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Intervention de le général Joseph Dupré La Tour

Réunion du jeudi 2 novembre 2023 à 9h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

le général Joseph Dupré La Tour, commandant de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) :

Je vous remercie de m'avoir invité à témoigner et à vous faire part de ses réflexions sur la sécurité civile.

La BSPP a été créée par Napoléon Ier à la suite d'un événement tragique survenu en 1810 : lors d'un bal donné à l'occasion de ses fiançailles avec Marie-Louise d'Autriche, un feu se déclare, faisant des dizaines de victimes. Napoléon demande donc le lancement d'une commission d'enquête pour déterminer les causes de l'incendie. La commission d'enquête conclut à l'absence de quatre membres du corps des garde-pompes, alors dirigé par M. Ledoux. Elle pointe également l'absence de discipline, l'absence d'encadrement, l'absence de préparation opérationnelle (en d'autres termes, l'absence d'entraînement) et, enfin, l'absence de motivation.

Quelques mois après ce drame, en 1811, Napoléon décide de militariser le corps des sapeurs-pompiers. Celui-ci existe donc depuis 212 ans. À l'instar de mes prédécesseurs, je m'efforce d'œuvrer pour remédier à ces quatre manques et maintenir de la discipline, de la motivation, du temps de préparation opérationnelle et enfin un encadrement de qualité.

Six grandes caractéristiques définissent le fonctionnement de la brigade.

En premier lieu, la BSPP est bicentenaire. Au fil du temps, les centres de secours ont connu des évolutions architecturales. Ainsi, le secteur de l'Assemblée nationale est défendu par la 4e compagnie, qui possède deux centres de secours : une vieille caserne installée dans un ancien couvent, rue du vieux Colombier, dans le 6e arrondissement, et un centre de secours situé rue Ballard, dans le 7e arrondissement, construit entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Ces changements reflètent l'évolution des risques : face à l'agrandissement de Paris, les colonels dirigeant le bataillon puis le régiment ont immédiatement compris, avec leur préfet de police respectif, qu'il fallait s'approcher au plus près du risque. Dans notre métier d'urgence, le temps est un facteur clé de succès. C'est la raison pour laquelle des postes, puis des centres de secours, ont été bâtis progressivement, en forme d'escargot. Lorsque la brigade a pris en charge les départements de la petite couronne, dans les années 1960, des centres de secours encore plus modernes ont été construits.

La BSPP a pour deuxième caractéristique majeure d'être une brigade militaire, ce qui lui confère un statut particulier. Elle est régie par une discipline et soumise à la neutralité politique (pas de droit de grève ni de droit de retrait). Nos équipes ont d'ailleurs assuré des milliers d'interventions dès l'émergence de l'épidémie de Covid-19, malgré les doutes planant sur la dangerosité de cette maladie. Par ailleurs, la BSPP mène des activités de réflexion tactique et de planification opérationnelle. Enfin, sa moyenne d'âge est jeune, puisqu'elle s'élève à 30 ans – et 27 ans pour celle des militaires du rang. Cette jeunesse est l'un des premiers traits distinctifs de la brigade par rapport aux services d'incendie et de secours (SIS). D'après un rapport de la Cour des comptes de 2017, la moyenne d'âge dans les SIS est légèrement supérieure à 40 ans.

Les sapeurs-pompiers de la brigade sont principalement employés en contrat à durée déterminée (CDD) de cinq ans. Cette jeunesse nous est nécessaire, non seulement pour ses aptitudes physiques, mais aussi parce qu'elle nous amène à nous remettre continuellement en question. Nous nous devons de justifier nos décisions aux jeunes générations et de répondre à leurs interrogations. C'est un véritable défi intellectuel.

Par ailleurs, le taux d'encadrement à la BSPP est assez différent de celui que connaissent les sapeurs-pompiers professionnels. Il se compose de 5 % d'officiers, de 20 % de sous-officiers et de 75 % de militaires du rang. Ces derniers correspondent à peu près à la catégorie C, tandis que les sous-officiers sont rattachés à la catégorie B et les officiers à la catégorie A.

La BSPP est au service de la nation et défend les « intérêts supérieurs de la nation », pour reprendre l'expression du code de la défense. Dans la mesure où Paris concentre un certain nombre de risques propres à la nation, il est normal que la sécurité civile y soit assurée par des militaires.

