Mercredi 8 mars 2023
La séance est ouverte à 20 heures 05.
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
Nous accueillons ce soir, dans le cadre de notre commission d'enquête, M. François de Rugy, qui a présidé l'Assemblée nationale au début de la précédente législature avant de devenir ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire.
En préambule, j'aimerais préciser aux membres de notre commission d'enquête et à ceux qui suivent nos travaux qu'il s'agit là de la dernière audition avant d'entamer une phase de rédaction du rapport et de recevoir les deux anciens Présidents de la République la semaine prochaine, dans un cadre un peu différent. En effet, ceux-ci ne sont pas responsables devant le Parlement en leur qualité d'anciens Présidents de la République. Le format de nos auditions sera donc différent.
Nous attaquons la 142e heure d'audition de notre commission d'enquête ce soir. Cela représente une quantité d'auditions et de travail relativement conséquente pour une commission d'enquête parlementaire.
J'aimerais en profiter pour remercier publiquement les administrateurs et le secrétariat de cette commission pour la disponibilité, la qualité du travail déjà fourni. En tant qu'élus de la Nation, il est très agréable de pouvoir se reposer sur une administration aussi disponible et au service du travail des parlementaires. Je souhaite remercier également l'ensemble des collègues qui ont participé aux travaux de cette commission pour la qualité des questions, pour l'ambiance, ainsi que pour le respect qui a animé l'ensemble de nos auditions. Ce n'est pas forcément évident pour un sujet clivant sur le plan politique, mais je pense que nous y sommes parvenus.
Monsieur le président, merci d'avoir accepté de venir devant notre commission pour partager avec nous vos analyses. Vous avez été président de l'Assemblée nationale en 2017 avant d'être nommé ministre d'État après la démission de M. Nicolas Hulot, que nous avons auditionné. Votre analyse en tant qu'ancien président de l'Assemblée nationale, ancien député, nous intéresse. Les auditions organisées par notre commission d'enquête ont en effet montré l'importance que pouvaient revêtir les dispositions votées par le Parlement dans le domaine de l'énergie.
Vous avez été élu député en 2007 puis réélu en 2012 et 2017. Vous avez par ailleurs présidé le groupe écologiste de l'Assemblée de 2012 à 2016.
La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) du 17 août 2015 a fait l'objet, dans le cadre de notre commission, de nombreux commentaires, notamment sur la qualité de l'étude d'impact et des outils de programmation destinés à donner à la représentation nationale les moyens d'information et de suivi nécessaires.
Vous avez ensuite été ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire de 2018 à 2019, période marquée par le mouvement des gilets jaunes et le lancement de deux évènements importants : le Grand débat national et la Convention citoyenne pour le climat.
Vous avez été signataire, avec le Premier ministre d'alors, Edouard Philippe, du projet de loi relatif à l'énergie et au climat, adopté après votre départ du ministère. Son exposé des motifs fait état de la substitution de la neutralité carbone au facteur 4, également largement discutée dans nos travaux, comme étant un point de rupture, et annonce que le délai au terme duquel le mix électrique devra comprendre au plus 50 % de nucléaire est repoussé à 2035, en précisant que « cela correspond à la fermeture de quatorze réacteurs sur la période, dont deux à quatre d'ici 2028 en plus de ceux de Fessenheim ».
Vous êtes par ailleurs un homme politique appartenant au mouvement écologiste qui a été traversé par différents courants et avez exprimé parfois votre désaccord avec certaines orientations.
Vos réflexions sur les conditions dans lesquelles la politique énergétique de notre pays est définie et les leçons que vous tirez de votre expérience politique enrichiront celles que nous avons d'ores et déjà recueillies auprès d'autres personnalités que nous avons auditionnées.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(M. François de Rugy prête serment).
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs, je voudrais tout d'abord saluer la création de cette commission d'enquête. C'est assez rare sur ce sujet. Il y en a déjà eu une en 2014, mais qui portait sur les coûts de la filière nucléaire. Je crois donc que des sujets se recoupent. Je ne doute pas qu'elle vous permettra, en tant que députés, d'aller au plus près de la vérité, de ce qu'est la réalité non seulement de la situation énergétique actuelle, mais de ce qui a amené à cette situation.
Je parlais d'approcher la vérité. Manifestement, cela n'est pas facile, si j'en crois quelques trous de mémoire de certaines personnalités que vous avez auditionnées ou l'incapacité d'autres à assumer ce qu'étaient leurs responsabilités. Pour ma part, j'essaierai donc de répondre aussi précisément que possible à vos questions et d'assumer les responsabilités qui ont été les miennes au gouvernement. Je m'exprimerai surtout en tant qu'ancien ministre de l'écologie, donc de l'énergie, entre 2018 et 2019. Je n'oublie pas que j'ai été député de nombreuses années et qu'à ce titre, j'ai suivi les débats parlementaires, législatifs, sur un certain nombre de textes qui ont pris des décisions en matière énergétique.
Je crois pouvoir dire que le débat politique actuel sur l'énergie est beaucoup plus intense qu'il a pu l'être par le passé. Cela amène peut-être parfois à des choses un peu caricaturales, mais je m'en félicite, car je crois qu'il est dommage que pendant de très nombreuses décennies, en France, il n'y ait pas eu beaucoup de débats.
Il faut reconnaitre que cela n'a pas commencé aujourd'hui. En 2005, une loi sur l'énergie parlait déjà des objectifs climatiques, d'un mix énergétique, électrique en tout cas, composé à la fois du nucléaire et des énergies renouvelables. En 2010, la loi NOME (Nouvelle organisation du marché de l'électricité) a pris des décisions importantes sur le marché électrique, notamment la question de l'Arenh (Accès régulé à l'électricité nucléaire historique) qui a dû souvent être débattue ici. En 2015, il y a eu la loi de transition énergétique et de croissance verte. Plus près de nous encore, moins connue et peut-être moins directement perçue comme étant reliée à votre sujet, mais qui l'est pourtant : une loi présentée à la fin de 2017 par le ministre Nicolas Hulot interdisait toute exploration et production d'hydrocarbures en France. On pourrait penser que cela n'a pas de conséquence parce que notre pays ne recèle pas beaucoup de ressources en la matière. Il y en a sans aucun doute au large de la Guyane. Avant cette loi, Total a obtenu un permis et l'a utilisé. Il n'a pas trouvé de pétrole. Tout le monde savait qu'il existait de fortes chances pour qu'il en ait sur des zones proches. Total n'a pas pu demander de nouveau permis. Par ailleurs, les gaz et pétrole de schiste sont assez abondants dans le sous-sol de nombreuses régions françaises. Un choix assez consensuel consiste à s'interdire de les exploiter. En termes de souveraineté énergétique, ce n'est pas neutre, en particulier aujourd'hui où l'on voit à quel point l'alimentation en gaz notamment est un sujet difficile.
En 2019, j'ai présenté en Conseil des ministres puis en première lecture à l'Assemblée nationale un projet de loi « énergie climat » qui a amené à prendre des décisions sur ces sujets, en complément de ce que nous avions présenté lors de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
S'agissant de la situation de la production d'électricité – car en réalité, on parle de l'électricité plus que de l'énergie – quand je suis devenu ministre en 2018, la situation était relativement stable depuis de très nombreuses années. Sur les trente dernières années, on avait une très grande stabilité en France de la production électronucléaire et de la production hydraulique. Les deux seuls changements qui commençaient à se ressentir depuis cinq ou dix ans étaient le déclin des centrales thermiques. On en parle très peu, mais ce n'est pas une décision politique, c'est une décision de l'entreprise EDF qui a fait le choix de fermer des centrales au fioul. Ainsi, à Cordemais, il existe toujours deux tranches au charbon, mais deux tranches au fioul ont été fermées. À Porcheville, dans les Yvelines, la centrale a été intégralement fermée. Enfin, le développement des énergies renouvelables, principalement l'éolien et le solaire, est sensible sur cette période. Une fois encore, on parle de l'électricité ; si l'on parle du reste de l'énergie, il existe d'autres sujets.
Je suis arrivé au gouvernement en septembre 2018. La situation se caractérisait alors par quelque chose que l'on a beaucoup de mal à imaginer aujourd'hui, mais cela est naturellement vérifiable : des prix extrêmement bas de l'électricité sur les marchés de gros en Europe. Il s'agit bien de marchés de gros et non de marchés spots à un instant t. En moyenne, les contrats de gros étaient inférieurs à 40 euros le mégawattheure. Aujourd'hui, des prix aussi bas paraissent complètement surréalistes. Les concurrents d'EDF en France ne faisaient même pas appel à l'Arenh à laquelle ils avaient accès, parce qu'à 42 euros à l'époque, c'était trop cher par rapport au prix de marché. En 2018, cela a dû monter à environ 50 euros. On l'oublie, mais sur l'année 2021, les prix étaient encore de cet ordre-là.
Nous sommes inscrits dans un marché européen et à ce moment-là, l'Europe est plutôt en situation de surproduction. En effet, il y a eu un développement assez fort des renouvelables dans de nombreux pays. Ceux-ci ont mis sur le marché de l'électricité que l'on peut considérer à coût zéro puisque de toute façon, elle était achetée à un prix fixé d'avance. Cela s'est développé davantage dans certains pays, mais cela a pesé sur le marché. Dans le même temps, les capacités classiques étaient maintenues parce que les gouvernements avaient un peu plus de mal ; il est toujours plus difficile de fermer des centrales que d'en ouvrir.
Dans un premier temps, il y a donc eu ce mouvement d'augmentation de la production sur le renouvelable sans baisser le classique. Cela avait pour conséquence très concrète que cela n'incitait pas les énergéticiens, petits ou grands, à investir, dans la mesure où la rentabilité économique était faible. À l'époque, on considérait que le coût de l'électricité produite par les éoliennes était d'environ 70 euros le mégawattheure. Lorsqu'on se trouve sur un marché qui tourne entre 40 et 50 euros, 70 euros paraissent très chers.
Par ailleurs, Madame Nathalie Kosciusko-Morizet l'a peut-être évoqué, en 2010, on a brutalement stoppé le développement du solaire photovoltaïque en France. 13 000 emplois ont été supprimés. On a tout stoppé pendant six mois au motif que cela fonctionnait trop bien, c'est-à-dire que la production commençait à « s'emballer », au lieu de réguler le système et de baisser un peu le prix d'achat, ce qui aurait permis de continuer à développer cette filière.
Surtout, en matière de nucléaire, Hinkley Point, le projet porté par EDF pour le Royaume-Uni, est signé entre 90 et 100 euros le mégawattheure. D'ailleurs, certains au Royaume-Uni avaient reproché au gouvernement britannique de signer un contrat à ce prix, même si c'était à une échéance de dix ans, parce qu'ils jugeaient cela beaucoup trop cher par rapport au marché. J'avais moi-même des échanges avec mes homologues britanniques quand j'étais ministre et ceux-ci m'indiquaient que l'on n'allait pas plus loin sur le nucléaire, au motif que cela était plus cher que d'autres modes de production.
Quand j'ai été nommé ministre, la programmation pluriannuelle de l'énergie (décret d'application de la loi de transition énergétique de 2015) n'était toujours pas finalisée. En tant que député, j'ai soutenu le gouvernement précédent, mais celui-ci a opéré un choix que je ne partageais pas qui consistait à renvoyer à 2017 la définition d'une vraie PPE. En 2015, après l'adoption de la loi, un décret a été émis, mais qui se contentait de proroger l'existant. On disait de façon un peu triviale : « on refile le bébé au gouvernement suivant ».
Quand j'arrive à l'automne 2018, beaucoup de travail a été fait, mais rien n'est finalisé. Plusieurs scénarios circulent pour appliquer cette loi. Très vite, nous prenons des décisions dans un cadre politique qui est les engagements du Président de la République, M. Emmanuel Macron. Avant d'être élu, M. Emmanuel Macron a indiqué dans sa campagne qu'il s'inscrivait dans le cadre de la loi de 2015, qu'il la mettrait en œuvre – contrairement à d'autres candidats qui avaient d'autres points de vue. Je le rappelle, car on dit souvent qu'une fois élus, les candidats ne respectent pas leurs promesses. Les anciens Présidents de la République que vous interrogerez pourront démontrer sans grandes difficultés qu'ils ont plutôt tenu leurs promesses, qu'il s'agisse de M. François Hollande, M. Nicolas Sarkozy avant lui ou Emmanuel Macron élu en 2017.
