COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Jeudi 22 septembre 2022
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission
La séance est ouverte à 9 h 37.
Cette table-ronde intervient, dans un contexte énergétique tendu, en France comme en Europe. Un cycle d'audition sur la sécurité énergétique a été lancé au sein des commissions permanentes de l'Assemblée nationale. À titre liminaire, je rappellerai que cette question est un sujet de préoccupation ancien qui n'a pas été découvert avec la guerre en Ukraine. Dès mars 2007, le Conseil européen avait prescrit à l'Union d'augmenter la part des énergies renouvelables et de diversifier ses fournisseurs afin d'améliorer la sécurité des approvisionnements européens. Mais il n'a jamais existé de véritable politique énergétique extérieure commune : les États membres ont conduit des stratégies nationales de choix de pays fournisseurs souvent divergentes. Ainsi, l'Union importe actuellement environ 60 % de l'énergie qu'elle consomme, ce taux ne cessant d'augmenter depuis plusieurs années. La souveraineté de l'Europe ne sera pas réalisable si nous dépendons du gaz russe, ou d'énergies fossiles venant de l'autre bout du monde.
La guerre en Ukraine a révélé notre fragilité énergétique : le gaz représente 25 % de notre mix énergétique et 50 % de ce gaz est importé d'un pays, la Russie, dont l'action en Ukraine est une menace majeure pour la sécurité du continent européen. Les Européens en sont donc à se poser une question simple : disposeront-ils de suffisamment de gaz et d'électricité pour passer l'hiver ?
Face à cette menace, l'Union a apporté une réponse rapide et efficace, qui a également permis de renforcer la mise en œuvre du Pacte vert européen, en accélérant la transition énergétique du continent. Je vous propose de nous concentrer sur le thème de la sécurité d'approvisionnement, même si la question des prix de l'énergie et de la taxation des producteurs qui sont intrinsèquement liées à ce débat peuvent naturellement faire l'objet de vos remarques.
L'Europe connaît actuellement deux crises énergétiques, celle de l'approvisionnement et celle des prix, qui sont intrinsèquement liées l'une à l'autre, puisque tant qu'il y aura des doutes sur l'approvisionnement, il y aura des conséquences sur les prix du gaz et de l'électricité.
Depuis un an, l'Europe s'est préoccupé du prix de l'électricité et du gaz, avant que l'apparition de tensions militaires à la frontière ukrainienne n'entraîne une escalade des prix de l'énergie. L'instrumentalisation par la Russie de ses ressources fossiles a amplifié cette tendance à la hausse des prix. La Russie et Gazprom, la compagnie nationale du gaz, ont commencé à diminuer l'approvisionnement en gaz à certains clients ou pays, sous des prétextes assez contestables, comme l'obligation de payer en rouble.
Dans cette perspective, avec l'appui du Conseil, la Commission européenne a pris des mesures permettant de limiter la dépendance de l'Europe aux combustibles fossiles russes, d'abord le gaz, mais aussi le charbon et le pétrole : c'est le plan RePower EU. L'objectif est de réduire notre dépendance dans les plus brefs délais, la date de 2027 étant régulièrement évoquée dans des documents de travail de la Commission. Aujourd'hui la part du gaz russe dans les importations de gaz européennes est de 14 %, contre 40 % il y a un an, grâce au plan Repower EU.
Le premier pilier sur lequel repose ce plan est la diversification. Une plateforme « Energy Platform » a été créée pour faciliter l'achat de gaz ou d'hydrogène renouvelable à des prix les plus compétitifs possible. La plateforme a établi un cadre politique avec les États fournisseurs favorisant les échanges commerciaux entre les entreprises européennes du secteur de l'énergie et les producteurs d'énergie internationaux. Un mémorandum sur l'achat de gaz a été adopté avec l'Égypte, Israël, l'Azerbaïdjan et avec les États-Unis.
