La commission procède à l'examen, ouvert à la presse, et au vote sur le projet de loi n° 2253.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président.
La séance est ouverte à 11 h 00.
Mes chers collègues, l'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) et l'Union européenne (UE) et ses États membres.
Si la Commission européenne a initialement développé avec des pays tiers des accords portant sur la concurrence entre acteurs du transport aérien, dits horizontaux, les droits sur le trafic restant de la compétence de ses États membres, elle s'est attachée récemment à développer des accords plus globaux. Ceux-ci visent, lorsqu'ils sont conclus avec les pays du voisinage, à créer des « espaces aériens communs », à la condition d'une reprise substantielle – il me semble à cet égard utile de nous interroger sur la portée de cette notion – des standards communautaires en matière de transport aérien, notamment sur le plan de la sécurité et de la gestion du trafic.
Depuis 2006, des accords de ce type ont ainsi été conclus avec les États des Balkans occidentaux, le Maroc, la Géorgie, la Jordanie, la Moldavie, Israël, l'Ukraine et l'Arménie. Les accords globaux, conclus avec des partenaires plus lointains, visent quant à eux à ouvrir les marchés du transport aérien tout en fixant des règles communes destinées à assurer l'équité entre opérateurs. L'accord avec l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, signé le 17 octobre 2022 à Bali et dont il nous est demandé d'autoriser l'approbation ce matin, relève de cette seconde catégorie.
Cet accord dit de bloc-à-bloc est le plus grand accord aérien conclu à ce jour par l'Union européenne. Il couvre une population de 1,1 milliard d'habitants. Son objectif est de permettre de maintenir et de renforcer la connectivité directe entre les deux régions, la croissance de ce trafic étant, depuis une quinzaine d'années, très largement absorbée par les compagnies des pays du Golfe et de la Turquie via leurs plateformes de correspondances. L'accord de Bali contribuera aussi, d'une certaine manière, à la déclinaison du partenariat stratégique entre l'Union européenne et l'ASEAN, de la stratégie européenne de coopération dans l'Indopacifique et de la stratégie Global Gateway pour la connectivité.
Les conséquences attendues sont importantes. L'étude d'impact de la Commission européenne envisage, du fait de l'application de cet accord, une hausse de trafic de 10 % en six ans, pour atteindre 13,7 millions de passagers. La libéralisation des prestations engendrera des bénéfices supplémentaires de plusieurs centaines de millions d'euros pour le fret et de plus de 1,3 milliard d'euros pour le transport de passagers. Plus de 5 000 emplois devraient être créés en six ans.
C'est donc un accord d'une assez grande importance. Nous devrons avoir ces paramètres à l'esprit avant de procéder au vote.
Mes chers collègues, nous sommes réunis ce matin pour examiner, selon la procédure d'examen simplifiée, le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du Sud-Est et l'Union européenne et ses États membres. Cet accord a été signé le 17 octobre 2022 à Bali, à l'issue de six années de négociations menées par la Commission européenne au nom des vingt-sept États membres de l'UE. À ce jour, l'accord a été ratifié par six États de l'UE – l'Estonie, la Lituanie, l'Irlande, les Pays-Bas, l'Autriche et la Roumanie – et par deux États de l'ASEAN – Singapour et le Vietnam. Le projet de loi que nous examinons a été adopté par le Sénat le 28 février dernier.
Si la France a déjà eu l'occasion d'approuver des accords aériens conclus par l'UE, dans le cadre de sa politique de voisinage, ainsi qu'avec les États-Unis en 2007 et le Canada en 2009, l'accord du 17 octobre 2022 est inédit car il a été conclu entre deux ensembles régionaux. Cet accord bloc-à-bloc a vocation à s'appliquer à trente-sept États où vivent 1,1 milliard d'habitants.
Ayant exercé la profession de contrôleur aérien à Paris et en Polynésie française pendant plus de trente ans, je porte naturellement un vif intérêt aux enjeux relatifs à l'aviation civile. Le rôle majeur du transport aérien dans le rapprochement des femmes, des hommes, des familles et des amis, par-delà les continents, est une évidence depuis près d'un siècle. Il est assorti, plus que jamais, de défis incontournables liés au développement économique et à la lutte contre le changement climatique. Il convient de tenir compte de tous ces aspects dans l'analyse des accords internationaux en la matière.