Ma feuille de route en tant que ministre, fixée par le Président et le gouvernement, était de mettre en œuvre cet engagement et de finaliser la programmation pluriannuelle de l'énergie, avec l'insistance qu'il avait eue sur le développement des énergies renouvelables et le maintien d'une part importante de nucléaire. Je tiens à le dire, car quand on entend certaines auditions, on a l'impression que M. Emmanuel Macron était antinucléaire. Il n'a jamais été antinucléaire et n'a jamais fait la moindre déclaration en ce sens. Quand il était ministre de l'économie, il a beaucoup poussé à la signature du contrat Hinkley Point avec le Royaume-Uni pour EDF.
Nous décidons de reporter l'échéance de 2025 à 2035. Cela a été acté dans la loi en 2019. Je pourrai revenir sur le contexte de l'époque, mais je dirais que le débat politique, n'était pas du tout structuré comme il l'est maintenant, notamment le débat médiatique.
Vous m'avez demandé mon analyse sur la situation actuelle. Elle est très dégradée. Cela tient pour moi à la conjonction de deux phénomènes totalement imprévisibles en 2017, 2018 ou même 2019 quand j'ai quitté mes fonctions.
Le premier phénomène est la baisse des moyens de production classique partout en Europe, notamment thermique. De nombreux pays d'Europe décident de fermer leurs centrales thermiques pour remplir des objectifs climatiques. Contrairement à la France, pour beaucoup de pays d'Europe, la production d'électricité pèse lourd dans les émissions de gaz à effet de serre. Par conséquent, fermer les centrales thermiques permet assez rapidement de baisser les émissions de gaz à effet de serre. L'Allemagne ferme également des centrales nucléaires.
Nous sommes dans un marché européen. M. François Brottes, que vous avez auditionné, a insisté sur ce point à juste titre : l'Union européenne subventionne et incite beaucoup à ce qu'il y ait des interconnexions, ce qui est une très bonne chose. Mais il se pose un problème, que j'ai pu constater quand j'étais ministre : il n'existe pas de coordination entre les gouvernements européens sur la production. On a le même marché, le même réseau interconnecté, mais chaque pays est très jaloux de ses choix en matière énergétique. Il est donc très compliqué de coordonner la production.
L'autre phénomène est la chute jamais vue des disponibilités du parc nucléaire français, c'est-à-dire la capacité des centrales nucléaires à produire de l'électricité, à l'inverse de tout ce que nous avaient indiqué les responsables d'EDF, en tout cas pendant toute la période où j'étais ministre, c'est incontestable.
Au passage, le problème s'est posé de la même façon, avec un petit décalage dans le temps, en Belgique. C'est Engie, entreprise française, qui opère en Belgique les centrales nucléaires, car elle avait racheté Electrabel, l'opérateur historique, « l'EDF belge » si l'on peut dire. Il y a aujourd'hui une décision du gouvernement belge de fermer, mais à l'époque, ce n'était pas une décision politique, c'était l'incapacité à produire en toute sécurité, avec la fermeture totalement imprévisible à l'époque en Belgique. Ce phénomène se produit en France en 2022.
Il faut rappeler aussi l'incapacité d'EDF, encore à ce jour, à mettre l'EPR de Flamanville en service. Je peux dire avec une certaine antériorité comme député, comme ministre, à nouveau comme député et aujourd'hui comme observateur, qu'on nous a indiqué quasiment chaque année, que ce serait l'année prochaine, que les problèmes allaient être réglés. Ce n'est pas le cas malheureusement. Malheureusement, parce que ce sont des moyens de production dont nous avons besoin.
S'ajoute à cela – c'est moins important, mais cela joue un rôle – des retards sur les parcs éoliens en mer. Le Conseil d'État a pris une décision assez lourde de conséquences : il a donné droit à des associations d'habitants du littoral d'être considérées comme des associations de riverains ayant intérêt à agir pour contester des projets éoliens. Ils ont eu tort sur le fond, mais sur la forme, après des décisions à deux niveaux de juridiction qui les déboutaient, on a considéré qu'ils avaient droit. Les parcs éoliens en mer en France, notamment le premier en Loire-Atlantique, se trouvent à 12 kilomètres du littoral. Le débat politique au Parlement, quand M. Nicolas Sarkozy, puis M. François Hollande, puis M. Emmanuel Macron étaient Présidents de la République, était de développer l'éolien en mer justement parce qu'il n'y aurait pas de problèmes avec les riverains contrairement à l'éolien terrestre. C'est un problème. Il existe aussi un retard sur quelques moyens de production comme la centrale à gaz de Landivisiau également pour des questions de recours.
Vous m'avez demandé ce qu'il en était de la question de la souveraineté dans notre processus de décision. Tout d'abord, la consommation d'énergie en France ne se limite pas à l'électricité. Il existe une petite ambiguïté : dans l'intitulé de votre commission, on parle bien de la souveraineté énergétique, mais j'observe que dans tous les débats, on vient vers l'électricité.
Globalement, la consommation d'énergie en France tout confondu est 1 600 térawattheures. Quand le parc nucléaire présentait un bon niveau de disponibilités, l'électricité représentait 450 térawattheures, soit un peu plus de 25 % du total. Cela signifie que pour une grande part, le reste est encore des énergies fossiles. Le pétrole représente 680 térawattheures, le gaz, 320 térawattheures, le charbon, 12 térawattheures, 100 % importés. Il est important de le rappeler, car il s'agit là d'un problème de souveraineté majeur. En 2022, la contribution de l'énergie au déficit commercial est de 44 milliards d'euros.
Cela a toujours été au cœur de nos décisions, mais dans une réflexion à la fois technologique et économique. Il y a eu le « quoi qu'il en coûte ». Je ne sais pas s'il est encore d'actualité, mais il est sûr que l'on n'était pas dans la logique de « nous faisons les projets quoi qu'il en coûte », car il y a tout de même une dimension économique majeure.
Quand j'étais ministre, je n'ai jamais manqué de rappeler dans mes interventions publiques, au Parlement ou dans les médias, la nécessité de la sécurité d'approvisionnement en électricité. Systématiquement, cela était balayé d'un revers de main par les médias qui considéraient que je disais cela pour faire diversion. Parce qu'à l'époque, c'était une évidence : on branche un appareil électrique, il y a toujours de l'électricité. C'était devenu un geste d'une banalité totale avec une énergie relativement abondante et relativement bon marché. Le Président de la République a parlé de la fin de l'abondance. Il avait tout à fait raison, mais cette prise de conscience n'existait pas du tout à l'époque. Dans le contexte médiatique, les deux questions que l'on me posait toujours étaient : quand allez-vous fermer les centrales nucléaires ? Quand allez-vous fermer les centrales à charbon ? Je parlais de la sécurité d'approvisionnement ; on n'en avait rien à faire, cela était vu comme une diversion, ce qui est très grave.
Dans ce contexte, la souveraineté résidait dans le maintien du nucléaire, qui était l'engagement du Président de la République, et dans le développement des renouvelables. Les renouvelables, au-delà de la simple électricité, ce sont les ressources de nos territoires, du made in France. L'éolien, c'est le vent qui souffle en France. Le solaire, c'est le soleil qui brille en France. C'est le biogaz. C'est l'hydroélectricité, mais il se pose une difficulté à développer la production hydroélectrique, car les potentiels sont déjà très fortement exploités et plus personne n'envisage de barrer des vallées alpines ou pyrénéennes pour installer de gros barrages. Il faut citer la filière bois et forêts, la chaleur renouvelable.
L'éolien en mer est concret. Quand j'étais ministre, s'est débloqué le projet de Saint-Nazaire. Nous avions indiqué qu'il serait en service à l'automne 2022 ; il l'a été et il produit de l'électricité depuis l'automne dernier. C'est surtout moi qui ai pu attribuer le parc éolien de Dunkerque, dont le coût est extrêmement bas. Dix groupements, dont les plus grands comme Engie ou Total, ont concouru. EDF l'a emporté, car c'est lui qui avait proposé le prix le plus bas, de 47 ou 48 euros le mégawattheure, très inférieur aux prix actuels de marché.
Nous avons fait cela dans l'intérêt de l'État. En effet, ce prix est garanti au producteur, mais lorsque le producteur le vend sur le marché à un prix supérieur parce que le marché est à la hausse, c'est l'État qui récupère la différence. Ces recettes ont été très importantes en 2022 pour financer notamment le bouclier tarifaire.
Nous avons continué à développer les interconnexions. J'ai moi-même signé un accord avec les Irlandais à Cork au printemps 2019, avec M. François Brottes en tant que président de RTE à l'époque.
Un point est important dans l'environnement politico-médiatique de votre commission. On m'a demandé quel était mon état d'esprit, comment j'avais abordé ma mission à l'époque. Je me suis exprimé ; cela est donc vérifiable. Je suis nommé le 4 septembre 2018 et moins d'une semaine après, le 10 septembre, j'accepte une interview dans Le Monde pour poser les choses. Le Monde titre : « Il faut sortir de la guerre de religion sur le nucléaire ». L'interview ne porte pas que là-dessus, mais comporte plusieurs passages. J'indique notamment « L'important est de savoir quelles sont les données économiques dans le nucléaire et dans le domaine des énergies renouvelables, de savoir aussi quelles sont les données en matière de sûreté ». Je n'ai rien à retirer à mes propos de 2018 et je n'ai pas de trou de mémoire en la matière.
Lors des discours de présentation de la PPE, nous allons dans le même sens ; nous expliquons que les réacteurs seront fermés en fonction des données de sûreté et de ce qui sera indiqué par l'autorité de sûreté nucléaire (ASN), et non pas dans une logique de symboles qui consiste à fermer des centrales simplement pour fermer des centrales. L'énergie, comme bien d'autres domaines politiques, souffre bien souvent du fait que l'on préfère débattre autour des symboles plutôt qu'autour des réalités, mais on finit toujours par être rattrapés par les réalités.
Le 28 janvier 2019 est présenté le contrat stratégique de filière nucléaire (CSFN). Je répète à ce moment-là que dans la feuille de route énergétique de la France, citée par la presse, le nucléaire joue un rôle important. Vous ne pourrez pas auditionner le Président de la République en fonction, mais pendant les cinq ans de son premier mandat, il a fait ce qu'il avait dit, y compris en précisant dans un discours à Belfort en début 2022 que si dans la PPE, il y avait des commandes de nouveaux réacteurs de type EPR, cela serait fait après les élections de 2022. Cela a été préparé et est aujourd'hui possible. D'ailleurs, le Parlement a à en débattre.
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Vous succédez à M. Nicolas Hulot qui vous a précédé à cette place il y a quelques jours. Cela m'inspire une première question sur la place de l'expertise au sein du ministère de l'environnement et le rapport à l'expertise. Nous avons en effet beaucoup parlé avec Nicolas Hulot du rapport Collet-Billon. Sans parler du fond, on a été très surpris du dialogue qui s'est déroulé, y compris ici, sur la place de l'expertise. Vous avez eu la même directrice de cabinet que Nicolas Hulot.
Pendant deux mois.
Pendant deux mois, et cela a changé ensuite. Comment s'est construit pour vous ce rapport, ce dialogue entre experts, politiques, espaces d'intermédiation entre expertise et politique, au sein du ministère ?
Je vous remercie, monsieur le président, de poser cette question. En effet, j'ai lu dans les comptes-rendus des auditions de cette commission qu'une haute personnalité, M. Bréchet, met en cause les conseillers dans les cabinets ministériels et les ministres en indiquant « Ils sont censés conseiller, sur des sujets qu'ils ne maîtrisent généralement pas, un ministre qui ne se pose même pas la question. », puis à un autre moment « Un zozo dont j'ai oublié le nom », ce qui montre la rigueur du propos. Un grand auteur a dit avant moi « Tout ce qui est excessif est insignifiant ».
