La commission a auditionné Mme Agnès Buzyn, conseillère maître à la Cour des comptes, ancienne ministre des solidarités et de la santé.
Je salue en votre nom à tous Mme Agnès Buzyn, professeure des universités, conseillère-maître à la Cour des comptes et ministre des solidarités et de la santé entre 2017 et 2020. Je rappelle que vous avez notamment été à l'origine, en 2017, d'un plan d'action contre les déserts médicaux, déployé selon plusieurs axes ayant trait au renforcement de l'offre de soins dans les territoires, à une meilleure organisation des professions de santé et au renforcement de la télémédecine.
Avant de vous laisser la parole pour un propos liminaire, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Agnès Buzyn prête serment.)
Je crois important de vous préciser d'où je parle : vous m'invitez en tant qu'ancienne ministre de la santé mais, auparavant, j'ai exercé trente ans à l'hôpital public, que j'ai quitté en 2017 en devenant ministre. J'ai occupé plusieurs postes dans le champ de la santé : j'ai présidé l'Institut national du cancer (Inca), où j'ai rédigé le troisième plan Cancer, ainsi que la Haute Autorité de santé ; plus récemment, auprès du directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), j'ai été chargée du multilatéralisme. J'ai donc une vision plus historique et internationale que la plupart des acteurs.
Il faut commencer en combattant certaines idées reçues.
Premièrement : ce que nous vivons actuellement n'est pas une « crise » du système de santé, contrairement à ce que l'on entend partout, mais une transformation en profondeur de celui-ci. Cette transformation a lieu dans tous les pays du monde. Elle est liée au changement démographique et aux défis sociaux et épidémiologiques auxquels doivent faire face tous les acteurs de la santé. C'est particulièrement vrai et sensible dans les pays occidentaux, où les systèmes de santé de l'après-guerre, très hospitalo-centrés, doivent se transformer en profondeur pour aller vers plus de soins de proximité.
Deuxièmement : l'état de santé d'une population est avant tout lié à son mode de vie et à ce que l'on appelle les « déterminants de santé ». Le système de soins, notamment l'hôpital, n'arrive qu'en bout de chaîne et n'a qu'un effet marginal sur l'état de santé moyen d'une population. C'est ce qu'ont montré la Banque mondiale et l'OMS et c'est aussi la raison pour laquelle, en matière d'investissement sur le long terme, il convient de renforcer avant tout nos politiques de prévention et de promotion de la santé.
Troisième évidence : le système de santé a une extrême inertie et son pilotage nécessite une grande capacité d'anticipation, de l'ordre de vingt à trente ans. C'est lié à la longueur des études de médecine et à la durée de vie de nos structures hospitalières, comprises entre soixante-dix et cent cinquante ans. Lorsqu'on veut réformer l'offre de soins, on est face à des structures immobiles qu'il est très difficile de transformer et à des étudiants qui sont promis à devenir des professionnels dix à douze ans plus tard. Le système de santé est semblable à un gros paquebot : voilà pourquoi il est si difficile de le piloter.
Quatrièmement : il faut trouver un équilibre entre la qualité des soins – qui est liée à la pratique des professionnels, à la qualité et à la taille critique des plateaux techniques – et l'accès aux soins sur les territoires. En d'autres termes, qualité et accès ne vont pas toujours de pair et trouver le point d'équilibre pour assurer partout des soins de qualité est ce à quoi œuvrent les ministres de la santé. On peut, pour cela, s'inspirer des pays qui ont les mêmes problèmes géographiques que nous : je pense notamment aux pays nordiques, qui ont des territoires très étendus, mais aussi à l'Australie et au Canada, où la répartition de la population est très hétérogène. Nous travaillons donc régulièrement avec ces pays, pour nous inspirer de ce qui marche chez eux.
Cinquièmement : l'hôpital et la médecine de ville sont intimement liés. Aucune réforme ne peut toucher à un secteur sans impacter l'autre, pour des raisons liées au financement et à l'organisation des parcours.
Enfin, la situation varie beaucoup d'un territoire à l'autre, en matière de besoins et d'offre de soins – et c'est vrai aussi des structures hospitalières, dont les difficultés sont très variables. C'est la raison pour laquelle il n'y a pas de solution unique, mais des solutions adaptées et différenciées par territoire. C'est aussi la raison pour laquelle les agences régionales de santé (ARS) ont été créées, afin d'éviter un pilotage trop centralisé et déconnecté des réalités de terrain.
Je voudrais rappeler ce que nous accordons budgétairement au système de soins en France. Lorsque j'étais ministre, le budget de la santé était de l'ordre de 200 milliards d'euros (Md€) et il est actuellement supérieur à 250 Md€, soit 11,9 % du PIB. En 2022, nous étions le troisième pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les dépenses de santé, après les États-Unis et l'Allemagne ; selon les indicateurs, il arrive que nous soyons classés à la quatrième ou à la cinquième place. En moyenne, les pays occidentaux consacrent 11 % de leur PIB à la santé et ceux de l'OCDE, autour de 8 % : nous sommes au-dessus de la moyenne dans les deux cas. La question n'est donc pas forcément celle du budget global, mais plutôt celle de l'efficience de notre système.