Le deuxième pilier de l'action européenne repose sur l'adoption d'un règlement visant à garantir le remplissage des réserves de gaz à un niveau satisfaisant avant le début de l'hiver. En octobre 2021, les réserves de gaz des États membres étaient particulièrement basses : le règlement prévoit la nécessité de remplir les stocks de gaz à hauteur de 80 % avant le début de l'hiver 2022-2023, puis à hauteur de 90 % les années suivantes.
Un troisième pilier comprend l'adoption en juillet dernier d'un règlement qui vise la réduction de 15 % de la consommation de gaz à partir du mois d'août. Il ne s'agit pas d'une mesure contraignante et les États membres disposent d'une marge de manœuvre pour choisir comment atteindre ce seuil. Au cas où la situation empirerait, le règlement prévoit la possibilité d'établir un « état d'alerte » qui rendrait obligatoire cet objectif de réduction de la consommation.
La concertation entre États membres doit être intensifiée pour le pétrole. Il faut aussi surveiller attentivement la situation des réserves de gaz avant que l'hiver ne commence. Il convient de renforcer la solidarité entre États membres, développer les accords afin que les États membres puissent s'entraider en cas de problème d'approvisionnements ponctuels et poursuivre les trois objectifs du plan RePower EU, à savoir la diversification de l'approvisionnement, le renforcement de l'efficacité énergétique et le développement des énergies renouvelables.
La sécurité énergétique consiste à garantir un accès à des services énergétiques à un coût raisonnable. Dans notre économie actuelle, si le coût est déraisonnable, les acteurs les plus pauvres, tant du côté des ménages que des entreprises, se coupent de cet accès aux services énergétiques. Nous sommes déjà dans une situation de crise de sécurité de l'approvisionnement car le prix actuel de l'énergie est tellement élevé que certaines entreprises comme Duralex ont arrêté leur production.
En France, l'immense majorité de l'énergie consommée provient du pétrole et du gaz. Près de la moitié du mix énergétique français dépend du pétrole (44 % en 2019), pour des services de mobilités et de chauffage. Vient en deuxième position le gaz fossile, dont nous sommes relativement dépendants en France, puis en troisième, le nucléaire et les énergies renouvelables. Le nucléaire utilise un combustible, l'uranium, que la France importe de l'étranger, tandis que les énergies renouvelables sont produites en Europe. Le mix énergétique français est assez proche du mix énergétique européen. La France dépend un peu plus du pétrole et du nucléaire, beaucoup moins du charbon et malheureusement moins des énergies renouvelables.
Dès 2007, il y a eu une volonté européenne de développer les énergies renouvelables avec un objectif de 20 % du mix énergétique d'ici 2020. La France est le seul État des 27 à ne pas avoir atteint cet objectif. Ce manque de résultat est clairement dû à ses choix politiques et la France sera sanctionnée prochainement pour non-respect du droit européen.
La crise énergétique que nous connaissons aujourd'hui s'inscrit dans un demi-siècle de crises des énergies fossiles. La première a été le premier choc pétrolier de 1973, suivie d'un second choc en 1979. Depuis, nous assistons à une série de crises gazières et pétrolières : en 2006, une première crise gazière ; en 2008, une très forte hausse des prix du pétrole qui a exacerbé les effets de la crise financière ; en 2009, puis en 2014, d'autres crises gazières. Nous faisons aujourd'hui face, depuis 2021, à une crise qui concerne le gaz, le pétrole, le charbon et l'électricité.
Concernant le pétrole, le prix de l'essence devrait se situer normalement à 1,90 €. Mais comme l'État français a décidé de mettre en place l'un des plus grands plans de subventions de pétrole de l'histoire du pays, les prix ont été maintenus à un niveau quasi-normal : les prix de l'essence et du diesel sont actuellement inférieurs à ce qu'ils étaient en 2012. Il n'existe à l'heure actuelle pas de risque de pénurie.
