Commission des affaires étrangères

Réunion du jeudi 13 avril 2023 à 12h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La commission auditionne, dans le cadre de la préparation de l'examen du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense (n° 1033), M. Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs, et M. Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'Institut pour les relations internationales (IFRI) et à l'Observatoire des conflits futurs, sur les enjeux des armes nouvelles dans l'évolution des moyens alloués aux armées.

Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, président

La séance est ouverte à 12 h 15

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Les experts que nous avons auditionnés ce matin – auditions de MM. Lafont-Rapnouil et Tenenbaum, d'une part, de MM. Grand et Santopinto d'autre part – ont souligné que l'un des aspects les plus intéressants du projet de loi de programmation militaire (LPM) résidait dans les modifications très importantes qui sont appelées à affecter les conditions de projection des armées. De ce point de vue, le système sous-tendu par la future programmation serait encore à redéfinir. C'est l'impression que j'ai eue lorsque je me suis rendu à Abidjan la semaine dernière avec la présidente de l'Assemblée nationale.

Nous avons évoqué ensuite les problèmes liés à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), notamment l'articulation avec la force nucléaire française et les difficultés posées par la double solidarité, européenne et atlantique, de notre politique de défense. Le constat dressé par les experts était assez nuancé : le projet de loi de programmation comporte des avancées et des améliorations mais traduit une logique de continuité plutôt que de rupture, alors que le contexte stratégique est en cours de redéfinition assez profonde, sous l'effet d'un certain nombre d'évolutions qui ne se limitent pas à la guerre en Ukraine, même si celle-ci a clairement illustré certaines de ces mutations. Les experts ont aussi souligné que les choix effectués en matière d'armes nouvelles et de priorités nouvelles – en particulier le cyber – étaient très importants et semblaient traduire une volonté d'inflexion assez profonde.

Nous voyons, à la lumière du déroulement de la guerre en Ukraine, que celle-ci mobilise des moyens rustiques bien utilisés, tels les drones légers, l'artillerie, les chars, etc. Ce constat n'altère aucunement le bien-fondé de la dissuasion nucléaire, ni l'intérêt que peuvent présenter des innovations de rupture technologique, qui ont d'ailleurs joué un rôle essentiel pour la défense ukrainienne. Mentionnons par exemple les capacités de renseignement dont les Ukrainiens ont pu bénéficier, en particulier grâce aux Américains, et aux équipements produits par des industries assez modernes que nous leur avons fournis.

Quelles sont les armes nouvelles technologiquement disponibles ? Quelles sont les conditions de mise en œuvre de ces capacités qui rendent cette panoplie nouvelle crédible et exploitable ? Que sommes-nous capables de faire, du point de vue de ces nouvelles armes, seuls ou avec d'autres ? Que serons-nous incapables de faire ou que serons-nous obligés de sacrifier pour des raisons budgétaires ? Telles sont les questions qui se posent à un pays comme la France et la capacité de la future loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 à répondre à ces interrogations guidera nos échanges avec le ministre cet après-midi.

M. Philippe Gros, vous avez exercé différents postes au sein des administrations de la défense, contribué à l'élaboration de documents de doctrine de l'état-major des armées. Vous êtes un grand connaisseur des différentes formes de conflits armés et d'interventions militaires mais aussi des évolutions technico-opérationnelles et de leur impact capacitaire. Outre vos fonctions de maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, vous coordonnez les travaux de l'Observatoire des conflits futurs sur la prospective en matière d'armement et sur l'emploi des systèmes d'armes à venir.

M. Léo Péria-Peigné, quant à vous, vous participez également aux travaux de l'Observatoire des conflits futurs. Vous faites partie de l'Institut pour les relations internationales (IFRI) depuis 2022, à l'issue de deux années passées dans le conseil et l'intelligence économique dans le domaine de l'armement et après un passage par le commandement des opérations spéciales.

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

La notion d'armes nouvelles nécessite d'emblée une clarification. Elle recouvre à la fois les technologies à proprement parler, les systèmes d'armes ou d'information qui les exploitent et les capacités nouvelles, c'est-à-dire l'aptitude à exercer un effet auxquel ces systèmes d'armes et d'information contribuent. Une capacité ne se limite pas à des systèmes : elle englobe la doctrine et les organisations qui structurent leur emploi, ainsi que la qualité du personnel recruté pour les servir et les entraînements devant permettre d'en tirer le meilleur parti.

Les technologies de base à proprement parler concernent des domaines aussi variés que la microélectronique, l'exploitation du spectre électromagnétique, la propulsion, la gestion d'énergie, les matériaux d'une façon générale, les biotechnologies, etc. À ce stade, la majeure partie de l'effort de recherche et développement est entrepris par des écosystèmes civils, académiques ou commerciaux. Nous insisterons ici sur deux familles de technologies de l'information qui sont probablement les plus emblématiques du débat : les techniques d'intelligence artificielle (IA) et les technologies exploitant les propriétés de la physique quantique. Elles devraient ou pourraient aboutir à une myriade d'exploitations. Plusieurs de ces applications sont déjà quasi-certaines et en cours de développement pratique. D'autres se déclinent au futur et restent beaucoup plus hypothétiques. Il est donc impossible d'apprécier l'impact de ces familles technologiques de façon univoque : évoquer le quantique ou l'IA n'a pas beaucoup de sens.

Les techniques d'intelligence artificielle, en particulier l'apprentissage machine et l'apprentissage profond, qui transforment déjà de multiples usages civils, s'imposent progressivement au sein des institutions militaires, en particulier pour aider à traiter des masses croissantes de données collectées. Leur application aux autres domaines, tels que l'aide à la prise de décision ou encore le pilotage de systèmes autonomes, reste plus difficile en raison de la complexité des missions et, bien souvent, de l'insuffisance des données d'apprentissage requises. Les technologies quantiques trouvent d'ores et déjà des applications dans la métrologie, la sécurité des télécommunications. À plus long terme se dessinent des applications pour des calculs informatiques de capacité massive mais ces perspectives sont très loin de faire consensus au sein de la communauté scientifique.

L'ensemble de ces technologies permet de créer de nouveaux systèmes d'armes ou d'information et de transformer les moyens existants :

– des capteurs qui génèrent une masse croissante de données à traiter ;

– une montée en débit des communications ;

– des systèmes de navigation et de synchronisation plus diversifiés que les systèmes de type Global Positioning System - GPS ou autres ;

– des réseaux informatiques aux architectures plus flexibles ;

– une aide à la décision plus rapide et circonstanciée au sein de nos états-majors ;

– des systèmes autonomes dans les trois milieux, par exemple un drone aérien, un drone naval de surface et un drone sous-marin ;

– des plates-formes habitées plus polyvalentes ;

– des munitions aux effets plus adaptables.

La liste pourrait bien sûr être plus longue. Ces technologies ne concernent pas seulement les systèmes opérationnels nouveaux, mais aussi les procédés qui permettent de les concevoir, de les produire et de les mettre en œuvre – recherche et développement, ingénierie, maintenance, etc.

