La séance est ouverte à onze heures six.
Nous entamons aujourd'hui avec Jean-Charles Larsonneur et Jean-Louis Thiériot la restitution des travaux des cinq missions d'information lancées en novembre dernier.
Conformément à la nouvelle règle adoptée par le bureau, vous avez tous reçu le projet de rapport. Je tiens à remercier les rapporteurs pour leur respect de cette nouvelle règle. J'espère que cette transmission préalable favorisera une interactivité renforcée avec des échanges plus nourris et plus denses.
Concernant le thème de cette mission d'information, le bureau de la commission a fait preuve de perspicacité en proposant cette mission en fin d'année dernière. Force est de constater que le rôle de l'industrie de défense en Europe s'est imposé dernièrement comme un thème majeur du débat public, en lien bien évidemment avec la situation en Ukraine et notre capacité à soutenir les forces ukrainiennes.
De nombreux débats ont également eu lieu ces dernières semaines sur l'acquisition par les Européens de matériels militaires extra-européens et depuis novembre dernier, l'actualité sur le sujet qui intéresse la mission d'information a été foisonnante. Ainsi, la Commission européenne a publié sa première stratégie industrielle européenne de défense ( european defence industrial strategy – Edis). Il y a aussi eu l'annonce d'un projet de fusion entre Arquus et John Cockerill et d'un partenariat entre KNDS et Leonardo dans le secteur terrestre.
Par ailleurs, la phase 1A du projet main ground combat system (MGCS) avance comme en témoigne la visite récente du ministre de la défense allemand, Boris Pistorius, à l'hôtel de Brienne. Enfin, des ventes majeures d'équipements à nos partenaires européens ont été annoncées, comme le sous-marin Barracuda de Naval Group aux Pays-Bas.
Messieurs les rapporteurs, vous avez mené des travaux denses, avec près d'une cinquantaine d'auditions à Paris et une trentaine d'entretiens à l'étranger lors de vos déplacements à Stockholm, Rome et Varsovie. Votre rapport est riche, avec un diagnostic précis de la situation actuelle de l'industrie de défense en Europe et de nombreuses propositions concrètes et détaillées qui s'apparentent à un véritable plan d'action en faveur de l'industrie de défense en Europe.
Je note que le titre de votre mission d'information est formulé sous forme de question. Ma question sera donc simple : l'industrie de défense en Europe contribue-t-elle à l'autonomie stratégique en Europe ? Le cas échéant, comment renforcer cette contribution ?
Je vous remercie, Monsieur le président, pour votre introduction. Cette mission a été dense et passionnante, car elle nous a permis de nous pencher sur des enjeux stratégiques actuels et sur les défis que notre continent doit relever. L'Europe se trouve à un tournant de son histoire.
La guerre en Ukraine marque évidemment la fin des illusions collectives qui nous ont bercés depuis la chute du mur de Berlin : l'illusion d'un monde durablement pacifié sous l'effet d'une sorte de mondialisation heureuse ; l'illusion d'un monde où l'Europe imposerait un modèle de démocratie libérale par la seule attractivité de son soft power fondé sur le marché et le droit ; l'illusion d'un monde où il n'était plus nécessaire d'investir dans son outil de défense compte tenu de la disparition durable – pensait-on – de toute menace existentielle sur notre continent ; l'illusion, enfin, d'un monde où l'aggravation de nos dépendances stratégiques nous était presque indifférente parce que seul comptait sans doute le bien-être du consommateur érigé en horizon ultime des politiques européennes.
La guerre en Ukraine a sonné comme un réveil brutal pour nous, les Européens. Nous avons pris conscience que pendant que nous nous glorifiions des dividendes de la paix, nos compétiteurs se réarmaient massivement. Les dépenses de défense de la Chine ont augmenté de 600 % entre 1999 et 2021 et celles de la Russie de 300 %, alors que celles de l'Europe n'ont augmenté que de 20 %. Nous avons pris conscience que nos dépendances industrielles, énergétiques et alimentaires constituaient autant de sources de vulnérabilités vis-à-vis de nos compétiteurs. Enfin et surtout, nous avons constaté que des décennies de sous-investissement dans notre outil de défense avaient un prix, en l'espèce l'incapacité d'assumer la sécurité collective de notre continent. L'inadéquation de notre soutien à l'Ukraine l'illustre de façon dramatique. Soutenir l'Ukraine sans affaiblir nos propres armées, telle est l'équation presque insoluble qu'a dû affronter chaque dirigeant européen en raison de la réduction drastique des stocks de nos armées.
Dans ce contexte, l'Europe a deux options. Nous pouvons continuer à déléguer notre sécurité et donc aussi notre prospérité aux États-Unis. Les budgets de défense sont certes en hausse, mais l'Europe se réarme essentiellement à l'heure américaine. Cela revient à aggraver la tutelle américaine et à jouer notre sécurité aux dés à chaque élection américaine. Cela revient aussi à ce que les contribuables européens financent les emplois américains dans l'industrie de défense. Or l'épargne collective européenne largement investie dans des fonds de pension outre-Atlantique finance significativement l'économie américaine et l'Europe devient de plus en plus dépendante du gaz américain. Épargne, gaz et maintenant défense, sont les trois piliers d'une dépendance aux États-Unis qui pourrait devenir durable si nous n'y prenons pas garde.
L'Europe peut aussi choisir – c'est l'option que nous privilégions – d'entamer une mue stratégique et réinvestir avec vigueur sa dimension militaire et de puissance pour construire une véritable autonomie stratégique.
Faut-il parler d'autonomie stratégique européenne, expression franco-française, ou d'autonomie stratégique en Europe ? Peu importe dès lors que nous nous accordons sur les objectifs communs qu'il nous revient de fixer. Il s'agit d'être en mesure de peser sur la sécurité de notre continent pour faire face collectivement à un double défi : à court terme, le défi du soutien à l'Ukraine ; à moyen terme, le défi de l'ambition impérialiste de la Russie dans son combat contre l'Occident global.
Dans ce contexte de l'affirmation d'une Europe puissance, l'industrie de défense a un rôle majeur à jouer. Or la guerre en Ukraine a révélé les carences de l'industrie de défense en Europe. En raison de décennies de sous-investissement et de la baisse des commandes étatiques, les industries de défense européennes n'ont pas été capables de répondre efficacement aux enjeux posés par le soutien à l'Ukraine, à savoir le recomplètement rapide des capacités cédées à l'Ukraine et la livraison de munitions et d'équipements au bénéfice direct de l'Ukraine. L'incapacité de l'industrie de défense européenne à livrer rapidement les matériels demandés explique également que les pays européens se soient tournés vers des pays tiers pour leurs approvisionnements en équipements militaires.
Nous militons donc pour un véritable changement de paradigme de l'industrie de défense européenne. Elle ne peut plus continuer à fonctionner comme elle l'a fait pendant des décennies avec des séries de production limitées, des stocks presque inexistants, une tendance à la sur-spécification des équipements, une indifférence aux délais de livraison, et des coopérations industrielles qui ont pour seul but de faire monter en compétences les industries des pays coopérants.
Le changement de contexte stratégique exige une révolution copernicienne de l'industrie de défense en Europe. Il en va de la crédibilité de notre soutien à l'Ukraine et de notre capacité de découragement à l'égard de la Russie. La profondeur de notre industrie de défense constitue en effet un outil de dissuasion en soi. Nous devons faire de notre base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) un outil de dissuasion économique et industriel pour « gagner la guerre avant la guerre » selon l'expression du chef d'état-major des armées. En outre, tant que les pays européens achèteront auprès des États-Unis, ils ne seront pas maîtres des conditions d'emploi et d'export de leurs matériels.