La situation est en revanche complètement différente pour le gaz. Les prix du gaz sont historiquement élevés, avec une augmentation de 1000 % et devraient le rester sur la durée. Nous basculons d'un monde où nous achetions du gaz bon marché à la Russie à un monde où nous achèterons de plus en plus de gaz naturel liquéfié (GNL) extrêmement coûteux. Il existe un risque de pénurie dès la fin de cet hiver (février-mars 2023) et surtout courant 2024. A priori, la Russie aura complètement coupé l'accès au gaz d'ici là, et il faudra donc refaire nos stocks sans gaz russe. Je pense que la France devrait se préparer à cinq à dix hivers difficiles. Du fait de la corrélation entre les prix du gaz et de l'électricité ainsi que des faibles performances du parc nucléaire français, les prix de l'électricité sont anormalement élevés dans l'intégralité de l'arc ouest européen. Le risque de pénurie concerne surtout la France, même si EDF espère pouvoir remettre en marche une partie du parc début 2023.
La principale cause de cette crise est le choix politique de sous-investir dans l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. En 2008 ont été adoptés les objectifs du Grenelle de l'environnement qui prévoyaient un plan de rénovation des bâtiments. Si ce plan avait été mis en œuvre, la France aurait été indépendante du gaz russe dès 2019, grâce aux économies d'énergie réalisées. En ce qui concerne les énergies renouvelables, la France est en dernière position sur les 27 pays de l'UE, malgré un potentiel très favorable qui n'est pas bien exploité : la France est un des pays les plus ensoleillés et les plus venteux.
Les plans de sortie de crise doivent s'organiser autour de trois sujets : la sobriété et l'efficacité énergétiques, les énergies renouvelables. À court terme, la sobriété peut signifier le rationnement mais à plus long terme, elle doit viser à garantir le bien-être de chacun tout en minimisant la consommation d'énergie. La rénovation des bâtiments est un enjeu structurel de réponse à la crise et doit être entamée immédiatement pour avoir des effets sur le long terme. S'agissant des énergies renouvelables, il faut être capable de changer d'échelle en termes d'installation d'infrastructures. J'espère que nous saurons reconstruire un système énergétique qui garantisse notre indépendance et notre capacité à survivre au XXIe siècle.
Les approvisionnements énergétiques de gaz en Europe, au deuxième trimestre 2022, ont été convenablement assurés. En dépit de la fermeture progressive de trois des quatre gazoducs russes, l'Europe s'est largement approvisionné sur les marchés mondiaux de GNL, tout en doublant son niveau de restockage par rapport à l'année dernière. Deux facteurs expliquent cette situation : la faiblesse de la demande de gaz en Europe, imputable à des températures clémentes, et la demande chinoise de GNL qui a considérablement baissé au deuxième trimestre 2022.
La Chine est en effet le premier importateur mondial de GNL depuis 2020-2021, devant le Japon. Au regard de sa baisse de croissance liée à des reconfinements ciblés, la demande de GNL en Chine s'est tassée, facilitant ainsi de facto l'accès au marché mondial de ses concurrents, au premier rang desquels l'Union européenne.
L'approvisionnement en gaz des pays européens cet hiver, dépendra de deux facteurs : le facteur météorologique et le taux de croissance chinois. En effet, si la croissance chinoise redémarre, l'Union européenne devra faire face à un concurrent de taille. En 2023, l'offre mondiale de GNL devrait toutefois suivre la demande élevée, ce qui devrait permettre de diminuer les tensions sur les prix et l'approvisionnement.
Concernant le pétrole, les trois plus grands producteurs mondiaux sont l'Arabie Saoudite, les États-Unis et la Russie, qui produisent tous les trois environ 10 millions de barils par jour. La Russie exportait environ 4 millions de barils par jour, le reste de la production étant destiné à la consommation sur le marché intérieur.
En dépit des difficultés, la disparation de la Russie comme exportateur de pétrole peut être compensée, dans une certaine mesure, par l'organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). En effet, l'organisation dispose de capacités de productions supplémentaires, certes limitées, mais qui devraient atteindre deux millions de barils supplémentaires par jour, d'ici à la fin de l'année, amortissant ainsi, en partie, le choc. Par ailleurs, l'Iran dispose d'une capacité d'exportation d'un million de barils par jour.