L'accord entre l'UE et l'ASEAN que nous examinons s'inscrit dans le cadre du partenariat stratégique noué entre ces deux organisations depuis décembre 2020. Il vise un objectif bien identifié : élaborer un cadre juridique commun applicable au transport aérien. Il se substituera à l'intégralité des accords bilatéraux en vigueur à ce jour entre les vingt-sept États membres de l'UE et les dix États membres de l'ASEAN.
S'agissant de la France, la plupart des accords bilatéraux avec ces États du Sud-Est asiatique ont été conclus au cours des années 1960 et 1970. Ils prévoient un plafonnement hebdomadaire du nombre de liaisons aériennes autorisées pour le transport de passagers et pour le fret. Concrètement, l'accord entre l'UE et l'ASEAN procède à la libéralisation totale des droits de trafic relevant des troisième et quatrième libertés de l'air, qui offrent aux compagnies la possibilité de débarquer dans un État étranger des passagers ou des marchandises acheminées depuis l'État dont elles ont la nationalité, d'une part, et d'embarquer des passagers ou des marchandises depuis un État étranger à destination de l'État dont elles ont la nationalité, d'autre part.
L'accord prévoit aussi une libéralisation partielle des droits relevant de la cinquième liberté de l'air, qui permet aux transporteurs aériens de débarquer et d'embarquer des passagers en provenance ou à destination d'un État tiers à la suite d'un premier vol à destination de l'un des États de l'UE ou de l'ASEAN. La fréquence de ces vols est plafonnée à sept vols hebdomadaires par État membre ; elle pourra doubler deux ans après l'entrée en vigueur de l'accord. Le nombre de ces vols avec escale est illimité pour le transport de marchandises. Par exemple, cela permettra à Air France-KLM d'opérer une liaison entre Paris et Singapour, puis entre Singapour et un autre État.
De façon inédite, l'accord prévoit également des engagements en matière environnementale et sociale, qui figurent à ses articles 18 et 22. Il s'agit de promouvoir la lutte contre le changement climatique et la garantie des droits liés aux conditions de travail, à la protection sociale et au dialogue social, dans le respect de la législation des États parties.
À l'issue du travail d'auditions que j'ai mené, je porte un regard distancié et lucide sur l'utilité réelle de cet accord entre l'UE et l'ASEAN. Il existe un certain décalage entre les ambitions initiales ayant motivé sa conclusion et la réalité de sa plus-value. J'évoquerai successivement les deux principaux enjeux que sont les perspectives économiques et commerciales de croissance du trafic aérien et la portée des dispositions relatives à la protection de l'environnement et aux droits sociaux.
Premièrement, les estimations de bénéfices réalisées par la Commission européenne en amont de l'ouverture des négociations s'avèrent très difficiles à expertiser et semblent surévaluées, comme l'ont admis les services de la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et les responsables d'Air France-KLM que j'ai auditionnés. En 2015, on prévoyait des retombées financières comprises entre 1,3 et 2,8 milliards d'euros pour le transport de passagers et entre 250 et 700 millions d'euros pour le fret, ainsi que la création de 5 700 emplois.
La crise du Covid-19 a bouleversé ces projections, dans la mesure où le trafic aérien entre l'UE et l'ASEAN a été divisé par deux entre 2019 et 2022. L'année 2024 devrait permettre de revenir à la situation prévalant avant la pandémie mais la DGAC reconnaît que l'optimisme des prévisions de 2015 n'est plus d'actualité à court terme.
De façon encore plus nette, les responsables d'Air France-KLM ont indiqué que l'accord ne révolutionnerait pas le marché aérien avec l'Asie du Sud-Est. D'une part, il ne remettra pas en cause la très forte concurrence des compagnies aériennes des pays du Golfe, qui profitent d'une situation géographique stratégique et d'une manne financière illimitée leur assurant une position résolument dominante dans ce secteur. D'autre part, si l'accord entre l'UE et l'ASEAN offre de nouvelles potentialités de trafic, elles ne correspondent pas à des besoins réellement exprimés par Air France-KLM, qui n'envisage pas de modifier à court terme la structure de son réseau ni sa stratégie commerciale, qu'il s'agisse du transport de passagers ou du transport de marchandises.
Deuxièmement, les engagements environnementaux et sociaux de l'accord n'ont aucun caractère contraignant. Ils sont donc des déclarations d'intention. Louables en principe, ils ne sont pas articulés à des objectifs de maîtrise du trafic. Par exemple, l'accord fait l'impasse sur l'obligation d'incorporation de carburant durable d'aviation (SAF) et se contente d'encourager l'échange d'informations et le dialogue entre experts sur la recherche et développement (R&D) en la matière.