Nous avons identifié quatre grandes faiblesses structurelles de l'industrie de défense en Europe.
La première faiblesse est bien connue, c'est sa fragmentation. L'industrie de défense européenne n'existe pas, il n'existe que des industries de défense en Europe. Cette fragmentation se matérialise de plusieurs manières.
Tout d'abord, la plupart des champions européens manquent de taille critique par rapport à leurs grands concurrents, notamment américains. Ainsi, les trois premières entreprises américaines de défense génèrent plus de chiffre d'affaires que toutes les entreprises européennes classées dans le top 100 mondial des entreprises de défense. Il n'y a qu'une seule société européenne dans les dix premières entreprises de défense au monde, elle est britannique.
La seconde caractéristique de cette fragmentation est la forte duplication des systèmes d'armement. L'Europe compte près de 180 types d'armements militaires majeurs contre 30 pour les États-Unis. Cette duplication s'explique par un trop grand nombre d'industriels européens qui interviennent sur les mêmes segments capacitaires. Non seulement nous investissons collectivement moins que les États-Unis dans nos équipements militaires, mais en outre cet investissement est dispersé sur de multiples plateformes. Cette dispersion est préjudiciable sur le plan opérationnel et sur le plan économique.
Cette fragmentation de l'industrie de défense se matérialise aussi par l'hétérogénéité des modèles de base industrielle et technologique de défense (BITD) nationales. Le modèle français d'une BITD qui équipe de façon souveraine son armée sur l'ensemble du spectre capacitaire, ce modèle d'une BITD pourvoyeuse d'autonomie stratégique, est tout à fait singulier en Europe. Au Royaume-Uni et en Allemagne, l'industrie de défense obéit à une logique plus économique que stratégique. Par conséquent, ces pays ont davantage recours aux importations d'équipements militaires que nous et l'État est très généralement moins présent au capital.
Outre sa fragmentation, l'industrie de défense en Europe souffre de décennies de sous-investissement. C'est sa seconde faiblesse structurelle et je souhaiterais mettre en exergue trois éléments importants.
Remettre en marche de lignes de production réduites a minima pendant des années du fait de l'absence de commandes étatiques prend beaucoup de temps. Aujourd'hui, MBDA tente de passer sa production de missiles Mistral de 20 à 40 par mois. C'est un effort louable, mais il faut rappeler que dans les années 1990, avant l'arrêt de la chaîne, la capacité de production était de 400 missiles par mois selon une personne auditionnée.
Ces années de sous-investissement ont surtout affecté les capacités de production des sous-traitants de la supply chain. Pour rappel, il y a environ 4 000 entreprises en France qui travaillent dans le secteur de la défense indépendamment des grands ensembliers. La fragilisation de la supply chain constitue un des grands défis à relever pour produire plus et plus vite.
Par ailleurs, nous avons commis deux grandes erreurs stratégiques dans ce contexte de sous-investissement, dont nous payons le prix aujourd'hui. Il s'agit, d'une part, de l'abandon au niveau national de certaines compétences critiques telles que la filière poudre et, d'autre part, de la promotion d'un modèle basé sur les flux tendus et l'optimisation des stocks qui a obéré durablement la capacité des industriels à remonter en puissance.
Le sous-financement de l'industrie de défense européenne, et notamment de ses petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI), constitue sa troisième faiblesse structurelle. Même s'il y a des améliorations au niveau national, avec notamment la création du « référent défense » au sein des grandes banques, la situation est encore loin d'être parfaite. De plus, le financement en capital des PME et ETI de défense souffre de la réticence très forte des investisseurs institutionnels, qu'ils justifient par le risque réputationnel et les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Au niveau européen, une étude récente de la Commission européenne souligne que deux tiers des PME-ETI de défense sondées connaissent des difficultés pour se financer en capital. La moitié connaît des difficultés de financement bancaire, contre 6,6 % des PME en moyenne en Europe. Le secteur de la défense rencontre donc bien des difficultés particulières. Il s'agit d'un problème majeur qui obère significativement la montée en puissance de ces PME-ETI car sans possibilité de financement extérieur, les investissements dans l'outil de production reposent exclusivement sur les seuls fonds propres.
Enfin, la quatrième faiblesse identifiée réside dans la dépendance de l'industrie de défense envers des pays tiers pour ses approvisionnements stratégiques et dans son exposition aux menaces hybrides. Il faut avoir conscience que l'exploitation de ces dépendances est devenue une véritable arme dans les mains de nos compétiteurs stratégiques, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. Ainsi, la Chine joue un rôle majeur dans les goulets d'étranglement que connaît actuellement la filière obus en Europe. De même, la dépendance des industriels de l'aéronautique au titane russe est critique. En outre, plusieurs événements récents montrent que notre industrie de défense est susceptible de devenir la cible d'actes de sabotage physiques de la part de nos compétiteurs stratégiques.
Ces faiblesses structurelles s'inscrivent au surplus dans un contexte où la compétition entre entreprises européennes de la défense est très forte et a même tendance à s'accroître. Cela tient tout d'abord à la faiblesse de la coopération industrielle. Malgré certaines avancées récentes, seulement 18 % des dépenses d'investissement des États membres sont effectuées de manière collaborative, contre un objectif de 35 %. Ce déficit de coopération industrielle a selon nous pour principale cause les difficultés rencontrées par les programmes de coopération eux-mêmes. Les délais excessifs de ces programmes de coopération peuvent être cités au titre de ces difficultés, de même que les exigences de retour sur investissement des pays participants pour leurs propres industriels. Par ailleurs, la plus-value des coopérations en termes d'harmonisation capacitaire est trop souvent réduite par la volonté des États membres de développer des spécifications purement nationales.
Outre les difficultés rencontrées par les programmes en coopération, la forte concurrence intra-européenne est également liée à l'affirmation de stratégies nationales non coopératives. Le spatial européen en est la première victime.
La réaffirmation des stratégies nationales concurrentes en Europe concerne en premier lieu l'Allemagne. Trois projets de coopération franco-allemands ont été torpillés par l'Allemagne : l'avion de patrouille maritime ( maritime airborne warfare system – MAWS), le standard 3 de l'hélicoptère Tigre et le projet d'artillerie du futur ( common indirect fire system – CIFS).
Il faut aussi signaler le projet de bouclier antimissile european sky shield initiative (ESSI) où l'Allemagne a pleinement su tirer parti du Framework Nation Concept de l'Otan pour s'imposer comme Nation-cadre de ce projet qui rassemble 21 États. Je rappelle que la France n'a pas été associée à ce projet et que celui-ci promeut des systèmes israéliens et américains alors même que notre système franco-italien de défense sol-air SAMP-T aurait pu répondre aux besoins allemands.
À la faveur de la guerre en Ukraine, l'Allemagne porte en outre une stratégie de pénétration des marchés de défense des pays de l'Europe de l'Est et des pays baltes. Cette stratégie d'influence s'appuie notamment sur le projet de déployer une brigade en Lituanie, qui a fortement marqué les esprits dans ces pays à la recherche de réassurance stratégique.
L'Allemagne développe dorénavant une véritable stratégie industrielle de défense pour étendre sa sphère d'influence en Europe. Cela tend à accroître encore davantage la logique compétitive aux dépens de la logique coopérative.
J'aimerais maintenant revenir sur deux conséquences majeures de la guerre en Ukraine pour l'industrie de défense en Europe : notre dépendance accrue envers les pays tiers et notamment les États-Unis ; l'implication croissante de l'Union européenne (UE) dans la politique industrielle de défense.