Concernant le diesel, une grande partie des importations de l'Union européenne provenait de Russie dont le brut produit est aisément utilisable. Dans le contexte des sanctions à l'égard de la Russie, les Européens regardent par conséquent vers l'Afrique de l'ouest pour leurs importations de diesel.
Concernant la France, son approvisionnement en électricité dépend de deux facteurs : sa capacité à s'approvisionner en gaz et la disponibilité de son parc nucléaire. L'absence de disponibilité de la moitié du parc nucléaire pose de ce point de vue un problème.
Une autre point qui n'a pas été abordé concerne la possibilité de regazéifier le gaz importé et de le redistribuer aux différents pays de l'Union européenne. Or, les infrastructures en terminaux méthaniers sont peu nombreuses en Europe. L'Espagne et le Royaume-Uni sont les seuls à en disposer de manière significative. Toutefois, l'Espagne n'est reliée à la France que par deux gazoducs. Ainsi, l'Angleterre est le principal pays ayant les capacités suffisantes pour redistribuer le GNL en Europe.
Enfin, je voudrais rebondir sur l'idée selon laquelle l'investissement dans l'éolien et le photovoltaïque ferait baisser significativement la consommation de gaz. À très long terme, cette idée semble pertinente. Néanmoins, à court terme, une augmentation de la part de producteurs intermittents comme l'éolien et le photovoltaïque dans le mix énergétique nécessite un producteur d'électricité d'appoint qui puisse produire massivement à coûts fixes faibles. Ce producteur d'appoint ne peut être, à l'heure actuelle, que les centrales à gaz.
Concernant l'efficacité énergétique, les investissements nécessaires sont très importants. Or, la capacité de financement peut être problématique lorsque les taux d'intérêt remontent. Les réglementations bancaires limitant les engagements des banques à long terme sont également un frein supplémentaire.
La crise énergétique que nous vivons en ce moment est de grande ampleur : c'est la conséquence du retard que nous avons pris dans la mise en œuvre de l'accord de Paris. L'urgence énergétique ne pas doit primer sur l'urgence climatique.
Nous avons pu voir aujourd'hui que l'établissement d'importantes infrastructures productrices d'énergie représente une source de vulnérabilité, puisque lorsque des problèmes interviennent, comme c'est le cas présentement avec notre parc nucléaire, il y a des incertitudes dans la production d'énergie. En outre, le fait que les barrages aient été à sec cet été et que les rivières aient eu un débit trop faible a contrarié la production d'électricité, notamment celle issue des centrales nucléaires. Cet exemple montre comment le dérèglement climatique affecte la production d'énergie.
Or nous sommes en retard aujourd'hui en matière de développement des énergies renouvelables, d'efficacité énergétique mais surtout de sobriété. Comment nous allons mettre en œuvre cette sobriété, la répartir entre secteurs et particuliers et la rendre juste socialement ? Il est indispensable d'accompagner ceux qui sont dans une sobriété contrainte pour qu'ils vivent mieux en consommant moins.
Le projet de loi d'accélération des énergies renouvelables actuellement envisagé devrait se concentrer sur les moyens d'accélérer la planification plutôt que sur l'adoption de mesures d'urgence. Pour obtenir cette acceptabilité globale, il ne faut pas négliger la mise en œuvre d'actions visibles et symboliques comme la limitation de l'illumination de la Tour Eiffel ou de l'utilisation des jets privés. La sobriété doit être partagée dans un cadre démocratique vivant.
Enfin, le développement de l'hydrogène reste à discuter en raison de son faible rendement énergétique et de ses difficultés d'utilisation.
Au-delà des mesures d'urgence, qui pour bon nombre, ont vocation à devenir pérennes, quels sont les atouts de notre pays sur le long terme pour devenir un acteur de poids dans le domaine des énergies renouvelables en Europe et dans le monde ?