Deux nouvelles familles d'armement emblématiques doivent être mentionnées.

La première est celle des armes à énergie dirigée, principalement les lasers et les armes électromagnétiques de forte puissance – lesquels font l'objet d'une moindre publicité mais me semblent tout aussi importantes. Les armes électromagnétiques de forte puissance visent à exercer des surtensions électriques dans les systèmes électriques, ce qui doit occasionner des perturbations ou des dommages, voire la destruction fonctionnelle du système cible. Les lasers seront, typiquement, utilisés pour renforcer, à court terme, des capacités terrestres et navales de protection contre des « cibles molles », par exemple des mini-drones et des munitions maraudeuses – qui pullulent sur le champ de bataille, comme nous le voyons en Ukraine – qui sont de nature à saturer les défenses sol-air actuelles. Ils serviront aussi dans la lutte contre les embarcations légères, entre autres utilisations. L'avantage attendu de ces armes à énergie dirigée réside avant tout dans leur faible coût d'emploi et dans leur empreinte logistique réduite. Leur emploi ne peut être envisagé qu'en complément d'autres moyens – brouillage électronique classique, missiles, canons antiaériens, etc.

La deuxième famille à mentionner ici est celle des nouveaux missiles à haute vélocité. Les missiles hypersoniques dépassent Mach 5. En réalité, la catégorie est plus large : elle englobe des missiles qui ne sont pas formellement hypersoniques mais qui présentent des caractéristiques voisines. Nous parlons de nouveaux missiles dans la mesure où les missiles balistiques, y compris ceux de courte portée, sont déjà des armes hypersoniques. Ces nouveaux missiles effectuent leur parcours entièrement dans l'atmosphère et ne peuvent être interceptés par les systèmes actuels de défense aérienne.

D'une façon générale, ces systèmes sont de nature à transformer les opérations dans l'ensemble des milieux. S'agissant des milieux classiques – terrestre, aérien, naval –, les systèmes autonomes, qui présentent différents degrés de sophistication, donc de coût, vont de plus en plus se substituer aux hommes et à leurs plates-formes pour des tâches fastidieuses, pénibles, dangereuses et coûteuses. Ils vont permettre d'étendre les capacités de reconnaissance et de surveillance, d'engagement et de soutien. Les systèmes embarqués vont autoriser des opérations plus dispersées, avec la mise en œuvre du combat collaboratif connecté, dans lequel plusieurs systèmes peuvent n'en former qu'un seul, ce qui améliore considérablement l'efficacité et la résilience. À titre d'illustration, deux chasseurs Rafale qui volent ensemble aujourd'hui vont opérer de façon coordonnée mais partagent très peu d'informations, seuls quelques pourcents des données recueillies par les capteurs de chacun des aéronefs. Dans le combat collaboratif, les deux avions agiraient quasiment comme un seul, partageraient beaucoup plus leurs données et chacun disposerait d'une vision de la situation fournie par les capteurs des deux appareils. Ils exerceraient aussi des effets de façon beaucoup plus intégrée.

Dans le domaine spatial, une véritable révolution est en cours, avec la prolifération des constellations de mini-satellites en orbite basse, les communications au laser entre satellites et avec le sol ou encore le traitement embarqué de l'information. Ces évolutions donnent lieu à l'émergence d'architectures spatio-aéronavales ou spatio-aéroterrestres, qui permettent d'étendre les réseaux de communication tactique et de démultiplier la couverture en matière de renseignement et de ciblage. Les Américains sont en pointe dans ce domaine et déploient actuellement leur nouvelle architecture selon ces principes.

Le milieu sous-marin n'est pas en reste : il connaît sa révolution avec la guerre du fond marin (seabed warfare), qui permettra de compléter ou de se substituer aux moyens actuels pour le contrôle de zones sous-marines.

Enfin, le milieu cyber, par essence artificiel, témoigne des évolutions les plus fluides quant à son exploitation et à la confrontation entre lutte défensive et offensive. Un point est à garder à l'esprit : la lutte informatique offensive, dans ses manifestations les plus sophistiquées, reste un domaine d'action bien plus exigeant, en matière de renseignement et de planification, qu'on ne l'imagine habituellement. Ce n'est pas une guerre « presse-bouton ». La convergence du milieu cyber avec des opérations dans le champ électromagnétique, qui constitue la « glu » de l'ensemble de ce système de forces, constitue aussi une évolution critique.

Ce panorama ne serait pas complet si nous ne disions un mot de l'intégration multi-milieux et multi-champs, c'est-à-dire le fait d'intégrer beaucoup plus toutes ces composantes afin d'exercer des effets plus intégrés par l'addition des moyens terrestres, aériens, navals et cyber, ce qui représente un véritable défi. À titre d'illustration, la destruction d'un système intégré de défense antiaérien ennemi, à l'avenir, dépendra d'effets foudroyants des armes hypersoniques, d'effets de paralysie informationnelle par la lutte informatique offensive ou encore d'actions de saturation de ces systèmes individuels par les systèmes autonomes.

Ces nouvelles capacités ne changent pas la nature profonde de la guerre. L'irruption des drones, il y a vingt ans, ou celle des techniques d'intelligence artificielle, suscite de nombreux débats, au-delà des questions éthiques, sur les risques de déstabilisation ou d'escalade non maîtrisée. Il faut se garder, en la matière, de tout raisonnement car la réalité est plus complexe qu'il n'y paraît. Elles vont changer la manière de faire la guerre, même si la notion de game changer est souvent galvaudée.

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La vulnérabilité du porte-avions que nous créerions serait-elle sensiblement accrue, face à ces nouveaux types d'armes ?

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Oui, mais il faut tenir compte des capacités défensives que pourrait embarquer le porte-avions pour se défendre contre ce type d'armes. Comment, à titre d'exemple, les groupes américains interviendraient-ils, en tant que fer de lance de la réponse américaine, pour contrer une action chinoise visant Taiwan ? La question suscite d'intenses débats depuis vingt ans dans la mesure où les Chinois disposent et développent à un rythme soutenu toute la panoplie des engins existants – missiles balistiques anti-porte-avions, missiles hypersoniques, aéronavale, aviation au sol armée de missiles de croisière, etc. Face à cela, les Américains développent des capacités de défense nouvelles. Ils envisagent aussi des opérations dispersées, dans lesquelles les groupes navals se disperseraient pour compliquer le ciblage chinois, tout en continuant à exercer des effets d'interdiction vis-à-vis d'éventuelles capacités chinoises amphibies, le porte-avions restant en arrière et fournissant une couverture aérienne. Cet exemple montre qu'envisager la technologie indépendamment des logiques et doctrines d'emploi n'a guère de sens.