Ces limites sont regrettables car les défis à relever pour accélérer la transition écologique dans le domaine aérien, renforcer les droits sociaux et lutter contre toute forme de concurrence déloyale sont des objectifs qui doivent nous rassembler. Toutefois, les progrès sur ces questions impliquent par essence une véritable coopération internationale, pour laquelle les accords de bloc-à-bloc sont un atout. Nous devons assumer d'en passer par une politique de petits pas pour lui donner ensuite des prolongements plus ambitieux.
Sans naïveté, souvenons-nous que, comme disait la marquise du Deffand : « Il n'y a que le premier pas qui coûte ». Gageons que ce texte sera l'élément déclencheur d'un effort collectif qu'il conviendra d'intensifier dans les années à venir. Malgré ses insuffisances et la réalité du contexte économique d'après-Covid, cet accord entre l'UE et l'ASEAN peut être un premier pas salutaire – certes loin d'être révolutionnaire – en faveur d'une coopération internationale renforcée.
Il me semble souhaitable de l'approuver, en demeurant particulièrement attentifs à sa mise en œuvre, afin d'en évaluer précisément les bénéfices, sociaux et environnementaux en particulier. Je vous invite donc à adopter le projet de loi autorisant l'approbation de cet accord.
Depuis la fin de l'année 2015, l'UE s'est engagée dans une démarche visant à renforcer la compétitivité du secteur aérien et à instaurer des conditions de concurrence équitables avec les compagnies des pays en développement. Dans cette optique, la Commission européenne a élaboré des accords globaux de transport aérien, dont un avec l'ASEAN, que nous avons le plaisir d'étudier aujourd'hui. L'ASEAN réunit dix pays d'Asie du Sud-Est : l'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.
Cet accord entre deux blocs de pays est une première. Il concerne une population de plus de 1 milliard d'habitants. Il s'agit du plus grand accord conclu par l'UE à ce jour. Il vise à renforcer la connectivité directe entre nos régions respectives pour favoriser le commerce, le tourisme et l'investissement, ainsi que le développement économique et social.
Pour ce faire, il prévoit la libéralisation totale des vols directs de passagers et la libéralisation progressive et partielle des vols avec escale. Les transporteurs des pays de l'UE et de l'ASEAN pourront également effectuer des vols de fret avec escale. D'après l'étude d'impact de la Commission européenne, la libéralisation du fret et des vols directs pourrait entraîner des bénéfices significatifs et la création de milliers d'emplois au cours des six prochaines années. Nous avons compris que cette perspective semble optimiste.
Par ailleurs, l'accord introduit des mesures pour garantir une concurrence équitable, telles que la régulation des subventions aux compagnies aériennes et la coopération réglementaire. Le comité mixte prévu à l'article 23 a tenu sa première réunion en octobre 2023. Il est tenu de suivre la mise en œuvre de l'accord. Il offre à chaque État l'opportunité de rapporter les progrès accomplis dans les domaines spécifiés par l'accord. Ce processus encouragera également les échanges sur le respect des engagements sociaux et environnementaux pris par les parties, en vue de renforcer l'harmonisation des politiques nationales dans ces domaines.
Cet accord représente une étape vers une coopération plus étroite entre l'UE et l'ASEAN. Il offre quelques opportunités de croissance économique et de développement régional. Le groupe Renaissance votera donc le projet de loi.
Afin de préciser ce que sont les libertés de l'air, je vous montre un schéma explicatif. Ainsi, la troisième liberté de l'air permet de débarquer des passagers dans un État étranger. La quatrième liberté de l'air permet d'en embarquer dans un État étranger pour les emmener dans l'État dont la compagnie a la nationalité. La cinquième liberté de l'air permet de transporter des passagers entre deux États tiers.
L'accord qui nous est soumis comporte des dispositions relatives au transport des marchandises et des dispositions relatives aux vols commerciaux. Il s'agit d'actualiser des voies aériennes régies par des accords datant des années 1960 et d'ouvrir des relations aériennes.
