Intervention de Tiffany Coisnard

Réunion du lundi 3 juin 2024 à 14h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l'AVFT :

Plusieurs pays de l'Union européenne ont choisi d'introduire le terme consentement ou absence de consentement dans leur législation définissant le viol. En France, cette question est actuellement débattue, notamment sur les conséquences de l'introduction d'un tel terme dans notre législation. Par exemple, la Suède a déjà adopté cette approche. La convention d'Istanbul précise également la nécessité d'introduire la notion de volonté libre et éclairée, en tenant compte des circonstances entourant l'acte de viol, afin de déterminer dans quelles conditions le consentement a été donné ou non. En France, nous ne procédons pas ainsi actuellement. La définition du viol en France repose sur le mode opératoire, c'est-à-dire la recherche de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise. Ces quatre termes définissent les conditions dans lesquelles l'acte a été commis. Ainsi, les actes sexuels commis sans violence, menace, contrainte ou surprise ne sont pas considérés comme des viols selon notre législation. Cela implique une présomption de consentement, présumant d'abord que les femmes sont consentantes, ce qui pose un premier problème.

Ensuite, le terme « contrainte » recouvre plusieurs aspects, contrainte morale et contrainte physique. Dans les dossiers traités par l'AVFT, la contrainte physique est rarement mobilisée. En revanche, la contrainte économique, souvent liée au contrat de travail, est prédominante. Lorsqu'une victime subit des violences sexuelles sur son lieu de travail, la contrainte économique est forte, car le contrat de travail est en jeu. Parfois, la contrainte administrative intervient également, notamment lorsque le titre de séjour de la victime dépend de son emploi. Cette situation crée une pression intense pour la victime, qui ne peut se permettre de perdre son emploi. Dans certains secteurs, perdre son emploi signifie aussi perdre son métier, ce qui constitue une contrainte supplémentaire. Dans certains secteurs, il sera impossible de continuer à exercer ce métier, car les mêmes problèmes et acteurs se retrouvent ailleurs. Cela nous contraint à une réorientation complète, entraînant une véritable perte de carrière.

Dans les secteurs concernés par cette commission, on observe beaucoup de réseautage et de relations familières. Dénoncer les faits peut parfois signifier perdre ses amis. Cet environnement crée la contrainte, non pas le violeur lui-même. Il n'a pas besoin de générer cette contrainte, il se contente de s'appuyer sur celle déjà présente dans le contexte de travail. Ce texte pose un réel problème de définition, car il entrave la qualification des viols. On nous indique, par exemple dans des ordonnances de non-lieu, que les violeurs n'ont pas mobilisé la contrainte. Or, ils n'ont pas à le faire, puisque la contrainte découle du contrat de travail et d'un environnement coercitif. Le violeur n'a donc pas besoin de mobiliser cette contrainte. Nous faisons face à une définition qui ne correspond pas à la réalité des violences sexuelles et qui empêche les victimes d'être reconnues et d'obtenir réparation. Il est crucial d'ouvrir des débats en France sur la définition du viol.

Concernant la deuxième question sur la preuve, je ne peux pas répondre spécifiquement en matière de droit européen. Cependant, je peux évoquer la directive de 1997 relative à la charge de la preuve, qui a introduit le principe d'aménagement de la charge de la preuve en France, et qui demeure le régime actuel. Dans les procédures sociales, le régime de la preuve est aménagé de manière à partager la charge de la preuve. La victime doit apporter des éléments qui, sans établir de manière définitive qu'elle a été victime, laissent présumer qu'elle a subi du harcèlement sexuel ou d'autres violences sexuelles. Ensuite, il incombe à l'employeur de répondre à ce faisceau d'indices en démontrant qu'il s'agit d'autre chose que du harcèlement sexuel, et donc de fournir des éléments prouvant cette autre réalité.

Cet aménagement est favorable et nécessaire en France pour adapter le régime de la preuve à la réalité des violences sexuelles. En effet, en matière de violences sexuelles, comme le reconnaissent plusieurs jurisprudences, la preuve résulte souvent d'un faisceau d'indices. Cependant, cette preuve peut être difficile à obtenir, car les violences sexuelles sont souvent commises dans des contextes d'isolement, rendant les témoignages directs rares. Il est donc essentiel que l'analyse de la preuve et les attentes en matière de preuve reflètent cette réalité. L'aménagement de la charge de la preuve répond précisément à cette nécessité. Malgré l'antériorité de ce régime, nous faisons régulièrement face à des conseillers prud'homaux qui ignorent cet aménagement et refusent de l'appliquer. Cela constitue un nouvel obstacle pour les victimes.

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