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Intervention de Clémentine Charlemaine

Réunion du lundi 27 mai 2024 à 14h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Clémentine Charlemaine, membre du conseil d'administration du Collectif 50/50 :

Le cinéma, bien que spécifique, n'est pas le seul domaine concerné par les questions traitées dans cette commission d'enquête. En effet, ce qui est acceptable ou non au nom de l'art est une problématique très particulière. Cependant, les violences sexistes et sexuelles ne sont pas exclusives à un secteur. Il en va de même des violences morales. Vous comprenez certainement de quoi il s'agit. Le cinéma ne se situe pas en dehors de la société.

La production de films, en particulier dans l'industrie que nous connaissons, passe par différentes étapes. Certaines de ces étapes entrainent un certain isolement, comme l'écriture de scénarios ou, parfois, la post-production, où les personnes impliquées travaillent en petit nombre et souvent seules. D'autres moments, comme les tournages, sont des périodes de travail en groupe. Lorsque l'on tourne dans une région différente de celle où l'on réside habituellement, cela peut ressembler à une grande colonie de travail, où chacun œuvre dans une bulle, au service d'un projet commun.

Le système de production cinématographique est très hiérarchisé et pyramidal, avec des amplitudes horaires importantes, parfois des horaires décalés. En discutant avec des psychologues du travail, nous avons constaté que tous les facteurs de risque sont réunis dans le milieu du cinéma. Ces facteurs incluent des horaires décalés, une certaine précarité due au statut d'intermittent, où chaque tournage peut influencer la carrière future de chaque membre de l'équipe. Cet isolement des proches et la réalité quotidienne du travail sont également des éléments à prendre en compte.

La majorité des travailleurs et travailleuses du secteur cinématographique sont initialement engagés par passion. Cet engagement impliquerait souvent une implication totale. Si vous assistez, un jour, au premier jour d'un tournage, vous constaterez que c'est fascinant, voire émouvant, de voir toute une équipe se mettre en place, chacun connaissant bien son poste. Le cinéma fonctionne avec une hiérarchie stricte et des codes spécifiques, et lorsque chacun connaît son travail, tout le monde sait exactement où se placer et, surtout, se met collectivement au service d'une œuvre. Dans le cinéma d'auteur, l'objectif est de donner vie à la vision du réalisateur ou de la réalisatrice, et toute l'équipe se concentre sur cet objectif.

Donc, au nom de l'art, on tend à excuser des désagréments, des comportements abusifs, voire violents, comme si c'était le prix à payer. J'ai très souvent entendu des réalisateurs discuter de tournages compliqués et conclure par : « Oui, mais, de toute façon, à la fin, il n'y a que les films qui restent ». Ces dernières années, je n'ai plus entendu ce propos, peut-être en raison de mon engagement personnel. Cependant, il est indéniable que cette réponse a longtemps été une manière de justifier des périodes de travail violentes, en les minimisant comme de simples mois de tournage. Or, ces quelques mois peuvent suffire à briser des vies. Et il est sidérant de penser que, sous prétexte que le film reste, les souffrances endurées seraient négligeables.

Les films qui demeurent sont souvent perçus à une grande échelle, vue de l'extérieur. Cependant, lorsqu'on se trouve à l'intérieur, on peut se retrouver victime ou complice de comportements abusifs, simplement parce que l'on ne sait pas comment réagir ou que l'on en est spectateur. Il est difficile de savoir comment agir face à ces comportements. Il semble insensé de nos jours de laisser ces situations perdurer en se disant simplement que les films resteront. Il existe une véritable confusion entre la liberté de création et la liberté d'agir sans limites, au détriment de celles et ceux qui travaillent au service de l'œuvre. Il ne faut pas oublier que la passion reste un moteur essentiel, c'est ce qui pousse chacun à continuer. Néanmoins, il est impératif de respecter les limites de chaque individu.

Par ailleurs, certaines spécificités du milieu cinématographique incluent des figures emblématiques d'acteurs, d'actrices, de réalisateurs et de réalisatrices, qui sont souvent considérées comme intouchables. Légalement, les chefs de tournage sont les producteurs ou les productrices. Cependant, dans la pratique, la plupart des personnes engagées sur un tournage estiment travailler au service du réalisateur ou de la réalisatrice. En réalité, ce climat, avec une personne qui est une icône, contribue à renforcer un système de protection des auteurs de violences, au détriment de la protection des victimes. Parce que ces individus, bien que responsables de violences, sont également adulés par ailleurs.

Il est essentiel de comprendre que les amis des uns peuvent être les abuseurs et les abuseuses des autres. Une personne n'est jamais abusive à 100 % du temps, cela n'existe pas. La plupart des individus abusifs sont également très sympathiques avec d'autres. Dans le domaine du cinéma, on entend souvent « je le connais » ou « je la connais », et cette personne est très agréable avec vous. Cela peut être dû à votre position, qui ne vous expose pas à une vulnérabilité susceptible de conduire à des abus.

Un autre point concerne la relativité des comportements abusifs. Dans le cinéma, les rapports de domination attirent de nombreuses personnes occupant des positions de pouvoir parfois abusives. Et la plupart des professionnels doivent leur carrière à des personnes qui, même si elles n'ont pas été abusives envers eux, l'ont été envers d'autres. Cela rend donc difficile de se positionner publiquement contre une personne qui nous a aidés, même si l'on sait qu'elle a détruit une autre personne. Je parle ici des violences dans leur ensemble, car cela s'applique à toutes les formes de violences.

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