Il faut prendre avec prudence les éléments présentés dans l'étude d'impact car les données de la Commission européenne sont antérieures au confinement. Les conséquences de l'accord sur le nombre de vols, les emplois créés et les bénéfices liés au fret s'en trouvent modifiées. Comme l'indique le rapport, la DGAC admet que « même en décalant les prévisions de dix ans, l'impact de l'accord sur le trafic et ses conséquences économiques et sociales seront nettement moins importants qu'envisagés ». La portée de l'accord semble donc un peu surévaluée.
J'aimerais obtenir des précisions sur le périmètre de l'article 6, par lequel les parties reconnaissent les avantages potentiels de la libéralisation progressive de la propriété et du contrôle de leurs transporteurs aériens respectifs. Le rapport mentionne uniquement la libéralisation totale ou partielle des droits de trafic. D'après l'exposé des motifs de l'accord, l'article 6 prévoit la libéralisation de la propriété et du contrôle des transporteurs, certes en précisant qu'un transporteur européen ne peut être détenu et contrôlé que par des intérêts européens, mais qu'en sera-t-il demain ?
L'article 22 porte sur les aspects sociaux de l'activité des transporteurs aériens. Il vise à faire reconnaître les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT) par les parties prenantes ; tel n'est pas le cas de sept des États asiatiques. Madame la rapporteure, pensez-vous qu'ils modifieront leur politique sociale en matière de droit du travail ? Dans votre rapport, vous rappelez que cet article est dépourvu de portée contraignante et regrettez le caractère insuffisamment ambitieux de sa rédaction.
Quels éclaircissements pouvez-vous nous apporter sur ces deux articles ?
Concernant l'article 6, la DGAC et Air France-KLM nous ont confirmé que l'accord n'aura aucun impact sur la structure économique et financière du groupe.
S'agissant de l'OIT, onze de ses conventions sont considérées comme fondamentales. La France en a ratifié dix. La plupart des pays de l'ASEAN en ont ratifié de sept à neuf. Le sultanat de Brunei, avec lequel la France n'a conclu aucun accord bilatéral, en a ratifié trois.
Certes, tout cela n'est pas pleinement satisfaisant. Toutefois, la conclusion d'un accord global peut être interprétée comme un signal positif laissant espérer une amélioration de la prise en compte du sort des travailleurs. Chacun convient que les conditions de travail des travailleurs dans les pays de l'ASEAN posent souvent problème. L'accord global qui nous est soumis n'a pas vocation à améliorer directement les droits sociaux des employés du secteur aérien des États de l'ASEAN. Toutefois, il a le mérite, contrairement aux nombreux accords bilatéraux en vigueur dans ce domaine, d'incorporer une disposition relative aux droits sociaux.
L'article 22 de l'accord impose une coopération entre États sur les droits fondamentaux au travail, les conditions de travail, la protection sociale et le dialogue social. Il rappelle l'importance des onze conventions fondamentales de l'OIT, dans la mesure où il dispose que chaque partie s'engage à faire tout ce qui est en son pouvoir pour les ratifier si elles ne l'ont pas encore fait. Il s'agit non d'une contrainte obligeant les États à les ratifier mais d'un engagement de leur part. C'est une politique des petits pas.
De plus, l'article 22 de l'accord dispose que toute partie peut demander la convocation d'une réunion du comité mixte afin d'examiner les questions liées au travail et échanger les informations pertinentes qu'elle juge importantes. Le comité mixte peut donc intervenir sur les enjeux sociaux.
Sur l'article 6, votre réponse n'est pas celle que j'espérais. Plus généralement, cet accord global aurait pu apporter une pierre à l'amélioration des conditions de vie des travailleurs asiatiques. Tel ne sera pas le cas.
Sur l'article 6, Madame la rapporteure a dit qu'il est sans portée normative. Cette réponse, à défaut de vous satisfaire, est claire.
Madame la rapporteure, vous nous demandez ce matin d'approuver un accord global dans le transport aérien entre les vingt-sept États membres de l'UE et les dix États de l'ASEAN. La représentation nationale n'a pas eu son mot à dire, dans la mesure où cet accord s'applique de façon provisoire depuis sa signature le 17 octobre 2022. La Commission européenne, elle, n'a même pas besoin de 49-3 pour imposer ses décisions !
L'accord prévoit la libéralisation du fret et du transport aérien de passagers entre ces deux blocs d'États. Sa logique est à rebours des grands enjeux de notre temps. Il favorise le transport le plus polluant et facilite le grand déménagement du monde. D'après une étude publiée en 2020 dans la revue Atmospheric environment, le transport aérien représente 3 % des émissions globales de CO2. En tenant compte de toutes les émissions de l'aviation, on constate que ce mode de transport contribue pour 6 % au réchauffement global.
