La séance est ouverte à quatorze heures trente.
La commission procède à l'audition de M. Gaëtan Rudant, directeur régional et interdépartemental à la direction régionale et interdépartementale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS) d'Île-de- France, M. Jean-François Dalvai, directeur de l'unité départementale de Paris, Mme Sophie Bidon, responsable de la commission régionale des enfants du spectacle et agences de mannequins ; M. Jérôme Corniquet, directeur adjoint en charge du pôle travail à la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités des Bouches-du-Rhône ; M. Olivier Bavière, directeur départemental adjoint chargé du pôle travail à la direction départementale de l'emploi, du travail et des solidarités du Nord
Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour que tous puissent évoluer dans ces secteurs sans crainte pour leur intégrité physique et mentale.
La commission des enfants du spectacle joue un rôle central dans la protection des mineurs, leur encadrement et leur accompagnement dans leur travail, bien qu'il ne s'agisse pas d'un travail au sens strict, car il constitue une dérogation au code du travail. Nous souhaiterions que vous nous présentiez les missions exactes de cette commission, l'étendue de ses pouvoirs ainsi que des chiffres concernant cette activité, tels que le nombre de dossiers reçus, de demandes acceptées ou refusées, ainsi que l'âge des personnes concernées.
Ensuite, Mme la rapporteure, et éventuellement d'autres collègues qui nous rejoindront, auront des questions plus précises à vous poser.
Je rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Olivier Barrière, Jean-François Dalvai, Jérôme Corniquet, Gaëtan Rudant et Mme Sophie Bidon prêtent successivement serment.)
Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à l'exercice de ces missions au sein des services déconcentrés de l'État. Vous avez entendu la semaine dernière la directrice adjointe de la direction générale du travail, qui vous a exposé un certain nombre d'éléments que nous éviterons de répéter aujourd'hui.
Pour commencer, je vais présenter les services déconcentrés et l'étendue de leurs responsabilités. Les services déconcentrés des ministères sociaux et des ministères économiques et financiers sont organisés à deux niveaux : au niveau régional, ils sont représentés par les directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets ou DRIEETS en Île-de-France) et au niveau départemental par les directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DEETS). Mes deux collègues du Nord et des Bouches-du-Rhône pourront illustrer des réalités très différentes en fonction de l'importance du monde du spectacle et des demandes que nous devons analyser.
Les Dreets et les DEETS portent une série de politiques publiques, globalement réparties en trois catégories. La première concerne les enjeux de consommation, de concurrence et de répression des fraudes, assez éloignés des préoccupations qui nous rassemblent aujourd'hui. La deuxième est centrée sur la protection des personnes les plus vulnérables, notamment leur insertion professionnelle, et sur le développement des activités économiques. Enfin, la troisième est relative au travail et comprend la promotion du dialogue social, le renseignement en matière de droit du travail et le contrôle des politiques de travail.
Selon les organisations, la commission des enfants du spectacle intervient dans le champ du travail, en tant qu'application du code du travail, ou dans le champ de la protection des publics vulnérables, selon l'angle sous lequel le sujet est abordé. En réalité, les missions sont exercées avec les mêmes prérogatives et dans les mêmes conditions. La commission des enfants du spectacle est une commission départementale présidée par un juge des enfants. Nos services y représentent notamment le préfet, aux côtés du directeur académique des services de l'éducation nationale, d'un représentant du ministère de la culture et d'un médecin.
Il est important, à ce stade, de fournir des points de comparaison. En Île-de-France, nous avons choisi de regrouper l'ensemble des équipes qui instruisent ces dossiers au sein d'un même service. Cette décision résulte du constat que la majorité des dossiers concerne Paris, les Hauts-de-Seine et, plus marginalement, la Seine-Saint-Denis, tandis qu'une part infime provient des autres départements. Ce service, dirigé par Mme Bidon, qui m'accompagne aujourd'hui, instruit environ 1 000 dossiers par an, soit environ 10 000 autorisations individuelles pour des jeunes de moins de 16 ans, amenés à travailler de manière dérogatoire au code du travail. Les réalités dont peuvent témoigner mes collègues sont probablement quelque peu différentes.
Nous avons regroupé l'ensemble des services d'Île-de-France, non pas les commissions qui, conformément au code du travail, demeurent des commissions départementales présidées par un magistrat. En revanche, les forces d'instruction, c'est-à-dire les personnes dont nous avons souhaité qu'elles développent le meilleur professionnalisme, sont désormais réunies au sein d'une même équipe.
Les tournages sont souvent d'origine parisienne, mais ils sont délocalisés. Quel est le fonctionnement dans les autres régions ?
Pour la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), nous avons un fonctionnement strictement départemental. Chaque département possède sa propre commission. Nos dossiers sont très différents, en nature et en volume, de ceux de l'Île-de-France. Dans les Bouches-du-Rhône, par exemple, nous traitons environ trente à quarante dossiers par an, selon les années, ce qui concerne environ 200 à 250 enfants par an.
Cela devrait être possible, sous l'autorité de la direction générale du travail, car je n'ai pas de légitimité à représenter l'ensemble des directions régionales.
Nous fonctionnons selon un modèle départementalisé. Chaque département traite exclusivement ses propres demandes. En termes de volume, nos chiffres sont sans commune mesure avec ceux de l'Île-de-France. Pour le département du Nord, sur les trois dernières années, de 2021 à 2023, la moyenne des demandes d'autorisation s'élève à soixante-dix par an, pour environ une cinquantaine de dossiers traités annuellement. Le taux de refus est extrêmement faible. En effet, seulement deux dossiers par an, en moyenne, font l'objet d'un refus, de manière explicite ou implicite.
Oui, de façon exhaustive au vu des volumes. En 2023, nous avons prononcé deux refus explicites et deux rejets implicites. Deux dossiers, pour lesquels des compléments avaient été demandés, ont été rejetés du fait de l'absence de suivi de la part des demandeurs. Nous notifions tout de même ces rejets pour éviter tout malentendu juridique et empêcher la mise en œuvre des projets. Les deux refus explicites portaient sur un spectacle d'acrobatie dans lequel les conditions de sécurité pour les enfants ne semblaient pas satisfaisantes. Le producteur du spectacle n'a pas souhaité apporter les modifications demandées. Par conséquent, le spectacle n'a pas été autorisé.
Au moment de l'instruction, néanmoins nous avons saisi la commission sur ce motif et celle-ci a rendu un avis défavorable.
Ce que vient d'indiquer mon collègue est vraiment important. La pratique des services vise avant tout à garantir la meilleure sécurité possible. Nous nous efforçons de faire en sorte que les scénarios, les scripts, les scènes et les conditions de travail soient modifiés et intégrés comme tels, par les différentes parties, et particulièrement par les producteurs.
En Île-de-France, nous ne constatons pas de rejet, car l'autorité de la commission est peu contestée et les demandes de modification sont donc prises en compte en amont. Toutefois, les adaptations souhaitées nécessitent parfois le report du début des tournages. Ces ajustements concernent notamment les conditions d'exposition à des facteurs de risque pour les jeunes et les enfants amenés à travailler, ainsi que l'intensité du travail attendue de leur part dans le déroulement des tournages.
Mme Bidon, vous traitez environ 1 000 dossiers par an, ce qui représente la majorité des dossiers en France. Pouvez-vous nous rappeler la composition d'une commission, la fréquence de ses réunions, et le déroulement de ses travaux ?
Pouvez-vous également nous indiquer la manière dont les dossiers vous parviennent et comment ils sont traités, étape par étape, les moyens humains dont vous disposez et s'il existe une procédure de suivi une fois les autorisations accordées ?
Le service des enfants du spectacle se compose de huit agents, moi y compris. Nous travaillons tous sur la même plateforme, qui est également utilisée par la médecine du travail pour organiser les rendez-vous avec les enfants. Les productions y déposent également leurs dossiers.
Tout à fait. La commission est présidée par un juge pour enfants et elle est en outre composée d'un médecin, d'un représentant du rectorat et d'un représentant du ministère de la culture.
Oui.
Exactement, sauf les médecins qui se relaient. Les commissions se réunissent tous les mois à l'exception du mois d'août.
Un producteur qui a un projet le dépose sur la plateforme. Quels sont les éléments demandés ?
Tout d'abord, nous constituons le dossier administratif et demandons le livret de famille, l'autorisation des représentants légaux, le contrat de travail et le certificat de scolarité. Si le tournage dépasse quatre jours, il est nécessaire de fournir l'autorisation du chef d'établissement de l'enfant. Une section est également disponible pour les situations particulières, notamment pour les enfants sans autorisation parentale d'un ou des deux parents, ou ceux ne résidant pas au domicile parental. Les conditions d'emploi de l'enfant sont également requises : le lieu de tournage, les horaires, l'accompagnement et la rémunération.
Mes agents lisent les scénarios et les scripts intégralement. Une note de sécurité est rédigée lors du dépôt. Toutefois, si l'instructeur estime qu'il existe un danger pour l'intégrité physique ou psychologique de l'enfant, il peut demander une deuxième note de sécurité plus détaillée. Celle-ci peut inclure des précisions sur le tournage de la scène ou même exiger une modification du texte.
Avez-vous parfois des échanges à l'oral ou les échanges se déroulent-ils au moment de la transmission du dossier ?
De nombreux échanges s'effectuent oralement, puisque mes agents accompagnent les productions pour leurs dossiers.
Quelle est la formation de vos agents ? Sont-ils issus du milieu cinématographique ou ont-ils acquis leur expérience en lisant des scénarios ? Lorsqu'on connaît les scénarios, on peut imaginer le nombre de jours nécessaires, les moyens alloués au film. On peut juger que le projet n'est pas tenable ou irréalisable. Disposez-vous des moyens pour prévoir ces éléments, voire même les expertiser ?
Mes agents possèdent une solide expérience. Nous collaborons avec des contrôleurs du travail, qui maîtrisent parfaitement le droit, et également avec le rectorat et la médecine du travail. Nos échanges portent notamment sur la scolarité, les conditions de tournage et les voyages, car certains enfants doivent se rendre à l'étranger pour tourner.
La seule personne qui voit l'enfant est le médecin, n'est-ce pas ? L'enfant ne se présente jamais devant la commission, ce qui signifie que seul le médecin peut lui demander son avis sur le tournage. Or vous avez mentionné que les médecins changent en permanence.
Il convient de distinguer deux types de médecins : le médecin membre de la commission qui examine le dossier et l'instruction réalisée par les équipes du service des enfants du spectacle, et les médecins du service de médecine du travail de Thalie Santé, spécialisé dans l'univers du spectacle en Île-de-France, qui rencontrent effectivement les enfants. Ce sont ces médecins qui émettent l'avis médical qui permet à la commission de statuer.
Quelles questions sont posées à l'enfant lors de cette visite médicale ? Existe-t-il une charte préétablie reprenant toujours les mêmes questions, notamment concernant son consentement ?
Le service de santé au travail, Thalie Santé, examine tous les scénarios, tout comme notre service et le rectorat. Les scénarios sont ainsi lus au moins deux fois et également par le rectorat. Le contenu de ces entretiens reste confidentiel, mais le médecin interroge généralement l'enfant sur ses motivations et s'assure qu'il a bien compris le scénario. Pendant cette procédure, l'enfant est accompagné de ses parents.
Combien de temps la visite du médecin dure-t-elle, approximativement ? S'agit-il d'une visite rapide ou approfondie ?
Non, les questions sont approfondies. Nous cherchons à savoir si l'enfant est motivé, s'il a bien compris le scénario et les enjeux. Certaines questions peuvent également être posées par rapport à la scolarité.
Dans un cas où un scénario difficile vous est présenté, dans lequel le personnage joué par l'enfant est amené à souffrir, faites-vous appel à un psychologue pour évaluer la capacité du mineur à supporter le rôle ? Autrement dit, certains dossiers exigent-ils un travail beaucoup plus approfondi que d'autres ? Si oui, sur quels critères objectifs vous basez-vous pour prendre la décision de mener une étude plus poussée ?
Oui, lorsque le médecin décèle des risques psychologiques, il fait appel à un psychologue qui est spécialisé dans les activités artistiques.
Je reviens sur le fait qu'il y ait deux médecins dans le processus, un présent au sein de la commission qui ne voit pas l'enfant et l'autre médecin qui le rencontre en personne et peut lui poser des questions. Je souhaiterais savoir si tous les éléments du dossier sont transmis d'un médecin à l'autre. Par exemple, le médecin qui interroge l'enfant connaît-il le scénario ou obtient-il ces informations uniquement de la part de l'enfant ?
Pour toute l'Île-de-France, seuls quatre médecins reçoivent les enfants.
Oui, mais comme les enfants concernés sont nombreux, ils sont répartis entre quatre médecins au total. Ils n'ont pas quatre rendez-vous médicaux, mais quatre médecins travaillent pour la commission.
Ma question ne portait pas sur le nombre de médecins, mais sur la disponibilité des informations concernant le scénario pour le médecin qui examine l'enfant. Le médecin chargé de déterminer si l'enfant comprend bien tous les enjeux de l'histoire qu'il doit raconter connaît-il le scénario afin de poser des questions pertinentes à l'enfant ?
Il y a bien une transmission d'informations à ces deux niveaux. Tout d'abord, le médecin du service de santé au travail, qui reçoit l'enfant, a une connaissance précise du scénario. Ensuite, celui qui est en commission dispose d'un accès complet au dossier médical de l'enfant, y compris l'avis ou les préconisations formulées par le médecin initial.
Il arrive parfois que le médecin chargé d'évaluer l'aptitude et la capacité de l'enfant à occuper un emploi se prononce de manière générale, sans prendre en compte les spécificités de l'emploi en question et du rôle demandé. Ainsi, dans le département du Nord, lorsque la commission départementale reçoit cet avis général, elle le renvoie systématiquement. Elle considère que l'avis fourni n'est pas conforme à la réglementation en vigueur. Par conséquent, elle revient vers le médecin pour lui demander de se prononcer par rapport au cas d'espèce spécifique.
Fonctionnez-vous tous de la même manière ? Procédez-vous, tout comme dans le Nord, au renvoi du dossier si le médecin qui a examiné l'enfant ne dispose pas d'informations spécifiques à la situation ou bien s'agit-il d'un fonctionnement local ?
Dans les Bouches-du-Rhône, nous avons un fonctionnement similaire.
Je comprends qu'en Île-de-France, l'avis du médecin est toujours circonstancié en fonction du scénario.
À présent, je souhaiterais savoir si vous refusez fréquemment des dossiers. Avez-vous des exemples de cas de fraude dans lesquels le tournage du film a eu lieu malgré le refus ? Ensuite, nous aborderons les dossiers retravaillés à la suite de votre refus.
Je prolonge la réponse de mon collègue. La pratique des services consiste à assurer la meilleure sécurisation en veillant à ce que les scénarios, les conditions de tournage et le recours éventuel à des alternatives n'impliquant pas le fait de filmer des enfants soient explorés en amont. De ce fait, en Île-de-France, la commission ne prononce jamais de refus, car les producteurs procèdent aux adaptations nécessaires.
Dans de rares cas, nous constatons a posteriori que les adaptations ou les propositions d'origine n'ont pas été respectées, sous réserve que nous ayons reçu un signalement à ce sujet. Nous avons à l'esprit deux exemples dans lesquels nous avons été informés de pratiques ne correspondant pas aux éléments du dossier qui ont permis à la commission de se prononcer. Dans ces deux situations, nous avons évidemment signalé les faits au parquet compétent.
Dans les deux cas, il semblerait que les faits aient été dénoncés par des directeurs de casting. Dans le premier, une mineure a été exposée, contre son consentement, à un tournage de scènes à caractère sexuel non prévues dans les fiches de script. Dans le deuxième, il s'agit d'une suspicion de harcèlement sexuel sur mineur. Le jugement n'a pas encore été rendu.
Dans de telles situations, que faites-vous si le même réalisateur ou la même société vous sollicite à nouveau pour une autorisation, tant que le jugement n'est pas prononcé ?
D'une part, lorsqu'il subsiste des doutes quant à la véracité ou la dangerosité de certaines pratiques, nous pouvons solliciter l'intervention des inspecteurs du travail compétents. À plusieurs reprises, les services de Mme Bidon ont ainsi demandé à l'inspecteur du travail de procéder à des vérifications sur les conditions de travail des mineurs concernés. D'autre part, il n'existe effectivement pas dans le code du travail de disposition interdisant la possibilité d'obtenir une nouvelle autorisation dès lors qu'un certain type de procédure est engagé.
Quel est le nombre de refus par an ? Les 1 000 dossiers par an évoqués sont-ils tous acceptés ?
Il s'agit de 1 000 dossiers instruits. Les refus sont rares, car lorsqu'un dossier n'est pas satisfaisant, le tournage est reporté.
Oui, mais si vous considérez que le projet d'un producteur ne peut pas obtenir d'autorisation, j'imagine que vous pouvez prononcer un refus ferme.
Nous disposons d'un mois pour instruire le dossier, pendant lequel l'instructeur accompagne les productions. Nous sommes donc alertés en amont lorsqu'un dossier n'est pas satisfaisant. Dans ce cas, les producteurs sont invités à reporter leur tournage et à modifier le scénario si ce dernier pose problème ou à compléter le dossier s'il n'est pas complet.
D'accord, mais rencontrez-vous des cas de refus implicites, comme l'a mentionné M. Bavière, où les personnes concernées n'ont pas complété leur dossier ou effectué les adaptations nécessaires ? Dans de tels cas, ne refusez-vous pas simplement le dossier plutôt que de demander un report du tournage ?
Il est arrivé en commission que nous informions la production que le dossier n'était pas satisfaisant. Elle pouvait alors se représenter plus tard, après avoir effectué les modifications demandées.
Non.
Je vérifierai. Mais je pense en avoir eu un ou deux, pas plus. Les reports se produisent plus fréquemment. Je ne dispose pas des chiffres ici, mais je me renseignerai.
Il faut bien comprendre que la notion de décalage temporel ne se limite pas simplement à différer un événement. Il s'agit de prendre le temps d'adapter le scénario ou les conditions de tournage. De ce fait, rares sont les dossiers qui n'ont pas été modifiés avant d'être présentés à la commission, outre un ou deux cas spécifiques où la production insiste pour suivre la méthode initialement prévue.
Si je comprends bien, la société de production est tenue de déposer son dossier sur le lieu de son siège social. Elle ne peut donc pas obtenir un refus quelque part et déposer le dossier ailleurs par un moyen détourné.
Lors de nos auditions, la semaine dernière, on nous a indiqué que parfois les scénarios présentés ou certaines scènes peuvent ne pas être totalement aboutis, et que ces imprécisions peuvent subsister jusqu'au début du tournage. Dans de tels cas, vous demandez des informations supplémentaires et suspendez la décision. Mais, effectuez-vous également des contrôles pendant le tournage ? Par exemple, dans des situations où vous ne parvenez pas à obtenir des informations supplémentaires et où le processus n'est pas aussi fluide que souhaité.
Parfois, le scénario d'un projet évolue en un mois. En cas de doute, nous sollicitons un contrôle de l'inspection du travail. Comme l'a évoqué M. Rudant, nous avons appliqué l'article 40 du code de procédure pénale, car une scène manquait dans le scénario présenté à notre service.
Je tiens à insister sur ce point qui me semble essentiel dans le cadre de cette commission. Lorsque vous dénoncez des faits comme ceux que vous avez mentionnés, la commission n'a aucun moyen, malgré ses doutes quant à cette société, de l'empêcher de déposer une nouvelle demande ou de lui interdire d'employer à nouveau des enfants, n'est-ce pas ?