Il est bien connu que les pays européens ont augmenté significativement leurs dépenses de défense depuis le début de la guerre en Ukraine. Les pays de l'UE ont dépensé plus de 270 milliards dans leur défense en 2023 contre 214 milliards en 2021, soit une augmentation d'environ 26 % en deux ans. Cependant, l'augmentation des budgets de défense n'a que peu bénéficié à la BITDE. Cette tendance n'est pas nouvelle, mais elle a été largement amplifiée par la guerre en Ukraine.
Avant la guerre en Ukraine, 60 % des budgets des pays de l'UE dédiés aux acquisitions d'équipements étaient déjà consacrés aux importations militaires en provenance de pays tiers. Cette proportion est passée à 80 % à la faveur de la guerre en Ukraine. Ainsi, entre janvier 2023 et mars 2024, la Pologne a conclu pour près de 47 milliards de dollars de contrats de vente d'équipements avec le gouvernement américain ( foreign miltary sales – FMS), l'Allemagne en a conclu pour 12 milliards et la Grèce pour 11 milliards. Ces achats européens couvrent tout le spectre capacitaire : avions de chasse, hélicoptères, missiles, chars, défense sol-air, lance-roquettes.
Deux facteurs principaux expliquent cette domination américaine sur le marché européen. Le premier est politique. Pour la majorité des pays européens, la garantie de sécurité américaine reste la pierre angulaire de leur politique de défense. L'achat de matériel américain garantit aussi l'interopérabilité avec l'armée américaine, ce qui constitue un critère majeur pour nombre d'armées européennes.
Le second facteur tient à l'attractivité des FMS qui permettent aux pays européens acheteurs de s'affranchir de toute procédure d'acquisition formelle. C'est un gage de simplicité pour de nombreux pays européens qui n'ont pas tous l'équivalent d'une direction générale de l'armement (DGA). Par ailleurs, le FMS offre la possibilité de puiser les équipements dans les stocks de l'armée américaine, ce qui permet une livraison rapide des premiers exemplaires commandés.
Outre les acquisitions auprès des États-Unis, une autre tendance se dessine, qui est susceptible de mettre à mal l'autonomie stratégique de l'Europe. Il s'agit de la constitution d'une « BITD transatlantique », à travers une interpénétration croissante des BITD américaine et européenne.
Les deux plus grands industriels de défense européens, BAE Systems et Leonardo, sont très dépendants du marché américain. Ils sont également sous-traitants de l'industrie américaine, notamment pour le F-35. Parallèlement, les fonds américains investissent de plus en plus sur le marché européen. Enfin, les industriels américains dont les chaînes de production sont saturées tendent de plus en plus à confier aux industriels européens la sous-traitance de leurs produits. Cela crée certes des emplois en Europe, mais faire de la sous-traitance de produits américains l'horizon ultime de l'industrie de défense en Europe, c'est renoncer à toute autonomie stratégique pour notre continent.
Il faut aussi signaler l'apparition de nouveaux acteurs sur le marché européen. L'exemple le plus frappant est le marché conclu en 2022 par la Pologne avec la Corée du Sud, pour plus de 1 000 chars d'assaut, près de 700 canons automoteurs, 300 lance-roquettes et 50 avions de chasse.
Deux facteurs expliquent ce marché. Le premier, c'est la rapidité de livraison. Dans un contexte d'urgence pour la Pologne face à la menace russe, les industriels européens et même américains étaient incapables de livrer dans les délais exigés. La Corée du Sud le pouvait, en prélevant sur les stocks abondants de son armée. Le second facteur, c'est l'importance des compensations industrielles proposées par les Coréens dans un contexte où les Polonais souhaitent ardemment faire monter en puissance leur propre industrie de défense.
J'aimerais maintenant revenir sur la seconde conséquence du conflit pour la BITDE, à savoir l'implication croissante de l'UE en matière de politique industrielle.
Avant la guerre en Ukraine, ce rôle était assez restreint et se limitait principalement à deux axes : l'harmonisation du marché intérieur de défense à travers les procédures de passation de marché, qui a abouti à des résultats plutôt mitigés ; le soutien à la recherche et au développement à travers le Fonds européen de la défense (FED). Plus d'une centaine de projets ont été sélectionnés et nous pouvons nous réjouir que les industriels français soient à ce jour les premiers bénéficiaires de ce dispositif. Plusieurs personnes auditionnées ont cependant mis en exergue un certain nombre de lacunes du FED : des critères de sélection pas toujours très lisibles, un risque de saupoudrage de crédits sur de trop nombreux projets avec des acteurs trop nombreux, une perspective capacitaire pas toujours évidente, une remise en compétition systématique à chaque nouvelle phase des projets. Ce sont les principaux griefs émis à l'encontre du FED.
Depuis la guerre en Ukraine, l'action de l'UE ne s'est plus limitée au soutien à la R&D et a investi d'autres champs de la politique industrielle, avec notamment plusieurs dispositifs d'urgence qui ont été mis en place ces derniers mois.
Le plan munitions de mars 2023 constitue le premier de ces dispositifs d'urgence. Son objectif était de livrer un million d'obus à l'Ukraine en un an. Si l'objectif n'a pas été atteint (environ 500 000 munitions ont été livrées dans le cadre de ce dispositif), cela ne doit pas masquer l'augmentation notable de la capacité de production des munitionnaires européens qui a doublé en un an. Nous sommes aujourd'hui capables de produire collectivement un million de munitions par an, avec l'objectif d'atteindre deux millions d'ici fin 2025.
Pour soutenir cette augmentation de la capacité de production de munitions, l'UE a créé le dispositif « acte de soutien à la production de munitions » (ASAP) qui subventionne à hauteur de 500 millions d'euros des actions pour réduire des goulets d'étranglement dans le domaine des poudres et des explosifs. Même si le montant n'est pas à la hauteur de l'enjeu, le dispositif ASAP doit être salué car il répond à un véritable enjeu dans le contexte stratégique actuel.
Enfin, l'UE a créé un troisième mécanisme dit Edirpa (règlement visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes), dont l'objectif est d'inciter aux acquisitions conjointes d'équipements militaires par au moins trois États membres. Edirpa pêche cependant par la faiblesse de son budget (300 millions d'euros) et par la lenteur de sa mise en oeuvre. En outre, les produits qui peuvent bénéficier des financements d'Edirpa peuvent intégrer jusqu'à 35 % de composants hors UE. Cela peut répondre à une forme d'urgence, mais ce n'est pas forcément cohérent avec la volonté de renforcer l'autonomie stratégique européenne.
Au-delà de ces dispositifs d'urgence, la Commission européenne veut désormais passer à un soutien structurel et pérenne de l'industrie de défense en Europe. Tel est l'objet de la stratégie pour l'industrie de défense européenne publiée en mars. Cette stratégie est déclinée dans le projet de règlement dit « programme européen d'investissement dans le domaine de la défense » ( european defence industry programme – Edip) qui pourrait être adopté d'ici la fin de l'année 2024.
Cette stratégie est une véritable rupture dans la mesure où l'UE propose de créer de nouveaux instruments et de nouveaux vecteurs, tels qu'un mécanisme européen de ventes militaires inspiré du FMS américain. Elle propose également d'instaurer un conseil de préparation industrielle dans le domaine de la défense ainsi qu'une nouvelle structure juridique pour soutenir les coopérations industrielles, et d'établir des mesures d'urgence en cas de crise d'approvisionnement.
Cependant, cette nouvelle ambition de l'UE soulève de nombreux points de vigilance. Il faudra veiller en premier lieu à ce que le financement soit à la hauteur de l'enjeu. Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le cas puisque seulement 1,5 milliard d'euros sont fléchés dans le cadre d'Edip entre 2025 et 2027.