En ce qui me concerne, j'ai passé énormément de temps dans des réunions internes, dans mon bureau de ministre, dans des réunions interministérielles sous la présidence du Premier ministre, du Président de la République, dans différentes instances comme le conseil de politique nucléaire. Nous avons eu énormément de réunions sur les arbitrages pour la programmation pluriannuelle de l'énergie, les choix que nous devions faire, des discussions parfois âpres entre ministres, appuyées sur des données techniques et économiques fournies par les services du ministère. Il existe, au sein du ministère de l'écologie, la direction générale de l'énergie et du climat, autrefois située à Bercy et rattachée au ministère de l'énergie lorsque celui-ci existait. Lorsque M. Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République, il a fait le choix – un bon choix à mon sens – de regrouper au sein d'un grand ministère de l'écologie ces différentes fonctions.
Il y a bien sûr le commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le réseau de transport de l'électricité (RTE). RTE est en France la source d'expertise permettant de savoir comment assurer le bon fonctionnement du système électrique et la sécurité d'approvisionnement. Il s'agit là de deux sujets un peu différents, mais qui à la fin permettent aux Français d'avoir accès à l'électricité. J'ai donc également passé énormément de temps avec le président de RTE et ses équipes, le président d'EDF et ses équipes, le président d'Orano, le CEA.
Tout cela est tout à fait normal et je ne peux pas laisser dire que des ministres – en tout cas, moi ; peut-être d'autres avant ou après moi, je n'en ferai pas le procès – prendraient des décisions sans se préoccuper de l'expertise technique, scientifique, économique. On ne peut pas faire comme si l'économie, les prix, les coûts n'existaient pas, car à la fin, ce sont les Français qui paient via leur facture d'électricité. Vous avez fait référence au mouvement des gilets jaunes ; on se souvient de l'extrême sensibilité sur la question des prix de l'énergie déjà à l'époque.
J'ai pu constater, ce qui est assez logique quand on observe l'histoire de France, que la plupart des dirigeants politiques, la plupart des dirigeants de toutes ces instances, des entreprises concernées, sont pronucléaires. Je n'ai jamais vu un dirigeant d'EDF antinucléaire. Les Français ignorent sans doute que dans les réunions interministérielles sont présents le ministère de la recherche – quand j'étais ministre, la ministre ne s'en cachait pas, elle était pronucléaire – le ministre de l'économie, pronucléaire, le ministre de la défense, pronucléaire, le ministre des affaires étrangères parfois, car certaines notions concernent aussi la diplomatie française.
Mieux vaut donc sortir tout de suite de ce faux débat sur le fait qu'il y aurait les bons et les méchants, les incompétents qui seraient les politiques, et les compétents qui seraient les experts, les scientifiques, les hauts commissaires. Ceux-ci peuvent d'autant plus s'exprimer, y compris devant vous, qu'ils n'ont de compte à rendre à personne pendant toute leur carrière professionnelle – à leur supérieur éventuellement, et encore, car parfois ce sont des autorités indépendantes. En tout cas, ils n'ont pas de compte à rendre aux citoyens qui sont aussi des électeurs et des consommateurs et qui paient par le biais de leurs factures ou le biais de leurs impôts. Quand on est politique, on rend des comptes, d'abord et avant tout aux citoyens qui sont des électeurs et des consommateurs.
Ma question n'étant pas tant en écho aux propos de M. Yves Bréchet qu'à ce qu'a pu dire votre ancienne directrice de cabinet. Elle indique : on a eu le rapport Collet-Billon, on a considéré que la réponse ne correspondait pas à la question posée, et de ce fait, on l'a classée.
Avant même d'être nommé ministre – il faut le dire aux Français ; ce n'est pas parce que ce sont des choses qui ne sont pas publiques que l'on ne peut pas en parler – on discute. En tout cas, j'ai discuté avec le Président de la République de ces sujets avant d'être nommé, avant d'accepter d'être nommé. Un des sujets que nous avons évoqués est le « rapport d'Escatha ». Il avait été rendu avant que je sois nommé. Je n'allais pas faire comme si cela n'existait pas.
Ces rapports, comme ceux de RTE, du commissariat à l'énergie atomique, de l'ADEME – qui prend peut-être son autonomie dans sa communication, mais qui normalement, agit pour le compte de l'État, est le bras armé de l'État – font partie des sujets que l'on a sur la table quand on est ministre avant de prendre une décision. Ensuite, on peut faire le choix de rentrer plus ou moins dans les dossiers. Certaines personnes en politique revendiquent le fait de ne pas rentrer dans l'aspect un peu technique, économique ou chiffré, c'est leur droit. Je l'ai fait. Je ne suis pas devenu ingénieur du nucléaire, je n'ai pas cette prétention, mais j'ai pris la peine de prendre connaissance de ces différentes données.
Pour rester sur les données, j'aimerais que nous ayons un échange sur les scénarios. On parle beaucoup des scénarios de RTE, sur lesquels le gouvernement s'est beaucoup reposé pour construire sa stratégie énergétique. Vous avez indiqué vous-même que l'on parle finalement beaucoup d'électricité et peu de l'énergie dans son ensemble. Notre commission a également traité les autres sources d'énergie, même s'il est sûr qu'il existe une focale particulière, l'électricité. Il est surprenant de constater que ce sont les rapports de RTE qui deviennent la pierre angulaire de la stratégie énergétique alors que RTE est le transporteur d'électricité et non pas d'énergie.
Au-delà de son statut d'entreprise publique qui assure le transport de l'électricité et de haute tension, Enedis assurant la basse tension et la desserte du client final, RTE a aussi pour mission d'assurer le bon fonctionnement du réseau électrique.
Il est malheureux que l'on ne puisse pas avoir de présentation à la fois précise et grand public dans les médias sur ces éléments. La très grande particularité de l'électricité est qu'on ne peut quasiment pas la stocker, en tout cas pas à grande échelle. Quand on produit de l'électricité, il faut la consommer tout de suite. Il s'agit donc d'une sorte de combat permanent. Le travail de plusieurs milliers de personnes au sein de RTE est en permanence de veiller à l'équilibrage du réseau. Il est donc normal qu'on le prenne comme référence pour savoir si un scénario sur les moyens de production va avoir tels et tels effets sur le réseau, avec par ailleurs les interconnexions européennes qui présentent une grande utilité et dont la France a fortement bénéficié, d'abord en tant qu'exportateur et l'année dernière, pour pallier la baisse de production sur le parc nucléaire.
Je ne pense pas que les chiffres soient contestés par qui que ce soit. En 2022, nous avons eu un taux de disponibilité de 54 % sur les réacteurs nucléaires. En moyenne, dans les vingt dernières années, incluant celles où j'étais ministre, nous étions à plus de 70 %. Il est sûr que l'on ne peut pas faire un scénario qui inclut une telle chute de la production alors que l'opérateur – il n'y en a qu'un, EDF – indique, chaque fois qu'on le consulte « nous assurerons le même taux de disponibilité », malgré l'âge avancé des réacteurs, qui était connu. D'ailleurs, y compris les discussions avec les scénarios en question sur la prolongation de la durée de vie des centrales étaient fondées sur l'idée que cela n'allait pas poser de problèmes majeurs en termes de capacité à produire, que cela permettait de maintenir la même capacité de production. Or, cela n'a pas été le cas. C'est quelque chose qui n'avait jamais été envisagé. On ne peut pas en faire le reproche à RTE puisque cela était fondé sur les assurances fournies par EDF.
Par ailleurs, un élément moins connu est la plus faible disponibilité de l'hydraulique en 2022 : moins 20 % par rapport aux années 2014-2019, à cause de la sécheresse.
Dans votre propos introductif, vous avez regretté l'absence de coordination européenne sur la question de la production. Je vais sortir de la réserve qui est habituellement la mienne en tant que président de cette commission d'enquête. Je me ramène à ma condition de député de Fessenheim.
Vous êtes ministre en 2018-2019, sur une période où la fermeture de Fessenheim se prépare. Un des arguments que nous indiquons à votre ministère à l'époque pour nous opposer à la fermeture de Fessenheim est la faible crédibilité des scénarios de remplacement en matière de réponse aux besoins énergétique de l'Alsace. Nous critiquons notamment la lecture faite par RTE et votre ministère qui consiste à dire que l'électricité viendra d'Allemagne. Aujourd'hui, vous nous dites qu'il n'existe pas de coordination au niveau européen de la question de la production. En gros, on pose un câble, mais on ne se pose jamais la question de savoir si celui qui est branché de l'autre côté sera en mesure ou non de nous donner de l'électricité quand nous en aurons besoin.
Je suis un peu surpris de cette contradiction entre les arguments que vous opposiez en tant que ministre à l'époque sur ce dossier précis et votre regret aujourd'hui de l'absence de coordination sur la question de la production. Je vous prie de bien vouloir excuser ma petite sortie de réserve, qui n'est pas habituelle dans le déroulement de cette commission, mais je trouve qu'il y a là une forme de contradiction assez évidente.
Tout d'abord, nous pourrions reprendre les propos des uns et des autres. Nous avons eu des échanges à l'époque, à l'Assemblée nationale, par médias interposés ou même sur le terrain puisque je me suis rendu dans votre région. Je ne crois pas avoir dit que c'était parce que l'Allemagne fournirait. À l'époque, sur la base des données fournies par RTE s'appuyant sur celles fournies par EDF, la France était en mesure d'absorber cela.
Par ailleurs, grâce aux interconnexions européennes, il existe la possibilité de lisser le fait qu'à certains moments, on produise plus dans tel pays que dans tel autre. En général, c'était au bénéfice de la France. C'est seulement en 2022 qu'une situation d'importation nette s'est produite. Sinon, la France a toujours été exportatrice nette, avec ce point qu'à certains moments, elle bénéficiait du surplus d'électricité produite dans les pays voisins pour les périodes de pointe. On savait que par ailleurs nos voisins, notamment allemands, mais aussi espagnols, italiens ou même du Royaume-Uni connaissaient une augmentation de leurs capacités de productions renouvelables. Il s'agissait d'une donnée fondamentale puisque ces capacités-là sont durables.
Quand j'ai mentionné le manque de coordination sur la production, cela portait sur les décisions, sur un certain nombre de choix. L'Allemagne a fait cavalier seul sur la sortie du nucléaire. La France a également fait ses choix sans demander évidemment l'avis de ses voisins. Quand j'étais ministre, j'ai eu beaucoup d'échanges avec les Allemands. Le Président de la République m'avait demandé d'aller voir mes homologues allemands pour leur proposer de leur vendre davantage d'électricité décarbonée, donc nucléaire, pour qu'ils puissent sortir plus vite du charbon. Les Allemands ont répondu de façon négative, extrêmement ferme. À l'époque, il s'agissait d'un gouvernement conservateur, avec madame Merkel, chancelière, et M. Peter Altmaier, à la fois ministre de l'économie et de l'énergie et par ailleurs élu de la Sarre. Leur demande consistait à savoir quand nous fermerions la centrale de Cattenom, en plus de celle de Fessenheim. Cela ne leur suffisait pas du tout. Par ailleurs, le Premier ministre luxembourgeois demandait également quand nous allions fermer la centrale de Cattenom, car il s'estimait mis en danger par cette centrale en Lorraine.
Il importe de rappeler tout cela, sinon, on parle un peu en dehors des réalités.
2019 est aussi la date de l'abandon, de mise sous cocon du projet Astrid. C'est une décision interministérielle. Quelle est la position que portait à l'époque le ministère de l'écologie au regard de sa compétence, notamment en matière de sûreté, de cycle du combustible et de déchets ?