L'accord ne prévoit aucun dispositif contraignant pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur. Aucune harmonisation n'est prévue. Soyons clairs : la pollution du transport aérien est celle des voyageurs les plus aisés. On estime que 90 % de la population mondiale ne prend jamais l'avion. En somme, 1 % de la population mondiale est responsable de la moitié des émissions du secteur aérien. En revanche, ce sont les populations les plus fragiles qui en subissent le plus les effets.
L'accord ne prévoit pas davantage de dispositions contraignantes en matière de respect des conventions de l'OIT ou de ratification des conventions fondamentales relatives au respect des droits des travailleurs. De manière générale, les compagnies asiatiques sont soumises à bien peu de contraintes, et rien dans l'accord ne tend à nous rassurer à ce sujet.
En plus d'être climaticide et dangereux socialement, l'accord est inutile et fragilise les compagnies européennes face aux compagnies asiatiques. En 2019, on comptait 8 millions de passagers entre l'UE et les dix pays concernés. Depuis la crise sanitaire, ce niveau n'a jamais été retrouvé et ne devrait pas l'être avant 2025.
Si l'accord anticipe un triplement du nombre de passagers d'ici vingt ans, tel n'est pas l'avis des compagnies aériennes, comme l'ont clairement indiqué les représentants d'Air France-KLM. Les potentialités offertes par l'accord excèdent les besoins exprimés par les compagnies européennes, qui n'entendent pas modifier leur stratégie commerciale dans l'immédiat.
Nous voterons contre l'accord, dont nous considérons qu'il est d'un autre temps.
Vos observations ne sont pas sans pertinence. Je suis même d'accord avec certaines d'entre elles. Toutefois, si nous n'approuvons pas l'accord global, les accords bilatéraux, dépourvus de toute disposition environnementale et sociale, demeureront en vigueur. S'agissant des droits de trafic, la fréquence des vols n'a pas augmenté depuis que l'accord est appliqué à titre provisoire.
Méthodologiquement, face à une proposition de cet ordre, il faut, me semble-t-il, se poser deux questions : celle que pose M. Quatennens – que change-t-elle réellement ? – et celle que vient de poser Madame la rapporteure – la situation s'améliorera-t-elle ou se dégradera-t-elle si l'accord n'est pas approuvé ? Tout jugement équitable sur un accord de ce type suppose de soulever ces deux interrogations.
L'accord qui nous est soumis est une conséquence heureuse du malheureux Brexit, lequel permet à l'UE de multiplier les accords internationaux en matière de transport aérien avec des États tiers, à présent que le différend sur Gibraltar est réglé. Par ailleurs, il s'agit du premier accord de bloc-à-bloc, en l'espèce avec les dix pays de l'ASEAN, avec lesquels, à l'exception du sultanat de Brunei, la France avait conclu des accords bilatéraux.
Cet accord permet surtout d'harmoniser les dispositions en vigueur. Je partage les interrogations exprimées sur sa portée par nos collègues et par les responsables de la compagnie Air France-KLM, qui ont indiqué ne pas avoir besoin des dispositions prévues. Toutefois, la question n'est pas de savoir si l'accord est bon ou mauvais mais s'il préservera l'acquis et s'il permet de l'améliorer.
Le groupe Les Républicains considère que cet accord permet d'améliorer la situation. Nous voterons donc le projet de loi.
L'accord présente l'intérêt de fixer un cadre juridique global. S'il faut le faire évoluer à l'avenir, nous n'aurons qu'un seul accord à modifier et non plusieurs dizaines.
L'accord qu'il nous est demandé d'approuver a été signé le 17 octobre 2022 entre les vingt-sept États membres de l'UE et les dix États de l'ASEAN. Il s'agit du premier accord au monde conclu entre deux blocs d'États dans le domaine du transport aérien. En facilitant les liaisons directes, cet accord s'efforce de contrer la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie qui, grâce à leurs plateformes de correspondance, ont très largement absorbé la croissance du trafic entre de nombreuses villes d'Europe et d'Asie du Sud-Est.