Dans tous les pays du monde, les dépenses de santé augmentent plus vite que le PIB, de 4 % en moyenne. Cela est dû au vieillissement de la population : comme nous avons gagné vingt ans de durée de vie en deux générations, de plus en plus de gens ont des maladies chroniques et coûtent beaucoup plus cher au système de santé. Dans la mesure où peu de pays ont une croissance de l'ordre de 4 %, une tension se crée entre le budget que l'on attribue à la santé et les besoins liés au vieillissement de la population : faut-il mettre toujours plus d'argent dans la santé, plus que ce que nous permet notre croissance, au risque de voir la part des dépenses de santé atteindre 12 %, 13 %, 17 %, voire 20 % du PIB, comme c'est le cas aux États-Unis, au détriment d'autres secteurs ? Si l'on veut que la part des dépenses de santé reste de l'ordre de 12 % du PIB, il faut réussir à dégager des gains d'efficience.
Les dépenses de santé sont votées chaque année, dans une enveloppe fermée qui couvre les soins de ville et l'hôpital. L'enveloppe de ville est difficilement maîtrisable et n'est pas à la main des pouvoirs publics : elle comprend notamment les arrêts de travail, les transports, les prescriptions médicales et les actes médicaux infirmiers. Lorsque les dépenses de ville augmentent trop, l'ajustement porte principalement sur les tarifs hospitaliers. C'est ce qui s'est passé au cours des vingt dernières années : du fait de l'augmentation des dépenses de ville, on a régulé les tarifs hospitaliers, ce qui a creusé la dette des hôpitaux et réduit leurs investissements.
Pendant de très nombreuses années, la hausse de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été contenue, ne dépassant pas 2 % par an. Certes, cela a contribué à réduire la dette de la sécurité sociale (puisqu'on a fait des économies), mais cette dette a été transférée aux hôpitaux – qui sont des établissements autonomes – parce que leurs tarifs ont été baissés. C'est pour sortir de ce cercle vicieux et pour redonner une marge de manœuvre aux hôpitaux que j'ai souhaité opérer une réforme holistique du système de santé, appelée « Ma santé 2022 » ; elle a débouché sur la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, votée à une large majorité en 2019. La mise en œuvre de la réforme a malheureusement été interrompue par l'arrivée de la covid-19 en 2020, mais aucun de ses grands principes n'a été remis en cause depuis.
Au-delà de la question financière, on ne peut pas comprendre les difficultés que nous traversons si l'on n'a pas conscience que le principal problème auquel est confronté notre système de santé est celui des ressources humaines. Les causes sont cumulatives. Il y a d'abord le numerus clausus, introduit dans les années soixante-dix à la demande des médecins, qui étaient en grand nombre et voyaient leurs revenus diminuer. Sa création arrangeait aussi l'assurance maladie qui, de ce fait, a vu le nombre d'actes diminuer. Mais cela a conduit à former moins de quatre mille médecins par an dans les années quatre-vingt-dix. On a augmenté très progressivement le numerus clausus dans les années 2000, mais cela n'a pas suffi à éviter « l'effet falaise » que nous vivons aujourd'hui : tous les médecins qui ont été formés dans les années soixante-dix sont partis à la retraite depuis 2015 et, comme on n'a pas formé assez de médecins dans les années 1990 et 2000 pour compenser ces départs, il y a de plus en plus de déserts médicaux.
Par ailleurs, il existe une pénurie mondiale de soignants. L'OMS estime qu'il en manque quinze millions et que ce nombre atteindra dix-huit millions à l'horizon 2030. À titre d'exemple, il manque quarante mille infirmières en Californie et les Américains estiment qu'il va falloir en former plus de 1 million dans les cinq années à venir pour que les États-Unis réduisent leur propre déficit et arrêtent « d'aspirer » les infirmières d'autres pays. Cela s'explique par l'augmentation de la consommation de soins partout dans le monde, liée au vieillissement et au doublement de la population, par le fait que de plus en plus de gens ont des maladies chroniques et que trois milliards de personnes sont sorties de l'extrême pauvreté et consomment des soins. Aucun pays n'a anticipé ce changement démographique et épidémiologique et pris la décision, dans les années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix, de tripler le nombre de soignants à former.
En parallèle, le temps médical disponible se réduit, en raison de la modification du rapport au travail des jeunes générations, qui cherchent à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale. Même si les soignants travaillent plus que la moyenne des Français, ils travaillent moins que ceux des années quatre-vingt. Il faudrait arrêter de se focaliser sur le nombre de médecins pour se concentrer sur le temps médical disponible, qui va rester en tension même si le nombre de médecins augmente. Cette difficulté s'est accentuée avec la covid-19, qui a fait découvrir le télétravail aux jeunes générations. Or le métier de soignant se fait en présentiel et de moins en moins de jeunes acceptent les contraintes liées au travail de nuit ou de week-end, ce qui crée des difficultés de recrutement dans tous les métiers d'aide à la personne.
Pour toutes ces raisons, mon objectif, en prenant mes fonctions, était de conduire une réforme d'ampleur du système de santé, autour de quelques grands principes : exercer de manière coordonnée et pluriprofessionnelle pour s'adapter aux parcours complexes et aux personnes âgées polypathologiques ; affirmer que le numérique était un outil indispensable ; réorganiser l'offre hospitalière sur le territoire, avec la gradation des soins ; adapter la formation pour accueillir des jeunes de tous les territoires et de tous les milieux ; acter une réforme du financement pour prendre en compte la qualité des soins et s'attaquer à la non-pertinence des actes ; créer des professions intermédiaires.
