La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.
La mission d'information auditionne le Général Joseph Dupré La Tour, commandant, et le Colonel Guillaume Trohel, chef d'état-major de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP)
Nous poursuivons nos travaux avec une nouvelle matinée d'auditions. Dans un premier temps, nous allons entendre deux représentants de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, la BSPP : le général Joseph Dupré La Tour, qui est le commandant de la brigade, et le colonel Guillaume Trohel, qui est son chef d'état-major.
Monsieur le général, monsieur le colonel, nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation à participer aujourd'hui aux travaux de notre mission d'information pour éclairer la représentation nationale.
La BSPP, force d'intervention essentielle dans notre capitale et sa périphérie, est une entité unique, en raison de son statut militaire et de son rôle majeur dans notre dispositif de sécurité civile.
L'objectif principal de nos échanges matinaux est de mieux comprendre le fonctionnement de la BSPP ainsi que ses spécificités, tout en vous entendant plus largement sur les grands enjeux de notre système de sécurité civile. La brigade, par sa particularité et son importance stratégique, offre sur ces sujets une perspective singulière qui sera utile à nos travaux.
Au préalable, je tiens à préciser que notre commission est composée de vingt-cinq députés représentant divers groupes politiques. Créée à l'initiative du groupe Horizons, elle a pour rapporteur le député Didier Lemaire. Cette audition est enregistrée et sera accessible sur le site internet de l'Assemblée nationale. Elle fera l'objet d'un compte rendu.
N'hésitez pas à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions, afin d'améliorer l'organisation de notre système de sécurité civile : il s'agit non seulement de comprendre l'organisation actuelle, mais aussi d'identifier les axes de progrès, de manière à mieux faire face aux futurs défis.
Comme l'a précisé Mme la présidente, mon groupe a effectivement déposé une demande de mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles.
Avant d'être député, j'ai été durant plus de trente ans sapeur-pompier, volontaire et professionnel, mais aussi élu local, en tant que premier adjoint au maire de ma ville. Au cours de cette expérience, j'ai été confronté à différentes crises, et en particulier à celle liée à l'épidémie de Covid-19, à partir de 2020.
Pourriez-vous, tout d'abord, nous présenter l'organisation et les missions de la BSPP ?
Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner et à vous faire part de ses réflexions sur la sécurité civile.
La BSPP a été créée par Napoléon Ier à la suite d'un événement tragique survenu en 1810 : lors d'un bal donné à l'occasion de ses fiançailles avec Marie-Louise d'Autriche, un feu se déclare, faisant des dizaines de victimes. Napoléon demande donc le lancement d'une commission d'enquête pour déterminer les causes de l'incendie. La commission d'enquête conclut à l'absence de quatre membres du corps des garde-pompes, alors dirigé par M. Ledoux. Elle pointe également l'absence de discipline, l'absence d'encadrement, l'absence de préparation opérationnelle (en d'autres termes, l'absence d'entraînement) et, enfin, l'absence de motivation.
Quelques mois après ce drame, en 1811, Napoléon décide de militariser le corps des sapeurs-pompiers. Celui-ci existe donc depuis 212 ans. À l'instar de mes prédécesseurs, je m'efforce d'œuvrer pour remédier à ces quatre manques et maintenir de la discipline, de la motivation, du temps de préparation opérationnelle et enfin un encadrement de qualité.
Six grandes caractéristiques définissent le fonctionnement de la brigade.
En premier lieu, la BSPP est bicentenaire. Au fil du temps, les centres de secours ont connu des évolutions architecturales. Ainsi, le secteur de l'Assemblée nationale est défendu par la 4e compagnie, qui possède deux centres de secours : une vieille caserne installée dans un ancien couvent, rue du vieux Colombier, dans le 6e arrondissement, et un centre de secours situé rue Ballard, dans le 7e arrondissement, construit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Ces changements reflètent l'évolution des risques : face à l'agrandissement de Paris, les colonels dirigeant le bataillon puis le régiment ont immédiatement compris, avec leur préfet de police respectif, qu'il fallait s'approcher au plus près du risque. Dans notre métier d'urgence, le temps est un facteur clé de succès. C'est la raison pour laquelle des postes, puis des centres de secours, ont été bâtis progressivement, en forme d'escargot. Lorsque la brigade a pris en charge les départements de la petite couronne, dans les années 1960, des centres de secours encore plus modernes ont été construits.
La BSPP a pour deuxième caractéristique majeure d'être une brigade militaire, ce qui lui confère un statut particulier. Elle est régie par une discipline et soumise à la neutralité politique (pas de droit de grève ni de droit de retrait). Nos équipes ont d'ailleurs assuré des milliers d'interventions dès l'émergence de l'épidémie de Covid-19, malgré les doutes planant sur la dangerosité de cette maladie. Par ailleurs, la BSPP mène des activités de réflexion tactique et de planification opérationnelle. Enfin, sa moyenne d'âge est jeune, puisqu'elle s'élève à 30 ans – et 27 ans pour celle des militaires du rang. Cette jeunesse est l'un des premiers traits distinctifs de la brigade par rapport aux services d'incendie et de secours (SIS). D'après un rapport de la Cour des comptes de 2017, la moyenne d'âge dans les SIS est légèrement supérieure à 40 ans.
Les sapeurs-pompiers de la brigade sont principalement employés en contrat à durée déterminée (CDD) de cinq ans. Cette jeunesse nous est nécessaire, non seulement pour ses aptitudes physiques, mais aussi parce qu'elle nous amène à nous remettre continuellement en question. Nous nous devons de justifier nos décisions aux jeunes générations et de répondre à leurs interrogations. C'est un véritable défi intellectuel.
Par ailleurs, le taux d'encadrement à la BSPP est assez différent de celui que connaissent les sapeurs-pompiers professionnels. Il se compose de 5 % d'officiers, de 20 % de sous-officiers et de 75 % de militaires du rang. Ces derniers correspondent à peu près à la catégorie C, tandis que les sous-officiers sont rattachés à la catégorie B et les officiers à la catégorie A.
La BSPP est au service de la nation et défend les « intérêts supérieurs de la nation », pour reprendre l'expression du code de la défense. Dans la mesure où Paris concentre un certain nombre de risques propres à la nation, il est normal que la sécurité civile y soit assurée par des militaires.
J'en viens à la troisième caractéristique de la brigade, qui est une autre différence par rapport aux sapeurs-pompiers professionnels : l'interdépartementalité. Depuis les années 1960, la BSPP est implantée à Paris et dans la petite couronne. Elle détient une taille critique, avec 8 600 sapeurs-pompiers d'active, plus de 800 réservistes et entre 200 et 250 volontaires en service civique (VSC). Lors des manifestations à Paris, les engins de banlieue sont mobilisés en renfort. En retour, les engins de Paris se déplacent en banlieue pour épauler leurs frères d'armes. La BSPP possède donc une capacité de renfort massif, qui a été notamment mise à contribution lors de l'incendie de Notre-Dame : en l'espace d'une demi-heure, plus de 400 sapeurs-pompiers étaient présents sur le site.
La quatrième caractéristique de la brigade tient à son intégration dans la préfecture de police, avec laquelle elle est en liaison étroite. Cette intégration se manifeste dès l'appel : lorsqu'une personne compose depuis Paris le 17, le 18 ou le 112, la communication est orientée vers la plateforme d'appel d'urgence commune opérée par la police et les pompiers. C'est un fonctionnement unique en France. La plateforme est basée dans le 17e arrondissement. Sur le terrain, les pompiers sont en contact avec les policiers et le général commandant la brigade est en contact quotidien avec tous les directeurs des services actifs et avec le préfet de police – par message ou téléphone. En 2022, la brigade a reçu en moyenne 4 000 appels par jour, qui ont entraîné 1 360 interventions par jour. Chaque minute, un véhicule de secours est envoyé sur le terrain. Plus de 80 % de ces interventions concernent du secours aux victimes : environ 25 000 accidents de circulation et 12 000 feux sont dénombrés chaque année ; ces chiffres sont relativement stables.
Le centre d'appels est en liaison avec un état-major opérationnel. Ce dernier est armé dès que les opérations montent en puissance. En cas de manifestations importantes, le Samu et les associations agréées de sécurité civile viennent renforcer le dispositif. La BSPP est donc habituée à travailler en interservices.
Notre brigade se définit aussi par une cinquième caractéristique : elle dispose d'une division santé importante, comprenant trois services médicaux et soixante-dix médecins. Nous pouvons ainsi intervenir rapidement auprès de nos sapeurs-pompiers ou armer des ambulances de réanimation pour participer à la couverture de l'agence régionale de santé (ARS), en lien avec nos camarades des différents Samu. Ce fonctionnement nous permet d'orienter nos véhicules de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) : lorsqu'un véhicule est envoyé en intervention, il rend compte à notre coordination médicale, qui le dirige vers l'hôpital adéquat en fonction de la pathologie prise en charge.
En outre, grâce à notre équipe de médecins, nous sommes en mesure d'armer rapidement des ambulances de réanimation supplémentaires. Lors des attentats du 13 novembre 2015, nous avons pu armer plus de 20 ambulances de réanimation en l'espace d'une heure, contre 7 en régime habituel. Nos médecins et nos infirmiers sont logés dans les casernes. C'est donc un atout majeur en cas de crise grave. Enfin, nous entretenons aussi des liens très forts avec les quatre Samu de Paris et de la petite couronne. À titre d'exemple, le chef de notre division Santé est un professeur de médecine, ce qui lui permet de traiter d'égal à égal avec les Samu.
Pour terminer, la BSPP dispose d'un espace de manœuvre exceptionnel, ce qui constitue sa sixième caractéristique. Sa zone de responsabilité s'étend sur 800 km2 : un périmètre relativement restreint, mais qui réunit tous les centres de décision politiques, législatifs, médiatiques et économiques. Plus de 200 ambassades et consulats sont situés dans cette zone, qui accueille aussi des millions de visiteurs. Chaque année, des événements de grande envergure sont organisés à Paris. Récemment, les six derniers matches de la coupe du monde de rugby se sont disputés au stade de France. Paris a aussi accueilli de multiples événements d'une portée internationale, tels que le centenaire de la Première guerre mondiale ou l'Euro 2016.