Comment la France se situe-t-elle dans ce paysage ? Sur le plan technologique, elle reste très bien placée. Les grands intégrateurs français et nombre d'entreprises hexagonales demeurent parmi les acteurs les plus innovants de leur marché. Notre pays compte aussi de nombreuses start-up très innovantes, particulièrement dans le domaine du quantique. Pour autant, les processus en mesure de faire traverser « la vallée de la mort » qui sépare la recherche et développement de la commercialisation, restent pour le moins perfectibles. L'innovation ouverte, indispensable pour intégrer les technologies de l'information qui voient souvent le jour dans le monde commercial, reste considérablement freinée par de multiples facteurs : règles d'achat trop rigides, gestion de la propriété intellectuelle, difficultés à obtenir des financements sans visibilité quant à la pérennité d'un marché, etc.

Quant aux priorités sur lesquelles l'effort doit porter, la réponse n'a rien de simple. Chacun a aujourd'hui conscience que notre modèle d'armée complet est étiolé à l'extrême et n'offre pas suffisamment d'épaisseur, voire de permanence capacitaire, dans de multiples fonctions basiques. Jusqu'à présent, notre stratégie capacitaire a privilégié la sophistication au détriment de cette épaisseur. Or dans le même temps, la situation géopolitique nous oblige à considérer le risque d'un engagement de haute intensité, avec une coalition limitée, sans le leadership ni même la participation américaine, et face à un adversaire en situation de parité de potentiel militaire, a fortiori s'il est appuyé par une puissance tierce.

Ce cas de figure, qui me semble le plus structurant, appelle le développement d'une capacité d'intégration des forces de cette coalition et surtout une combinaison (high-low mix) de capacités très sophistiquées, forcément peu nombreuses, pour permettre d'entrer en premier sur le théâtre et de capacités moins performantes, moins coûteuses et plus nombreuses, qui soient en mesure de faire masse pour emporter la décision.

Les armes nouvelles peuvent elles-mêmes contribuer à cet étoffement. Certains des systèmes autonomes qui présenteraient un coût faible représentent l'une des principales solutions envisagées en la matière. L'un des principes pouvant guider les choix de développement est celui de l'avantage compétitif. Selon cette notion développée par les États-Unis à la fin de la guerre froide, une capacité force l'opposant à un investissement supérieur pour s'en prémunir. Nous le voyons tous les jours en Ukraine : c'est par exemple le cas d'un drone peu coûteux nécessitant, pour l'abattre, le recours à des missiles sol-air bien plus chers. Les Russes, eux-mêmes confrontés à de sévères problèmes de munitions, usent ainsi le potentiel de la défense aérienne ukrainienne en l'obligeant à employer des missiles extrêmement coûteux pour abattre des drones de fabrication iranienne considérablement moins chers.

La plupart des grands domaines que je viens de mentionner sont effectivement présents dans les efforts de financement du projet de loi de programmation militaire pour 2024 à 2030, lequel mentionne à plusieurs reprises la recherche explicite du meilleur rapport coût-efficacité, ce qui est une excellente chose. Sur le plan de la coopération, la LPM reprend l'économie générale des axes poursuivis, ce qui paraît parfaitement logique.

Dans le même temps, toutefois, la structure de forces proposée, pour autant qu'on puisse en juger au vu des éléments disponibles dans le rapport annexé, et les plans d'équipement annoncés, ne vont guère évoluer. Là réside le principal problème. Pour la composante terrestre, par exemple, les capacités d'appui – défense sol-air, artillerie sol-sol, guerre électronique, drones, etc. – devraient être considérablement renforcées pour au moins garantir une permanence capacitaire. À quoi servirait-il d'équiper l'unique régiment de défense sol-air tactique de l'armée de terre de systèmes de laser très performants si ce régiment n'est pas opérationnel au moment où nous en avons besoin ? La composante aérienne, drones compris, sera largement inchangée au cours des douze prochaines années. Or elle est déjà sous-dimensionnée au vu de l'ensemble des missions qu'impliquent les fonctions stratégiques.

Dès lors, toute tentative de hiérarchisation des nouveaux investissements se heurte aux plus grandes difficultés. Chaque famille de technologies et de système a son importance. Juger du caractère critique, nécessaire, souhaitable ou accessoire d'un développement implique de considérer les effets d'éviction mais aussi les besoins de cohérence que doit présenter l'ensemble du système de forces. C'est une contrainte que s'efforcent de prendre en compte les bureaux « plans » des états-majors. Si l'on s'essaie à l'exercice, il serait logique de privilégier des capacités qui soient nécessaires, pour lesquelles les alternatives manquent, c'est-à-dire qui structurent une fonction stratégique ou opérationnelle. Il serait logique également de privilégier des capacités permettant des effets bien cernés, offrant des avantages compétitifs et pour lesquelles un socle existe en vue d'une montée en compétence.

Sur cette base, un certain nombre d'investissements s'imposent, à mes yeux, naturellement. Je pense à la résilience des capacités spatiales, c'est-à-dire la protection des satellites et constellations de notre cœur souverain ou des méga-constellations développées en coopération, à l'image de la constellation Iris portée par le commissaire Breton. Ces architectures spatiales deviennent le tissu conjonctif de nos interventions. Je pense également aux missiles hypersoniques, qui étayent notre aptitude à percer les défenses sol-air ou à la montée en gamme de l'informatique embarquée, pour améliorer la dispersion des informations. Je singulariserais également, avec prudence, certaines armes permettant de densifier nos effets : armes à énergie dirigée sol-air, systèmes autonomes peu coûteux. Pour le reste, tout est une question de degré. Une chose est sûre : nous ne pourrons pas tout nous offrir.

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

La France demeure une puissance moyenne, dotée de moyens limités. Sur le plan militaire, elle subit de plein fouet l'impact du « paradoxe d'Augustine » : nous avons des équipements toujours plus performants mais toujours plus coûteux et donc in fine toujours en moins grand nombre. Si, pour une puissance majeure comme les États-Unis, ce problème se pose avec une moindre acuité, nous en sommes arrivés, à force de vouloir tout faire, à un point où notre modèle militaire est écartelé entre différentes priorités, faute d'avoir hiérarchisé celles-ci. À l'heure actuelle, tout nouvel investissement supposément massif dans des technologies prometteuses et performantes mais extrêmement coûteuses à développer – sans même considérer leur industrialisation ni leur déploiement sur le terrain – imposerait des ponctions sur les autres domaines opérationnels. Les perspectives tracées par la LPM en cours semblent conduire à une réduction de la taille des unités de contact (artillerie, infanterie, cavalerie) au profit du cyber ou d'armes nouvelles.

Le modèle actuel, du point de vue de la diplomatie, est trop écartelé pour être réellement crédible. Il y a quelques années a eu lieu l'exercice Warfighter, mené conjointement avec nos alliés américains. Ceux-ci ont vu ce que nous proposions d'aligner, à savoir l'ensemble de notre modèle de forces en réponse à un conflit théorique. Ils ont dû nous fournir un tiers d'effectifs supplémentaires afin de s'assurer que notre formation était viable. Plus récemment, en Ukraine, la France a démérité, aux yeux de certains de nos alliés, en envoyant un soutien matériel limité, ponctuel. L'une des raisons de ce constat tiendrait à l'épaisseur de notre modèle actuel, insuffisante pour permettre des prélèvements plus importants. Notre crédibilité s'en trouve altérée auprès de nos partenaires. Alors que la France s'est longtemps vue comme la première puissance européenne, son discours de puissance moyenne et sur l'autonomie européenne n'est plus cru, à mon sens, par nos alliés, car nos paroles sont trop éloignées de nos actes et de notre potentiel réel.