J'en viens à la troisième caractéristique de la brigade, qui est une autre différence par rapport aux sapeurs-pompiers professionnels : l'interdépartementalité. Depuis les années 1960, la BSPP est implantée à Paris et dans la petite couronne. Elle détient une taille critique, avec 8 600 sapeurs-pompiers d'active, plus de 800 réservistes et entre 200 et 250 volontaires en service civique (VSC). Lors des manifestations à Paris, les engins de banlieue sont mobilisés en renfort. En retour, les engins de Paris se déplacent en banlieue pour épauler leurs frères d'armes. La BSPP possède donc une capacité de renfort massif, qui a été notamment mise à contribution lors de l'incendie de Notre-Dame : en l'espace d'une demi-heure, plus de 400 sapeurs-pompiers étaient présents sur le site.

La quatrième caractéristique de la brigade tient à son intégration dans la préfecture de police, avec laquelle elle est en liaison étroite. Cette intégration se manifeste dès l'appel : lorsqu'une personne compose depuis Paris le 17, le 18 ou le 112, la communication est orientée vers la plateforme d'appel d'urgence commune opérée par la police et les pompiers. C'est un fonctionnement unique en France. La plateforme est basée dans le 17e arrondissement. Sur le terrain, les pompiers sont en contact avec les policiers et le général commandant la brigade est en contact quotidien avec tous les directeurs des services actifs et avec le préfet de police – par message ou téléphone. En 2022, la brigade a reçu en moyenne 4 000 appels par jour, qui ont entraîné 1 360 interventions par jour. Chaque minute, un véhicule de secours est envoyé sur le terrain. Plus de 80 % de ces interventions concernent du secours aux victimes : environ 25 000 accidents de circulation et 12 000 feux sont dénombrés chaque année ; ces chiffres sont relativement stables.

Le centre d'appels est en liaison avec un état-major opérationnel. Ce dernier est armé dès que les opérations montent en puissance. En cas de manifestations importantes, le Samu et les associations agréées de sécurité civile viennent renforcer le dispositif. La BSPP est donc habituée à travailler en interservices.

Notre brigade se définit aussi par une cinquième caractéristique : elle dispose d'une division santé importante, comprenant trois services médicaux et soixante-dix médecins. Nous pouvons ainsi intervenir rapidement auprès de nos sapeurs-pompiers ou armer des ambulances de réanimation pour participer à la couverture de l'agence régionale de santé (ARS), en lien avec nos camarades des différents Samu. Ce fonctionnement nous permet d'orienter nos véhicules de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) : lorsqu'un véhicule est envoyé en intervention, il rend compte à notre coordination médicale, qui le dirige vers l'hôpital adéquat en fonction de la pathologie prise en charge.

En outre, grâce à notre équipe de médecins, nous sommes en mesure d'armer rapidement des ambulances de réanimation supplémentaires. Lors des attentats du 13 novembre 2015, nous avons pu armer plus de 20 ambulances de réanimation en l'espace d'une heure, contre 7 en régime habituel. Nos médecins et nos infirmiers sont logés dans les casernes. C'est donc un atout majeur en cas de crise grave. Enfin, nous entretenons aussi des liens très forts avec les quatre Samu de Paris et de la petite couronne. À titre d'exemple, le chef de notre division Santé est un professeur de médecine, ce qui lui permet de traiter d'égal à égal avec les Samu.

Pour terminer, la BSPP dispose d'un espace de manœuvre exceptionnel, ce qui constitue sa sixième caractéristique. Sa zone de responsabilité s'étend sur 800 km2 : un périmètre relativement restreint, mais qui réunit tous les centres de décision politiques, législatifs, médiatiques et économiques. Plus de 200 ambassades et consulats sont situés dans cette zone, qui accueille aussi des millions de visiteurs. Chaque année, des événements de grande envergure sont organisés à Paris. Récemment, les six derniers matches de la coupe du monde de rugby se sont disputés au stade de France. Paris a aussi accueilli de multiples événements d'une portée internationale, tels que le centenaire de la Première guerre mondiale ou l'Euro 2016.

Paris est aussi le théâtre de grandes mutations urbaines, portées par des architectes de renommée mondiale, à l'instar de Jean Nouvel. Ces créations sont admirées par des millions de personnes. Cette zone de forte densité et enclavée est exposée à la fois aux risques urbains, aux risques de pandémie et aux risques climatiques. Au cours de l'été 2022, marqué par une très forte sécheresse, Paris a connu 600 départs de feu dans des espaces naturels, contre 150 en 2021. Grâce à nos 78 centres de secours, ces feux ont pu être éteints très rapidement.

Paris est aussi confrontée au risque social : ville de fêtes, c'est aussi le lieu de toutes les colères. C'est pourquoi nous avons acquis une solide expérience des manifestations (gilets jaunes, réforme des retraites de 2023 par exemple).

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