Paris est aussi le théâtre de grandes mutations urbaines, portées par des architectes de renommée mondiale, à l'instar de Jean Nouvel. Ces créations sont admirées par des millions de personnes. Cette zone de forte densité et enclavée est exposée à la fois aux risques urbains, aux risques de pandémie et aux risques climatiques. Au cours de l'été 2022, marqué par une très forte sécheresse, Paris a connu 600 départs de feu dans des espaces naturels, contre 150 en 2021. Grâce à nos 78 centres de secours, ces feux ont pu être éteints très rapidement.
Paris est aussi confrontée au risque social : ville de fêtes, c'est aussi le lieu de toutes les colères. C'est pourquoi nous avons acquis une solide expérience des manifestations (gilets jaunes, réforme des retraites de 2023 par exemple).
Vous avez évoqué la jeunesse des personnels employés à la BSPP. Celle-ci est-elle confrontée à des difficultés de recrutement, comme c'est le cas pour les services de police et de gendarmerie ?
Par ailleurs, les interventions d'ordre sanitaire représentent entre 80 et 90 %, selon les secteurs, du nombre total d'interventions. En est-il de même pour votre brigade ?
De plus, j'ai compris que la BSPP est autonome dans la gestion et l'orientation de ses moyens, ce qui évite l'interopérabilité avec le Samu. Pouvez-vous nous confirmer ce point ?
Enfin, j'aimerais connaître votre avis sur les capacités de la brigade en personnel, en matériel, mais aussi en budget. Quelle a été l'évolution de ces trois types de ressources au cours des dix dernières années ?
Notre population est en effet jeune, avec une moyenne d'âge globale de 30,5 ans. Parmi les militaires du rang, qui représentent 75 % de notre effectif, la moyenne d'âge est de 27 ans.
Le recrutement et la fidélisation constituent en effet deux préoccupations majeures pour la BSPP. Notre ambition est de recruter chaque année près de 1 200 jeunes, en raison du renouvellement élevé. Bon nombre des jeunes qui rejoignent la BSPP n'y restent pas. Ils intègrent ensuite les corps de sapeurs-pompiers départementaux.
Depuis deux ans, nous faisons face à un réel problème de recrutement. En 2022, nous n'avons recruté que 930 jeunes, au lieu des 1 000 attendus. Cette année, nous n'effectuerons que 1 050 recrutements, pour un objectif de 1 200.
Ces difficultés s'expliquent par plusieurs facteurs. Dans son enquête Les Français, l'effort et la fatigue, Jérôme Fourquet a demandé à un panel de 1 000 personnes d'indiquer les raisons pour lesquelles elles n'accepteraient pas un travail. Parmi la tranche des 18 à 25 ans, les principaux motifs évoqués étaient les suivants : trop d'efforts physiques, trop de stress, pas de télétravail. Il va de soi que le métier de sapeur-pompier ne répond pas à ces exigences. La génération Z pratique une certaine forme de chantage au télétravail auprès des recruteurs. À titre personnel, cette réalité me désespère quelque peu en ce qui concerne la générosité de notre jeunesse.
Un autre problème réside dans la perte d'attractivité de la région parisienne : où sont passés les Rastignac du XXIe siècle ? Les jeunes n'ont-ils plus envie de partir à la conquête de Paris ?
De plus, les jeunes ont tendance à vivre en couple bien plus tôt qu'il y a trente ans, et sont donc peu enclins à quitter leur commune ou leur département.
Se pose aussi la question de la fidélisation, à travers le renouvellement du premier contrat et les renouvellements ultérieurs. Après le renouvellement du premier contrat, le jeune est fidélisé et reste souvent cinq ans à la brigade. En revanche, il est difficile de garder les recrues après ce premier renouvellement. À ce propos, je tiens à appeler votre attention sur le concours de sapeur-pompier professionnel. En 2022, 800 jeunes ont passé ce concours, ce qui représente 10 % de l'effectif des sapeurs-pompiers de Paris. Sur les 500 lauréats, 350 ont déjà quitté la Brigade. Les 150 lauréats restants attendent de trouver une place dans leur département d'origine.
Le prochain concours aura lieu fin 2023. Près de 500 candidats y sont inscrits, et la plupart des lauréats voudront également quitter Paris pour rejoindre leur département. J'ai donc écrit à tous les patrons des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) pour leur demander de ne pas recruter de jeunes avant les Jeux olympiques. Le fait est que la BSPP a impérativement besoin de tout son personnel pour cet enjeu national.
Nous avons d'ailleurs souhaité instaurer une disposition empêchant les personnels recrutés, pendant les cinq années du premier contrat, de passer ce concours de la fonction publique. Malheureusement, il n'a pas été possible d'entériner cette règle.
Il est à noter que 30 % des sapeurs-pompiers de la BSPP sont des volontaires. Chaque année, entre 200 et 300 d'entre eux se reconvertissent en tant que professionnels. L'efficacité de la sécurité civile dépend du fonctionnement de la brigade. Or le recrutement et la fidélisation des jeunes constituent pour nous une problématique essentielle. L'ancienneté en service est de six ans, alors qu'elle devrait être de huit ans. Il est donc indispensable de parvenir à fidéliser les jeunes à l'institution à laquelle ils sont liés durant les cinq ans de leur premier contrat.
J'en viens à votre question sur les secours et soins d'urgence aux personnes (Ssuap). À ma connaissance, le taux de sollicitation de Ssuap à la BSPP est équivalent à celui constaté chez les sapeurs-pompiers territoriaux. Il se situe entre 80 et 84 %. Toutefois, il faut savoir que, parmi les 400 000 départs enregistrés chaque année, entre 60 000 et 100 000 ne sont pas des urgences. De fait, ces interventions ne nécessitaient pas l'envoi d'un véhicule franchissant les feux rouges, emportant trois professionnels très qualifiés et du matériel très coûteux et transportant les victimes aux urgences. C'est un sujet de fond.
En 2019, mes prédécesseurs ont passé un contrat de service avec le préfet de police, l'ARS et les Samu. Je constate que de réels progrès ont été accomplis. Les Samu ont plus de moyens. Lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), le ministre de la santé a indiqué qu'il avait augmenté les moyens des ARS pour leur permettre de déployer des ambulances supplémentaires en faisant appel aux associations de transports sanitaires d'urgence (Atsu). Ce service est moins coûteux, parce que les véhicules n'embarquent que deux personnes, mais il est soumis à un engagement moral d'intervention dans un délai de 20 à 30 minutes.
Il serait aussi souhaitable que les personnes prises en charge ne soient pas systématiquement emmenées aux urgences. Le passage d'un médecin de garde ou d'un infirmier permettrait de réorienter certains patients et de limiter le temps d'attente aux urgences. À Paris, nous avons la chance d'avoir de nombreux services d'accueil d'urgence. Les délais de prise en charge aux urgences y sont donc plus courts que dans d'autres secteurs. Nous disposons encore d'un solide maillage d'hôpitaux et de services d'accueil d'urgence qui sont ouverts en permanence.
Il existe en effet une interopérabilité entre la BSPP et le Samu. Lorsqu'une personne compose le 15, le Samu s'efforce d'apporter la réponse la mieux adaptée à la situation et d'orienter au mieux l'intéressé. Cependant, le Samu demande chaque jour l'intervention de 350 véhicules de service et d'assistance aux victimes (VSAV). Lorsqu'une personne compose le 18, ce sont nos opérateurs qui qualifient l'intervention et envoient si besoin un VSAV. Ils peuvent aussi diriger l'appel vers un opérateur du 15 tout en restant en ligne, sous forme de conférence à trois. Les deux dispositifs sont donc pleinement interopérables.
Enfin, pour ce qui est du budget de la BSPP sur les dix dernières années, je précise que le budget de 2013 s'élevait à 391 millions d'euros. Par comparaison, le budget alloué pour l'année 2023 représentait 505 millions d'euros, soit une hausse de 29 %. Cette progression, essentiellement liée à l'augmentation salutaire de 2023 (+ 9 %), résulte notamment de l'inflation et de l'accroissement des coûts de l'énergie. En 2022, nos dépenses d'électricité se montaient à 7,7 millions d'euros. En 2023, elles devraient atteindre 10,3 millions d'euros. Pour l'année 2024, nos coûts d'électricité sont estimés entre 11,5 et 12 millions d'euros. Cette évolution est d'autant plus frappante que, dans le même temps, notre consommation a diminué. En effet, j'ai lancé auprès de tous mes capitaines et colonels le défi de la compagnie la plus économe en énergie (eau, chauffage, gaz et électricité). Grâce à cette opération, nous sommes parvenus à réduire de 6 à 7 % notre consommation d'électricité dès 2023.
À cette hausse des prix de l'énergie s'ajoutent les coûts liés à la transition énergétique. Il faut savoir qu'un VSAV électrique coûte 170 000 euros, alors qu'un VSAV thermique est vendu à 100 000 euros.
Les pièces détachées subissent, elles aussi, une inflation importante (+16 %).
Enfin, il faut également tenir compte de l'augmentation de la masse salariale. Comme je vous l'ai expliqué, les militaires du rang représentent 75 % de notre effectif. Ils perçoivent de faibles salaires au regard de leur volume de travail. Ils travaillent en effet 3 040 heures par an, soit près du double des 35 heures par semaine, pour une rémunération mensuelle de 2 100 euros. En 2020, ils ne percevaient que 1 800 euros par mois. Cette revalorisation contribue à fidéliser ces personnels et les aide à supporter les coûts de l'inflation, autant de mesures qui renchérissent les coûts pour l'État et les contributeurs locaux.
En tout état de cause, le budget 2023 répondait précisément aux attentes de la brigade. De ce fait, nous n'avons pas eu besoin de mobiliser un complément de budget – y compris pour financer la revalorisation du point d'indice et la prime exceptionnelle versée dès septembre. Celle-ci a été attribuée à tous les personnels touchant un salaire de moins de 2 300 euros brut, soit 80 % des effectifs de la brigade.
Merci pour ces précisions.
Quel est le nombre d'associations agréées de sécurité civile avec lesquelles vous travaillez ? Collaborez-vous de manière régulière avec ces structures tout au long de l'année ?