Aujourd'hui, le code du travail ne prévoit aucune disposition juridique permettant d'interdire, de manière temporaire ou définitive, à une société de production de proposer de nouveaux tournages. La commission examine chaque cas individuellement, en tenant compte des antécédents. Il est évident que les situations que j'ai mentionnées font l'objet d'une attention particulière. Cependant, il n'existe actuellement aucun cadre juridique permettant d'interdire ces tournages.
Est-ce que cette situation, d'un point de vue juridique, est liée au fait que la commission relève de la DRIEETS ou de la DEETS ? Si elle était indépendante, aurait-elle pu refuser le tournage de cette société du fait qu'elle n'aurait pas examiné le dossier uniquement sous l'angle du droit du travail ?
Il nous manque véritablement l'outil juridique nécessaire pour restreindre une liberté d'activité constitutionnellement protégée. Actuellement, les dispositions législatives et réglementaires ne nous permettent pas de prendre une telle décision. Ce n'est donc pas lié à la nature de la commission qui, je le rappelle, est présidée par un juge des enfants. Elle ne fait pas partie de la DRIEETS ou des DEETS qui en assurent le secrétariat.
Le droit en vigueur dispose que toute production impliquant des enfants nécessite une autorisation préalable de votre part. Une fois le tournage commencé, vous avez la possibilité d'effectuer des contrôles. En dehors des cas où des doutes subsistent, quels critères vous poussent à demander un contrôle ? Combien de contrôles sont-ils demandés annuellement, et disposez-vous des moyens suffisants pour les mener à bien ? Ce système d'autorisation préalable, sans certification spécifique, vous impose un travail de filtrage long et peut-être inefficace pour cibler les contrôles. On pourrait envisager la mise en place d'une certification et d'un cahier des charges garantissant que seules les productions ayant la capacité d'embaucher des enfants puissent le faire. Ce cahier des charges pourrait inclure, par exemple, l'accompagnement obligatoire des enfants par un « responsable enfants » ou un agent certifié, et des castings réalisés par des personnes formées. Actuellement, le système est centralisé autour de votre commission et de son travail. Ne serait-il pas pertinent d'instaurer un filtre en amont pour déterminer qui a le droit de tourner avec des enfants ?
Sur le nombre des demandes de contrôle, je vais me concentrer sur l'Île-de-France. Pour l'année 2023 et le début de l'année 2024, le service instructeur a déposé treize demandes de contrôle auprès des agents de l'inspection du travail.
Il faut savoir que nous manquons parfois de temps pour pouvoir effectuer un contrôle. Les délais sont très courts et le lieu du tournage peut également poser problème.
Une des difficultés majeures réside dans la coordination entre le lieu de la demande d'autorisation et les lieux de tournage. La demande d'autorisation présentée sur le lieu du siège social présente l'avantage d'offrir une vision unique pour le producteur, mais les tournages peuvent se dérouler sur l'ensemble du territoire national. La directrice adjointe de la direction générale du travail a souligné cette problématique la semaine dernière. En effet, un constat de pratique déviante, s'il n'est pas anticipé, ne peut être réalisé que sur le lieu du tournage, ce qui pose problème quand, par exemple, une autorisation est accordée à Marseille pour un tournage en Centre-Val de Loire.
Avez-vous des préconisations quant à une éventuelle réorganisation ? L'organisation actuelle présente à la fois des avantages et des inconvénients. Comme l'a souligné Mme la rapporteure, un producteur est tenu de déposer sa demande sur le lieu où son entreprise est enregistrée, ce qui l'empêche de déposer une autre demande à un autre endroit. C'est positif. Cependant, dans le cas où, par exemple, un producteur basé à Paris souhaite tourner à Brest, cela devient problématique. Comment se coordonnent alors les différentes commissions ? Disposez-vous d'un service ou d'un fichier national répertoriant tous les tournages en cours impliquant des enfants ? Ou bien les contrôles sont-ils conduits de manière spontanée ?
Le contrôle spontané sur un tournage n'est pas un exercice simple, car l'inspecteur territorialement compétent n'est pas informé au préalable des tournages en cours. Par conséquent, le contrôle spontané de la propre initiative d'un inspecteur du travail est relativement rare et difficile à réaliser. Les contrôles de l'inspection du travail se produisent généralement à la demande de la commission des enfants du spectacle lorsqu'elle reçoit des signalements. Dans le cas que j'évoquais précédemment, à savoir le signalement au parquet, et en l'absence d'outils nationalement organisés, nos services ont naturellement pris contact avec l'inspecteur du travail compétent pour le lieu du tournage afin qu'il puisse procéder à des contrôles.
Lorsque vous délivrez des autorisations, savez-vous précisément à quel moment et où l'enfant participera au tournage, et qui sera présent ? L'objectif est d'identifier les personnes amenées à côtoyer l'enfant pour pouvoir les contrôler.
Parallèlement au dépôt de la demande devant la commission, il est possible qu'une demande de dérogation soit adressée simultanément à l'inspecteur du travail. Dans notre département, le service traitant la commission coopère avec l'inspection du travail. C'est souvent à ce moment-là que des contrôles sont effectués. Les contrôles résultent ainsi d'un échange d'informations suggérant un problème potentiel dans cette production ou ce spectacle vivant.
Les contrôles qui ont eu lieu jusqu'à présent se sont déroulés dans les Bouches-du-Rhône. Autrement dit, nous n'avons jamais signalé une difficulté particulière à un inspecteur d'une autre région, car ce serait difficile à anticiper.
Il arrive que les contrôles soient conjoints, car l'agent chargé de la commission n'est pas juridiquement compétent pour réaliser des contrôles. Il peut examiner les dossiers et participer à la prise de décision, mais ne peut mener des contrôles. Dans nos services, seuls les agents de contrôle de l'inspection du travail sont aptes juridiquement à effectuer des contrôles. C'est également au cours de ces deux études simultanées du dossier qu'un décalage peut être constaté entre les informations déclarées initialement dans le dossier et la réalité.
Je viens de réaliser que deux entités interviennent : la commission des enfants du spectacel et l'inspection du travail. Je pensais que la commission des enfants traitait simultanément la question de la dérogation aux droits communs du travail, c'est-à-dire l'interdiction du travail des mineurs de moins de 16 ans.
Il s'agit bien de deux dossiers et de deux autorités juridiques compétentes différentes. J'insiste sur cette notion d'autorité compétente, car, pour schématiser, vous vous êtes adressé à nous en disant : « Vous, la commission », mais c'est faux. Nous préparons les décisions, ou nous les signons en fonction de la délégation accordée par le préfet, mais toujours sur avis conforme de la commission. De ce fait, en tant qu'agent de la DEETS, si je reçois un dossier qui me semble problématique, ma crainte est que la commission l'autorise ou ne s'y oppose pas, malgré mes réserves. Je rejoins ainsi l'avis de ma collègue : tout le travail en amont doit viser à ce que la commission ne se prononce que sur des dossiers parfaitement balisés et satisfaisants. À défaut, nous n'avons aucun moyen, hormis la persuasion, de refuser un dossier qui ne nous satisfait pas en matière de droit du travail ou de conditions de travail.
Serait-il envisageable qu'une seule autorité gère l'ensemble du dossier ? Peut-être est-ce préférable ainsi ? Nous avons réellement besoin de vos éclaircissements sur ce point. J'étais convaincu que le circuit de la commission des enfants du spectacle concernait la dérogation au droit du travail pour les mineurs.
Je confirme qu'il s'agit bien de deux circuits administratifs et de deux autorités compétentes différentes. Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas d'échanges entre elles. Dans nos services, seul l'inspecteur du travail détient le pouvoir de contrôle. Dans les Bouches-du-Rhône, l'agent de la commission participe au contrôle, mais uniquement en tant qu'accompagnant de l'inspecteur du travail.
Le champ de contrôle ou d'investigation de la commission départementale et celui de l'inspection du travail sont distincts, mais complémentaires.
Pour mémoire, l'inspecteur du travail agit de manière autonome. Il est indépendant dans ses décisions et interventions, notamment concernant les suites qu'il souhaite y donner. Son rôle s'avère cependant complémentaire à celui de la commission. En effet, aucune autorisation n'est accordée de manière irrévocable. Si les conditions initialement prévues ne sont plus respectées, l'inspecteur du travail peut le constater et retirer ou suspendre cette autorisation.
Dans le Nord, nous avons suspendu l'agrément d'une demande d'autorisation individuelle, parce que l'inspecteur du travail avait constaté que la réalité ne correspondait pas au dossier initialement présenté. Dans ce cadre, nous avons suspendu l'autorisation et demandé au producteur de revenir aux conditions initiales.
En outre, l'inspecteur du travail n'intervient généralement que si des informations lui ont été transmises, et non de manière systématique ou proactive. D'ailleurs, les dossiers acceptés par la commission ne lui sont pas automatiquement transférés pour qu'il effectue un contrôle. Une telle démarche serait envisageable dans les petits départements où les demandes sont peu nombreuses. Toutefois, sa mise en place serait problématique dans les autres départements, notamment en termes de mobilisation de ressources, particulièrement à Paris et en région parisienne.
Dans le Nord, l'inspecteur du travail intervient dans une politique plus globale et ne se concentre pas sur la moralité du spectacle. Il examine uniquement les conditions de travail. En revanche, la commission départementale se prononce de manière plus générale. Elle ne se focalise pas nécessairement sur les conditions de travail, qui ne font pas partie de son champ de compétences. Pour conclure, je pense qu'une complémentarité existe entre ces deux autorités dans le cadre du contrôle.
Je reviens donc à ma question précédente. Quelqu'un dispose-t-il des informations précises concernant la date et les horaires de tournage de l'enfant ainsi que les personnes qu'il côtoiera ? Dans le cadre de l'éducation nationale, les parents sont toujours censés savoir où se trouve leur enfant. Lorsqu'il y a une sortie scolaire, le jour et les horaires sont clairement précisés. En revanche, pour un tournage, une autorisation est accordée pour un scénario avec une société de production, mais nous ignorons où se trouve l'enfant. Le rôle de l'intervenant de l'éducation nationale ne me semble donc pas clair. Je pensais que cette personne était informée du fait que l'enfant ne serait pas présent à l'école pendant une certaine durée. Mais si je comprends bien, le jour et les horaires précis de l'absence ne sont pas connus. De plus, nous ignorons où il se trouve et avec qui. Il serait pourtant essentiel de le savoir, notamment pour vérifier si des personnes figurant au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) ne sont pas présentes sur le tournage afin de garantir qu'elles ne côtoieront pas l'enfant.
En Île-de-France, il est courant de recueillir ces informations. Par ailleurs, le rôle du représentant de l'éducation nationale consiste notamment à s'assurer que le niveau de sollicitation attendu d'un enfant est compatible avec son parcours scolaire.
Lorsqu'une société de production dépose une demande d'autorisation, elle le fait toujours à l'endroit où se trouve son siège social. Cependant, un enfant peut participer à des tournages dans différentes régions de France. Avez-vous la possibilité de savoir combien de fois cet enfant a été sollicité ou non ?
Lorsqu'il s'agit d'une tournée ou d'un spectacle itinérant, le dossier mentionne l'itinéraire, le calendrier et les différentes dates. Nous savons, par exemple, qu'un enfant sera absent pendant trois ou quatre jours et qu'il se trouvera à tel endroit. Cependant, nous ne connaissons pas le détail de la journée ni sa localisation précise. Au titre de la commission, nous vérifions la présence des parents, d'un accompagnateur ou de toute autre personne mentionnée selon ce qui est inscrit au dossier. Toutefois, au fil du temps et au jour le jour, des variations peuvent survenir. Nous avons déjà constaté, lors d'un contrôle, qu'une personne qui devait accompagner l'enfant en permanence était absente. Elle se trouvait sur le lieu du spectacle, mais pas avec l'enfant.
Mon propos ne portait pas sur un spectacle itinérant, mais plutôt sur une situation dans laquelle un enfant participe à plusieurs films. Par exemple, s'il effectue quatre tournages dans l'année, mais à des endroits différents, et donc dont les autorisations ont été délivrées par des DEETS distinctes. Pouvez-vous savoir si cet enfant a été sollicité de manière excessive au cours de l'année ? Peut-être serait-il judicieux de ne pas lui accorder une nouvelle dérogation, ne serait-ce que vis-à-vis de l'éducation nationale.
Aujourd'hui, il n'existe pas de transmission systématique de l'information sur l'ensemble du parcours antérieur des enfants qui sont amenés à travailler.
Cela signifie qu'il n'existe pas non plus de limitation de jours de tournage à l'année pour un enfant. On peut imaginer un enfant qui tourne autant qu'un adulte.
Dans les faits, en Île-de-France, où se concentre une grande partie des dossiers, nous pouvons constater une récurrence notable dans les identités des enfants sollicités. Cette situation est prise en compte par les instructeurs qui préparent les délibérations de la commission des enfants du spectacle. Il est important de souligner que l'accès à certaines informations, notamment celles relatives à la rémunération des enfants, consignée auprès de la Caisse des dépôts, pourrait fournir un éclairage supplémentaire lors de la préparation des décisions, sans que cela dépende des conditions de fait et d'organisation.
Avant d'aborder la question du régime des sanctions post-contrôle et de la manière dont tout peut s'articuler, il est important de clarifier certains points. Dans le secteur du cinéma, les autorisations sont délivrées individuellement, film par film, production par production. En revanche, dans le secteur du mannequinat, les autorisations peuvent être individuelles et nominatives, mais elles sont souvent accordées à l'année. Dans ce cas, l'agence de mannequins reçoit une autorisation annuelle, mais il n'y a pas de contrôle spécifique sur les enfants impliqués. On fait confiance à l'agence pour qu'elle respecte les bonnes pratiques.
Nous souhaiterions savoir ce qui justifie cette différence de traitement entre le mannequinat et le cinéma, par exemple.
Nous n'avons pas eu l'opportunité de revenir sur les débats parlementaires qui ont mené à ces approches différentes. Cependant, il est vrai que les conditions d'exposition des jeunes enfants lors de la diffusion d'un film peuvent parfois être encore plus préoccupantes et difficiles. Voilà pourquoi une analyse au cas par cas est nécessaire. Mais, vous avez raison, en ce qui concerne les agences de mannequins, l'agrément est accordé, de manière rigoureuse, sur la base de références demandées à l'entreprise. Cet agrément est délivré annuellement, sans qu'il soit fait mention de l'identité et de la situation de chaque enfant concerné.
La question est préoccupante. Quelle est la différence entre une semaine de tournage et une semaine de Fashion Week pour un enfant ? Il me semble que cela nécessite une analyse individuelle de chaque mannequin, de ses capacités, de son parcours, de sa maturité, et surtout de son lien avec les personnes avec qui elle va travailler. La Fashion Week est une période de grande intensité. Imaginer qu'une mineure de 16 ans puisse obtenir une autorisation pour une semaine entière, et que cela dépende du bon vouloir de l'agence de mannequins, soulève des interrogations. Nous serons amenés à les questionner à ce sujet.
Contrairement aux autres secteurs, dans le domaine du mannequinat, le processus est divisé en trois étapes. La première concerne la constitution du book de l'agence. Si le mannequinat fonctionnait sur la base d'autorisations individuelles, il conviendrait donc, à ce stade, d'en obtenir une.
Oui, mais un casting est effectué par la suite. Enfin, la troisième étape concerne la prestation de service proprement dite. La question que vous soulevez en entraîne une autre : pour quelle durée doit-on délivrer les autorisations ? Toutes ces étapes s'inscrivent dans une durée incertaine. Lors de la première étape, il est impossible de déterminer précisément le temps qui s'écoulera entre la deuxième et la troisième étape. Ce mode de fonctionnement diffère de celui d'autres secteurs.
Nous approfondirons ce sujet ultérieurement. Pour l'instant, j'aimerais que nous abordions la question des outils de sanction. Ce sont ceux prévus par le code du travail, notamment en cas de non-respect des règles qui y sont relatives. À ce jour, il n'existe pas d'autres sanctions : ni sanctions administratives, comme celles observées dans d'autres domaines, en cas de non-respect d'un cahier des charges que vous auriez instauré ; ni suspension ordonnée par la commission ou un autre organisme ; ni sanction prononcée par un juge administratif interdisant à une maison de production de faire travailler des enfants pendant une période déterminée. Confirmez-vous que cela n'existe pas ?
Il n'existe pas de sanctions de ce type. Encore une fois, tout repose sur l'articulation entre la commission et l'inspection du travail. D'une part, la commission transmettra, le cas échéant, des informations à l'inspection du travail. D'autre part, l'inspection du travail se rendra elle-même sur les lieux d'un tournage, d'une Fashion Week ou d'un autre événement, pour constater des infractions à la réglementation du travail. Elle mettra alors en œuvre les outils à sa disposition, y compris des sanctions administratives, pour punir ces infractions, par exemple en cas d'absence de décompte des horaires. Mais des sanctions pénales peuvent également être initiées par l'établissement d'un procès-verbal qui sera transmis au parquet pour d'éventuelles suites.
La semaine dernière, nous avons auditionné des coachs d'enfants qui sont souvent présents sur les tournages. La possibilité a été évoquée que ces coachs vous fassent un retour sur le déroulement du tournage, en se concentrant spécifiquement sur la sphère de l'enfant. Il s'agirait de déterminer si l'enfant a participé volontairement au tournage, s'il en avait réellement envie et s'il est apte à participer à un autre tournage. Quelle est votre opinion sur cette proposition ?
Plusieurs réflexions s'imposent. Premièrement, il est essentiel de définir clairement les métiers de coach ou de responsable, et leurs prérogatives. Ces définitions seront déterminantes. Si une possibilité de retour existait, elle enrichirait l'instruction réalisée par les commissions des enfants du spectacle. Il faudrait également tirer les conséquences organisationnelles et pratiques de cette politique. Concrètement, si chaque tournage autorisé impliquait un retour vers la commission, cela augmenterait considérablement sa charge de travail. Nous n'avons pas encore évoqué les moyens mobilisés pour accompagner ces demandes d'autorisation, en dehors des moyens de contrôle, qui interviennent à l'initiative ou sur sollicitation des inspecteurs. Pour l'Île-de-France, cela représente sept personnes plus un chef de service. Une illustration de la part de mes collègues serait également intéressante.
Cela permettra de mesurer l'écart entre Paris, l'Île-de-France et les autres régions. De notre côté, un seul agent est mobilisé sur la commission. Il partage son temps entre plusieurs activités dans un service qui a perdu un tiers de ses effectifs depuis le début de l'année. En termes d'inspection du travail, nous disposons d'un ratio national reconnu, avec environ 20 % de postes vacants. Au vu de nos moyens limités, et face à d'autres enjeux également importants en matière de santé, de sécurité et de travail illégal, quelles que soient les modalités administratives, il ne sera pas possible de multiplier les contrôles sur site. Nous pourrions sans doute augmenter leur nombre et améliorer leur efficacité, mais il est clair que nous ne pourrons pas les multiplier indéfiniment, du moins en ce qui nous concerne.
Compte tenu du déséquilibre entre les dossiers parisiens et ceux en région, ne pourrait-on pas envisager une seule commission nationale centralisée, qui pourrait être localisée ailleurs qu'à Paris ? Il ne s'agit pas d'une volonté d'économiser des moyens, mais plutôt de gagner en efficacité sur les sujets mentionnés. Une centralisation des dossiers permettrait d'améliorer les contrôles, sachant que tout serait instruit par une seule commission. Cela faciliterait les inspections en lien avec les services déconcentrés de l'État. Cette solution ne serait-elle pas plus pertinente ? Peut-être que non, n'hésitez pas à faire part de votre avis.