Comment, dès lors, appréhender de manière objective le développement d'armes nouvelles ? Leur développement ne constitue pas une fin en soi : il doit servir le déploiement de nouvelles capacités crédibles, utilisables et résilientes. Si le développement de nouvelles armes réduit le potentiel d'autres branches en les ponctionnant sans garantir une plus-value au moins équivalente aux pertes occasionnées, il met en danger un modèle déjà à la limite de la rupture.

En soi, le gain potentiel de performances à attendre de ces technologies est à mettre en rapport avec nos capacités à les industrialiser, à les déployer et à les soutenir. Trois questions peuvent ainsi guider les arbitrages à effectuer.

En premier lieu, combien de systèmes seraient acquis à l'issue du développement ? Il est certes intéressant de développer les meilleures armes du monde. Au cours des années 1990, pour du matériel beaucoup plus conventionnel, la France a ainsi voulu développer le meilleur char de combat du monde. Si cela conduit à en acheter 200, sans l'exporter, nous ne pouvons garantir la pérennité des lignes de production, ce qui peut nous priver de la possibilité d'en acquérir de nouveaux en cas de nécessité. Telle est la situation que nous connaissons pour ces chars et pour une partie de nos systèmes : nous ne pouvons en acheter de nouveaux, les lignes de production ayant été interrompues.

À quel coût humain ce développement peut-il avoir lieu ? À l'heure actuelle, pour des technologies moins complexes, les armées peinent déjà à entretenir un vivier de compétences et de ressources humaines qui soit suffisant. Elles ont du mal à attirer les compétences, à les former – en raison d'un manque de main-d'œuvre qualifiée – et à les retenir : une fois formées, ces nouvelles ressources humaines sont souvent attirées par l'industrie civile, qui leur propose des salaires sans commune mesure avec ceux que l'armée peut leur offrir. Même en investissant ce qui a été promis pour le cyber, les salaires proposés resteront très éloignés de ceux que peut proposer l'industrie civile, d'autant plus que le marché du travail est déjà en tension pour tous ces modèles. Cette situation a déjà existé par le passé, du fait de la compétition entre les branches de la dissuasion et des industriels civils tels qu'Alstom.

Si les armes nouvelles sont appelées à prendre une place plus importante dans notre modèle, cette compétition sera accrue. Elle remettra en cause l'autonomie de nos armées par rapport à leurs fournisseurs. Nos armées peinent déjà à se passer du soutien des industriels en temps de paix. Chacun peut imaginer ce qu'il en serait en temps de guerre, avec l'attrition et le chaos que cela suppose. Ce problème doit être pris en compte, notamment pour la crédibilité de nos armées.

Enfin, contre qui ces nouveaux systèmes pourraient-ils être employés ? C'est peut-être sur ce point que nos analyses divergent, avec Philippe. La France ne s'est pas engagée contre la Syrie de Bachar el-Assad parce que les États-Unis ont décidé de ne pas intervenir. S'engagerait-elle, sans la participation des États-Unis, contre un pays ou un adversaire qui disposerait, directement ou indirectement, d'équipements nécessitant les performances apportées par ces armes nouvelles dans un conflit de haute intensité ? J'en doute. Ces armes peuvent apporter des performances très intéressantes mais leur déploiement suppose la présence d'un adversaire dont l'équipement requiert ce type de performances. Or nous ne livrerons, à mon avis, jamais seuls une guerre contre ce type d'adversaire. Nous ne le ferions que dans le cadre d'une coalition, avec le soutien des États-Unis, lesquels apporteraient alors leurs propres moyens.

Dès lors, les moyens que la France aura attribués à ces armes nouvelles nous donneraient-ils des capacités différenciantes, susceptibles de présenter un intérêt véritable et non anecdotique ou marginal au regard de l'apport de nos alliés américains ? Si ce n'est pas le cas, sans doute vaudrait-il mieux se concentrer sur des éléments susceptibles de nous apporter des capacités supplémentaires dans des domaines plus simples à utiliser en temps de guerre, à maintenir en temps de paix et à remplacer en cas de perte.

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

J'éviterai de citer des noms, afin de ne pas me fâcher avec certaines personnes. À titre d'exemple, investir dans le quantique exige des moyens considérables. Si nous investissons ainsi dans toutes les armes nouvelles, nous n'aurons pas de capacités intéressantes à développer in fine et nous aurons dégradé notre modèle global.

Un choix plus judicieux consisterait à mon avis à se concentrer sur des domaines où la France est déjà performante. Je pense au spatial, dans lequel la France dispose d'une véritable industrie. Elle a aussi une certaine avance dans l'hypersonique. Nous devons en tout cas nous demander quel serait le nombre de systèmes maintenables et utilisables en temps de paix comme en temps de guerre. Si nous poursuivons dans notre modèle holistique sans conduire cette réflexion, en essayant de multiplier les développements d'envergure limitée dans tous les domaines, la France s'exposera à une neutralisation militaire mais aussi diplomatique. Les composantes du combat traditionnel seront devenues trop faibles pour apporter une véritable plus-value et l'investissement consenti dans les nouvelles armes, qui nous semblera important, ne nous aura pas rendus suffisamment forts pour dégager de nouvelles capacités réellement intéressantes.

Il faudra, à mes yeux, privilégier la cohérence du modèle au service d'une stratégie peut-être mieux définie plutôt qu'une innovation de détail qui ne déboucherait par sur des développements capacitaires.

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Vous avez livré, Messieurs, un tour d'horizon qui s'avère assez critique sur le projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030. Je tiens néanmoins à souligner l'importance à mes yeux d'une couverture de l'ensemble du spectre. Nous voyons bien que les milieux se complexifient et se densifient. Ma crainte prioritaire est de passer à côté de compétences clés qui nous font défaut. Nous voyons ce qu'il en est aujourd'hui avec les drones et en particulier les drones armés.

J'ai été bercée par les propos de Joseph Henrotin qui évoquait « la figure aérienne du mal ». Une arme est amorale : c'est la manière dont on l'emploie, dans le cadre des règles d'engagement, qui peut s'avérer immorale comme l'a décrit Henrotin. Toujours est-il que nous sommes passés complètement à côté des drones. Lorsque nous parlons avec nos partenaires, qu'il s'agisse de l'Ukraine ou de l'Afrique – a fortiori, dans ce second cas, depuis le départ du Mali du G5 Sahel –, nous voyons bien que nous manquons de drones qui seraient précieux pour sécuriser les zones frontières. Il existe toujours cette inquiétude de ne pas être à la hauteur des enjeux à venir. Nous passons également à côté de l'intelligence artificielle.

