Je considère que nous n'avons pas à rougir de notre modèle de sécurité civile, qui dispose de moyens importants. Il existe une coordination de qualité à tous les échelons (départemental, zonal ou national), et les acteurs échangent beaucoup entre eux. Ils se connaissent et sont en capacité d'élaborer des doctrines et des règlements opérationnels pour gérer efficacement le quotidien opérationnel comme l'exceptionnel. Il est important de reconnaître ces éléments positifs. Le travail interministériel et interprofessionnel apporte une capacité opérationnelle de qualité.
C'est peut-être dans le domaine de la gestion de crise que notre organisation est plus fragile, et cela tient au fait que les situations de crise ne font pas partie de notre quotidien. Elles doivent être gérées par des experts. Je constate qu'il reste encore un long chemin à parcourir pour identifier les rôles respectifs des différents acteurs durant les crises.
Le covid-19 a été une illustration marquante de la cacophonie régnant entre les services de l'État dans certaines dimensions. À titre personnel, j'ai perçu très nettement cette difficulté, car mon Samu a dû transférer 330 patients de réanimation intubés et ventilés, avec des équipes de réanimation, sur l'ensemble du territoire français et dans les pays frontaliers. Ces opérations se sont d'abord déroulées de manière très artisanale, par téléphone et en utilisant les réseaux de connaissances. L'appareil étatique s'est ensuite mis en branle, ce qui a entraîné des dissonances entre les différents services de l'État : les décisions de l'ARS ne convergeaient pas toujours avec celles des ministères et celles de la sécurité civile. Cette expérience a confirmé que la gestion de crise est un métier, qui nécessite des entraînements interservices réguliers. À l'échelle départementale, l'organisation est plutôt satisfaisante, mais dès que l'on franchit cette strate, des complications surviennent.
J'ajouterai qu'il est important de reconnaître la spécificité d'exercice de chaque intervenant. Il existe depuis longtemps des tensions entre les « rouges » et les « blancs », liées au positionnement des différents acteurs sur leur périmètre d'exercice. Dans l'audition précédente, le Général Joseph Dupré La Tour expliquait que le secours à la personne représentait 84 % des interventions de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP). Ce n'était pas le cas il y a une vingtaine d'années. Pourtant, je pense que chaque acteur doit s'en tenir à son domaine d'expertise, en s'appuyant sur le rôle et le périmètre des autres parties impliquées.
Les Samu restent les acteurs centraux et les spécialistes de l'aide médicale d'urgence. C'est notre mission première, et elle est inscrite dans le code de la santé publique. La régulation médicale est le point central de l'organisation, du déploiement des moyens, du suivi opérationnel et de l'orientation du patient.
Enfin, le concours des Smur pour les urgences vitales doit être reconnu et sanctuarisé dans l'équilibre des services. Il va de soi que des adaptations locales peuvent être opérées dans chaque département, en lien avec les problématiques démographiques, les crises hospitalières ou encore les difficultés de recrutement.
En résumé, nous pouvons nous féliciter de la performance de notre modèle de sécurité civile, mais nous devons veiller à préserver la mission et l'expertise de chaque acteur, en évitant les ingérences entre les différents services. Je pense au préjudice causé par certaines lois votées hâtivement, qui ont fragilisé nos organisations. L'intelligence collective doit l'emporter sur ces considérations. Pour cela, il faut que les lois maintiennent les blocs existants dans leurs missions pour l'État.