En Île-de-France, nous avons déjà pris la décision de regrouper l'ensemble des équipes d'instruction. Cependant, notre capacité à aller plus loin était limitée par l'état actuel du droit et du cadre législatif, qui dispose que la commission est départementale. Ainsi, il n'existe en réalité pas une, mais huit commissions distinctes pour l'ensemble du territoire de l'Île-de-France. Le regroupement des équipes peut entraîner une optimisation et une acquisition de compétences, mais il risque également d'éloigner le lieu de prise de décision des sociétés de production. Il est donc nécessaire de trouver un équilibre entre ces enjeux, en particulier pour l'Île-de-France. Par ailleurs, la possibilité d'établir une commission régionale représenterait une amélioration en termes d'homogénéité de la doctrine et simplifierait les conditions de traitement des demandes.
L'approche professionnelle est différente dans notre département, car les collègues ne traitent pas le même nombre de dossiers et ne sont pas confrontés aux mêmes situations. Cependant, je perçois également un risque à éloigner la commission du contrôle a posteriori.
Concernant la rémunération des enfants, à temps de travail égal, où se situe-t-elle par rapport à celle des adultes ?
Tout dépend des conventions collectives. Nous consultons une grille, mise à jour régulièrement qui reprend la rémunération selon le type d'emploi et la catégorie de l'activité.
La grille ne tient pas compte de l'âge, mais plutôt du temps passé sur le tournage.
Je souhaiterais également savoir comment sont délivrées les autorisations pour les enfants en situation de handicap. Le fonctionnement est-il le même ou prenez-vous davantage de précautions, notamment en ce qui concerne le consentement ?
Cela nous est déjà arrivé. La médecine du travail enquête plus en profondeur et entre en contact avec les éducateurs, et éventuellement le centre, si l'enfant fait partie d'un centre.
La ministre de la Culture, Mme Rachida Dati, a annoncé au Festival de Cannes la systématisation des « responsables enfants ». Comment envisagez-vous votre collaboration avec eux ? Il n'existe pas actuellement de formation pour les responsables enfants et cela ne changera pas dans l'immédiat. Il s'agit de personnes qui ont acquis des compétences précieuses au fil de leur expérience et de leur parcours de vie. Imaginez-vous qu'il puisse se créer un lien significatif avec vous, et même une certification délivrée par la commission des enfants au vu de votre expérience ? Êtes-vous en mesure de proposer des pistes de réflexion sur le sujet ?
Il est nécessaire de prendre un certain temps pour analyser les conditions de mise en œuvre de cette annonce et le meilleur parti à en tirer pour la sécurité des enfants. À ce jour, la notion de responsable enfants n'existe pas de jure dans le code du travail. Cependant, elle est présente dans deux conventions collectives : celle de la production audiovisuelle du 13 décembre 2006, qui l'a rendue obligatoire par un avenant qui n'est pas encore étendu ; et celle de la production cinématographique n'en fait pas une condition requise. Si cette fonction est généralisée, il conviendra de définir son cadre, notamment les prérogatives du responsable, les conditions de sa désignation et les qualifications demandées. Nous pourrons tirer de nombreux enseignements en termes de retour d'expérience pour la commission et pour l'évaluation à réaliser. Ces éléments seront d'autant plus utiles qu'ils permettront d'alimenter la commission. Cette dernière aura la faculté de valider, de rejeter ou de moduler certaines décisions en fonction des informations rapportées par ces responsables enfants.
Dans vos échanges, proposez-vous des recommandations pour l'accompagnement des enfants, et, si oui, pourraient-elles devenir obligatoires ? En outre, pensez-vous qu'un suivi post-tournage pourrait être envisagé, notamment avec des obligations d'accompagnement pour certains films qui présentent des difficultés particulières ?
Pourriez-vous préciser la notion d'accompagnement ?
Je fais référence à votre accompagnement dans le dialogue avec la société de production. Je souhaiterais également comprendre si l'autorisation correspond à un quitus, ou plutôt à un cahier des charges à respecter. Dans le cas d'un cahier des charges, pourrait-il être différent selon le type de film, par exemple, entre un rôle de quasi-figuration et un rôle principal confronté à la violence ?
Dans le fonctionnement actuel, tout est préparé en amont du tournage, de la tournée ou du spectacle. Nous disposons ainsi d'un document très précis qui décrit le script, le scénario, etc. Ensuite, nous intervenons avec le producteur pour déterminer si le mineur sera confronté à des scènes dérangeantes. Nous avons notamment rencontré un cas comprenant des scènes d'horreur dans lequel le producteur nous a décrit les mesures prises pour que le jeune ne soit pas exposé, même si le résultat visible pour le spectateur sera différent. Nous sommes dans une logique de cahier des charges, car, sauf exception, nous ne sommes pas présents sur place pour vérifier ce qui est mis en œuvre. Ce cahier des charges est présenté par le producteur, puis discuté avec la commission ou son secrétariat. Généralement, il évolue et aboutit souvent à une autorisation.
Pourriez-vous nous fournir des exemples d'autorisations pour voir comment elles se présentent ? Les détails du tournage, comme la date, les horaires, le cadre, les précautions à prendre, etc., sont-ils précisés sur le document ? Je suis d'accord sur le fait que nous ne pourrons pas effectuer des contrôles en permanence. Une relation de confiance doit pouvoir se construire. Comme dans de nombreux métiers, la direction du travail établit une relation de confiance avec certaines entreprises. Tout cela me semble possible.
Concrètement et juridiquement, la décision reste relativement simplifiée, mais elle fait référence à la version finale d'un document, qui a pu évoluer au fur et à mesure des échanges.
La réflexion mérite sans doute d'être approfondie, notamment en ce qui concerne la modulation de la forme de la décision de la commission. Il serait pertinent que cette dernière puisse, dans certains cas, aller au-delà de la simple réponse affirmative ou négative et mentionner, en fonction des conditions détaillées et discutées en amont, la nécessité de dispositions de protection particulières, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Pensez-vous qu'il serait adéquat d'ajouter une évaluation psychologique de l'enfant ? Il pourrait être envisagé de délivrer une attestation valable pour une durée limitée de plus ou moins un an. De plus, disposez-vous d'une grille d'évaluation commune à tous, sur laquelle vous vous basez pour accorder les autorisations ?
Tout d'abord, concernant la seconde question, il n'existe pas de grille méthodologique à suivre, mais nous partageons certains principes. De ce fait, sans qu'un tel cadrage n'existe, nos pratiques restent similaires. L'absence d'une telle grille s'explique par le fait que la commission, qui émet un avis conforme devant être suivi par l'autorité décisionnaire, dispose d'un pouvoir d'appréciation pour chaque cas particulier. Actuellement, aucune grille ne permet donc d'orienter systématiquement tel ou tel type de cas. Au contraire, nous privilégions l'analyse in concreto.
En ce qui concerne l'amélioration du suivi psychologique des enfants, dans le cadre du bilan de santé initial ou de son suivi, il pourrait s'avérer utile dans un certain nombre de situations pour renforcer leur sécurité. Cela semble particulièrement approprié pour les enfants qui s'engagent ou semblent s'engager dans un parcours professionnel et qui multiplient les participations.
Pour conclure, vous pouvez nous faire part d'éléments que vous identifiez objectivement comme pouvant être améliorés. Nous les acceptons volontiers par écrit pour plus de précision.
Nos services sont habitués à traiter divers risques professionnels, qu'ils soient chimiques, liés aux chutes dans le bâtiment ou au harcèlement sexuel. Nous ne parlons pas ici du secteur du spectacle, mais de sujets généraux. Ce qui constitue la trame de notre réglementation, c'est l'évaluation des risques par l'employeur. J'ai le sentiment que cette notion n'est pas totalement prise en compte dans ce contexte.
Il existe un comité d'hygiène et de sécurité des conditions de travail de la production audiovisuelle, qui a collaboré à une évaluation des risques. Une quinzaine de risques types y sont évalués. La démarche est commune à d'autres branches professionnelles. Toutefois, un risque majeur n'y est absolument pas pris en compte : celui du harcèlement. On y trouve le risque de chute, le risque électrique, et tous les autres risques possibles, mais pas celui-là. Si la profession ne prend pas en compte un risque donné, ni la commission ni l'inspection du travail ne pourront réagir seules. Cette réflexion s'appliquerait de la même manière à une commission sur les risques dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP).
Cette réflexion va dans le sens de nos premières auditions. En effet, plusieurs raisons expliquent pourquoi l'idée selon laquelle l'employeur doit garantir la sécurité et la santé de ses employés n'est pas complètement intégrée. Premièrement, l'organisation du travail sur des périodes courtes, avec des équipes qui ne collaborent pas toujours, entraîne une absence de culture du travail collectif et des risques évidents. De plus, la délégation de pouvoir n'est pas toujours claire dans le milieu, et un technicien peut ignorer que son employeur est en réalité le producteur du film et non le réalisateur. Ces difficultés, que vous avez bien résumées dans votre propos, expliquent également un certain nombre de problèmes rencontrés.
Il existe effectivement un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail national pour chacune des deux branches concernées. Ces comités essentiels sont tous deux dotés de permanents.
Cette approche des enjeux de risque porte sur la question du jour, mais elle met également en lumière certaines conditions de travail comme les risques de chute, d'exposition au bruit ou à des produits chimiques qui mériteraient une prise de conscience de la responsabilité de l'employeur envers la santé et la sécurité des salariés qu'il emploie.
Je vous remercie pour ces éléments. N'hésitez pas à nous transmettre les informations nécessaires. Tout d'abord, il nous faut impérativement des chiffres, notamment le nombre de dossiers au niveau national. Si ces données ne sont pas compilées nationalement, ce point fera partie de nos préconisations. Ensuite, nous avons besoin d'exemples de vos autorisations, que vous pouvez anonymiser. Par ailleurs, un exemple de dossier serait également utile, idéalement un dossier révélateur, avec des risques, un tournage difficile, et un scénario complexe. Enfin, nous attendons également vos préconisations à la suite de notre audition. Je vous remercie.
La commission procède à l'audition de : M. Michel Hazanavicius, président du conseil d'administration de l'école nationale supérieure des métiers de l'image et du son (FEMIS) et Mme Nathalie Coste Cerdan, directrice générale ; M. Vincent Lowy, directeur de l'école nationale supérieure Louis-Lumière ; M. Frédéric Tabet, directeur par intérim de l'école nationale supérieure de l'audiovisuel (ENSAV).
Notre commission d'enquête vise à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans le cinéma, le spectacle vivant, l'audiovisuel, la mode et la publicité. Nous cherchons à identifier les responsabilités de chacun et à proposer des solutions pour que tous puissent évoluer dans ces secteurs sans crainte pour leur intégrité physique et mentale. La formation aux métiers de l'audiovisuel et du cinéma, sujet de notre réunion aujourd'hui, revêt une importance capitale. C'est pourquoi nous avons souhaité vous entendre. Il nous semble évident que ce que vous enseignez permettra de former des personnes capables de détecter et de prévenir des comportements inappropriés. Dans un premier temps, nous vous demandons de présenter brièvement vos écoles respectives. Quelles actions menez-vous dans le cadre de la commission d'enquête ? Par exemple, proposez-vous des modules spécifiques sur la prévention des risques sexistes et sexuels ? Disposez-vous d'une charte de bonne conduite applicable tant au sein de l'école que dans la vie professionnelle future ? Ensuite, la rapporteure, Francesca Pasquini, posera des questions plus précises. Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.
Avant de commencer nos échanges, je tiens à rappeler que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(MM. Michel Hazanavicius, Vincent Lowy, Frédéric Tabet et Mme Nathalie Coste Cerdan prêtent serment.)
J'ai été invité à cette audition en tant que président du conseil d'administration de la Fémis. Mon rôle implique une certaine distance par rapport aux événements. Je suis bien conscient de l'existence d'une charte destinée à prévenir ce type de comportements, ainsi que d'un protocole à suivre en cas de manquement à cette charte. Nous disposons d'un mode opératoire pour les actions à entreprendre avant et après un incident. Cependant, pour des informations plus détaillées, je vais laisser la parole à Nathalie Coste Cerdan, directrice de l'école, qui pourra apporter des précisions plus complètes que moi.
L'établissement que j'ai l'honneur de diriger sous la présidence de Michel Hazanavicius, l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (Fémis), forme aux métiers du cinéma et de l'audiovisuel, couvrant un très large spectre d'environ dix métiers essentiels à la fabrication du cinéma, à l'exception des acteurs. La Fémis se distingue par son excellence en tant qu'établissement d'enseignement supérieur artistique, avec une vocation également industrialisante. La Fémis est un établissement de petite taille, accueillant environ 200 étudiants par an pour un cursus général de quatre ans. Parallèlement, elle propose une formation continue qui accueille également environ 200 stagiaires par an.
La pédagogie de cette école accorde une place prépondérante à la pratique. En effet, la fabrication du cinéma en plateau, en situation réelle, est au cœur de l'enseignement, avec plus de 200 exercices filmiques par an. Ces exercices impliquent non seulement les étudiants, chacun dans leur spécialité, mais aussi de nombreux intervenants extérieurs qui partagent leur vision et leur expertise. La Fémis compte vingt-deux directeurs et directrices de départements, ainsi qu'un millier d'intervenants annuels, qui contribuent de quelques heures à plusieurs mois à la formation des étudiants. Leur savoir-faire enrichit considérablement l'apprentissage. De plus, un millier de bénévoles participent à la réalisation de ces exercices filmiques, apportant un soutien indispensable. Il est essentiel d'assurer un encadrement inspiré des pratiques professionnelles pour que les étudiants se sentent en sécurité dans leurs activités de fabrication. Cet encadrement vise également à les préparer à assumer plus tard des responsabilités dans leurs futurs postes au sein de l'industrie du cinéma et de l'audiovisuel.
Depuis ses débuts, l'école s'est montrée particulièrement attentive aux questions de parité et à la place des femmes dans le cinéma. À titre d'exemple, la première promotion de la Fémis en 1986 comptait déjà deux tiers de femmes, ce qui était alors assez improbable. Dès mon arrivée en 2017, nous avons rapidement pris conscience de l'importance de ces questions dans notre pédagogie. Dès 2018, nous avons travaillé à l'élaboration d'une charte comportant plusieurs volets garantissant que ces questions seraient toujours prises en considération par un corps enseignant paritaire. Je pense que la mixité permet d'aborder ces questions avec plus de sérénité. La charte inclut un aspect paritaire et un guide de prévention des violences sexistes et sexuelles, sur lequel nous reviendrons peut-être plus tard. Elle aborde également des questions relatives à la représentation, car nous fabriquons des films mais aussi des récits et des imaginaires. Il est donc essentiel de sensibiliser tous nos étudiants et étudiantes à ces sujets. Enfin, la charte comporte des volets relatifs à la communication. En 2018, nous étions très fiers d'être pionniers dans ce domaine, répondant ainsi à la demande du ministère de la culture, qui avait commencé à prodiguer des actions à mener par les établissements que nous représentons.
Nous avons constaté, après deux ans, que bien que notre dispositif ait le mérite d'être formalisé, il restait insuffisant. Les étudiants nous avaient notamment signalé que, malgré nos efforts, de nombreux points demeuraient trop vagues. Après un an de collaboration, de discussions et d'échanges avec eux, nous avons élaboré une seconde charte en 2020. Celle-ci inclut un guide des préventions sexistes et sexuelles, qui, comme vous l'avez souligné, vise à former l'ensemble des membres de notre institution. Former tout le monde signifie que chaque nouvel étudiant, dès la première année et même dès la première semaine de son arrivée, bénéficie d'une demi-journée de formation pratique sur ces questions. Cette formation couvre tout ce qu'il faut savoir pour exercer ces professions en toute sécurité et pour identifier ce qui constitue une infraction à la réglementation ou à la loi. Ce programme est désormais systématique pour tous les étudiants chaque année. Récemment, nous avons décidé, à la demande du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), de revenir en quatrième année pour expliquer les dispositifs prévus par l'évolution récente de la réglementation, en particulier ceux du CNC, concernant l'ensemble des tournages. Nous voulons que les étudiants, au moment de leur entrée dans la vie active, aient un rappel de toutes les procédures qu'ils devront mettre en œuvre, notamment les futurs producteurs.
Nous allons aborder en détail chacun des points que vous avez soulevés. La question du droit revêt une importance particulière pour nous. De même, la construction du récit, le regard porté sur les films et leur analyse filmique sont des aspects essentiels. À ce sujet, les sensibilités ont-elles évolué ?
L'École nationale supérieure Louis-Lumière est placée sous la tutelle du ministère de l'enseignement supérieur. Fondée en 1926, elle célèbre bientôt son centenaire. Initialement un lycée technique, elle a intégré l'enseignement supérieur dans les années 1990, il y a environ trente ans. Cette école propose trois masters spécialisés : un master en cinéma, qui couvre les métiers de la lumière, de la caméra et de l'image ; un master en photographie, qui prépare aux divers aspects de ce domaine ; et un master en son, qui forme aux métiers du son, notamment dans le cinéma. Les masters en cinéma et en son fournissent une grande partie des professionnels et techniciens présents sur les plateaux de tournage. Dans le contexte actuel, notre responsabilité est particulièrement importante, car ces métiers techniques sont majoritairement masculins. Contrairement à la Fémis, où la parité est ancienne et non problématique, notre école affiche des chiffres trop stables de 67 % de garçons contre 33 % de filles parmi nos étudiants. Chaque année, nous accueillons 16 étudiants par master, soit 48 étudiants par promotion, pour des masters d'une durée de trois ans. Cette proportion se reflète également lors des concours d'entrée, où l'on observe deux tiers de candidats masculins pour un tiers de candidates. Cette asymétrie se maintient chaque année dans nos promotions.
Nous faisons face à un véritable enjeu de renouvellement. Les arguments avancés autour de moi indiquent que la dimension scientifique de notre école est beaucoup plus marquée que celle de la Fémis, où l'orientation est plus artistique et axée sur l'auteur. En revanche, nos cours sont majoritairement de nature scientifique ou technique, avec peu de place pour des matières telles que l'écriture, le scénario, le montage ou même la production, qui traitent du récit. Cette explication ne me semble pas suffisante. Je pense qu'il y a une auto-assignation des filles pour éviter les matières scientifiques dès leur scolarité, et nous en héritons. Par exemple, le master qui compte aujourd'hui le plus d'étudiantes est le master photo, le moins scientifique et avec une forte coloration artistique. Cela crée une asymétrie très marquée dans notre école. En 2017, à mon arrivée, j'ai tenté de corriger cette situation en créant immédiatement une mission égalité femmes-hommes en septembre. À l'époque, cette mission ne portait pas sur les questions de violences sexuelles, aujourd'hui souvent rassemblées sous cette problématique. Elle se concentrait plutôt sur les disparités salariales entre hommes et femmes, la faible présence des femmes dans les métiers du cinéma au sens large, et les représentations systématiquement dépréciatives ou hétéronormées des femmes dans les films.
