La séance est ouverte à neuf heures trente.
Présidence de Mme Lisa Belluco
La mission d'information auditionne M. Pierre Pantanella, maire de Saint-Rome-De-Cernon et membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF).
Nous achevons aujourd'hui notre première série d'auditions en accueillant M. Pierre Pantanella, maire de Saint-Rome-de-Cernon et membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), ainsi que Mme Catherine Leone, chargée de mission dans cette association.
Je rappelle que l'AMRF a été créée en 1907 et fédère près de 10 000 maires ruraux, afin de défendre et relayer les intérêts spécifiques des communes de moins de 3 500 habitants.
Monsieur Pantanella, je précise que notre mission est composée de députés appartenant à tous les groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Votre audition est filmée et accessible sur le site de l'Assemblée nationale.
Notre objectif consiste à étudier au plus près du terrain l'organisation de la protection et de la sécurité civiles, ainsi que les défis à relever. Pour éviter de faire fausse route, nous avons tenu à débuter nos travaux en rencontrant les élus et leurs associations, à commencer par ceux du bloc communal.
La présence sur le terrain est un marqueur essentiel pour les élus des communes rurales. Ils sont donc, par définition, au plus près des opérations de prévention et d'intervention menées par les forces de sécurité civile. Le maire, en particulier, est appelé à tenir le rôle de directeur des opérations de secours dans certaines situations. Ces élus sont au premier plan lorsque des crises surviennent et que les forces de sécurité civile interviennent. Ils peuvent s'appuyer sur leur expérience de ces situations et nous faire part de leur regard sur notre système actuel de sécurité civile.
Les élus des communes rurales connaissent des défis spécifiques en matière de protection et de sécurité civiles, et ne disposent pas nécessairement de ressources équivalentes à celles des communes urbaines pour y faire face.
Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour partager avec nous l'expertise et l'expérience des maires de communes rurales sur ces enjeux. Nous voulons faire progresser notre modèle de protection et de sécurité civiles. Nous vous invitons donc à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système, et à nous livrer toute suggestion susceptible de contribuer à nos travaux.
Permettez-moi, tout d'abord, de vous exposer les motifs de ma demande de mission d'information, déposée au nom de mon groupe, Horizons. Elle est le fruit d'une longue réflexion. Avant d'être député, j'ai moi-même été sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans, mais aussi adjoint au maire d'une ville de moins de 6 000 habitants. Eu égard aux crises que nous avons traversées, en particulier celle liée à l'épidémie de Covid-19, il m'a semblé important d'interroger notre modèle de protection et de sécurité civiles.
Monsieur Pantanella, je vous propose de nous faire part de vos réflexions sur le sujet, en tant que représentant de l'AMRF.
Merci de venir prendre le pouls des maires ruraux. Le fait est que nous sommes confrontés à divers problèmes. Par exemple, en Aveyron, nous faisons face à des inondations et à des feux de forêt. Nous nous efforçons de traiter ces risques par le biais de notre plan communal de sauvegarde (PCS).
Or, les communes très rurales ont des budgets particulièrement contraints – je suis maire d'une commune de 950 habitants, disposant d'un budget de 800 000 euros – et n'ont pas assez de ressources techniques ni de personnel pour établir ces plans en interne. Elles se trouvent donc dans l'obligation de confier cette tâche à des prestataires. Ces communes ont besoin de bénéficier d'aides, ainsi que d'un accès à des services d'ingénierie. J'ajoute que nous devons aussi améliorer les pistes dans les forêts et gérer les citernes d'eau, entre autres responsabilités.
Les obligations légales en matière de débroussaillement nous posent aussi de sérieuses difficultés, même si elles s'avèrent utiles pour lutter contre les feux de forêt, notamment en cas de sècheresse importante. Les contraintes d'organisation sont lourdes pour les petites communes, dont les moyens sont limités, et les exercices anti-incendie, efficaces pour la lutte contre les feux, sont très coûteux.
Le rapport Falco préconise la modernisation du système de sécurité civile, notamment des casernes de sapeurs-pompiers. Il aborde également la question de l'élaboration du PCS, qui est absolument indispensable. De nombreuses communes connaissent mal les consignes à suivre en cas de feu ou d'inondation. Personnellement, j'ai eu la chance de pouvoir faire appel à mon fils, pompier volontaire, qui a réalisé le PCS de notre commune à titre gracieux. À cette occasion, nous avons appris beaucoup, par exemple sur l'alerte des populations ou sur la fermeture de routes inondées. Cet exercice doit être renouvelé régulièrement. La loi nous impose d'ailleurs d'informer la population tous les deux ans, en cas d'inondations. Cette information, qui représente elle aussi un coût, peut prendre la forme d'organisation de réunions publiques ou d'animations à proximité de la rivière ou dans les écoles.
Merci beaucoup pour cette introduction. Notre mission d'information a pour objectif de mener une réflexion à l'échelon national, à la fois en métropole et en outre-mer. Dans ce cadre, nous nous intéressons à l'ensemble des risques auxquels nous pouvons être confrontés, entre autres les inondations et les feux de forêt.
Nos investigations concernent non seulement les grandes agglomérations, mais aussi les villes et les villages, que vous représentez à travers l'AMRF. Je souhaiterais savoir si votre association participe aux réflexions sur l'évolution de notre modèle de sécurité civile. Dans ce cadre, avez-vous élaboré des documents ou conduit des études sur cette thématique ? Enfin, j'ai noté que le coût de ces actions est une préoccupation pour les communes rurales. Pouvez-vous partager avec nous votre expérience d'élu sur la gestion de crise ?
Permettez-moi de préciser que j'ai été président de l'association des maires de l'Aveyron pendant six ans, et que j'en suis aujourd'hui le vice-président. Les préfets ont toujours associé l'AMRF aux réflexions sur la sécurité civile, comme sur d'autres sujets. Les comptes rendus de réunion sont envoyés à l'ensemble de nos adhérents, mais ne sont malheureusement pas lus de tous les maires.
Ma commune est traversée par deux voies départementales très importantes, ainsi qu'une voie ferrée. Elle est donc exposée aux risques chimiques, parmi d'autres risques. Or les élus ne sont pas toujours formés, ni même informés. Le plus souvent, le responsable désigné doit assister à une réunion par an, à laquelle il n'est pas forcément présent. L'AMRF s'attache à mobiliser ses adhérents sur la question du risque.
En tant que maire, j'ai dû faire face à deux événements majeurs touchant mon village. Le 28 novembre 2014, nous avons subi une inondation. Plusieurs personnes ont été secourues grâce au concours des pompiers, que nous devons féliciter. À ce propos, je voudrais mettre le Gouvernement en garde contre tout projet de réorganisation impliquant la fermeture de casernes de pompiers. Une telle décision risquerait de mettre en difficulté des habitants.
Face à un événement, c'est le maire qui porte la responsabilité dans sa commune. Il va de soi que celui-ci ne possède pas forcément les connaissances nécessaires pour gérer une crise. Si certains maires sont ingénieurs, d'autres sont plombiers ou agriculteurs. J'ai eu la chance d'être accompagné par le commandant du service départemental d'incendie et de secours (SDIS).
J'ajoute que nous avons aussi l'obligation de fournir aux pompiers leur repas. C'est un coût supplémentaire, mais lorsqu'il s'agit de sauver des vies, nous savons trouver l'argent nécessaire.
Je vous confirme donc que nous sommes associés aux réflexions sur la sécurité civile. Je constate néanmoins que le problème de communication auprès des mairies perdure. À cet égard, l'organisation de réunions avec les élus, sous la houlette des préfets et sous-préfets, constituerait une initiative intéressante. Cette mesure permettrait de mieux mobiliser les élus.
Par ailleurs, il serait bon que les communes soient aidées sur le plan technique pour l'élaboration des PCS. En outre, il faut impérativement inclure dans la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) une ligne budgétaire dédiée au financement de ces plans. J'appelle de nouveau votre attention sur les capacités budgétaires très limitées des petites communes rurales.
Les sapeurs-pompiers, tant volontaires que professionnels, jouent un rôle reconnu dans le modèle français de sécurité civile.
D'après vous, notre dispositif de protection et de sécurité civiles au sens large est-il suffisant, et peut-il répondre aux enjeux présents et à venir ? Nous savons en effet que nous serons confrontés, dans les prochaines années, à des crises majeures.