Comme vous le savez, notre mission s'intéresse au modèle de protection et de sécurité civiles sur l'ensemble du territoire français, à la fois dans les milieux ruraux et les centres urbains, mais aussi dans les outre-mer. Or, je constate que les réponses diffèrent d'une zone à l'autre.
Nous avons des liens très étroits avec les associations agréées de sécurité civile, contrairement à nos camarades en région. Dès les années 1990, la brigade a déployé des VSAV avec les associations de sécurité civile et a été la première à les utiliser. En tant que jeune officier, les compagnies où je servais recevaient régulièrement en renfort des personnels associatifs, le vendredi et le samedi soir, pour des missions de VSAV. Ces associations comprenaient notamment la Croix-Rouge française, la Fédération nationale agréée de protection civile (FNPC), la Croix blanche et l'Ordre de Malte France.
Dans 90 % des cas, ces personnels associatifs intervenaient en première intention. En cas d'attentat ou d'agression armée, les pompiers partaient en premier. Nos liens avec les associations agréées de sécurité civile ont donc toujours été très forts. Ces dernières communiquent par nos canaux radios et rendent compte à notre coordination médicale. Chaque année, elles assurent près de 10 000 interventions. Leur contribution est tout à fait significative pour les sapeurs-pompiers de Paris.
Les associations agréées de sécurité civile sont aussi chargées des dispositifs prévisionnels de secours (DPS). Le 31 décembre et le 14 juillet, en particulier, elles déploient quelque 250 bénévoles, ainsi que des postes médicaux et des ambulances. Bien que coordonné par la BSPP, le dispositif de sécurité repose à 95 % sur des bénévoles et des associatifs. J'ai d'ailleurs eu la chance de présenter le dispositif à la Première ministre le 31 décembre 2022. Nous pouvons compter sur l'esprit de solidarité de nombreux Français prêts à porter secours à leurs concitoyens, alors qu'ils pourraient festoyer en famille.
La Fédération nationale de protection civile possède des moyens complémentaires, notamment des bateaux, qu'elle peut mettre à disposition lors de crises majeures.
Je mentionnerai un exemple marquant, qui illustre l'action des associations agréées de sécurité civile. Après la dramatique explosion de la rue Saint-Jacques, le 21 juin 2023, 150 personnes ont été prises en charge par des personnels associatifs dans un local du boulevard de Port-Royal, grâce à un dispositif armé par les associations agréées de sécurité civile.
J'ajouterai que nous comptons aussi beaucoup sur ces acteurs pour organiser les DPS à l'intérieur des emprises olympiques des sites lors des Jeux de 2024. Je sais que les associations agréées de sécurité civile répondront présentes, et leur aide permettra à la BSPP de centrer son action sur les lieux publics.
Nous n'aurons pas le temps d'approfondir tous les sujets, mais n'hésitez pas à nous transmettre votre contribution écrite.
J'aimerais connaître votre point de vue sur notre modèle de sécurité civile, notamment sur l'articulation entre les services d'incendie et de secours, les associations agréées et les citoyens.
Quand la brigade va bien, elle peut irriguer tout le dispositif de sécurité civile. Il est donc essentiel que l'État nous aide à maintenir nos effectifs, notamment en empêchant le passage du concours de sapeur-pompier professionnel dans les cinq ans suivant le recrutement à la BSPP.
En France, la sécurité civile est le fruit d'une succession de décisions historiques, dont celle, fondatrice, prise par Napoléon Ier. Si les situations sont hétérogènes à l'échelle de notre pays, c'est parce que les risques varient considérablement d'un territoire à l'autre. Si la présence de pompiers militaires se justifie à Paris, elle ne serait pas pertinente dans d'autres secteurs. L'organisation de la sécurité civile est donc adaptée aux risques de chaque secteur.
À mon sens, le volontariat constitue un point fort du dispositif de sécurité civile en France. À la BSPP, nous avons des réservistes, mais il est plus difficile de les fidéliser. Les volontaires attachés à leur commune sont l'incarnation de la France généreuse et la plus belle image de notre nation que la sécurité civile offre à nos concitoyens. Je suis heureux que le nouveau président de la FNSPF soit un sapeur-pompier volontaire : c'est un magnifique symbole. Je suis très attaché à la présence des bénévoles, qu'il s'agit de préserver par tous les moyens. Pour ma part, j'ai du mal à fidéliser les réservistes, mais cette difficulté est sans doute propre aux nouvelles générations. À ce propos, il est possible que le regroupement des centres de secours ait contribué à fragiliser le volontariat.
Je rappelle également que notre modèle de sécurité civile a été exporté dans certains pays d'Afrique. Nous avons formé 900 stagiaires africains en 2022. Il existe des écoles régionales à vocation nationale de sapeurs-pompiers dans plusieurs pays d'Afrique, dont une de grande importance à Ouagadougou. Nous avions donc l'habitude d'y envoyer régulièrement des formateurs pour former des sapeurs-pompiers.
Notre modèle de sécurité civile est performant et peut donc être exporté dans d'autres pays. Nous pouvons en être fiers. D'ailleurs, la BSPP a aussi des échanges avec le Chili, avec Singapour et avec le Japon.
La polyvalence entre le secours à victime et la lutte contre l'incendie est un enjeu essentiel. Je demande toujours à mes subordonnés de veiller à conserver cette polyvalence, car le secours à victime est l'école du commandement. Un jeune dirigeant une opération de secours à victime apprend à se repérer dans une ville embouteillée, en prenant des risques mesurés. Il apprend aussi à faire face à une situation inédite, car la situation réelle est toujours différente de la description transmise au 18. Il apprend également à tenir compte de l'environnement, à rendre compte, à demander des moyens et à donner des ordres. Cette expérience de secours à la victime est indispensable pour être un bon pompier face à un incendie. C'est une autre spécificité française. Par contraste, Londres dispose de deux services séparés : le London Homeland Security et le London Fire Brigade. En Israël, ces activités sont également opérées par deux entités différentes.
La polyvalence est une force pour notre modèle de sécurité civile, et nous devons tout faire pour la préserver. Cela implique de garder des gestes assez simples, et la technologie devrait nous y aider. Nous avons mis en place une fiche bilan électronique, l'e-FiBi, qui oriente les choix du secouriste en fonction des réponses aux questions posées.
D'après vous, la brigade de sapeurs-pompiers de Paris entretient des relations étroites avec les associations agréées de sécurité civile. Le dispositif semble à la fois performant et bien intégré. Cette situation est très différente de celles décrites par les acteurs d'autres zones géographiques. Malgré tout, estimez-vous qu'il existe des dysfonctionnements dans l'organisation actuelle ?
Je suis en contact avec quatre Samu, alors qu'il serait beaucoup plus simple de traiter avec une seule structure. Notre brigade est interdépartementale. Toutefois, le Samu de Paris remplit bien sa fonction de Samu zonal.
En prévision des Jeux olympiques, nous sommes convenus que le professeur Neys enverrait des équipes au centre opérationnel de la brigade pour la durée de cette manifestation. Nous aurons donc un assistant régulateur médical présent sur place, mais j'ignore si ce dernier sera envoyé par le Samu de Paris, par celui des Hauts-de-Seine ou par celui de la Seine-Saint-Denis.
Sur le plan des moyens comme des sollicitations, la situation de la BSPP est tout à fait favorable. Les contributeurs locaux, qu'il s'agisse de la ville de Paris, des trois départements ou des 123 communes du périmètre, nous témoignent une fidélité et un soutien indéfectibles. C'est une grande chance pour le général que je suis.
C'est aussi une chance pour moi d'être intégré aux effectifs de la préfecture de police. Je reçois ainsi par la direction régionale de la préfecture de police de Paris (DRPP) les informations sur l'ampleur et la nature des manifestations. En ce qui concerne la conduite de la manœuvre pendant la manifestation, nous sommes en lien avec la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). Grâce à ce contact, je suis en capacité d'évaluer les moyens à déployer sur les lieux.
J'ai bien noté les particularités de la BSPP, son mode de fonctionnement et ses relations avec ses différents partenaires (associations agréées de sécurité civile, Samu, SDIS). Je retiens cependant que même à Paris, vous comptez beaucoup sur le volontariat et sur l'engagement du citoyen.
Les réservistes ne sont pas bénévoles. Seules les personnes intervenant pour le compte des associations agréées de sécurité civile sont bénévoles.
Nous avons lancé une démarche intitulée « Le Bon Samaritain » : toute personne formée aux gestes de premiers secours est invitée à télécharger l'application Staying Alive. Elle accepte d'être géolocalisée et de recevoir un SMS pour délivrer les gestes de secours à une victime se trouvant dans son environnement immédiat. Chaque jour, entre deux et trois « Bons Samaritains » sont ainsi mobilisés, et dans un tiers des cas, ils arrivent sur les lieux avant les secours. Sur la plaque parisienne, 10 000 personnes sont inscrites à ce dispositif.
Un travail est en cours avec la mairie de Paris pour équiper toutes les mairies d'arrondissement de défibrillateurs géolocalisés et dotés d'un système d'alerte sonore et lumineuse. Ces défibrillateurs pourront ainsi être retirés par des « Bons Samaritains » et apportés sur les lieux des secours.
C'est fondamental. Je propose de prévoir des exercices de crise tels que « Paris 50 °C » et des opérations « gestes qui sauvent ». Tout citoyen est un acteur de la sécurité civile, conformément au principe de la loi Matras.
Je vous remercie, madame la présidente, monsieur le rapporteur. La brigade de sapeurs-pompiers de Paris vous est reconnaissante d'avoir été entendue par les élus de la nation.
Puis la mission d'information auditionne les docteurs Marc Noizet, président et Muriel Vergne, secrétaire générale du Service d'aide médicale urgente (SAMU).
Nous poursuivons notre série matinale d'auditions en recevant, en visioconférence, deux représentants du Service d'aide médicale urgente, le Samu : son président, le Dr Marc Noizet, et sa secrétaire générale, le Dr Muriel Vergne.