Un mois après l'émergence du mouvement #MeToo, tout a changé de manière significative et nous n'en sommes jamais vraiment sortis. Ce mouvement a eu un impact profond, notamment dans les écoles de cinéma. Il a fait remonter à la surface de nombreuses problématiques. Dans notre école, qui se distingue par une forte tradition de compagnonnage et de transmission dans les métiers techniques, des pratiques paternalistes et des rapports problématiques avec les apprenants sont apparus. Ces pratiques, rapidement devenues insupportables pour la nouvelle génération étudiante, ont mis en lumière une intransigeance totale sur ces questions. Aujourd'hui, nous faisons face à une dissonance entre les usages du passé et les attentes actuelles. Notre école compte une trentaine d'enseignants permanents et environ 200 vacataires, souvent des techniciens en activité. Ces derniers ne possèdent pas toujours les nouveaux codes ou usages en vigueur, ce qui engendre des difficultés. Les problèmes rencontrés sont principalement liés à des agissements sexistes. Bien qu'il ne s'agisse pas d'outrages sexistes ou aggravés, ces comportements sont systématiquement sanctionnés. Lorsqu'il s'agit de vacataires, nous mettons fin à leur mission et leur expliquons que certains propos ou comportements ne sont plus acceptables.
Vous avez souligné la spécificité de votre école, qui forme principalement des techniciens. Existe-t-il un module d'état du droit concernant le droit du travail et le harcèlement moral ? Disposez-vous d'un corpus d'heures de cours dédié à ce sujet, ou bien est-il abordé de manière ponctuelle au gré des différents cours ?
Nous avons effectivement mis du temps, car le chemin parcouru a été long et semé de nombreuses difficultés. Cependant, nous avons rapidement mis en place un groupe de travail sur les violences sexistes et sexuelles. Nous avons produit une charte intitulée « VSS discrimination », qui s'impose et est affichée partout. Elle est portée à la connaissance des nouveaux étudiants ainsi que des professionnels intervenants. Cette charte est parfaitement claire sur les notions importantes. De plus, j'ai tenté d'introduire des changements progressifs, car il est évident que l'on ne peut pas avancer rapidement dans des établissements anciens. Il faut prendre le temps nécessaire. À partir de la prochaine rentrée, tous les nouveaux étudiants auront une journée et demie dédiée aux problématiques de violences sexistes et sexuelles dans leur emploi du temps. Les nouveaux enseignants, recrutés pour des contrats à durée déterminée, devront également suivre ce type de formation. Par ailleurs, nous avons intégré dans les contrats de vacations une clause rappelant les grands principes, obligeant ainsi les vacataires à en prendre connaissance.
Je suis actuellement directeur par intérim de l'École nationale supérieure d'audiovisuel (ENSAV), en attente de ma nomination officielle par le ministère. Ancien élève de Louis-Lumière, je tiens à souligner que l'ENSAV est une école publique de cinéma, la première à avoir été établie en région en 1979. Nous proposons deux parcours de licence, sept parcours de master et un diplôme universitaire, accueillant au total 270 étudiants. Notre particularité réside dans notre approche par compétences, nous demandons à nos étudiants de nous soumettre des créations, sur lesquelles nous évaluons leur travail en matière de son, d'image et d'écriture. Les deux premières années sont généralistes, suivies de deux années de spécialisation dans les sept parcours de master. Notre credo est de faire et penser le cinéma, ce qui implique que nos étudiants sont rapidement amenés à réaliser des créations.
Nous comptons douze enseignants-chercheurs, dix personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques (BIATSS) et une trentaine d'intervenants professionnels qui animent les différents cours. Nous nous impliquons fortement dans la création de nos étudiants, tant au niveau de l'écriture que de la réalisation des exercices. Nous sommes particulièrement attentifs à identifier et à éliminer toute forme de sexisme dans les scénarios, les exercices courts ou longs, et les situations de tournage. Aucun film n'est réalisé sans avoir été lu par un ou deux enseignants, et la plupart des tournages se déroulent sous leur supervision.
Depuis le début, nous avons régulièrement maintenu la parité au sein des quarante-six promotions de l'école. En tant qu'enseignant, j'ai veillé à préserver cette parité dans les interventions et parmi les personnels vacataires qui participent aux parcours de nos étudiants. Il y a deux ans, nous avons instauré une cellule d'écoute pour nous positionner sur ces questions. Nous dépendons de l'enseignement supérieur et de l'université de Toulouse 2 Jean-Jaurès. Un dispositif est en place au sein de l'université, auquel les étudiants peuvent se référer. En interne, nous avons mis en place une cellule d'écoute pour orienter nos étudiants face aux situations qu'ils rencontrent. Bien que nous n'ayons pas de module spécifique dédié aux violences sexuelles et sexistes (VSS), nous avons programmé une journée à la rentrée pour aborder ce sujet. Cette journée vise à informer sur les dispositifs disponibles au sein de l'université, à discuter du comportement attendu sur les tournages à l'école et à prévenir les VSS en dehors de l'école. Nous nous trouvons à l'interface entre notre dépendance à une université et nos fonctionnements internes, et notre objectif de préparer nos étudiants au monde du travail extérieur.
. À l'École nationale supérieure d'audiovisuel, il n'existe pas à proprement parler de charte, mais plutôt un module de formation qui sera mis en place à la rentrée prochaine. Vous disposez cependant d'une cellule d'écoute. Existe-t-il également une cellule d'écoute à la Fémis et à Louis-Lumière ? Si oui, de qui est-elle composée et comment sont formées les personnes qui en font partie ?
Effectivement, au moment où on a créé la cellule d'écoute, on voulait coécrire avec les étudiants une charte et on n'a pas réussi à la porter et elle est toujours en cours et en réflexion, mais effectivement, on n'a pas de charte.
Nous utilisons la cellule d'écoute en collaboration avec Concept RSE, une structure mise en place par le ministère de la culture. Auparavant, nous faisions appel à Allodiscrim, mais nous avons suivi les recommandations du ministère dans ce domaine. Cet outil est employé par la référente égalité. Il est essentiel que ces questions aient conduit à la responsabilisation d'une personne dédiée. Cette personne-ressource, présente dans chaque communauté, joue un rôle clé. En effet, l'un des objectifs de la charte était de sensibiliser toutes les communautés à cette question en désignant une personne-ressource par communauté. Cette personne est celle à qui une victime d'agissements peut s'adresser plus facilement qu'à la direction de l'école. Cette médiation s'avère très importante car elle facilite le traitement des dossiers. Les personnes-ressources consultent souvent la cellule d'écoute. De plus, les étudiants sont parfois encouragés à la consulter pour des questions juridiques ou pratiques. Ce dispositif semble fonctionner relativement bien.
Nous avons observé, au regard de vos effectifs, que ce milieu est relativement restreint. Dès nos premières auditions, il est apparu qu'une certaine omerta y règne. Cette perception s'est confirmée au fil de nos travaux, révélant la difficulté persistante à libérer la parole. Sensibilisez-vous vos élèves à cette problématique ? Au-delà de leur enseigner que certains comportements sont inacceptables, les encouragez-vous à s'exprimer et à briser cette omerta, tant au sein de l'école que dans leur futur environnement professionnel ? M. Hazanavicius, en tant que président du conseil d'administration et réalisateur, quelle est votre perception de ce phénomène d'omerta qui semble de plus en plus prégnant dans ce milieu ? L'école a un rôle essentiel à jouer pour apprendre aux étudiants à s'exprimer, à verbaliser leurs expériences et à libérer leur parole.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec cette idée d'omerta. J'ai l'impression que c'est une interprétation quelque peu abusive de certains silences. Ce n'est pas un silence d'omerta, mais un silence très complexe. Quand on me dit que cela ne va pas assez vite, je ne suis pas d'accord. Je pense que les choses avancent au seul rythme acceptable, celui des victimes et de leur parole. Plus les victimes s'expriment, plus leur parole trouve une place légitime au sein de la société, et mieux elle est écoutée. Cependant, il est impossible de demander à ceux qui ne sont pas victimes de s'exprimer. J'ai entendu des propos comme untel a dit ceci, untel a fait cela, mais cela n'a aucun sens pour moi. D'abord, où pourrais-je prendre la parole ? Je n'ai pas de réseaux sociaux, et même si j'en avais, cela n'aurait aucun sens. Cette parole n'a pas de valeur juridique non plus ; je ne peux pas porter plainte pour des choses dont j'ai entendu parler de manière vague et imprécise. Je crois vraiment que ce n'est pas tant une question d'omerta qu'une question du rythme de la parole des victimes qui se met en place. Les choses avancent à leur rythme, et pas si lentement que cela. Nous constatons des avancées spectaculaires et bénéfiques. Par exemple, la prise de parole d'Adèle Haenel a soudainement fait évoluer les choses. Elle a montré qu'il existe une autre voie que celle de la justice traditionnelle, souvent en échec pour ce type d'affaires. Il y a un autre moyen de lutter contre l'impunité des prédateurs et des coupables.
Je ne suis pas tout à fait à l'aise avec l'idée de l'omerta, car honnêtement, ce n'est pas quelque chose que j'ai pu ressentir ou observer. Au contraire, de nombreuses personnes soutiennent et se réjouissent que cette parole existe. Pour revenir à l'école, il nous est arrivé une fois d'être confronté à une telle situation, où j'avais l'impression d'un cliché. On dit souvent que c'est un petit monde, etc. Nous avions une situation avec un intervenant, ce qui est très compliqué à gérer. Avec autant d'intervenants, il est difficile de tout prévoir. Des incidents peuvent survenir. Nous avions organisé une réunion avec tous les étudiants et les membres du corps enseignant qui le souhaitaient. Comme je l'ai mentionné, je suis président, donc je suis un peu éloigné du quotidien. J'étais présent et je ne comprenais pas la difficulté que cette jeune fille rencontrait pour s'exprimer. Même au sein du corps enseignant, certains disaient : « Mais enfin, tu sais très bien qu'elles ont peur d'être grillées dans le métier. » C'est une idée absurde. C'est un métier où tout le monde s'exprime librement et personne n'est grillé dans le métier. Il faut être très exposé et avoir commis quelque chose de très grave pour cela. Aujourd'hui, Depardieu est grillé dans le métier, certes, mais ce n'est pas un stagiaire qui va l'être. Je pense que nous sommes face à des fantasmes. Cependant, il est de notre devoir de leur dire Vous ne serez pas grillés dans le métier.
Je suis indignée par vos propos, M. Hazanavicius. Vous affirmez qu'il est difficile de s'exprimer lorsqu'on n'est pas victime, mais il est parfois tout aussi important de témoigner. En tant que témoin, il est de notre devoir de dénoncer les faits observés. Pour cela, il existe des commissariats ; il n'est nul besoin de recourir aux réseaux sociaux ou de posséder un compte Twitter pour signaler des faits. Quant à l'omerta que vous prétendez ne pas percevoir, elle est pourtant bien réelle. Les victimes s'expriment depuis longtemps, et si leurs paroles avaient été prises en compte dès le début, nous ne serions pas dans cette situation aujourd'hui. Je suis scandalisée d'entendre que vous ne comprenez pas la peur et l'appréhension des victimes à s'exprimer. Cette crainte est une réalité, notamment dans ce métier où l'on risque d'être ostracisé. Les violences dont nous traitons dans cette commission d'enquête ne se limitent pas à de simples disputes ; il s'agit de violences au sens large, incluant parfois des crimes. Vous avez également évoqué le cas de Gérard Depardieu. J'ai effectué quelques recherches avant cette audition et j'ai constaté que récemment vous l'aviez choisi pour doubler un personnage dans l'un de vos films d'animation, en 2023. Je souhaitais vous interroger sur ce choix, à la lumière des informations déjà disponibles à l'époque. Pourquoi avoir retenu Gérard Depardieu pour ce rôle de doublage dans l'un de vos films d'animation ?
Avant de répondre à cette question, nous reviendrons également sur les écoles. En réaction, après quinze jours de travaux de cette commission d'enquête, dite cinéma, j'ai parfois l'impression de mener une commission d'enquête Camorra. Je comprends que vous ayez une vision différente, mais nous ressentons une omerta. Je vais être clair, nous constatons que certaines victimes hésitent, voire ont peur, de venir témoigner devant cette commission. Cela soulève un véritable problème. Nous pensons que cet entre-soi est en partie fantasmé, car ce milieu ne favorise pas la réussite de personnes extérieures. Toutefois, il est évident qu'un certain nombre de silences sont entretenus. Plus nous avançons dans nos travaux, plus nous le constatons. Je vous laisse maintenant répondre à la question de madame la rapporteure.
Je tiens à clarifier certains points concernant mes précédentes déclarations, car il semble que je me sois mal exprimé. Tout d'abord, en ce qui concerne Gérard Depardieu, il apparaît que vous avez été mal informée. En effet, j'ai mis fin à ma collaboration avec Gérard Depardieu en 2023. Cependant, il est important de préciser qu'il n'a pas été casté en 2023, mais en 2019. Bien que cela puisse sembler anecdotique, cette précision est essentielle.
Il me semble que les accusations de Charlotte Arnould sont antécédentes à 2019 et que vous aviez pris la parole, notamment dans un WeToo souhaitant porter votre soutien aux victimes. Ce choix se révèle donc assez étrange.
Je reconnais pleinement avoir en moi des éléments qui peuvent sembler contradictoires. Ce n'est ni mon rôle de défendre ni de condamner Gérard Depardieu. J'ai effectivement choisi de collaborer avec un acteur avec lequel je suis en désaccord sur de nombreux points, qu'ils soient politiques ou comportementaux. On peut contester ce choix, mais je ne crois pas qu'il soit immoral. En 2023, je me suis séparé de Gérard Depardieu. Je ne l'ai pas casté cette année-là, et sa situation avait évolué.
Pour revenir à la question de l'omerta, pour exprimer ce que j'ai tenté de faire comprendre, je vous partage une petite anecdote. La première fois que j'ai travaillé, j'étais stagiaire sur un court-métrage et j'ai commis une énorme erreur. On m'a demandé de transporter les rushs, et je les ai ouverts pour y insérer un papier, tout fier de moi. Quand j'ai réalisé mon erreur, je me suis dit que ma carrière dans le cinéma était terminée. C'était une vision très autocentrée, car je me suis rendu compte que personne ne se souciait vraiment de l'erreur d'un stagiaire. Ce que j'ai voulu transmettre à ces étudiants, c'est de ne pas se raconter que leurs actions d'aujourd'hui les condamneront à jamais. L'époque est avec eux, tout le monde les soutient. Personne ne pourra leur reprocher ouvertement d'avoir pris la parole dans le cadre de la Fémis contre un intervenant ayant mal agi. Ce n'est pas cela qui les empêchera de réussir dans le métier. J'assume complètement mes propos, même si je me suis peut-être mal exprimé.
Concernant l'omerta, si vous êtes témoin de quelque chose, vous pouvez effectivement porter plainte et dénoncer les faits. Cependant, il est primordial de respecter la volonté de la victime : souhaite-t-elle s'exprimer ? Vous avez raison en théorie, mais je vous assure que c'est difficile. Personnellement, je n'ai pas été témoin d'agissements qui auraient mérité une dénonciation. J'ai eu la chance de devenir réalisateur très tôt et, n'étant pas du tout impliqué dans ce genre de comportements, cela n'a jamais été l'état d'esprit de mes tournages. Cependant, j'ai un exemple précis d'une personne qui a été témoin et qui m'a appelé en pleurant, en me disant « Je ne sais pas quoi faire ». Cette personne ne savait pas comment réagir parce qu'elle ne pouvait pas se substituer à la victime. Je comprends que, ramenée à une échelle humaine, la situation devient plus complexe. Personnellement, et j'en parle souvent avec ma compagne Bérénice Béjo, qui est actrice, nous avons été extrêmement protégés. Je n'ai pas été témoin direct ni victime de ce genre d'agissements. Bérénice non plus. Je ne sais pas comment j'aurais réagi si j'avais été témoin de quelque chose de grave. Si je me fie à tout ce qui s'est passé ces dernières années, je ne peux pas garantir que j'aurais bien agi. Je n'y ai pas été confronté. L'explication systématique de l'omerta dans le cinéma me semble quelque peu abusive et fantasmée. Je ne vous fais part que de mon ressenti.
Notre position est claire et éclaire d'ailleurs le reste de nos travaux, nous respectons la parole des victimes et refusons de contraindre celles-ci à exprimer des propos pouvant les mettre en difficulté. Le véritable enjeu réside dans le fait que nous ressentons que certaines personnes pourraient se trouver en difficulté en raison de leur prise de parole.
Ce que j'essaye de dire, c'est qu'on est en train de vivre une révolution majeure.
Et vous l'avez signalé sur la façon dont vous avez présenté l'école et votre message que le président dise : « Vous pouvez parler, vous devez parler. » Cela va effectivement plutôt dans le très bon sens.
Cette révolution est absolument majeure. Elle remet en question plus de deux mille ans de rapports hommes-femmes. Non seulement elle progresse à un rythme qui ne me semble pas du tout lent, mais en plus elle se déroule quasiment sans violence ni répression. Nous ne sommes pas dans la terreur, mais dans un processus que je trouve très adulte, intelligent et remarquable. Autour de moi, j'observe que l'accompagnement et la libération de la parole des victimes sont en pleine évolution. Peut-être est-ce lié au type de cinéma dans lequel j'évolue, mais je n'entends pas de personnes s'opposer fermement aux témoignages des femmes ou crier systématiquement à l'injustice. Ce n'est pas ce que je perçois.
Nous sommes également présents et désireux de progresser, mais nous constatons que certaines violences persistent. Je rappelle que nous restons dans ce siècle. Noémie Kocher, jusqu'à aujourd'hui, c'est vingt ans. Aujourd'hui, vingt ans plus tard, nous observons encore de nombreuses dénonciations. C'est un véritable sujet. Notre ressenti, ce sont des jeunes hommes et des jeunes femmes, qu'ils soient techniciens, comédiens ou peut-être aussi réalisateurs, premiers assistants, qui, à certains moments, subissent des violences allant de l'outrage sexiste aux viols. Nous avons tout le continuum, et ces personnes rencontrent visiblement des difficultés lorsque les faits surviennent, par crainte de ne pas pouvoir continuer à exercer leur carrière. Certains ne souhaitent plus exercer leur carrière, et cela est le plus blessant dans ce domaine. Des jeunes femmes et des jeunes hommes, désireux de devenir acteurs ou réalisateurs, abandonnent après avoir subi des souffrances.
Vous avez tout à fait raison dans votre analyse des faits. Il serait pertinent de comparer cette situation à d'autres corps de métier, y compris le vôtre, pour évaluer si la parole se libère plus aisément. Il est indéniable que partout où le pouvoir est détenu par des hommes, ce type de problème survient. La difficulté à s'exprimer n'est pas nécessairement liée au fonctionnement du cinéma. Selon mes lectures et ma compréhension, il est ardu de s'exprimer, de se présenter et d'être perçu comme une victime. Cette difficulté peut être appréhendée de manière quelque peu indépendante de l'environnement professionnel. C'est l'essentiel de mon propos.
Vous étiez présent en tant que président du conseil d'administration de la Fémis, mais également en tant que réalisateur. Cette parole revêt une grande importance. Revenons sur la Fémis et les autres établissements, notamment sur le corpus d'enseignement. Il existe un corpus technique très précis qui évolue constamment. Par exemple, pour l'école Louis-Lumière, la chimie ne constitue probablement plus une grande partie du programme, contrairement à il y a quelques années. Concernant la Fémis, un travail considérable est consacré à l'écriture et à la réalisation. Avez-vous modifié, dans votre enseignement et à travers les intervenants que vous sollicitez, le regard et l'analyse des films de l'histoire du cinéma ? Nous avons auditionné Iris Brey, que vous connaissez sans doute, qui propose une vision sur le regard masculin et le regard féminin. Ces sujets font-ils désormais partie intégrante du corpus académique de vos écoles, pour les trois établissements ?