Je ne suis pas devin… Ce n'est qu'une fois confronté à l'événement que nous découvrons si nous y avons été bien préparés. Pour autant, nous devons commencer par anticiper, évaluer la potentialité des risques et organiser des exercices pour se préparer à répondre au mieux à l'événement.
Que se passera-t-il demain ? Je l'ignore, bien que l'on annonce le retour de la sécheresse à l'avenir. En 2022, déjà, l'Aveyron a été confronté à des épisodes de sécheresse intense, qui ont causé des feux de forêt. Plus de 90 % des feux sont d'origine humaine.
Il faut former et informer les populations, notamment par des campagnes de sensibilisation dans les médias.
J'ai le sentiment que notre capacité de réaction aux différents risques est plutôt satisfaisante. Nous savons tirer le bilan des événements, de manière à en limiter les impacts sur la biodiversité. La démarche globale me paraît relativement positive. Sur le plan opérationnel, notre territoire est plutôt bien équipé. Cette année, nous avons posté des pompiers à même d'intervenir dès la détection de fumées.
En revanche, je ne peux me prononcer sur les événements auxquels nous pourrions être exposés à l'avenir. Nous subirons les premières crises, puis nous nous adapterons. L'expérience fait notre force.
Je retiens de votre intervention qu'un effort est à mener sur l'accompagnement des élus, tant pour la formation que pour la mise en œuvre, et sur l'acculturation des populations. Elles doivent être aidées dans leur compréhension des risques et des gestes à suivre en cas de crise majeure.
Le financement de notre modèle de protection et de sécurité civiles repose essentiellement sur les départements et sur une contribution de l'État. Ce dispositif vous paraît-il pertinent ? Les communes rurales sont-elles associées à cet effort financier ?
Les SDIS sont effectivement financés par le département, avec une contribution des communes. À titre d'exemple, ma ville s'acquitte d'une somme de plus de 10 000 euros à ce titre, ce qui n'est pas négligeable.
De mon point de vue, la protection de la population devrait être gérée au niveau national. Auparavant, la taxe d'habitation nous permettait de recueillir une contribution des citoyens à la vie de leur collectivité. Il est regrettable d'avoir retiré ce « droit d'entrée ». En outre, il me semblerait justifié d'accroître la contribution de l'État au financement des SDIS, puisqu'il s'agit d'une problématique nationale. En tout état de cause, il est indispensable de préserver les services publics, essentiels dans la vie de nos concitoyens. Après avoir supprimé une partie de ces services, l'État recrée des structures de type France services. Mieux vaut conserver les services existants, plutôt que de réduire les impôts.
D'après vous, les associations agréées de sécurité civile sont-elles adaptées aux besoins de l'ensemble des maires ruraux et, si tel n'est pas le cas, comment améliorer ce point ? Tous vos adhérents comprennent-ils le rôle de ces associations et le modèle de sécurité civile ?
Tous les élus n'ont pas connaissance de l'organisation départementale des secours. Ils en connaissent les grands acteurs (les pompiers et les gendarmes notamment), mais ne sont pas toujours informés de l'existence d'autres structures, telles que les associations agréées de sécurité civile. Les élus ne sont pas omniscients, et c'est pourquoi je recommande d'organiser des réunions d'information collectives sur l'organisation territoriale avec les préfets et les sous-préfets.
Cette action gagnerait à être réalisée au lendemain des élections. Étant élu depuis 2000 et maire depuis 2008, je suis désormais familier du fonctionnement des institutions. Mais les nouveaux élus sont souvent déboussolés. Je considère qu'une formation obligatoire des nouveaux maires serait tout à fait justifiée. À côté de la connaissance des institutions, les maires ont besoin d'être formés à l'élaboration d'un budget. Les communes connaissent souvent des difficultés financières en fin d'année, et les collectivités font face au même problème. Une piste à explorer serait la création d'un fonds de solidarité mutualisé entre différentes communes.
D'après vous, les risques auxquels les communes rurales sont exposées pourraient-ils évoluer au cours des prochaines années, et sont-ils suffisamment anticipés par les pouvoirs publics ? Enfin, constatez-vous des disparités entre territoires dans ce domaine ?
Les maires ruraux ont pour rôle d'éveiller la conscience des autres élus sur les risques qu'ils pourraient avoir à traiter. Dans l'Aveyron, nous avons d'ailleurs organisé des réunions de travail avec nos adhérents sur le risque d'inondation.
Bien entendu, il existe de réelles disparités entre collectivités. Certaines, bien qu'exposées à des risques, n'ont toujours pas établi leur PCS, faute de moyens financiers ou techniques. Les revenus des communes sont aussi très hétérogènes, et c'est bien pour cette raison qu'un plan dédié doit être mis en place, sous l'autorité du préfet, à l'intention des communes en difficulté. Le PCS et le document d'information communal sur les risques majeurs (Dicrim) sont les meilleurs supports sur lesquels une commune peut s'appuyer pour prendre en compte les risques. Mis à disposition de la population, le Dicrim permet aussi d'organiser des réunions publiques et des animations. Je doute que toutes les collectivités remplissent leur obligation d'information bisannuelle de la population sur les risques.
J'ai le sentiment que certaines lois sont élaborées sans écouter les élus de terrain. Je vous remercie donc de m'avoir invité à cette audition et d'entendre, à travers moi, la voix de l'AMRF.
Les maires ruraux rencontrent des problèmes financiers, mais aussi techniques. Dans mon département, nous avons heureusement pu faire appel aux services d'Aveyron Ingénierie. C'est principalement en direction des nouveaux maires qu'il faut concentrer les efforts, notamment pour les former et les informer. Il faut aussi planifier des exercices. Ces actions, qui sont souvent relayées dans les médias, ont un effet d'entraînement sur les autres communes. Par exemple, nous avions réalisé un exercice simulant une collision entre un autocar et un train. Cet événement a suscité des discussions pendant plusieurs mois. En résumé, il existe des leviers pour réduire les disparités entre communes.
Cette mission entend être au plus près des réalités du terrain, qu'elles soient celles d'une grande ville, d'une petite commune ou d'un village.
Pensez-vous que vos collègues ont bien conscience du rôle du maire rural en cas de crise ? Trouvent-ils leur place dans le dispositif de protection et de sécurité civiles ? Si ce n'est pas le cas, quels seraient, d'après vous, les axes d'amélioration pour mieux faire connaître le rôle du maire auprès des communes adhérentes ?
Il est difficile de répondre à ces questions, car tout dépend du risque. Nous pouvons nous appuyer sur des professionnels de grande qualité. Face à un feu, le maire doit laisser les personnes compétentes intervenir – en l'occurrence, les sapeurs-pompiers. Face à une inondation, en revanche, le maire remplit un rôle de protection. Il condamne les routes inondées et ferme les espaces menacés. À Saint-Rome-de-Cernon, nous avons été pris de court par les inondations, car nous n'avons été alertés qu'à midi, alors que la crue avait débuté dès 8 heures.
Notre rôle est défini dans le PCS. Pour autant, il est essentiel que les élus participent à des exercices pour identifier toutes les difficultés potentielles.
Notre intervention est plus ou moins pertinente selon le type de risque. D'après le PCS, le maire est le chef des opérations. En réalité, nous ne sommes pas les acteurs les plus compétents dans le domaine de la protection. Dans la pratique, nous n'avons pas de mal à laisser les personnes compétentes faire leur travail.
Vous faites référence à la difficulté pour les maires de distinguer les responsabilités de directeur des opérations de secours de celles du commandant des opérations de secours.
À présent, je souhaiterais vous interroger sur les réserves communales de sécurité civile. Avez-vous connaissance de ce dispositif ? Quels en sont, d'après vous, les avantages et les inconvénients ?
J'ai eu connaissance de ce dispositif, mais je ne crois pas que ce sujet ait déjà été soulevé dans nos réunions de bureau ou avec nos adhérents. Je ne suis pas certain que beaucoup d'entre eux aient connaissance des réserves communales de sécurité civile.
Lorsque ma commune a dû affronter les inondations, de nombreuses personnes sont venues porter secours aux sinistrés. Aussi ronchons soient-ils, les Français sont solidaires – et les Aveyronnais peut-être davantage ! En cas de problème, nous pouvons compter sur cette solidarité. La réserve de volontaires se constitue donc tout naturellement, sans être forcément identifiée et numérotée. Il y aura toujours plus de personnes solidaires que de volontaires inscrits sur cette liste. D'ailleurs, je ne connais pas le rôle exact de ces équipes de réserve. La solidarité française me paraît beaucoup plus importante.
