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Intervention de François-Xavier Fort

Réunion du jeudi 5 octobre 2023 à 9h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

François-Xavier Fort, enseignant-chercheur en droit public à l'université de Montpellier :

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir sollicité, car c'est pour moi un honneur de participer à vos travaux.

J'ai eu la chance de diriger une formation de master 2 « droit et gestion de la sécurité civile », en partenariat pendant quelques années avec l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp). Dans ce cadre, j'accueillais des étudiants en formation initiale, mais aussi des sapeurs-pompiers souhaitant compléter leur formation. Certains d'entre eux avaient le grade de capitaine, d'autres le grade de lieutenant-colonel. J'ai donc pu développer une forme d'expertise dans ce domaine, et j'ai été amené à diriger plusieurs thèses sur la thématique de la sécurité civile dans mon laboratoire de droit public de l'université de Montpellier.

Je vais être aussi bref que possible, de manière à laisser la place aux questions, mais je pourrai vous transmettre une contribution écrite. En tant qu'universitaire, mon indépendance est protégée. Ma personnalité m'incline à être très critique, et certains de mes propos risquent de vous déplaire, mais l'exercice est ainsi fait.

La sécurité civile constitue, à mon sens, une action fondamentale sur le plan social. Elle incombe à la puissance publique, avec pour objectif de protéger les populations contre les multiples risques auxquels elles peuvent être exposées. Cette préoccupation est apparue au XXe siècle. La loi du 8 avril 1935 évoque en effet pour la première fois la notion de défense passive. En 1951, un règlement d'administration publique relatif à l'organisation du ministère de l'intérieur institue une direction de la protection civile. Ce service national de la protection civile perdure jusqu'en 1975. Il est alors remplacé par la direction de la sécurité civile.

Il faut attendre la loi du 22 juillet 1987 pour que la sécurité civile reçoive un statut législatif, consacré par la loi de 2004. En 1987, le législateur se fonde sur les objectifs assignés à la sécurité civile et définit les mesures concourant à la réalisation de ces objectifs – à savoir, la protection des populations.

Il s'agit aujourd'hui d'instituer une protection générale de la population contre les risques de toute nature. La sécurité civile comporte trois missions, qui sont toujours d'actualité :

 la prévention des risques ;

 l'information, l'alerte et la préparation des populations ;

 la mise en œuvre des mesures et moyens de secours appropriés.

Nous vivons aujourd'hui dans une ère de sécurité : celle-ci est une motivation fondamentale de l'organisation de l'État et des pouvoirs publics. Ces derniers ont placé la sécurité, et notamment la sécurité civile, au cœur de leur action.

Il faut dire que l'environnement a beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années. Nous sommes confrontés à des mutations globales qui, pour la plupart, ne sont pas achevées. Je pense notamment au risque d'attentat, au contexte international de plus en plus tendu (y compris sur le sol européen), au risque sanitaire, ainsi qu'au réchauffement climatique et à ses multiples conséquences, qui ne sont pas strictement environnementales.

Ainsi, la sécurité civile constitue désormais un enjeu national, voire régional. Jusqu'à une période récente, elle était envisagée uniquement au niveau local. Cette préoccupation a progressivement intégré la question plus large de la sécurité nationale et intérieure. Aujourd'hui, les crises majeures auxquelles nous pouvons faire face touchent à la fois à la sécurité intérieure et à la sécurité civile (risque technologique ou risque naturel).

La sécurité est un droit fondamental pour l'exercice des droits et libertés, et ce principe ne doit jamais être perdu de vue. Il n'existe en réalité qu'une sécurité, même si celle-ci comporte de multiples composantes.

Dans un premier temps, j'expliquerai comment l'organisation de la sécurité civile est partagée. Dans un second temps, je détaillerai les divers instruments permettant de mettre en œuvre la politique de sécurité civile.

La sécurité civile met en jeu de nombreux acteurs publics, intervenant à des niveaux différents. Cette situation est sans doute liée au fait que cette préoccupation, à l'origine locale, est devenue nationale. Chacun sait que notre millefeuille territorial est très critiqué pour sa lourdeur. Or, en matière de sécurité civile, les acteurs sont peu nombreux : le maire, d'une part, et la chaîne étatique, d'autre part.

Depuis 1884, le maire est une autorité de police, en charge de la sécurité, de la tranquillité, de la salubrité publique et de l'ordre. En cas d'aléa, il devient directeur des opérations de secours. Il se voit investi d'un pouvoir de police élargi, même si, en pratique, ce sont les sapeurs-pompiers qui commandent les opérations de secours.

Quant à la chaîne étatique, elle est beaucoup plus complexe, puisqu'elle va du préfet au Président de la République. Cela signifie que l'État est le garant de la cohérence de la sécurité civile au plan national. Il en définit la doctrine et coordonne les moyens.

Le préfet intervient lorsque l'incident dépasse la limite d'une commune, et s'étend sur deux communes au moins. Toutefois, cette capacité a été élargie : désormais, lorsqu'un risque est susceptible de dépasser les limites ou capacités d'une commune, le préfet peut se substituer au maire. Cette subtilité traduit une volonté de renforcer l'action de l'État. Au-dessus du préfet, le préfet de zone détient des pouvoirs assez larges.