Il y a deux aspects différents à votre question. D'une part, l'écriture, et d'autre part, la revisite de l'histoire du cinéma.
Concernant l'écriture, je constate que les efforts déployés par la Fémis ces dernières années pour parvenir à une structure paritaire de ses intervenants obligent chaque comité de présentation des scénarios à réfléchir sur les rôles, l'assignation de certains rôles aux femmes, et les situations d'exercice de la violence. À ce niveau, un dialogue s'instaure entre l'étudiant porteur du projet et ces intervenants directs. Bien que ce sujet ne soit jamais épuisé, il existe un dialogue. Ce dernier est essentiel, et il est également bénéfique d'avoir un encadrement paritaire afin parfois de changer les perspectives.
En ce qui concerne l'histoire du cinéma, il est vrai que l'analyse de film n'est plus aussi prépondérante qu'à l'époque de Jean Douchet. Nous entrons dans un nouveau cycle où nous allons réorganiser l'ensemble de ces enseignements. L'objectif n'est pas de condamner sans autre forme de procès, mais d'accompagner les étudiants dans de nouvelles lectures d'une partie de l'histoire du cinéma qu'il ne faut pas complètement récuser, mais qu'il faut examiner avec eux. Pour cela, il est nécessaire d'avoir des professeurs formés à cet effet, désireux d'échanger avec les étudiants.
Il est peut-être injuste de critiquer Michel Hazanavicius, car il a véritablement cherché à établir un dialogue avec les nouvelles générations. Ces dernières, qu'on le veuille ou non, nous poussent à évoluer et refusent de prendre pour argent comptant les fondements de l'enseignement du cinéma tel qu'il était auparavant. Nous sommes engagés dans des processus de transformation qui ne sont pas encore achevés. Je pense que nous pouvons encore progresser dans ce domaine, mais cela reste central. Il est essentiel d'avoir parmi les directeurs encadrant le scénario ou la réalisation des personnes aux profils divers. Cette diversité permet d'apporter une nouvelle lecture de la manière dont nous racontons le monde aujourd'hui, ce qui correspond aux attentes de modernité des étudiants.
En ce qui concerne la Fémis, vous avez employé le terme « enfant » tout à l'heure. En réalité, il s'agit de jeunes adultes qui nous éduquent autant que nous essayons de les éduquer. Sur ces questions, cette génération est extrêmement affûtée et ne laisse rien passer. Suivre et maintenir un dialogue permanent sur ces sujets est donc essentiel.
La deuxième partie de ma question portait sur l'évolution du corpus et de la pédagogie en lien avec les enseignants, ainsi que sur la demande et la pression exercées par les nouveaux étudiants. Vous avez déjà répondu à cette question.
Je vais répondre à la question précédente concernant les signalements et les cellules d'écoute. À partir de 2021, après la crise sanitaire, nous avons mis en place un dispositif externalisé, fortement soutenu par le ministère de l'enseignement supérieur, qui a joué un rôle moteur dans la professionnalisation et l'implantation d'un réseau déconcentré de conseillers et de chargés de mission dans les rectorats. Initialement, j'avais évoqué la mission d'égalité femmes-hommes. Cependant, nous avons constaté que, étant une petite école, les signalements directement adressés à l'institution, même via des enseignants ou des administratifs formés, ne fonctionnaient pas. La nouvelle génération entretient un rapport complexe avec les institutions, marquée par une forte défiance, malgré les efforts de protection.
Nous avons donc externalisé ce dispositif et identifié des problèmes non remontés. Aujourd'hui, une association nationale, France Victimes, intervient dans tous les départements. Nos étudiants disposent d'un numéro d'appel SOS Victimes 93 en cas de problème. De plus, nous avons une cellule d'écoute psychologique au sein de notre école. Un interne reçoit les étudiants sur rendez-vous deux fois par mois, sans aucune relation avec l'institution, garantissant ainsi un encadrement adéquat.
En ce qui concerne la question de l'omerta, je dirais que nous ressentons fortement ce phénomène. Nous nous trouvons à l'intersection de deux mondes complexes, le cinéma et l'enseignement supérieur. Ces deux domaines sont connus pour leurs traditions paternalistes et de domination masculine. Chez nous, ces traditions se croisent avec une dimension de réforme et de rénovation très lente. Lorsqu'il y a des problèmes, il ne s'agit pas d'omerta à proprement parler, mais plutôt de pesanteur et de peur. Cet argument selon lequel nous risquons d'être marginalisés dans notre métier est systématique. On peut dire ce que l'on veut, mais dans le contexte actuel, comme le mentionnait Michel Hazanavicius, tout le monde sait qu'il existe une dynamique très forte en faveur des victimes. Nous avons tous intégré l'idée qu'il n'y a pas ou très peu d'affabulations dans ce type d'affaires. La situation est très compliquée dans un établissement d'enseignement supérieur aujourd'hui. Cependant, nous bénéficions d'un accompagnement important de la part du ministère, avec de nombreuses aides disponibles. Nous avons des correspondants très compétents et présents, ce qui permet de progresser.
Concernant les corpus, nous avons des enseignants permanents et des enseignants-chercheurs. Ces derniers sont libres de leur contenu. Il y a eu une évolution notable. À mon arrivée, il y avait encore des comportements inappropriés, avec des professeurs posant des questions déplacées. Un changement générationnel s'est opéré, avec des départs à la retraite. En poste depuis sept ans, j'ai pu observer cette transformation. La nouvelle génération a intégré toutes ces notions. Nous nous efforçons également de recruter des femmes. Dans notre école, la proportion d'enseignantes est d'un tiers, comparable à d'autres institutions. Dans le domaine du son, par exemple, nous avons une équipe d'enseignants 100 % masculine, une situation bien connue en France.
Tous les professionnels du son, à quelques exceptions près, sont des hommes. Par exemple, Mélissa Petitjean, une excellente mixeuse, siège au sein de notre conseil d'administration au titre du collectif 50/50, que nous avons sollicité. Cependant, en dehors de ce cas, nous constatons une prédominance masculine dans ces professions. Cate Blanchett a récemment déclaré : « J'arrive sur un plateau, il y a cinquante personnes et trois femmes. » Cette situation se répète quotidiennement. Nous tentons de lutter contre cette inégalité, mais nos moyens sont limités et nous rencontrons des difficultés à faire progresser les choses. Toutefois, dans le domaine de l'image, des améliorations notables sont perceptibles. Nous observons une augmentation significative du nombre de professionnelles à la caméra, au cadre, à la lumière, etc. En revanche, le secteur du son demeure particulièrement difficile à féminiser.
Concernant la parité, vous avez mentionné que vous aviez presque atteint l'équilibre entre les élèves dans votre école. Est-ce une parité observée dans tous les corps de métier ? Traditionnellement, nous savons que les réalisateurs étaient majoritairement des hommes et les monteuses des femmes. Je simplifie, mais cette répartition paritaire est-elle équilibrée au sein des différents métiers de la profession que vous enseignez ?
La réponse est affirmative. Par exemple, lors du concours de l'année dernière, dans le département de production, six femmes ont participé. De plus, dans les départements son et images, nous avons observé une augmentation progressive du nombre de jeunes candidates. Cela revêt une grande importance pour nous, car, comme mes collègues l'ont souligné, dans les métiers techniques, il existe toujours une perception d'infériorité relative et un sentiment de ne pas maîtriser toutes les dimensions techniques sur lesquelles nos enseignants sont très engagés. Des équipes de plus en plus paritaires, notamment avec une directrice de département son qui est également monteuse son, revêtent une grande importance. Nous espérons que cette situation évoluera, car nous nous efforçons de faire progresser les différents directeurs et directrices de département, précisément pour ces questions, afin de changer les perspectives. La situation est relativement équilibrée, bien que nous accusions encore un certain retard dans les métiers techniques.
Sur la question de l'omerta au sein de l'école, nous avons mis en place un système fondé sur une approche par compétences et par exercice. Ce dispositif implique de nombreux intervenants dès la phase de création, avec des responsables d'exercice, des responsables d'année, une direction des études et le directeur. Toutes ces personnes peuvent être amenées à discuter des productions et de la manière dont les étudiants travaillent. Nous comptons 270 étudiants, dont je connais tous les prénoms par cœur, et nous les accompagnons durant les quatre années passées à l'école. Nous nous efforçons de maintenir une transparence et une présence constante auprès de nos étudiants, bien que cela soit très exigeant à mettre en place. Nous offrons beaucoup d'accompagnements personnalisés et les étudiants peuvent échanger de manière informelle avec l'ensemble de mes collègues et moi-même.
Je me pose une véritable question sur la capacité que nous pouvons donner à nos étudiants pour qu'ils osent s'exprimer et identifier les situations problématiques, car souvent, ils ne les appréhendent pas. Par exemple, j'ai rappelé une étudiante par hasard au sujet d'un stage où elle avait été confrontée à un accident sans que personne ne l'oriente. Elle était sortie de l'école et je lui ai expliqué que cette absence de prise en charge était inacceptable. Assurer un suivi et détecter le silence de nos étudiants est une véritable problématique, car ils ne sont souvent pas conscients des situations. J'ai moi-même travaillé longtemps comme stagiaire sur des tournages après être sorti de Louis-Lumière. On nous demandait souvent de faire des heures supplémentaires, ce qui soulève la question du consentement et de l'écoute, surtout pour un stagiaire, souvent rappelé à sa position hiérarchique inférieure. Pour moi, il est central que nos étudiants se sentent protégés par une équipe et qu'ils aient conscience de pouvoir s'exprimer. Certaines situations ne sont tout simplement pas acceptables.
J'ai eu l'opportunité de travailler avec des équipes où mes supérieures étaient exclusivement des femmes, même en tant qu'assistant caméra. Elles m'ont protégé des pressions exercées par les producteurs et d'autres personnes, même en tant que stagiaire. Ce métier est souvent soumis à de fortes pressions et les jeunes en formation ne sont pas toujours préparés à y faire face. Ils manquent parfois de la force de conviction nécessaire pour se dire qu'ils seront protégés et que certaines situations ne sont tout simplement pas normales.
En ce qui concerne le corpus, je soutiens pleinement les initiatives de la Fémis. Il est préférable de préserver les espaces de discussion et de pouvoir, plutôt que de censurer ou de supprimer des pans de l'histoire du cinéma ou des créations de nos étudiants. Il est primordial de maintenir ces espaces de dialogue sur les sujets et les films. Il m'importe d'encourager les perspectives croisées plutôt que de céder à cette tendance de la cancel culture qui prône la censure. Il est difficile de commencer à établir des listes ou de se demander comment nos collègues vont s'approprier certains éléments.
Je souhaite apporter une précision concernant mon intervention précédente, ce ne sont pas les chartes qui sont obligatoires, mais les référents égalité. Par ailleurs, je partage l'avis selon lequel les nouvelles générations se montrent particulièrement vigilantes et ne laissent rien passer. Elles insufflent un vent de fraîcheur aux situations mises en lumière par cette commission d'enquête. En ce qui concerne ces nouvelles générations, nous avons auditionné la semaine dernière l'association MeTooMedia. Ils interviennent dans les écoles préparant aux métiers concernés et nous ont fait part de leurs observations. Ils constatent que, même après la fin des formations, les étudiants ressentent le besoin de s'exprimer longuement sur les formations reçues et les questions abordées. Cela révèle une certaine forme de stress ou de crainte face à la précarité qui les pousse parfois à accepter l'inacceptable. Ils se retrouvent souvent dans des situations de verticalité totale, soumis à des décisions arbitraires sur lesquelles ils n'ont aucun contrôle.
À ce sujet, Mme Coste Cerdan, vous avez mentionné les formations que vous proposez aux élèves, notamment ceux en charge de la production. Nous nous sommes interrogés sur la formation au droit du travail pour ces futurs directeurs de production, responsables du respect du code du travail sur les plateaux de tournage. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce type de formation ?
De plus, lorsque des élèves dénoncent des situations dans vos écoles, comment se déroule la procédure ? Avez-vous déjà eu à gérer des procédures disciplinaires, indépendantes des procédures pénales ?
Concernant les violences sexistes et sexuelles, nous avons récemment introduit des mesures avant tous les tournages de troisième année, puis les avons étendues à la première année. Cela représente environ une cinquantaine de tournages. Ce texte précise les modalités de prévention sur le tournage, en responsabilisant les étudiants producteurs et productrices pour les placer dans des conditions proches de la vie réelle. Nous accompagnons cette démarche, à l'instar du CNC, en conditionnant une partie de nos aides à la mise en place de formations pour l'ensemble de l'équipe de production. Nous avons pu mettre en œuvre ces mesures grâce à l'arrivée d'une productrice à la direction du département production, pleinement consciente de ces enjeux et désireuse de prévenir plutôt que de réagir.
Ces dispositifs sont très précis. Ils définissent, par exemple, le rôle de la référente égalité, la cellule d'écoute mobilisable, l'identification des situations de violence, les propos et gestes déplacés, les SMS, les violences verbales, etc. Ils précisent également la procédure pour recueillir la parole pendant le tournage. C'est très concret. L'idée est de commencer chaque fois par une situation type et de généraliser ensuite ces mesures à l'ensemble des tournages. Je pense que c'est la bonne approche. Nous avons la chance de collaborer avec des professionnels en activité, pleinement conscients des problèmes qui surviennent sur les tournages. Ces problèmes sont présents, même s'ils ne sont pas nécessairement de plus en plus fréquents. Notre responsabilité est de faire en sorte que nos étudiants soient pleinement responsables pour les traiter.
La deuxième question concerne la procédure d'hospitalisation. Depuis quatre ou cinq ans, nous avons environ un cas par an qui nous mobilise fortement. La situation commence par l'expression d'un problème, qui est directement porté aux personnes-ressources identifiées dans chaque communauté, ou directement auprès de la référente égalité. Un examen du cas est alors effectué, en prenant en compte la parole de la victime, afin de déterminer les suites à donner. Il s'agit de décider s'il est opportun de déployer une enquête interne, toujours en toute confidentialité. À ce stade, l'enjeu est de mener une enquête la plus objective et complète possible, en recueillant non seulement les témoignages des protagonistes, mais aussi ceux de témoins éventuels. Nous recherchons donc des témoins et, selon l'ampleur du cas, nous pouvons soit mener l'enquête en interne, ce qui mobilise beaucoup de temps, soit solliciter une structure externe pour nous accompagner dans cette démarche. En fonction de la gravité du cas, nous pouvons également invoquer l'article 40 du code de procédure pénale. Si le cas est moins grave, l'objectif est au moins d'en faire un compte rendu et, le cas échéant, de déboucher sur des actions concrètes. Nous encourageons aussi les victimes, lorsque cela semble nécessaire, à déposer plainte. Après cinq ans, ce processus commence à être bien établi, même si l'on ne peut jamais dire qu'il est parfaitement rodé. En tout cas, il ne nous effraie plus, car des procédures ont été écrites et nous savons comment naviguer à travers ces différentes étapes lorsque ces situations se présentent.
Nous avons parfois à traiter des cas qui peuvent mener à des commissions disciplinaires, bien que cela soit rare. Récemment, nous avons eu un cas, et parfois cela nous amène à modifier les modalités de fonctionnement des enseignements. Par exemple, en 2021, une jeune femme a perçu que l'enseignant chargé de l'apprentissage de l'utilisation de la perche avait un contact physique trop proche. Nous avons longuement réfléchi à cette situation et en avons discuté avec l'intervenant, car il est essentiel de ne pas agir isolément. Plus les actions sont partagées, plus nous avons de chances de les changer fondamentalement. À partir de cette réflexion, nous avons élaboré un guide spécifique pour les tournages techniques. Ce guide prévoit d'informer l'étudiant ou l'étudiante à l'avance des gestes à venir afin qu'il ne soit pas surpris. Cet exemple concret montre comment une situation peut mener à une enquête sans qu'il soit nécessaire de renvoyer immédiatement l'intervenant. En revanche, cela nous permet de prendre conscience d'une manière différente de former, plus en phase avec la sensibilité actuelle des jeunes générations. Une fois ces bonnes pratiques intégrées, elles deviennent des réflexes et nous n'avons plus besoin de nous poser la question. L'objectif est d'atteindre un point où, grâce à des procédures bien établies et à un dialogue constant, nous n'avons plus à nous interroger sur ces aspects.
Avant de passer la parole, j'aimerais poser une question importante concernant les deux écoles, l'ENSAV et l'École nationale supérieure Louis-Lumière. Je pense avoir quelques éléments de réponse, car vous délivrez des masters et, par conséquent, vous avez des critères de notation. Pourriez-vous préciser quels sont ces critères et comment le diplôme est délivré ? Cela m'intéresse particulièrement en comparaison avec la Fémis. Quels éléments sont pris en compte pour l'obtention du diplôme ? Quelle est la part accordée à la pratique par rapport à un tronc commun plus généraliste et théorique ? Existe-t-il également une part plus subjective liée au respect des pratiques professionnelles ? Par exemple, dans le cas d'un réalisateur ou d'une réalisatrice, le rapport avec les comédiens, les comédiennes, et l'équipe technique est-il un critère d'évaluation ?
Pour répondre à une partie de la question précédente concernant les référents, nous disposons en interne d'un conseiller de prévention et d'une responsable des ressources humaines, qui sont des personnes-ressources. Notre administration compte une trentaine d'agents, dont une douzaine a suivi, au cours des deux dernières années, des modules de formation dispensés par le ministère sur les violences sexistes et sexuelles. Le maître mot est véritablement la professionnalisation et la formation des agents et des enseignants. Certains enseignants ont également entrepris cette démarche, bien que cela soit plus complexe en raison de la hiérarchie stricte au sein de l'administration, différente de celle des équipes pédagogiques. Nous avons également des référents pour les masters, qui sont des enseignants permanents. Nous conditionnons leur rôle de référent à une formation spécifique de ce type. Ces référents, neutres et dignes de confiance, sont généralement sollicités par les étudiants en cas de problème. Nous avons rencontré environ un problème par an, souvent lié à des comportements sexistes. Un seul cas plus grave a nécessité une enquête interne et l'application de l'article 40 du code de procédure pénale. Nous avons d'abord constitué une section disciplinaire au sein de l'établissement, une obligation souvent non respectée dans de nombreux établissements d'enseignement supérieur. Cette section disciplinaire, distincte pour les usagers (étudiants) et les enseignants, a été installée pour les étudiants. Nous avons ensuite demandé le dépaysement au recteur, et l'université de Nanterre a traité le cas, aboutissant à une sanction. Cet incident, unique en sept ans, a été difficile à gérer, mais il a renforcé la dynamique collective au sein de l'établissement.
Pour répondre à votre question concernant l'évaluation, nous délivrons un grade de master qui suit les mêmes logiques de notation et d'évaluation que dans l'ensemble de l'enseignement supérieur. Cela inclut des crédits ECTS, et les étudiants sont évalués en conséquence. Il est vrai que la notation peut s'avérer complexe, notamment lorsqu'un professionnel doit évaluer huit personnes sur un plateau. Nous travaillons sur cette question, car en général, les étudiants réussissent et les échecs sont rares. Nous nous efforçons de garantir à nos étudiants la plus grande équité, la meilleure qualité de formation et un environnement harmonieux. Cependant, nous ne pouvons pas surveiller chaque enseignant à tout moment. C'est pourquoi nous avons introduit des référents, non seulement sur les tournages, à la demande également des étudiants. Ces référents VSS, désignés parmi les étudiants, sont présents lors des tournages et des fêtes de fin de tournage, moments où surgissent le plus de problèmes. Ces contextes de décompression peuvent effectivement engendrer des soucis.
