement, parce que son geste était absolument contraire à notre règlement intérieur et à notre charte déontologique.

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Avez-vous fait un signalement auprès du procureur de la République – mais peut-être n'était-ce pas justifié ? Y a-t-il eu un dépôt de plainte ?

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Dans ce cas précis, oui. Il nous arrive aussi de signaler au procureur de la République des violences subies par des élèves à l'extérieur du cours ou des violences commises entre élèves. Je pourrai vous fournir tous les documents ; cela fait partie de notre procédure.

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Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène

Il n'y a pas eu d'affaires au sein de notre cours entre enseignants et élèves.

Les seuls faits qui m'ont été rapportés ces dernières années concernaient un cas de harcèlement entre élèves : un homme d'une cinquantaine d'années harcelait une femme d'une trentaine d'années, qui s'est rapprochée de nous. Il est très difficile d'agir lorsqu'on n'a pas de preuves mais elle a heureusement pu nous montrer une série de mails sexistes et l'homme a été exclu de l'école.

Je peux donner un autre exemple, qui montre que la parole se libère. Il y a six mois, une jeune femme m'a demandé durant un cours si elle pouvait monter sur scène pour faire une confidence. Elle a dit devant une trentaine d'élèves qu'elle avait été violée un an plus tôt. Cela ne s'est pas produit dans le monde du spectacle ou du cinéma, mais le fait qu'une élève prenne la parole de cette manière dit quelque chose de l'état d'esprit du moment. Cela a été difficile à gérer ; nous avons dit à cette jeune femme qu'il fallait qu'elle se protège et qu'elle porte plainte.

S'agissant du consentement, cela fait plusieurs années qu'un professeur ne peut toucher ne serait-ce que l'épaule d'un élève sans lui avoir demandé préalablement s'il était d'accord. Au début, cela faisait sourire les élèves mais, en réalité, c'est une très bonne chose car nous avons tous un rapport différent au corps et cela permet de mettre des barrières.

Il se passe certainement des choses au sein des écoles, mais je crois qu'il faut surtout sensibiliser les élèves à ce qui arrive après. Nous ne représentons que quatre écoles, mais il y en a beaucoup d'autres, et sur les quelque 10 000 comédiens qui sont formés chaque année, seul un petit nombre sera appelé à faire ce métier. La compétition est terrible et il faut sans doute un changement d'état d'esprit.

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Si j'ai bien compris – mais j'aimerais que vous me le confirmiez –, vous abordez tous, dans votre programme pédagogique, la question de la vie d'après l'école, de la dureté du métier et de la difficulté d'y accéder. Est-ce que vous expliquez aussi à vos élèves, qui sont de futurs comédiens, musiciens et danseurs, comment se protéger plus tard ? Avez-vous un cours dédié à cette question ?

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

Au CNSAD, il n'y a pas de cours dédié à cela, mais il y a des formations communes aux professeurs, aux membres du personnel et aux élèves – qu'ils ne suivent pas forcément ensemble, pour que la parole soit plus libre.

Ces formations, qui existent depuis un certain temps, sont importantes mais ne suffisent pas. Il me paraît important que, pendant la semaine de formation qui aura lieu à la rentrée, l'Association des acteur.ices, qui réunit de jeunes actrices dont certaines sont sorties du conservatoire et œuvrent pour recueillir la parole, puisse témoigner. Il faut également travailler en collaboration avec les professeurs et les intervenants : chez nous aussi, cela fait des années que l'on demande aux élèves s'ils sont d'accord avant de les toucher. Enfin, je crois utile de faire venir des intervenantes qui ont mis ces questions au cœur de leur travail, comme Penda Diouf, Eva Doumbia ou Rébecca Chaillon. C'est aussi par la communion artistique que les choses peuvent avancer. Pour résumer, tout cela fait effectivement partie de notre programme.

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Dans les années à venir, vos élèves seront susceptibles de travailler ensemble, sur les mêmes tournages ou sur les mêmes scènes. Pensez-vous qu'il serait utile d'avoir entre vous un temps d'échange sur les pratiques que vous mettez en œuvre, afin de bâtir un socle commun à tous ? On constate en effet qu'il y a des manières de fonctionner très différentes : il serait peut-être intéressant que les élèves soient sensibilisés de la même façon, reçoivent les mêmes enseignements et sachent réagir de la même façon aux signaux d'alerte.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

L'idée de bénéficier des best practices, des bonnes méthodes des collègues me semble extrêmement précieuse dans la mesure où nous formons tous nos élèves aux mêmes métiers.

Pour répondre à votre question sur la façon dont nous préparons les élèves à leur futur métier, le Cours Florent dispose d'un bureau casting, qui intervient en première année pour faire de la prévention et expliquer à nos élèves qu'il ne faut pas répondre à n'importe quelle annonce sauvage sur internet. Le bureau est à leur disposition pour les accompagner et pour voir qui se cache derrière une annonce. Je suis tout à fait favorable à des échanges approfondis dans ce domaine, comme dans d'autres également, qui méritent une réflexion – on a évoqué les coordinateurs d'intimité ; nous avons fait un pilote cette saison avec une personne qui a le diplôme permettant de dispenser ce type de formation.

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Je vous remercie pour vos réponses, qui témoignent que le monde du spectacle vivant, notamment de la formation, est en train de se saisir de ces enjeux.

S'agissant de la prévention, qui est un sujet fondamental, je souhaite revenir sur vos procédures en cas d'alertes, certains dispositifs me paraissant encore assez flous. J'aimerais m'assurer tout d'abord que la pratique de porter plainte contre les personnes dénonçant des violences a pris fin. En effet, par le passé, le Cours Florent a déposé des plaintes en diffamation contre des collectifs qui l'accusaient de ne pas prêter attention aux accusations d'agressions sexuelles et de viol. J'espère que cette page est tournée car si nous voulons que la parole se libère, les intimidations doivent cesser.

Par ailleurs, je voulais vous inviter à nous détailler quels types de plaintes vous aviez pu être amenés à déposer.

Enfin, je souhaite aborder la question de l'emprise, qui nécessite d'approfondir la réflexion sur la notion de consentement. Dans certains cas, le consentement est en réalité présumé absent. Vous avez indiqué qu'il fallait poser une frontière entre la vie privée et ce qui se passe en cours. Est-il très clair, dans vos établissements, que toute relation entre un professeur et un ou une élève est proscrite ? Quelles sont vos procédures quand vous apprenez l'existence d'une relation, même consentie ou amoureuse, entre professeur et élève ?

