Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du mercredi 22 mai 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur les difficultés d'accès aux soins à l'hôpital public

Agnès Buzyn, ancienne ministre des solidarités et de la santé :

Tous les ministres de la santé sont d'accord sur ce qu'il faut faire. Il n'y a pas de politique de droite ou de gauche : nous essayons tous de favoriser l'accès aux soins.

La pénurie de soignants concerne le monde entier et pas seulement la France. Nous sommes dans le creux de la vague. Ce n'est pas le fait de l'hôpital-entreprise : il manque des médecins partout, à l'hôpital comme dans les déserts médicaux ; nous manquons de médecins libéraux, de médecins scolaires, de médecins du travail… Cette pénurie mettra encore cinq ans pour se résorber, quoi que l'on fasse. Si nous n'avions pas engagé des réformes – territorialisation, professions intermédiaires, primes, etc. –, la situation serait bien pire aujourd'hui. Nous n'aurons pas un médecin généraliste de plus en France avant 2030 ; quant au nombre de spécialistes, il commence tout juste à réaugmenter. Tant que nous n'aurons pas un nombre suffisant de médecins, nous devrons gérer la pénurie.

Ce ne sont pas des raisons financières qui motivent la fermeture de lits. Vous aurez beau créer des lits « de réanimation », si vous n'avez pas de réanimateur ni d'infirmière, ce ne seront pas des lits de réanimation, ce seront simplement des lits : ce qui compte, ce n'est pas le nombre de lits, mais le nombre de places. Selon les calculs de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), nombre d'activités n'ont plus besoin de lits – notamment la chirurgie, qui est devenue considérablement plus ambulatoire. Le nombre de lits où les gens passent la nuit a diminué de 6 % en dix ans. En revanche, le nombre de places d'hospitalisation a augmenté de 11 % : sur une place, c'est-à-dire un lit d'hôpital de jour, vous mettez entre deux et quatre malades.

En réalité, l'activité de l'hôpital n'a pas cessé de croître, avec 1,2 million de séjours supplémentaires entre 2013 et 2023. Il en va de même pour le nombre de professionnels qui travaillent à l'hôpital public : la fonction publique hospitalière n'a pas cessé d'augmenter et emploie désormais plus de 1,1 million de fonctionnaires. Il faut donc arrêter de se focaliser sur les fermetures de lits, parce que ce n'est pas l'alpha et l'oméga de la pratique clinique.

Si des besoins de lits supplémentaires existent en aval des urgences, il ne faut pas en créer en chirurgie. Les hôpitaux doivent être plus élastiques, c'est-à-dire être capables de s'adapter aux besoins en s'armant de lits supplémentaires, par exemple en recourant à des intérimaires. Mais il ne faut pas remettre des lits dans tous les hôpitaux français parce que, d'une part, on n'en a pas besoin et que, d'autre part, nous ne disposons pas des soignants pour les faire « tourner ». En pratique, le nombre de professionnels, le nombre de places d'hospitalisation et le nombre de passages ont augmenté de plus de 10 % en l'espace de dix ans.

Nous ne sommes pas en train de réduire la voilure, mais de transformer l'offre. On ne reviendra pas à l'état de jadis, car les jeunes professionnels n'ont pas envie de passer leurs week-ends et leurs nuits à l'hôpital. Modifier la façon de travailler à l'hôpital transformera considérablement son attractivité. Pour avoir souvent vu, dans ma pratique, des patients rester une nuit, deux nuits, voire une semaine à l'hôpital dans l'attente de passer un scanner, je sais bien que tous les lits n'ont pas le même usage. Il faut augmenter le nombre de lits en aval des urgences ou en soins de suite et de réadaptation, mais pas partout. Il est vraiment important que l'on se mette d'accord sur la transformation, sous peine de rater la cible.

Quant aux délais d'attente, ils ne sont pas la conséquence de l'hôpital-entreprise, mais tout simplement du manque de médecins. Il faut déléguer à d'autres soignants la réalisation de certains actes, afin de redonner aux médecins du temps médical et de leur permettre de se concentrer sur leur valeur ajoutée. C'est pourquoi j'ai permis aux pharmaciens de vacciner – heureusement que les pharmaciens ont pu vacciner pendant l'épidémie de covid ! J'ai également délégué la prescription des antibiotiques aux pharmaciens, et nous avons créé les infirmiers en pratique avancée pour prendre en charge les malades chroniques.

Enfin, concernant la crise des urgences, le pacte de refondation des urgences comportait des mesures multiples, dotées de 750 M€. Il n'a pas été mis en œuvre, non pas pour des raisons budgétaires mais en raison de la survenue de la covid – les professionnels avaient autre chose à faire. J'ai ajouté 1,5 Md€ de délégation financière pour l'hôpital, dans le cadre du plan « Investir pour l'hôpital » présenté en novembre 2019. Nous étions donc en train de déployer les moyens quand la covid-19 est apparue, percutant tout ce que nous avions commencé à construire.

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