Nous avons des mentions à nos diplômes, mais pas de classement.
Nous avons un référent mission égalité à l'université de Toulouse 2. En tant qu'école interne dépendant de cette université, nous n'avons pas l'autorité pour lancer des procédures disciplinaires. Notre cellule d'écoute transmet les informations au dispositif de signalement et au dispositif mis en place au niveau de l'université de Toulouse 2. Ensuite, les procédures suivent leur cours en interne. Nommé il y a dix ans à Toulouse, j'ai observé des ajustements dans les exercices et les méthodes d'enseignement pour des cas spécifiques, en réorganisant des groupes ou en modifiant certaines modalités de déroulement des exercices. Je partage l'avis de mes collègues sur la dynamique collective et de nombreux autres aspects.
Nous évaluons nos étudiants par exercice et par configuration de création. Nous évaluons les films ainsi que les modalités de leur réalisation, avec une évaluation technique et une évaluation du film lui-même. Nous prenons en compte le respect des contraintes initiales et la manière dont les tournages se sont déroulés.
La Fémis dispose également d'une homologation de master. À cet égard, nous ne sommes pas si différents des autres institutions. Le diplôme final repose sur l'évaluation d'un film et généralement d'un mémoire, l'étudiant produisant un bilan de ses quatre années de formation. Au cours des différentes années, des commissions de passage évaluent la scolarité de chaque étudiant. Chaque intervenant fournit une évaluation individuelle. Dans ce cadre, des comportements dysfonctionnels peuvent être repérés assez tôt et faire l'objet de recadrages, si nécessaire. Nous nous efforçons d'être attentifs à cela, même si nous n'attribuons pas de notes. En effet, nous n'avons pas de notes et pas d'éléments comportementaux, ce qui pourrait être un point de réflexion pour l'avenir, mais ce n'est pas encore le cas.
Cependant, dans l'évaluation des films, nous jugeons clairement la version finale du film sous divers aspects esthétique, intrinsèque, narratif, etc. Nous prenons également en compte le déroulement du projet. Les étudiants sont invités à travailler en équipe et à partager leur expérience. Il est vrai que des problématiques peuvent survenir, et bien qu'elles ne soient pas toujours exprimées, je pense que cette culture générale du cadre dont nous parlions permettra progressivement d'identifier les problèmes en cours de route.
Est-ce que, comme toute une série de masters, vous avez des notes qui sont des devoirs sur table avec, par exemple, une note sur le droit du travail ? Vous n'avez pas cela ?
Nous ne disposons pas de note spécifique. Nous avons des crédits ECTS, ce qui implique la nécessité d'avoir suivi un enseignement particulier. En quatrième année, cela concerne principalement la réglementation et la profession envisagée, notamment le droit social et le droit applicable aux producteurs. Cependant, il n'y a pas de note attribuée.
Il y a un tronc commun. C'est différent, suivant que ce soit producteur, réalisateur. Ce ne sont pas les mêmes cours.
Nous, en première année, nous avons un tronc commun. Après, c'est très vite la spécialisation.
M. Hazanavicius, en tant que président du conseil d'administration de la Fémis, j'aimerais clarifier certains points de votre intervention. Je suis arrivée en cours de route et j'ai entendu vos propos concernant l'omerta dans le monde du cinéma. Vous avez mentionné que les explications étaient abusives et fantasmées. J'aimerais que vous explicitiez cette position. D'un côté, vous affirmez accompagner la libération de la parole. De l'autre, vous estimez que le rythme est adéquat et qu'il n'y a pas réellement d'omerta, car les nouvelles générations s'expriment.
Personnellement, je trouve ce rythme extrêmement lent. En tant que féministe et membre d'associations féministes, je constate que les jeunes femmes, notamment les actrices, me confient depuis vingt ans leur précarité dans ce métier. Elles me disent qu'elles n'osent parler des abus qu'elles subissent de la part des réalisateurs, de peur de perdre leur emploi. Il y a vingt ans, cela existait déjà et c'était très tabou. Aujourd'hui, c'est un peu moins le cas, mais cela persiste. J'aimerais entendre de votre part que les choses ne sont pas encore réglées et qu'il y a toujours de l'omerta.
Vous comparez ce métier à d'autres professions, mais ce n'est pas le cas. En tant que députée, je sais que des violences sexuelles existent dans mon milieu. Cependant, le réalisateur est perçu sur un plateau comme un dieu, un génie qui modèle les acteurs et crée. Ce pouvoir quasi divin rend ce métier particulier. J'aimerais que vous clarifiiez vos propos, car peut-être ai-je mal compris. Cela me rassurerait d'entendre une position plus claire.
Oui, mais c'était sur Depardieu. Je ne parle pas de Depardieu. Je parle au président du conseil d'administration de la Fémis. C'est important.
J'invite M. Hazanavicius à répondre, mais très brièvement, parce que j'ai l'impression quand même qu'il a répondu assez clairement tout à l'heure. Il peut compléter.
Vous avez tout à fait raison concernant les événements survenus il y a vingt ans. Depuis que ce processus a été enclenché, il progresse bien. Cela ne signifie pas que les problèmes sont résolus ou qu'ils ont disparu. Je me suis probablement mal exprimé, car je ne me reconnais pas dans vos propos. Je n'ai jamais affirmé que tout allait bien. Ce qui était vrai il y a vingt ans l'est encore aujourd'hui, mais un processus s'est mis en place. Il me semble que le rythme de ce processus dicté par la parole des victimes s'accélère de manière exponentielle. Plus les victimes s'expriment, moins cette parole est honteuse ou dangereuse comme elle a pu l'être par le passé. Cette parole est de plus en plus respectée. Ce rythme naturel est dû au courage des victimes, et non à ceux qui les entourent. Nous ne pouvons que les accompagner. C'est tout ce que j'ai tenté de dire. Je crois sincèrement que le type de comportement dont vous parlez diminue et continuera de diminuer pour une raison très simple. Le message d'Adèle Haenel a été clair concernant le défaut de la justice, son échec pour ce genre d'affaires. Désormais, une autre méthode existe, différente de celle employée par la justice depuis très longtemps, mais elle fonctionne, il s'agit de la prise de parole publique.
J'ai trouvé cette initiative brillante, car elle a atteint un objectif essentiel porter atteinte au sentiment d'impunité des personnes ayant de telles pratiques. Ce sentiment d'impunité a été significativement ébranlé. Plus les victimes s'expriment, plus ce sentiment s'estompe. Je suis convaincu que les jeunes générations n'ont plus du tout ce sentiment d'impunité, cette impression de toute-puissance divine dont vous parliez, qui a pu exister par le passé. Je crois sincèrement qu'il est en train de disparaître, et je m'en réjouis. Cependant, je ne suis pas naïf au point de penser que tout va bien et qu'il n'existe aucun problème dans ce domaine. Permettez-moi d'aller droit au but.
Vous savez sans doute que le CNC propose une formation pour les producteurs, que j'ai suivie en tant que producteur moi-même. Cette formation est extrêmement bien conçue et explique en détail les responsabilités en matière de droit du travail et devant les prud'hommes. La responsabilité des producteurs est immense. Pour les victimes d'agissements survenant dans le milieu professionnel, la justice pénale, qui vise à punir les coupables, est souvent en échec. En revanche, la justice du travail, qui vise à indemniser les victimes, repose sur une logique différente et fonctionne très bien. Dans ce cadre, les employeurs, les producteurs, sont les responsables. Cette formation est édifiante et constitue un élément très important et efficace, car elle oblige les producteurs à assumer leurs responsabilités en amont, compte tenu des risques pénaux encourus pour leur entreprise.
Très bien. Nous allons auditionner le CNC. J'ai examiné le contenu pédagogique de ces formations. C'est satisfaisant, mais je pense qu'il serait encore plus bénéfique de l'enseigner à l'école. Je vous encourage, toutes les écoles, à intégrer la formation au droit pour les étudiants et étudiantes. Cela permettra non seulement de gagner en compétence, mais aussi de mettre à niveau et de sensibiliser différemment. Je suis convaincu que cela va dans la bonne direction.
Les écoles accompagnent un mouvement de société. Je vous le dis sans aucune agressivité, mais d'entendre des mots comme « omerta » ou « Camorra », c'est assez violent quand on essaye vraiment de ne pas aller dans ce sens-là. C'est un peu difficile à entendre.
Et nous avons entendu et observé des violences perçues par un certain nombre de victimes également très graves. En tant que président, mon rôle consiste à veiller à ce que ces auditions se déroulent dans de bonnes conditions. Pour cela, il est essentiel que les personnes puissent s'exprimer librement. C'est pourquoi j'ai mentionné, de manière quelque peu provocante, que j'avais parfois l'impression de participer non pas à une commission de cinéma, mais à une commission Camorra. Cette comparaison est certes brutale, mais comme dans le cinéma, la caricature peut parfois aider à faire passer des messages. Ce qui fonctionne au cinéma peut également être efficace en politique.
Je souhaite poser une question aux directions des trois écoles prestigieuses, où peu d'élus sont admis. Ma question est la suivante : mettez-vous en place des modules sur le consentement et sur le cadre juridique protégeant les acteurs ou, plus largement, les artistes ? Je viens de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Par exemple, dans la formation des enseignants, nous incluons des modules de sensibilisation au harcèlement scolaire, absolument essentiels pour un professeur. Il serait peut-être pertinent qu'un réalisateur suive un module sur le consentement et sur la gestion des équipes d'acteurs. Ma question est donc simple en proposez-vous dans vos établissements ?
Quand je parlais de la première demi-journée dans laquelle sont présentés ces sujets à l'ensemble des étudiants, il y a un module sur le consentement. Cette parole est entendue. Peut-être faudrait-il y revenir plus tard, mais ça figure parmi les choses qui sont dites.
Dès 2018, nous avons instauré une conférence introductive destinée à tous les étudiants, abordant la question des représentations et visant à les sensibiliser. Cette conférence, inscrite dans l'emploi du temps, était animée par une spécialiste de l'enseignement supérieur, axée sur la communication non stéréotypée. Nous avons cherché à sensibiliser les étudiants tant dans leurs pratiques que dans les représentations qu'ils allaient ensuite intégrer dans leurs récits. Par ailleurs, nous avons invité les deux animatrices du Tumblr « Paye ton tournage ». Anciennes étudiantes d'une école de cinéma belge, elles étaient très appréciées des étudiants et sont intervenues à plusieurs reprises. Ce Tumblr recense quotidiennement les remarques sexistes entendues sur les plateaux de tournage ainsi que dans les écoles de cinéma. En examinant ces témoignages, on ressent une profonde nausée face à la réalité décrite. Ensuite, nous avons mis en place une journée et demie de formation dispensée par l'organisme Egaé, spécialisé dans la formation de divers publics et agréé par le ministère de la justice. Nous nous efforçons, avec un volontarisme certain, d'appliquer toutes les bonnes pratiques nécessaires pour garantir à nos étudiants un environnement de travail optimal. Nous souhaitons surtout leur fournir, pour leur avenir professionnel, des repères solides et des grilles de lecture pertinentes.
À l'École nationale supérieure des arts visuels, nous n'avions pas de module spécifique sur les violences sexuelles et sexistes. À la rentrée prochaine, nous organiserons une journée d'accueil dédiée à ces questions, ainsi qu'au consentement, à ce moment charnière de la vie universitaire. Cette journée permettra d'aborder ce qui est déjà en place et ce qui existe à l'université, ainsi que les règles qui régiront la vie de nos étudiants à l'école. Nous traiterons également de ce qu'implique un tournage consenti et de la prévention et de l'identification des situations à risque au sein de l'école. Nous établirons un lien avec le monde du travail pour sensibiliser nos étudiants aux violences auxquelles ils pourraient être exposés après leur parcours scolaire. Cette journée de formation nous la rendrons obligatoire chaque année pour toutes les promotions.
Est-ce que vous prévoyez dans le futur de former des coordinateurs, coordinatrices d'intimité et des responsables enfants, puisqu'il n'existe pas de formation à l'heure actuelle en France ?
Sachant que par exemple pour les responsables enfants, elles considèrent que leur poste est du niveau du premier assistant réalisateur dans leur responsabilité et dans l'attention qu'elles doivent avoir du tournage.
Pour notre part, nous ne formons pas spécifiquement autrement que pour devenir chefs de poste. En revanche, nous avons déjà mobilisé une coordinatrice d'intimité sur les tournages lorsque le sujet ou le thème le justifiait. Concernant les enfants, nous avons récemment pris conscience de l'importance de cette question. Il est nécessaire d'être plus attentifs à la manière d'encadrer les tournages impliquant des enfants. Cependant, former des personnes à ces sujets spécifiques est comparable à la formation d'assistants réalisateurs que nous ne formons pas spécifiquement, et d'autres écoles seraient peut-être plus aptes à le faire.
Nous sommes une école avec une tradition ancienne dans les trois spécialités que j'ai mentionnées. Nous ne développons pas de nouvelles filières de formation, sauf pour des formations courtes, qui relèveraient alors de la formation professionnelle. Il est important de noter que nous produisons beaucoup moins de films que la Fémis, par exemple. En effet, bien que nous réalisions entre soixante et quatre-vingts films chaque année, la Fémis en produit beaucoup plus, environ deux cent. Par conséquent, nos besoins sont moindres. Lorsqu'un problème se pose, comme cela s'est produit une fois, nous consultons les parents si un enfant est impliqué. Nous demandons parfois la présence d'un psychologue ou d'un professionnel, surtout si le tournage concerne un scénario délicat impliquant un enfant. Nous avons suivi de près cette situation et tout s'est bien déroulé.
Nous n'avons pas prévu de formation spécifique pour ces métiers, car nous disposons d'un vivier d'une quinzaine d'étudiants qui se spécialisent généralement en réalisation. Refaire des sous-sections semble complexe dans l'économie de l'école. Cependant, les réalisateurs bénéficient d'interventions de la part des directeurs de casting et de cours sur la direction d'acteurs, où ces questions sont abordées de manière spécifique. Nos étudiants, je suppose, se sous-spécialisent eux-mêmes et montrent une sensibilité particulière à ces sujets. Par exemple, certaines étudiantes, après avoir terminé leur cursus, ont été spécifiquement affectées à l'accompagnement d'acteurs enfants sur des tournages, dans le cadre de stages, manifestant ainsi un intérêt marqué pour ces questions.
Je vais conclure cette intervention en vous remerciant sincèrement pour la franchise de vos réponses et pour le travail accompli dans vos établissements. Il est évident que ces sujets sont abordés avec sérieux dans vos écoles. La difficulté de notre exercice réside dans la nécessité d'explorer des sujets complexes. Si parfois nos questions peuvent sembler virulentes, c'est parce que nous devons faire émerger certaines vérités. Nous avons cependant veillé à rester dans la délicatesse et la politesse, ce qui me semble être la moindre des choses. Nous ressentons, et je tiens à le souligner, qu'il existe des blocages et des violences latentes. Plus nous avançons, plus ces tensions deviennent perceptibles, ce qui nous pousse à nous interroger davantage. Nous rencontrons de nombreux professionnels qui, lors des auditions, restent évasifs, mais expriment ensuite le désir d'aller plus loin. Nous nous trouvons donc dans une position délicate, quitte à mettre en cause certaines personnes. Je tiens à rappeler que notre rôle n'est pas celui de juge d'instruction ou de procureur, et que nous ne sommes pas ici pour mener un tribunal. C'est également un appel à ceux qui ont des informations à partager de le faire sans hésitation. Merci pour le travail accompli dans vos écoles. Nous constatons qu'elles évoluent avec la société, sous la triple pression sociétale, celle des enseignants, qui suivent les évolutions de leur temps, et celle des étudiants, qui vous poussent également au changement.
La commission procède à l'audition de Mme Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).
Madame, je vous souhaite la bienvenue. Notre commission d'enquête cherche à faire la lumière sur les violences commises contre les mineurs et les majeurs dans les secteurs du cinéma, du spectacle vivant, de l'audiovisuel, de la mode et de la publicité. Nous souhaitons identifier les responsabilités de chacun et proposer des solutions pour évoluer dans ces secteurs sans crainte pour son intégrité physique et mentale. Pourriez-vous, dans un propos liminaire, nous exposer les actions que vous menez ? Nous avons constaté qu'elles sont nombreuses. Nous avons lu un chiffre alarmant dans Mediapart, datant de 2017, selon lequel 95 % des femmes dénonçant des faits d'agressions ou de harcèlement sexuel sur leur lieu de travail perdent leur emploi. Ce chiffre, fourni par votre association, l'AVFT, nous interpelle et soulève de nombreuses questions. Est-il toujours d'actualité ? Ensuite, Mme la rapporteure, ma collègue et moi-même aurons plusieurs autres questions à vous poser. Je rappelle que toutes ces auditions sont ouvertes à la presse et retransmises en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Avant de vous laisser la parole, je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, impose aux personnes entendues par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.
(Mme Tiffany Coisnard prête serment.)
L'Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) a été fondée en 1985 par trois femmes, dont l'une subissait du harcèlement sexuel à l'époque. Cette association a vu le jour à une période où le code pénal ne prévoyait aucune infraction pour sanctionner le harcèlement sexuel. Le premier combat de l'AVFT a été de faire reconnaître ce délit dans le débat public. Par la suite, elle a joué un rôle déterminant dans la réécriture des lois relatives au harcèlement sexuel, abrogées en 2012. L'association se structure autour de plusieurs volets. Le premier consiste en l'accompagnement des victimes. Nous sommes sollicités principalement par le biais d'un accueil téléphonique, dont l'objectif est de fournir des premiers outils aux victimes qui nous contactent. En moyenne, entre 2021 et 2023, nous avons enregistré environ 250 nouvelles saisines par an. Il est important de préciser que ce chiffre ne représente que les nouvelles victimes qui nous contactent chaque année, en plus des dossiers déjà en cours d'accompagnement. Dans les secteurs concernés par cette commission, nous avons recensé en moyenne huit saisines par an entre 2021 et 2023, avec un pic en 2021. Cette augmentation n'est pas surprenante, car cette année a suivi le lancement du marché public avec le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), sur lequel je reviendrai plus tard. Cette période a donc été marquée par une plus grande visibilité de l'association et du sujet en particulier dans ces secteurs. Notre champ de compétences en matière d'accompagnement des victimes couvre toutes les formes de discriminations, y compris les agissements sexistes, le harcèlement sexuel, l'exhibition sexuelle, les agressions sexuelles et les viols. Les termes que nous utilisons, qui sont des qualifications juridiques, s'inscrivent dans la catégorie des violences sexistes et sexuelles et relèvent de la discrimination. Nous sommes donc également compétents en matière de discrimination.
En ce qui concerne les chiffres relatifs à l'accompagnement des victimes, 67,7 % des saisines que nous recevons proviennent du secteur privé, tandis que 32,3 % concernent le secteur public. On constate ici une surreprésentation des fonctionnaires dans nos saisines, puisque parmi l'ensemble des travailleurs et travailleuses, 20 % sont fonctionnaires. Si 20 % des travailleurs et travailleuses sont fonctionnaires, mais que 32 % de nos saisines les concernent, il y a une surreprésentation notable des fonctionnaires dans les saisines. Je vous invite à me poser toutes les questions que vous souhaitez sur notre accompagnement.