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

En 2023, quinze signalements ont été traités par la cellule. Celle-ci recueille des signalements soit en direct, soit par le biais des personnes qui ont été formées à l'écoute. Une fois qu'il y a un signalement, deux personnes, sur les sept qui ont été formées à cela au sein de la cellule, organisent un premier entretien, qui donne lieu à un compte rendu signé pendant l'entretien. Ensuite, l'ensemble de la cellule se réunit pour décider de la marche à suivre : enquête, suspension, traitement pédagogique, signalement au procureur sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale. La cellule me présente ses propositions, sur lesquelles nous prenons une décision. Elle mène l'essentiel des enquêtes – quatorze sur les quinze signalements recensés en 2023, dont trois assez significatives – mais il nous arrive aussi d'en externaliser à des cabinets d'avocats, surtout quand elles sont très importantes. Une enquête est très chronophage – quatre-vingts heures de travail en moyenne – et nécessite des moyens, notamment pour en suivre les aspects juridiques.

Sur ces quinze signalements, cinq ont donné lieu à un signalement au procureur en 2023. Dans le passé, nous avons prononcé un licenciement et deux exclusions temporaires d'enseignants, ainsi que des exclusions définitives d'étudiants.

La question de l'emprise est centrale. Cette qualification existe dans le code pénal pour les violences conjugales uniquement ; nous n'avons pour notre part aucune base juridique. Une personne sous emprise n'a plus les moyens de consentir ou de s'opposer, et il est très compliqué d'apporter la preuve d'une violence faite à une personne sous emprise, puisqu'il n'y a pas de trace de menace, de contrainte ou de surprise lors de relations sexuelles qui sont souvent imposées, voire lors de relations vécues sans se cacher.

L'enseignement musical repose sur une admiration entre un disciple et un maître. L'enseignement a parfois commencé dès la prime enfance, avec des stages les week-ends et l'été, avec un professeur dans l'enseignement initial que l'on retrouve ensuite dans l'enseignement supérieur, et qui peut devenir le collègue ou le pourvoyeur d'emploi. On sait de plus que les familles investissent dans cet enseignement depuis l'enfance de l'élève, dans des instruments, dans du matériel, et vont jusqu'à déménager pour ses études. L'élève sait qu'une parole peut détruire quinze ans de travail et d'investissement.

Nous devons parvenir à trouver un cadre juridique pour gérer les situations d'emprise. C'est très difficile parce que beaucoup de faits sont dénoncés une fois que l'étudiant est majeur, ce qui nous prive d'un cadre juridique pour agir.

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Les relations entre un élève et un professeur sont-elles proscrites dans vos établissements ?

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Je vous répondrai très clairement : oui, elles le sont. C'est dans notre charte déontologique. C'est comme chez le psy : en raison de l'ascendance du professeur sur son élève, il n'est pas déontologiquement possible d'enseigner et d'avoir une relation intime à l'extérieur. Nous faisons donc de la prévention auprès du corps professoral, que nous formons à cette question, et nous proscrivons totalement toute relation, même amoureuse, à l'extérieur des cours. Si nous découvrons une entorse à notre règlement, nous sanctionnons fermement.

Par ailleurs, et je serai également très claire sur ce point, nous ne déposons aucune plainte contre les victimes. Il y a eu, sous l'ancienne direction du Cours Florent, une situation un peu confuse, la direction ne sachant pas qui était derrière les communications faites sur ce sujet. Lorsque cette question a été résolue et qu'il est apparu que c'étaient bien d'anciens élèves du Cours Florent qui en étaient à l'origine, la plainte a été levée. Mais je suis d'accord avec vous : il est hors de question de porter plainte contre des victimes.

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Sur le plan juridique, vous devez respecter les enquêtes menées sur des faits qui relèvent du pénal ou qui contreviennent à l'obligation de protection des élèves par les structures de formation. Cela soulève par conséquent la question de la force de votre règlement intérieur : est-ce que le fait de proscrire certains comportements dans une charte signée par tous les enseignants vous donne des marges de manœuvre ? Si vous suspendez ou licenciez un professeur parce qu'il a enfreint la charte et que celui-ci exerce un recours, vous pourriez faire valoir qu'il n'a pas respecté ses engagements. Cela vous éviterait d'avoir à prouver un délit, qui relève de la justice, tout en vous permettant d'agir en cas d'infraction à telle ou telle disposition de votre règlement. Pensez-vous que cela soit possible ou bien cela reste-t-il compliqué ?

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

Tout est très clairement détaillé dans la charte et dans le règlement, de la définition des comportements prohibés – paroles sexistes, gestes déplacés – aux sanctions encourues, qui peuvent aller jusqu'à la suspension et à l'exclusion.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Nous appliquons vraiment notre charte déontologique et notre règlement intérieur. Ces documents sont systématiquement signés en même temps que le contrat de travail lorsqu'un professeur prend ses fonctions chez nous. Nous pouvons donc toujours invoquer le fait que les choses étaient claires et qu'on s'est entendu sur le cadre de ses fonctions dans notre maison.

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Nous avons une charte concernant l'égalité mais nous n'avons pas de charte déontologique ou de charte de la relation pédagogique. C'est un travail que nous sommes en train d'initier, afin de renforcer notre position juridique.

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Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène

Nous n'avons pas de charte mais nous respectons la déontologie.

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Vous avez évoqué l'investissement important des familles dans les études de leur enfant – coûts, conséquence sur la vie familiale avec des déménagements, etc. On peut imaginer la pression qui pèse sur les enfants ou sur les jeunes. Ma question s'adresse donc plus particulièrement à ceux d'entre vous qui accueillent des mineurs : que pensez-vous de l'influence des parents qui, parfois, transfèrent leurs propres aspirations sur leurs enfants ? Serait-il pertinent de sensibiliser les parents également aux dangers de la profession ? Faudrait-il leur faire signer une charte ou un engagement ? On ne parle pas souvent du rôle des parents, qui restent un peu dans l'ombre, mais certains peuvent exercer une réelle pression sur vos élèves.

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Je poserai la question de manière encore plus directe : avez-vous déjà rencontré des parents qui mettent la pression sur leurs enfants ? Est-il arrivé que des enfants développent des comportements particuliers ou des vulnérabilités en réponse à cette pression ?

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

Oui. Nous avons par exemple reçu un courrier de parents nous reprochant la suspension d'un enseignant compte tenu de l'investissement qu'ils avaient mis dans les études. Il peut arriver également que les discussions soient très compliquées avec des parents qui poussent l'étudiant alors que celui-ci ne va pas bien. Mais ce n'est heureusement pas général.

À l'inverse, nous devons aussi parfois encourager les familles à accepter l'idée que leur enfant fasse une carrière artistique, parce que cela n'est pas forcément bien admis. Nous le faisons de façon très précautionneuse, particulièrement lorsque nous cherchons à avoir plus de diversité sociale ou territoriale.

Enfin, la plupart des élèves mineurs étant scolarisés, nous dialoguons avec leur établissement scolaire. Cela accroît les possibilités d'alertes et permet un meilleur suivi lorsqu'il existe des problèmes familiaux.