Vient ensuite l'organisation centrale, composée de plusieurs entités. Tout d'abord, la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, rattachée au ministère de l'intérieur, agit sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Ensuite, le Premier ministre, conformément à l'article 20 de la Constitution, est lui aussi habilité à agir. En vertu du code de la défense, le Premier ministre « prépare et coordonne l'action des pouvoirs publics en cas de crise majeure ». La circulaire du ministre de l'intérieur du 26 septembre 2023 précise : « Pour la gestion des crises, les responsabilités sont dévolues au Premier ministre, en liaison avec le Président de la République. » Enfin, le Président de la République préside le Conseil de défense et de sécurité nationale.

S'agissant des moyens mis en œuvre, le premier acteur est le service départemental d'incendie et de secours (SDIS). Son rôle a été confirmé et pérennisé par la loi de 1996. Les premiers appelés en cas de crise sont les sapeurs-pompiers. L'article L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales assigne au SDIS quatre missions : la prévention ; la préparation des mesures de sauvegarde ; la protection des personnes ; le secours, les soins d'urgence et l'évacuation. En matière de sécurité civile, le volontariat joue un rôle essentiel. Il existe en France 42 000 sapeurs-pompiers professionnels, mais ils ne représentent que 17 % de l'ensemble des sapeurs-pompiers. Il s'ensuit que la réponse à un événement de sécurité civile repose essentiellement sur le volontariat. Or, ce dernier n'est pas toujours bien considéré par les pouvoirs publics.

Une concurrence a émergé dans le volontariat avec la création de réserves multiples : à côté de la réserve militaire, il existe la réserve de la police nationale, la réserve de la gendarmerie, ou encore les réserves communales. Ces différentes réserves sont constituées de bénévoles, et même si certains d'entre eux peuvent être rétribués, ils sont animés avant tout par la volonté de servir.

En cas de crise majeure, toutes ces réserves seront mobilisées, ce qui pourrait poser des problèmes de coordination. De plus, nous constatons un phénomène de tension, car les volontaires ne peuvent pas appartenir à toutes les réserves. Ce point mérite réflexion. J'ajoute qu'une crise majeure impliquerait de nombreux autres acteurs : les secours médicaux tels que le Samu, les associations agréées de sécurité civile, la gendarmerie, la police nationale, éventuellement l'armée et les polices municipales. Il faut aussi se demander si, dans ce contexte, la sécurité privée pourrait être sollicitée. La réponse doit être graduelle.

Il existe de nombreux documents ou instruments juridiques organisant la sécurité civile. Ils permettent de recenser les risques et d'organiser les réponses en cas de réalisation de l'aléa, qu'il s'agisse d'un accident majeur ou d'une catastrophe. Il convient de distinguer deux catégories d'instrument : les instruments de planification, d'une part, et les instruments négociés relevant de la logique contractuelle, d'autre part.

Parmi les instruments de planification figure le schéma départemental d'analyse et de couverture des risques. Ce dernier structure l'action des SDIS au niveau départemental, recense les risques et définit l'organisation de la réponse en cas de réalisation de ces risques. Les SDIS effectuent un véritable travail d'investigation sur le risque lui-même, mais aussi sur la conception de la réponse. La grande qualité de ce travail mérite d'être saluée.

Autre instrument de planification, le dossier départemental des risques majeurs s'inscrit dans une logique d'information préventive. Élaboré par les services de l'État, il vise à décrire les risques et leurs conséquences prévisibles.

Il existe aussi les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde, ainsi que les multiples « plans réponses » élaborés par l'État. Ces derniers formalisent les opérations de secours susceptibles d'être mises en œuvre en cas de réalisation de l'aléa. Le plus connu est le plan d'organisation de la réponse de la sécurité civile, dit plan Orsec, instauré au début des années 1950. Ce plan Orsec a intégré les anciens plans rouges, aujourd'hui qualifiés de plans Orsec Novi (nombreuses victimes). Il faut aussi mentionner les plans particuliers d'intervention, qui constituent un volet du plan Orsec consacré à des établissements particuliers. Pour sa part, le plan Blanc est élaboré par chaque établissement. Quant au plan Bleu, il est apparu à la suite de la canicule de 2003, et tout établissement social ou médico-social se doit d'élaborer le sien. Enfin, les contrats territoriaux de réponse aux risques et aux effets potentiels des menaces (Cotrrim) sont des instruments négociés. Mis en œuvre à titre expérimental en 2015, ils ont été consacrés par la loi de 2021. Ils associent, à l'initiative des représentants de l'État, tous les acteurs publics et privés concernés. Ils peuvent aboutir à l'établissement de pactes capacitaires, conclus entre l'État, les SDIS et les collectivités territoriales. Ils ont pour objectif de répondre aux fragilités capacitaires face à certains risques.

Pour conclure, je pense que les progrès à accomplir portent d'abord sur la rationalisation de la réponse, mais aussi sur l'information et la participation du public et des usagers. Nous constatons, en effet, que l'information sur les risques liés à la sécurité civile est très peu diffusée par les pouvoirs publics. Il faut aussi replacer le citoyen au cœur de la politique de sécurité civile, car il est le grand absent du dispositif. Je plaide pour une association plus large de la population, de manière à ce que la sécurité civile soit l'affaire de tous.

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