Je suis entièrement d'accord mais j'ajouterais quelques nuances dans l'analyse.
Il ne faut pas confondre une capacité avec une stratégie, laquelle s'inscrit dans un cadre politico-stratégique d'engagement. Vous indiquez que les armées des pays que vous avez cités ont battu à plate couture l'armée américaine. Sur le plan tactique, il n'en est rien. Vous mettez en exergue, en revanche, des stratégies d'intervention qui étaient mal conçues et qui, aux yeux de nombreux spécialistes, dès avant l'intervention, ne pouvaient réussir. Vous ne pouvez tirer d'engagements mal conçus et mal conduits les conclusions que vous avez affirmées. Dans tous les engagements que vous avez cités, la clé résidait dans une équation socio-politique locale que l'on prétendait imposer. Dans la plupart de ces conflits, les performances opérationnelles de l'instrument militaire ont été conformes à ce qui pouvait en être attendu, compte tenu des tâches qui lui étaient assignées ; la stratégie, en revanche, était défaillante.
Vous avez aussi évoqué l'armée suisse et la rusticité de son modèle. Regardons ce qu'il se passe actuellement en Ukraine. On constate, du côté russe, une perte phénoménale de densité d'armement lourd. Depuis plusieurs mois, les Russes ne peuvent plus mettre en œuvre leur concept de reconnaissance / frappe. Ils reviennent, grosso modo, à 1918. Voyez où cela les mène : ils sont en train d'user tout le potentiel de leur mobilisation pour gagner soixante-dix kilomètres carrés en six mois. Avec moins de moyens mais avec un dispositif – complété par l'aide occidentale – infiniment plus sophistiqué, les Ukrainiens sont en train d'épuiser le potentiel russe. C'est la démonstration que miser uniquement sur la rusticité constitue, sur le plan de la confrontation militaire, une impasse totale. Si développer des armes hypersophistiquées au point de ne pouvoir en développer suffisamment et ne plus avoir une masse suffisante n'a guère de sens, donner la priorité absolue à la rusticité n'en a pas davantage.
Là encore, il faut distinguer ce qui relève du capacitaire et du militaire. Aucun système d'armes ni aucune capacité militaire, en soi, ne gagne une guerre. Celle-ci constitue un phénomène politique, stratégique, social qui a sa dynamique propre. Nous ne parlons ici que d'instruments militaires.