Le Samu, en tant que pilier de notre système de réponse médicale d'urgence, joue un rôle crucial dans la chaîne de secours et d'intervention, et complète ainsi les missions dévolues à nos sapeurs-pompiers. Cette audition nous permettra d'approfondir notre compréhension de son fonctionnement et de ses missions, et je vous en remercie par avance.
Au préalable, je rappelle que notre commission rassemble vingt-cinq députés issus de l'ensemble des groupes politiques représentés dans notre hémicycle. Créée à l'initiative du groupe Horizons, elle a pour rapporteur mon collègue Didier Lemaire. Cette audition sera enregistrée et consultable sur le site internet de l'Assemblée nationale. Elle fera par ailleurs l'objet d'un compte rendu.
Nous vous remercions de votre participation à nos travaux et vous invitons à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions, afin d'améliorer l'organisation de notre système de sécurité civile : notre objectif est d'identifier ce qui reste perfectible, afin de le faire encore progresser.
Docteur Noizet, docteur Vergne, je vous souhaite la bienvenue. Je rappelle que vous avez reçu un questionnaire pour préparer cette audition. Si certains sujets ne peuvent pas être traités dans le temps imparti, n'hésitez pas à nous adresser une contribution écrite.
En préambule, pourriez-vous nous expliquer le rôle et le fonctionnement du Samu en France ?
Merci de nous avoir invités à vous présenter l'organisation de l'aide médicale urgente et le rôle du Samu dans le dispositif de sécurité civile.
Le Samu est un dispositif hospitalier, investi de missions à la fois intra-hospitalières et extra-hospitalières. Il a été fondé il y a près de soixante ans par le professeur toulousain Louis Lareng. Les Samu ont pour mission de gérer l'aide médicale urgente sur le territoire français. Il existe un Samu dans chaque département, à quelques exceptions près : il arrive aussi que deux Samu soient implantés sur le même département.
Le Samu pilote la gestion des plateformes des centres 15. Il veille à la qualité des appels, qu'il priorise en fonction de leur degré d'urgence, et adapte les moyens nécessaires à l'appelant, depuis le simple conseil jusqu'à l'envoi de moyens de réanimation. Il organise également la suite de la prise en charge.
Depuis quatre ans, les services d'accès aux soins (SAS) sont en cours de déploiement : ils viennent juxtaposer aux centres 15 une plateforme de régulation dédiée aux soins non programmés. Cette plateforme est opérée en collaboration avec les collègues libéraux des différentes spécialités médicales.
À côté de ce premier rôle, les Samu sont aussi chargés de déployer sur le territoire français les moyens de réanimation, en l'occurrence les services mobiles d'urgence et de réanimation (Smur). Composés d'un conducteur ambulancier, d'un infirmier et d'un médecin urgentiste, les Smur prodiguent des soins de secours sur l'ensemble du territoire. Grâce au maillage actuel, chaque victime se trouve en principe à moins d'une demi-heure d'une structure hospitalière dispensant des soins adaptés.
Un centre de formation et d'enseignement des soins d'urgence est adossé à chaque Samu. Il a pour mission de déployer sur le département des actions de formation autour de l'urgence. Ces formations peuvent être dédiées aux personnels de santé, ou bien destinées à tous les citoyens.
Par ailleurs, le Samu assure un rôle d'expertise dans la médecine d'urgence et l'aide médicale urgente. À ce titre, il est associé aux réflexions du préfet, notamment pour la préparation des dispositifs de sécurité et de soutien aux grandes manifestations, mais aussi pour l'opérationnel au quotidien. Ainsi, le Samu siège au centre opérationnel départemental (COD). Il apporte également son expertise aux agences régionales de santé (ARS), qui préparent et coordonnent les soins urgents à la population.
Le Samu est aussi mobilisé dans la gestion des situations sanitaires exceptionnelles présentant des risques technologiques, radiologiques ou encore biologiques. L'expertise déployée par la sécurité civile est, là encore, complétée par l'expertise médicale des Samu.
Enfin, il faut souligner que les Samu ont une dimension régionale, mais aussi nationale. En cas d'événement exceptionnel ou de réflexion de grande ampleur, un travail interdépartemental est lancé. Dans ce cadre, le Samu fait office de référent zonal pour l'organisation des secours à titre préventif ou opérationnel. Il existe en outre un dispositif national, animé conjointement par Samu-Urgences de France, par le Conseil national de l'urgence hospitalière (CNUH) et par les référents Samu de zone. Ainsi, une cellule de réflexion et d'appui peut être armée en tant que de besoin, comme ce fut le cas pendant la crise sanitaire de covid-19. Cette cellule peut conduire des réflexions et faciliter le partage d'informations entre les Samu départementaux. Les référents Samu sont en contact avec différents organes de l'administration centrale, tels que la direction générale de la santé (DGS), la direction générale de l'offre de soins (DGOS) ou le ministère de la santé, mais aussi avec le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Ils aident à préparer les plans de secours, réfléchir à la doctrine et veiller à la performance du dispositif.
Comment ces moyens ont-ils évolué au cours des dix dernières années ? Êtes-vous confrontés à des difficultés importantes ?
C'est une bonne question. Comme de nombreux secteurs, le milieu hospitalier fait face à une crise démographique. Celle-ci touche les médecins, mais plus encore les infirmiers. Les hôpitaux sont en souffrance, et doivent composer avec une baisse drastique des moyens opérationnels. Entre 10 et 15 % des lits ont été fermés du fait de la crise démographique.
Au cours des dix dernières années, les moyens des Samu n'ont pas augmenté de manière proportionnelle à la croissance de l'activité. Le Samu exerce un rôle transversal, entre le secours préhospitalier et les missions régaliennes accomplies aux côtés des autres services de l'État. Le financement des Samu est assuré par une dotation, qui évolue très difficilement. Cela s'explique par les contraintes pesant sur l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) et par le fait que la mission des Samu n'est pas jugée centrale dans les hôpitaux. De fait, la dimension préhospitalière est perçue comme étrangère à l'hôpital, et nous devons lutter pour obtenir les moyens nécessaires à notre fonctionnement.
L'enveloppe de fonctionnement d'un hôpital est issue de dotations, mais aussi de financement d'activités, et la ligne budgétaire allouée au Samu n'est pas nécessairement dédiée à son fonctionnement. J'en veux pour preuve le nombre d'assistants de régulation médicale et de régulateurs sur nos plateformes de régulation, qui n'a pas augmenté au même rythme que notre volume d'activité.
Depuis le début de la crise sanitaire, l'activité du centre 15 a enregistré une croissance de près de 20 %, malgré des disparités d'un département à l'autre. Pourtant, nos moyens n'ont pas été revus en conséquence.
Pour sa part, l'activité des structures mobiles d'urgence et de réanimation (Smur) demeure relativement stable, puisqu'elle dépend de la taille de la population.
Enfin, nos compétences de gestion des situations sanitaires exceptionnelles, de prévention lors des grandes manifestations et d'expertise souffrent d'un manque de financement flagrant. Les enveloppes dédiées à ces activités sont souvent fongibles avec le budget de fonctionnement des hôpitaux, et peuvent donc être supprimées. Encore une fois, notre mission de soins n'est malheureusement pas reconnue comme une composante essentielle. Nos moyens humains sont insuffisants : nous manquons de médecins, d'infirmiers et d'agents techniques dédiés à la préparation de ces missions. Lors d'événements majeurs tels que des attentats ou des incendies, nous devons être en capacité de mobiliser rapidement des intervenants, et cela nécessite de l'entraînement. Les sapeurs-pompiers ont du temps, en dehors de leurs interventions, pour consolider leur dispositif, mais ce n'est malheureusement pas le cas à l'hôpital.
Vous l'aurez compris : le bilan est en demi-teinte. Bien que notre mission soit officielle, étant inscrite au code de la santé publique, elle peine à exister. Non seulement nos moyens financiers sont très contraints, mais le fléchage des crédits dédiés au Samu, aussi, n'est pas assez reconnu. Enfin, la prise en charge des situations sanitaires exceptionnelles (SSE) reste fragile, par manque de reconnaissance envers la mission du Samu.
Je voudrais préciser que les missions du Samu incluent aussi l'orientation et la filiarisation des patients, ce qui permet de gagner du temps dans la prise en charge de certaines pathologies. Bien souvent, c'est un véhicule de secours qui est le point d'entrée dans la filière ad hoc de soins médicaux. Le Samu a pour rôle d'orienter la personne au bon endroit et au bon moment.
J'ajouterai que l'aide médicale d'urgence est aussi délivrée en mer. En tant que responsable du Samu de coordination médicale maritime pour la Méditerranée, il me semble important de mettre en avant cet aspect. Il existe donc, tant en France qu'en outre-mer, un dispositif d'aide médicale en mer, à la fois pour le quotidien ou pour l'organisation d'événements.
Le rôle du Samu dans l'orientation du patient est certes primordial. C'est la valeur ajoutée de l'analyse médicale. Tous les patients ne doivent pas être accueillis à l'hôpital de proximité. D'ailleurs, le Samu s'occupe aussi de l'orientation du patient à la sortie du poste médical avancé. Une antenne du Samu est systématiquement présente lorsqu'un dispositif de secours conséquent est déployé. Elle examine la typologie et la gravité de l'état de santé des victimes présentes à évacuer, et oriente chaque patient vers l'offre de soins la plus adaptée, selon le degré d'urgence et les moyens disponibles. Le Samu constitue donc la clé de voûte entre le travail préhospitalier au quotidien, la prise en charge de la victime et la préparation de son arrivée à l'hôpital. Pour gagner du temps, le Samu prévient les différentes spécialités qui seront sollicitées avant l'arrivée du patient. Chaque minute gagnée peut aider à préserver une partie du patrimoine neurologique du patient et à limiter les séquelles.
Vous avez déclaré que les interventions des Smur n'ont pas augmenté. Ce constat s'explique-t-il par le fait que d'autres acteurs apportent leur concours à cette mission ? Par ailleurs, quelles sont les relations entre le Samu et les différents acteurs de la sécurité civile ?