Je vais maintenant aborder le volet formation, un autre domaine sur lequel l'AVFT travaille. Concernant spécifiquement les secteurs d'intérêt de votre commission, nous avons obtenu un marché public auprès du CNC. Nous en avons deux, le premier, qui concerne les producteurs et productrices, a débuté fin 2020 et est encore en cours aujourd'hui. Il prévoit environ une centaine de sensibilisations. Ces sensibilisations portent sur les facteurs de risque, la qualification juridique, la compréhension des mécanismes permettant de commettre des violences sexistes et sexuelles, ainsi que la compréhension du contexte social, économique et culturel qui préexiste à ces violences. Cette formation porte sur les obligations des employeurs afin de transmettre tous les outils nécessaires aux victimes présentes, ainsi qu'aux encadrants.
Nous avons également un deuxième marché public avec le CNC, concernant les exploitants de salles, qui a débuté un peu plus tard et s'étend de 2022 à 2026. Je vous présente quelques chiffres relatifs à ces formations. Au total, soixante-huit sessions ont été organisées par le CNC pour les producteurs, touchant 4 162 personnes. Pour les exploitants de salles, vingt-six sessions ont été réalisées, touchant 1 357 personnes.
Nous avons également mis en place un programme de formation auprès du Syndeac, dans le secteur du spectacle vivant. En plus du Syndeac, de nombreux organismes et structures de travail affiliés à ce secteur ont bénéficié de cette commission. Une grande diversité de structures a été touchée par ces actions de formation, des écoles de cinéma, des syndicats, des compagnies de théâtre, de danse, de cirque, des sociétés de production de jeux vidéo, de publicité, de clips vidéo, de courts-métrages, de longs-métrages, de fiction, de documentaires, ainsi que des studios d'animation. Des centres dramatiques nationaux et des scènes nationales ont également été concernés. Le public visé est donc très varié dans ces secteurs.
Madame, étant membre d'une association européenne, quel regard portez-vous sur le traitement des violences faites aux femmes au travail d'un point de vue européen ? Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous nous concentrons sur une spécificité française, que nous avons identifiée au fil des auditions, la manière dont le cinéma et le rôle d'un réalisateur sur les acteurs et les personnes présentes sur un tournage confèrent une autorité particulière. En France, ce pouvoir de création semble tout permettre au nom de l'art. Observez-vous également des spécificités dans le traitement des violences faites aux femmes dans le monde du travail en France par rapport aux autres pays européens, que ce soit en termes de bonnes pratiques ou d'approches différentes ?
Dans le cadre des procédures judiciaires, nous mobilisons le droit européen, ce qui nous permet, par exemple, de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne. En ce sens, nous nous définissons comme une association européenne. Nous pratiquons également le droit comparé, en étudiant les pratiques d'autres pays pour les confronter à celles de la France. Nous cherchons ainsi à identifier des mesures mises en œuvre ailleurs qui, selon nous, devraient être adoptées en France. Nous aurons peut-être l'occasion de discuter de la définition du viol, un sujet important, dans le cadre du droit comparé. En revanche, concernant le fonctionnement des milieux du cinéma, de la mode et du spectacle vivant dans d'autres pays européens, nous ne disposons pas de suffisamment de retours pour vous fournir une réponse satisfaisante.
Peut-être avez-vous abordé la question, étant donné que vous pratiquez le droit comparé, concernant la définition du consentement ainsi que le régime de preuve en matière de harcèlement sexuel. Pourriez-vous nous préciser les observations que vous avez faites sur ces deux points dans le cadre du droit comparé ?
Plusieurs pays de l'Union européenne ont choisi d'introduire le terme consentement ou absence de consentement dans leur législation définissant le viol. En France, cette question est actuellement débattue, notamment sur les conséquences de l'introduction d'un tel terme dans notre législation. Par exemple, la Suède a déjà adopté cette approche. La convention d'Istanbul précise également la nécessité d'introduire la notion de volonté libre et éclairée, en tenant compte des circonstances entourant l'acte de viol, afin de déterminer dans quelles conditions le consentement a été donné ou non. En France, nous ne procédons pas ainsi actuellement. La définition du viol en France repose sur le mode opératoire, c'est-à-dire la recherche de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Ces quatre termes définissent les conditions dans lesquelles l'acte a été commis. Ainsi, les actes sexuels commis sans violence, menace, contrainte ou surprise ne sont pas considérés comme des viols selon notre législation. Cela implique une présomption de consentement, présumant d'abord que les femmes sont consentantes, ce qui pose un premier problème.
Ensuite, le terme « contrainte » recouvre plusieurs aspects, contrainte morale et contrainte physique. Dans les dossiers traités par l'AVFT, la contrainte physique est rarement mobilisée. En revanche, la contrainte économique, souvent liée au contrat de travail, est prédominante. Lorsqu'une victime subit des violences sexuelles sur son lieu de travail, la contrainte économique est forte, car le contrat de travail est en jeu. Parfois, la contrainte administrative intervient également, notamment lorsque le titre de séjour de la victime dépend de son emploi. Cette situation crée une pression intense pour la victime, qui ne peut se permettre de perdre son emploi. Dans certains secteurs, perdre son emploi signifie aussi perdre son métier, ce qui constitue une contrainte supplémentaire. Dans certains secteurs, il sera impossible de continuer à exercer ce métier, car les mêmes problèmes et acteurs se retrouvent ailleurs. Cela nous contraint à une réorientation complète, entraînant une véritable perte de carrière.
Dans les secteurs concernés par cette commission, on observe beaucoup de réseautage et de relations familières. Dénoncer les faits peut parfois signifier perdre ses amis. Cet environnement crée la contrainte, non pas le violeur lui-même. Il n'a pas besoin de générer cette contrainte, il se contente de s'appuyer sur celle déjà présente dans le contexte de travail. Ce texte pose un réel problème de définition, car il entrave la qualification des viols. On nous indique, par exemple dans des ordonnances de non-lieu, que les violeurs n'ont pas mobilisé la contrainte. Or, ils n'ont pas à le faire, puisque la contrainte découle du contrat de travail et d'un environnement coercitif. Le violeur n'a donc pas besoin de mobiliser cette contrainte. Nous faisons face à une définition qui ne correspond pas à la réalité des violences sexuelles et qui empêche les victimes d'être reconnues et d'obtenir réparation. Il est crucial d'ouvrir des débats en France sur la définition du viol.
Concernant la deuxième question sur la preuve, je ne peux pas répondre spécifiquement en matière de droit européen. Cependant, je peux évoquer la directive de 1997 relative à la charge de la preuve, qui a introduit le principe d'aménagement de la charge de la preuve en France, et qui demeure le régime actuel. Dans les procédures sociales, le régime de la preuve est aménagé de manière à partager la charge de la preuve. La victime doit apporter des éléments qui, sans établir de manière définitive qu'elle a été victime, laissent présumer qu'elle a subi du harcèlement sexuel ou d'autres violences sexuelles. Ensuite, il incombe à l'employeur de répondre à ce faisceau d'indices en démontrant qu'il s'agit d'autre chose que du harcèlement sexuel, et donc de fournir des éléments prouvant cette autre réalité.
Cet aménagement est favorable et nécessaire en France pour adapter le régime de la preuve à la réalité des violences sexuelles. En effet, en matière de violences sexuelles, comme le reconnaissent plusieurs jurisprudences, la preuve résulte souvent d'un faisceau d'indices. Cependant, cette preuve peut être difficile à obtenir, car les violences sexuelles sont souvent commises dans des contextes d'isolement, rendant les témoignages directs rares. Il est donc essentiel que l'analyse de la preuve et les attentes en matière de preuve reflètent cette réalité. L'aménagement de la charge de la preuve répond précisément à cette nécessité. Malgré l'antériorité de ce régime, nous faisons régulièrement face à des conseillers prud'homaux qui ignorent cet aménagement et refusent de l'appliquer. Cela constitue un nouvel obstacle pour les victimes.
Si nous nous recentrons sur notre périmètre d'action, vous êtes chargé d'assurer les formations prévues dans le cadre des obligations de lutte contre les violences sexuelles et sexistes (VSS), ainsi que des aides publiques du CNC. Pouvez-vous nous indiquer qui sont les personnes que vous formez, comment ces formations sont accueillies, et nous fournir un bilan de ces sessions ? À votre avis, y aurait-il des aménagements à apporter ? Enfin, comment ces formations se traduisent-elles dans la pratique, notamment en ce qui concerne les notions diffusées ?
Sur le public formé, je mentionnais précédemment que les structures sont assez variées écoles de cinéma, compagnies de danse, de théâtre, etc. À l'intérieur de ces structures, les publics formés incluent des salariés, des personnes encadrantes, des directeurs et directrices de théâtre, des exploitants et exploitantes de salles, ainsi que des producteurs et productrices. Les formations du CNC sont également concernées. Depuis 2020, date à laquelle nous avons lancé le premier marché public auprès des producteurs et productrices, nous avons observé certaines évolutions. La première concerne les comportements et propos sexistes. Par exemple, certains stéréotypes reposant sur les victimes, comme l'idée qu'il faut apprendre aux femmes à dire non plus facilement, traduisent une incompréhension de la situation au moment où les violences sont commises. Accuser les formateurs de parti pris en ne parlant que des femmes victimes, sans mentionner les hommes victimes, est un autre exemple. Aujourd'hui, ces remarques sont moins fréquentes en formation. Cette évolution peut être attribuée à la visibilité accrue des violences sexistes et sexuelles au travail, notamment dans les secteurs du cinéma. Plus ces sujets sont présents dans le débat public, plus ils deviennent visibles, réduisant ainsi le sentiment d'impunité. Les stagiaires, par exemple, se sentent moins enclins à tenir des propos sexistes ou décomplexés.
Pourriez-vous nous fournir des statistiques concernant vos formations, notamment les taux de présence ? Cela nous serait très utile. J'aimerais également poser une question complémentaire à celle de Mme la rapporteure, en lien avec vos propos. Premièrement, percevez-vous une évolution notable dans ce domaine ? Vous avez mentionné une partie de cela. Cette évolution est-elle rapide selon vous ? Pensez-vous qu'elle résulte autant de la pression sociétale que des bénéfices tangibles des formations, qui commencent à se diffuser par capillarité dans l'ensemble de la profession ? Ensuite, j'aurais quelques interrogations concernant la situation des victimes, notamment leur relation avec leur employeur et la chaîne de décision, particulièrement dans le secteur du cinéma.
Sur l'évolution observée en matière de formation, il convient de relativiser les avancées par rapport à ce que j'expliquais précédemment. En effet, l'impact des formations dépend largement de la place accordée à ce sujet dans le débat public. Ce ne sont pas les formations en elles-mêmes qui garantissent des changements, mais le fait de les organiser met le sujet sur la table. Cela peut être un déclencheur pour les victimes, les incitant à dénoncer les faits, notamment si elles ont assisté à ces formations. Cependant, cette évolution reste relative. On continue de constater des comportements sexistes en formation, notamment à l'égard des formatrices de la part des stagiaires.
Un autre point préoccupant est le cynisme de certains employeurs, dont les priorités sont orientées vers la rentabilité. Ils évaluent ce qui leur coûtera le moins cher : interrompre un tournage ou subir une saisine des prud'hommes. La réponse est souvent claire pour eux, et cette logique ne les incite pas à agir. Dans la balance également, c'est le rôle des personnes impliquées. Si la victime est une stagiaire et que l'agresseur occupe une fonction difficile à remplacer sur le tournage, certains employeurs, de manière décomplexée, affirment qu'ils ne renverront pas quelqu'un dont ils ont besoin pour une stagiaire. Ces propos cyniques sont parfois entendus lors des formations.
J'avais noté un chiffre, pertinent à mon sens, 20 %. Il y a une surreprésentation des saisines des fonctionnaires, ce qui pourrait laisser penser qu'il y a davantage de violences sexistes et sexuelles dans la fonction publique. Cependant, ne serait-ce pas plutôt parce que les fonctionnaires bénéficient d'une protection particulière et ne se retrouvent pas en situation de précarité totale après avoir dénoncé ces violences ? Cela pourrait expliquer pourquoi il y a plus de saisines dans ce secteur. En réalité, nous observons que, d'un côté, vous avez évoqué l'exemple de la stagiaire face au réalisateur. Bien que caricatural, ce cas de figure existe bel et bien. La stagiaire se trouve en situation de précarité totale par rapport à l'autre personne. Ne serait-ce pas une explication de ce chiffre et une piste de réflexion sur le lien hiérarchique dans le monde du cinéma, ainsi que sur la précarité de certaines personnalités y travaillant ?
Je ne saurais expliquer cette surreprésentation. Il est important de relativiser les protections spécifiques au secteur public, car le dispositif de protection fonctionnelle est très méconnu par de nombreux fonctionnaires. Ceux qui nous saisissent ne sont pas toujours informés. Il est fréquent que l'AVFT doive fournir toutes les informations sur la protection fonctionnelle, car les victimes n'en ont pas connaissance. Il faut relativiser l'idée selon laquelle elles seraient mieux protégées, car encore faut-il avoir toutes les informations nécessaires.
Concernant la précarité, les différences de statut et les rapports de pouvoir, nous sommes au cœur des violences sexistes et sexuelles. La précarité constitue un facteur de risque. De nombreux facteurs de risque existent dans les secteurs concernés par cette commission, notamment la cooptation et le réseautage. Ces éléments peuvent freiner les dénonciations et, selon la classe sociale de la victime, accentuer sa dépendance à une personne. Par exemple, si elle n'a pas fréquenté une école de cinéma ou n'a pas développé son réseau, elle dépendra plus facilement d'une seule personne. Une forte dépendance augmente les risques de violences sexuelles de la part des agresseurs. Souhaitez-vous que je continue sur les facteurs de risque ? L'AVFT a pu, par le biais des saisines dans ce secteur et à travers les formations, recueillir des témoignages. Voulez-vous que je fasse un point sur ces facteurs ?
Oui, bien sûr, c'est intéressant pour nous et aussi savoir de qui ils proviennent en priorité ces témoignages.
Si vous pouvez nous transmettre ces éléments, nous sommes preneurs, ainsi que tous les chiffres et statistiques dont votre association dispose.
Nous préparons un rapport détaillé, incluant des chiffres, sur les facteurs de risque dans ces secteurs. Nous identifierons des éléments communs ainsi que des spécificités propres à chaque secteur concerné. Un aspect central de ces métiers est le brouillage entre la sphère privée et professionnelle, qui se manifeste de plusieurs manières. Dès l'entrée dans ce milieu, par le biais des écoles, les directeurs organisent des soirées chez eux, invitant étudiants et étudiantes. Ces moments informels, tels que les soirées, les « after work » après les tournages, perdurent tout au long de la formation et même après, dans le cadre de ces emplois. Les soirées de fin de tournage, par exemple, sont propices aux violences sexuelles en raison de ce brouillage entre vie privée et vie professionnelle. Les rapports de pouvoir sont souvent gommés, avec des supérieurs hiérarchiques adoptant une attitude informelle, brouillant ainsi les fonctions de chacun. Cette proximité entre les individus engendre une tolérance accrue aux rapports de pouvoir, créant des familiarités qui favorisent l'omniprésence des affects. Dans le secteur de la création, les professionnels insistent sur l'importance de travailler les émotions et de laisser libre cours à celles-ci. Cela mélange ce qui devrait relever de la vie personnelle avec les exigences professionnelles. On entend souvent, dans le cinéma, que ce milieu fonctionne comme une grande famille, avec des schémas similaires à ceux observés dans les violences incestueuses, où une chape de plomb pèse sur les victimes. Cette même chape de plomb se retrouve dans la grande famille du cinéma.
L'absence de sanction entraîne une analyse erronée des violences, souvent perçues comme des conflits interpersonnels. Or, les violences sexuelles ne sont ni des conflits, ni des désagréments, ni des violences ordinaires. Les considérer sous l'angle du conflit interpersonnel brouille les pistes et empêche de lutter efficacement contre elles. Par ailleurs, une empathie excessive envers l'agresseur peut se développer, surtout s'il fait partie de la famille. Ce stéréotype du « non, il ne peut pas faire ça parce que je le connais, il est trop sympa » illustre bien ce phénomène. Dans les facteurs de risque, l'éloignement de l'employeur est également notable. En formation, de nombreuses personnes nous ont rapporté ne pas savoir qui est leur employeur sur place, notamment dans le spectacle vivant et le cinéma. Elles ne savent pas vers qui se tourner. Cette situation rend impossible pour l'employeur de contrôler les conditions et le temps de travail, les facteurs de risque et de les identifier. De plus, cela complique la tâche des travailleuses qui ne savent pas vers qui se tourner pour dénoncer les faits.
Sur ce constat, je suis en accord avec M. le président. Nous avons pu identifier les facteurs de risque que vous avez mentionnés. Pouvez-vous nous faire part de vos recommandations aujourd'hui, afin qu'elles puissent être intégrées dans le rapport de cette commission d'enquête ?
La première recommandation peut sembler évidente, mais il est essentiel de respecter le code du travail. Dans certains secteurs, on observe un exotisme du code du travail, avec l'idée que les artistes sont différents, que les choses ne se passent pas de la même manière dans le cinéma ou le spectacle vivant. Cette notion est souvent évoquée en formation, mais elle est présente dans tous les secteurs. Par exemple, dans la boulangerie, on ne dira pas nous sommes des artistes, mais nous nous levons à quatre heures du matin. Dans la marine marchande, on invoquera les traditions des marins. Chaque secteur possède ses spécificités, mais cela ne peut en aucun cas exonérer l'employeur de ses obligations. Sinon, nous aurions un code du travail qui exclurait certains secteurs, ce qui est inconcevable. La première recommandation consiste donc à respecter le code du travail. Ce dernier impose à l'employeur d'identifier les facteurs de risque et de les atténuer, voire de les supprimer lorsque c'est possible. Cette identification est une composante essentielle du travail de prévention. Or, on constate un manque de prévention suffisante de la part des employeurs, notamment dans les secteurs évoqués. Il est donc recommandé de s'intéresser spécifiquement à ces facteurs de risque, de les identifier et de répondre aux particularités qu'ils engendrent.
En effet, des spécificités existent, comme les contrats très courts avec des horaires décalés, parfois de quelques jours seulement, sur des petits tournages, etc. Nous devons impérativement répondre à ce problème. Une solution possible réside dans les accords interprofessionnels, comme cela a été mis en place dans le secteur du spectacle vivant. Par exemple, un système de coresponsabilité entre les différentes structures a été instauré. Lorsqu'une personne travaille dans une structure mais que son contrat de travail est avec une autre, ce qui est fréquent dans ce milieu, un accord interprofessionnel consacre cette idée de coresponsabilité pour mener les enquêtes nécessaires. Ce modèle pourrait être étendu et développé dans d'autres secteurs.
La question de la coresponsabilité est intéressante, notamment dans le cadre des accords professionnels. Il est essentiel que ces accords soient respectés. En effet, lorsque deux personnes partagent une responsabilité, il arrive parfois qu'aucune ne l'assume pleinement. Comment pourrions-nous encadrer cette situation ? Il est important de rappeler que, même en présence d'un accord, le droit du travail prévaut. La norme supérieure s'applique, et si les deux coresponsables manquent à leurs obligations, la responsabilité ultime revient à l'employeur, celui qui établit les fiches de paie. La véritable question est de savoir si le code du travail est adapté au secteur du cinéma, du spectacle vivant et de l'audiovisuel, où des délégations de responsabilité sont fréquentes. Est-il suffisant de rappeler aux producteurs, en tant qu'employeurs, leurs responsabilités ? Ou bien est-il nécessaire que la représentation nationale et l'exécutif envisagent une évolution du droit du travail sur ces questions, que ce soit par la loi ou par le règlement ?