Une réunion interministérielle s'est en effet tenue sous la présidence du Premier ministre, où il a été dit « on arrête les frais », comme on le dit parfois trivialement, mais en l'occurrence au sens propre du terme, sur le projet Astrid dans la mesure où il n'avait pas démontré sa capacité à se transformer en projet concret, mature technologiquement, et financièrement soutenable. Il y avait une demande de remettre de l'argent et en effet, nous avons décidé de ne pas remettre d'argent. Cette décision était assez consensuelle des acteurs présents autour de la table, différents ministères, le CEA qui souhaitait poursuivre. Par ailleurs, il s'agissait d'un projet international et les partenaires internationaux de la France n'étaient pas au rendez-vous pour remettre de l'argent dans ce projet.
À l'occasion de cette réunion interministérielle, aviez-vous connaissance de la proposition de l'administrateur général du CEA de l'époque non pas de construire Astrid comme réacteur de 1 600 mégawatts, mais de construire un démonstrateur de moindre taille, d'environ 200 mégawatts, pour maintenir la compétence, poursuivre la recherche et avancer dans la possibilité de concrétiser ce projet ?
Oui, c'était justement l'objet de la demande de mettre de l'argent dans ce projet. Le Premier ministre a arbitré dans le sens de ne pas le faire. Le Premier ministre n'est absolument pas antinucléaire, ne l'a jamais été et a toujours revendiqué le fait d'avoir travaillé dans une entreprise française du nucléaire et de croire en l'énergie nucléaire. Il importe d'être très clair sur le contexte et les lieux où se prennent les décisions et les processus de décisions. Ce ne sont pas des décisions qui se prennent à la légère, mais après des années et des années de tentatives diverses et variées qui n'ont pas marché et qui ont coûté de l'argent.
Il s'agit de l'argent de l'État et non issu de la facture d'électricité des Français. Si on voulait intégrer cela au motif que c'était absolument vital dans la filière nucléaire d'une manière générale, donc, dans la production d'électricité, il faudrait en intégrer le coût dans la facture d'électricité des Français. À la demande de la précédente commission d'enquête à laquelle je faisais référence, en 2014, présidée par M. François Brottes, la Cour des comptes avait chiffré le grand carénage des centrales nucléaires à 100 milliards d'euros si l'on voulait les prolonger.
Pourraient être évoquées également les dérives de coûts, d'ailleurs difficiles à évaluer, sur l'EPR de Flamanville. Il faut évidemment que l'EPR de Flamanville soit mis en service un jour et produise de l'électricité. J'entends parfois, ce qui est complètement délirant, qu'il faut arrêter. Non. Cela a déjà coûté très cher. Il faut donc absolument que cela produise de l'électricité. Mais ce n'est toujours pas le cas.
La loi de 2005 indiquait que le réacteur de nouvelle génération devait être mis en service à l'horizon 2015. Quand j'ai été réélu député en 2012, on m'a demandé si je pensais que j'irais inaugurer l'EPR de Flamanville si j'étais un jour ministre de l'écologie. J'ai répondu que je n'étais pas sûr que l'on y parvienne entre 2012 et 2017. En 2017, on nous a redit que cela allait se produire. Ce n'est toujours pas le cas. Je le regrette d'ailleurs.
Nous avons eu des discussions très ardues avec EDF sur ce sujet, d'abord parce que nous avions du mal à savoir ce qu'il en était vraiment et que l'on découvrait des problèmes au fil du temps, donc des surcoûts et des délais supplémentaires. C'est l'autorité de sûreté nucléaire qui rend l'avis permettant ou non de mettre en service et EDF aurait aimé que l'on passe outre. Nous avons répondu que non, que c'est l'autorité de sûreté du nucléaire, autorité indépendante, qui prend cette décision.
Ces dernières années, la filière nucléaire française civile a subi un certain nombre de difficultés, pour ne pas dire d'échecs, qui ont fini par mettre en cause sa crédibilité, notamment à l'export. Il est évident que cela nous fragilise à l'export, ce qui est tout à fait dommageable. Le Président Sarkozy a soutenu l'export. Il a souhaité à l'époque regrouper EDF et Areva afin que n'existent plus ces frictions, ces concurrences et ces oppositions avec le fait que ce n'était pas EDF qui avait réalisé le chantier EPR en Finlande, mais Areva. Cela n'a malheureusement pas suffi. Le Président Hollande a soutenu ses ministres et le Président Macron également. Malheureusement, à part Hinkley Point – espérons que cela fonctionne bien – cela n'a pas pu se traduire.
Parce que cela se place dans un contexte où il existait un certain nombre de dérives techniques et budgétaires.
Le grand carénage s'approche plutôt aujourd'hui des 50 que des 100 milliards chiffrés par M. François Brottes en 2014.
Non, cela n'a pas été chiffré par M. François Brottes, mais par la Cour des comptes.
Dans le cadre des travaux menés par votre ancien collègue.
Vous avez indiqué dans notre propos introductif que le sujet corroborait ce qui a déjà été dit dans cette commission. La question de l'Arenh avant 2018 quand le prix de l'électricité était inférieur à 42 euros n'était pas un sujet, mais qu'en 2018, cela commence à monter et cela dépasse 50 euros. Cela devient-il un sujet à ce moment-là ? Quelles sont les alertes que vous réceptionnez au MTES, comme on le nomme à l'époque ?
Il s'agissait en effet du ministère de la transition écologique et solidaire. Personnellement, j'aurais préféré qu'il s'appelle « ministère de l'écologie, de l'énergie, de l'environnement et de la mer », car telles étaient ses compétences.
L'Arenh est quelque chose de très abscons pour les Français, qui a été voté en 2010, qui doit s'arrêter en 2025, donc d'ici deux ans.
En l'occurrence, quand j'étais ministre, EDF a demandé que le prix de l'Arenh soit relevé, considérant qu'un prix à 42 euros ne couvrait pas les coûts de production. Ce prix n'a pas été fixé par hasard. À une époque, on disait que le coût de production de l'électricité nucléaire en France est inférieur à 40 euros et qu'à 42 euros, cela permettait de couvrir les coûts et même quelques investissements pour la maintenance.
EDF a indiqué que ce prix ne couvrait plus les coûts et qu'il serait légitime de le relever. J'y étais favorable. Il aurait sans doute fallu discuter d'un relèvement entre 48 et 52 euros, ce qui a évidemment une conséquence sur les prix de l'électricité. Il fallait le négocier avec la Commission européenne puisqu'il s'agit d'un mécanisme issu d'un compromis entre la France et l'Europe qui consistait d'ouvrir à la concurrence tout en maintenant le parc nucléaire dans une seule société, EDF, ce qui est par ailleurs une bonne chose à mon sens, pour disposer de moyens de production disponibles pour les nouveaux entrants.
Je tiens à rappeler ici, parce qu'on entend tout et n'importe quoi, notamment de la part de syndicalistes d'EDF, qu'en l'occurrence, l'Arenh, c'est 100 térawattheures sur une production nucléaire de plus de 350. C'est passé à 120 en 2022 avec un prix mieux rémunéré. En d'autres termes, EDF a dû en vendre 120, mais au prix de 46,50 euros. C'est ce qui, à la fin, se retrouve dans le prix de l'électricité des Français.
Quand j'étais ministre, j'ai dû faire face à une situation très tendue sur les prix de l'électricité. Après le mouvement des gilets jaunes et les tensions sur les prix des carburants, du gaz et du fioul, les prix de l'électricité devaient augmenter de 7-8 % sur une année. Avec le Premier ministre, nous avons décidé de différer cette hausse. J'ai proposé au gouvernement que l'on change le mode de calcul qui conduisait à ce tarif. C'est ce qui a été fait dans la loi de 2019. Cela m'a été reproché à l'époque, par EDF, par les syndicalistes d'EDF, par certains médias qui se sont empressés de dire que c'était pour favoriser les concurrents, ce qui était totalement faux ; c'était pour favoriser les Français, pour maitriser le prix.
Le gouvernement ne l'a pas activé tout de suite, mais en 2022, et était bien content que la loi ait été changée en 2019 pour cela puisse être activé en 2022 et contenir une hausse qui était là, beaucoup plus forte.
Ce mécanisme doit être révisé à terme et va disparaitre, mais beaucoup de choses sont dites qui ne correspondent pas à la réalité. En 2022, cela a été très problématique pour EDF parce qu'entretemps, la production s'était effondrée.
Quand vous arrivez, vous discutez avec le Président de la République des enjeux du « rapport d'Escatha-Billon ».
Nous discutons de tous les enjeux autour de l'énergie.
Ce rapport, nous l'avons compris au fil des auditions, dans les grandes lignes, conclut que pour maintenir et redévelopper les compétences de la filière électronucléaire française, il ne faut pas seulement des plans de formation, il faut aussi des objets de travail et donc, la construction d'un programme de nouveau nucléaire. Néanmoins, vous avez précisé que cette décision est reportée à la fin de la législature. Est-ce une décision que vous construisez avec Matignon, avec l'Élysée ou est-ce quelque chose que vous mettez en œuvre ?
Tout d'abord, un ministre, même numéro deux du gouvernement comme je l'étais, ne prend pas de décisions seul, non seulement sur des sujets de cette importance, mais parfois même sur des sujets de bien moindre importance. C'est normal. Un gouvernement n'est pas une équipe d'individualités ; c'est un collectif sous la direction d'un Premier ministre et sous l'autorité d'un président qui nomme et met fin aux fonctions des ministres. Il est donc parfaitement normal que ces sujets soient discutés et arbitrés. En l'occurrence, c'est un choix assez logique. Quand M. Emmanuel Macron est élu en 2017, quand je suis nommé ministre en 2018, quand je quitte le gouvernement en 2019 et même l'an dernier en 2022 quand ont lieu les élections présidentielles et législatives, l'EPR n'est toujours pas en fonctionnement et ne produit toujours pas d'électricité. C'est donc un peu problématique.
Dans la présentation du contrat de filière nucléaire que nous faisons en janvier 2019 avec le ministre de l'économie, M. Bruno Le Maire, ce dernier indique dans un article de presse « Il relève de la sagesse d'attendre que Flamanville ait fait la preuve de son fonctionnement avant d'engager des décisions sur le nouveau nucléaire ». Cela a été à l'époque quelque chose de partagé et d'assez logique.
Certains membres de l'Assemblée, qui représentent des courants d'opinions, considèrent que ces problèmes condamnent définitivement la filière EPR et que plus jamais il ne faut construire d'EPR. Certaines personnes de la filière nucléaire pensent qu'il vaut mieux soit développer le nucléaire classique, donc revenir à des réacteurs plus proches de ceux que l'on avait dans les générations précédentes, soit à du petit nucléaire. Tout le monde ne met pas la même chose derrière le « petit », les fameux small modular reactors (SMR).
À l'époque, le gouvernement français auquel j'appartiens décide de demander à EDF de mener à bien le chantier d'EPR pour qu'il produise de l'électricité. Ma successeure, Mme Elisabeth Borne, a cosigné un courrier avec M. Bruno Lemaire au mois de septembre 2019 pour demander à EDF quelles seraient les conditions pour commander trois paires de réacteurs de type EPR, étalées dans le temps, afin que le gouvernement soit éclairé sur les conditions d'un tel choix, et ensuite éclairer les Français. Ils ont pu en débattre au moment des élections présidentielles et législatives.
Ma dernière question relève de plusieurs auditions que nous avons eues et est un peu plus prospective.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet nous a expliqué la démarche du Grenelle de l'environnement et la façon dont elle a souhaité mettre autour de la table des acteurs de l'environnement et des ONG qui n'étaient pas jusque-là institutionnellement pris en compte par le ministère.
Les représentants des syndicats des branches de l'énergie nous ont expliqué qu'il devenait difficile pour eux d'être sur le même tour de table, dans des logiques où d'un côté, ils doivent faire preuve de représentativité eu égard aux règles du Code du travail et de la loi de 2010, et où de l'autre côté se trouvent des ONG dont la présence ne relève d'aucune forme de construction de légitimité publique.
Comment analysez-vous cela aujourd'hui eu égard à l'expérience acquise depuis le Grenelle de l'environnement ?