Vous avez raison de parler de solidarité, notamment dans le monde rural, qui sait faire preuve d'une certaine force dans les épisodes difficiles. Les réserves communales, placées sous l'égide du maire, sont implantées au plus près du terrain. De ce fait, elles peuvent aider à structurer la réponse au moment de la crise. C'est pourquoi j'ai voulu connaître votre avis sur ce dispositif.
J'ai noté que vous relevez une différence significative entre la préparation des anciens élus, avantagés par leurs expériences, leur vécu et leurs connaissances, et celle des jeunes élus, qui apprendront à gérer les crises lorsqu'elles se présenteront. Était-ce bien le sens de votre propos ?
C'est tout à fait cela. J'observe un manque de formation chez les jeunes élus. J'ai effectivement une certaine expérience liée aux crises que j'ai été amené à gérer. En résumé, rien ne vaut l'information, la formation et l'exercice pour apprendre à mieux réagir face aux difficultés. Celles-ci sont pour l'instant épisodiques, mais leur fréquence va s'accentuer. L'épisode de chaleur inhabituel que nous traversons en plein mois d'octobre laisse craindre le pire. Aujourd'hui, le changement climatique est une réalité incontestable. Vous avez parfaitement raison d'engager une réflexion nationale sur ces problèmes et de tenter d'identifier des solutions. Ces dernières peuvent être nationales, mais leur application au niveau local sera forcément diversifiée. Je crois qu'il faut laisser aux autorités locales telles que le préfet et le sous-préfet la possibilité de déroger à la règle nationale pour s'adapter aux spécificités locales et gagner en efficacité. L'efficacité me paraît prioritaire à l'application uniforme des lois. Il faut donc autoriser les aménagements locaux adaptés à la réalité locale.
Je vous remercie pour vos réponses extrêmement riches. Je voudrais vous poser une dernière question, en lien avec vos remarques sur les préfets et les sous-préfets. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont vos relations avec les services de l'État, notamment les préfectures et les sous-préfectures, sur la question spécifique du risque et de la sécurité civile ? Vous avez évoqué l'importance des exercices, et les préfectures peuvent être à l'origine de cette démarche. Cette situation s'est-elle déjà présentée dans votre commune ?
L'AMRF participe à des rencontres départementales, sous l'égide du préfet. Dans ma commune, un exercice simulant un accident lié à la collision entre un train et un bus a été organisé en associant le SDIS, la préfecture et la mairie.
Il pourrait être intéressant que la préfecture alerte les communes pour les inciter à réaliser des exercices. Ces derniers perdent de leur sens si leur programmation est entièrement connue à l'avance. Je pense que la participation des préfectures et des sous-préfectures à ces exercices serait tout à fait profitable. Je crois me souvenir que l'AMRF avait d'ailleurs présenté une contribution écrite relative à l'élaboration des PCS. Si cette information est confirmée, nous ne manquerons pas de vous transmettre ce document à l'issue de l'audition.
Notre association a effectivement rédigé une contribution écrite sur les modalités d'élaboration des PCS. Celle-ci reprend les explications de Pierre Pantanella. Elle recommande aussi que les sites d'information contenant les modèles de PCS soient davantage portés à la connaissance des élus. L'AMRF veille déjà à diffuser ces modèles, mais il est préférable de doubler les canaux d'information. Je vous ferai parvenir ce document.
Merci beaucoup. Si vous le souhaitez, vous avez aussi la possibilité de nous adresser une contribution écrite complémentaire, notamment si certains points ne vous semblent pas avoir été suffisamment approfondis aux cours de nos riches échanges de ce matin.
Nous pourrons par ailleurs vous transmettre le rapport de notre mission. Je vous remercie de vous être rendus disponibles.
Puis la mission d'information auditionne M. François-Xavier Fort, enseignant-chercheur en droit public à l'Université de Montpellier.
Bonjour, monsieur Fort. Nous vous accueillons pour cette deuxième audition de la matinée, et nous inaugurons avec vous un nouveau cycle de nos travaux. Dans les semaines à venir, nous convierons en effet des chercheurs et universitaires spécialisés dans les sujets intéressant directement notre mission d'information.
Au cours du premier cycle d'auditions, nous avons entendu de nombreuses associations nationales d'élus, dont les témoignages et expertises ont apporté des éclairages essentiels sur notre modèle de sécurité civile. Ces échanges nous ont d'ores et déjà permis d'identifier nos points forts et nos défaillances, et de dégager des pistes d'amélioration. Dans les prochains mois, nous continuerons à explorer toutes les dimensions de ce sujet crucial, en entendant l'ensemble des acteurs intéressés. Nous ouvrirons ultérieurement un autre cycle consacré aux acteurs de la société civile.
Monsieur François-Xavier Fort, vous êtes enseignant-chercheur en droit public à l'université de Montpellier. Je vous remercie de votre présence. Je suis convaincue que votre expertise en droit public, ainsi que l'ensemble de vos travaux sur le sujet qui nous réunit, enrichira notre compréhension et contribuera à nourrir utilement notre réflexion commune. Nous avons bien noté que vous interviendrez dans le cadre de vos compétences en tant que juriste.
Pour votre information, sachez que notre mission est composée de 25 députés de groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire. Je précise que notre audition est filmée et consultable sur le site de l'Assemblée nationale. Elle sera également retranscrite sous forme de compte rendu.
Nous espérons que votre audition nous aidera à mieux comprendre l'évolution de notre modèle de sécurité civile et les défis à relever pour renforcer son efficacité. Nous nous efforçons d'identifier ce qui doit être adapté ou consolidé pour mieux réagir aux crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés demain, telles que les catastrophes naturelles ou industrielles. Nous vous invitons à nous faire part le plus librement possible de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système et à nous livrer des suggestions qui pourront contribuer à nos travaux.
Pour commencer, je voudrais revenir sur le contexte de cette mission d'information. Avant d'être député, j'ai été sapeur-pompier pendant plus de trente ans, en tant que bénévole puis professionnel. J'ai aussi été premier adjoint d'une commune de 6 000 habitants. De ce fait, j'ai dû faire face à la crise sanitaire et à d'autres difficultés.
Monsieur Fort, pourriez-vous nous présenter brièvement vos travaux relatifs à notre modèle de sécurité civile et les enseignements que vous en avez retirés ?
Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir sollicité, car c'est pour moi un honneur de participer à vos travaux.
J'ai eu la chance de diriger une formation de master 2 « droit et gestion de la sécurité civile », en partenariat pendant quelques années avec l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Dans ce cadre, j'accueillais des étudiants en formation initiale, mais aussi des sapeurs-pompiers souhaitant compléter leur formation. Certains d'entre eux avaient le grade de capitaine, d'autres le grade de lieutenant-colonel. J'ai donc pu développer une forme d'expertise dans ce domaine, et j'ai été amené à diriger plusieurs thèses sur la thématique de la sécurité civile dans mon laboratoire de droit public de l'université de Montpellier.
Je vais être aussi bref que possible, de manière à laisser la place aux questions, mais je pourrai vous transmettre une contribution écrite. En tant qu'universitaire, mon indépendance est protégée. Ma personnalité m'incline à être très critique, et certains de mes propos risquent de vous déplaire, mais l'exercice est ainsi fait.
La sécurité civile constitue, à mon sens, une action fondamentale sur le plan social. Elle incombe à la puissance publique, avec pour objectif de protéger les populations contre les multiples risques auxquels elles peuvent être exposées. Cette préoccupation est apparue au XXe siècle. La loi du 8 avril 1935 évoque en effet pour la première fois la notion de défense passive. En 1951, un règlement d'administration publique relatif à l'organisation du ministère de l'intérieur institue une direction de la protection civile. Ce service national de la protection civile perdure jusqu'en 1975. Il est alors remplacé par la direction de la sécurité civile.
Il faut attendre la loi du 22 juillet 1987 pour que la sécurité civile reçoive un statut législatif, consacré par la loi de 2004. En 1987, le législateur se fonde sur les objectifs assignés à la sécurité civile et définit les mesures concourant à la réalisation de ces objectifs – à savoir, la protection des populations.
Il s'agit aujourd'hui d'instituer une protection générale de la population contre les risques de toute nature. La sécurité civile comporte trois missions, qui sont toujours d'actualité :
la prévention des risques ;
l'information, l'alerte et la préparation des populations ;
la mise en œuvre des mesures et moyens de secours appropriés.