Pour conduire cette réforme, nous avons mené une concertation d'un an, en 2018, avec des professionnels, des élus locaux, des syndicats, des parlementaires et des associations de patients. La loi relative à l'organisation et à la transformation du système de santé, votée en juillet 2019, en constitue l'aboutissement. Les objectifs étaient de faire émerger des organisations professionnelles de santé plus efficaces, mieux territorialisées – les maisons de santé, les centres de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) – et qui épargneraient du temps médical en favorisant les coopérations entre professionnels, de renforcer le rôle en santé publique des pharmaciens, de créer une profession intermédiaire comme les « infirmiers en pratique avancée », de rembourser les actes de télémédecine et de graduer les soins sur les territoires afin de repositionner les activités spécialisées dans les hôpitaux de recours, donnant ainsi de nouvelles missions aux hôpitaux de proximité.
J'ai également posé la question fondamentale de la pertinence des soins, parce que c'est une façon de gagner en efficience. J'ai essayé de faire sortir progressivement notre système de santé d'une T2A – c'est-à-dire une tarification « à l'acte » pour les professionnels libéraux et une tarification « à l'activité » pour les hôpitaux – qui est purement quantitative, pour aller vers une tarification forfaitaire, autour de parcours de soins coordonnés et évalués sur leur qualité. En parallèle, j'ai refusé de réduire les tarifs dès le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2018 et j'ai systématiquement rendu aux hôpitaux la totalité de la réserve prudentielle. En janvier 2020, j'ai signé avec toutes les fédérations hospitalières un engagement pluriannuel sur les tarifs pour que les établissements de santé gagnent en lisibilité budgétaire. J'ai présenté un plan d'investissement pour l'hôpital en novembre 2019 et un plan de refondation des urgences en septembre 2019. Je pense que l'urgence est de mettre en œuvre toutes ces réformes, car la covid-19 a considérablement retardé la réorganisation de notre système de santé.
Vous avez fait plusieurs déclarations au sujet de la T2A et, avant même d'être ministre et en tant que professionnelle de santé, dit combien vous étiez scandalisée par cette tarification. Pourquoi, au cours des trois années où vous avez été ministre de la santé, n'avez-vous pas revu complètement ce système de tarification ?
Ma deuxième question concerne le numerus clausus. Sa transformation en numerus apertus n'a pas réglé le problème et, même si le nombre de diplômés en médecine augmente, il reste insuffisant. Il faudrait beaucoup plus d'étudiants en facultés de médecine, puisque la demande est beaucoup plus élevée que l'offre. Comment faire ?
S'agissant de la direction des hôpitaux, vous avez déclaré que, même si « certains mandarins [avaient] un fort pouvoir de lobbying auprès des élus », les réformes menées à l'hôpital avaient abouti à « [déclasser] le corps médical, qui a perdu sa capacité à s'impliquer dans les décisions de l'hôpital ». Qu'avez-vous fait en tant que ministre et que faudrait-il faire pour que la direction de l'hôpital, la présidence de la commission médicale d'établissement, qui représente les médecins, et la présidence du conseil de surveillance, qui représente les élus, travaillent en harmonie ?
Mme Marisol Touraine, lorsqu'elle est devenue ministre, voulait, elle aussi, réformer la T2A. Elle avait créé à cet effet le Comité de réforme de la tarification hospitalière (Coretah), dont j'ai fait partie lorsque j'étais à l'Inca. J'ai vu, à cette occasion, combien il était difficile de trouver de bons indicateurs pour financer correctement les parcours de soins. Nous avons beaucoup travaillé sur la cancérologie mais, au bout de cinq ans, ce comité n'avait rien produit. Lorsque j'ai été nommée ministre, j'ai créé auprès de moi une mission dédiée à la tarification, réunissant des professionnels, des directeurs d'hôpitaux et des économistes. Nous avons réussi à modifier deux activités : nous avons complètement remodelé la tarification de la psychiatrie, notamment publique, et nous avons totalement modifié la tarification des urgences, de façon, par exemple, à ce qu'il n'y ait plus de bénéfice à garder quelqu'un sur un brancard la nuit – ce mode de tarification très pervers s'appliquait lorsque je suis arrivée.
J'ai introduit, à l'article 51 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, un dispositif permettant à tous les territoires de proposer des projets de « tarification au parcours » dérogeant à la tarification habituelle. Il s'agissait de lancer des expérimentations sur le terrain, afin de modifier progressivement la façon dont nous rémunérons à la fois les hôpitaux et les professionnels libéraux. Il a fallu du temps pour que ces expérimentations voient le jour, mais elles sont désormais au nombre de deux cents et leurs résultants sont très intéressants.
Enfin, la loi de 2019 prévoyait de transformer certains hôpitaux en hôpitaux de proximité, pour mettre les plateaux techniques avancés dans des hôpitaux de recours et garantir une vraie couverture populationnelle en gériatrie et en médecine interne dans ces hôpitaux de proximité. Il était prévu que ces hôpitaux aient une tarification totalement déconnectée de la T2A.
