Ce site présente les travaux des députés de la précédente législature.
NosDéputés.fr reviendra d'ici quelques mois avec une nouvelle version pour les députés élus en 2024.

Intervention de Émilie Delorme

Réunion du lundi 27 mai 2024 à 14h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Émilie Delorme, directrice du Conservatoire national supérieur de musique et de danse (CNSMD) de Paris :

Le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, qui opère sous le statut d'établissement public administratif, est un des deux seuls établissements français à délivrer des diplômes de second cycle en musique et en danse, avec le CNSMD de Lyon, qui compte environ moitié moins d'élèves. Fondé en 1795, il est un des plus anciens et des plus prestigieux conservatoires au monde, dispensant des enseignements de haut niveau dans diverses disciplines musicales et chorégraphiques et formant aux diplômes de professeur et de directeur de conservatoire. Les professeurs, qui sont très souvent des artistes de renommée internationale, ne bénéficient pas du statut d'enseignant – le corps ayant été mis en extinction – et exercent en tant que contractuels. Le conservatoire compte environ 400 enseignants, 200 agents et 1 400 étudiants, dont 1 200 en musique et 200 en danse. Parmi eux se trouvent quatre-vingt-quatorze mineurs, dont quarante-deux accueillis en internat, qui suivent presque tous en parallèle un autre cursus au sein de l'éducation nationale. Environ un quart de nos étudiants sont étrangers ; la moitié d'entre eux viennent d'Asie.

J'ai été nommée directrice de l'établissement en début d'année 2020. Parce que j'avais auparavant produit un travail remarqué sur la question de l'égalité et de la diversité dans le milieu musical lorsque j'étais à la tête de l'Académie européenne de musique du festival d'Aix-en-Provence, ma nomination semble avoir été perçue comme un signe d'ouverture, si bien que, dès mon entrée en fonction, d'anciennes étudiantes ont tenu à me faire part de leur expérience. Je les ai reçues sans avoir idée des drames qu'elles avaient vécus, de l'ampleur de leurs traumatismes et surtout de l'impérieuse nécessité que constituait pour elles le fait d'être entendues.

Quelques mois après mon arrivée, l'établissement a reçu les résultats d'une enquête de perception des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans l'enseignement supérieur artistique et culturel commandée par le ministère de la Culture. Les résultats étaient effarants : sur un peu plus de 300 participants, vingt-cinq femmes déclaraient avoir été victimes d'agressions sexuelles dans le cadre de leur activité au conservatoire et dix personnes témoignaient d'un viol subi dans ce même cadre – des chiffres supérieurs aux statistiques nationales.

Nous avons donc fait de cette question une priorité. Dès la rentrée 2020, une formation obligatoire a été dispensée aux étudiants, aux agents et aux enseignants, assortie d'actions de sensibilisation et de communication et d'une procédure de signalement adossée à une cellule de traitement des cas. Dès l'installation de ce dispositif, des signalements nous sont parvenus. Ils ont conduit à une procédure très médiatisée, qui s'est conclue par un licenciement et une condamnation pénale. Cette médiatisation a eu deux conséquences.

D'une part, j'ai fait l'objet de pressions, émanant à la fois de professeurs ou de musiciens extérieurs m'exhortant à interrompre la procédure par crainte que je perde mon poste, et de journalistes, dont certains m'ont menacée. Une fois le processus mené à son terme, j'ai été félicitée pour mon courage, ce qui m'interpelle fortement : signaler une agression sexuelle ou protéger de jeunes adultes contre des prédateurs ne devrait pas être considéré comme un acte de bravoure.

D'autre part, bon nombre de musiciennes ou de musiciens m'ont fait part de cas ne présentant aucun lien avec le conservatoire. Aucun équivalent du mouvement #MeTooThéâtre n'existant dans le domaine de la musique classique, beaucoup de personnes ne savent pas à qui s'adresser si elles n'envisagent pas de se rendre directement au commissariat. Même si, neuf fois sur dix, je conseille aux victimes de porter plainte, je constate que peu franchissent le pas, d'abord parce qu'elles sous-estiment très fortement la gravité des faits, ensuite parce qu'elles sont souvent convaincues qu'ils sont prescrits, enfin parce qu'elles doutent que le fait de porter plainte puisse mener à une condamnation.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.