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Pourquoi, en dépit de tous les efforts que vous déployez, ces phénomènes perdurent-ils ? Cela fait un moment que des protocoles existent, que les écoles adoptent des bonnes pratiques ; cela fait longtemps également que des personnes dénoncent des faits. Or les violences continuent et, régulièrement, de nouvelles victimes se font connaître. Pourquoi est-ce que cela continue ?

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

C'est malheureusement encore une question de représentation de ce que requièrent ces métiers. Nous devons collectivement prendre position pour expliquer très clairement que l'art n'est pas une excuse pour de tels comportements : l'excellence ne nécessite pas la souffrance. Nous devons vraiment formuler à grande échelle que c'est absolument inacceptable et même anormal, sinon cela risque de rester un peu obscur.

Je constate d'ailleurs que même certains élèves souhaitent que leurs professeurs fassent preuve d'un peu plus de brutalité. Je leur réponds que ce n'est pas du tout ainsi que cela doit se passer. Je crois qu'il y a une profonde confusion : l'excellence ne nécessite absolument aucune forme de violence. Cette idée est malheureusement très ancrée dans l'imaginaire collectif concernant le spectacle et le cinéma.

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Sandy Ouvrier, directrice du Conservatoire national supérieur d'art dramatique (CNSAD) - Paris sciences et lettres (PSL)

L'emprise est très peu éloignée de l'admiration absolue. Imaginer telle actrice dans tel rôle est très proche du fantasme, du désir. Il faut vraiment changer ce mode de représentation : un acte puissant et magnifique au plateau, ce n'est pas forcément un acte violent. La violence doit être traitée comme une bagarre au théâtre : on prend soin de l'autre. Je ne vois pas comment on peut ne pas prendre soin d'autrui lorsqu'il est question d'aspects psychologiques ou intimes.

Cela existe encore parce que c'est toujours très complexe dans la société. Aujourd'hui, à 56 ans, je m'émerveille à l'idée que les jeunes actrices n'auront pas à vivre et à penser le monde tel que j'ai cru qu'il était, en me disant que c'était ainsi et qu'il fallait faire avec. Cela traverse toute la société, et tant mieux si cela sort maintenant : nous veillerons à faire en sorte que créer soit sûr.

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

S'il ne s'agissait que d'empêcher une poignée de personnes de nuire, on aurait déjà résolu la question. Or le problème est systémique et met en jeu les mêmes mécanismes que ceux existant dans le cinéma ou la littérature, qui imposent le silence – le fameux « tout le monde le sait et rien ne se passe » – et protègent les agresseurs, à qui on continue de remettre des médailles et de rendre les plus grands hommages. Les femmes développent des stratégies de contournement ; ce que nos professeurs enseignent aux élèves, malheureusement, ce sont les listes des personnes avec qui ne pas monter dans un ascenseur, avec qui ne pas aller boire un verre ou à qui ne pas répondre quand on reçoit un SMS.

Nous en sommes là parce que le système est ultra sélectif. L'enseignement supérieur de la musique, en France, est concentré dans deux CNSMD, alors qu'il y a vingt-trois écoles supérieures de musique en Allemagne et six en Belgique. Avec seulement deux établissements, le système français est extrêmement sélectif : il faut être prêt à tous les sacrifices pour arriver en haut – c'est du moins l'image qu'en ont les étudiants. De plus, le monde professionnel se caractérise par une précarité encore plus importante en raison du mode de fonctionnement des ensembles et des compagnies. Un directeur artistique est en mesure de procurer des emplois aux artistes. Cela fragilise beaucoup ces derniers et empêche que la parole se libère.

Par ailleurs, dans le domaine artistique, on travaille sur les émotions, sur l'intime, sur le corps. Cela peut créer de la confusion chez certains et mener à des dérives graves. Dans certaines disciplines, les classes sont mixtes, par exemple dans les conservatoires. Or, sur scène, les femmes disparaissent. J'ai reçu plusieurs témoignages de vies brisées par ces violences au moment des études ou au début de l'insertion professionnelle. Il faut donc agir, et nous plaçons beaucoup d'espoirs dans votre travail.

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Pierre Delavène, directeur du Cours Cochet-Delavène

Je ne répéterai pas tout ce qui vient d'être dit, de façon très juste. Pour apporter une note d'espoir, il me semble que le monde des anciens, marqué par la loi du silence, est en voie de disparaître au profit du monde des nouvelles générations, qui poussent pour en sortir.

Les comédiens sont des êtres fragiles, sensibles, à qui on demande non seulement d'être des artistes, mais aussi des commerciaux : il faut se vendre. Les préjugés – il faut naître dans le désir d'un réalisateur ou d'un producteur, voire coucher pour réussir – n'ont pas encore disparu mais à force de le dire, de le répéter, de les aider, le monde finit par avancer.

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Ces défaillances systémiques, qui reposent sur un imaginaire induisant que l'acte puissant est un acte violent, sont-elles propres à la France ? Madame Strickner, vous êtes autrichienne ; madame Delorme, vous recevez dans votre conservatoire des élèves étrangers : pensez-vous que c'est une spécificité française ?

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Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris

On ne peut faire que des hypothèses mais, dans notre pays, qui est l'un des plus centralisés, le fonctionnement en pyramide induit ce type de représentation. J'en ai discuté avec des Allemands qui me disaient que c'était vraiment culturel en France, où la vision de l'art est plus romantisée. C'est très difficile pour moi de l'objectiver mais je constate en discutant avec des homologues étrangers qu'ils sont plus avancés que nous sur la question.

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Simone Strickner, directrice du Cours Florent

Je pense en effet qu'il y a une idéalisation du génie créateur, qui justifie tous les sacrifices pour aller vers l'accomplissement absolu dans l'art. Si l'on compare avec d'autres pays, c'est assez prononcé en France, où l'on trouve historiquement normal qu'un metteur en scène, un professeur ou une personne exerçant une ascendance donne libre cours à sa cause, et que les acteurs se mettent à tout prix au service du but élevé, c'est-à-dire la création. Tant que cette idée planera dans l'inconscient collectif, il sera compliqué de faire respecter des paramètres très objectifs et absolument pas flous.

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Je vous remercie pour les pistes de réflexion que vous nous avez apportées concernant l'encadrement des écoles et la diffusion des bonnes pratiques. Vous avez un rôle important à jouer puisque vous formez les auteurs, les réalisateurs et le monde du spectacle de demain .

La commission procède à l'audition de Mme Sophie Zeller, adjointe à la direction générale de la création artistique (DGCA) au ministère de la Culture.

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Madame Sophie Zeller, je vous souhaite la bienvenue. Comme vous le savez sans doute, les travaux de notre commission d'enquête s'articulent autour des axes suivants : l'évaluation de la situation des mineurs d'une part et des majeurs d'autre part dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ; l'identification des mécanismes et des défaillances qui permettent des violences dans ces secteurs et la définition des responsabilités de chacun ; la formulation de recommandations.