Pourquoi ne supprime-t-on pas totalement la tarification à l'activité ? Tout simplement parce qu'elle est liée au codage : si l'on arrête de coder les actes et si les hôpitaux ne sont plus rémunérés à l'acte, on n'aura plus aucune vision des activités hospitalières : on ne pourra pas savoir s'il y a des dérives ; on n'aura aucun moyen de savoir, par exemple, que la chirurgie bariatrique explose, etc. Il y a une connexion très forte entre la tarification et le codage des activités hospitalières. Pour piloter le système de santé, il faut savoir ce qui se passe sur les territoires : nature des actes pratiqués, accès aux praticiens, etc. Il faut aussi garder un peu de T2A pour motiver les professionnels, car la tarification globale était totalement déprimante pour ceux qui travaillaient beaucoup – puisque ceux qui ne travaillaient pas se voyaient allouer le même budget chaque année, de façon automatique…
Ce qu'il faut, selon moi, ce sont des tarifications très diversifiées. L'incitation financière à la qualité (Ifaq) a été créée en 2016 et j'ai considérablement augmenté sa dotation, qui a atteint 400 M€ en 2020 et qui avaient vocation à atteindre 2 Md€. L'idée était de trouver de bons indicateurs de qualité et de pertinence des parcours au sein de l'hôpital pour accorder une grande part, dans la tarification, à la qualité et à la pertinence des soins. Croire que l'on pourrait supprimer la T2A est une erreur. Mais il faut réduire considérablement sa part et avoir des tarifications globales, par exemple dans le cadre des missions d'intérêt général (MIG) pour des populations particulièrement précaires. Il faut vraiment adapter la tarification à chaque bassin de vie et aux besoins de la population.
J'en viens au numerus clausus, que j'ai supprimé dans la loi de 2019. Il avait déjà connu une belle augmentation puisque, lorsque je suis arrivée, on en était à neuf mille étudiants par an, avec l'idée de monter à douze mille ou treize mille. Le problème, c'est que les doyens des facultés de médecine, notamment à Paris, étaient très opposés à la réforme, considérant qu'ils n'avaient pas les moyens de former davantage d'étudiants. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut des formateurs et des places de stage. Les universités étant autonomes, ce sont elles qui décident du nombre de leurs étudiants. Avec le numerus apertus, le ministre n'a plus la main : certes, il n'y a plus de plafond… mais si les universités ne veulent pas ouvrir de places, on ne peut pas les y contraindre. C'est moins vrai en province et c'est pour cela que l'on a multiplié les lieux de stage, notamment en médecine de ville, pour éviter que les étudiants ne se retrouvent tous à l'hôpital, à quinze autour du lit d'un patient. Je crois que les doyens voulaient surtout obtenir des moyens supplémentaires de la part du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ; je n'ai pas assisté aux négociations, car je suis malheureusement partie en 2020 : j'ignore donc comment la réforme a été mise en œuvre.
Sur le sujet de la gouvernance de l'hôpital, j'avais confié une mission au professeur Olivier Claris, président de la commission médicale d'établissement des Hospices civils de Lyon, en lui demandant de me faire des propositions… mais je suis partie avant qu'il ne remette son rapport. Il y a des hôpitaux où le couple formé par le directeur et le président de la commission médicale d'établissement fonctionnent magnifiquement et il y en a d'autres où la communauté médicale peut être en rupture avec la direction. Mais ce que j'observe, c'est que dans les hôpitaux qui vont mal, il y a souvent des problèmes managériaux au sein même de la communauté médicale.
J'ai visité nombre d'hôpitaux où il n'y aurait pas dû avoir de problèmes, mais qui n'arrivaient pas à garder leurs praticiens hospitaliers, parce que le chef de service était caractériel ou qu'il y avait des faits de harcèlement. Il est très difficile d'avoir une vision globale de l'hôpital public, car la situation est très différente d'un territoire à l'autre : à certains endroits, on a du mal à recruter des infirmières ; ailleurs, ce sont des médecins ou des chirurgiens.
Même si les problèmes me semblaient plutôt liés au management qu'à la gouvernance, j'ai décidé, lorsque j'ai lancé le plan « Investir pour l'hôpital », de débloquer des sommes qui seraient directement à la main des chefs de service et qui ne passeraient pas par la direction de l'hôpital, afin qu'ils puissent choisir eux-mêmes le matériel qu'ils souhaitaient renouveler – brancard, échographie, etc. –, car je trouvais que la délégation des moyens entre la direction des gros hôpitaux et les chefs de service était souvent trop longue et bloquait les choses. En décembre 2019, je leur ai donc alloué une enveloppe de 150 M€, mais je ne suis pas sûre que tous les hôpitaux en aient fait l'usage que j'attendais. J'ai eu beaucoup de frictions, par exemple, avec l'AP-HP, à laquelle j'avais alloué 8 M€ : un mois et demi après, les chefs de service n'en avaient toujours pas entendu parler… Il y a parfois des problèmes liés à la direction, mais il y a aussi des problèmes managériaux et je n'ai pas pu me pencher sur les préconisations du rapport Claris.
Au début de votre ministériat, vous avez vivement critiqué la politique d'« hôpital-entreprise » menée par vos prédécesseurs : le management par le nombre et la norme, la tarification à l'acte, les économies imposées et qui ont fait que l'industrie pharmaceutique n'avait pas quatre mois de stock de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur – masques, vêtements de protection, respirateurs, lits, etc. Cette politique du flux tendu, qu'ont menée vos prédécesseurs et qui s'est poursuivie, a fragilisé l'hôpital public. Avec le recul, pensez-vous que ces politiques comptables peuvent être utiles dans un service public ? Quelles en sont, selon vous, les limites ?
J'ai subi l'« hôpital-entreprise » : quand j'étais médecin, j'ai entendu des propos qui m'ont horrifiée et je suis vraiment venue au ministère avec l'idée de réformer cela.
Malheureusement, j'ai trouvé à mon arrivée une dette des hôpitaux abyssale, de l'ordre de 30 Md€, et le déficit de l'année en cours était de 1 Md€. J'ai compris que la disparition du « trou » de la sécurité sociale, qui était de 30 Md€ dans les années 2000 et qui avait été totalement comblé au moment où je suis arrivée, s'était faite au détriment des hôpitaux. En fait, la dette avait été transférée subrepticement du budget de la sécurité sociale vers les hôpitaux.