Je comprends l'impression d'éparpillement dont vous faites part. Néanmoins, comme le font remarquer les scientifiques, « on n'a pas inventé le laser en améliorant la bougie ». La volonté des responsables politiques de couvrir l'ensemble du spectre est compréhensible, même si nous avons pleinement conscience de la densification et de la complexification que vous avez soulignées.

J'ai porté, dans la loi de programmation militaire en fin d'application, en tant que rapporteure pour avis au nom de la commission des affaires étrangères, le projet de Fonds européen de défense. Nous avons du mal à dégager des économies d'échelle, dans la mesure où nous protégeons nos marchés et nos entreprises. J'ai considéré qu'il était compliqué de mutualiser ce qui existait déjà. Il faut dès lors, pour une défense européenne efficace, miser sur ce qui n'existe pas encore. Nous pouvons à mon avis, à travers le Fonds européen de défense, trouver une réponse pertinente pour la défense européenne en évitant des situations de rupture capacitaire. Percevez-vous tout de même des signes d'espoir dans l'horizon que vous nous décrivez ?

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Nous ne sommes pas face à une alternative binaire : couvrir l'ensemble du spectre ou ne rien faire pour se contenter « d'améliorer la bougie ». La situation est évidemment beaucoup plus complexe, comme vous le savez. La difficulté consiste à déterminer, pour toute une famille de technologies, jusqu'où aller, sur la base des critères que je mentionnais. Certains investissements sont indispensables, d'autres le sont moins car leur rentabilité ne semble pas assurée, au regard des ruptures que l'on pourrait en attendre.

Vous évoquiez le cas des drones. C'est effectivement l'exemple d'une technologie à côté de laquelle nous sommes passés, du fait d'atermoiements dans la définition des besoins des états-majors ou d'atermoiements politiques sur la base industrielle et technologique de défense (BITD). Le risque existe de suivre le même chemin concernant les armes à énergie dirigée.

Prenons l'exemple des lasers. Ceux-ci peuvent fournir une capacité de contre-renseignement (aveuglement des capteurs) et de lutte contre les cibles molles. Des projets d'investissement existent mais il faudrait, à mes yeux, accélérer ces acquisitions d'armes dont les effets sont déjà connus. Les effets de lasers embarqués sur des avions sont beaucoup plus hypothétiques, ce qui devrait amener à considérer avec davantage de circonspection ce type de projet d'investissement s'il existait. Dans le domaine du quantique, certaines technologies sont déjà disponibles, par exemple les horloges ultra-stables, de la taille d'une puce. Celles-ci sont en cours de développement, voire, pour certaines, en cours de commercialisation. Il faut mettre l'accent sur le développement de tels systèmes.

En termes de coopération, le Fonds européen de défense me paraît effectivement un vecteur fondamental pour le développement de nouvelles capacités et plusieurs projets l'illustrent de façon très nette.

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

Vous plaidez, madame la rapporteure pour avis, pour une couverture de l'ensemble du spectre. L'une des difficultés vient du fait que ce spectre ne fait que s'élargir depuis trente ans, ce qui n'est pas le cas des moyens de la défense française. Nous sommes une puissance moyenne et une puissance moyenne n'a pas vocation à couvrir l'intégralité du spectre. C'est la raison pour laquelle des choix doivent être faits. Je suis loin d'estimer qu'il ne faut investir dans aucune arme nouvelle. Le développement de drones navals, par exemple, me paraît constituer une réponse intéressante – d'autant plus que la France présente des performances notables – à certaines problématiques de la marine. Pour autant, je reste convaincu que ce serait nous leurrer et mettre en danger la cohérence de notre modèle que de vouloir couvrir l'ensemble du spectre.

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Je vous remercie pour vos exposés, qui sont passionnants. Je n'ai pas de compétences particulières sur ces sujets mais je m'interroge, en vous écoutant. Ne pas développer l'ensemble du spectre, n'est-ce pas s'empêcher de développer un seul aspect de ce spectre ? N'avons-nous pas besoin de tout le spectre pour combattre ?

Il existe aujourd'hui des conflits extrêmement lourds. Chacun a en tête le conflit ukrainien mais il y en a bien d'autres. Lorsqu'on lit le compte-rendu de ce qui s'y déroule, sans informations d'une autre nature, cela donne l'impression d'une réédition de la guerre d'hier, avec des tranchées, des drones, des missiles, des bombardements massifs, des avancées laborieuses qui nécessitent le combat de rue… Est-ce le cas ? Ce conflit n'est-il pas aussi un « laboratoire » pour des armements nouveaux et, si oui, quelle est leur efficacité ?

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

Si nous développons des moyens sur l'ensemble du spectre, pourrons-nous, in fine, combattre sur tout le spectre à partir des moyens que nous aurons développés ? Nous disposerons de ceux-ci dans des quantités très faibles, pour ne pas dire homéopathiques. La France dispose peut-être aujourd'hui du meilleur missile antichar du monde et des meilleures frégates du monde mais ces équipements sont en très faible nombre. Développer des moyens tous azimuts pour couvrir l'ensemble du spectre revient à couvrir celui-ci avec une « dentelle de Calais » susceptible d'être déchirée par des moyens beaucoup plus rudimentaires sur un pan du spectre. Telle est mon inquiétude.

La dialectique selon laquelle la guerre en Ukraine serait la guerre d'hier m'inquiète quelque peu. Pour en avoir beaucoup discuté ces derniers mois, il m'apparaît que certains préfèrent penser cela, sachant qu'ils n'auraient pas forcément les moyens de se battre avec les moyens qu'exige « la guerre d'hier ». La France a fait la guerre durant dix ans au Mali. Certains pourraient y voir « la guerre d'avant-hier ». Il faut, à l'évidence, se préparer pour la guerre du futur. Pour autant, ne pas tirer des conflits actuels les enseignements qu'ils nous livrent quant à l'importance des feux, le caractère déterminant de la logistique et l'importance de la masse serait à mon avis extrêmement dangereux au regard de notre capacité à faire face à de futurs conflits éventuels.

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Le conflit ukrainien met très bien en lumière l'étirement du spectre auquel nous assistons du fait de la montée en gamme des capacités. Nous serons toujours confrontés, à un bout du spectre, à des individus en pick-up, armés de Kalachnikov et de roquettes antichars RPG mais nous serons aussi confrontés aux armes de dernière génération, à l'autre bout du spectre : par exemple des capacités anti-satellitaires. Parmi les forces en présence dans la guerre en Ukraine, nous voyons des capacités très classiques qui existeront toujours dans vingt ans. Y apparaissent aussi des éléments nouveaux tels des drones obtenus par des financements participatifs (crowdfunding), des mini-drones commerciaux ou des moyens d'action relevant de la guerre électronique et du cyber.