Il faut rappeler tout d'abord que les sujets nucléaires avaient été exclus du champ du Grenelle de l'environnement. Tel était le choix du Président Sarkozy. J'ai fait partie des quelques députés qui ont pu y participer ; c'était d'ailleurs une expérience très enrichissante et très intéressante, qui a débouché sur plusieurs lois avec des effets concrets.
Il n'y a jamais de décision prise en ayant mis autour de la même table des représentants d'ONG, des représentants de syndicats ou autres. Le Grenelle était quelque chose de particulier, qui ne s'est pas renouvelé sous la même forme, qui proposait un certain nombre d'éléments. Ensuite, le gouvernement et le Parlement prenaient leurs décisions. En tout cas, quand j'étais ministre, je n'ai jamais mis sur le même plan les responsables politiques, les responsables techniques et économiques de l'énergie, les syndicats et les ONG. Cela ne signifie pas que les uns et les autres ne sont pas légitimes à exprimer des points de vue, mais je considère que l'on ne doit pas sous-traiter la décision.
Par ailleurs, cela a été public à ce moment-là et est donc aisément vérifiable : je me suis opposé à plusieurs reprises à certaines ONG comme Greenpeace qui a fait un lobbying intense, avec des campagnes médiatiques, des coups d'éclat contre le nucléaire, mais qui n'a jamais rien dit contre les centrales thermiques et n'a jamais salué le fait que nous ayons annoncé la fermeture des centrales à charbon. Cela en dit long sur le fait que sous couvert de vouloir agir pour le climat, d'autres buts sont poursuivis qui sont des symboles, des totems, voire peut-être de l'idéologie, je ne sais pas, par rapport au nucléaire.
En septembre 2018, j'indiquais dans Le Monde « J'aimerais que l'on sorte de la guerre de religion sur le nucléaire ». Cette guerre existe toujours, malheureusement. C'est dommage. Je note en revanche avec intérêt que dans l'opinion, le climat politique a changé depuis deux ou trois ans, et qu'aujourd'hui, en France, on n'oppose plus systématiquement énergie nucléaire et écologie. Quand j'étais ministre, des journalistes me reprenaient dans des interviews pour me dire « vous ne pouvez pas faire de l'écologie si en même temps, vous faites du nucléaire ». Je l'ai dit et écrit, y compris après avoir quitté le ministère – j'ai d'ailleurs évolué sur le sujet et je l'assume totalement – que le nucléaire est une contribution importante pour relever le défi climatique. Pour avoir une énergie décarbonée, le choix, auquel j'ai participé, qui a été effectué entre 2017 et 2022, réside à la fois dans un développement des renouvelables et un maintien et un renouvellement du nucléaire.
C'est assez original dans le monde. Dans de nombreux pays, comme le Japon, et y compris chez nos voisins européens, quand on développe fortement le nucléaire, on a beaucoup de centrales thermiques à côté pour faire la pointe. Dans beaucoup d'autres pays où on développe très fortement le renouvelable, on a beaucoup de centrales thermiques à côté pour faire face à l'intermittence du renouvelable, faute de moyens de stockage de grande échelle pour l'instant. En France, le choix a été fait – il doit être confirmé dans les prochains débats parlementaires, par des lois – de développer les renouvelables et le nucléaire pour que l'un et l'autre se complètent avec les interconnexions européennes afin d'éviter le recours au thermique sachant qu'il est déjà aujourd'hui très modeste.
Vous étiez député entre 2012 et 2017 et, sauf erreur de ma part, vous avez voté pour la loi de 2015. Pourquoi ? Sur quelles bases ? Qu'est-ce qui vous a décidé à voter pour cette loi ?
En effet, j'ai voté pour cette loi. J'y ai travaillé. Je suis intervenu à de nombreuses reprises dans le débat parlementaire, y compris dans les discussions qui ont précédé avec les ministres, avec le Président de la République, M. François Hollande.
Je connaissais déjà M. François Hollande avant qu'il soit élu Président de la République. Nous étions collègues députés à l'Assemblée nationale. J'avais parlé avec lui de sa proposition du 50/50, de façon assez symbolique bien entendu, c'est-à-dire qu'il ne s'agissait pas d'un calcul savant, mais de l'idée de développer en France quelque chose qui ne serait plus à aussi forte dominante nucléaire. Quand il a été élu, environ 75 % de la production d'électricité émanaient des centrales nucléaires, l'hydroélectricité a toujours représenté un peu plus de 10 %, les énergies renouvelables étaient très faibles.
Il a donc fait ce choix, pour des raisons aussi d'accord politique avec le parti Europe Écologie Les Verts auquel j'ai appartenu, mais que j'ai quitté en août 2015. Contrairement à ce qui est souvent mentionné dans les médias, il ne s'agissait pas d'un accord entre le Parti socialiste et Les Verts. Mme Aubry, qui était chef du Parti socialiste, avait négocié un accord avec Les Verts qui voulait engager la France dans la sortie du nucléaire. Si Mme Aubry avait été désignée lors de la primaire des socialistes de l'époque, elle aurait engagé une loi de sortie du nucléaire. Ce n'est pas Mme Aubry qui a été désignée, mais M. Hollande. Ce dernier a indiqué qu'il n'était pas favorable à la sortie du nucléaire. M. François Hollande n'a jamais été antinucléaire. Il a toujours pensé que le nucléaire avait son importance, mais que l'on pouvait en réduire la part par un développement des énergies renouvelables et non pas de la production d'électricité par des centrales au charbon, au fioul ou au gaz.
Il avait promis la loi en 2012. Elle a été votée à l'été 2015. On ne peut pas dire que trois ans constituent un empressement particulier. La loi n'a pas véritablement été appliquée sous son quinquennat. D'ailleurs, en 2017, les choses n'avaient pas beaucoup changé en termes de proportion d'électricité nucléaire.
Je l'ai soutenu à l'époque, car je pense que c'est l'intérêt de la France de construire une production d'électricité où l'on ne passe pas à côté du fort développement des énergies renouvelables – fort développement partout dans le monde – et de baisse des coûts de production de l'électricité par le renouvelable, et qui, en même temps, n'engage pas la France dans la sortie du nucléaire.
M. Emmanuel Macron a repris cela sous une autre forme et j'ai constaté et acté avec lui que cela était totalement irréaliste en 2025. L'on gagnerait d'ailleurs à ne plus inscrire dans les lois d'objectifs chiffrés et c'est un point de vue que je défendais déjà dans mes dernières années de mandat. On se fait plaisir à dire que l'on va réduire les émissions de gaz à effet de serre de tant de % en l'inscrivant dans la loi. Mais pour la France, pour des filières économiques, industrielles, pour les Français qui ont droit d'avoir la sécurité d'approvisionnement en électricité, d'avoir l'électricité à un prix aussi raisonnable que possible, on ne fait pas cela en inscrivant des chiffres dans la loi ; on le fait en développant des moyens. Je crois que c'est ce que nous avons davantage fait ces dernières années et nous avons eu raison de le faire, notamment en développant très fortement l'éolien offshore. Je crois d'ailleurs que le Parlement a été appelé à aller encore plus loin en ce sens ces derniers mois.
Dans de nombreuses auditions s'est posée la question de l'information du Parlement pour légiférer de manière éclairée. En tant que parlementaire très familiarisé avec les questions environnementales, doté d'une expertise, comment qualifieriez-vous le niveau d'informations dont a disposé le Parlement quand il a décidé de cette loi ? On nous dit a posteriori qu'il s'agissait d'objectifs politiques et symboliques, et qu'il était tout à fait entendu qu'il ne s'agissait pas de se fixer un terme absolument exact de 2025 et de 50 %. Mais dans les débats de l'époque, il était assez clair que 2025 était un objectif et que 50 % représentaient globalement un objectif assez visible. En même temps, les administrations de l'époque nous ont indiqué qu'il allait de soi que c'était un objectif qu'on allait décaler le plus vite possible puisqu'il n'était pas tenable à cette année-là. À quelle information les députés de l'époque avaient-ils accès ? De ce fait, rétrospectivement, quelles informations sont nécessaires et non disponibles aujourd'hui à votre sens aux parlementaires ?
Sur l'énergie et sur la production d'électricité, si l'on observe ce qui s'est fait depuis l'après-guerre ou même sous la Ve République, objectivement, on débat beaucoup plus à l'Assemblée nationale de ces sujets que dans les années 1950, 1960, 1970 ou même 1980. Il n'existait pas de loi pour lancer le programme électronucléaire français. Vous demandez comment les députés sont informés, éclairés, mais je pense que d'autres personnes rêveraient de revenir à ces temps anciens où on ne parlait pas de ces sujets au Parlement, et, je le dis en tant qu'ancien ministre, où il y avait une forme d'État dans l'État, où les ministres n'étaient pas forcément informés de façon fiable, honnête, de bonne foi par un certain nombre d'acteurs qui se considéraient comme pouvant agir en propre sans avoir de compte à rendre aux décideurs politiques. Une partie des problèmes actuels vient de là ; je me permets de le dire, car c'est un sujet important pour les Français et qui a des conséquences très concrètes. Les difficultés d'EDF ne se limitent pas à la question de l'EPR de Flamanville ou de la maintenance des 56 réacteurs existants, mais aussi à sa situation financière. Il faut aussi assumer politiquement que tout cela a un prix et qu'à la fin, cela se retrouve dans le prix de l'électricité.
Sur le « verre à moitié vide », il existe la question plus générale : quand on vote des lois, effectue-t-on un travail préalable d'évaluation de la situation ? Ce n'est pas la tradition des institutions françaises et ce n'est pas celle du Parlement français. Je le regrette. Quand j'étais président de l'Assemblée nationale, j'ai voulu que celle-ci se dote d'un véritable organe d'évaluation, non pas dans le sens où l'entend souvent, à savoir évaluer la loi une fois votée, mais au sens d'évaluer la loi avant de la voter. De ce point de vue, le travail de votre commission est très utile. D'autres débats ont lieu en parallèle, mais cela peut tout de même nourrir les décisions qui vont être prises dans les mois ou les années à venir. Il y a eu une commission en 2014, mais elle était centrée sur un seul sujet, le coût du nucléaire.
Il s'agirait d'un changement culturel. En France, dans le débat politique, on préfère toujours se chamailler – terme quelque peu enfantin, qui est un euphémisme – sur ce que l'on devrait faire et non pas sur ce qui a été fait, sur l'évaluation concrète aussi objectivée que possible de ce qui a été fait. Il serait intéressant que vous posiez la question d'Astrid, que les parlementaires puissent prendre connaissance des raisons pour lesquelles, après avoir mis de l'argent, cela ne fonctionnait pas.
Quand j'étais président de l'Assemblée nationale, j'ai échoué sur ce sujet, sans doute parce que je ne suis pas resté assez longtemps et parce que la volonté n'était pas partagée par tout le monde. Le gouvernement avait indiqué qu'il mettrait à disposition les experts de France Stratégie, qu'ils seraient transférés sous l'autorité du Parlement pour mener ce travail d'évaluation. À peine avait-il fait cette proposition qu'elle a été retirée. J'ai proposé de développer notre propre expertise, nos propres outils, de payer des experts temporairement sur des missions de six mois, d'un an ou deux, sur des sujets sur lesquels des débats législatifs auraient lieu. Cela n'a pas été suivi après moi.
Au-delà de cela, c'est aussi aux députés de se saisir des sujets. Vous le faites et c'est très bien. Sur le débat de la LTECV en 2015, certains députés s'étaient saisis des sujets, avaient travaillé en amont. J'en faisais partie. M. François Brottes, qui était le rapporteur de ce texte de loi, avait travaillé depuis de nombreuses années sur ces sujets. Après, y avait-il suffisamment de personnes à l'Assemblée nationale à y avoir travaillé ? C'est une autre question. Un ancien président d'EDF m'avait indiqué que trop peu de responsables politiques s'intéressaient aux enjeux énergétiques. Alors même que nous n'avions pas le même point de vue, il avait reconnu que nous étions quelques-uns à nous être vraiment intéressés à ces sujets en tant que députés. Cela ne concerne d'ailleurs pas que l'électricité, mais aussi le gaz, le pétrole, etc. Il est certain que si l'on préfère faire des tweets qui enregistrent des millions de vues parce qu'on aura fait de la provocation ou participer à des émissions de télévision où l'on préfère s'empailler avec des symboles, on ne prendra pas les bonnes décisions.