Ensuite, il y a un véritable enjeu en termes de gouvernance, s'agissant de l'articulation entre les nouveaux acteurs institués par Edip et ceux déjà existants. Le risque est grand de créer une nouvelle « usine à gaz », alors que le paysage institutionnel de l'Europe de la défense gagnerait à être rationalisé.
Enfin, le troisième et dernier enjeu est le risque de communautarisation rampante de la politique de défense. Il existe en effet une tentation de la Commission de s'arroger de nouveaux pouvoirs à la lisière ou en marge des traités, à la faveur de l'augmentation de financements européens au financement de l'industrie de défense. Nous pensons donc qu'il convient de surveiller cette tendance de très près, notamment dans un contexte où la création d'un commissaire européen de la défense ou à l'industrie de défense est évoquée.
À ce stade, il est difficile d'envisager un commissaire européen à la défense. Les traités prévoient en effet explicitement que cela relève de la compétence du Conseil. La défense n'est pas actuellement dans les compétences de la Commission.
Mes chers collègues, je crois que vous avez tous bien noté le constat assez pessimiste que nous faisons. L'industrie de défense européenne a été dimensionnée pour les temps de paix et ses carences ont été révélées et amplifiées par le conflit en Ukraine. Il existe à terme un risque de marginalisation et d'inféodation au complexe militaro-industriel américain, certains acteurs européens choisissant délibérément de devenir des sous-traitants de l'industrie américaine.
L'enjeu est donc lourd. Il s'agit de changer de modèle pour que l'industrie de défense en Europe soit en mesure de jouer pleinement son rôle dans l'autonomie stratégique de notre continent.
Je souhaiterais maintenant aborder nos recommandations, en me concentrant sur celles qui nous semblent les plus structurantes.
Le premier chantier vise à lever les obstacles aux coopérations industrielles. Malgré leurs limites actuelles, elles restent utiles pour renforcer notre autonomie stratégique. À cet égard, le contrôle des exportations est l'un des principaux irritants des coopérations. Il faut être clair, aucun industriel ne s'engagera dans le développement du système de combat aérien du futur (SCAF) ou du MGCS s'il ne peut pas exporter ses systèmes à d'autres pays que ceux de l'Otan. Il est donc impératif de sécuriser juridiquement l'accord de 2019 entre la France, l'Allemagne et l'Espagne sur le contrôle des exportations. Une piste pourrait être de préciser et d'encadrer la notion d' « atteinte aux intérêts directs » et d' « atteinte à la sécurité nationale », qui permettent à un État de s'opposer à la demande de licence d'exportation d'un autre État. Ces notions ne sont pas précisées dans l'accord actuel, ce qui est une source d'insécurité juridique majeure.
En ce qui concerne la conduite des programmes en coopération, il faut systématiquement appliquer le principe du best athlete et cesser de considérer les coopérations comme un outil pour développer les compétences de ses industriels nationaux sur un segment donné.
Le principe du retour géographique doit également être supprimé ou fortement aménagé dans le cadre de l'Agence spatiale européenne. Il est trop préjudiciable à la compétitivité du secteur spatial européen et met en danger, à terme, notre autonomie d'accès à l'espace. Si cette réforme n'est pas possible dans le cadre de l'ESA, il faudra s'interroger sur le développement de projets spatiaux en dehors de ce cadre.
Favoriser les coopérations, c'est également soutenir les consolidations industrielles. L'industrie européenne souffre de sa trop grande fragmentation alors qu'elle fait face à une compétition croissante des acteurs non européens. Il est donc impératif de favoriser les processus de consolidation en cours, notamment dans le secteur terrestre. Cette consolidation n'est en aucun cas un renoncement à notre souveraineté. Le bon modèle pour cette consolidation à venir de l'industrie de défense est probablement MBDA, qui permet une intégration industrielle poussée, tout en préservant la souveraineté des États concernés.
Favoriser les consolidations, c'est aussi ne pas instrumentaliser le régime de contrôle des investissements étrangers quand il s'agit d'une société européenne.
Le financement de l'industrie de défense constitue le second chantier. Il faut lutter contre les pratiques contestables des acteurs privés. Nous proposons à ce titre d'initier au niveau européen une réflexion sur la possibilité d'interdire aux acteurs financiers de discriminer le secteur de la défense dans leur politique d'investissement. Il convient également de proscrire la notion d'« armes controversées » utilisée à tort et à travers par les acteurs financiers, notamment pour exclure des financements les industriels impliqués dans notre dissuasion nucléaire en invoquant le traité sur l'interdiction des armes nucléaires (Tian). Or, il n'y a pas d'« armes controversées ». Il y a des armes autorisées ou il y a des armes interdites.
Le deuxième acte de la politique de financement que nous proposons concerne la Banque européenne d'investissement (BEI). L'exclusion actuelle des armes et munitions de l'admissibilité au financement de la BEI, au même titre que le « tabac », les « jeux de hasard » ou « le commerce du sexe » - je cite les documents internes de la BEI - est injustifiable dans le contexte stratégique actuel. La BEI a pour mission de financer les priorités de l'UE. Le soutien à l'industrie de défense est actuellement une priorité majeure de l'UE, donc la BEI doit financer l'industrie de défense européenne. C'est aussi simple que cela. Plutôt que de s'abriter derrière les préjugés des investisseurs envers le secteur de la défense, la BEI devrait montrer l'exemple. C'est ce qui est attendu d'une institution publique. Ce changement de politique de la BEI constituerait un signal stratégique fort à l'égard de l'ensemble des acteurs du monde financier.
Enfin, le troisième axe de réforme à ce sujet est de promouvoir de nouveaux financements au niveau européen. Le déficit de financement en capital des PME et ETI de défense pourrait être résorbé par la création d'un fonds de fonds. L'UE a déjà lancé une initiative avec la BEI en ce sens, mais il est limité aux biens à double usage et son montant est trop modeste. Il faut aller plus loin.
Surtout dans le prochain cadre financier pluriannuel de l'UE, le soutien à l'industrie de défense devra être une des grandes priorités européennes. Le commissaire Thierry Breton a évoqué un fonds de 100 milliards d'euros, soit 15 milliards par an, ce qui est inférieur aux commandes annuelles de la DGA au bénéfice de notre BITD. Ce n'est donc pas démesuré. À titre de comparaison, le plan Next Generation EU, mis en place dans le cadre de la crise Covid, a représenté plus de 750 milliards d'euros. Or la menace sécuritaire actuelle nous semble aussi critique voire plus que la menace sanitaire à cette époque. Il faudra cependant veiller à ce qu'un tel fonds soit piloté dans un cadre intergouvernemental sur le modèle de la Facilité européenne pour la paix (FEP), l'intergouvernemental étant ce qui pilote la défense.
Au niveau national, il y a urgence à créer un mécanisme permettant de flécher l'épargne collective vers le financement de l'industrie de défense. Le livret A est une piste parmi d'autres, mais je pense aussi aux fonds Tibi qui mobilisent l'épargne des investisseurs institutionnels, vers les entreprises de technologie ou encore au plan d'épargne en actions (PEA) PME.
Le troisième volet de nos recommandations porte sur la nécessité d'une nouvelle ambition pour les instruments européens. Il convient tout d'abord de réformer le FED en promouvant une meilleure adéquation entre les besoins capacitaires des États membres et les projets financés par le FED. Le FED pourrait utilement financer des briques technologiques de programme en coopération, tels que le SCAF ou le MGCS, plutôt que de lancer des initiatives parallèles dont personne ne voit les débouchés programmatiques, tels que le future main battle tank (FMBT).
