Je vous remercie pour votre invitation. C'est la deuxième fois que je suis convié dans le cadre de travaux parlementaires.
L'année 2023 revêt une importance particulière pour nous, car elle marque à la fois le trentième anniversaire de l'équipe belge d'aide collégiale pour les sapeurs-pompiers et le vingtième anniversaire de l'Association européenne des psychologues sapeurs-pompiers (devenue ensuite Association européenne de psychologie sapeur-pompier). Ces deux structures ont posé en Europe les fondations d'un modèle d'aide collégial pour les sapeurs-pompiers et pour toutes les catégories de sinistrés.
Mon travail avec les collègues sapeurs-pompiers français a débuté dans le département du Nord, dans le poste de Villeneuve-d'Ascq. Notre collaboration a donné lieu à la création d'un concept désormais connu sous le nom d'« unité de soutien psychologique pour les pompiers ».
Je constate qu'en France, le travail de soutien psychosocial et d'encadrement psychologique, avec une approche pluridisciplinaire, demeure assez difficile. Les relations entre les cinq principales disciplines – le repérage et le sauvetage des victimes, l'aide médicale et le secours sanitaire, les forces de l'ordre, la logistique et l'implication de l'armée, l'information du public – ne sont pas toujours bonnes.
La première discipline concerne essentiellement les pompiers, tandis que la deuxième implique les services de secours médicaux et les services d'ambulance. La troisième discipline mobilise surtout la police et la gendarmerie. Pour sa part, la quatrième discipline intéresse la protection civile et, en Belgique, l'armée (pour l'approvisionnement en matériel lourd). Enfin, la cinquième discipline fait intervenir les acteurs participant à l'information du grand public.
Lorsque j'ai commencé à travailler en France, dans des activités d'intervention de secours, de supervision ou de formation, j'ai découvert que l'accès des psychologues français à la littérature internationale était compliqué. De fait, peu d'entre eux maîtrisaient l'anglais. Il m'est donc souvent arrivé de défendre des positions promues par des sources internationales, mais peu connues en France. En France, la psychiatrie a longtemps été herméneutique, sous l'influence de psychiatres peu enclins à mener des recherches empiriques.
J'ai été confronté au même problème lorsque j'ai travaillé avec les forces armées. Dans l'armée, les psychologues étaient autrefois appelés « officiers d'environnement humain » pour éviter de les nommer. Nous avons connu une situation comparable en Belgique, quand notre pays a décidé d'envoyer des psychologues en mission humanitaire. Ils étaient dénommés « conseillers en opérationnalité mentale ».
Le premier enseignement essentiel, d'après moi, réside dans l'importance de la recherche empirique. Après tout événement majeur ou catastrophe de type plan Rouge, il convient de constituer immédiatement un comité d'experts en urgence médico-psychologique, chargé d'élaborer un modèle de suivi pour les victimes, les familles des victimes et les intervenants. C'est, à mon sens, la première recommandation à suivre. J'observe en effet qu'il y a beaucoup d'improvisation dans les premières heures et les premiers jours après la catastrophe. Pour prendre un exemple, la ville de Venise a récemment connu un terrible accident d'autocar : le véhicule a fait une chute d'une quinzaine de mètres, causant la mort de plus de vingt personnes. Dans un tel contexte, je conseillerais de réunir des experts reconnus, sélectionnés selon de solides critères, tels que la rédaction et la publication de travaux scientifiques. Le comité d'experts se voit confier la mission de dresser l'inventaire des recherches scientifiques consacrées à l'accompagnement de sinistrés dans le même type d'accident. À la lumière de ces travaux, il lui est demandé d'élaborer un modèle de suivi.
En 2012, la Belgique a connu, elle aussi, un accident d'autocar dramatique. Celui-ci transportait des enfants belges et néerlandais et a heurté de plein fouet une paroi d'un tunnel, à Sierre, ville suisse. Un collègue norvégien m'a immédiatement envoyé sa thèse de doctorat, qui portait sur un accident similaire survenu dans son pays. J'ai proposé aux dirigeants des services d'intervention et aux politiques de s'inspirer de ce travail, mais personne n'a voulu m'entendre. Après quatre ans, les actions menées dans le cadre de l'accompagnement psychologique de cet accident ont été reconsidérées comme un contre-exemple des décisions à prendre dans pareil contexte. Des groupes de victimes ont pris la parole dans la presse suisse, belge et néerlandaise pour exprimer leur mécontentement. Cette erreur est d'autant plus dommageable qu'il aurait été possible d'accomplir un travail exemplaire.
En cas d'événement majeur, il convient de s'appuyer sur un plan d'intervention préétabli au lieu de rechercher un mandat d'intervention psychologique et d'encadrement psychosocial. J'ajouterai que, dans de telles circonstances, l'aide ne doit en aucun cas être commercialisée. En effet, en France comme en Belgique, certains collègues proposent leurs services, après une catastrophe, à un prix très élevé.
En ce qui me concerne, je suis intervenu dans diverses situations de catastrophe. La première s'est déroulée en 1994-1995, suite à un incendie dans un grand hôtel d'Anvers ayant entraîné seize décès. J'ai été sollicité dans d'autres catastrophes, tant en Belgique qu'à l'étranger. J'ai aussi été impliqué dans l'accompagnement et la supervision de collègues lors d'attentats terroristes en France et en Tunisie.