Nous constatons une forte augmentation du nombre de demandes de soins d'urgence qui ne relèvent pas véritablement d'une urgence vitale. Ces patients sont aussi pris en charge par les autres acteurs de la sécurité civile. En tout état de cause, la stabilité du nombre d'urgences vitales est un signal positif. La traumatologie routière a très fortement baissé. Lors de la création du Samu, son fondateur affichait son ambition d'amener la réanimation « au pied de l'arbre » : le nombre d'accidents de la route était effectivement très élevé dans les années 1960 et 1970. Les multiples campagnes de prévention routière ont permis de réduire significativement la traumatologie routière. En outre, diverses pathologies comme la décompensation cardiaque, l'insuffisance respiratoire ou les maladies cardiovasculaires sont désormais bien mieux prises en charge, grâce à une démarche de prévention. Même si la population a augmenté, le nombre d'urgences vitales a diminué.
En revanche, les demandes de recours à des soins perçus comme urgents sont en forte hausse. Or, bon nombre de ces situations ne relèvent pas, en réalité, d'une urgence vitale. Ce sont toutefois ces demandes qui accaparent beaucoup plus les acteurs de la sécurité civile.
Ces précisions convergent avec le témoignage des représentants de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Ces derniers ont également mis en avant l'augmentation des soins non urgents et non programmés, qui tendent à engorger nos services d'urgence.
Les urgences vitales réelles génèrent environ 700 000 sorties Smur par an. Ce nombre reste relativement stable. À l'inverse, l'activité de régulation a enregistré une croissance annuelle de 10 à 15 % depuis l'épidémie de covid-19. L'offre de soins étant insuffisante, de nombreux patients ont du mal à obtenir un rendez-vous pour être soignés, qu'il s'agisse d'un besoin urgent ou d'une pathologie chronique.
Nos liens avec le reste du dispositif de sécurité civile sont plutôt efficients dans l'opérationnel. Nos principaux interlocuteurs sont les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Dans de très nombreux départements, la coordination entre le Samu et les SDIS est tout à fait satisfaisante, avec une interrelation continue. Nous disposons d'une interface très dynamique, voire numérique, entre le Samu et les centres d'appels des SDIS. L'interrelation est aussi très forte pour les dispositifs de secours.
Nous sommes aussi en relation étroite avec les associations agréées de sécurité civile, dès lors que des dispositifs de prévention secours sont mis en place. Dans certains départements, ces associations peuvent également assurer des activités de transport sanitaire à titre exceptionnel, lorsque les transports sanitaires privés ne sont plus suffisants.
L'expérience du covid-19 nous a appris à travailler en étroite collaboration avec ces acteurs. Ainsi, les secouristes bénévoles sont venus prêter main-forte dans les hôpitaux pour l'accueil, le tri et l'orientation des patients. Durant cette période, nous avons construit avec eux des relations de grande qualité. Les associations agréées de sécurité civile sont aussi très présentes dans les actions de formation de la population aux gestes de secours d'urgence, aux côtés des médecins des Samu.
Nous faisons face à un nombre croissant de crises, notamment en lien avec le risque de catastrophe naturelle. Comment appréhendez-vous ces phénomènes de crise, de nature variée (événements naturels, accidents technologiques, risque d'attentat, crise sanitaire, etc.) ? Estimez-vous être suffisamment outillés pour réagir à ces situations extrêmes ? Sinon, quelles seraient les améliorations à apporter au dispositif ?
Chaque catastrophe pose des difficultés différentes. Par exemple, le nombre élevé de victimes peut nécessiter des adaptations de grande ampleur du système de santé. C'est la situation que nous avons vécue pendant la crise sanitaire. Le Haut-Rhin était au cœur de cette crise, et il a fallu mobiliser des moyens de transfert considérables pour répartir cette demande. L'afflux de victimes est donc le premier défi des catastrophes naturelles ou technologiques, d'autant plus que notre système de santé est fragilisé. Nous avons moins de moyens aujourd'hui pour réagir à de tels événements. Heureusement, nous pouvons compter sur le sursaut républicain pour parvenir à trouver des ressources humaines et matérielles en cas de crise majeure.
Par ailleurs, chaque type de risque s'accompagne de problématiques spécifiques, qu'elles soient chimiques, bactériologiques, radiologiques ou technologiques. Une expertise particulière est nécessaire pour traiter ces dommages. Nous nous appuyons souvent sur l'expertise des sapeurs-pompiers en matière de risques technologiques.
Même si chaque département recense les risques rencontrés sur son territoire et mène un travail à ce sujet, il reste une marge de progrès importante pour savoir s'adapter à ces situations. J'en veux pour preuve les derniers attentats que nous avons connus, et en particulier celui du Bataclan : nous n'étions pas préparés à une agression collective de cette nature, commise avec des armes de guerre. Suite à ces événements, nous avons engagé un travail avec différents corps et experts médicaux pour en tirer une doctrine. Celle-ci a été déployée à l'échelle nationale, et s'est traduite par la formation massive de médecins et chirurgiens au contrôle des dommages (damage control).
Je constate que cinq ans après les attentats, ce savoir n'est plus maintenu au quotidien. De nombreux chirurgiens ne pratiquent plus cette compétence, qui n'est pas nécessaire dans leur quotidien. Cela constitue une différence majeure entre le milieu hospitalier et les acteurs de la sécurité civile. Ces derniers ont pour mission de se préparer à ce type d'interventions et de maintenir l'expertise propre aux différents risques, tandis que le rôle des praticiens hospitaliers consiste à soigner au quotidien leurs patients. La difficulté consiste donc à préserver un haut niveau de compétences parmi les personnels médicaux et les soignants. Un urgentiste doit détenir des connaissances pointues sur les risques radiologiques, biologiques ou chimiques, mais aussi être capable d'intervenir pour des accidents de train ou de bateau.
Le Samu dispose aussi d'équipes engagées dans des milieux spécifiques comme la mer ou la montagne. Il est plus facile de maintenir ces compétences grâce à des exercices réguliers en milieu naturel.
Les personnels du Samu intervenant en milieu maritime suivent d'ailleurs une formation spécifique.
Même si l'hôpital présente des fragilités, de réelles avancées ont eu lieu dans la prise en compte des risques évoqués ci-dessus, notamment à la suite des attentats. Des réflexions ont été engagées et des plans ont été élaborés. Les budgets, s'ils ne sont pas suffisants, ont le mérite d'exister. Ils permettent de se procurer du matériel adapté et de dégager du temps pour organiser des entraînements, en coordination avec les autres acteurs de la sécurité civile.
Depuis huit ans, la reconnaissance du Samu s'est améliorée, et l'implication des médecins, des équipes et des infirmiers s'est renforcée. Pour autant, nous continuons à manquer de ressources humaines et de temps pour envoyer du personnel au bon moment et au bon endroit.
Notre mission a pour but de réfléchir aux moyens d'améliorer et d'adapter notre système de sécurité civile, dans un contexte où les crises et les risques sont diversifiés et tendent à survenir plus fréquemment. Quelle est votre appréciation du modèle français de sécurité civile dans son ensemble ?
Je considère que nous n'avons pas à rougir de notre modèle de sécurité civile, qui dispose de moyens importants. Il existe une coordination de qualité à tous les échelons (départemental, zonal ou national), et les acteurs échangent beaucoup entre eux. Ils se connaissent et sont en capacité d'élaborer des doctrines et des règlements opérationnels pour gérer efficacement le quotidien opérationnel comme l'exceptionnel. Il est important de reconnaître ces éléments positifs. Le travail interministériel et interprofessionnel apporte une capacité opérationnelle de qualité.
C'est peut-être dans le domaine de la gestion de crise que notre organisation est plus fragile, et cela tient au fait que les situations de crise ne font pas partie de notre quotidien. Elles doivent être gérées par des experts. Je constate qu'il reste encore un long chemin à parcourir pour identifier les rôles respectifs des différents acteurs durant les crises.
Le covid-19 a été une illustration marquante de la cacophonie régnant entre les services de l'État dans certaines dimensions. À titre personnel, j'ai perçu très nettement cette difficulté, car mon Samu a dû transférer 330 patients de réanimation intubés et ventilés, avec des équipes de réanimation, sur l'ensemble du territoire français et dans les pays frontaliers. Ces opérations se sont d'abord déroulées de manière très artisanale, par téléphone et en utilisant les réseaux de connaissances. L'appareil étatique s'est ensuite mis en branle, ce qui a entraîné des dissonances entre les différents services de l'État : les décisions de l'ARS ne convergeaient pas toujours avec celles des ministères et celles de la sécurité civile. Cette expérience a confirmé que la gestion de crise est un métier, qui nécessite des entraînements interservices réguliers. À l'échelle départementale, l'organisation est plutôt satisfaisante, mais dès que l'on franchit cette strate, des complications surviennent.
J'ajouterai qu'il est important de reconnaître la spécificité d'exercice de chaque intervenant. Il existe depuis longtemps des tensions entre les « rouges » et les « blancs », liées au positionnement des différents acteurs sur leur périmètre d'exercice. Dans l'audition précédente, le Général Joseph Dupré La Tour expliquait que le secours à la personne représentait 84 % des interventions de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Ce n'était pas le cas il y a une vingtaine d'années. Pourtant, je pense que chaque acteur doit s'en tenir à son domaine d'expertise, en s'appuyant sur le rôle et le périmètre des autres parties impliquées.
Les Samu restent les acteurs centraux et les spécialistes de l'aide médicale d'urgence. C'est notre mission première, et elle est inscrite dans le code de la santé publique. La régulation médicale est le point central de l'organisation, du déploiement des moyens, du suivi opérationnel et de l'orientation du patient.
Enfin, le concours des Smur pour les urgences vitales doit être reconnu et sanctuarisé dans l'équilibre des services. Il va de soi que des adaptations locales peuvent être opérées dans chaque département, en lien avec les problématiques démographiques, les crises hospitalières ou encore les difficultés de recrutement.
En résumé, nous pouvons nous féliciter de la performance de notre modèle de sécurité civile, mais nous devons veiller à préserver la mission et l'expertise de chaque acteur, en évitant les ingérences entre les différents services. Je pense au préjudice causé par certaines lois votées hâtivement, qui ont fragilisé nos organisations. L'intelligence collective doit l'emporter sur ces considérations. Pour cela, il faut que les lois maintiennent les blocs existants dans leurs missions pour l'État.