Il est intéressant de constater que cela passionne tout le monde aujourd'hui alors qu'à l'époque, cela n'intéressait strictement personne.
Cela nous a toujours intéressés.
Je ne suis pas sûr d'avoir compris. Vous avez dit « cela n'a pas marché ». J'ai compris qu'il existait un avant-projet, qui arrivait à son terme et dont les travaux sont allés à leur terme en 2017-2018. S'est ensuite posée la question de « transformer l'essai » et de faire en sorte que ces travaux puissent être mis en œuvre d'un point de vue, non pas industriel exactement, mais d'un point de vue expérimental. Si j'ai bien suivi les discussions que nous avons eues avec M. Daniel Verwaerde notamment, mais pas uniquement, la question qui s'est ensuite posée a été de faire de la simulation numérique. L'idée était de pouvoir répliquer le réacteur Astrid qui finalement n'a pas été construit en une simulation numérique. Mais je comprends de vos propos que les travaux de recherche n'auraient pas abouti ou n'auraient pas été fructueux. Est-ce cela ?
Sur le nucléaire, en France, depuis plusieurs dizaines d'années, on dépense énormément d'argent dans des programmes de recherche à des niveaux divers, c'est-à-dire dont la vocation est d'aboutir plus ou moins loin dans le temps.
Tout le monde se focalise sur Astrid, mais plus personne ne parle d'un énorme projet, international, qui coûte chaque année des sommes très importantes : ITER. À un moment donné, un gouvernement fait le choix de ne pas courir tous les sujets, parce qu'il faut remettre de l'argent, parce que la technologie n'est toujours pas au point. Ceux qui sont restés longtemps en poste devraient reconnaitre que de conseil de politique nucléaire en conseil de politique nucléaire, on demandait toujours à remettre de l'argent.
On m'a dit à plusieurs reprises, y compris des diplomates du ministère des affaires étrangères – on prend leur avis sur de tels sujets ; je ne crois pas qu'ils possèdent une compétence technique en la matière – qu'il allait y avoir bientôt des commandes de réacteurs français en Inde. On en parle depuis des années, cela est vrai, mais il n'y en a pas. « Peut-être qu'au Brésil, nous allons y arriver » : rien. « En Chine, il y aura d'autres développements que Taishan » : il n'y en a pas eu. « En Grande Bretagne, ils sont prêts à nous recommander un réacteur plus petit que l'EPR ». J'ai effectué le travail. Pour reprendre l'expression de M. Bréchet, nous ne sommes pas des « zozos ». Je suis allé demander aux ministres anglais où ils en étaient, ce qu'ils étaient prêts à faire. « Pour l'instant, on n'y touche pas. On a commandé Hinkley Point, on va au bout, mais on va à fond sur l'éolien en mer ». On va toujours sur ITER, on le soutient toujours, on fait des choix, cela coûte de l'argent. On décide de ne pas se disperser tous azimuts sur le nucléaire.
Peut-être est-ce un tort, mais peut-être faudrait-il effectuer un jour le compte de tout ce que l'on a dépensé dans des programmes de recherche, dont certains n'ont jamais abouti alors que ce n'est pas dans le coût de l'électricité. Sur le pétrole par exemple, si Total effectue des projets de recherche, cela figure dans les comptes de Total. L'institut français du pétrole et des énergies nouvelles (IFP-EN) est cofinancé par les industriels du secteur. Dans l'automobile est un secteur industriel majeur pour la France, avec des enjeux majeurs (batteries, hydrogène), il existe parfois des subventions de l'État, mais dans le but que cela aboutisse. C'est cela le sujet sur Astrid.
Si un jour, dans plusieurs pays dans le monde, c'est en train d'aboutir, si l'on relance le sujet, pourquoi pas. Le savoir accumulé par nos chercheurs, par nos laboratoires, n'est pas perdu.
J'entends parler de nouvelles technologies sur le nucléaire ou de remise au gout du jour de technologies anciennes. C'est très bien, mais cela s'effectue avec des gens qui considèrent que cela permettra de produire de l'électricité à un coût inférieur aux coûts d'aujourd'hui. Il ne faut pas balayer d'un revers de main la question du coût.
Puisque vous parlez du coût, je voulais avoir votre avis et votre récit sur la relation entre l'État et EDF. Vous arrivez aux responsabilités quelques mois avant le rapport dit Folz qui dresse un état des lieux du chantier EPR, mais qui, au-delà du strict chantier EPR, est une sorte de « carottage » dans l'entreprise EDF. Quel est l'état de vos relations avec EDF ? Dans quel état trouvez-vous l'entreprise à votre arrivée ?
Les anciens responsables d'EDF, les organisations représentatives du personnel nous ont parlé de l'Arenh. Ils ont semblé dire, en réponse à nos questions, qu'il s'agissait de la principale cause des difficultés financières, avec l'ajout du signal envoyé par l'accord de 2012 et la loi de 2015 sur la réduction de la part du nucléaire, expliquant que ces deux causes, signal politique et cause financière, avaient pour conséquence l'affaiblissement de l'entreprise, la dégradation du niveau de sous-traitance, la gestion de projets, etc. Quel est votre avis sur ces constats et votre expérience de ministre ?
Quand j'étais ministre, mon agenda en ferait foi, c'est avec le président d'EDF que j'ai passé le plus de temps par rapport à toutes les entreprises relevant du secteur de mon ministère. Celui-ci était pourtant était bien plus vaste et allait bien au-delà non seulement de l'énergie, mais en particulier de l'électricité et d'EDF. Cela me paraissait normal. C'est une grande entreprise qui assure l'essentiel de la production d'électricité en France.
Par ailleurs, c'est une grande entreprise en difficulté depuis de très nombreuses années. Lors de vos auditions, un ancien PDG d'EDF, M. Gadonneix, a indiqué que quand il était arrivé en 2004, il était assez inquiet – peut-être réécrit-il l'histoire, mais je prends tout de même ses propos comme sérieux – de constater que l'entreprise n'investissait quasiment plus, ni pour développer des capacités de production ni pour l'entretien, la maintenance, la rénovation. Par ailleurs, il indique qu'il se posait déjà un problème d'équilibre entre les coûts et les recettes. Cela était dû selon lui au fait que les prix de l'électricité auraient été baissés par le pouvoir politique au cours des années précédentes ; je vous laisse le soin de vérifier cela. Il rappelle également que quand il était président – j'étais alors député – il mentionne dans la presse son souhait que les prix de l'électricité augmentent de 20 % en quatre ans et qu'à l'époque, cette demande lui a coûté le renouvellement de son poste en 2009. Cela a conduit à énormément de polémiques politiques. Aujourd'hui, 20 % en quatre ans paraissent peu par rapport aux hausses de prix que nous subissons.
Le pouvoir politique doit avoir le dernier mot. Cela ne plaît peut-être pas à certains syndicats, habitués à tout gérer dans une grande maison, qui est par ailleurs une grande maison très opaque, qui comporte des statuts très particuliers. En plus du statut des industries électriques et gazières qui s'applique à tous les industriels du secteur, il y a le statut d'EDF. Un syndicaliste d'EDF indiquait que le régime spécial de retraite d'EDF était équilibré. En effet, une petite ligne sur la facture d'électricité des consommateurs est destinée à payer le régime spécial. C'est tout de même un peu gros. Si l'on faisait cela dans tous les secteurs, ce serait tout de même particulier.
Les relations sont souvent difficiles entre le pouvoir politique et l'entreprise EDF, car celle-ci a été habituée, pendant plusieurs décennies, à ce qu'il n'y ait pas de débat politique sur la politique énergétique de la France, à ce qu'il n'y ait pas de loi en la matière et à ce que l'on défende ses intérêts bec et ongles.
En tant que ministres, nous avons passé beaucoup de temps et pris beaucoup de décisions pour faire en sorte qu'EDF ne fasse pas faillite. Cela a été une préoccupation constante du Président Macron. C'est aussi un sujet dont il m'a parlé avant même de me nommer alors qu'il avait été ministre de l'économie entre 2014 et 2016 et qu'il savait ce qu'il en était. Il avait déjà soulevé la question. À l'Assemblée nationale, dans une réponse au gouvernement, il indique qu'après la signature du contrat Hinkley Point, il faudra qu'EDF fasse des efforts de compétitivité, de productivité, et il cite le coût du statut d'EDF pour la compétitivité de cette entreprise.
Quand j'étais ministre, nous avons à la fois veillé à cela, et considéré que la définition de la politique énergétique de la France, des choix sur la politique électrique de la France relevaient du pouvoir politique, du gouvernement avec le Parlement. Nous avons d'ailleurs proposé une loi en la matière. Il est tout à fait normal que cela se passe ainsi, à l'instar des autres secteurs, mais telle n'était pas l'habitude. Il s'agit d'un héritage du passé très ancien.
Le Président de la République avait proposé une réorganisation d'EDF, le projet Hercule, sur lequel nous avons travaillé, dont EDF ne voulait pas beaucoup et dont les syndicats ne voulaient pas du tout.
Le pouvoir politique agit, comme dans d'autres secteurs, mais particulièrement dans celui-là, sous la menace de conflits sociaux durs, avec la menace de coupures d'électricité, de grèves qui porteraient atteinte à l'alimentation en électricité de la France. Ceci est assez lourd et assez unique. Au sein du ministère de l'écologie, j'avais également la tutelle sur la SNCF, la RATP, Air France, beaucoup de grandes entreprises où se posent aussi des conflictualités, mais jamais à ce niveau.
Il s'agit d'un état de fait. Il ne faut d'ailleurs pas diaboliser. Mon prédécesseur a beaucoup dit que le problème était les lobbies. Dans mon interview dans Le Monde en septembre 2018, j'ai indiqué qu'il valait mieux accepter de considérer que des intérêts particuliers se font entendre et défendent leur point de vue. Cela fait partie du débat, c'est tout à fait normal. En revanche, il ne faut pas laisser croire qu'il s'agit de l'intérêt général. Vous êtes parlementaires, une fois que vous avez débattu et que vous procédez à des votes, vous êtes détenteurs de la définition de l'intérêt général. Ce n'est pas le cas, ni de la direction, ni des syndicats d'EDF.
Sur la PPE, vous avez présenté un projet à l'époque. Quel est le fondement de la décision de ce chiffre de 14 réacteurs nucléaires à fermer à un horizon assez proche ? Est-ce qu'au travers de ce chiffre, existait implicitement l'idée que la décision serait prise, quelques mois ou années après en fonction de l'aboutissement de Flamanville et de la capacité de la filière à répondre à la question, de relancer de nouveaux réacteurs ? Sous-entendu, était-ce une réduction de la part du nucléaire, une sortie du nucléaire ou la préparation d'un renouvellement ?
Certains veulent faire croire que les politiques sont des incompétents qui prennent des décisions sans avoir consulté personne. Cela ne correspond pas à la réalité. C'est assez énervant. Vous êtes des députés. Ne laissez pas dire que vous prenez des décisions dans des émissions de télé-réalité ou sur des tweets. Vous prenez des décisions parce que vous avez travaillé sur des sujets.
En tant que ministre, j'ai consacré énormément de temps au sujet. Évidemment, cela ne se voit pas. Je n'allais pas me mettre en scène chaque fois que je menais une réunion de travail ou que j'avais un échange avec M. Lévy, le président d'EDF ou le Haut commissariat du CEA.
Nous avons longuement discuté d'un certain nombre de scénarios sur la consommation. Ce qui commande est la question : quel est le niveau de consommation de l'électricité – ce qui est difficile à définir – consommation française, européenne, et quelle peut être la production que l'on met en face pour ne pas être en situation de surproduction ou de sous-production ? Sachant que l'on ne dispose pas de beaucoup de capacités de stockage, même si les barrages hydroélectriques peuvent parfois servir de tampons.