L'accord intègre des clauses, fussent-elles imparfaites, relatives à la concurrence équitable, à la protection de l'environnement et aux droits sociaux. L'exigence de concurrence équitable est, pour l'UE, une contrepartie indispensable à la libéralisation des droits commerciaux des transporteurs. Cela pose notamment la question des règles d'interdiction et d'autorisation des subventions, accordées dans des conditions bien définies.
En matière institutionnelle, si l'accord prévoit la convocation d'un comité mixte, les conditions d'application de cette possibilité, notamment les clauses fixant les modalités de recours à cet arbitrage, sont insuffisamment précisées. Il conviendra donc de surveiller l'application de ces dispositions, qui sont pour nous le point faible de l'accord.
Le groupe Démocrate votera le projet de loi.
Nous n'avons pas un choix démesuré. Nous avons le choix entre l'existant, qui n'est pas formidable, et un accord global qui se substitue à des accords bilatéraux et qui, s'il n'est pas formidable non plus, offre une légère amélioration et permet de faire face à la concurrence avec les États du Golfe et avec la Turquie. Ce choix n'a rien de cornélien. Personne ne s'enthousiasmera à outrance pour l'accord mais personne ne peut considérer qu'il est infamant de l'adopter.
La seule position qui nous semble possible est celle adoptée par la Chambre haute, pourtant connue pour son goût pour le libre-échangisme, indiquée dans le rapport du Sénat sur le texte que nous examinons : « Le suivi de l'application de ce traité devra être réalisé avec la plus grande application et vigilance de la part de la Commission européenne et des États membres, dont la France, dans le cadre du comité mixte. Il serait également souhaitable que les accords aériens négociés par la Commission européenne sur mandat du Conseil européen puissent faire l'objet d'une évaluation périodique, en vue d'enrichir le contenu des conventions à venir ». Cette parole nous semble assez sage.
En dépit du fait que le respect des conventions de l'OIT n'est pas contraignant dans l'accord, nous voterons sa ratification.
Les pays de l'ASEAN sont une destination privilégiée pour les Européens. Ils forment un espace économique très dynamique et un partenaire stratégique de l'UE.
Sur le plan économique, cette zone connaît une croissance moyenne de 5 % par an depuis vingt ans. Avec un produit intérieur brut (PIB) proche de 3 700 milliards de dollars en 2022, l'ASEAN est le cinquième ensemble économique au monde. Sur le plan stratégique, l'UE est le troisième partenaire commercial de l'ASEAN, à hauteur de 272 milliards d'euros d'échanges de biens en 2022. Elle a donc adopté un plan d'action UE-ASEAN pour la période 2023-2027, articulé autour de trois thèmes : la coopération politique et sécuritaire, la coopération économique et la coopération socio-culturelle.
Les transports aériens entre l'UE et l'ASEAN sont particulièrement dynamiques, même s'ils ont été sévèrement impactés par la crise du Covid : le niveau des échanges n'est pas encore revenu à ce qu'il était en 2019, le trafic entre les vingt-sept États membres de l'UE et les pays de l'ASEAN, cette année-là, dépassant 8 millions passagers. Toutefois, la concurrence des transporteurs des pays du Golfe et de la Turquie, dont les plateformes de correspondance ont très largement absorbé la croissance du trafic entre de nombreuses villes d'Europe et d'Asie du Sud-Est, a rendu nécessaire une libéralisation accrue du transport aérien entre l'UE et l'ASEAN pour rendre les vols directs plus compétitifs.
L'accord qui nous est soumis permet une simplification d'ampleur des accords bilatéraux en matière de transport aérien signés par la France avec les pays de l'ASEAN. La France était liée par des accords bilatéraux à neuf pays de l'ASEAN : le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Birmanie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam. En tout, plus de 140 accords bilatéraux signés par les États membres de l'UE sont remplacés par ce nouveau cadre.
L'accord offre des garanties bienvenues en matière de droits sociaux et de protection de l'environnement. L'article 18 prévoit une coopération en matière de réduction des GES. L'article 22 consacre l'engagement des pays de l'ASEAN à ratifier les conventions fondamentales de l'OIT. Ces dispositions n'étant pas contraignantes, il appartiendra à l'UE de rester attentive au respect par ses partenaires asiatiques de leurs engagements.
Le groupe Horizons et apparentés votera la ratification de l'accord.