La direction générale de la création artistique (DGCA) du ministère de la culture, où vous exercez les fonctions d'adjointe au directeur général, a pour mission de définir, coordonner et évaluer la politique de l'État relative au spectacle vivant, au cœur donc des préoccupations de notre commission.

Dans un premier temps, nous souhaiterions que vous puissiez nous présenter, dans un court propos introductif qui ne devra pas excéder dix minutes, les actions mises en œuvre par la DGCA dans le champ de la commission d'enquête, et plus particulièrement en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Dans un second temps, la rapporteure et mes collègues vous poseront des questions plus précises.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous laisser la parole et d'entamer nos échanges, qui dureront environ une heure, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(Mme Sophie Zeller prête serment.)

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, le champ de compétence de la direction générale de la création artistique est la création artistique et, pour ce qui nous occupe, le spectacle vivant. Je pourrai être amenée à parler du cinéma, domaine dans lequel certaines nouveautés pourraient être transposées au nôtre, mais les questions liées au cinéma sont plutôt pilotées par le Centre national du cinéma et de l'image animée, le CNC, que vous aurez sans doute l'occasion d'auditionner.

Pour la DGCA, les politiques publiques visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, reposent sur quatre piliers.

Le premier est celui de la libération de la parole, de l'écoute et de l'accompagnement, qui a commencé à être formalisé et renforcé – ce qui ne signifie évidemment pas qu'on ne faisait rien auparavant – à partir de 2017, avec la mise en place de cellules d'écoute. Deux cellules de ce type ont été créées : l'une s'adresse aux agents du ministère de la culture et de ses établissements publics, soit 30 000 agents et 37 000 étudiants d'écoles d'art nationales ou territoriales ; l'autre, mise en place par Audiens en 2020 et destinée aux victimes et témoins des VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) dans le secteur du spectacle vivant et enregistré, a été créée par les partenaires sociaux et financée par le ministère de la culture pour toutes les personnes du secteur qui ne sont pas agents du ministère.

La politique de libération de la parole comporte également des actions de prévention, de sensibilisation et de formation. Le secteur professionnel est aujourd'hui de plus en plus mobilisé pour faire remonter les difficultés et les signalements.

Le deuxième pilier fondamental de la politique du ministère de la culture est la conditionnalité des aides. Le cinéma a été le premier secteur à se doter d'outils dédiés, à la suite de l'apparition du mouvement # MeToo, en 2019. Dès 2020 a été instaurée la conditionnalité des aides du CNC et, en octobre 2020, la formation des dirigeants est devenue obligatoire, de telle sorte que l'on compte déjà dans le cinéma 6 000 professionnels formés. À compter de juillet 2024, l'ensemble du collectif de travail devra obligatoirement être formé. Dans le champ de la création, les choses ont été un peu décalées dans le temps : le plan d'action a été mis en place fin 2021 et s'est appliqué à compter du début 2022.

La conditionnalité des aides fonctionne de la façon suivante : toute structure recevant une aide du ministère de la culture, y compris pour un simple projet, doit respecter cinq engagements. Le premier consiste à se mettre en conformité avec les obligations légales en matière de santé, de sécurité et de harcèlement sexuel – c'est une évidence, mais nous le rappelons, pour mémoire. Le deuxième engagement consiste à former la direction, les encadrants, les responsables de ressources humaines (RH) et les personnes désignées comme référentes au recueil de la parole et à la gestion des situations de violence. Le troisième engagement consiste à sensibiliser les équipes et à organiser la prévention des risques. Le quatrième, à créer un dispositif de signalement efficace et à traiter chaque signalement reçu. Le cinquième, à engager un suivi et une évaluation des actions en matière de VHSS.

La conditionnalité des aides permet un contrôle effectif. Concrètement, dès la demande de subvention, mais aussi au moment du bilan, les demandeurs doivent obligatoirement remplir un formulaire dans lequel ils fournissent diverses informations, dont un plan d'action, qui est une étape nécessaire pour laisser aux structures le temps de former leurs dirigeants. Dans ce cadre, les structures ont déclaré avoir formé 1 472 dirigeants et plus de 5 000 salariés à la fin de 2023. Pour la saison 2023-2024, elles s'engagent à former 10 420 encadrants et plus de 15 000 membres de leurs équipes. La généralisation de cette conditionnalité produit donc un effet de masse.

Les difficultés qui demeurent consistent souvent en un besoin d'accompagnement concret qui se manifeste chez les très petites entreprises en cas de VHSS. Peut-être reviendrons-nous sur cette spécificité de ce milieu professionnel.

Le troisième pilier est celui de la mise en place d'outils et de ressources en appui aux professionnels, par exemple la construction, avec l'Afdas (Assurance formation des activités du spectacle), principal opérateur de compétence du secteur, d'une offre de formation adaptée. En effet, si on demande aux entreprises de former l'ensemble de leurs salariés, et en priorité les équipes dirigeantes, elles doivent avoir rapidement accès à une offre de formation adaptée. Des partenariats sont en outre menés avec, notamment, Uniformation, un deuxième Opco (opérateur de compétences), pour que les salariés dépendant d'une formation puissent aussi avoir accès aux formations de l'Afdas.

En termes d'outils et de ressources en appui aux professionnels, la profession est aujourd'hui très mobilisée et des avenants aux conventions collectives sont régulièrement signés. Ainsi, pour la convention collective nationale des entreprises artistiques et culturelles – donc pour tout le secteur subventionné – un avenant signé en septembre 2022 prévoit des mesures allant au-delà du code du travail et, pour la convention collective nationale du secteur privé, un accord conclu en novembre 2003 pour renforcer l'information des équipes va au-delà des obligations.

Quant au quatrième pilier, il concerne le renforcement des dispositifs de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans l'enseignement supérieur – secteur dont vous venez d'auditionner des représentants. Il consiste notamment à accroître les campagnes de sensibilisation au consentement au sein des établissements de l'enseignement supérieur culture, de mener des opérations de communication au sein de ces établissements et d'accompagner les écoles dans la déclinaison à leur échelle des dispositifs ministériels.

Voilà pour les grandes lignes des quatre piliers principaux de notre action. Je pourrai, bien sûr, préciser tous les éléments qui vous sembleront nécessaires.

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Merci, madame, d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Vous nous avez décrit des politiques publiques qui visent à lutter contre ces formes de violence relevant du périmètre de notre commission d'enquête. Pouvez-vous déjà dresser un bilan de l'efficacité de ces politiques ? On peut se demander si ces formations suffisent, car des cas de violence sont toujours signalés à tous les niveaux et on n'y répond pas de la bonne manière.

Disposez-vous de chiffres relatifs aux remontées de ces violences ? Le développement de la formation se traduit-il par une augmentation du nombre de ces remontées ?

Quels sont, par ailleurs, les mécanismes de vérification de la conditionnalité des aides publiques que vous venez d'évoquer ? Quel est, notamment, votre regard sur l'application effective des cinq engagements pris au titre du formulaire que vous avez mentionné ?