La question de la coresponsabilité ne se limite pas à certains secteurs spécifiques, mais peut également s'appliquer à d'autres domaines. Par exemple, dans les secteurs du ménage et du transport, où la sous-traitance est très répandue, la coresponsabilité revêt une importance particulière. Nous observons en effet, fréquemment dans nos dossiers, que chaque partie tente de se décharger de ses responsabilités sur l'autre. Ainsi, comme vous l'avez mentionné, nous avons souvent affaire à deux structures qui ne respectent pas leurs obligations et se renvoient la balle mutuellement. Il est donc nécessaire de réfléchir à une évolution pour mieux répondre à cette problématique.
Mme Coisnard, votre intervention est particulièrement intéressante car elle replace les violences dans le contexte du droit du travail. Ma question sera à la fois simple et complexe. Actuellement, nous travaillons au sein de la délégation des droits des femmes sur la nouvelle définition du viol, en intégrant la notion de consentement. Aujourd'hui, la définition légale du viol repose sur la présence de violence, menace, surprise et contrainte. Je souhaite m'arrêter un instant sur la notion de contrainte.
En 2019, on dénombre environ 62 000 victimes de viols en France, et 32 000 victimes de tentatives de viol, soit un total d'environ 100 000 victimes, dont seulement 10 % portent plainte. Parmi ces plaintes, quel est le pourcentage de viols survenant dans un milieu professionnel, c'est-à-dire sur le lieu de travail ? La raison pour laquelle j'aborde ce point est la suivante : lorsqu'une victime doit prouver à la justice que le présumé auteur a commis un viol en raison de la subordination de la victime, qui n'a pas consenti mais s'est parfois laissée faire, c'est à la victime ou au procureur de fournir cette preuve. Ce qui pourrait être intéressant à l'avenir, c'est d'introduire la notion de consentement, en plaçant l'auteur des faits au centre du processus, en lui demandant s'il a effectivement perçu un consentement libre de la part de la victime. Il semble que nous n'avançons pas rapidement sur ce sujet. En effet, la convention d'Istanbul de 2011, ou peut-être la version de 2014, stipule clairement que le consentement doit être éclairé et libre, c'est-à-dire sans aucune contrainte, y compris hiérarchique. Ma question est donc la suivante disposez-vous de statistiques sur le pourcentage de victimes de viol dans le milieu professionnel ?
La délégation relative aux droits des femmes a une mission importante, menée conjointement par la présidente Véronique Riotton et la députée Marie-Charlotte Garin. Nous n'aborderons pas immédiatement la question des viols, car bien que ce sujet soit lié à notre audition, il pourrait nous entraîner dans une discussion prolongée. Toutefois, il est essentiel de connaître les statistiques, notamment le nombre de viols et de tentatives de viol dans le monde du travail.
Je vais vous fournir une réponse très condensée. En termes de chiffres, je n'ai malheureusement pas apporté de données précises avec moi. Toutefois, je peux vous parler des violences sexuelles au travail, y compris les viols. Le mouvement #MeToo, bien que majoritairement centré sur le milieu professionnel, à part # Metoo inceste. On a ainsi vu émerger des déclinaisons telles que # MeToo stand-up, # MeToo Théâtre, et #MeToo avocat, qui concernent toutes des secteurs professionnels. # MeToo a révélé la visibilité des violences sexuelles spécifiquement dans le cadre du travail. Même en l'absence de chiffres précis, il est évident que ces violences ont une ampleur significative. Le milieu professionnel est peut-être, après la famille, l'un des espaces les plus propices aux violences sexistes et sexuelles. C'est un sujet largement ignoré aujourd'hui, comme en témoignent la réponse du gouvernement aux associations féministes et l'organisation de son plan de lutte contre les violences faites aux femmes. Les violences sexistes et sexuelles au travail ne semblent pas être une priorité pour le gouvernement actuel.
Je souhaite clarifier la définition du viol, car je pense que cela vous intéressera. L'AVFT travaille actuellement sur cette définition et prévoit de publier prochainement des articles et de la documentation à ce sujet. Ces publications devraient répondre à vos interrogations.
Pour recentrer sur le périmètre de notre commission d'enquête, quel est votre avis sur la cellule d'écoute créée par le ministère de la culture et gérée par le groupe Audiens ? Au fil des auditions, nous avons peut-être eu l'impression qu'elle n'était pas très connue. Nous ignorons si ce réflexe de faire appel à cette cellule est effectivement présent. Lors des formations, vous a-t-on parlé de cette cellule ? Avez-vous eu des retours sur les personnes vers qui les victimes peuvent se tourner ? Qu'est-ce qui manque pour que l'on puisse identifier un interlocuteur privilégié ? En effet, les tournages sont souvent très courts, et les intervenants y participent parfois de manière très ponctuelle. Ils ne savent pas toujours à qui s'adresser ni, en réalité, qui est leur employeur.
Avoir un interlocuteur privilégié par le biais d'une cellule d'écoute est important. Cependant, il m'est difficile de répondre précisément à cette question. En effet, tout ce que l'AVFT exprime, que ce soit dans ce cadre ou lors des formations, provient directement de notre travail de terrain. Or, nous n'avons pas recueilli beaucoup d'informations sur Audiens dans ce contexte. Nous ne disposons pas d'une vision suffisante du travail effectué par Audiens pour pouvoir vous répondre de manière exhaustive. Je peux néanmoins partager une information, bien que celle-ci doive être prise avec précaution. Dans nos dossiers, nous avons constaté que certaines victimes avaient d'abord contacté Audiens avant de se tourner vers nous. Ces dernières n'ont pas toujours été correctement orientées ni informées de manière adéquate. Parfois, elles ont été dirigées vers des avocats spécialisés en défense pénale, habitués à défendre des agresseurs. À l'AVFT, nous estimons que ces avocats sont incompétents pour défendre les intérêts des victimes. Les défendre nécessite que leurs intérêts soient la priorité absolue. Un avocat habitué à analyser des indices pour défendre un agresseur ne les analysera pas de la même manière lorsqu'il s'agit de défendre une victime. Ainsi, ce choix d'accompagnement n'est pas approprié. Toutefois, comme je l'ai mentionné, cette information nous a été remontée de manière sporadique et doit donc être interprétée avec prudence.
Les avocats sont soumis à un cadre déontologique strict. Ils savent défendre aussi bien une victime qu'un auteur. Parfois, avoir défendu l'un peut aider à défendre l'autre. Cela peut sembler cruel, mais leur priorité est de s'occuper de leurs clients. Si le client est une victime, ils s'en chargeront ou refuseront le dossier. Si vous pensez qu'il est impossible d'avoir des avocats spécialisés en droit pénal pour les auteurs et d'autres pour les victimes, je ne crois pas que cela soit envisageable.
Je me permets de répondre car nous l'observons en réalité. Parfois, des victimes nous contactent alors qu'elles ont déjà un avocat ou une avocate avec qui elles ont entamé des démarches. Ces victimes sont souvent mal conseillées, notamment lorsque leur avocat a une expérience en défense pénale. En effet, lorsque l'on a l'habitude de mobiliser des arguments pour défendre des agresseurs, on tend à utiliser les mêmes arguments et à véhiculer les mêmes stéréotypes, même lorsqu'il s'agit de défendre les intérêts des victimes. Cela pose un véritable problème.
En matière de déontologie, les avocats jouissent d'une grande liberté quant au choix des personnes qu'ils représentent. Ils peuvent décider de se consacrer exclusivement à la défense des victimes ou, au contraire, à celle des accusés. Cette liberté ne pose pas de problème déontologique particulier. Toutefois, cela nécessite de constituer un réseau d'avocats avec lesquels collaborer. C'est précisément ce que réalise l'AVFT. Nous disposons d'un réseau de professionnels spécialisés dans la défense des intérêts des victimes. Cette spécialisation permet, entre autres, de créer un lien de confiance avec les victimes que nous accompagnons. En effet, avoir des avocats spécialisés dans cet accompagnement et dans la compréhension des traumatismes subis par les victimes est essentiel. Il est donc primordial de choisir avec soin la personne qui représentera la victime.
Est-ce que vous pouvez nous faire, en conclusion, votre bilan sur la conditionnalité des aides.
La conditionnalité des aides publiques à la formation sur les violences sexistes et sexuelles est effectivement une initiative louable. Il était nécessaire de la mettre en place, et il est positif qu'elle soit désormais en vigueur. Cependant, cette mesure demeure insuffisante. Il est crucial de comprendre qu'une formation ne constitue pas une garantie absolue. À l'issue de celle-ci, rien n'assure que toutes les actions nécessaires pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles seront effectivement mises en œuvre. Bien que ce soit une avancée, cela reste limité. De plus, cette situation peut nous placer dans une position de caution. Il est essentiel de garder cela à l'esprit, car nous pouvons être sollicités par des personnes qui nous contactent pour des formations en raison des subventions et des aides publiques imminentes. Elles nous demandent d'intervenir avant une certaine date pour bénéficier de ces aides. Or, ce n'est pas la bonne motivation pour suivre une formation sur les violences sexistes et sexuelles.
En Californie, une formation obligatoire est en place, partiellement validée par un examen sous forme de quiz. Actuellement, nos formations ne comportent pas d'examen ; elles consistent simplement en une session de formation, à l'issue de laquelle on obtient une attestation. En Californie, il semble que cette formation se déroule en visioconférence, suivie d'un examen assez long, nécessitant de répondre à un certain nombre de questions. À ce jour, nous n'avons pas mis en place un tel système.
On n'a pas cela et on n'a pas vocation à le faire. L'exemple que vous prenez quand vous parlez de formation en visio, c'est du e-learning. Nous, on estime que les violences sexuelles, ce n'est pas une compétence.
Aux États-Unis, il y a une formation physique dans l'État de Californie. Ensuite, il y a une formation de validation de la bonne compréhension de la formation via du e-learning.
Lutter contre les violences sexuelles ne relève pas d'une compétence que l'on pourrait acquérir comme on apprendrait à utiliser un logiciel tel que Microsoft. Contrairement à des formations techniques permettant de développer des compétences spécifiques, il n'existe pas de montée en compétence pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles. Il est erroné de penser que l'on peut répondre à cette problématique par un simple quiz certifiant la capacité d'une personne à lutter contre ces violences. En réalité, il s'agit avant tout d'une responsabilité collective. On ne peut donc pas répondre à une responsabilité collective par une montée en compétence individuelle.
Le référent harcèlement, bien qu'il soit censé être la première personne vers laquelle les victimes se tournent, n'est souvent pas sollicité. Cette situation découle principalement de son manque de formation et de son absence d'indépendance. Quelles sont vos recommandations à ce sujet ?
Le rôle de référent ou référente en matière de harcèlement sexuel pose un premier problème, il repose sur un individu une responsabilité qui devrait être collective. Plutôt que de former l'ensemble du collectif de travail à identifier les violences sexuelles et à mobiliser les outils adéquats pour les combattre, on forme une seule personne, quand elle l'est effectivement. Cela réduit les possibilités pour les victimes de dénoncer les faits et d'accéder aux informations et aux outils nécessaires. Il est également important de noter que, dans ces secteurs, la personne nommée référente peut avoir des liens préexistants avec les autres membres du personnel. Par exemple, dans des secteurs où les frontières entre vie privée et vie professionnelle sont floues, cette familiarité peut dissuader les victimes de se tourner vers le référent ou la référente.
De plus, le référent en matière de harcèlement sexuel peut être un homme, ce qui peut poser un véritable problème pour les victimes. Elles peuvent éprouver des difficultés à se confier à un homme, et cela peut même être utilisé comme une stratégie par les agresseurs. En effet, être nommé référent en matière de harcèlement sexuel peut offrir une couverture parfaite pour commettre des violences sexuelles ou s'en protéger. L'étiquette de référent permettrait à un agresseur potentiel de déclarer : « Je n'ai pas pu commettre ces violences, je suis référent en matière de harcèlement sexuel. » Lorsqu'il ne s'agit pas directement d'agresseurs nommés référents au harcèlement sexuel, ce sont parfois des complices, des hommes partageant la même idéologie et ayant tout intérêt à maintenir le statu quo, empêchant ainsi la dénonciation des victimes.
La conclusion concernant le rôle de référent au harcèlement sexuel est que le rendre obligatoire était effectivement une bonne initiative. Toutefois, il est inacceptable que cette fonction soit assurée par une seule personne. Il est impératif de multiplier le nombre de référents au harcèlement sexuel. Au lieu d'avoir un seul référent ou une seule référente, il faudrait en avoir quatre ou cinq, autant que possible, afin de diversifier les voix des victimes et leur offrir plusieurs possibilités pour dénoncer les violences. Il est essentiel que cette possibilité soit accessible dans tous les lieux où les victimes doivent dénoncer des violences.
Je comprends votre préoccupation concernant les situations où une personne, qu'elle soit homme ou femme, pourrait être agressée. Bien que les cas d'agression envers les hommes soient moins fréquents, ils existent néanmoins. Dans ce contexte, recommanderiez-vous la présence d'un binôme homme-femme pour chaque situation ? Ou bien estimez-vous qu'un binôme ne suffirait pas à garantir une prise en charge adéquate ?
Un binôme ne répondrait pas à ce que j'expliquais sur l'individualisation. Il est essentiel de multiplier les possibilités pour les victimes de saisir plusieurs personnes. C'est vraiment important. Concernant l'inversion que vous avez mentionnée, je ne peux pas vous rejoindre sur ce point. En effet, ce n'est pas ce que nous observons. Nous sommes saisis de manière écrasante par des victimes femmes. Les hommes victimes de violences sexistes et sexuelles existent, mais ils restent une minorité. Nous ne pouvons donc pas élaborer toutes les dispositions en réponse à cette réalité en nous fondant sur cette exception. Ensuite, même lorsque des hommes subissent des violences sexistes et sexuelles, le fait que ce soit un homme ou une femme qui recueille leur récit et leur fournisse des outils ne présente évidemment pas les mêmes obstacles.
Je comprends parfaitement que pour une femme victime, aborder ces sujets avec un homme peut s'avérer extrêmement difficile, voire généralement impossible, à moins qu'elle n'ait une confiance totale en cette personne pour une autre raison. La question des références est également pertinente. Les tiers de confiance, en étant plus nombreux, peuvent certainement aider. Je partage entièrement votre avis sur la complexité de la situation. En effet, dans les faits, le phénomène miroir est réel et peut poser des difficultés. Il est vrai que les violences faites aux hommes sont moins fréquentes, mais elles existent et ne doivent pas être négligées. C'est pourquoi je tenais à le signaler. Il serait inapproprié de n'avoir que des référentes féminines dans ces cas-là, mais je ne crois pas que ce soit ce que vous avez suggéré.
Non, pardon, je ne rejoins pas sur l'analyse que vous faites sur l'effet miroir que ça pourrait avoir.
C'est-à-dire que pour un homme qui aurait été victime, même s'ils sont peu nombreux, vous pensez que pour un homme, ça n'a pas de difficulté d'aller voir un référent qui serait une femme ?
Je ne crois pas que ce soit pertinent, mais cela reste une hypothèse, car, comme je vous l'ai dit, nous avons si peu de saisines par des hommes que je ne vois pas l'intérêt de l'AVFT de chercher une réponse à cette question aussi précise, alors qu'elle est anecdotique dans la manière dont nous percevons les violences, en fait de ce que nous constatons dans nos dossiers. J'aimerais également founir des précisions sur les référents en matière de harcèlement sexuel.
Je parlais de l'individualisation de ce problème. Il existe également un véritable problème de formation chez les personnes-ressources, c'est-à-dire toutes celles que les victimes vont rencontrer dans le cadre de leurs démarches. Cela inclut l'inspection du travail, la médecine du travail, les syndicats. En réalité, il y a un problème sérieux de formation. Par exemple, de la part de la médecine du travail, on observe une réticence importante à qualifier les faits, et la détection des violences n'est pas systématique. Ce que je dis à propos de la médecine du travail s'étend d'ailleurs à l'ensemble du personnel soignant. Concernant l'inspection du travail, on constate un manque de moyens qui entraîne parfois l'absence d'enquête, ou des enquêtes où les faits ne sont pas qualifiés. Parfois, l'interprétation des indices est biaisée parce qu'il n'y en a pas une compréhension adéquate, tant du point de vue du droit du travail que de l'analyse nécessaire. De plus, il existe des biais sexistes, car les inspecteurs et inspectrices du travail évoluent dans la même société que nous, avec les mêmes préjugés sexistes que nous tous. Il est évident que la manière dont les faits sont observés et analysés dépend fortement de la formation reçue. Actuellement, nous constatons que l'inspection du travail n'est pas spécifiquement formée sur ces sujets.
Je fais référence aux personnes-ressources, car leur formation multiplie les possibilités pour les victimes. En cas de défaillance du référent ou de la référente harcèlement sexuel, les victimes peuvent se tourner vers d'autres outils. Cependant, si l'inspection du travail et la médecine du travail ne répondent pas à ces besoins, les victimes se retrouvent sans soutien. Il est impératif de répondre à ce besoin crucial de formation des personnes-ressources. L'AVFT est tout à fait disposée à s'engager dans ce domaine. Nous souhaitons que cette formation soit intégrée au cursus des professionnels de la médecine du travail et de l'inspection du travail.
Je vous remercie pour cette proposition intéressante. Il est essentiel que tous les jeunes hommes et femmes qui travaillent dans le cinéma reçoivent une formation dès leur cursus universitaire ou leur école. Cela nous semblerait encore plus bénéfique qu'une formation en rattrapage durant leur vie professionnelle. Cependant, les deux approches étant complémentaires, il est impératif d'assurer au moins la première. Je pense que nous avons couvert l'ensemble de vos questions. Nous attendons avec intérêt le rapport dont vous nous avez parlé, ainsi que les statistiques disponibles et également des propositions concrètes que vous pourriez formuler. J'imagine que votre rapport sera riche en contenu. Je tiens à vous remercier sincèrement pour vos propos et pour le travail remarquable que votre association accomplit depuis de nombreuses années.
Je souhaite aborder la situation des associations féministes de terrain, notamment celles qui accompagnent les victimes de violences faites aux femmes, qu'elles soient sexuelles ou non. Ce travail d'accompagnement repose principalement sur nous, car les politiques publiques actuelles ne répondent pas à la réalité des violences sexuelles. Nous rencontrons des obstacles constants pour obtenir des subventions, dont l'accès devient de plus en plus difficile. Beaucoup de financements fonctionnent par appels à projets, alors que nous avons besoin de fonds pour notre fonctionnement. Il est impossible de se contenter d'appels à projets pour l'accompagnement des victimes. Les failles observées dans le système et les difficultés rencontrées par les victimes ne trouvent de réponse aujourd'hui que grâce aux associations féministes, qui manquent cruellement de moyens financiers. Il est impératif de fournir les ressources nécessaires à ces associations pour qu'elles puissent continuer leur travail. Je prends l'exemple de l'association AVFT, où je travaille. Nous recevons un nombre croissant de saisines. En 2024, nous avons enregistré onze nouvelles saisines par semaine, tous domaines professionnels et secteurs confondus. Nous avons également des dossiers en cours, avec des procédures qui durent parfois depuis des années. Pour soutenir cette charge de travail, des financements sont indispensables. Actuellement, nous sommes une équipe de six personnes, et il est impossible de répondre à ce nombre de saisines nationales sans un soutien financier adéquat. Les subventions aux associations féministes sont essentielles pour le travail que nous accomplissons.
Le message est transmis. J'espère que vous nous le réécrirez dans vos propositions. Merci beaucoup.
La séance s'achève à dix-neuf heures cinq.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Fatiha Keloua Hachi, Mme Francesca Pasquini
Excusée. – Mme Josy Poueyto