La première chose que j'ai faite a donc été de redonner des marges financières à l'hôpital public, en régulant mieux la médecine dite « de ville », parce que c'était absolument nécessaire. Je l'ai dit : on ne peut pas augmenter indéfiniment les dépenses de santé et il n'est pas imaginable qu'elles représentent un jour 20 % de notre PIB. Le 6 février 2020, j'ai pris l'engagement devant les fédérations hospitalières que les tarifs augmenteraient et seraient connus pour les trois ans à venir, afin que les hôpitaux aient une visibilité pour leurs investissements. J'ai négocié avec Bercy pour que l'on reprenne la dette des hôpitaux et, à l'issue d'une bataille homérique, j'ai obtenu un arbitrage favorable du Premier ministre Édouard Philippe, à hauteur de 30 % de la dette : 10 Md€ ont ainsi été rendus aux hôpitaux pour leur permettre d'investir. Cette mesure a été annoncée pendant le « Ségur de la santé », mais c'est moi qui l'ai obtenue en novembre 2019.
Cependant, d'un hôpital à l'autre, les situations financières sont très différentes et c'est la raison pour laquelle il est très difficile de parler d'« hôpital » en général. Certains ont des dettes très importantes, pratiquent le yield management et cherchent à faire des économies. D'autres, en revanche, sont à l'équilibre et vont bien : vous n'en entendez jamais parler. Il faut donc arrêter de voir l'hôpital comme une entité unique. Lors des différentes grèves hospitalières que j'ai connues lorsque j'étais ministre, les pourcentages de grévistes allaient de 2 % dans certains CHU à 60 % à l'AP-HP : cela veut bien dire que les réalités sont très différentes.
Il faut leur redonner de la marge financière. La reprise de la dette était une façon d'accorder d'emblée 10 Md€ aux hôpitaux sans passer par l'Ondam ni avoir à réguler davantage la médecine de ville. Cela fait longtemps qu'instruction a été donnée aux agences régionales de santé de ne plus parler de finances quand on ferme un service. Je leur ai interdit de fermer un service sous prétexte qu'il n'était pas rentable : on ne ferme un service que s'il y a des problèmes de qualité ou de sécurité des soins. Cela demande du temps : il faut apprendre progressivement à ceux qui ont fait de la régulation financière pendant vingt ans à voir l'hôpital autrement. J'ai commencé cette transformation et je suis certaine qu'aucun des ministres qui m'ont succédé ne pense vraiment que l'on doit faire des économies à l'hôpital.
Après la première vague de la covid, le Premier ministre Édouard Philippe avait déclaré à des soignants qui l'écoutaient, pleins d'espoir, que le cap qu'il suivait était le bon et qu'il fallait accélérer. J'ai le même sentiment en vous écoutant : à vous entendre, aucune erreur n'aurait été commise. Pourtant, entre 2017 et 2019, douze mille lits d'hospitalisation complète ont été supprimés et 2 à 4 Md€ d'économies ont été imposés aux hôpitaux. Dans le même temps, en 2018, des soignants étaient en grève de la faim à Saint-Étienne-du-Rouvray, les Ehpad étaient en grève, il y avait des grèves illimitées dans les urgences avec des lits occupés à 95 % et l'on a même enregistré mille démissions de médecins hospitaliers. Dans l'émission « Complément d'enquête », en juin 2023, vous avez déclaré que les morts inattendues à l'hôpital résultaient de problèmes structurels. Le premier quinquennat d'Emmanuel Macron n'a-t-il pas amplifié ces problèmes structurels ?
La politique de l'hôpital-entreprise a entraîné une détérioration progressive de l'accès aux soins dans les hôpitaux publics, avec un allongement des listes d'attente et des délais pour obtenir un rendez-vous, les économies imposées ayant encore accentué ces difficultés. Les inégalités territoriales se sont renforcées, avec des disparités importantes en fonction du lieu de résidence et du niveau de revenu, rendant la situation dans notre pays inacceptable – je trouve que vous n'en avez pas suffisamment parlé. En tant qu'ancienne ministre, comment justifiez-vous l'acharnement à poursuivre cette politique comptable qui a détruit le maillage territorial de santé publique ?
Lorsque vous étiez ministre, vous étiez sans doute la personne ayant la meilleure connaissance de l'état de l'hôpital public. En pleine crise des urgences, en 2019, vous êtes allée chercher des arbitrages auprès du ministre des comptes publics parce que vous saviez que le sous-financement chronique de l'hôpital était la clef du problème. Pourtant, le financement obtenu s'est révélé bien inférieur aux besoins. Avez-vous alerté Bercy sur l'impasse dans laquelle se trouverait l'hôpital public si le financement du plan d'urgence n'était pas à la hauteur ? Si oui, dans quelle mesure vous êtes-vous heurtée au blocage de Bercy ? Si non, pourquoi ne pas avoir investi plus massivement dans l'hôpital public ?
Par ailleurs, pensez-vous que le développement de l'hôpital-entreprise a favorisé l'émergence d'un système de santé « business » et d'une marchandisation contribuant à la croissance ininterrompue du budget consacré à la santé ?
Tous les ministres de la santé sont d'accord sur ce qu'il faut faire. Il n'y a pas de politique de droite ou de gauche : nous essayons tous de favoriser l'accès aux soins.