Le fonctionnement du FED pourrait également être amélioré en privilégiant la voie d'attribution directe pour les phases suivantes d'un projet déjà lancé ou encore, en instaurant la possibilité d'un dialogue constructif entre industriels et experts-évaluateurs.
Nous proposons enfin de réintégrer le Royaume-Uni au sein du FED en échange de sa participation au financement.
L'autre volet des instruments européens concerne le projet de règlement Edip. Nous proposons qu'Edip soit le vecteur d'affirmation d'une véritable préférence européenne. Cela demande d'établir des critères d'éligibilité stricts et d'exclure des financements européens les sociétés contrôlées par des sociétés hors de l'Union européenne et les produits qui ne sont pas conçus, développés et fabriqués en Europe. Nous proposons également d'exclure des financements européens les sociétés qui produisent des équipements de pays tiers sous licence. Les financements européens doivent être réservés aux sociétés qui promeuvent l'autonomie stratégique en Europe et non la sous-traitance de puissances tierces.
Une préférence européenne, c'est aussi inciter les États à acheter européen. Il faut faire d'Edip un véritable Buy european act, en créant un système de bonus-malus en fonctiond de la proportion d'acquisition d'équipements militaires à des pays tiers. Il faut également prioriser les financements sur les segments où il existe un risque fort de dépendance à l'égard des pays tiers. Edip pourrait ainsi aider à reconstituer en Europe des filières d'approvisionnement critiques pour notre industrie de défense. Enfin, il est nécessaire que la Commission lutte davantage contre le recours abusif de certains États européens aux FMS américains, en contournement de la directive 2009/81.
Le dernier axe de nos recommandations porte sur les moyens de renforcer la contribution de la BITD française à l'autonomie stratégique en Europe. Notre BITD est encore trop largement dépendante du grand export. Nos recommandations à cet égard portent sur trois volets.
Tout d'abord, il est nécessaire d'adapter notre outil de production aux exportations. Nous proposons de créer un contrat de gouvernement à gouvernement pour répondre à la demande des pays européens.
Nous proposons aussi de tester sur un certain nombre de segments un mécanisme de « commandes surnuméraires » destiné à l'export. Ce mécanisme consisterait à commander davantage que ce qui est prévu pour nos propres armées afin de pouvoir livrer les équipements très rapidement à l'export. La rapidité de livraison est en effet devenue un des critères clés pour les États dans leur politique d'acquisition.
Le critère de l'exportabilité de nos équipements doit également être rehaussé lors de la phase de conception de nos équipements. Nous développons trop souvent des équipements sur-spécifiés qui correspondent trop peu aux besoins de nos partenaires européens. La question se pose enfin de savoir s'il ne faut pas réinterroger certains abandons à l'aune du retour d'expérience de la guerre en Ukraine. Je pense par exemple au segment des véhicules chenillés qui fait l'objet d'une forte demande de nos partenaires européens, alors que la France a fait le choix du segment des véhicules à roues.
Enfin, nous proposons de développer et diversifier nos partenariats en Europe. Nous sommes revenus de nos déplacements à Varsovie et à Stockholm, très confiants sur les perspectives de coopération avec ces deux pays.
En conclusion, nous militons pour un véritable changement de paradigme.
Lever les obstacles aux coopérations et consolidations industrielles.
Faire de l'industrie de défense un secteur prioritaire pour nos financements publics et privés.
Assumer une véritable préférence européenne, pour réduire nos dépendances.
Veiller à ce que la défense de l'Europe ne soit pas communautarisée, mais demeure intergouvernementale, dans le cadre du Conseil, en s'appuyant sur des outils comme l'agence européenne de défense.
Renforcer la contribution de notre BITD nationale à l'autonomie stratégique en Europe.
Toutes les mesures que nous proposons n'ont qu'une seule finalité.
Que la France et l'Europe ne laissent pas la sécurité de nos enfants dépendre du bon vouloir des électeurs des swing states américains.
Que la France et l'Europe participent pleinement à la défense du « monde libre » contre les empires autoritaires toujours plus menaçants.
Que la France et l'Europe restent, en somme, des acteurs de l'Histoire et n'en deviennent pas les témoins tremblants.
Nous vous remercions pour votre écoute attentive et sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci pour votre travail puissant, pertinent et collégial. Nous passons maintenant passer aux interventions des orateurs de groupes.
Cette présentation percutante illustre notre volonté commune de renforcer notre autonomie stratégique et notre capacité de défense.
Lors de son discours à la Sorbonne, le Président de la République, a souligné l'importance de transformer l'urgence du soutien à l'Ukraine en effort de longue durée. Il a proposé une réforme significative de la Facilité européenne pour la paix, principal instrument de soutien à l'Ukraine. Le Président a également insisté sur la nécessité de créer des champions européens capables de rivaliser avec nos concurrents.
Dès lors, je souhaite revenir sur le rôle stratégique du missilier MBDA. OneMBDA incarne en effet une intégration binationale réussie. Cette intégration témoigne d'une démarche de convergence fructueuse.
Dans cette même logique, la question de la conciliation des aspirations commerciales allemandes et des impératifs stratégiques français au sein de KNDS se pose. Pour la France, il s'agit de mobiliser une organisation industrielle capable de s'adapter rapidement aux exigences du moment, afin de privilégier la raison d'État au-delà de la seule efficience économique. En Allemagne, la commande publique a traditionnellement servi à soutenir l'industrie de l'armement face à la concurrence. Les succès commerciaux seront-ils suffisants pour assurer cette convergence, ou devrons-nous repenser les modèles de coopération et d'intégration industrielle pour mieux répondre au défi de l'autonomie stratégique européenne ?
Je suis convaincu que OneMBDA est un modèle d'intégration industrielle en Europe. Il s'appuie sur des programmes conjoints et partagés entre différents États membres, y compris ceux qui ne font plus partie de l'Union, comme le Royaume-Uni. Il y a une logique capacitaire qui est au cœur de la démarche, et c'est fondamental.
MBDA est souvent cité comme un exemple à suivre dans d'autres domaines tels que le secteur terrestre. Son succès repose sur des fondamentaux solides et un sentiment d'appropriation des États membres. Chaque État a le sentiment d'œuvrer pour sa propre industrie et son emploi.
Au nom du groupe Rassemblement National, nous tenons à vous remercier pour ces mois de travail.
Nous réaffirmons notre attachement à la sauvegarde et à la consolidation de l'industrie de défense qui doit avant tout assurer notre autonomie stratégique nationale avant de contribuer à l'autonomie stratégique européenne.
Si nous sommes en accord avec votre position sur le risque de communautarisation de la défense, nous avons cependant quelques interrogations sur les conclusions de votre rapport, notamment sur l'absence de mesures de précaution pour la protection de notre BITD.
Par ailleurs, les risques inhérents à la coopération internationale en matière d'intelligence économique sont indéniables, mais cette coopération peut aussi comporter des dangers. La relation franco-allemande en est un exemple éclairant.
Les risques liés à la cybersécurité, à la guerre de l'information, aux normes juridiques ou aux pratiques offset doivent être pris en considération. À cet égard, comment appréhendez-vous les normes international traffic in arms regulations (Itar), qui permettent aux États-Unis de contrôler les exportations de matériel militaire français et européen sous prétexte de lutte contre la propagation des armes dans le monde ?
Ensuite, comment pouvons-nous augmenter notre indépendance en matière de fourniture de matières premières, alors que l'Union européenne dépend à 97 % des approvisionnements extérieurs ?