Nous vivons aujourd'hui dans une ère de sécurité : celle-ci est une motivation fondamentale de l'organisation de l'État et des pouvoirs publics. Ces derniers ont placé la sécurité, et notamment la sécurité civile, au cœur de leur action.
Il faut dire que l'environnement a beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années. Nous sommes confrontés à des mutations globales qui, pour la plupart, ne sont pas achevées. Je pense notamment au risque d'attentat, au contexte international de plus en plus tendu (y compris sur le sol européen), au risque sanitaire, ainsi qu'au réchauffement climatique et à ses multiples conséquences, qui ne sont pas strictement environnementales.
Ainsi, la sécurité civile constitue désormais un enjeu national, voire régional. Jusqu'à une période récente, elle était envisagée uniquement au niveau local. Cette préoccupation a progressivement intégré la question plus large de la sécurité nationale et intérieure. Aujourd'hui, les crises majeures auxquelles nous pouvons faire face touchent à la fois à la sécurité intérieure et à la sécurité civile (risque technologique ou risque naturel).
La sécurité est un droit fondamental pour l'exercice des droits et libertés, et ce principe ne doit jamais être perdu de vue. Il n'existe en réalité qu'une sécurité, même si celle-ci comporte de multiples composantes.
Dans un premier temps, j'expliquerai comment l'organisation de la sécurité civile est partagée. Dans un second temps, je détaillerai les divers instruments permettant de mettre en œuvre la politique de sécurité civile.
La sécurité civile met en jeu de nombreux acteurs publics, intervenant à des niveaux différents. Cette situation est sans doute liée au fait que cette préoccupation, à l'origine locale, est devenue nationale. Chacun sait que notre millefeuille territorial est très critiqué pour sa lourdeur. Or, en matière de sécurité civile, les acteurs sont peu nombreux : le maire, d'une part, et la chaîne étatique, d'autre part.
Depuis 1884, le maire est une autorité de police, en charge de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité publique et de l'ordre. En cas d'aléa, il devient directeur des opérations de secours. Il se voit investi d'un pouvoir de police élargi, même si, en pratique, ce sont les sapeurs-pompiers qui commandent les opérations de secours.
Quant à la chaîne étatique, elle est beaucoup plus complexe, puisqu'elle va du préfet au Président de la République. Cela signifie que l'État est le garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne les moyens.
Le préfet intervient lorsque l'incident dépasse la limite d'une commune, et s'étend sur deux communes au moins. Toutefois, cette capacité a été élargie : désormais, lorsqu'un risque est susceptible de dépasser les limites ou capacités d'une commune, le préfet peut se substituer au maire. Cette subtilité traduit une volonté de renforcer l'action de l'État. Au-dessus du préfet, le préfet de zone détient des pouvoirs assez larges.
Vient ensuite l'organisation centrale, composée de plusieurs entités. Tout d'abord, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, rattachée au ministère de l'intérieur, agit sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Ensuite, le Premier ministre, conformément à l'article 20 de la Constitution, est lui aussi habilité à agir. En vertu du code de la défense, le Premier ministre « prépare et coordonne l'action des pouvoirs publics en cas de crise majeure ». La circulaire du ministre de l'intérieur du 26 septembre 2023 précise : « Pour la gestion des crises, les responsabilités sont dévolues au Premier ministre, en liaison avec le Président de la République. » Enfin, le Président de la République préside le Conseil de défense et de sécurité nationale.
S'agissant des moyens mis en œuvre, le premier acteur est le service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Son rôle a été confirmé et pérennisé par la loi de 1996. Les premiers appelés en cas de crise sont les sapeurs-pompiers. L'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales assigne au SDIS quatre missions : la prévention ; la préparation des mesures de sauvegarde ; la protection des personnes ; le secours, les soins d'urgence et l'évacuation. En matière de sécurité civile, le volontariat joue un rôle essentiel. Il existe en France 42 000 sapeurs-pompiers professionnels, mais ils ne représentent que 17 % de l'ensemble des sapeurs-pompiers. Il s'ensuit que la réponse à un événement de sécurité civile repose essentiellement sur le volontariat. Or, ce dernier n'est pas toujours bien considéré par les pouvoirs publics.
Une concurrence a émergé dans le volontariat avec la création de réserves multiples : à côté de la réserve militaire, il existe la réserve de la police nationale, la réserve de la gendarmerie, ou encore les réserves communales. Ces différentes réserves sont constituées de bénévoles, et même si certains d'entre eux peuvent être rétribués, ils sont animés avant tout par la volonté de servir.
En cas de crise majeure, toutes ces réserves seront mobilisées, ce qui pourrait poser des problèmes de coordination. De plus, nous constatons un phénomène de tension, car les volontaires ne peuvent pas appartenir à toutes les réserves. Ce point mérite réflexion. J'ajoute qu'une crise majeure impliquerait de nombreux autres acteurs : les secours médicaux tels que le Samu, les associations agréées de sécurité civile, la gendarmerie, la police nationale, éventuellement l'armée et les polices municipales. Il faut aussi se demander si, dans ce contexte, la sécurité privée pourrait être sollicitée. La réponse doit être graduelle.
Il existe de nombreux documents ou instruments juridiques organisant la sécurité civile. Ils permettent de recenser les risques et d'organiser les réponses en cas de réalisation de l'aléa, qu'il s'agisse d'un accident majeur ou d'une catastrophe. Il convient de distinguer deux catégories d'instrument : les instruments de planification, d'une part, et les instruments négociés relevant de la logique contractuelle, d'autre part.
Parmi les instruments de planification figure le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques. Ce dernier structure l'action des SDIS au niveau départemental, recense les risques et définit l'organisation de la réponse en cas de réalisation de ces risques. Les SDIS effectuent un véritable travail d'investigation sur le risque lui-même, mais aussi sur la conception de la réponse. La grande qualité de ce travail mérite d'être saluée.
Autre instrument de planification, le dossier départemental des risques majeurs s'inscrit dans une logique d'information préventive. Élaboré par les services de l'État, il vise à décrire les risques et leurs conséquences prévisibles.
Il existe aussi les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde, ainsi que les multiples « plans réponses » élaborés par l'État. Ces derniers formalisent les opérations de secours susceptibles d'être mises en œuvre en cas de réalisation de l'aléa. Le plus connu est le plan d'organisation de la réponse de la sécurité civile, dit plan Orsec, instauré au début des années 1950. Ce plan Orsec a intégré les anciens plans rouges, aujourd'hui qualifiés de plans Orsec Novi (nombreuses victimes). Il faut aussi mentionner les plans particuliers d'intervention, qui constituent un volet du plan Orsec consacré à des établissements particuliers. Pour sa part, le plan Blanc est élaboré par chaque établissement. Quant au plan Bleu, il est apparu à la suite de la canicule de 2003, et tout établissement social ou médico-social se doit d'élaborer le sien. Enfin, les contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (Cotrrim) sont des instruments négociés. Mis en œuvre à titre expérimental en 2015, ils ont été consacrés par la loi de 2021. Ils associent, à l'initiative des représentants de l'État, tous les acteurs publics et privés concernés. Ils peuvent aboutir à l'établissement de pactes capacitaires, conclus entre l'État, les SDIS et les collectivités territoriales. Ils ont pour objectif de répondre aux fragilités capacitaires face à certains risques.
Pour conclure, je pense que les progrès à accomplir portent d'abord sur la rationalisation de la réponse, mais aussi sur l'information et la participation du public et des usagers. Nous constatons, en effet, que l'information sur les risques liés à la sécurité civile est très peu diffusée par les pouvoirs publics. Il faut aussi replacer le citoyen au cœur de la politique de sécurité civile, car il est le grand absent du dispositif. Je plaide pour une association plus large de la population, de manière à ce que la sécurité civile soit l'affaire de tous.
Je vous remercie pour la clarté de vos propos. Vous avez souligné l'importance du rôle du citoyen. Estimez-vous toutefois que le système existant est en capacité de répondre aux besoins futurs en matière de sécurité et de protection civiles ?
Pour préparer cette audition, j'ai sollicité différentes connaissances, notamment des sapeurs-pompiers. Tous m'ont apporté la même réponse, à savoir qu'ils savent faire ce qu'ils ont appris à faire. Il y a trois ans, nous avons réussi à faire face à la pandémie, qui était une crise majeure. Nous avons su mobiliser tous les acteurs, qui ont répondu présents, malgré des moyens parfois insuffisants. En dépit du plan Blanc, les hôpitaux ont été rapidement saturés, au point de devoir suspendre toutes les opérations chirurgicales. Je pense que nous pouvons compter sur les SDIS, qui possèdent une véritable expertise en la matière. Tout dépend de l'ampleur du phénomène et de sa localisation.