La pénurie de soignants concerne le monde entier et pas seulement la France. Nous sommes dans le creux de la vague. Ce n'est pas le fait de l'hôpital-entreprise : il manque des médecins partout, à l'hôpital comme dans les déserts médicaux ; nous manquons de médecins libéraux, de médecins scolaires, de médecins du travail… Cette pénurie mettra encore cinq ans pour se résorber, quoi que l'on fasse. Si nous n'avions pas engagé des réformes – territorialisation, professions intermédiaires, primes, etc. –, la situation serait bien pire aujourd'hui. Nous n'aurons pas un médecin généraliste de plus en France avant 2030 ; quant au nombre de spécialistes, il commence tout juste à réaugmenter. Tant que nous n'aurons pas un nombre suffisant de médecins, nous devrons gérer la pénurie.
Ce ne sont pas des raisons financières qui motivent la fermeture de lits. Vous aurez beau créer des lits « de réanimation », si vous n'avez pas de réanimateur ni d'infirmière, ce ne seront pas des lits de réanimation, ce seront simplement des lits : ce qui compte, ce n'est pas le nombre de lits, mais le nombre de places. Selon les calculs de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), nombre d'activités n'ont plus besoin de lits – notamment la chirurgie, qui est devenue considérablement plus ambulatoire. Le nombre de lits où les gens passent la nuit a diminué de 6 % en dix ans. En revanche, le nombre de places d'hospitalisation a augmenté de 11 % : sur une place, c'est-à-dire un lit d'hôpital de jour, vous mettez entre deux et quatre malades.
En réalité, l'activité de l'hôpital n'a pas cessé de croître, avec 1,2 million de séjours supplémentaires entre 2013 et 2023. Il en va de même pour le nombre de professionnels qui travaillent à l'hôpital public : la fonction publique hospitalière n'a pas cessé d'augmenter et emploie désormais plus de 1,1 million de fonctionnaires. Il faut donc arrêter de se focaliser sur les fermetures de lits, parce que ce n'est pas l'alpha et l'oméga de la pratique clinique.
Si des besoins de lits supplémentaires existent en aval des urgences, il ne faut pas en créer en chirurgie. Les hôpitaux doivent être plus élastiques, c'est-à-dire être capables de s'adapter aux besoins en s'armant de lits supplémentaires, par exemple en recourant à des intérimaires. Mais il ne faut pas remettre des lits dans tous les hôpitaux français parce que, d'une part, on n'en a pas besoin et que, d'autre part, nous ne disposons pas des soignants pour les faire « tourner ». En pratique, le nombre de professionnels, le nombre de places d'hospitalisation et le nombre de passages ont augmenté de plus de 10 % en l'espace de dix ans.
Nous ne sommes pas en train de réduire la voilure, mais de transformer l'offre. On ne reviendra pas à l'état de jadis, car les jeunes professionnels n'ont pas envie de passer leurs week-ends et leurs nuits à l'hôpital. Modifier la façon de travailler à l'hôpital transformera considérablement son attractivité. Pour avoir souvent vu, dans ma pratique, des patients rester une nuit, deux nuits, voire une semaine à l'hôpital dans l'attente de passer un scanner, je sais bien que tous les lits n'ont pas le même usage. Il faut augmenter le nombre de lits en aval des urgences ou en soins de suite et de réadaptation, mais pas partout. Il est vraiment important que l'on se mette d'accord sur la transformation, sous peine de rater la cible.
Quant aux délais d'attente, ils ne sont pas la conséquence de l'hôpital-entreprise, mais tout simplement du manque de médecins. Il faut déléguer à d'autres soignants la réalisation de certains actes, afin de redonner aux médecins du temps médical et de leur permettre de se concentrer sur leur valeur ajoutée. C'est pourquoi j'ai permis aux pharmaciens de vacciner – heureusement que les pharmaciens ont pu vacciner pendant l'épidémie de covid ! J'ai également délégué la prescription des antibiotiques aux pharmaciens, et nous avons créé les infirmiers en pratique avancée pour prendre en charge les malades chroniques.
Enfin, concernant la crise des urgences, le pacte de refondation des urgences comportait des mesures multiples, dotées de 750 M€. Il n'a pas été mis en œuvre, non pas pour des raisons budgétaires mais en raison de la survenue de la covid – les professionnels avaient autre chose à faire. J'ai ajouté 1,5 Md€ de délégation financière pour l'hôpital, dans le cadre du plan « Investir pour l'hôpital » présenté en novembre 2019. Nous étions donc en train de déployer les moyens quand la covid-19 est apparue, percutant tout ce que nous avions commencé à construire.
La loi du 24 juillet 2019 avait pour objectif la création de cinq cents à six cents hôpitaux de proximité. À Guingamp, dans ma circonscription, l'hôpital n'assure plus de chirurgie vingt-quatre heures sur vingt-quatre et n'a plus de maternité – bref, ce n'est plus un hôpital de plein exercice. En tant que femme, en tant que femme médecin et ministre, vous inscrivez-vous dans la ligne de l'Académie de médecine en soutenant la fermeture des maternités qui ne pratiqueraient pas mille accouchements par an ? Êtes-vous consciente de l'impact sur les populations lorsque les hôpitaux de proximité ne sont pas de plein exercice et de la rupture d'égalité dans l'accès aux soins que cela induit ?