Il faut aussi distinguer le fait de disposer de capacités dans les différents milieux, selon le modèle d'armée complet, qui permet cette couverture large au prix de capacités de plus en plus réduites dans chaque domaine, comme Léo l'a souligné, et la recherche éventuelle du plus haut degré de sophistication dans chacun de ces domaines.

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Pour reprendre les interrogations de Mme Saint-Paul et de M. Woerth, y a-t-il un moment où l'on doit distinguer une recherche tous azimuts, à un stade où l'on ne sait pas encore quels armements l'on pourra développer, et l'équipement capacitaire, qui suppose des choix plus restreints ?

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

La veille technologique doit effectivement être la plus large possible et les capacités de recherche minimales, sur des technologies encore peu matures, doivent, bien sûr, être maintenues. Ces engagements représentent des dépenses très faibles par rapport aux grands programmes structurants. La difficulté surgit lorsqu'on passe à des démonstrations beaucoup plus coûteuses, avant même de passer à la commercialisation. C'est là qu'un premier choix doit être fait. Ensuite, un compromis demeure inévitable entre la masse d'effets réalisables souhaitée et la sophistication de tel ou tel moyen qui ne peut se trouver qu'en un seul lieu à un moment donné.

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Comme cela a souvent été rappelé, nos armées font face à deux défis majeurs, celui de la masse et celui de la qualité, dans l'entraînement et du point de vue du matériel. Le Rassemblement national souhaite que la France conserve un modèle d'armée complet, à la mesure de notre statut de grande puissance, tout en avançant de manière indépendante dans les programmes de développement de nouveaux matériels.

En 1991, nos armées disposaient de 1 349 chars, 686 avions de chasse et 453 000 militaires. Nous disposons aujourd'hui de 200 chars, 254 avions et 268 700 militaires. La prochaine loi de programmation militaire ne prévoit pas d'augmentation significative de ces grandeurs.

Sur le plan qualitatif, malheureusement, le compte n'y est pas. Deux grands programmes d'armement sont conduits avec l'Allemagne, le système de combat aérien du futur (SCAF), pour la conception d'un avion de chasse de sixième génération, et le système principal de combat terrestre (MGCS), pour un nouveau char de combat. Nous contestons ces opérations européennes, principalement franco-allemandes, alors que nous entretenons avec nos voisins allemands une divergence de vues doctrinales, opérationnelles et industrielles. La coopération industrielle franco-allemande, dans le domaine de la défense, construite aux seules fins budgétaires et politiques, inquiète les industriels français, qui craignent une prise de contrôle allemande sur la technologie française.

Un rapport d'information sénatorial de février 2023 rappelle que les incertitudes sur les programmes MGCS et SCAF doivent inciter à laisser une place à des solutions alternatives nationales afin de combler le retard probable, voire l'échec de ces programmes. Même le ministre des armées a exprimé des réserves concernant le MGCS, déjà concurrencé par le char Panther KF-51 de l'entreprise Rheinmetall, elle-même membre du programme. Pire encore, l'Allemagne a une nouvelle fois révélé son manque de fiabilité, en tant que partenaire industriel de défense, en privilégiant l'acquisition d'un système antimissiles israélien au système franco-italien. Dans le cas de ces deux programmes, aucune solution nationale alternative n'a été envisagée, alors que les coûts de développement ne seraient pas disproportionnés. Ainsi, le programme Rafale a coûté autour de 47 milliards d'euros tandis que le coût du programme SCAF est estimé entre 50 et 80 milliards d'euros.

Quelle est votre position, messieurs, sur ces programmes d'armement communs ? Permettent-ils véritablement d'accélérer l'acquisition de ces nouvelles technologies ? La France ne pourrait-elle pas les poursuivre à l'échelle nationale ?

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

Une partie du programme Rafale a été entreprise au moment où le budget militaire de la France était bien supérieur, en proportion. Développer seuls un SCAF à 80 milliards d'euros sur nos fonds propres me semble très difficile, d'autant plus que cet avion n'est pas un chasseur mais un « système de systèmes », selon la formule consacrée. Le dispositif repose sur un chasseur, des drones liés et un cloud de combat lui permettant d'interagir. Or si nous avons des compétences enviables dans le développement de chasseurs avancés, il nous serait très difficile de couvrir, à nous seuls, ces trois aspects complémentaires du programme. Quant à savoir si ces trois aspects sont indispensables, le sujet dépasse le cadre de cette audition.

Pour le MGCS, il est vrai que la situation est très difficile. Nous avons mis de côté des partenaires qui auraient pu être beaucoup plus proches de nous, sur le plan du calendrier et des perspectives, notamment les Italiens et les Espagnols. Les Italiens se tournent aujourd'hui vers Rheinmetall pour acquérir des chars Leopard 2, faute d'avoir été inclus dans le programme MGCS. La Pologne avait également demandé à en faire partie et a finalement acheté des chars coréens.

Ces matériels représentent des enjeux majeurs. Je suis tout à fait d'accord sur ce point. Je doute que nous puissions revenir un jour au niveau de 1 600 chars opérationnels, a fortiori avec le meilleur char du monde. En tout état de cause, les enjeux politiques, dans ce débat, sont tels qu'ils dépassent à mon avis le cadre de la LPM.

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Je partage entièrement cette analyse. S'agissant du SCAF, il me semblerait logique que nous ayons une « position de repli ». Il faudrait également que nous disposions, en réserve, d'une capacité complémentaire de celle du SCAF, qui déboucherait sur des acquisitions beaucoup moins nombreuses, tout en offrant une sur-sophistication qui serait précieuse pour certaines missions. Se poserait alors le problème de la mixité du type de plateforme dont il serait question, au-delà du SCAF.

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Le domaine militaire est évidemment dynamique, en termes d'avancées technologiques. Il en a toujours été ainsi. Ce n'est pas étonnant au vu des enjeux économiques, puisqu'on estime le marché à 592 milliards de dollars pour les cent premières entreprises mondiales du secteur. Ces phénomènes concurrentiels peuvent entraîner une obsolescence accélérée des équipements actuels.

Le programme Barracuda prévoit la construction de 6 sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) d'ici 2030, pour un coût de 9 milliards d'euros. La France remplacera ainsi ses SNA de classe Rubis par de nouveaux sous-marins de classe Suffren. Selon le ministère des armées, ces matériels sont à la pointe des qualités que l'on peut en attendre en termes de discrétion. Nous assistons à une militarisation progressive des fonds marins depuis plusieurs années. Les câbles optiques submergés deviennent le support de détecteurs acoustiques, rendant impossible l'invisibilisation de ces bâtiments stratégiques, selon certaines analyses. Le programme Barracuda reste-t-il pertinent dans ce contexte d'amélioration importante des technologies de détection sous-marine ?