La France est le seul État membre à ne pas avoir atteint les objectifs européens en matière de déploiement des énergies renouvelables. Notre pays déroge également à la recommandation de l'Union européenne de diminuer de 15 % sa consommation d'énergie, puisque le plan sobriété prévoit une diminution de 10 % seulement. La crise que nous vivons actuellement dans le domaine de l'énergie n'est pas exceptionnelle, mais structurelle, ce qui rend particulièrement important le plan massif de rénovation des bâtiments et de réduction de notre consommation d'énergie. D'après vous, quels sont les investissements à privilégier au niveau des ménages dans le cadre de la transition énergétique ?
Se pose également la question des matériaux utilisés dans le cadre de la rénovation de masse des bâtiments, comme le bois ou les cellules photovoltaïques, avec le risque d'effets néfastes pour l'environnement.
La France n'a pas atteint ses objectifs en matière de renouvelables et nous partageons tous l'ambition d'aller plus loin. Ceci étant, nous ne pouvons dire que d'autres ont mieux réussi lorsqu'ils émettent plus de CO2 que nous. Il n'y a pas aujourd'hui de bon ou mauvais exemple et il faut que l'on avance tous dans le même sens, avec une stratégie qui peut être différente selon le pays. Le nucléaire a des inconvénients mais l'avantage de produire peu de CO2. Les énergies renouvelables sont également problématiques dans la mesure où elles ne répondent pas aux besoins lorsqu'il fait nuit et qu'il n'y a pas de vent. L'Allemagne dispose de solutions de repli mais reste en grande difficulté dans ces cas-là.
Quelle filière construire et comment stocker l'énergie lorsqu'il fait beau et qu'il y a du vent, pour la redistribuer lorsque ces conditions font défaut ? Outre l'hydrogène et le stockage de batteries, quelles sont les autres alternatives sur lesquelles nous devons nous engager et investir ? Les 3 milliards d'euros d'investissements dans la filière hydrogène annoncés par la Présidente de la Commission européenne vous semblent-ils suffisants ? Comment éviter de sortir de la dépendance aux énergies fossiles sans rentrer dans une dépendance aux matériaux rares dont l'extraction est risquée et problématique ? Ne devrait-on pas mettre en place une filière permettant de limiter l'extraction des matériaux et d'en assurer l'usage durable ?
. Pourriez-vous, M. Pellerin-Carlin, également revenir sur les « cinq à dix hivers difficiles » que vous mentionniez ainsi que sur les difficultés de moyen et long termes que vous percevez ?
Je souhaiterais revenir sur deux observations.
Concernant le développement des énergies renouvelables à court terme, un débat public a émergé en Europe sur l'alternative entre la fixation de plafonds sur les prix de gros de l'énergie et la subvention en faveur des ménages et de l'industrie. Si l'objectif est de favoriser le développement des renouvelables, il me semble préférable de privilégier le mécanisme de subvention, qui préserve leur rentabilité financière. Le plafonnement serait très peu incitatif pour les investisseurs et ralentirait la transition bas carbone en dégradant ses conditions de financement.
Concernant le stockage de l'énergie à l'aide de batteries électriques et stationnaires, qui commence à se développer, nous devons poursuivre les efforts en matière de recherche et développement. Différents types de technologies et de métaux existent. Par exemple, la Tesla d'Elon Musk investit énormément dans ces dispositifs et cherche à éviter le cobalt, dont la moitié de la production mondiale est située aujourd'hui en République démocratique du Congo. Des exemples similaires peuvent être trouvés pour le manganèse, le lithium, ou le nickel. Des centres de recherche et développement travaillent actuellement sur ce sujet, notamment à la Commission européenne. Nous avons une bataille à mener sur les métaux pour limiter notre dépendance aux métaux fabriqués essentiellement en Chine.
Les énergies renouvelables constituent la meilleure substitution aux hydrocarbures et, quels que soient nos choix en matière de nucléaire, elles sont notre seule voie de salut pour les quinze prochaines années. RTE a montré qu'un EPR lancé aujourd'hui ne pourrait être opérationnel avant quinze ans, ce qui est très long dans le contexte actuel. Notre seule solution est donc d'intégrer les renouvelables dans notre mix énergétique, ce que l'on peut faire très facilement. Le meilleur atout pour la France serait de mettre en place une planification intelligente déterminant combien et de quels types d'énergies renouvelables nous avons besoin, afin de créer les filières correspondantes. L'avis publié par le CESE il y a trois mois montre l'alternative qui se dessine entre transition subie et transition choisie. En matière de rénovation, nous avons également besoin d'un cadre stable et clair.