Depuis plus de vingt ans, l'hôpital public est en crise. Alors qu'on lui donne de plus en plus de moyens, il ne se porte pas mieux et n'est pas plus attractif pour les soignants. En parallèle, les hôpitaux privés augmentent leur activité et reprennent des secteurs qui étaient assurés jusque-là par l'hôpital public. Ce dernier ne devrait-il pas s'inspirer du management réalisé dans les hôpitaux privés, qui fonctionnent plutôt bien ? Le privé s'est, par exemple, adapté à la chirurgie ambulatoire beaucoup plus rapidement que l'hôpital public. Ne devrait-on pas rapprocher ces deux systèmes ?
Ne pensez-vous pas que le mal dont souffre l'hôpital public est avant tout de s'inscrire dans une logique purement financière, au détriment des patients, alors que les hôpitaux sont avant tout faits pour soigner ?
Le 29 décembre 2017, Mme Naomi Musenga appelait le Samu 67 pour des douleurs abdominales. Sa prise en charge trop tardive a conduit à son décès. Vous avez demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), le 9 mai 2018, d'enquêter sur l'organisation de la régulation des appels au Samu du Bas-Rhin. La mission de l'Igas a formulé neuf recommandations, dont celle de mettre en place au Samu de Strasbourg une formation des assistants de régulation médicale (ARM) aux bonnes pratiques de régulation, centrée sur l'explication de la notion de permanence des soins ambulatoires. Or celle-ci nécessite des ARM rémunérés dignement et en nombre suffisant. Quelle mesure avez-vous prises pour améliorer les salaires – et pas seulement les primes – des ARM ? Comment avez-vous renforcé les équipes d'ARM dans le sens des recommandations des sociétés savantes, Samu-Urgences de France et la Société française de médecine d'urgence ? Pourquoi avez-vous mis en place une formation diplômante de niveau 4, soit le niveau bac, et non pas de niveau 3 (comme pour les pompiers), soit le niveau bac + 2 ?
S'agissant des hôpitaux de proximité, la pénurie de soignants, notamment de médecins, est mondiale. Quand une maternité fonctionne avec un accouchement par jour, les professionnels perdent en pratique et en qualité. Les toutes petites maternités sont plus dangereuses, comme le démontre un récent rapport de la Cour des comptes. Quand j'étais ministre, je voulais que tous les Français soient soignés comme j'aimerais que soient soignés mes enfants ou ma sœur. Je suis donc totalement favorable à la fermeture des petites maternités, qui sont dangereuses pour les femmes.
Dans tous les pays du monde, des organisations se mettent en place pour assurer la sécurité des femmes lorsque les distances à parcourir sont immenses – par exemple, en Norvège ou en Finlande, où un trajet peut prendre cinq heures. Cela étant, quand une femme habite le centre de la Corse et doit se rendre à Bastia ou à Ajaccio pour accoucher, elle fait deux heures de route l'hiver et cela n'a jamais choqué personne. Nous nous sommes mis d'accord avec les élus locaux pour qu'aucune femme ne se trouve à plus d'une heure et demie de voiture d'une maternité de qualité. Cela représente déjà beaucoup d'efforts pour faire en sorte que tous les plateaux techniques disposent d'un anesthésiste formé qui ne soit pas un intérimaire, d'un pédiatre et d'un chirurgien pour pouvoir opérer.
Oui, il faut fermer les petites maternités. Ce qui nous gêne, ce sont les élus locaux qui se fichent complètement de la qualité parce qu'ils font accoucher leur femme (ou leur fille) au CHU, mais qui, pour plaire à leurs administrés, réclament le maintien d'une petite maternité. Je l'ai constaté en me rendant dans certaines maternités où j'ai rencontré des sénateurs qui s'indignaient, mais dont la famille allait accoucher au CHU… Pour ma part, je souhaite la même qualité de soins et la même sécurité pour toutes les femmes et pour tous les enfants. La périnatalité est un problème en France et l'une des causes identifiées est la dangerosité des toutes petites maternités, parce que les femmes sont moins bien suivies et les enfants aussi – je l'affirme et je le confirme.
La dichotomie public-privé est considérable. Toutefois, même dans le secteur privé, la financiarisation met une énorme pression sur les professionnels, les cliniques privées demandant du rendement aux chirurgiens. C'est au moins aussi dangereux que cela l'a été à l'hôpital public, il y a quelques années. Le problème est que l'on finance une activité sur des actes au lieu de la financer sur leur pertinence et leur qualité. Il faut profondément modifier les méthodes de financement de façon à éviter la financiarisation à outrance et la transformation de la santé en un marché lucratif, ce qu'elle ne peut pas être.
Cela fait longtemps que la logique financière n'existe plus à l'hôpital public – ce schéma, propre aux années 2000 ou 2010, n'est plus vrai. L'hôpital public assure une très bonne qualité et une très bonne pertinence des soins : quand on veut être bien soigné, encore aujourd'hui, on va à l'hôpital public. La transformation mise en œuvre vise à sortir d'une démarche comptable et à adopter une tarification qui promeut la pertinence et la qualité plutôt que le nombre d'actes.
Enfin, concernant la régulation, j'ai lancé un plan de formation prévoyant que tous les ARM devaient être formés pendant un an. J'ai demandé aux sociétés savantes de se mettre d'accord sur le contenu de cette formation, parce qu'elle n'existait pas, et j'ai demandé aux Samu d'assurer ces formations à compter de l'année n+1 après la terrible histoire de madame Musenga.