Jusqu'à présent, les moyens disponibles ont été suffisants. Cependant, face à certains incidents, les ressources humaines sont limitées. Je pense par exemple aux feux de forêt de l'été 2022. Mais comme le disent de nombreux sapeurs-pompiers, le feu finit par s'éteindre quand il n'y a plus rien à brûler.
D'après vous, de quelle manière le changement climatique et l'évolution des modes de vie (en termes de vieillissement, d'urbanisation ou de mobilité) peuvent-ils conduire à une évolution des catastrophes auxquelles notre système de sécurité et de protection civiles devra faire face ?
Nous aurons à affronter des défis majeurs. Pour commencer, l'augmentation des températures entraîne une raréfaction de la ressource en eau. Elle a aussi des incidences sur notre habitat, qui n'est pas prévu pour cela. Il nous faudra évaluer les conséquences de ces changements. Par exemple, comment pourrons-nous éteindre les incendies si la ressource en eau diminue ? Certaines régions pourraient être confrontées à un manque d'eau potable. Ces catastrophes auront des impacts directs sur notre mode de vie.
La réponse à ces défis nécessite un travail de grande ampleur, qui n'en est encore qu'à ses prémices. Le fait est que nous n'avons pas identifié les conséquences des différents phénomènes en jeu, à commencer par le réchauffement climatique.
Pensez-vous que les différentes crises, qu'elles soient sanitaires, technologiques, environnementales ou liées à des attaques terroristes, puissent être appréhendées au travers d'une même réflexion et d'une même réponse ?
De mon point de vue, d'une façon générale la réponse à ces différentes crises doit être la même. J'ai été très surpris de constater, lors de la pandémie, que l'ensemble des mesures prises par les pouvoirs publics ont été respectées par une très grande majorité de la population, à la fois chez les acteurs et chez les citoyens. Cet exemple montre que nous pouvons compter sur leur civisme.
Il va de soi que la réponse concrète donnée à une crise sanitaire ne peut être identique à celle apportée à un attentat localisé ou à un feu de forêt gigantesque. Les moyens mobilisés varient également en conséquence. Dans le cas d'un attentat, la difficulté tient à la capacité à porter secours aux victimes et à les évacuer vers des structures hospitalières, avec une mobilisation concentrée sur un même lieu. En l'espèce, il faudrait peut-être affiner les plans existants.
Pour ce qui est d'un feu de forêt, la réponse est d'autant plus efficace qu'elle est rapide. Cela n'est cependant pas toujours possible, car les forces des sapeurs-pompiers dépendent de la population présente sur le territoire. Par conséquent, il est plus difficile d'élaborer une réponse proportionnée à la crise dans des zones rurales ou peu peuplées.
Il existe une profusion d'instruments, mais il serait judicieux de se doter d'un document de référence unique pour l'ensemble des acteurs. Un travail de rationalisation doit aussi être mené pour limiter le nombre de documents communs à l'ensemble des acteurs, tant en termes de prévision et d'identification des risques qu'en termes de réponse.
Vous avez évoqué à plusieurs reprises les sapeurs-pompiers, qui sont les premiers acteurs à intervenir lors d'événements touchant à la sécurité civile. En revanche, vous avez parlé assez peu des associations agréées de sécurité civile. Il me semble pourtant qu'elles occupent un rôle important dans le dispositif. Quelle est votre analyse sur ce sujet ?
Les associations agréées de sécurité civile exercent un rôle et sont mobilisées lors d'événements de grande ampleur, réunissant de grandes populations. Cependant, les premiers acteurs appelés lors des catastrophes sont les sapeurs-pompiers. Les associations de sécurité civile, voire l'armée, sont sollicitées lorsque l'événement dépasse les capacités des services d'incendie ou de secours. Ces associations ne peuvent être considérées comme une force d'appoint, mais elles ne sont pas les premières sollicitées.
D'après vous, les compétences des associations agréées sont-elles claires et pertinentes ? À défaut, comment pourrions-nous les améliorer ?
En cas d'événement grave, un directeur des opérations de secours et un commandant des opérations de secours sont nommés. Tous les acteurs se rangent sous la bannière de l'autorité désignée.
Au cours des deux dernières décennies, la formation des sapeurs-pompiers a connu une montée en compétences notable, à la fois pour les professionnels et pour les volontaires. C'est une évolution normale, car les formations sont financées par la puissance publique, et visent un haut degré d'expertise.
Les associations agréées de sécurité civile ne possèdent pas les mêmes moyens. Elles ne possèdent donc pas les mêmes compétences que les sapeurs-pompiers. Toutefois, dès lors que ces associations se trouvent placées sous l'autorité opérationnelle du commandant de secours, cette organisation fonctionne bien. N'étant pas présent lors des opérations, je ne connais pas les modalités opérationnelles de manière détaillée.
Vous avez mentionné la loi de 1987 et la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004. Je citerai également la loi du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et à valoriser l'engagement des sapeurs-pompiers et des sapeurs-pompiers professionnels. Ces mesures vous paraissent-elles suffisantes, ou faut-il aller plus loin dans le développement du volontariat ?
C'est un risque à prendre. J'observe qu'il y a de la bonne volonté. Force est de constater, néanmoins, qu'il est extrêmement difficile pour certains de conjuguer leur vie professionnelle et leur volontariat. À cet égard, la loi du 25 novembre 2021 marque une volonté vertueuse d'aller plus loin. Par ailleurs, la loi de 2023 ouvre deux perspectives sur la sécurité civile, avec la multiplication des exercices et la culture du risque. Le législateur, le Gouvernement et les pouvoirs publics ont pris conscience que nous pouvions être de plus en plus exposés aux risques.
Si l'on ne souhaite pas accroître la masse des fonctionnaires, il faudra donc développer le volontariat. Ce modèle finira tout de même par trouver ses limites, comme en témoignent l'augmentation du nombre de contentieux et les difficultés croissantes au sein des SDIS. Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur les limites du recours au volontariat, sachant que 17 % seulement des sapeurs-pompiers sont professionnels. De surcroît, les volontaires n'ont évidemment pas la même disponibilité qu'un professionnel. En cas d'événement majeur, la réponse sera donc plus limitée si elle repose davantage sur les volontaires que sur les professionnels.
D'après vous, existe-t-il dans d'autres pays des modèles de protection et de sécurité civiles dont nous devrions nous inspirer ? Sont-ils transposables en France ? À l'inverse, quels seraient les écueils à éviter, à la lumière des risques auxquels d'autres pays ont été exposés ?
Le droit comparé nous enseigne qu'il faut être très prudent dans l'exercice de transposition. Chaque pays possède sa propre histoire, et chaque organisation administrative est singulière et spécifique à un pays. Prenons l'exemple de l'Espagne. Dans ce pays, l'État remplit une mission de cohérence. Les villes de plus de 20 000 habitants disposent de leurs propres forces. Dans les villes plus petites, la compétence est gérée par les communautés autonomes. Vu depuis la France, ce système peut paraître incongru. Lorsqu'il est question de transposition d'un modèle d'un État à l'autre, les plus grandes précautions sont de rigueur.
Il serait intéressant de développer la coopération entre États, notamment sur les zones frontalières. Ainsi, dans les Pyrénées orientales, un hôpital transfrontalier a été construit. Il accueille des patients français et espagnols, et reçoit des secours de France et d'Espagne. Notre système est certes perfectible, mais il en est de même des autres systèmes.
Dès 2001, l'Union européenne avait engagé des réflexions sur une coopération entre États membres en matière de sécurité civile. Malheureusement, ces derniers ne se sont pas vraiment emparés de cette proposition, car la sécurité touche à leur souveraineté. C'est pourquoi les États sont assez réticents à l'idée de partager cette compétence. Je suis d'avis que ces réserves doivent être dépassées, car les catastrophes environnementales, sanitaires ou technologiques ne connaissent pas les frontières. La réponse aux nouveaux défis doit être construite de manière collective, puisque tous les États européens sont confrontés aux mêmes problématiques.
L'amélioration du dispositif passe par un travail de simplification et par le développement du contrat. Les Cotrrim et les pactes capacitaires sont des instruments intéressants, dans la mesure où ils associent une multiplicité d'acteurs. Ils facilitent le partage d'expertise et la construction concertée de la réponse. Cette piste mérite d'être approfondie.