Enfin, quel bilan pouvez-vous tirer de la cellule mise en place par le ministère de la culture ? Comment sont formés les membres de cette cellule et quel est en le budget ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Peut-être le premier signe de l'efficacité est-il la remontée de signalements là où, par le passé, ils ne remontaient pas. Depuis la mise en place des cellules d'écoute, on a observé une libération de la parole, dont on ne peut pas mesurer si elle est totale, mais qui est au moins réelle.

La cellule mise en place par le ministère de la culture dispose d'un budget global de 80 000 euros financé à 100 % par le ministère, dans le cadre d'un marché avec la société Concept RSE, retenue en octobre 2022. Un autre prestataire, Allodiscrim, proposait précédemment une offre intitulée Allosexism. La cellule est composée d'avocats et de psychologues, car elle a pour rôle d'orienter les personnes et de leur apporter un conseil juridique et psychologique.

La cellule Audiens, quant à elle, dispose d'un budget global de 130 000 euros, dont le ministère couvre 65 % des dépenses, soit aussi 80 000 euros environ, le reste étant financé par les secteurs professionnels bénéficiaires. Elle est composée de psychologues cliniciennes d'Audiens, auxquelles s'ajoutent les services d'un cabinet d'avocats spécialisé pour la partie juridique.

Les chiffres des remontées permettent un tout petit diagnostic de l'évolution de ces signalements. Pour la cellule du ministère de la culture, 232 signalements ont été reçus en 2023, concernant à 87 % des agents et à 5 % des étudiants. Pour faire une typologie rapide des cas constatés, 40 % concernent du harcèlement moral, 13 % des discriminations, 11 % des VHSS et 5 % du harcèlement sexuel. La cellule portée par Audiens, anonyme et gratuite, a reçu, de sa création à la fin 2020, 975 appels téléphoniques, dont 546 en 2023, ce qui témoigne d'une réelle montée en puissance, même si elle est liée à une meilleure information de la cellule ou à la libération de la parole, avec 65 % des appelants issus du spectacle vivant, 29 % du spectacle enregistré, 4 % des artistes auteurs et 2 % des arts visuels.

Les 975 appels ne concernent pas toujours des plaignants : il peut aussi s'agir d'appels de témoins ou de demandes d'informations sur la plateforme. Deux cent quarante-deux accompagnements ont été proposés. Les victimes sont à 86 % des femmes ; 52 % des signalements concernent des agressions physiques et 48 % des attitudes ou propos sexistes et sexuels.

Pour ce qui est des autres cellules d'écoute, nous n'avons pas de visibilité sur celles qui ont été créées par les collectivités territoriales ou les universités, mais les chiffres qui remontent font apparaître, là aussi, une montée en puissance.

Pour le reste, nous n'avons pas de chiffres globaux, à la fois parce que ce n'est pas la compétence du ministère de la culture et parce que nous n'avons de visibilité que sur les structures que nous accompagnons ou sur les personnes qui se manifestent spontanément auprès des cellules d'écoute.

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Quels sont les numéros de téléphone de ces cellules ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Je ne les connais pas.

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Et voilà ! Ce n'était pas un piège – je ne les connais pas non plus. C'est une constatation. Ne pourrait-on pas imaginer un numéro simple, comme ceux qui sont mis en place pour la lutte contre le harcèlement scolaire ou la protection de l'enfance ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Aujourd'hui, on ne connaît plus aucun numéro de téléphone – à peine le sien. En revanche, nous avons beaucoup travaillé sur l'affichage et la communication à propos de ces cellules, et cela fait partie des engagements que nous demandons à chacun de respecter. Nous demandons en effet à toutes les entreprises d'afficher les numéros de la cellule d'écoute et les coordonnées du référent VHSS. L'information est donc globale. Il est toutefois évident qu'une simplification pourrait faciliter les choses, mais j'ignore dans quelle mesure c'est possible. Nous avons plutôt axé notre action sur la communication. À défaut de connaître le numéro je sais où le trouver et je peux l'indiquer aux personnes qui me le demandent. Il est, du reste, accessible assez facilement sur internet.

Les conditions d'attribution des aides publiques permettent un contrôle effectif. Toutes les demandes de subvention sont aujourd'hui dématérialisées dans un outil intitulé « Démarches simplifiées » et ne sont pas recevables avant qu'ait été rempli et déposé le formulaire. L'instructeur de la demande examine ensuite si les engagements pris sont conformes aux cinq obligations requises ; ces engagements sont ensuite retranscrits dans la convention de subvention. Cette procédure ne concerne évidemment que les structures qui auront un soutien de ministère de la culture, mais les engagements sont traduits dans la convention financière.

En outre, tout versement d'une aide impose l'obligation de déposer un bilan et nous demandons, à cette fin, la fourniture de documents justificatifs, par exemple si le demandeur déclare qu'une personne a été formée ou qu'une procédure a été rédigée. Ces éléments sont déterminants, notamment en cas de renouvellement de la subvention. Nous sommes cependant encore au début de la démarche – qui a commencé, je le rappelle, en 2022 – et nous fonctionnons beaucoup avec des conventions de trois ans, de telle sorte qu'une montée en puissance devrait intervenir en 2024.

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Vous nous dites que des engagements doivent être pris pour les cinq axes et qu'il faut disposer de documents attestant le respect de ces engagements. Or l'un des cinq axes exige que chaque signalement soit traité. Si l'aide du CNC n'est pas renouvelée en cas de non-respect d'un engagement, un contrôle a posteriori est-il prévu, par exemple après un tournage ? De la même manière, comment s'exerce le suivi des actions de lutte contre les violences ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

J'ai plus particulièrement évoqué les aides relevant du champ du spectacle vivant, mais les choses ne sont pas fondamentalement différentes pour les aides du CNC. Pour ce qui est du traitement des signalements, nous ne pouvons imposer qu'une obligation de moyens : nous demandons aux candidats de présenter l'ensemble des démarches prévues pour permettre la remontée des signalements, comme la désignation des référents, les procédures et l'information mise à la disposition de chaque salarié. Pour le reste, nous n'avons aucune possibilité de connaître le résultat, puisque nous ne connaissons pas l'ensemble des infractions qui ont pu être commises ni des plaintes qui ont pu être déposées par les salariés, qui ne sont nullement tenus de nous en informer.

Nous avons, je le répète, une obligation de moyens, et non pas de résultats. Nous contrôlons ce que nous pouvons contrôler – en l'occurrence, la mise en place d'une procédure de référents et de tout ce qui permet d'accompagner les salariés –, mais nous ne sommes pas en mesure de vérifier que tout signalement a bien pu être traité, puisque nous n'en avons pas connaissance.