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Il est vrai qu'en milieu sous-marin, les systèmes de détection, dans le cadre de la « guerre des fonds marins », progressent considérablement. Si vous souhaitez conduire des opérations au cœur du bastion russe ou au sud de l'île de Hainan, en mer de Chine, vous aurez de plus en plus de difficultés, compte tenu du développement de ces capacités. Néanmoins, du fait de la discrétion d'évolution des submersibles, ceux-ci restent les éléments les plus furtifs de l'ensemble des appareils de force. Cette spécificité ne devrait pas disparaître de sitôt. S'il s'avère que les câbles sous-marins, par exemple, peuvent servir de capteurs, qui sera capable de développer de tels systèmes et qui sera capable d'exploiter les données potentiellement recueillies par ces dispositifs ? Le nombre de pays qui auront de telles capacités se comptera probablement sur les doigts d'une main.

Le Barracuda est probablement le meilleur sous-marin d'attaque au monde. Il induit un effet démultiplicateur, en termes capacitaires, qui est énorme. Mais il est vrai que nous n'en aurons que 6. Ils devraient pouvoir s'accompagner de systèmes de drones navals et de capacités en matière de guerre des fonds marins. Si nous déployions nous-mêmes des capacités de protection de nos bases (Brest, Toulon, etc.) par des systèmes de fonds marins, cela pourrait dégager des ressources dans d'autres domaines.

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Nous le savons tous, la base industrielle et technologique de défense française constitue un atout majeur pour nos armées et pour notre pays d'une façon générale, tant en termes de souveraineté que de capacité à innover dans de nombreux domaines. Je m'interroge néanmoins sur l'un des effets de la réorientation stratégique que nous opérons à travers ce projet de loi de programmation militaire en adaptant certaines commandes prévues à long terme, notamment en matière de chars et d'hélicoptères. Ces adaptations auront un effet sur les industriels, sur leur capacité à produire et par voie de conséquence sur leur capacité à innover, dans un secteur où la compétition mondiale est de plus en plus féroce. Sont-ils armés pour continuer d'innover ?

Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, messieurs, la France prend le pari de miser sur des avancées technologiques – hypervélocité, quantique, lasers – pour ses armées. Les investissements que nous y consacrons vous paraissent-ils suffisants pour miser à ce point sur ces nouvelles armes ? Compte tenu du coût de développement des équipements standard et technologiques, faut-il, à vos yeux, privilégier l'achat de certains équipements sur étagère, comme nous l'avons fait pour les fusils d'assaut, afin de pouvoir dédier davantage de ressources aux nouvelles technologies ?

Enfin, la France a toujours été en pointe en matière de prospective. Quelle est la part que le projet de LPM prévoit d'y consacrer ?

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

Après une année bientôt complète de discours sur l'économie de guerre, qui incite à produire davantage, plus vite et éventuellement moins cher, les échéanciers fournis dans le rapport annexé du projet de LPM ont fait tressaillir plus d'un industriel. L'un de nos principaux producteurs de véhicules blindés, Arquus, va probablement fermer la moitié de ses sites – lesquels sont déjà en « 1 x 8 », pour l'essentiel, c'est-à-dire en sous-activité – en raison notamment de la nécessité de faire face au nouvel étalement de la cible de Jaguar. C'est un problème majeur, qui pourrait affecter d'autres domaines, notamment celui des hélicoptères interarmées légers. Pour ceux-ci, qui constituent des appareils très importants dans l'activité des forces aux yeux de la direction générale de l'armement (DGA), l'objectif initial, de 180 appareils en 2035, a été ramené à 70 appareils.

La capacité des industriels à innover et à investir dans la recherche sera en effet sensiblement affectée car ils manquent déjà d'activité et de ressources à investir dans de futurs produits. En l'espèce, les véhicules terrestres ne sont pas les plus consommateurs de haute technologie mais cette inquiétude se répand aujourd'hui parmi l'essentiel des industriels de la défense, de Safran aux fournisseurs des véhicules terrestres. Un bruit court, selon lequel ce nouvel étalement aurait pour origine l'incapacité des industriels à produire davantage, ce qui est globalement faux. Lorsqu'un industriel fonctionne en « 1 x 8 », il peut monter en cadence pour tourner en « 3 x 8 ». Je crois que ces remarques ont beaucoup surpris et beaucoup choqué dans l'industrie. Il va falloir rassurer ces partenaires. Précisons également que l'étalement d'une cible n'offre pas davantage de visibilité à un industriel. Or c'est cette visibilité dont il a besoin pour planifier ses investissements productifs ainsi que ses investissements de recherche et d'innovation.

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Nous réfléchissons souvent à la question, au sein de notre groupe. Je crois que les armes nouvelles devraient, pour un grand nombre d'entre elles, être interdites par des traités internationaux : je pense, par exemple, aux robots tueurs. Des campagnes sont lancées pour interdire ce type d'équipement et les mines antipersonnel ont été interdites. Nous pourrions consacrer davantage de moyens à la diplomatie, afin que les choses avancent de ce point de vue. L'hypervélocité des missiles, les missiles destructeurs de satellites, l'arsenalisation de l'espace, les systèmes d'armes létales autonomes ou encore le cyber, doivent être débattus au sein de conférences de désarmement pour être limités.

Au-delà des ambitions pacifistes, chacun constate que les systèmes d'armes deviennent de plus en plus complexes, coûteux, précaires et connectés. J'ai noté que la Suisse avait commandé, il y a quelque temps, une étude en vue d'équiper ses soldats de basses technologies et revenir à la base de l'infanterie – maîtrise du poids et de l'encombrement, matériels réparables, disponibilité des pièces de rechange, retour à des connaissances simples et fiables–, le tout travaillé directement avec les soldats et dans le cadre de retours d'expérience.

Alors que les nouvelles armes contribuent à faire exploser les budgets militaires, pour le plus grand bonheur des marchands d'armes, force est de constater que les armées victorieuses ont toujours été les plus frugales. Les Vietnamiens, les Afghans, les Irakiens et d'autres nous l'ont montré en battant à plate couture l'armée technologiquement la plus avancée au monde. Cette observation devrait nous inviter à repenser notre rapport à la technologie et au droit de la guerre, plutôt que de nous lancer sans réfléchir dans cette course. La question des sous-marins me paraît emblématique, puisque ce projet de loi de programmation envisage de travailler aussi sur des sous-marins lanceurs d'engins, qui transportent la bombe atomique. Leur efficacité, depuis toujours, repose sur l'impossibilité de les localiser. Or, du fait de l'évolution technologique, il est de plus en plus difficile de disparaître dans les océans, ce qui pose la question de l'utilité de tels bâtiments.

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

S'agissant de l'interdiction éventuelle des armes nouvelles, je comprends l'angoisse qui peut exister sur ces sujets. Je ne crois pas, toutefois, qu'interdire les lasers, qui peuvent être utilisés comme une arme anti-drones, soit notre première urgence. Nous avons beaucoup travaillé l'an dernier, à l'IFRI, sur les armes autonomes. En France, nous avons déjà du mal à nous doter de drones téléguidés, avec un niveau d'automatisation leur permettant de se rendre sur zone, de décoller ou d'atterrir de manière automatique. La notion de « robots tueurs » est aussi très décriée, compte tenu des émotions qu'elle peut susciter. Pour toutes ces raisons, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'appliquer aussi sèchement un traité d'interdiction à l'ensemble du spectre des armes nouvelles. Ce serait se priver d'un potentiel très important pour l'avenir. De plus, selon un argument bien connu en droit international, si nous nous en privons, d'autres, qui n'ont pas les mêmes valeurs que nous, ne s'en priveront malheureusement pas.