Nous avions des schémas. Nous avons travaillé avec des polytechniciens – je ne sais pas si pour M. Bréchet, les polytechniciens sont des zozos, mais je ne le considère pas – avec des personnes du ministère de l'économie et des finances, avec des personnes d'EDF pour ce qui concernait le parc nucléaire, sur la façon dont on pourrait faire de la programmation, de la planification sur les moyens de production nucléaire.
On parle peu des autres. Je me suis battu, dans la PPE, pour augmenter les perspectives de production d'éoliens en mer. Aujourd'hui, tout le monde semble d'accord, mais à l'époque, c'étaient des bras de fer. Certaines régions ont également poussé dans ce sens. Je me suis battu sur le biogaz. Au vu des difficultés que l'on a aujourd'hui sur l'approvisionnement en gaz, il aurait été bon d'intensifier plus vite et plus tôt sur ces questions. Cela a été le cas sur la sobriété, sur la chaleur renouvelable.
Avec tous ces sujets, on essaie d'établir des scénarios, avec la perspective d'une substitution progressive des réacteurs nucléaires de plus de 40 ans – conçus pour 40 ans, qui, s'ils devaient être prolongés, devaient faire l'objet de nouveaux investissements – par de nouveaux réacteurs de type EPR. Ceci également avec des perspectives de consommation qui avaient vocation à augmenter.
En 2018-2019, nous n'étions pas du tout dans les mêmes perspectives qu'aujourd'hui sur l'électrification des transports, notamment de la voiture. À l'époque, je suis allé sur les ronds-points, j'ai discuté avec des gilets jaunes, dans les médias, dans l'ensemble des réseaux dont ils disposaient. Ils avaient pour « tête de Turc » la voiture électrique. Nous avions des débats à l'Assemblée nationale, ainsi qu'au niveau européen. « Cela ne fonctionnera pas. Il ne faut pas faire de batterie, cela ne sert plus à rien. Peut-être faut-il aller sur l'hydrogène, mais on verra un autre jour. Les moteurs thermiques vont continuer à être améliorés. Pourquoi financer des programmes de recherche sur l'hydrogène ? ». Mon prédécesseur était un militant de l'hydrogène. Il n'a pas du tout été suivi au sein du gouvernement sur ce point.
Entretemps, d'autres décisions ont été prises, au niveau français comme au niveau européen, de développer l'utilisation de l'électricité pour décarboner l'économie. Cela nécessite des moyens de production supplémentaires qui n'étaient pas forcément envisagés il y a cinq ans.
Je commencerai par ce que vous avez indiqué concernant le moratoire de 2010 sur le photovoltaïque, que vous sembliez regretter. Vous disiez : « cette décision a été prise puisque cela marchait trop bien ». Est-ce parce qu'à cette époque, n'a pas été réfléchi le dispositif que nous avons pris plus tard, à savoir le complément de rémunération pour permettre de calibrer le soutien aux porteurs de projets d'énergies renouvelables ? Ou considériez-vous que c'était une production d'énergie qui allait contre le nucléaire et qui, de ce fait, n'était pas très intéressante ?
Peut-être ai-je été mal compris. J'ai voulu dire qu'en 2010, le gouvernement – Mme Nathalie Kosciusko-Morizet était nouvellement ministre de l'écologie – décide de faire un moratoire sur tout développement de projet solaire photovoltaïque, y compris le plus petit comme une personne qui souhaitait mettre quelques mètres carrés de panneaux sur son toit, du jour au lendemain. Cela a duré six mois avant qu'un nouveau dispositif soit mis en œuvre. Cela a eu pour conséquence de casser une filière avec 13 000 personnes. Comme il s'agissait d'installateurs, de petites entreprises de quelques salariés, cela n'a pas ému grand monde. Imaginez si l'on avait annoncé 13 000 suppressions d'emplois à EDF, Renault ou Alstom. Quand le PDG de Peugeot a annoncé quelques milliers de suppressions d'emplois, il a été convoqué à l'Élysée.
Il s'agit d'un choix aberrant pour moi, au lieu de faire décroitre progressivement les subventions, le tarif d'achat garanti, ce qui aurait été tout à fait logique puisque les prix des panneaux avaient fortement baissé. Il n'y avait donc plus besoin d'autant de subventions ni d'un tarif d'achat garanti aussi généreux. Il suffisait donc de le faire baisser dans le temps –ce qui a été effectué ensuite – et l'on aurait gardé une bonne dynamique sur le solaire photovoltaïque, que l'on a retrouvée depuis. Heureusement, cela n'a pas été définitif, mais on a tout de même perdu du temps.
Cela a été le cas dans plusieurs domaines et c'est regrettable. Sur l'éolien offshore, les premières décisions de lancer la délimitation de parcs dans plusieurs régions de France datent de la Présidence de M. Nicolas Sarkozy. Le premier parc a été inauguré dans le deuxième mandat de M. Emmanuel Macron. Ce n'est pas normal. En France, il faut que l'on aille plus vite sur le développement des capacités de production. On a d'ailleurs besoin de toutes les capacités de production, et surtout de ne pas casser quand des dynamiques existent dans des secteurs comme c'était le cas à l'époque dans le solaire photovoltaïque. Je considère donc que c'était une erreur à ce moment-là.
On peut donc considérer que ce moratoire nous a fait perdre quelques années de développement du photovoltaïque, que l'on regrette sûrement maintenant encore.
Concernant la stabilité que vous avez trouvée en arrivant sur le nucléaire, vous disiez qu'il en était de même pour l'hydroélectricité. À cette époque, la question de la mise en concurrence était sur nos têtes.
Je parlais de la production.
Oui, mais cela mettait un frein à une dynamique d'investissements ou à un potentiel d'investissements. Les gouvernements et ministres successifs n'ont pas réussi à convaincre la Commission européenne du bien-fondé de notre demande de non-mise en concurrence de cet outil. Avez-vous contribué à tenter quelque chose ou n'avez-vous pas eu suffisamment de temps pour le faire ?
Vous indiquiez que sur l'hydroélectricité, il n'y avait pas de potentiel nouveau, parce qu'on ne se voit pas noyer une vallée. Il existe tout de même de nombreuses possibilités d'augmentation de puissance sur les barrages existants, liées pour beaucoup à cette situation de mise en demeure de la Commission européenne qui ne permet pas aux exploitants d'investir sur ces outils.
Sur le deuxième point, il s'agit d'un constat. Sur le premier point, avez-vous eu à négocier avec la Commission européenne pour cela ? Nous avons eu à l'époque de nombreux échanges à ce sujet.
J'allais le dire. J'espère que les citoyens français qui partagent vos options politiques ou qui se trouvent dans votre territoire sont bien conscients du travail que vous menez sur ce sujet, car il est acharné et de longue haleine. Même si je ne partage pas totalement votre analyse ni vos conclusions, je dois saluer cette continuité dans l'engagement et l'expertise que vous avez développée.
Je vais tout d'abord formuler une remarque générale. Il est vrai que ce secteur est un peu oublié en France, parce que cela fait partie du paysage. Cela fonctionne, cela produit de l'électricité, cela sert à l'équilibrage de notre réseau, y compris au fonctionnement des centrales nucléaires avec un élément sur le refroidissement en été. Cela ne constitue donc pas tellement un sujet quand on parle de l'avenir, des investissements à réaliser, des choix. C'est un peu dommage, car c'est un secteur intéressant, qui présente un potentiel, qui n'est pas énorme dans la mesure où il s'agit en effet d'améliorer la production, mais sur les installations existantes. En général, on considère dans les hypothèses les plus optimistes qu'il s'agit de 10 à 15 %.
Quand j'étais ministre, j'avais proposé au gouvernement d'avoir une négociation globale avec la Commission européenne, sur l'Arenh – je souhaitais relever le prix – le projet Hercule, et la question des barrages. Je n'ai pas été suivi. Dont acte. On n'est pas toujours suivi. On peut toujours continuer à agir en segmentant les choses. Je constate que cela n'a pas abouti sur Hercule, sur l'Arenh à la marge, et sur les barrages, c'est le statuquo.
Le Président de la République et ses différents gouvernements se sont toujours engagés pour défendre le fait que pour l'instant, il n'y avait pas de remise en concurrence à la fin des concessions des barrages hydroélectriques français.
Point de désaccord que nous avons avec Mme Battistel, ce n'est pas d'abord et avant tout une obligation européenne. C'est d'abord et avant tout le droit des concessions. Le principe d'une concession est qu'elle est accordée pour une certaine durée. Par exemple, lorsque les élus locaux font une concession pour un parking, ils la font pour 25, 30 ans. De même, pour une station d'épuration, ils la font pour 15, 20 ou 25 ans. À un moment donné, la collectivité remet en jeu la concession ; soit elle reprend la gestion en propre, soit elle la confie à un opérateur, le même ou un autre.
La France a d'ailleurs inventé le droit de la concession. Il faut en être fier, car c'est ce qui permet de financer, par des investissements privés, des équipements d'intérêt général qui restent dans le domaine public.
Dans le même temps où les gouvernements successifs, y compris celui auquel j'ai appartenu, ont résisté à l'application de la loi française et européenne sur le droit des concessions, EDF a acheté un barrage dans d'autres pays. Il ne s'agissait pas de concession, mais de l'achat de l'infrastructure. Ceci est peut-être quelque peu technique, mais il est tout de même aisé de comprendre que dans un cas, on vous confie l'exploitation d'un équipement pendant x années – généralement une longue durée pour amortir des investissements et produire de l'électricité – et dans un autre cas, on vous vend l'équipement. En France, il n'a jamais été question de privatiser les barrages, contrairement à ce qu'indiquent certains syndicalistes ou responsables politiques de gauche. Il a toujours été question de savoir si l'on remettait en concurrence la concession des barrages ou non.
Ensuite, à un moment donné, un choix doit être fait, ce que vous savez fort bien, madame Battistel, nous en avons discuté quand j'étais ministre.
Soit, sur un certain nombre de barrages, on ne veut plus jamais faire de remise en concurrence à l'échéance des concessions et on place les barrages dans une société publique (régie) d'État, séparée d'EDF. EDF ne pourrait plus jouer de la synergie, de la complémentarité entre l'exploitation des barrages et le reste de ses outils de production, notamment les centrales nucléaires. Je pense que ce ne serait pas dans l'intérêt d'EDF ni dans celui du système électrique français.
Si l'on ne veut pas séparer totalement les barrages du reste, il vaudrait mieux que les concessions soient renouvelées « au fil de l'eau ». EDF pourrait concourir. Le gouvernement comme les gouvernements précédents ont toujours été sur la position selon laquelle EDF pouvait concourir, alors qu'elle est en situation dominante sur les barrages. Je rappelle que la France compte d'autres acteurs : la Compagnie nationale du Rhône et la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM). On ne parle donc pas que d'éventuels investisseurs étrangers ou d'autres groupes privés.
Pour l'instant, c'est le statuquo. Nous sommes d'accord sur le fait qu'il présente un immense inconvénient : il empêche de lancer les investissements. C'est tout à fait dommageable. Je pense que le Parlement devrait se saisir de ce sujet dans les prochaines lois sur l'énergie pour qu'une option soit prise : soit tout est placé dans une société publique séparée d'EDF, soit un renouvellement normal est effectué au fil de l'eau selon le droit de la concession.
Merci, monsieur le ministre. De toute façon, nous ne tomberons pas d'accord, mais nous ne sommes pas là pour cela. Il s'agissait simplement d'avoir un éclairage sur le passé. Deux questions me viennent après votre intervention. Considérez-vous que ce serait mieux si l'on passait du régime de concession au régime d'autorisation ?
Par ailleurs, vous indiquiez que vous étiez favorable à une remise en concurrence et que les candidats français pourraient concourir. S'ils ne gagnaient pas ces marchés, cela ne contribuerait-il pas tout de même à une perte de souveraineté énergétique de la France, l'objet de notre commission ?