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Une même équipe présentant deux projets différents pourrait donc, même si l'un des cinq engagements n'a pas été tenu, obtenir encore des aides.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Nous considérons que l'engagement est respecté lorsqu'une procédure a été prévue. Au demeurant, nous n'avons aucun moyen de contrôler autre chose. Pour répondre à votre question : non, on ne peut pas obtenir de nouvelles subventions si la démarche n'est pas mise en œuvre. En revanche, notre contrôle reste limité aux moyens déployés pour y parvenir, et ne porte pas sur les résultats.

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Les productions ne sont pas toujours informées de leurs obligations au regard du droit du travail. Vous avez dit que la profession était très mobilisée et allait parfois plus loin que ne le prévoyaient certaines obligations du code du travail. Nous serions donc intéressés par ces avenants aux collections collectives.

Par ailleurs, pensez-vous que les prérequis de compétences des référents harcèlement devraient être mieux encadrés ? Ne pourrait-on pas même imaginer une sorte de certification de ces référents, qui ne pourraient plus être un membre du groupe du tournage qui serait volontaire pour assumer bénévolement ce rôle ? Cela poserait évidemment la question des moyens financiers, car une grande production française aurait assurément les moyens de financer ce référent, mais ce ne serait sans doute pas le cas d'un petit producteur pour un petit film ou un petit spectacle.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

À ce stade, peut-être est-il utile d'évoquer les facteurs de risque spécifiques à ces métiers, qui rendent plus difficiles les actions de prévention. Quand je dis que le secteur professionnel est mobilisé, je pense globalement aux partenaires sociaux et à toutes les institutions qui structurent ce secteur, caractérisé – qu'il s'agisse du cinéma ou du spectacle vivant – par une myriade de toutes petites structures, parfois même sans salariés permanents, ce qui est souvent le cas des compagnies de spectacle vivant, et par un statut de l'emploi marqué par des durées de travail très courtes et une très grande précarité des salariés – c'est le cas des intermittents du spectacle. La prévention est beaucoup plus facile à mettre en place dans de grandes structures.

Il ne s'agit évidemment pas de dresser un panorama tout rose mais, au contraire, de bien désigner les difficultés afin de pouvoir y faire face. Dans ce secteur, la difficulté à parler peut être très grande, en fonction de la notoriété de l'auteur des violences et de la crainte que peuvent avoir les victimes de perdre leur emploi ou d'être blacklistées. Ces métiers présentent une très grande porosité entre le travail et les moments de sociabilité en marge de ce travail – on pense notamment aux dîners et aux pots de première, et aussi, bien sûr, à tout ce qui est lié à l'itinérance, au fait d'être éloigné de sa famille et de dormir à l'hôtel.

C'est en outre un métier où les acteurs sont amenés à être nus, à se toucher et à simuler des rapports sexuels, ce qui n'est pas commun dans le monde du travail. Nous nous efforçons de répondre au mieux à ces difficultés.

Nous avons demandé la présence de référents harcèlement dans toutes les petites structures salariées. Pour celles notamment qui sont trop petites pour avoir leur propre référent, les avenants aux conventions collectives prévoient la possibilité de s'adresser au syndicat signataire. Cependant, le référent harcèlement, lorsqu'il existe, est l'un des salariés qui assure cette fonction en plus de ses autres fonctions, qu'il soit salarié permanent en CDI – ce qui est le plus souvent le cas – ou un administrateur de compagnie intermittent du spectacle.

Je pense que votre question se réfère plutôt à un autre type de référent : le responsable enfant, dont la présence est prévue pour le cinéma, mais pas, à ma connaissance, dans le secteur spectacle vivant – du moins ce rôle n'y est-il pas du tout structuré. Le responsable enfant, présent sur le tournage dès qu'un enfant y intervient, est financé par la production. Cette fonction a donc un coût, mais le montant de cette dépense n'est pas impossible à financer sur le budget d'une production de cinéma.

Il existe une fiche de poste de responsable enfant, ou du moins son existence est-elle prévue par la convention collective. L'une des avancées récentes dans le secteur du cinéma, actée par un avenant signé le 17 mai dernier à Cannes, consiste à rendre cette fonction obligatoire pour les adhérents à la convention collective. La ministre a annoncé la conditionnalité des aides du CNC pour tout tournage sur lequel un mineur est présent, à compter du 1er juillet. Voilà pour le cinéma.

Il n'y a pas de formation type : seuls un diplôme et une expérience significative dans l'accompagnement des enfants sont requis. Des professionnels de l'enfance peuvent donc se porter candidats.

Le spectacle vivant ne dispose cependant pas de responsables enfants. Je ne dis pas que cela n'est pas nécessaire mais je constate que les problèmes concernant les enfants sont moins fréquents dans ce secteur car ces derniers sont beaucoup moins nombreux.

En effet, si des enfants peuvent participer à un tournage de quelques semaines pendant les vacances, il est plus difficile qu'ils assistent à toutes les répétitions d'une production théâtrale, a fortiori qu'ils participent à une tournée. Les pièces que créent les auteurs ne comprennent en général pas d'enfants ; dans le cas contraire, ils sont souvent joués par des adultes. Les metteurs en scène recourent aussi à des subtilités – vidéos, ombres chinoises, marionnettes – pour éviter que des enfants ne soient présents sur le plateau. Lorsqu'ils doivent l'être, il s'agit souvent d'une pratique collective, afin que des enfants différents soient mobilisés dans chaque lieu de diffusion du spectacle.

Peu de difficultés remontent donc. La présence de responsables enfants n'étant pas répandue dans le spectacle vivant, elle n'est pas prévue par la convention collective.

La dernière catégorie de référents est celle des coordinateurs d'intimité – ils ne sont que cinq en France. La commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l'audiovisuel a lancé un marché pour trouver un organisme capable d'élaborer des formations, afin de les proposer dès le début de l'année 2025. Une démarche de certification est entamée pour faire face à une demande qui augmentera certainement.

Dans le spectacle vivant, la pratique des coordinateurs d'intimité n'est pas généralisée, ce qui ne signifie pas qu'elle ne soit pas utile ou nécessaire. Aujourd'hui, en tout cas, elle n'est pas ressentie comme un besoin essentiel peut-être parce que beaucoup est simulé, non montré.

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Le 17 mai, la ministre de la Culture a annoncé qu'un responsable enfants devrait obligatoirement être présent sur chaque tournage dès cet été : il reste peu de temps pour appliquer le dispositif, qui paraît être une bonne mesure, mais qui suscite des interrogations. Combien coûte un responsable enfants sur un tournage ?

S'agissant de la formation, sans remettre en question le brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur (Bafa), une expérience professionnelle avec les enfants ne suffit probablement pas pour devenir responsable enfants. D'autres compétences sont nécessaires, notamment de connaître les rouages d'un tournage.

Le responsable enfants sera-t-il présent en amont, pendant le casting ; après le tournage, pour accompagner l'enfant dans son retour à la vie de tous les jours ; ainsi que pendant les périodes, plus ou moins longues, de promotion du film ?