Nous avons prévu des primes parce que c'est le seul outil dont nous disposions, dans la mesure où nous sommes tenus par la grille de la fonction publique. Surtout, nous avons créé le service d'accès aux soins (SAS), dans lequel des médecins généralistes de territoire s'engagent à faire de la régulation la nuit. Cela a considérablement modifié les pratiques dans les endroits où un SAS a été mis en place. Aujourd'hui, il y a des SAS dans pratiquement tous les Samu, ce qui a permis de réduire de l'ordre de 10 % le nombre de passages aux urgences. Cela améliore aussi la qualité du rendu téléphonique, grâce à l'implication des médecins libéraux dans le service d'accès aux soins.
Pensez-vous qu'il faille revenir partiellement sur l'autonomie des universités afin de leur imposer des quotas de médecins à former, notamment dans les spécialités dont on a le plus besoin ?
Doit-on imposer plus d'obligations aux hôpitaux privés et si oui, lesquelles ?
Êtes-vous pour la création d'un objectif régional de dépenses d'assurance maladie (Ordam), qui a fait l'objet d'une proposition de loi sous la précédente législature ?
La question de l'autonomie des universités est une question bien plus large. Je suis toutefois troublée par les choix des étudiants en médecine : désormais, ils choisissent principalement des spécialités sans garde et la chirurgie esthétique et réparatrice ; cela diffère de ce que l'on connaissait il y a dix ou quinze ans, quand la néphrologie et la cancérologie étaient choisies en premier. Cela dit beaucoup de la façon dont les jeunes veulent travailler. S'il y a de la régulation à faire, c'est sur le choix des spécialités.
Je pense qu'il faut absolument revoir le régime des autorisations. L'accès aux soins doit être vu comme un service public de la santé, auquel le privé doit participer. On ne doit plus donner d'autorisation à des cliniques privées qui non seulement ne participent pas au service public, mais qui, de plus, « déshabillent » les hôpitaux en attirant des praticiens qui n'ont plus aucune obligation de garde – je l'ai constaté en neurochirurgie, qui nécessite de grandes gardes à l'hôpital, une fois par semaine, avec des chirurgiens qui opèrent la nuit, etc. Cela n'est plus possible ! Le secteur privé doit participer à ce bien commun qu'est l'accès aux soins pour tous et le seul outil dont nous disposons pour ce faire, ce sont les autorisations.
Je suis radicalement contre les Ordam. Dans beaucoup de pays fédéraux, le coût de la santé augmente du fait de la compétition entre Länder – ou entre cantons en Suisse, ou entre régions en Espagne. Il existe déjà une compétition entre pays, où ceux qui payent le plus attirent les soignants ; l'Ordam ferait courir le même risque entre régions : c'est la course à celui qui mettra le plus d'argent dans la santé et, à la fin, la santé coûte beaucoup plus cher. De plus, l'offre de soins y est extrêmement mal répartie entre les territoires : les pays fédéraux connaissent une hétérogénéité de la répartition des professionnels. Les Ordam importeraient au sein du territoire national ce que l'on voit déjà à nos frontières : j'y suis radicalement opposée.
Je pense, en revanche, qu'il faut beaucoup plus d'adaptations régionales, avec des missions d'intérêt général (MIG) et des fonds d'intervention régionaux (FIG) à la main des agences régionales de santé, voire des conseils régionaux. Cela doit toutefois s'inscrire dans la vision de l'accès aux soins portée par le ministère : en effet, certains départements et certaines régions ont une vision qui n'est pas suffisamment large, les élus locaux luttant pour obtenir des autorisations qui augmenteront le nombre d'actes non pertinents pratiqués. La vision doit être au moins régionale – certainement pas départementale ! – si l'on veut assurer une bonne qualité des soins partout dans le territoire.
Sur quelles études vous fondez-vous pour affirmer que les petites maternités seraient dangereuses ? La pénurie de médecins pose certes un problème, mais c'est bien le financement qui fait défaut. La dangerosité n'est pas liée à la taille des maternités puisque nous sommes passés en vingt ans d'un minimum de trois cents accouchements par an à cinq cents, puis à mille accouchements.
Ce n'est pas une question de finances, mais bien de pénurie de soignants. Si nous n'avons pas de médecins, on maintiendra des maternités qui ne fonctionnent pas – ou alors avec des intérimaires, qui parfois partent avant la fin de leur garde, à cinq heures du matin, pour aller travailler dans une clinique, laissant la maternité sans professionnel qualifié. Quand vous êtes obstétricien, vous avez envie de pratiquer plusieurs accouchements chaque jour plutôt qu'un seul. Une petite maternité n'arrive pas à attirer des professionnels et travaille avec des intérimaires, ce qui met en danger la vie des femmes et des enfants parce que ces praticiens ne font pas suffisamment d'actes pour être aguerris.
Les études de référence émanent de l'Académie de médecine et la Cour des comptes vient de publier un rapport sur la périnatalité. La dangerosité est liée au fait qu'il y a une pénurie de soignants, ce n'est pas une question de finances et on se fiche de l'argent qu'on y dépense : une petite maternité est dangereuse, car il n'y a pas de plateau technique de bonne qualité quand il ne fonctionne qu'avec des professionnels intérimaires et qui font très peu d'actes. On n'est expérimenté que quand on fait beaucoup d'actes.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public
Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 15 heures
Présents. – M. Éric Alauzet, Mme Véronique Besse, Mme Sophie Blanc, M. Jorys Bovet, M. Emmanuel Fernandes, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, M. Damien Maudet, M. Jean-Claude Raux, Mme Mélanie Thomin, M. Antoine Villedieu
Excusé. – M. Ian Boucard