Enfin, comment envisagez-vous de concilier les besoins capacitaires de nos armées avec les commandes surnuméraires que vous évoquez alors que notre BITD rencontre des difficultés pour augmenter sa production ? Quels segments vous semblent pertinents pour bénéficier de ces commandes ?
Concernant les risques associés aux coopérations ou aux consolidations au sein de l'Union européenne, nous disposons d'un outil national, le contrôle des investissements étrangers en France (IEF). Cet outil permet de superviser et de contrôler les prises de participation étrangères qui pourraient être contraires aux intérêts nationaux. Il offre également la possibilité d'imposer certaines conditions ou règles lors d'une acquisition.
Au sujet de l'Allemagne, il faut rappeler que c'est une grande puissance au cœur de l'Europe qui se trouve un peu plus près que nous d'une éventuelle ligne de front. C'est un allié historique, mais aussi un compétiteur avec ses propres intérêts de puissance. L'enjeu pour notre pays est de défendre aussi dans le cadre de négociations fermes ses intérêts de puissance.
Il n'y a pas de couple franco-allemand, mais un partenariat qui doit s'inscrire dans une logique gagnant-gagnant. Dans ce contexte, un certain nombre de sécurisations s'imposent sur les exportations ou les droits de propriété intellectuelle.
À propos d'Itar, nous devons nous efforcer de conserver une liberté de manœuvre. Nous devons être le moins dépendants possible des produits Itar, et c'est justement ce que doit permettre l'autonomie stratégique de l'Europe.
Sur les dépendances, l'un des moyens de les réduire consiste à agir au niveau européen. Si nous devions recréer des capacités de production en semi-conducteurs, la France n'aurait pas les budgets pour le faire seule.
En ce qui concerne les commandes surnuméraires et la BITD, de nombreux industriels se plaignent que les commandes nationales ne sont pas suffisantes. Des commandes qui les sécuriseraient et qui auraient vocation à être exportées seraient dans l'intérêt de tout le monde.
Mon groupe partage une grande partie du diagnostic que vous avez posé, ainsi qu'un certain nombre de propositions que vous avez formulées.
Cependant, je voudrais attirer votre attention sur le cas particulier de l'Allemagne. Bien que nous soyons d'accord sur l'essentiel du diagnostic, il me semble que cette prise de conscience arrive un peu tardivement compte tenu des alertes qui ont été émises pendant des années, y compris durant le mandat précédent. Ainsi en septembre 2018, nos collègues Bastien Lachaud et Jean-Luc Mélenchon ont publié une tribune dans laquelle ils soulignaient que l'Allemagne avait décidé de se doter du dernier attribut de la puissance qui lui manquait, la puissance militaire et diplomatique.
Concernant le projet de MGCS, nous avons défendu une position claire indiquant que Rheinmetall et l'Allemagne nous mettaient dans une situation dangereuse. Cet avertissement n'est toujours pas entendu aujourd'hui alors même que vous relevez que Rheinmetall développe une stratégie alternative avec la Hongrie et dispose d'un plan B avec le Léopard.
Je voudrais également souligner quelques contradictions dans votre raisonnement. La question de la dépendance et de la supply chain est fondamentale, mais elle n'est pas nouvelle et n'est pas liée uniquement à la répartition des ressources naturelles dans le monde. Elle est aussi le résultat de nombreuses années de travaux et d'actions des promoteurs de la mondialisation heureuse. Or certaines forces politiques dans notre assemblée ont été les agents de cette mondialisation pendant de nombreuses années.
Enfin, je voudrais vous poser une question sur le concept de smart defence (défense intelligente) de l'Otan. Quels ont été selon vous les effets de ce concept sur la BITDE ? La logique de mutualisation qui présidait au concept de smart defence en 2012 a-t-elle contribué à l'affaiblissement des BITD nationales ?
Concernant l'Allemagne, je peux vous assurer que de nombreux députés de cette commission, y compris vos rapporteurs, ont été vigilants depuis l'origine.
Sur les approvisionnements, je tiens à souligner que l'Europe ne dispose pas de beaucoup de ressources. Nous avons du bois, des terres agricoles, un peu de lignite et c'est à peu près tout. Nous sommes extrêmement dépendants des ressources fossiles, d'où l'effort salutaire de la France sur le nucléaire. Nous sommes presque totalement dépendants pour les matières rares et les approvisionnements critiques. Le facteur géographique est quand même un facteur déterminant et critique pour l'Europe aujourd'hui et seule une action déterminée de manière intergouvernementale ou communautaire peut nous permettre de sortir de cette situation. Sinon, je suis profondément convaincu que nous risquons de sortir de l'Histoire.
Il me semble par ailleurs que cela fait un moment que la Commission et la France sont sorties du paradigme de la mondialisation heureuse. La politique commerciale extérieure de l'UE a changé en partie grâce au rôle moteur de la France.
Concernant le rôle de l'Otan et ses nouveaux projets, notamment son désir de se positionner en tant qu'agence d'acquisition, nous observons une montée en puissance dans des secteurs ciblés. Il nous faut être vigilants car notre priorité n'est pas de renforcer une agence de programme et d'acquisition au niveau de l'Otan, mais plutôt de valoriser les outils européens comme l'Organisation conjointe de coopération en matière d'armement (Occar) et l'Agence européenne de défense (AED).
Je tiens à souligner l'excellence du rapport présenté. J'aimerais apporter une remarque, un témoignage et une proposition.
M. le rapporteur Larsonneur a estimé que peu importait que l'on parle d'autonomie stratégique européenne ou d'autonomie stratégique en Europe. Il me semble au contraire que c'est fondamental car l'Europe fédéraliste, je n'en veux pas.
Ensuite, j'aimerais partager un témoignage à la suite d'un déplacement effectué avec le groupe d'amitié France-Allemagne. Nous avons été reçus par Thomas Hitschler, ministre délégué allemand de la défense et plusieurs collègues ont noté à cette occasion un changement dans le discours sur le financement des PME et des ETI. C'est aussi devenu un problème en Allemagne.
Enfin, je propose que votre rapport soit traduit dans toutes les langues européennes afin de partager notre vision. De plus, j'aimerais savoir si d'autres parlements européens ont mené le même travail que vous.
Je dois admettre que nous ne regardons pas suffisamment les travaux des autres. Il est évident que nous manquons d'une connaissance du tissu industriel américain ainsi que de nombreuses BITDE.
En ce qui concerne la question du lexique, je n'ai pas voulu m'appesantir sur une querelle de langage dans un exposé liminaire. J'ajoute que nous avons rappelé à de multiples reprises qu'en l'état des traités, nous défendions clairement l'intergouvernemental dans le cadre du Conseil. Il me semble que notre ligne est assez claire.
Il est clair que le terme d'autonomie stratégique européenne a pu créer un trouble dans certains pays européens qui y ont vu une volonté française de remplacer l'Otan par une autonomie stratégique européenne. Si nous voulons être entendus dans différents pays européens, il est évident que le terme autonomie stratégique de l'Europe est plus approprié.
En ce qui concerne nos amis allemands, ils sont effectivement confrontés au même défi que nous. Ils rencontrent les mêmes problèmes, en particulier en ce qui concerne les critères ESG. Toutefois, une différence notable réside dans le soutien qu'apportent les banques régionales aux usines de leur territoire.
Le groupe Modem se félicite de cet excellent rapport, riche en analyses et propositions.
L'Europe, et plus particulièrement la France, a longtemps eu des besoins limités en matière militaire. La lutte contre les groupes terroristes et le risque de conflits de haute intensité imposent désormais des besoins bien différents.