Comment évaluer et contrôler ce qu'a vécu l'enfant et si les missions confiées au responsable ont été respectées ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Même si nous échangeons avec nos collègues, la DGCA ne couvre pas le champ du cinéma, c'est pourquoi je vous invite à approfondir ces questions avec la secrétaire générale du CNC, Leslie Thomas. Je n'ai étudié la fonction de responsable enfants que pour cerner dans quelle mesure il était intéressant de la transposer au spectacle vivant – en particulier, j'ignore quel est son coût, quand celui d'un coordinateur d'intimité est de 800 euros par jour.

Le métier de responsable enfants étant nouveau, les personnes qui l'exerceront ne seront d'abord ni formées ni expérimentées ; la profession se construira progressivement. Le Bafa ne suffira certainement pas : le futur responsable enfants devra justifier d'une expérience en direction des enfants tout en connaissant parfaitement les rouages d'un tournage. Des personnes issues des métiers de la production cinématographique, qui suivront des formations complémentaires, seront plus indiquées qu'un instituteur ou que le titulaire d'un Bafa. Il est probable que des modules de formation seront créés, comme cela a été le cas pour les coordinateurs d'intimité.

Les responsables enfants interviennent lors des tournages, dès qu'un contrat est signé avec la production, et dans les périodes de promotion ; ils ne couvrent pas les castings où l'enfant est placé sous la responsabilité de ses parents. Les directeurs de casting sont toutefois en train de se doter d'une charte éthique et des bonnes pratiques, ce qui montre qu'ils ont été sensibilisés à ces questions.

Puisque les subventions du CNC concernent 95 % des films, la conditionnalité des aides s'applique à la quasi-totalité des films produits en France. Le contrôle s'exerce d'abord a priori : le producteur doit effectuer une déclaration préalable lors de la demande d'aide. Dans cette étape dite d'agrément des investissements, celui-ci mentionne entre autres son nom et le budget de la production.

Le CNC réalise aussi un contrôle a posteriori, lorsque les aides sont versées. Sans cet agrément de la production, où les fiches de paie sont exigées, le film ne peut pas sortir. Même si les responsables enfants sont payés par la production, ils sont libres de faire remonter des signalements auprès des syndicats, des responsables sécurité santé au travail, des cellules d'écoute et de l'ensemble des professionnels, ainsi que de l'inspection du travail dont les contrôles sont fréquents sur les lieux de tournage ou de spectacle vivant qui incluent des enfants. Jusqu'à présent, il n'a été remonté aucun cas d'autocensure, où le responsable enfants n'aurait pas transmis une information qu'il aurait constatée. Le contrôle qui s'exerce à l'heure actuelle est donc relativement fort, ce qui n'était pas le cas il y a trente ans.

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Le droit encadre-t-il suffisamment le « travail » des enfants, qui n'en est pas un ?

Pour le dire de manière un peu caricaturale, si le référent enfants est le beau-frère du producteur, sa présence ne suffira pas. Réfléchissez-vous à un agrément et à un cadre légal pour ces référents ?

Sur un plateau, les chefs électriciens doivent justifier de certains diplômes afin d'assurer la sécurité des membres de l'équipe et la manutention. De la même manière, pour garantir que les enfants soient en sécurité, les organismes de formation de l'État proposeront-ils des formations ou des certifications ? La question est nouvelle, bien que les enfants soient présents sur les tournages depuis un certain temps.

Combien de tournages ont lieu avec des enfants chaque année en France ? Selon leur nombre, le métier de responsable enfants ne sera pas le même et l'on pourra isoler ou protéger la profession.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Mes collègues du CNC sauront répondre à cette question, et partager avec vous leur réflexion sur l'agrément et la formation.

Vous l'avez dit, le travail des mineurs bénéficie d'un cadre dérogatoire. La commission des enfants du spectacle, qui existe depuis longtemps, bien avant l'instauration des responsables enfants, joue un rôle précis : aucun spectacle ne peut avoir lieu sans son autorisation. Le non-respect de la saisine de la commission ou de ses prérogatives entraine des poursuites au pénal. La commission exerce un contrôle strict des répercussions de la production sur la santé et la moralité de l'enfant. Parfois, les équipes artistiques ne comprennent pas les raisons de son refus. Elle définit précisément les conditions d'emploi des enfants notamment le nombre d'heures d'étude par jour, afin de leur permettre de poursuivre leur scolarité.

Quant aux contrôles de l'inspection du travail, ils sont stricts et fréquents : mes collègues vous préciseront le nombre d'infractions constatées.

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De ce volume pourront dépendre nos préconisations : si les spectacles et les films qui font appel à des enfants sont peu nombreux, les référents enfants pourraient être des membres de la commission, financés par un fonds dédié, qu'alimenteraient le CNC ou les producteurs.

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Les castings pour le spectacle vivant, le cinéma, la publicité ou la mode sont toujours un moment délicat, comme l'a montré une directrice de casting du Collectif 50/50, que nous avons auditionnée cet après-midi. Votre direction générale envisage-t-elle que des personnes soient formées pour accompagner les enfants dans ces moments ?

Après les articles parus dans la presse ou les propos de Judith Godrèche, notamment devant les parlementaires, quelles réflexions vous inspire la situation des mineurs ?

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Si nous sommes sensibles à la question des mineurs, nous nous préoccupons aussi des castings des adultes.

Nous avons l'impression que, pendant très longtemps, ces castings ont permis au réalisateur ou au directeur du casting d'être dans une situation de toute puissance face à une personne qui était parfois contrainte de dire ou de faire des choses alors qu'elle ne le souhaitait pas.

Le droit du travail prévoit qu'un certain nombre de règles s'appliquent lors d'un entretien d'embauche. Qu'en est-il pour les castings, qu'il s'agisse du cinéma mais aussi du théâtre ? Je suppose que les conventions collectives prévoient déjà des mesures à cet égard. Au moment du casting, il n'y a pas encore de lien de subordination, puisque le candidat n'a pas été embauché. Mais on pourrait tout de même mettre en place des règles – lesquelles protègeraient d'ailleurs les deux protagonistes.

Pensez-vous qu'il faille faire évoluer notre droit sur ce point ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Aucune réflexion n'est en cours sur ce sujet au sein de la DGCA. Mais je rappelle qu'il y a très peu de castings dans le spectacle vivant. La sélection en amont du recrutement effectif s'opère pour l'essentiel par cooptation. Un metteur en scène ou un chorégraphe a en général l'habitude de travailler avec un noyau d'interprètes qu'il connaît et il le complétera en recrutant des comédiens ou des danseurs qu'il a vus dans un autre spectacle.

Au passage, la rareté des castings est dénoncée par la CGT, qui reproche aux metteurs en scène ou aux chorégraphes de toujours travailler avec les mêmes interprètes, ce qui limite la diversité sur scène.