Il est important de connaître son terrain de compétences et les limites du rôle des autres acteurs. C'est à cette condition que l'opérationnalité peut être optimale.
Le secours et le soin sont des activités complémentaires, qui ne doivent pas être confondues. Dans cette perspective, le rôle de la régulation est essentiel. À titre d'exemple, un appel pour une difficulté respiratoire ne requiert pas forcément l'envoi immédiat d'un véhicule de secours. Après régulation médicale, il est possible d'identifier une situation de fin de vie ou un accès de stress qui ne justifie pas de mobiliser un véhicule de secours. La régulation médicale doit donc intervenir le plus tôt possible, de manière à optimiser les vecteurs du Samu et des sapeurs-pompiers. L'enjeu consiste à respecter les missions et le cœur de métier de chacun, tout en facilitant la complémentarité.
Docteur Noizet, pouvez-vous préciser à quels textes législatifs vous faisiez référence à propos de l'évolution de vos missions ou du fonctionnement du Samu ?
Le texte le plus préjudiciable au Samu est la loi Matras, qui prévoit une évolution des missions des secours et des ambulanciers. Sur ce point, le texte est tout à fait positif, car il donne aux professionnels la capacité de délivrer des actes de soins qu'ils ne pouvaient pas effectuer jusqu'alors. Cependant, cette loi ouvre la porte à la possibilité d'intervenir sans le Samu, ce qui me paraît très contestable. C'est pourquoi j'ai insisté sur la nécessité de respecter le rôle de chacun. En l'état, le texte de loi précise que les interventions doivent être réalisées sous la coordination du Samu ou d'un médecin présent. Cette disposition suggère que la présence du Samu n'est plus systématique dans tous les territoires, et qu'un médecin sapeur-pompier peut prendre les décisions. Cela reviendrait à créer une seconde régulation, alors qu'il existe déjà un premier dispositif performant.
Une autre mesure prévue par la loi Matras me paraît aussi très fragile : l'expérimentation du numéro unique. Il s'agit d'une volonté présidentielle, qui fait l'objet de fortes tensions entre services interministériels. Toute la question est de savoir quel service doit être en charge d'un appel présentant une dimension sanitaire importante. Par exemple, un appel pour un arrêt cardiaque est réceptionné sur une plateforme unique. Or, le ministre de l'intérieur souhaiterait que cet appel soit reçu en première instance par les pompiers, qui ont la capacité d'intervenir plus rapidement. Pour notre part, nous considérons que toute situation d'urgence vitale présentant une dimension sanitaire évidente doit impérativement être dirigée en premier lieu vers les professionnels de santé. De fait, les assistants de régulation médicale sont à même d'identifier beaucoup plus rapidement l'urgence vitale, de la qualifier et de donner, s'il y a lieu, les conseils d'accompagnement sur les premiers gestes de secours. En outre, ils sont parfaitement capables de déclencher un départ rapide des pompiers.
Il faut savoir que la mise en place d'un numéro unique n'est pas forcément une réussite dans tous les pays. En tout état de cause, la régulation médicale est une spécificité du modèle français. Elle doit être impérativement préservée, pour éviter toute perte de chance pour le patient.
De prime abord, le texte de la loi Matras semble orienté vers la recherche d'une meilleure performance. Néanmoins, sa déclinaison locale pose problème quant au respect des expertises spécifiques des différents acteurs. Or, l'État n'a aucun intérêt à fragiliser la régulation médicale, ni l'expertise des structures de sécurité civile.
Docteur Noizet, vous avez beaucoup parlé du temps, qui est un paramètre important, en particulier pour la prise en charge des urgences vitales. Il est certain que le temps d'attente en ligne est très variable en fonction des territoires.
Pour terminer, j'aimerais connaître votre avis sur l'acculturation de la population et de nos élus à notre modèle de sécurité civile.
L'acculturation des élus passe aussi par des rencontres et par la préparation d'exercices. Je pense par exemple aux exercices nucléaires, organisés par le service interministériel de défense et de protection civiles de la préfecture, en présence des élus. Il existe aussi des actions de formation à l'intention des collectivités locales. En guise d'illustration, je prendrai le cas de la base navale de Toulon, qui possède un arsenal nucléaire. Des exercices sont organisés très régulièrement dans cette ville, et l'acculturation des élus fait partie de la démarche. Ces actions sont menées avec le Samu, les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers de l'arsenal de Toulon. Les élus sont systématiquement associés à la préparation et à la gestion de crise ; ils font pleinement partie du dispositif.
Étant responsables de la sécurité de leurs concitoyens, les élus ont une sensibilité importante à l'égard de l'ensemble du dispositif de la sécurité civile. Toutefois, ils n'ont pas forcément une connaissance fine du dispositif, et ce point mériterait sans doute d'être abordé avec plus de pédagogie. Il serait donc judicieux, pour remédier à ce problème, de prévoir un module de formation destiné aux élus.
Pour la population, je rappelle que la prévention implique aussi la connaissance de l'urgence vitale et du dispositif de sécurité civile. Ces informations devraient être partagées avec l'ensemble de la population. D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de connaître le dispositif en place, mais aussi de le respecter. Comme vous le savez, les équipes de la sécurité civile et des Samu sont régulièrement la cible d'agressions. Une meilleure acculturation de la population contribuerait certainement à faire respecter davantage l'action des services de l'État. Les pays du nord de l'Europe sont d'ailleurs beaucoup plus avancés que nous dans ce domaine.
Je tiens à préciser que diverses actions visant à consolider cette culture citoyenne ont été mises en œuvre, depuis une quinzaine d'années, par le ministère de l'éducation nationale. Des programmes de sensibilisation ont ainsi pu être déployés dans les écoles primaires, les collèges et les lycées.
Merci beaucoup pour ces échanges très intéressants et pour votre disponibilité. N'hésitez pas à nous adresser une contribution écrite. Je vous souhaite une bonne journée.
Enfin, la mission d'information auditionne l'Amiral Lionel Mathieu, commandant le bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM), l'école des marins-pompiers de la Marine et la Marine à Marseille
Nous terminons notre cycle matinal d'auditions en accueillant en visioconférence le vice-amiral Lionel Mathieu, commandant du bataillon de marins-pompiers de Marseille (BMPM) et directeur de l'École des marins-pompiers de la marine, le capitaine de vaisseau Christophe Guillemette, commandant en second, et le capitaine de frégate David Gaidet, chef des opérations.
La formation d'élite qu'est le BMPM, à la croisée des mondes maritime et de la sécurité civile, occupe une place à part dans le dispositif de réponse aux urgences. La spécificité du BMPM, tout comme celle de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), réside à la fois dans ses missions et dans son statut d'unité des forces armées intégrées au dispositif de sécurité civile.
Permettez-moi de préciser, à l'attention de nos auditionnés, que notre mission, créée à l'initiative du groupe Horizons et apparentés, est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques de l'Assemblée nationale. Elle a débuté ses auditions au mois de septembre dernier. Je précise que l'enregistrement de cette audition sera disponible sur le site de l'Assemblée nationale et fera également l'objet d'un compte rendu annexé au rapport que nous rendrons dans quelques mois.
Son objectif est double : d'une part, mieux comprendre le rôle, l'organisation et les spécificités du BMPM et de l'École des marins-pompiers et, d'autre part, saisir les enjeux actuels et futurs de la sécurité civile à Marseille, en particulier autour de son port, qui est l'un des plus importants de la Méditerranée.
Monsieur le vice-amiral, je vous remercie de vous être rendu disponible aujourd'hui pour participer à nos travaux. Votre retour d'expérience et vos observations seront essentiels pour éclairer notre réflexion et affiner notre vision de la sécurité civile. N'hésitez pas à nous faire part de vos éventuelles critiques ou suggestions afin d'améliorer l'organisation de notre système de sécurité civile, pour Marseille comme pour l'ensemble du territoire national. Notre objectif est non seulement de comprendre l'organisation actuelle, mais aussi d'identifier ce qui peut être amélioré et d'anticiper les futurs défis de notre sécurité civile.
En tant qu'ancien sapeur-pompier et élu local, je suis particulièrement sensible à la question de la capacité d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de sécurité civile dans le contexte de crises multiples que nous connaissons.
Dans un premier temps, je vous propose de présenter le BMPM et, éventuellement, de mettre en relief les différences entre votre unité et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).
Le BMPM a pour spécificité d'être une unité militaire placée sous l'autorité d'un maire dans le cadre de ses attributions en matière de secours et de défense contre l'incendie. La BSPP est une unité militaire elle aussi, avec laquelle nous partageons les valeurs de réactivité, disponibilité et neutralité politique – je rappelle qu'il n'y a pas de syndicat dans les unités militaires –, mais elle est placée sous l'autorité du préfet de police de Paris et n'a donc pas un lien aussi direct que celui du BMPM avec la municipalité et son exécutif.
Le bataillon est la plus grande unité de la marine nationale. Il assure la défense d'une ville dont la superficie est deux fois plus étendue que celle de la capitale et qui cumule une gamme étendue de risques urbains, technologiques, maritimes, ainsi que ceux liés aux feux de forêt.
Ses missions varient selon le périmètre géographique considéré. En effet, si le bataillon agit très majoritairement pour la ville de Marseille, il agit également pour la zone de défense et de sécurité Sud et, en certaines circonstances, au niveau national et international. Pour répondre à la demande opérationnelle, le bataillon dispose aujourd'hui de dix-sept centres d'incendie et de secours intra-muros, dont la répartition géographique permet d'apporter une réponse opérationnelle en tout point de la ville en moins de dix minutes, et de quatre centres situés hors des frontières communales pour la défense de l'aéroport de Marignane, du port de Fos-sur-Mer et du site d'Airbus Helicopters.
96 % des 2 600 personnels du bataillon sont militaires et 80 % d'entre eux sont des marins-pompiers. Notre rythme de fonctionnement permet, en cas d'événement majeur, de compléter rapidement nos forces en faisant appel à des personnels d'astreinte. La situation en termes d'effectifs est globalement satisfaisante. Toutefois, nous faisons face, d'une part, à une tension opérationnelle pour certaines activités, notamment pendant la campagne des feux de forêt et, d'autre part, à une tension en gestion car, bien que le bataillon soit comme la BSPP une unité attractive, nous sommes confrontés à un flux de départs de personnels contractuels concernant les hommes du rang et les officiers mariniers. Nous sommes particulièrement attentifs à ce dernier point, qui est l'une des principales difficultés du bataillon.