Le retour d'un conflit de haute intensité sur le territoire européen a mis en lumière nos défaillances. Nous avons des capacités limitées de production au sein de l'industrie de défense et nous sommes dépendants de pays situés en dehors de l'Europe.
Je souhaiterais donc vous questionner sur la notion de profondeur stratégique à l'échelle européenne, en mettant l'accent sur nos capacités de remobilisation et de densification des capacités industrielles. Pourriez-vous nous éclairer davantage sur ce sujet ?
Je pense que l'ensemble de notre rapport est une réponse à cette question.
Si nous voulons éviter, quelle que soit l'issue de la guerre en Ukraine, que la Russie n'ait des menées agressives dans les pays baltes, les Balkans, la Moldavie, la Géorgie, etc., l'état de l'industrie constituera un facteur clé. Or, à titre personnel, je doute qu'en restant dans les étiages actuels, même avec l'excellente loi de programmation militaire (LPM) que nous avons votée, même avec les efforts polonais, nous puissions l'en dissuader. En cas d'engagement majeur, nous aurions 20 000 hommes à projeter et en termes de munitions et de matériel, l'attrition serait rapide. C'est insuffisant.
Il est donc nécessaire d'agir ensemble et de ce point de vue, la Commission fait un travail intéressant. Cependant, il manque encore des volumes financiers importants. Par ailleurs, les commandes étatiques sont un sujet clé. Sommes-nous capables d'avoir une industrie qui, en l'absence de commandes, peut rapidement monter en puissance ?
Sur le plan géostratégique, la garantie de notre sécurité reste la profondeur stratégique, y compris dans sa dimension transatlantique. Cependant, à chaque élection américaine, à chaque swing state qui vacille, nous jouons notre sécurité aux dés.
Nous devons renforcer notre industrie de défense rapidement si nous voulons assurer l'existence même de l'Europe et de la démocratie.
Je partage ces propos et j'y ajouterai trois éléments.
Une profondeur stratégique en Europe impose des dépenses. Je rappelle que durant la guerre froide, elles atteignaient environ 3 % du produit intérieur brut dans tous les pays.
Un des éléments pour atteindre ce niveau de 3 % pourrait être d'exclure une partie des dépenses de défense du pacte de stabilité. Plusieurs pays y sont favorables, et même l'Allemagne commence à y réfléchir.
Enfin, sur la profondeur stratégique industrielle, la fragmentation de l'industrie de défense est peut-être un atout. Comme nous avons beaucoup de sites, nous sommes collectivement moins susceptibles d'être victimes de sabotages.
Au nom du groupe Horizons et apparentés, je tiens à souligner la qualité du rapport que vous nous avez présenté. Il est à la fois éclairant et passionnant, et sa présentation dynamique a su captiver notre attention.
Je souhaite revenir sur les défis des coopérations industrielles dans le domaine spatial.
Le 5 mars dernier, l'Assemblée nationale a adopté la proposition de résolution européenne relative à l'adoption d'un règlement européen sur l'espace, actant ainsi la nécessité de renforcer la coopération européenne dans le domaine spatial. Cependant, vous indiquez dans votre rapport que de lourdes divergences existent sur des projets majeurs. Nous regrettons que cette compétition intra-européenne renforce la position dominante des États-Unis, qui concentrent plus de trois quarts des investissements dans l'économie spatiale.
J'aimerais connaître votre opinion, à l'aune des nombreuses auditions que vous avez menées, sur les perspectives de ces coopérations européennes. Pensez-vous qu'à court ou moyen terme, nous puissions apaiser cette rivalité entre pays européens et éventuellement rivaliser avec les États-Unis ?
Je ne suis pas résolument optimiste. Nous nous sommes bercés des illusions de la mondialisation heureuse et nous avons cru que le commerce et la concurrence résoudraient tout. Or nous savons qu'il existe des secteurs stratégiques où la mutualisation et la collaboration sont indispensables pour devenir un acteur majeur. C'est ce qui a notamment permis le succès d'Ariane jusqu'à présent.
J'ai malheureusement l'impression que la mutualisation et la collaboration reculent dans le domaine spatial, avec le risque que cela bénéficie finalement aux États-Unis.
Il faut quand même signaler que pour des lancements institutionnels, l'Europe et les Européens ont recours à SpaceX. Ce n'est pas normal et j'espère qu'il sera possible d'instituer une préférence européenne à moyen terme.
Concernant le segment des lanceurs lourds, il ne devrait pas y avoir de concurrence intra-européenne. Par contre sur les autres segments, il est permis d'être inquiet.
Nous partageons l'essentiel du diagnostic, mais pas l'ensemble des propositions, notamment parce qu'une ambiguïté persiste sur la capacité à porter une préférence européenne lorsque le terme de « communautarisation rampante » est employé. C'est clairement une dévalorisation du terme de communautarisation.
Cependant, il est indéniable que la stratégie et les intérêts américains vis-à-vis du continent européen changent profondément. Cela doit nous conduire à nous interroger sur l'avenir de l'Otan et sur notre intégration en son sein, quels que soient les résultats des élections américaines.
Par ailleurs, nous savons que certains pays européens sont inquiets de cette idée d'une défense européenne. Néanmoins, nous ne pouvons ignorer que nous sommes confrontés aux mêmes enjeux et que nous agissons pourtant de manière isolée. L'intergouvernementalité est utile, mais elle ne peut pas être une règle absolue, au risque d'aboutir à une multiplication d'initiatives concurrentes.
Je souhaite également souligner une autre difficulté non mentionnée, la dépendance de la plupart de nos PME et sous-traitants à un seul donneur d'ordres. Comment y remédier pour éviter que les problèmes d'un grand donneur d'ordre n'entraînent une perte massive de compétences dans l'ensemble d'un tissu industriel ?
Nous observons que la Commission évolue à la marge, à la lisière des traités, et que c'est une situation juridique délicate. Un commissaire à l'industrie de défense peut rentrer peu ou prou dans le champ du marché intérieur, mais un commissaire à la défense, ce n'est pas dans les traités.
À mon tour, je félicite les deux rapporteurs pour le travail qu'ils ont mené.
Notre groupe soutient pleinement cette volonté d'assumer une préférence européenne. C'est le seul moyen de préserver notre BITD et les centaines de milliers d'emplois qui y sont liés.
Est-ce qu'actuellement les fonds des contribuables européens sont exclusivement fléchés vers les industries européennes ? Plus concrètement, des instruments tels que la FEP peuvent-ils être détournés pour financer des achats d'équipements ou de munitions à des pays tiers ?
Il est important de distinguer l'acquisition d'urgence de l'acquisition de long terme.
C'est l'acquisition d'urgence qui explique qu'une partie des fonds FEP soit utilisée pour l'achat de matériel extracommunautaire. Lorsque les Ukrainiens sont sous les bombes, nous ne pouvons pas les y laisser en attendant que ce soient nos industriels qui fournissent le matériel.
À moyen-long terme, nous souhaitons en revanche que ce qui est financé en Européens soit acheté en Européens. Cela impose de définir une entreprise européenne.
C'est simple lorsque le capital et la direction sont européens. Par contre, qu'en est-il lorsque tout ou partie du capital est étranger, mais que la direction, la conception, la recherche et le développement sont européens ? C'est un vrai débat. Nous devons trouver des outils pour que la possession du capital n'empêche pas une entreprise d'être européenne.
Enfin, je tiens à préciser que les financements n'ont pas vocation à être attribués à des entreprises qui acceptent exclusivement un rôle de sous-traitant. Nous n'avons pas vocation à renforcer indirectement d'autres BITD.