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La cooptation, ce n'est pas nécessairement mieux…

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Je constate simplement que cela marche comme ça.

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J'ai bien compris que ce n'était pas un jugement de valeur.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Un metteur en scène a une idée du rôle et il a vu jouer untel dans un autre spectacle, ou bien il l'a rencontré lorsqu'il est intervenu dans une école d'enseignement supérieure, par le biais de stages ou d'ateliers. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles ces écoles sollicitent des professionnels qui exercent : cela contribue à l'insertion professionnelle des étudiants. Pour l'essentiel, cela se passe ainsi et les castings sont assez peu nombreux.

Et, une fois encore, aucune réflexion n'est à ce stade menée sur cette question au sein de la DGCA. Nous avons eu beaucoup de signalements à la suite du mouvement #MeToo Théâtre, mais aucun n'était lié aux castings.

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La DGCA est responsable des écoles et des lieux de formation des futurs comédiens, auteurs, danseurs et réalisateurs – on sait que ces derniers ont souvent eu un parcours de comédien, ou ont souhaité l'être à un moment donné.

Nous avons entendu précédemment les représentants d'écoles qui forment aux métiers des arts vivants. Elles font un travail remarquable mais n'ont pas intégré dans leur tronc commun un enseignement portant sur la question des violences sexistes et sexuelles. Quand on sait combien le rapport au corps est important dans ces métiers, de même que le rapport entre le réalisateur ou la réalisatrice et les comédiens ou les comédiennes, former sur ces questions pourrait être un apport intéressant.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

En effet.

Nous connaissons des cas de violences sexistes et sexuelles dans ces établissements. Elles peuvent intervenir entre professionnels sans concerner les étudiants, mais aussi entre étudiants ou entre professeurs et étudiants. Quand des signalements sont réalisés, ils nous sont transmis et nous disposons de données chiffrées.

La formation est évidemment fondamentale. Elle permettrait aux nouvelles générations d'étudiants d'avoir des idées un peu plus précises. Il y a certes eu une libération de la parole, mais elle est allée assez loin. Dans certains cas, les faits à l'origine d'un signalement relèvent seulement de relations interpersonnelles entre étudiants, sans que cela constitue une violence ou un harcèlement sexiste et sexuel.

Dans le cadre du plan de lutte du ministère, des formations sur ces violences sont effectuées par les opérateurs nationaux de l'enseignement supérieur culturel, à la suite d'incitations et sur la base du volontariat. Ces formations ne sont pas intégrées de manière obligatoire dans le schéma pédagogique global.

On pourrait sans doute avancer de manière beaucoup plus concrète en exigeant que cela soit le cas et en définissant de manière précise le nombre d'heures prévues dans la maquette pédagogique de nos établissements.

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Pourriez-vous nous transmettre les données chiffrées dont dispose la DGCA s'agissant de ces signalements ?

Arrivez-vous à obtenir les informations qui permettent de suivre les enseignants qui font l'objet d'un signalement puis changent d'établissement ?

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Nous avions réalisé un bilan pour le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche artistiques et culturels (Cneserac) en février dernier et je vous le transmettrai de manière formelle.

En 2023, trente-huit signalements nous ont été communiqués.

Les faits concernaient pour 37 % des professionnels entre eux, sans que des étudiants soient impliqués – c'est un peu contre-intuitif, mais il y a quand même beaucoup d'affaires de ce type.

Les faits entre étudiants représentaient 16 % des cas tandis que 42 % de ces derniers concernaient des faits entre enseignants et étudiants.

Sur les vingt-quatre cas qui ont impliqué des étudiants, onze étaient en cours de traitement en février – j'espère que cela a évolué –, quatre ont donné lieu à sanction et neuf ont été clôturés sans sanction mais avec rappel à l'ordre.

Même si c'est toujours trop, vingt-quatre signalements sur un total de 36 700 étudiants, ce n'est pas énorme. Il s'agit dans 42 % des cas d'agissements sexistes et dans 58 % de violences sexuelles.

Je sais que vous avez entendu des membres du collectif #MeToo Théâtre et qu'ils souhaiteraient que le ministère de la culture soit chargé de prévenir les autres structures dans lesquelles un individu signalé pourrait être amené à intervenir. Mais nous n'en avons pas le droit, y compris lorsqu'il y a dépôt de plainte ou condamnation.

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Quel est l'obstacle juridique ? Le Parlement peut modifier la loi, mais nous devons savoir quelle est la disposition qui empêche le ministère d'agir. Je comprendrais que vous n'ayez pas immédiatement la réponse. Ce n'est pas un piège.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Je ne prends aucune question comme un piège.

Nous sommes tenus de respecter la présomption d'innocence pendant toute une première phase…

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Nous ne le savons souvent pas. Au demeurant, il y a très peu de condamnations.

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Elles sont mentionnées dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais).

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

L'administration centrale du ministère de la culture n'y a pas accès, ce qui est un vrai sujet. Elle a demandé à pouvoir le consulter et cette demande est en cours d'étude. Actuellement, les directions régionales des affaires culturelles (Drac) ont accès à ce fichier par le biais des préfets.

Cela étant dit, dans la majorité des cas, les signalements concernent des personnes qui n'ont pas été condamnées.

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La présomption d'innocence doit alors bien sûr être respectée.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Nous avons beaucoup recours à des enseignants pour des prestations très ponctuelles, telles que des master class ou des ateliers.

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Ces intervenants sont des professionnels qui n'ont pas toujours une formation complète d'enseignant, ce qui rend les choses plus complexes.

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Sophie Zeller, adjointe au directeur général, direction générale de la création artistique du ministère de la culture

Exactement : ce sont des collaborateurs occasionnels.

Il est plus difficile d'organiser des formations obligatoires pour eux. Ils ne sont pas toujours très au point. Ils peuvent parfois oublier le cadre pédagogique et qu'ils ne sont pas là pour aller boire un verre ensuite avec les étudiants…

Nous ne pouvons pas partager avec d'autres les signalements que nous avons reçus. En revanche, nous demandons le plus possible aux établissements qui recrutent ces intervenants de se renseigner auprès des autres structures qui les ont employés. Ce contrôle d'honorabilité relève de l'employeur, mais notre administration n'a pas le droit d'y procéder.

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Nous vous remercions d'avoir participé à nos travaux et vous demandons de nous transmettre les données chiffrées dont vous disposez sur Audiens et sur la cellule d'écoute et d'alerte du ministère, ainsi que celles portant sur les établissements d'enseignement. Il est particulièrement important que notre commission puisse objectiver les choses.

La séance s'achève à dix-huit heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, M. Jean-François Coulomme, Mme Virginie Lanlo, Mme Sarah Legrain, Mme Francesca Pasquini, Mme Josy Poueyto, M. Emeric Salmon

Excusé. – M. François Cormier-Bouligeon