Il y a un choix politique qui peut à tout moment être débattu, qui est tout à fait légitime. Certaines personnes pensent d'une manière générale que ce qui est public est toujours mieux, qu'une entreprise publique, c'est mieux qu'une entreprise privée, qu'une administration de l'État, voire un établissement public, c'est mieux qu'une gestion privée. Ce n'est pas mon point de vue. Je pense que ce n'est pas celui du gouvernement et du Président actuels, mais je ne m'exprimerai pas à leur place.
Je pense que le système des concessions est un bon système. Il permet de financer des investissements importants qui sont nécessaires dans le domaine des barrages hydroélectriques et dans d'autres domaines. Cela ne choque personne que les éoliennes en mer soient des concessions. Pour 20, 25 ans, des gens exploitent des investissements qu'ils ont eux-mêmes financés et ils alimentent le réseau électrique qui, lui, est national, mutualisé et même connecté au niveau européen. De ce point de vue, il serait bien de continuer ce que la France fait depuis au moins 150 ans pour avoir des équipements publics, gérés par des entreprises qui vont chercher de l'argent privé pour les faire fonctionner, au service d'un réseau électrique national.
Sujet dont on parle peu, ne commençons pas, d'une façon ou d'une autre, à démembrer le réseau. Il serait bon de prendre des garanties législatives nouvelles. Mon expérience ministérielle m'a instruit cela. Sur le réseau haute tension, il n'y a pas trop de risques, cela est clair avec RTE. Sur le réseau local, certaines collectivités locales commencent, sur le régime de la concession, à vouloir le reprendre en propre, à vouloir créer des sociétés locales. Attention, le réseau électrique, c'est la garantie que l'on a la meilleure sécurité d'approvisionnement et une solidarité entre les habitants des différents territoires de France et de Navarre.
Vous parlez de démantèlement et cela me fait rebondir sur la question du projet Hercule. Quelles vertus trouviez-vous à ce projet qui, pour un certain nombre de personnes, des syndicats, mais pas uniquement, fragilisait le système intégré de l'entreprise en séparant certaines activités, notamment Enedis ? Aujourd'hui, tout le monde convient que cela pouvait tout de même être une erreur et qu'il serait bien qu'Enedis revienne dans « le paquet bleu » qui était défini préalablement.
Le projet Hercule est mort. Cela dit, il est intéressant de l'évoquer, car cela a un lien très étroit avec le sujet de votre commission.
Je pense qu'il est utile de rappeler quelques éléments qui ont peu été explicités aux Français parce qu'il s'agissait de fait d'un sujet entre le gouvernement, EDF et les syndicats au sein d'EDF. Le projet Hercule a été envisagé pour une raison dans le fond assez simple et aisée à comprendre.
D'une part, c'était une façon d'une part de remettre le parc nucléaire dans une société 100 % publique. Depuis, cela a été fait sous une autre forme, mais c'était déjà l'ambition du projet Hercule et, je peux le dire sans risque d'être démenti, l'ambition de M. Emmanuel Macron. Il m'en avait parlé avant que de me nommer ministre et que j'accepte d'être nommé ministre.
D'autre part, il s'agissait de financer le nouveau nucléaire. Il ne faut pas « tourner autour du pot ». C'était une façon de mettre la partie nucléaire à « l'abri » des risques de la cotation boursière. Je ne sais pas si vous avez auditionné M. Clamadieu, président d'Engie, mais je crois que vous avez auditionné la directrice générale. J'ignore s'ils vous l'ont indiqué, mais Engie a souffert et souffre beaucoup d'avoir un petit parc nucléaire et d'avoir un parc nucléaire en Belgique. Chaque fois que quelque chose de délicat se présente, soit du point de vue de la sûreté, soit du point de vue de décisions, cela le fragilise inutilement.
Par ailleurs, cela était financé par un montage un peu compliqué. Il ne venait ni de moi ni du ministre de l'économie. Ce dernier s'est exprimé à plusieurs reprises avant même que le projet soit abandonné pour faire comprendre qu'il n'y était pas très favorable. En l'occurrence, il était question de la vente d'un certain nombre d'actions d'une entité dans laquelle il y aurait eu Enedis et les énergies renouvelables, ce qui était un peu baroque à mon sens, pour financer le nouveau nucléaire.
Il s'agit vraiment de mon point de vue, je n'y ai pas du tout travaillé quand j'étais ministre, le projet Hercule étant à l'époque l'orientation, mais je pense qu'il serait plus sain d'aller au bout de la séparation de la production, du transport et de la distribution. Ce ne sont pas les mêmes métiers ni les mêmes exigences. RTE et Enedis font vivre un réseau qui doit absolument être national et qui est à la disposition de tous les producteurs, du plus petit qui pose des panneaux solaires sur son toit au plus gros qui installe des éoliennes en mer. Je plaiderais pour que ce soit des entités publiques, non cotées en bourse, et pour le fait d'avoir une entité pour la production, EDF, qui bénéficie à plein des éventuelles synergies entre les différents modes de production.
D'autres entreprises – il y en a déjà – Engie, Total, éventuellement de plus petite taille comme Enercoop, continueront à produire de l'électricité en France, investiront davantage dans les années à venir dans de nouveaux moyens de production. Un élément que l'on a complètement oublié est qu'à une époque, Total avait envisagé d'investir dans le nucléaire. D'ailleurs, le pouvoir politique, notamment le Président Sarkozy, le souhaitait et que le groupe Bouygues s'investisse dans le nucléaire. Le groupe Bouygues avait d'ailleurs été appelé à la rescousse par rapport à Areva. Ces groupes privés ont finalement opéré le choix stratégique de ne pas le faire, parce que c'est compliqué, risqué, y compris économiquement. Par conséquent, de fait, c'est EDF qui, en France, le fait et le fera.
Sur la question de l'Arenh, vous vous êtes dit favorable au relèvement du prix, mais aussi du plafond puisqu'il a été relevé en 2019. Vous indiquiez que votre gouvernement veillait à ce que EDF ne soit pas pénalisée financièrement, ce qui est une très bonne chose. En parallèle, à une époque où l'on savait qu'une grande partie de notre parc était indisponible et que, de ce fait, la production n'était plus de 380 térawattheures, mais de moins de 300, cela a forcément pénalisé EDF que de relever le plafond. Cette discussion d'équilibre économique de l'entreprise EDF a-t-elle été posée au moment où vous réfléchissiez au relèvement du plafond ?
Vous disiez également que vous étiez favorable au relèvement du prix, mais qu'il fallait négocier avec la Commission européenne. D'autres nous ont dit dans cette commission qu'il n'existait pas d'obligation et qu'il était prévu dès le départ que le prix pouvait évoluer. Je voulais avoir votre avis sur ce sujet.
J'invite la commission, son président, son rapporteur, à se procurer les documents de l'époque. Si le gouvernement ne souhaitait pas vous les fournir, vous pourriez les obtenir en allant les chercher vous-mêmes selon la règle pour les commissions d'enquête parlementaires, mais je pense qu'il ne serait pas besoin d'aller jusque-là.
Il s'agit d'une négociation entre le gouvernement français et la Commission européenne qui date de 1999. C'est la loi sur l'ouverture à la concurrence pour les clients entreprises puis pour les clients particuliers en 2007. On peut considérer que la concurrence n'apporte jamais rien de bon. Telle n'est pas l'orientation qui a été prise par l'Union européenne.
Je l'ai vécu en tant que ministre, on se rend à des conseils européens à vingt-sept, on négocie. Rien ne se fait jamais facilement, car il y a beaucoup de points de vue et d'intérêts différents, ce qui est normal. On construit donc des compromis.
À une époque, sous le gouvernement de M. Lionel Jospin, il y a eu acceptation d'un marché européen avec de la concurrence. Il importe de se souvenir qu'à une époque, en France, non seulement le consommateur ne pouvait pas choisir son fournisseur d'électricité, à quelques exceptions près, dont l'Alsace, mais de plus, il existait un monopole de la production. Si vous aviez développé une capacité à produire de l'électricité, vous étiez obligé de vendre l'électricité que vous produisiez à EDF. Était-ce bien ? Pourquoi, en France, a-t-on pris tant de retard dans le développement des énergies renouvelables, non pas par rapport à des objectifs chiffrés, mais par rapport à d'autres pays qui ne sont pas passés à côté ? En France, nous avons des filières industrielles, des usines qui produisent des éoliennes.
À un moment, le gouvernement français a donc accepté, dans le cadre d'un compromis européen, l'ouverture à la concurrence. Or, si vous effectuiez l'ouverture à la concurrence en France avec un acteur qui possédait tous les moyens de production, à quelques très rares exceptions près, et que vous attendiez par des investissements d'entreprises dans différents secteurs d'avoir de la concurrence sur la production, vous risquiez d'attendre longtemps. Ce n'était pas de la vraie concurrence : vous aviez le choix entre EDF et EDF, ou des étrangers qui auraient fait venir de l'électricité d'autres pays. Aucun autre opérateur ne serait mis à construire des centrales nucléaires. Par ailleurs, ce ne serait pas souhaitable. D'autres pays, comme l'Allemagne, disposaient de plusieurs entreprises gérant des centrales nucléaires. Imaginez si l'on avait découpé EDF en morceaux à l'époque : personne ne l'aurait souhaité, surtout pas les syndicats.
Le choix a donc été effectué de garder l'unicité d'EDF. Un compromis a été fait selon lequel une part du volume de production devait être mis à disposition des concurrents à un prix devant couvrir les coûts de production d'EDF. Mais comme à l'époque, EDF déclarait que ses coûts de production étaient très bas, elle s'est retrouvée prise à son propre piège, avec un prix à 42 euros qui, objectivement, n'était pas suffisant dans le temps. Il s'agit de 100 térawattheures sur une production nucléaire de 350 en moyenne, pendant 20 ou 30 ans, mais en tout cas depuis la période où l'Arenh a été signée c'est-à-dire depuis à peine 12 ans. Cela correspond à peine à un tiers. Cela a été relevé à 120 au début de l'année 2022. Je pense qu'il s'agissait là de quelque chose d'équilibré, de gagnant/gagnant, par rapport aux opérateurs, mais surtout par rapport aux consommateurs. Je rencontre des entreprises, des hôteliers, des restaurateurs, des boulangers à qui EDF propose actuellement des contrats avec des prix supérieurs à 500 euros.
Ce n'est pas l'Arenh qui est responsable des coûts de production d'EDF. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Il faut que l'on arrête de raconter n'importe quoi. Des responsables politiques ou des syndicalistes, non contredits par les journalistes qui ne peuvent pas connaitre la complexité de l'Arenh, déclarent que l'on oblige EDF à vendre toute sa production à des étrangers, des groupes privés. On est tout de même bien content quand il s'agit d'entreprises florissantes.
La programmation pluriannuelle de l'énergie aurait été plus facile à gérer si EDF faisait des bénéfices tous les ans, plutôt que de devoir vendre les investissements réalisés par le passé à l'étranger pour équilibrer les comptes. Cela s'appelle « vendre les bijoux de famille ».
On tombe toujours sur Total « à bras raccourcis », mais il est tout de même préférable d'avoir des entreprises florissantes que des entreprises en difficultés financières. C'est mieux pour l'économie générale du pays comme pour les salariés de l'entreprise concernée. Les salariés d'EDF seraient peut-être un peu moins inquiets quant à leur avenir et avec leurs syndicats, un peu moins crispés sur un certain nombre de sujets s'ils avaient des perspectives d'avenir florissantes ; s'ils pouvaient se dire : l'Arenh va s'arrêter en 2025, on se déploie, on démontre que l'on est capables de produire de l'électricité de façon compétitive, et on convaincra les Français d'acheter de l'électricité à EDF, mais aussi d'autres pays d'Europe. EDF a vocation à être un leader énergétique en Europe.
Je crois que le sujet de l'Arenh finira assez vite par apparaitre pour ce que c'est, à savoir l'arbre qui a un peu de mal à cacher la forêt des autres problèmes.
Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre disponibilité, vos réponses longues et précises. Cela contribuera encore à éclairer les travaux de notre commission d'enquête.
La séance s'achève à 22 heures 10.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Raphaël Schellenberger.
Excusée. – Mme Valérie Rabault.