L'accord laisse plusieurs questions en suspens, notamment en matière de droit du travail et de protection de l'environnement. À titre personnel, je limite mes déplacements en avion autant que possible et m'efforce de prendre le train. Toutefois, dans cette partie du monde, les îles sont nombreuses et les déplacements malaisés. L'aviation a donc encore un avenir ; nous y travaillons au Havre, où sera implantée bientôt une usine de SAF.
Madame la rapporteure, vous êtes députée de la Polynésie française, laquelle n'est pas partie à l'accord. Il est surprenant que tous les territoires d'outre-mer de la France, qui est partie à l'accord, n'y soient pas inclus. Pouvez-vous fournir à notre commission des explications à ce sujet ?
S'agissant de la politique des petits pas et des progrès qui restent à accomplir, après des conférences des parties (COP), des engagements collectifs et des initiatives de l'Organisation des Nations Unies (ONU), il est bon qu'un accord permette un progrès collectif et partagé.
Notre groupe votera la ratification de cet accord.
La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna ne font pas partie de l'espace Schengen. L'accord global que nous examinons ne s'y applique donc pas. Cela nous a été utile pendant la crise du Covid : les États-Unis avaient fermé leur espace aérien aux vols en provenance d'Europe mais nous pouvions continuer à nous y rendre.
Si l'accord global est appliqué, ces collectivités d'outre-mer demeureront sous le régime des accords bilatéraux antérieurs, dont elles pourront désormais pleinement profiter. Entre Nouméa et Singapour, la compagnie néo-calédonienne Aircalin a transporté 34 700 passagers en 2022 et 100 000 en 2023. Elle assure désormais un vol quasiment chaque jour. Cette ligne intéresse aussi la Polynésie française, reliée à Nouméa par un vol hebdomadaire, qui pourrait devenir bihebdomadaire.
Nous en venons aux questions posées à titre individuel. J'ai été saisi de la demande d'un seul orateur à cet effet.
Cet accord est une très bonne nouvelle pour la libre circulation des voyageurs et pour les affaires. J'aimerais connaître la position de la Chine sur cette nouvelle coopération aérienne entre l'Europe et l'Asie du Sud-Est. Elle pourrait voir l'accord qui nous est soumis comme une opportunité de renforcer indirectement ses propres liens commerciaux avec l'Europe ou craindre qu'il n'avantage les compagnies aériennes européennes au détriment des siennes.
Nous n'avons pas exploré cet aspect de la question mais, compte tenu de la faible portée de l'accord, aucune réaction chinoise d'ampleur n'est à attendre.
La tonalité générale de l'exposé de notre rapporteure est que cet accord, pour positif qu'il soit, a une portée somme toute limitée. Il ne faut donc pas en attendre ou craindre de grands bouleversements entre l'UE, l'ASEAN et la Chine dans le domaine du trafic aérien.
Article unique (approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'association des nations de l'Asie du sud-est, et l'Union européenne et ses États membres, signé à Bali le 17 octobre 2022)
La commission adopte l'article unique non modifié.
L'ensemble du projet de loi est ainsi adopté.
Madame la rapporteure, je vous remercie pour votre éclairage précieux sur ce sujet très technique. La commission et moi-même avons apprécié la qualité de votre travail et l'approche avec laquelle vous avez envisagé l'examen de ce texte.
La séance est levée à 11 h 50.
Membres présents ou excusés
Présents. - Mme Delphine Batho, Mme Élisabeth Borne, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Bertrand Bouyx, M. Jérôme Buisson, M. Pierre Cordier, Mme Julie Delpech, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Olivier Faure, M. Nicolas Forissier, M. Bruno Fuchs, Mme Stéphanie Galzy, M. Guillaume Garot, M. Hadrien Ghomi, M. Michel Guiniot, M. David Habib, M. Éric Husson, M. Jean-Michel Jacques, M. Alexis Jolly, Mme Brigitte Klinkert, Mme Stéphanie Kochert, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, M. Vincent Ledoux, Mme Nathalie Oziol, M. Jimmy Pahun, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Béatrice Piron, M. Jean-François Portarrieu, M. Adrien Quatennens, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Olivier Véran, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert
Excusés. - Mme Eléonore Caroit, M. Sébastien Chenu, M. Alain David, M. Meyer Habib, Mme Amélia Lakrafi, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, M. Laurent Marcangeli, M. Nicolas Metzdorf, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Ersilia Soudais, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Éric Woerth, Mme Estelle Youssouffa
Assistait également à la réunion. - M. Karim Ben Cheikh