Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public

Agnès Buzyn, ancienne ministre des solidarités et de la santé :

Mme Marisol Touraine, lorsqu'elle est devenue ministre, voulait, elle aussi, réformer la T2A. Elle avait créé à cet effet le Comité de réforme de la tarification hospitalière (Coretah), dont j'ai fait partie lorsque j'étais à l'Inca. J'ai vu, à cette occasion, combien il était difficile de trouver de bons indicateurs pour financer correctement les parcours de soins. Nous avons beaucoup travaillé sur la cancérologie mais, au bout de cinq ans, ce comité n'avait rien produit. Lorsque j'ai été nommée ministre, j'ai créé auprès de moi une mission dédiée à la tarification, réunissant des professionnels, des directeurs d'hôpitaux et des économistes. Nous avons réussi à modifier deux activités : nous avons complètement remodelé la tarification de la psychiatrie, notamment publique, et nous avons totalement modifié la tarification des urgences, de façon, par exemple, à ce qu'il n'y ait plus de bénéfice à garder quelqu'un sur un brancard la nuit – ce mode de tarification très pervers s'appliquait lorsque je suis arrivée.

J'ai introduit, à l'article 51 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, un dispositif permettant à tous les territoires de proposer des projets de « tarification au parcours » dérogeant à la tarification habituelle. Il s'agissait de lancer des expérimentations sur le terrain, afin de modifier progressivement la façon dont nous rémunérons à la fois les hôpitaux et les professionnels libéraux. Il a fallu du temps pour que ces expérimentations voient le jour, mais elles sont désormais au nombre de deux cents et leurs résultants sont très intéressants.

Enfin, la loi de 2019 prévoyait de transformer certains hôpitaux en hôpitaux de proximité, pour mettre les plateaux techniques avancés dans des hôpitaux de recours et garantir une vraie couverture populationnelle en gériatrie et en médecine interne dans ces hôpitaux de proximité. Il était prévu que ces hôpitaux aient une tarification totalement déconnectée de la T2A.

Pourquoi ne supprime-t-on pas totalement la tarification à l'activité ? Tout simplement parce qu'elle est liée au codage : si l'on arrête de coder les actes et si les hôpitaux ne sont plus rémunérés à l'acte, on n'aura plus aucune vision des activités hospitalières : on ne pourra pas savoir s'il y a des dérives ; on n'aura aucun moyen de savoir, par exemple, que la chirurgie bariatrique explose, etc. Il y a une connexion très forte entre la tarification et le codage des activités hospitalières. Pour piloter le système de santé, il faut savoir ce qui se passe sur les territoires : nature des actes pratiqués, accès aux praticiens, etc. Il faut aussi garder un peu de T2A pour motiver les professionnels, car la tarification globale était totalement déprimante pour ceux qui travaillaient beaucoup – puisque ceux qui ne travaillaient pas se voyaient allouer le même budget chaque année, de façon automatique…

Ce qu'il faut, selon moi, ce sont des tarifications très diversifiées. L'incitation financière à la qualité (Ifaq) a été créée en 2016 et j'ai considérablement augmenté sa dotation, qui a atteint 400 M€ en 2020 et qui avaient vocation à atteindre 2 Md€. L'idée était de trouver de bons indicateurs de qualité et de pertinence des parcours au sein de l'hôpital pour accorder une grande part, dans la tarification, à la qualité et à la pertinence des soins. Croire que l'on pourrait supprimer la T2A est une erreur. Mais il faut réduire considérablement sa part et avoir des tarifications globales, par exemple dans le cadre des missions d'intérêt général (MIG) pour des populations particulièrement précaires. Il faut vraiment adapter la tarification à chaque bassin de vie et aux besoins de la population.

J'en viens au numerus clausus, que j'ai supprimé dans la loi de 2019. Il avait déjà connu une belle augmentation puisque, lorsque je suis arrivée, on en était à neuf mille étudiants par an, avec l'idée de monter à douze mille ou treize mille. Le problème, c'est que les doyens des facultés de médecine, notamment à Paris, étaient très opposés à la réforme, considérant qu'ils n'avaient pas les moyens de former davantage d'étudiants. Ce qui est vrai, c'est qu'il faut des formateurs et des places de stage. Les universités étant autonomes, ce sont elles qui décident du nombre de leurs étudiants. Avec le numerus apertus, le ministre n'a plus la main : certes, il n'y a plus de plafond… mais si les universités ne veulent pas ouvrir de places, on ne peut pas les y contraindre. C'est moins vrai en province et c'est pour cela que l'on a multiplié les lieux de stage, notamment en médecine de ville, pour éviter que les étudiants ne se retrouvent tous à l'hôpital, à quinze autour du lit d'un patient. Je crois que les doyens voulaient surtout obtenir des moyens supplémentaires de la part du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ; je n'ai pas assisté aux négociations, car je suis malheureusement partie en 2020 : j'ignore donc comment la réforme a été mise en œuvre.

Sur le sujet de la gouvernance de l'hôpital, j'avais confié une mission au professeur Olivier Claris, président de la commission médicale d'établissement des Hospices civils de Lyon, en lui demandant de me faire des propositions… mais je suis partie avant qu'il ne remette son rapport. Il y a des hôpitaux où le couple formé par le directeur et le président de la commission médicale d'établissement fonctionnent magnifiquement et il y en a d'autres où la communauté médicale peut être en rupture avec la direction. Mais ce que j'observe, c'est que dans les hôpitaux qui vont mal, il y a souvent des problèmes managériaux au sein même de la communauté médicale.

J'ai visité nombre d'hôpitaux où il n'y aurait pas dû avoir de problèmes, mais qui n'arrivaient pas à garder leurs praticiens hospitaliers, parce que le chef de service était caractériel ou qu'il y avait des faits de harcèlement. Il est très difficile d'avoir une vision globale de l'hôpital public, car la situation est très différente d'un territoire à l'autre : à certains endroits, on a du mal à recruter des infirmières ; ailleurs, ce sont des médecins ou des chirurgiens.

Même si les problèmes me semblaient plutôt liés au management qu'à la gouvernance, j'ai décidé, lorsque j'ai lancé le plan « Investir pour l'hôpital », de débloquer des sommes qui seraient directement à la main des chefs de service et qui ne passeraient pas par la direction de l'hôpital, afin qu'ils puissent choisir eux-mêmes le matériel qu'ils souhaitaient renouveler – brancard, échographie, etc. –, car je trouvais que la délégation des moyens entre la direction des gros hôpitaux et les chefs de service était souvent trop longue et bloquait les choses. En décembre 2019, je leur ai donc alloué une enveloppe de 150 M€, mais je ne suis pas sûre que tous les hôpitaux en aient fait l'usage que j'attendais. J'ai eu beaucoup de frictions, par exemple, avec l'AP-HP, à laquelle j'avais alloué 8 M€ : un mois et demi après, les chefs de service n'en avaient toujours pas entendu parler… Il y a parfois des problèmes liés à la direction, mais il y a aussi des problèmes managériaux et je n'ai pas pu me pencher sur les préconisations du rapport Claris.

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