L'autre orientation à explorer consiste à faire participer les citoyens à l'identification des risques, par exemple le risque avalanche en montagne ou le risque de submersion maritime. Alors que les personnes vivant sur place connaissent bien les risques sur leur territoire, un ingénieur envoyé par l'État, malgré toute son expertise, n'est pas à l'abri d'un oubli. Il est essentiel de mutualiser la connaissance, à la fois pour l'identification du risque et pour la construction de la réponse. Celle-ci doit être construite avec le citoyen, qui est quelque peu délaissé dans le domaine de la sécurité civile.
Il me semble que ces pistes n'ont pas été suffisamment explorées.
Merci beaucoup pour votre intervention, très claire et riche. N'hésitez pas à nous adresser une contribution écrite. Notre rapport devrait être publié autour du printemps 2024.
Merci beaucoup de votre attention. J'ai été honoré de vous exposer mes réflexions sur ce sujet.
Puis la mission d'information auditionne M. Érik de Soir, docteur en psychologie, membre de l'Association européenne de psychologie des sapeurs-pompiers.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette troisième audition vient clôturer notre session matinale. Monsieur de Soir, vous êtes docteur en psychologie et psychotraumatologie. Votre expertise dans la gestion des traumatismes et des situations de crise nous permettra de mieux comprendre les aspects psychologiques, et somme toute l'humanité, sur lesquels repose notre modèle de sécurité civile. Je vous remercie de votre engagement et de votre disponibilité pour participer à nos travaux.
Je précise que notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur le député Didier Lemaire. Votre audition est filmée, consultable sur le site de l'Assemblée nationale, et fera l'objet d'un compte rendu.
Notre objectif consiste à cerner le fonctionnement de notre système de sécurité civile dans ses diverses dimensions. Nous souhaitons identifier les aspects à adapter, renforcer et améliorer pour être en mesure de mieux réagir à toutes les crises majeures auxquelles nous pourrions être confrontés demain : catastrophes naturelles et industrielles, crises sanitaires, crises sécuritaires. Nous devons nous appuyer sur les expériences passées pour en retirer des enseignements utiles. Nous vous invitons à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civiles, et à nous livrer toute suggestion susceptible de contribuer à nos travaux. Nous sommes convaincus que vos analyses aideront à faire progresser notre organisation, au bénéfice de tous nos concitoyennes et concitoyens.
Monsieur de Soir, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation et accepté d'être auditionné.
Permettez-moi, tout d'abord, de vous exposer les motifs de ma demande de mission d'information, déposée au nom de mon groupe Horizons. J'ai été sapeur-pompier volontaire puis professionnel pendant plus de trente ans, mais aussi adjoint au maire d'une ville de près de 6 000 habitants. J'ai donc pu appréhender selon ces deux perspectives la gestion d'une crise sanitaire et d'autres situations difficiles.
J'aimerais que vous nous exposiez les principaux enseignements que vous avez tirés de vos recherches sur les modèles de sécurité civile.
Je vous remercie pour votre invitation. C'est la deuxième fois que je suis convié dans le cadre de travaux parlementaires.
L'année 2023 revêt une importance particulière pour nous, car elle marque à la fois le trentième anniversaire de l'équipe belge d'aide collégiale pour les sapeurs-pompiers et le vingtième anniversaire de l'Association européenne des psychologues sapeurs-pompiers (devenue ensuite Association européenne de psychologie sapeur-pompier). Ces deux structures ont posé en Europe les fondations d'un modèle d'aide collégial pour les sapeurs-pompiers et pour toutes les catégories de sinistrés.
Mon travail avec les collègues sapeurs-pompiers français a débuté dans le département du Nord, dans le poste de Villeneuve-d'Ascq. Notre collaboration a donné lieu à la création d'un concept désormais connu sous le nom d'« unité de soutien psychologique pour les pompiers ».
Je constate qu'en France, le travail de soutien psychosocial et d'encadrement psychologique, avec une approche pluridisciplinaire, demeure assez difficile. Les relations entre les cinq principales disciplines – le repérage et le sauvetage des victimes, l'aide médicale et le secours sanitaire, les forces de l'ordre, la logistique et l'implication de l'armée, l'information du public – ne sont pas toujours bonnes.
La première discipline concerne essentiellement les pompiers, tandis que la deuxième implique les services de secours médicaux et les services d'ambulance. La troisième discipline mobilise surtout la police et la gendarmerie. Pour sa part, la quatrième discipline intéresse la protection civile et, en Belgique, l'armée (pour l'approvisionnement en matériel lourd). Enfin, la cinquième discipline fait intervenir les acteurs participant à l'information du grand public.
Lorsque j'ai commencé à travailler en France, dans des activités d'intervention de secours, de supervision ou de formation, j'ai découvert que l'accès des psychologues français à la littérature internationale était compliqué. De fait, peu d'entre eux maîtrisaient l'anglais. Il m'est donc souvent arrivé de défendre des positions promues par des sources internationales, mais peu connues en France. En France, la psychiatrie a longtemps été herméneutique, sous l'influence de psychiatres peu enclins à mener des recherches empiriques.
J'ai été confronté au même problème lorsque j'ai travaillé avec les forces armées. Dans l'armée, les psychologues étaient autrefois appelés « officiers d'environnement humain » pour éviter de les nommer. Nous avons connu une situation comparable en Belgique, quand notre pays a décidé d'envoyer des psychologues en mission humanitaire. Ils étaient dénommés « conseillers en opérationnalité mentale ».
Le premier enseignement essentiel, d'après moi, réside dans l'importance de la recherche empirique. Après tout événement majeur ou catastrophe de type plan Rouge, il convient de constituer immédiatement un comité d'experts en urgence médico-psychologique, chargé d'élaborer un modèle de suivi pour les victimes, les familles des victimes et les intervenants. C'est, à mon sens, la première recommandation à suivre. J'observe en effet qu'il y a beaucoup d'improvisation dans les premières heures et les premiers jours après la catastrophe. Pour prendre un exemple, la ville de Venise a récemment connu un terrible accident d'autocar : le véhicule a fait une chute d'une quinzaine de mètres, causant la mort de plus de vingt personnes. Dans un tel contexte, je conseillerais de réunir des experts reconnus, sélectionnés selon de solides critères, tels que la rédaction et la publication de travaux scientifiques. Le comité d'experts se voit confier la mission de dresser l'inventaire des recherches scientifiques consacrées à l'accompagnement de sinistrés dans le même type d'accident. À la lumière de ces travaux, il lui est demandé d'élaborer un modèle de suivi.
En 2012, la Belgique a connu, elle aussi, un accident d'autocar dramatique. Celui-ci transportait des enfants belges et néerlandais et a heurté de plein fouet une paroi d'un tunnel, à Sierre, ville suisse. Un collègue norvégien m'a immédiatement envoyé sa thèse de doctorat, qui portait sur un accident similaire survenu dans son pays. J'ai proposé aux dirigeants des services d'intervention et aux politiques de s'inspirer de ce travail, mais personne n'a voulu m'entendre. Après quatre ans, les actions menées dans le cadre de l'accompagnement psychologique de cet accident ont été reconsidérées comme un contre-exemple des décisions à prendre dans pareil contexte. Des groupes de victimes ont pris la parole dans la presse suisse, belge et néerlandaise pour exprimer leur mécontentement. Cette erreur est d'autant plus dommageable qu'il aurait été possible d'accomplir un travail exemplaire.
En cas d'événement majeur, il convient de s'appuyer sur un plan d'intervention préétabli au lieu de rechercher un mandat d'intervention psychologique et d'encadrement psychosocial. J'ajouterai que, dans de telles circonstances, l'aide ne doit en aucun cas être commercialisée. En effet, en France comme en Belgique, certains collègues proposent leurs services, après une catastrophe, à un prix très élevé.
En ce qui me concerne, je suis intervenu dans diverses situations de catastrophe. La première s'est déroulée en 1994-1995, suite à un incendie dans un grand hôtel d'Anvers ayant entraîné seize décès. J'ai été sollicité dans d'autres catastrophes, tant en Belgique qu'à l'étranger. J'ai aussi été impliqué dans l'accompagnement et la supervision de collègues lors d'attentats terroristes en France et en Tunisie.