Dans la commune de Marseille, près de 80 % des 128 000 interventions réalisées au cours de l'année 2022, avec en moyenne 350 interventions par jour, ont été consacrées au secours à personne. Marseille est en effet une ville où l'offre de soins est déficitaire et dont une partie de la population est défavorisée. Avec un taux de 141 interventions pour 1 000 habitants, alors que le taux moyen au niveau national est de 66 interventions pour 1 000 habitants, nous sommes en tête des services de secours en France. Notre activité courante est en hausse continue : l'année 2022, dont une partie a pourtant été marquée par la crise sanitaire, a connu une hausse de 2 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. J'anticipe la poursuite de cette hausse dans les années à venir, la ville de Marseille étant une destination de plus en plus attractive, à la fois pour de nouveaux résidents et pour des touristes.
Chaque année, nous intervenons en renfort une vingtaine de fois au profit de la zone de défense Sud. Dans le département des Bouches-du-Rhône, ces interventions sont régies par les dispositions communes du règlement opérationnel départemental et par la convention d'aide mutuelle entre le BMPM et le département. Dans les autres départements, le cadre général Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile), qui prévoit une mobilisation par les centres opérationnels des zones de défense et de sécurité, est applicable.
Notre stratégie de lutte contre les feux de forêts repose sur une attaque rapide et massive des feux naissants. Elle implique donc un effort conséquent de surveillance des massifs à risque, afin d'agir au plus vite sur le moindre départ et d'éviter toute propagation. Cette stratégie a été conçue en stricte application de la doctrine nationale, mais prend en compte le contexte particulier de la commune, sur le territoire de laquelle l'interface entre la forêt et les habitations s'étend sur 56 kilomètres. Tout départ de feu de forêt prenant de l'ampleur peut donc avoir des conséquences importantes pour la ville. La campagne des feux de forêt dure en moyenne trois mois. Pendant cette période, en plus des 350 marins-pompiers veillant normalement sur la ville, 170 militaires supplémentaires sont consacrés à l'armement du dispositif de lutte contre les feux de forêt, qui compte jusqu'à 47 camions pouvant être déployés au plus près des massifs, ainsi que deux hélicoptères bombardiers d'eau loués durant la période estivale. Nous pouvons mobiliser au pic de la saison estivale un effectif total de 668 marins-pompiers, dont 150 sous un délai d'une heure. Outre nos capacités propres, nous pouvons nous appuyer sur des moyens nationaux, notamment aéronautiques, mobilisables dans le cadre zonal et dans le cadre national, pour la détection et l'attaque des feux naissants par des guets aériens, ou pour l'attaque massive de feux déjà établis, avec un dispositif de lutte terrestre combinée à des avions de type Canadair.
Depuis quelques années, nous sommes confrontés à une évolution des paradigmes de la sécurité civile, dont les répercussions, aussi bien sur notre structure que sur l'emploi de nos moyens, sont majeures. En moins d'une décennie, nous avons connu l'intensification de la menace terroriste, une crise sanitaire sans précédent et le retour de la guerre aux frontières de l'Europe. Ces événements nous exposent à un ensemble de menaces protéiformes – menaces nouvelles ou menaces remises sur le devant de la scène – qui dépassent le cadre classique du secours et des incendies et imposent des réponses dimensionnées.
L'exercice Odoma (pour « ordre départemental opération menace attentats »), mis en place dès 2015, prévoit l'adaptation des postures en cas de survenance d'un attentat, notamment la montée en puissance des services de secours et d'aide médicale urgente. La Capinav (pour « capacité nationale de renfort pour l'intervention à bord des navires ») a été développée en 2016. Nous sommes chargés de la préparation opérationnelle de cette capacité mise à disposition des préfets maritimes pour les sinistres en mer et des préfets de département pour les navires à quai. Elle permet de répondre à de multiples situations : incendie, pollution ou collision entre navires, par exemple. Elle permet également de mener des opérations de contre-terrorisme maritime, avec ou sans volet nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC), et de répondre à divers besoins d'expertise. Cette capacité se matérialise par la projection en moins de deux heures d'une équipe de quarante marins-pompiers spécialistes des feux de navires, de l'urgence médicale ou des risques technologiques, aux niveaux local, zonal et national, dans les territoires métropolitains et ultramarins. Dans le cadre de ces deux dispositifs, le statut militaire des marins-pompiers et leur préparation opérationnelle leur permettent de mener des actions de secours d'urgence en milieu non permissif, c'est-à-dire soumis à une menace balistique ou d'une autre nature. Les marins-pompiers interviennent alors armés. Cette singularité dans le paysage de la sécurité civile, que nous partageons avec les forces d'intervention de la sécurité intérieure et les forces spéciales des armées, est une nécessité qui nous oblige à réaliser des opérations d'entraînement importantes.
Notre groupement nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC) a été créé en réaction à la crise sanitaire. Nous avons capitalisé sur des capacités militaires et de sécurité civile déjà éprouvées. Il nous permet de fournir à l'État une grande réactivité dans l'acquisition de réactifs adaptés à la surveillance de tout pathogène d'intérêt sanitaire détecté dans le monde. Notre laboratoire mobile offre une protection face aux pathogènes les plus dangereux et offre à la sécurité civile française une capacité souveraine dans la détection des agents biologiques, ainsi qu'un appui sur tout le territoire pour la biosécurisation d'un site ou la gestion d'une crise sanitaire.
L'accentuation de la menace nucléaire et énergétique avec la guerre en Ukraine impose une adaptation et une préparation des forces de sécurité civile. L'évolution rapide des technologies, notamment celles de propulsion, crée de nouveaux risques, comme celui représenté par les feux de batterie de véhicules électriques, auquel nous sommes particulièrement attentifs. Enfin, le changement climatique a déjà des répercussions sur notre quotidien. Nous avons pu le constater sur tout le territoire cet été et, surtout, l'été précédent. Le bataillon et les services d'incendie du Sud-Est sont préparés au risque de feux de forêt, mais les évolutions liées au changement climatique nous obligent à une vigilance nouvelle, doublée d'une nécessaire coopération zonale, voire nationale, car certains territoires, jusqu'alors peu ou pas concernés, sont désormais menacés par les feux de forêt.
L'adaptation de notre unité à ce contexte d'augmentation et de diversification des risques impose une évolution de nos moyens matériels – avec une augmentation du nombre d'engins, toujours plus spécialisés et plus coûteux – et humains, pour lesquels la formation et le maintien des acquis représentent un enjeu majeur. Elle demande également des moyens budgétaires pour leur financement. Face à cette évolution vers toujours davantage de moyens, la place du citoyen comme acteur de la sécurité civile et la prévention des risques de toute nature doivent être renforcées.
Quelles sont vos relations avec les pouvoirs publics et comment le BMPM se coordonne-t-il avec eux pour faire face à une crise dans votre zone d'activité ?
Notre action s'inscrit bien sûr dans le cadre défini par la loi. Pour la ville de Marseille, c'est le maire ou – si celui-ci ne s'estime pas en mesure de le faire – le préfet qui assure la direction des opérations de secours. Pour l'aéroport de Marignane et le port maritime de Marseille, la direction des opérations de secours est de la responsabilité du préfet. Nous entretenons donc avec ces deux autorités des relations dans le cadre des interventions et de leur préparation, mais, en temps normal, c'est avec le maire que nous entretenons le plus de relations, d'autant plus qu'il a la responsabilité du financement du bataillon. Nous sommes amenés à nous coordonner avec le préfet de département et avec la préfète de police pour la préparation des grands événements, comme les tests events des Jeux olympiques, la visite du Pape ou la coupe du monde de rugby, qui demandent l'engagement de moyens de secours et de sécurité.
Quels sont les principaux risques auxquels le bataillon est confronté et de quelle manière les appréhendez-vous ? Comment ont-ils évolué ces dernières années ?
On a coutume de dire que la ville de Marseille est exposée à l'ensemble des risques recensés par la sécurité civile, à l'exception du risque d'avalanche. Les deux risques principaux sont ceux liés au secours à la personne, comme les accidents ou les pathologies, et ceux d'incendie, qui sont particulièrement élevés au vu de la configuration du bâti et des conditions de vie de la majorité des habitants.
Le socle de base de la formation des marins-pompiers comprend donc le secours à la personne et la lutte contre les incendies urbains, ainsi que – c'est une spécificité marseillaise – la lutte contre les feux de forêt et contre les feux de navires. Marseille étant le premier port de France et comptant 57 kilomètres de côtes, nous devons être préparés à faire face à une concentration importante de risques industriels et technologiques. Nos marins-pompiers sont donc spécialisés dans ces risques et dans les opérations de secours en mer. Ils sont également préparés à des opérations de sauvetage-déblaiement à la suite de l'effondrement de bâtiments, comme celles que nous avons menées au cours des événements dramatiques de la rue d'Aubagne et de la rue Tivoli. Le socle de base est complété par des spécialités, comme celle d'intervention armée ou celle relative aux risques NRBC.
Disposez-vous d'éléments chiffrés relatifs à la répartition de votre activité entre ces différents types d'intervention ? Certaines ont-elles pris plus d'importance ces derniers temps ?
Nous observons une relative stabilité de cette répartition. C'est aujourd'hui le secours à personne qui nous occupe le plus, puisqu'il représente environ 80 % de nos interventions. Mais nous constatons aussi une augmentation régulière du nombre total d'interventions, qui fait peser sur notre unité une pression de plus en plus forte : les effectifs du bataillon ont crû d'environ 3 % au cours des dix dernières années, quand le nombre d'interventions connaissait une hausse de 11 %. Cette augmentation concerne essentiellement le secours à personne et les interventions sur les incendies – les risques les plus courants à Marseille n'exigeant ni les compétences techniques les plus pointues, ni les dispositifs les plus importants. Il en résulte qu'il nous devient difficile, a contrario, de maintenir notre entraînement et notre niveau de préparation opérationnelle sur les risques les moins courants mais les plus complexes.
