Intervention de Tiffany Coisnard

Réunion du lundi 3 juin 2024 à 14h30
Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Tiffany Coisnard, juriste chargée de mission à l'AVFT :

Nous préparons un rapport détaillé, incluant des chiffres, sur les facteurs de risque dans ces secteurs. Nous identifierons des éléments communs ainsi que des spécificités propres à chaque secteur concerné. Un aspect central de ces métiers est le brouillage entre la sphère privée et professionnelle, qui se manifeste de plusieurs manières. Dès l'entrée dans ce milieu, par le biais des écoles, les directeurs organisent des soirées chez eux, invitant étudiants et étudiantes. Ces moments informels, tels que les soirées, les « after work » après les tournages, perdurent tout au long de la formation et même après, dans le cadre de ces emplois. Les soirées de fin de tournage, par exemple, sont propices aux violences sexuelles en raison de ce brouillage entre vie privée et vie professionnelle. Les rapports de pouvoir sont souvent gommés, avec des supérieurs hiérarchiques adoptant une attitude informelle, brouillant ainsi les fonctions de chacun. Cette proximité entre les individus engendre une tolérance accrue aux rapports de pouvoir, créant des familiarités qui favorisent l'omniprésence des affects. Dans le secteur de la création, les professionnels insistent sur l'importance de travailler les émotions et de laisser libre cours à celles-ci. Cela mélange ce qui devrait relever de la vie personnelle avec les exigences professionnelles. On entend souvent, dans le cinéma, que ce milieu fonctionne comme une grande famille, avec des schémas similaires à ceux observés dans les violences incestueuses, où une chape de plomb pèse sur les victimes. Cette même chape de plomb se retrouve dans la grande famille du cinéma.

L'absence de sanction entraîne une analyse erronée des violences, souvent perçues comme des conflits interpersonnels. Or, les violences sexuelles ne sont ni des conflits, ni des désagréments, ni des violences ordinaires. Les considérer sous l'angle du conflit interpersonnel brouille les pistes et empêche de lutter efficacement contre elles. Par ailleurs, une empathie excessive envers l'agresseur peut se développer, surtout s'il fait partie de la famille. Ce stéréotype du « non, il ne peut pas faire ça parce que je le connais, il est trop sympa » illustre bien ce phénomène. Dans les facteurs de risque, l'éloignement de l'employeur est également notable. En formation, de nombreuses personnes nous ont rapporté ne pas savoir qui est leur employeur sur place, notamment dans le spectacle vivant et le cinéma. Elles ne savent pas vers qui se tourner. Cette situation rend impossible pour l'employeur de contrôler les conditions et le temps de travail, les facteurs de risque et de les identifier. De plus, cela complique la tâche des travailleuses qui ne savent pas vers qui se tourner pour dénoncer les faits.

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