Merci pour vos propos introductifs. En tant que membre d'une association européenne, vous disposez d'une vision d'ensemble sur les modèles de sécurité et de protection civiles en vigueur dans les différents pays. Quel est votre regard sur le modèle français ?
Le point fort du modèle français tient aux textes et référentiels, qui sont très détaillés. Les structures d'intervention françaises sont rapidement mobilisables et de nombreux corps en uniforme conservent un esprit assez militaire, voire militariste. Ces structures présentent donc une bonne discipline. En France, l'attitude militaire facilite le commandement ; ce dernier est parfois rigide, mais clair et bien structuré.
Le point faible du modèle français concerne la difficulté à faire face à une catastrophe potentielle avec des sinistrés de différentes langues. Par contraste, chaque Belge parle couramment quatre langues, ce qui simplifie la communication en cas d'accident touchant des personnes d'autres pays d'Europe. Il est primordial qu'à l'échelle de l'Europe, le système de protection et de sécurité civiles dispose d'un réseau de personnes ressources de référence, connues à l'avance. Trouver le bon interlocuteur dans un autre pays et entrer en contact avec lui est toujours délicat. Les centres de crise rattachés au ministère de l'Europe et des affaires étrangères disposent d'intervenants mobilisables, mais ces derniers n'ont pas toujours une bonne connaissance de la gestion des crises. Ainsi, lorsqu'un accident fait des victimes appartenant à dix pays différents, il est très compliqué de trouver, dans chacun de ces pays, la personne à contacter pour activer le plan catastrophe et les plans de contingence.
Si le système français paraît bien organisé en théorie, je doute que la rapidité d'activation soit équivalente dans tous les départements. La qualité et l'expérience des cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP) sur l'ensemble du territoire sont très disparates. Les ressources en zone rurale sont bien plus limitées que dans les grandes villes, ce qui est normal dans un grand pays tel que la France. Toutefois, j'ai le sentiment qu'une certaine rivalité perdure dans les grandes villes, entre les différents acteurs amenés à travailler ensemble. Je l'ai d'ailleurs constaté lors des attentats terroristes : certains professionnels voulaient être les premiers présents auprès des victimes.
Les attentats terroristes à l'aéroport de Bruxelles ont confirmé l'importance d'une approche pluridisciplinaire. En effet, les forces de police, les forces de l'ordre et l'armée belges n'avaient jamais eu l'occasion de travailler ensemble sur des événements de cette ampleur. Un inspecteur de police ayant trouvé un chargeur de fusil militaire avait ainsi lancé l'alerte, croyant qu'il s'agissait d'un chargeur de kalachnikov. Le peloton militaire qui patrouillait à l'aéroport revenait du Mali, où il avait assuré la protection des troupes françaises. Il a observé une réaction tout à fait appropriée à l'événement. Ce fait montre que les attitudes des policiers étaient très différentes de celles des militaires.
Pour améliorer la prise en charge des événements majeurs, il faut donc s'attacher à impliquer les différentes disciplines (services de secours, secours médicaux, pompiers, armée et police) dès la formation et les faire travailler ensemble. Ces services doivent être placés dans des situations de simulation très réalistes et être entraînés de manière collective.
Pouvez-vous revenir sur les effets psychologiques des accidents ou catastrophes sur les sapeurs-pompiers, tels que l'état de choc, la dépression ou encore le burn-out ?
Par ailleurs, il existe en France des associations agréées de sécurité civile, qui interviennent également en cas de crise majeure. D'après vous, est-il envisageable de les associer aux actions d'accompagnement psychologique, dans la mesure où elles peuvent être exposées aux mêmes chocs que les sapeurs-pompiers, les gendarmes et les policiers ?
Mes propres recherches et les travaux de collègues de l'université de Liège et des Pays-Bas montrent que la prévalence de l'état de stress ou du syndrome de stress post-traumatique chez les pompiers est comparable à celle constatée chez les policiers. Cette prévalence est estimée entre 8 et 10 % du public total, soit une personne sur dix. Cependant, le taux de suicide est trois fois plus élevé chez les agents de police que chez les pompiers, sans doute parce que l'autorisation du port d'arme facilite le passage à l'acte chez les policiers. D'après une récente étude menée en Belgique, 8,74 % des 8 700 policiers composant l'échantillon présentent un syndrome de stress post-traumatique. Pour autant, ce résultat n'est pas nécessairement la conséquence du métier exercé par les pompiers, les agents de sécurité civile ou les pompiers. De fait, nous n'avons aucune connaissance sur la santé mentale des agents de sécurité civile à leur entrée en formation. À titre de comparaison, je rappelle toutefois qu'à l'échelle de toute l'Europe, on estime qu'entre une femme sur quatre et une femme sur cinq a subi des violences sexuelles.
Dans ma thèse de doctorat, soutenue il y a une dizaine d'années, j'ai établi que l'un des facteurs prédicteurs des états de choc et de stress post-traumatique, parmi les pompiers et les ambulanciers, est la dissociation péritraumatique. Celle-ci renvoie aux états de choc subis en situation d'intervention, et se manifeste par des phénomènes tels que la double conscience, la dépersonnalisation ou la déréalisation. Ces états, qui permettent de rester fonctionnels en situation d'intervention, aggravent par la suite le cheminement post-traumatique. Le manque d'aide et le manque de satisfaction envers l'aide reçue sont aussi des prédicteurs importants. J'ai pu montrer que le soutien social et psychologique de l'environnement des personnes concernées est essentiel. Néanmoins, des études conduites aux Pays-Bas ont relevé que ces différents prédicteurs s'effaceraient dans les modèles statistiques à condition de disposer d'une mesure spécifique, à savoir l'état de santé mentale de l'individu avant l'événement.
Sur la base de ces travaux, je formulerai la recommandation suivante. Les aspirants pompiers et policiers, dès leur admission, devraient faire l'objet d'une évaluation de santé mentale. L'objectif n'est pas de sélectionner, mais bien de dépister – c'est-à-dire de mesurer pour mieux accompagner par la suite. Cette action nous permettrait d'améliorer la résilience des aspirants pompiers et policiers dès leur parcours de formation, avant de les envoyer sur le terrain.
De nombreux pays d'Europe se sont dotés de lois sur la prévention du burn-out. L'employeur est tenu de prendre des mesures préventives contre ce syndrome. En réalité, je crois que le burn-out est surtout lié à des antécédents non connus de la vie personnelle des agents avant leur intervention sur le terrain. Encore une fois, il me paraît judicieux d'opter pour une approche préventive et de commencer par évaluer la santé mentale des aspirants pompiers et policiers, avant de les former et de les envoyer sur le terrain.
Si je comprends bien, les aspects psychologiques doivent être pris en compte avant l'engagement de ces personnels, dès leur formation.
Exactement. Il convient effectivement de prévoir des mesures durant la formation. Permettez-moi de vous rappeler la distinction entre prévention primaire, prévention secondaire et prévention tertiaire. La prévention primaire désigne les actions de soutien et de formation mises en place avant l'engagement sur le terrain. La prévention secondaire se rapporte aux actions déployées après l'événement, telles que le débriefing psychologique et la prise en charge individuelle ou collective. Enfin, la prévention tertiaire intervient lorsque la prévention primaire et la prévention secondaire ne sont pas suffisantes. Elle se traduit par le traitement individuel de la personne concernée.
C'est pourquoi il est très utile de pouvoir s'appuyer sur des experts. Les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) disposent d'unités de soutien psychologique. Composées de psychologues en uniforme, elles peuvent être sollicitées pour le recrutement, la formation et les interventions sur le terrain. Je précise que, sur l'ensemble du territoire belge, nous ne sommes que quatre ou cinq psychologues en uniforme chez les pompiers. La France compte de nombreux psychologues sapeurs-pompiers sur le terrain, et ce modèle se rencontre dans très peu de pays. Il est précieux de pouvoir mobiliser ces personnes ayant une formation de psychologue, et parfois aussi de pompier. Certains sont d'ailleurs actifs en tant que pompiers de terrain.
Je sais qu'un capitaine psychologue est basé en Andorre. Mais les Pays-Bas, les pays scandinaves et la Grande-Bretagne n'ont pas de psychologues en uniforme. L'AEPSP s'efforce justement d'influencer les dirigeants d'autres pays en leur montrant qu'il est crucial de pouvoir intervenir dans les moments les plus aigus d'une crise. Depuis la création de notre association, en 1993, la France est exemplaire pour la mise en place de soutien psychologique dans les corps en uniforme sur le terrain. Il y a quelques années encore, les services de gendarmerie disposaient de deux ou trois psychologues seulement pour l'ensemble du territoire. Ces intervenants étaient amenés à parcourir des distances considérables pour apporter leur aide. Heureusement, les effectifs se sont beaucoup étoffés au cours des dernières années. Cette évolution me semble tout à fait positive.