Parmi les équipes spécialisées les plus sollicitées, figure en premier lieu celle de secours en milieu périlleux et en montagne, qui intervient régulièrement dans le parc national des Calanques ; celui-ci attire en effet des randonneurs et grimpeurs de plus en plus nombreux, mais pas toujours préparés. Nous y intervenons environ 200 fois par an, avec l'hélicoptère de la sécurité civile. Vient ensuite l'équipe de secours nautique et de secours à plongeurs, qui intervient en mer 300 heures par an, en moyenne, pour secourir notamment les nombreux plaisanciers et plongeurs attirés par nos 54 kilomètres de littoral. La collision récente entre deux navires illustre l'une des réalités auxquelles nous faisons face. L'équipe de sauvetage et déblaiement intervient moins régulièrement sur le territoire marseillais, mais les événements survenus rue d'Aubagne et rue de Tivoli ont mis en lumière sa valeur ajoutée et l'impérieuse nécessité de son existence.
Le plus difficile est de rester concentrés sur notre vocation, celle de porter secours, alors qu'un certain nombre de nos interventions ne relèvent pas du secours d'urgence. Une autre difficulté, liée à la première, tient à la violence désinhibée dont font parfois preuve non pas les criminels, comme on pourrait le penser, mais les victimes et leurs familles. Ces faits restent anecdotiques, au regard de nos 128 000 interventions annuelles, mais ils sont de plus en plus nombreux. En dehors de cela, nous ne rencontrons pas de réelles difficultés dans la conduite de nos opérations. Nos interventions se passent généralement bien et nous arrivons à absorber leur nombre, même si cela n'est pas toujours facile.
Outre la difficulté que j'évoquais tout à l'heure, celle de conserver du temps pour s'entraîner aux interventions les plus complexes, ce qui m'est le plus difficile aujourd'hui est de retenir les marins-pompiers au sein du bataillon. Le taux de fuite est trop important, pour de multiples raisons. Nous travaillons sur le sujet, mais aimerions aussi parfois être aidés pour que nos marins-pompiers restent huit à dix ans, plutôt que quatre à cinq ans comme c'est souvent le cas aujourd'hui. Cette problématique soulève la question de notre capacité opérationnelle et de la prise d'expérience, c'est-à-dire de notre aptitude à faire face aux risques les plus critiques – dont nous pensons qu'ils vont augmenter.
Quelle vision avez-vous de notre modèle de sécurité civile à l'échelle nationale, s'agissant notamment de la collaboration avec des associations, avec les sapeurs-pompiers ou avec le Samu ? L'organisation des services répond-elle aux enjeux actuels et aux crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés à l'avenir ?
Il y a plusieurs façons d'envisager votre question, monsieur le rapporteur. Je soulignerai d'abord que, sur le plan local, le bataillon de marins-pompiers de Marseille a une culture du travail en coopération avec ses différents partenaires : avec les forces de sécurité intérieure pour la préparation des événements, mais aussi avec les associations agréées de sécurité civile dans le cadre des dispositifs prévisionnels de secours (DPS). Si nous ne pouvions nous appuyer sur ces dernières, nous ne serions d'ailleurs pas en mesure de faire face aux besoins, car le nombre d'événements est en croissance importante dans la ville de Marseille. Nous travaillons aussi en collaboration avec le SDIS des Bouches-du-Rhône. Surtout, nous avons depuis plus de trente ans une culture du travail en commun avec le Samu. Il y a quotidiennement sept ambulances de réanimation armées, à Marseille, dont trois le sont par des médecins, des infirmiers et du personnel de notre bataillon. Un médecin du bataillon se trouve d'ailleurs en permanence au centre 15 du Samu, où il participe à la régulation des soins. C'est ce travail de collaboration avec l'ensemble des associations et des services qui nous permet aujourd'hui de faire face à l'ensemble des besoins de Marseille ; nous serions bien en mal de le faire seuls.
Si l'on élargit le point de vue, il est évident que les besoins sont très différents au sein de l'Hexagone, selon que le cadre est urbain, rural, ou celui d'une grande métropole. Le modèle du volontariat me semble incontournable aujourd'hui, car il permet de doter notre pays d'un nombre important de forces d'intervention, acculturées à la question du risque en matière de sécurité civile – comme devraient l'être de plus en plus de citoyens pour nous permettre de faire face. Nous avons d'ailleurs lancé, à cet égard, des initiatives locales passant par l'organisation de conférences dans les classes primaires ou encore la diffusion de la culture du secourisme chez les 12 000 agents de la ville de Marseille.
Outre qu'elles défendent les deux plus grandes villes de France, les unités militaires apportent des compétences qui leur sont propres et qui sont utiles à la sécurité civile française. Celle-ci tire sa puissance de la diversité de ses forces vives – volontaires, professionnelles, militaires – sur lesquelles elle s'appuie : elles peuvent en effet se compléter et éventuellement, en situation de crise, se compenser les uns les autres.
Les difficultés qui se posent à l'échelle du territoire, et que vous avez raison de souligner, concernent également les outre-mer. Je reviens sur les associations agréées de sécurité civile : quel rôle ont-elles dans la coordination telle qu'elle s'organise à Marseille ou ailleurs ? Faut-il renforcer leurs responsabilités, ou bien le modèle actuel est-il parfaitement adapté aux crises majeures auxquelles nous pourrions avoir à faire face ?
Je souhaitais justement évoquer les territoires ultramarins. Lorsque nous avons été auditionnés par M. Hubert Falco dans le cadre de son rapport sur la modernisation de la sécurité civile et la protection contre les risques majeurs, nous avons évoqué la nécessité probable de mieux nous préparer collectivement à soutenir ces territoires. Alors qu'ils sont confrontés à des crises de plus en plus nombreuses, principalement d'origine climatique, ils ne disposent pas en effet de la totalité des moyens nécessaires sur place pour y faire face. Peut-être faudrait-il avoir une réflexion plus poussée, au niveau national, sur la façon dont la sécurité civile devrait se préparer à leur apporter son aide.
À Marseille, nous travaillons quotidiennement avec une dizaine d'associations agréées de sécurité civile, disposant de différents types d'agréments. Nous travaillons avec elles sur les DPS à l'occasion des événements planifiés – carnaval, 14 juillet, matchs au stade Vélodrome –, sur lesquels elles interviennent de façon récurrente. Cet été, nous avons dû faire davantage appel à elles sur les différents dispositifs mis en place pour la messe du Saint-Père et les six matchs de rugby qui se sont déroulés dans le cadre de la coupe du monde. Nous intégrons les associations à nos travaux dès la phase de préparation, pour les événements prévisionnels comme pour ceux qui seraient liés à l'occurrence de la menace ; elles sont donc à nos côtés lorsque nous organisons des exercices majeurs. C'est ainsi que nous préparons avec elles les dispositifs des Jeux olympiques de Paris 2024, à l'occasion desquels la ville de Marseille accueillera vingt épreuves en mer ou au stade Vélodrome. J'ajouterai enfin qu'elles sont évidemment intégrées aux planifications de sécurité civile réalisées par la préfecture au niveau départemental, par exemple aux exercices d'attentats multi-sites.
Nous recourrons fréquemment aux associations agréées de sécurité civile à Marseille, mais nous constatons qu'à mesure que les besoins augmentent, elles ont de plus en plus de difficultés à y répondre. Elles font face, en effet, à la même problématique de recrutement que nous.
L'acculturation de la population et des élus vous semble-t-elle suffisante, ou doit-elle progresser pour que le modèle de sécurité civile de demain réponde le mieux possible aux enjeux ?
Les élus avec lesquels nous sommes en relation à Marseille sont relativement bien sensibilisés – notamment le maire, l'adjoint au maire en charge de la sécurité civile et celui en charge du bataillon. Il faut dire que nous entretenons des relations régulières : je rencontre ce dernier toutes les semaines, et il participe aux exercices. Je ne constate pas de déficit dans ce domaine.
S'agissant de la population, les choses sont plus compliquées. Marseille compte 850 000 habitants, bientôt près de 900 000, auxquels il faut ajouter les personnes travaillant dans la ville sans y résider. Les actions d'acculturation prennent, de fait, une autre dimension. Le bataillon fait beaucoup d'efforts pour diffuser l'esprit « sécurité civile », notamment dans les classes de cours moyen deuxième année (CM2) et au travers d'actions dans le domaine du secourisme. Nous avons beaucoup d'idées d'actions à mener dans les collègues et les lycées, par exemple, mais nous ne pourrons guère aller plus loin faute de temps. Sans doute devrions-nous réfléchir à une meilleure sensibilisation au risque et à la diffusion d'informations sur les bons gestes et les bons réflexes à avoir.
Nous avons également un travail à mener dans le champ de la prévention, notamment contre les incendies en milieu urbain. Aujourd'hui, nous sommes particulièrement attentifs aux établissements recevant du public et aux immeubles de grande hauteur, parce que la loi nous le demande et parce que nous avons dimensionné nos effectifs à dessein. Mais nous ne pouvons pas être partout et porter la même attention aux habitations, par exemple. Plus généralement, nous constatons dans la ville des transformations : les méthodes de construction et les matériaux employés évoluent, et le déploiement des nouvelles énergies entraîne l'électrification de la ville et du port. Cela implique que nous travaillions sur de nouvelles normes, qu'elles soient prescriptives ou non. Dans ce domaine, nous manquons encore de moyens et de travaux.
Merci pour la clarté de l'ensemble de vos réponses. Il est frustrant de conclure alors qu'il y a sans doute encore matière à échanger. N'hésitez surtout pas, si vous le souhaitez, à nous envoyer une contribution écrite répondant plus longuement aux questions qui vous ont été posées ou abordant d'autres sujets que nous aurions pu oublier ; elle pourra nourrir notre réflexion en vue de notre rapport. Nous vous remercions tous les trois, messieurs, pour votre temps et votre disponibilité.
La séance est levée à douze heures trente-cinq.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
Réunion du jeudi 2 novembre 2023 à 9 heures 35
Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Didier Lemaire
Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Éric Pauget, M. Julien Rancoule