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Philippe Gros, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), coordinateur de l'Observatoire des conflits futurs

Je suis entièrement d'accord mais j'ajouterais quelques nuances dans l'analyse.

Il ne faut pas confondre une capacité avec une stratégie, laquelle s'inscrit dans un cadre politico-stratégique d'engagement. Vous indiquez que les armées des pays que vous avez cités ont battu à plate couture l'armée américaine. Sur le plan tactique, il n'en est rien. Vous mettez en exergue, en revanche, des stratégies d'intervention qui étaient mal conçues et qui, aux yeux de nombreux spécialistes, dès avant l'intervention, ne pouvaient réussir. Vous ne pouvez tirer d'engagements mal conçus et mal conduits les conclusions que vous avez affirmées. Dans tous les engagements que vous avez cités, la clé résidait dans une équation socio-politique locale que l'on prétendait imposer. Dans la plupart de ces conflits, les performances opérationnelles de l'instrument militaire ont été conformes à ce qui pouvait en être attendu, compte tenu des tâches qui lui étaient assignées ; la stratégie, en revanche, était défaillante.

Vous avez aussi évoqué l'armée suisse et la rusticité de son modèle. Regardons ce qu'il se passe actuellement en Ukraine. On constate, du côté russe, une perte phénoménale de densité d'armement lourd. Depuis plusieurs mois, les Russes ne peuvent plus mettre en œuvre leur concept de reconnaissance / frappe. Ils reviennent, grosso modo, à 1918. Voyez où cela les mène : ils sont en train d'user tout le potentiel de leur mobilisation pour gagner soixante-dix kilomètres carrés en six mois. Avec moins de moyens mais avec un dispositif – complété par l'aide occidentale – infiniment plus sophistiqué, les Ukrainiens sont en train d'épuiser le potentiel russe. C'est la démonstration que miser uniquement sur la rusticité constitue, sur le plan de la confrontation militaire, une impasse totale. Si développer des armes hypersophistiquées au point de ne pouvoir en développer suffisamment et ne plus avoir une masse suffisante n'a guère de sens, donner la priorité absolue à la rusticité n'en a pas davantage.

Là encore, il faut distinguer ce qui relève du capacitaire et du militaire. Aucun système d'armes ni aucune capacité militaire, en soi, ne gagne une guerre. Celle-ci constitue un phénomène politique, stratégique, social qui a sa dynamique propre. Nous ne parlons ici que d'instruments militaires.

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Léo Péria-Peigné, chercheur au Centre des études de sécurité de l'IFRI et à l'Observatoire des conflits futurs

Il est beaucoup plus facile de passer d'un niveau élevé à un niveau moindre de sophistication que l'inverse. L'armée russe s'approche de la limite de ce qui est faisable en termes de retour en arrière vers une moindre sophistication, alors qu'elle est entrée en guerre avec un potentiel technologique bien supérieur.

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M. Lecoq est suffisamment bon marxiste et bon clausewitzien pour savoir qu'une guerre est gagnée par la politique. Le conflit qui l'illustre parfaitement est la guerre d'Algérie. La supériorité tactique de l'armée française, telle qu'elle s'est exprimée en 1960 avec le plan Challe, et notamment une utilisation extrêmement habile des moyens héliportés, nous a assurés une victoire totale sur le terrain, alors que nous avons démontré parallèlement une incapacité totale à gérer le confit sur le plan politique. Cela s'est terminé par le départ des Français. Ce n'est pas une question de rusticité. Tout dépend plutôt de l'adéquation entre un système social, les objectifs poursuivis par les combattants et la capacité de ceux-ci à admettre les limites de la guerre réelle par rapport à la guerre absolue, au sens de Clausewitz. C'est cela qui détermine la victoire. Il existe de ce point de vue un large champ d'unanimité allant de Lénine à Clausewitz, au sein duquel je me situe bien volontiers, ainsi que M. Lecoq, j'imagine.

Je vous remercie beaucoup, messieurs. Vous nous avez beaucoup éclairés. Le choix théorique est assez évident, quant au degré de sophistication et de rusticité. Il reste à passer aux travaux pratiques, ce qui révélera certainement des difficultés bien plus grandes. Nous verrons ce que nous dit le ministre des armées cet après-midi. Je me sens assez démuni, pour ma part, quant à recommander à monsieur le ministre ce qu'il faut faire ou ne pas faire. Je comprends de vos exposés que rien ne sert d'avoir des outils ultrasophistiqués et extrêmement diversifiés si nous n'avons pas les capacités suffisantes pour les mettre en œuvre.

Je crois que c'est l'un des problèmes que pose ce projet de loi de programmation militaire : après avoir célébré les effets de masse, nous sommes en fait restés dans la logique qui est traditionnellement la nôtre depuis de nombreuses années – même si l'on améliore beaucoup l'existant –, c'est-à-dire celle d'une armée qui reste un peu expéditionnaire, un peu échantillonnaire et ne prend pas suffisamment en compte les exigences de massification que les récents conflits ont bien mises en lumière, pas seulement en Ukraine. Nous sommes passés, y compris en dehors du théâtre européen, à des logiques de confrontation de grandes puissances, et plus seulement de lutte asymétrique entre une armée et divers mouvements terroristes.

Je ne sais pas quel chemin il faut suivre en termes de sophistication des armées. Le projet de loi de programmation contient, me semble-t-il, des choses intéressantes mais je serais bien incapable de dire s'il propose le bon équilibre de ce point de vue. Je l'espère, tout en constatant que certains le contestent, comme l'a fait ici M. Péria-Peigné avec beaucoup de talent.

La séance est levée à 13 h 40

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Damien Abad, Mme Nadège Abomangoli, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Frédéric Falcon, M. Thibaut François, Mme Maud Gatel, M. Philippe Guillemard, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, M. Jean-Paul Lecoq, M. Nicolas Metzdorf, M. Frédéric Petit, M. Kévin Pfeffer, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Laetitia Saint-Paul, M. Éric Woerth, M. Frédéric Zgainski

Excusés. - Mme Véronique Besse, M. Louis Boyard, M. Moetai Brotherson, M. Jérôme Buisson, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Michel Guiniot, M. Joris Hébrard, M. Hubert Julien-Laferrière, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, M. Tematai Le Gayic, Mme Marine Le Pen, M. Vincent Ledoux, M. Laurent Marcangeli, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, Mme Barbara Pompili, Mme Liliana Tanguy, Mme Laurence Vichnievsky, M. Christopher Weissberg, Mme Estelle Youssouffa