Pour compléter brièvement sur les flux monétaires, il est inadmissible que les Européens paient trois fois. L'épargne française s'investit dans des fonds de pension américains qui s'investissent dans l'industrie américaine, et les Européens achètent du matériel américain. Ce n'est plus possible et nous voulons que l'épargne collective puisse être fléchée vers le financement de l'industrie de défense.
Vous avez évoqué l'autonomie stratégique en Europe. Il est important de souligner que cette autonomie ne se résume pas à la somme des autonomies stratégiques des pays de l'Union européenne. Elle réside également dans notre capacité collective à développer une BITDE.
À cet égard, le mécanisme Edip vise à faciliter et accélérer cette BITDE. Cependant, il n'existe pas de consensus européen sur la définition d'une industrie européenne. Comment pouvons-nous parvenir à entraîner tout le monde dans la direction que nous souhaitons ?
Je voudrais témoigner de la situation industrielle de mon département. C'est un département spécialisé dans la forge traditionnelle, avec de l'estampage et de la fonderie. Avec la transition vers les moteurs électriques, nous rencontrons des problèmes majeurs de production puisqu'un moteur thermique nécessite 200 pièces, tandis qu'un moteur électrique n'en requiert que 100.
Une solution envisageable serait de se tourner vers l'industrie militaire. La DGA a d'ailleurs exprimé son intérêt pour ce que nos entreprises peuvent apporter. En revanche, la question du financement et d‘un soutien financier de l'État (direct ou via la Banque publique d'investissement) est cruciale car certaines productions nécessitent des investissements importants pour une production limitée. Je pense notamment à des pièces spécifiques de véhicules blindés.
Vous soulignez dans votre rapport la nécessité de développer des programmes d'armement en coopération pour réduire les coûts et augmenter la productivité. Cependant, l'histoire de l'aéronautique militaire européenne semble indiquer le contraire.
Ainsi dans les années 1980, les grandes nations européennes ont tenté de se concerter pour définir un avion de combat tactique. La France a choisi de faire cavalier seul, car les spécifications proposées par les Britanniques ne correspondaient pas à ses attentes. Quinze ans plus tard, deux avions ont été produits le Rafale français et l'Eurofighter, construit par un consortium composé du Royaume-Uni, de l'Allemagne, de l'Italie et de l'Espagne. L'Eurofighter s'est révélé être un échec coûteux, malgré sa production dans quatre pays et sur quatre chaînes d'assemblage.
Cette expérience montre que lorsqu'il s'agit d'œuvrer pour l'industrie européenne de défense, le sentiment national prévaut. Ne pensez-vous pas que cette situation pourrait dissuader certains membres de l'Union européenne de développer en coopération des programmes militaires de grande envergure et impliquant plus de deux pays ? Comment éviter qu'une telle situation ne se reproduise ?
Je tiens à saluer le travail accompli sur un sujet aussi difficile et important.
Dès 2017, le Président de la République a fait de l'Union européenne une priorité politique et a érigé l'autonomie stratégique en principe fondamental.
Je partage avec vous de nombreux constats, dont celui que la guerre en Ukraine a été le catalyseur d'un changement de contexte stratégique en Europe. En cette fin d'année 2024, une éventuelle victoire de M. Donald Trump constituerait comme en 2016 un tournant majeur pour l'Union européenne.
J'aurais souhaité connaître votre opinion sur la position adoptée par notre voisin polonais et sur la volonté des pays situés à l'est de l'Union européenne de devenir des acteurs majeurs dans la mise en place d'une véritable capacité de défense européenne.
Je vous confirme que la défense de la position française sur ce qui est européen ou non est un combat qui ne tourne pas toujours à l'avantage de la France au sein du Conseil.
Dans ce contexte, il est peut-être urgent de s'intéresser à des partis qui ont des idées précises sur la manière d'exercer une influence réelle au Parlement européen en matière de défense européenne.
Concernant l'aéronautique, c'est un secteur où la coopération est essentielle. Cette coopération doit cependant reposer sur des besoins et des calendriers convergents. Elle doit aussi tenir compte des coûts accrus de coordination dans les moments de préparation du programme. Quant à la plus-value attendue, il s'agit de la possibilité d'acquérir des technologies qui ne pourraient être acquises en travaillant seul, de disposer d'une flotte plus standardisée et d'une taille critique suffisante pour permettre d'avoir des matériels aux meilleurs niveaux et en quantités suffisantes.
Ainsi la coopération dans le cadre du SCAF est motivée par la difficulté à développer et financer seul un programme de ce type. Il n'est cependant pas certain qu'à l'horizon 2030-2040, pour des raisons de coût notamment, les flottes puissent atteindre un format satisfaisant. Par conséquent, il semble nécessaire de réfléchir dans l'intervalle à des évolutions des équipements existants et de penser à l'exportabilité.
En ce qui concerne la Pologne, je tiens à souligner l'accueil chaleureux que nous avons reçu de nos amis polonais. Il y a un an et demi, lors de ma mission sur la défense sol-air, ils étaient convaincus de l'indéfectibilité de leur lien avec les États-Unis et de la pérennité du parapluie militaire américain. Aujourd'hui, leur discours a changé. Ils sont conscients des effets d'une éventuelle élection de Donald Trump et surtout du pivot américain vers l'Asie. Ils montrent désormais un réel intérêt pour un rapprochement avec les autres pays européens.
La Pologne montre également un intérêt croissant pour une coopération plus étroite avec la France. Une coopération stratégique durable pourrait ainsi être envisagée, ainsi que des perspectives de coopération industrielle, notamment en ce qui concerne les sous-marins de type Scorpène. La Pologne est un grand pays avec une forte tradition industrielle, il est donc essentiel de développer des partenariats plutôt que de simplement vendre nos produits.
Enfin, je souhaite aborder la question de ces PME qui doivent opérer une transition en sortant de l'automobile. Pour y parvenir, il est nécessaire d'avoir une DGA réactive et un financement adéquat.
Je confirme qu'en Pologne, de nombreux interlocuteurs nous ont clairement exprimé leur volonté de développer une autonomie stratégique et une BITD locale. De ce point de vue, le caractère démonstratif de tout ce que nous pourrons faire en termes de présence militaire sur place serait très significatif. Nous voyons en effet qu'en Roumanie et dans les pays baltes, la présence visible d'engins blindés mécanisés est un atout parfois décisif.
Merci, Messieurs les rapporteurs, pour votre important travail. Nous devons maintenant voter l'autorisation de publication de ce rapport.
La commission autorise le dépôt du présent rapport d'information.
La séance est levée à treize heures une.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, M. Benoît Bordat, M. Vincent Bru, M. François Cormier-Bouligeon, M. Olivier Dussopt, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Thomas Gassilloud, Mme Anne Genetet, M. Frank Giletti, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Anne Le Hénanff, Mme Patricia Lemoine, Mme Lysiane Métayer, M. Christophe Naegelen, Mme Anna Pic, M. François Piquemal, Mme Josy Poueyto, Mme Valérie Rabault, M. Julien Rancoule, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, Mme Corinne Vignon
Excusés. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Denis Bernaert, M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, Mme Christelle D'Intorni, Mme Geneviève Darrieussecq, M. Emmanuel Fernandes, M. Jean-Marie Fiévet, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Jacqueline Maquet, M. Olivier Marleix, Mme Alexandra Martin (Alpes-Maritimes), Mme Pascale Martin, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Marie-Pierre Rixain, M. Fabien Roussel, M. Mikaele Seo, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Mélanie Thomin
Assistaient également à la réunion. - M. Pierre Cordier, M. Jean-Jacques Gaultier