Je vous remercie. Je tiens à vous faire part de mon expérience sur le sujet. Avant d'être député, j'ai fait partie d'un SDIS qui avait fait le choix d'une politique de soutien psychologique. Je dois reconnaître qu'au début de cette aventure, nous considérions cette aide avec une certaine distance. Je vous rejoins complètement sur l'importance de pouvoir s'appuyer sur des psychologues portant le même uniforme que les sapeurs-pompiers. Aujourd'hui, il serait impensable de se passer d'eux. Leur contribution est primordiale.
Pouvez-vous nous présenter le réseau européen d'assistance et d'appui pour la gestion du stress traumatique pour les sapeurs-pompiers et les services médicaux d'urgence ? En quoi consiste-t-il, et dans quels pays est-il actif ?
Notre association, l'AEPSP, compte des membres installés en France, en Belgique, en Italie, en Andorre, en Grèce et au Luxembourg. Les pays plus nordiques, notamment les Pays-Bas et la Scandinavie, ne font pas encore partie de ce réseau. Ce fait s'explique par une différence de culture. La Belgique fait office de pont entre les pays du Nord et du Sud de l'Europe.
Le dispositif créé par notre association comporte d'abord un premier niveau d'aide par les pairs : les « pairs aidants ». Ceux-ci sont formés aux interventions de soutien immédiat, selon une approche monodisciplinaire. Les pairs aidants sont formés dans les différentes disciplines (les hôpitaux, les services de police, les services d'ambulance ou les sapeurs-pompiers) pour des interventions immédiates et directes auprès de leurs propres collègues. Le dispositif intègre ensuite un deuxième niveau d'aide, pluridisciplinaire. Dans le suivi psychologique, le bilan et la reconstruction de l'événement sont des étapes importantes, nécessitant l'apport des différentes disciplines. Il faut parfois réunir quarante ou cinquante spécialistes pour établir le bilan d'un événement, et cette démarche peut prendre plusieurs heures. Ce deuxième niveau de prise en charge est supervisé par un psychologue.
Pour illustrer ce point, j'évoquerai le drame familial récent survenu dans le nord-est de la Belgique : un père a tué ses deux enfants avant de se jeter dans un canal avec sa voiture. L'événement a mobilisé à la fois des pompiers, des plongeurs, des équipes de réanimation, des intervenants des Smur, trois médecins, des agents de protection civile et des forces de police. Dès que les pompiers peuvent quitter les lieux, ils sont pris en charge par des pairs aidants. Cette action relève du premier niveau d'aide. Le deuxième niveau prend place quelques jours après. Tous les intervenants présents sur les lieux sont alors réunis et bénéficient d'une prise en charge spécialisée. Nous restons ensuite en contact avec les personnes concernées, en mesurant leur état de choc selon trois dimensions : une dimension traumatogène (appréciée selon un code couleur vert, orange et rouge), une dimension dépressogène (réactions de deuil), une dimension d'épuisement. Pour ce faire, nous utilisons une matrice comprenant différents critères, sur une durée de quatre à huit semaines. Si le vert progresse, nous pouvons en conclure que l'intervention va dans le bon sens. En principe, le diagnostic d'état de stress post-traumatique peut être posé au bout d'un mois.
En résumé, notre dispositif est constitué d'un premier niveau de pair aidant, d'un deuxième niveau de débriefing pluridisciplinaire, et enfin d'un troisième niveau, celui du psychologue sapeur-pompier.
Comme je vous l'expliquais, les pays nordiques et anglophones ont une approche très différente, contraire à celle qu'ils avaient adoptée il y a une dizaine d'années. À cette époque, quand des événements graves survenaient, la situation était prise en charge immédiatement. Aujourd'hui, les pays anglo-saxons ont plutôt tendance à privilégier le watch through waiting, c'est-à-dire « attendre attentivement ». Aucune action n'est menée lorsque la crise se produit, et la situation est évaluée au bout d'un mois. Si les syndromes de stress post-traumatique perdurent, la personne est envoyée en thérapie individuelle cognitive. Il va de soi que nous ne soutenons pas ce modèle, qui revient à laisser les personnes sans aide pendant un mois.
En France, les formations des intervenants des unités de soutien psychologique sont dispensées à l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), à Aix. Ce dispositif fonctionne très bien.
Pour sa part, la Belgique est divisée en dix provinces, et chacune d'entre elles dispose d'un institut provincial de formation, dans lequel les agents de police et de protection civile, ainsi que les pompiers et les ambulanciers, sont formés ensemble. Ils apprennent ainsi à se connaître.
Le point fort de ce modèle de prise en charge immédiate réside, à mon sens, dans sa validité scientifique. Il fait l'objet de travaux de master et de thèses de doctorat depuis plus de cinq ans. En matière de formation, mon collègue Sylvain Goujard dirige un diplôme universitaire en psychologie de l'urgence à l'université de Haute-Savoie. J'espère que d'autres cycles de formation permettront à des intervenants d'autres disciplines (médecins, psychologues, psychiatres, etc.) de se former à la psychologie de l'urgence à un niveau universitaire. Cela suppose qu'ils entreprendront des recherches de master.
Merci pour ces réponses complètes. Souhaitez-vous apporter des précisions ou des compléments en lien avec le sujet de cette mission d'information ?
J'espère que l'accès aux données sera facilité. Pour l'instant, le règlement général sur la protection des données (RGPD) complique beaucoup les choses. Or, il est très important de connaître l'état de la victime après l'intervention. Deux heures après les attentats à l'aéroport de Bruxelles, j'étais présent sur place. J'ai été confronté à des scènes d'horreur et d'atrocité. Le plus important, pour les intervenants, est d'obtenir des informations sur la santé des victimes. Je souhaiterais que nous puissions trouver le moyen de tenir les sauveteurs et secouristes informés des résultats de leurs actions. Ils se trouvent en effet submergés par un flot d'images traumatiques qu'ils n'ont pas les moyens d'intégrer s'ils ne connaissent pas l'issue de l'intervention. Tout au plus peuvent-ils se dire : « J'ai fait ce que je devais faire, mais je ne sais pas comment se porte la victime ».
À côté des événements majeurs, il ne faut pas oublier les accidents de tous les jours, qui sont des catastrophes microsociales. En tant que psychologue sapeur-pompier, l'accompagnement des familles des victimes est un aspect primordial de mon métier. Cet accompagnement assuré sur le lieu de l'intervention aide souvent à prévenir le deuil traumatique. Le pompier, le policier, l'ambulancier, et parfois le médecin du Smur lui-même, n'ont pas souvent conscience qu'ils sont les acteurs les plus importants dans la prévention du traumatisme des victimes et des familles des victimes.
Je voudrais aussi préciser que, depuis 2004, j'accompagne des victimes grièvement blessées, incarcérées dans des épaves de véhicules. Pour ce faire, je m'appuie sur la technique de stabilisation psychophysiologique des grands blessés, qui est bien documentée en France. Au sein de l'Otan, j'ai aussi développé une version de cette technique destinée à l'armée. Il s'agit d'une forme d'hypnose, qui permet de mener un travail sur l'anxiété, l'angoisse de mort, la dissociation. J'ai pu démontrer qu'en cas de situation extrêmement grave, auprès de polytraumatisés, cette approche conduit à une stabilisation des paramètres vitaux. C'est un travail qui peut être mené par des pompiers et des ambulanciers en situation de catastrophe.
J'explique souvent aux personnes que je forme qu'elles seront tôt ou tard amenées à utiliser cette technique auprès de collègues grièvement blessés ou brûlés lors d'une intervention.
Merci pour toutes vos réponses instructives et riches. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous transmettre une contribution écrite pour consolider vos propos ou apporter des éléments complémentaires. Je vous remercie pour votre disponibilité.
Ce fut un honneur et un plaisir d'être avec vous. Je vous souhaite bonne continuation dans vos travaux.
La séance est levée à douze heures vingt.
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles
Réunion du jeudi 5 octobre 2023 à 9 heures 30
Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Bertrand Bouyx, M. Didier Lemaire
Excusés. - Mme Emmanuelle Anthoine, M. Florian Chauche, M. Jean-Marie Fiévet