Concernant les métaux rares, l'Ademe et RTE ont très peu pris en compte cette question pourtant majeure. Les métaux rares, mais aussi les métaux moins rares comme le cuivre ou le nickel, sont en rupture par rapport à nos besoins de développement d'équipements liés à la transition énergétique.
L'expression « cinq à dix hivers » est celle du Premier ministre belge, mais elle me semble raisonnable. La bascule du système gazier vers le GNL implique que nous ne reviendrons jamais aux prix que l'on croyait normaux : c'est un changement de monde. Tous les calculs de nos industriels basés sur le prix du gaz de 2010 sont caducs. Dans un scénario optimiste, le prix du gaz augmentera probablement de 300 %. Il y aura également de nouvelles crises et quand la Chine se réveillera, dans trois, six, dix-huit mois selon l'évolution du rapport de ce pays à la pandémie, nous connaîtrons une hausse supplémentaire. Les prix du GNL augmentent dès qu'il se produit un évènement au niveau mondial. Ce fut le cas en 2011 avec Fukushima, mais aussi en 2021 avec la sécheresse au Brésil, qui a entraîné une raréfaction de l'eau, une moindre production d'hydroélectricité et une plus grande consommation de gaz naturel liquéfié. Or, avec le dérèglement climatique, la sécheresse au Brésil est la nouvelle normalité. Cette perspective de cinq à dix ans est donc raisonnable et dépend même de notre capacité à faire tous les efforts de développement des renouvelables et de rénovation pour réduire nos importations de gaz naturel liquéfié.
Concernant l'électricité, nous ne savons pas encore quand la production nucléaire française retrouvera son niveau de 2018. Cela ne sera pas avant 2024, et probablement pas avant 2025, sous réserve que nos ingénieurs de sûreté nucléaire ne découvrent pas de nouveaux problèmes.
Sur la question du coût de l'articulation nucléaire-renouvelables, l'objectif européen est apprécié par rapport à l'énergie finale consommée. Un développement massif des chauffe-eau solaires en France aurait été suffisant pour atteindre notre objectif d'énergies renouvelables. Par ailleurs, nous aurions pu déployer plus d'éolien et de solaire. Certaines énergies renouvelables, comme l'éolien et le solaire, ont des productions variables. Le solaire ne pose quasiment aucun problème à intégrer dans le réseau : il produit beaucoup lorsque nous avons une très forte consommation. Nous avons besoin de plus d'électricité solaire pour assurer l'approvisionnement en été. À l'inverse, l'éolien produit, pour des raisons climatiques, plutôt peu en été et beaucoup en hiver, ce qui permet une bonne articulation entre ces deux énergies. Mais leur production est erratique et peut certains jours venir à manquer. Ces aléas sont gérables, surtout au niveau européen, en utilisant les barrages, notamment dans les Pyrénées et dans les Alpes françaises, allemandes ou autrichiennes. La Suède nous sert aussi de « grande batterie » de stockage d'électricité, avec ses nombreux barrages dans le nord du pays. Nous aurons un jour des tensions pour gérer la variabilité des énergies et la fluctuation de la demande, quand nous serons à 70-80 % de renouvelables. Mais la France n'en est pas du tout là. L'Allemagne a développé un réseau électrique dans le nord du pays, et connaît régulièrement des jours à 75 ou 80 % de renouvelable, sans que la situation ne pose aucun problème. Dans le cas français, le problème ne se posera pas dans les quinze années à venir, même s'il faut le préparer.
Parmi les atouts de la France figurent d'abord ses ressources naturelles. Le territoire allemand est deux fois plus petit en superficie et nous avons donc deux fois plus de ressources naturelles, parmi lesquelles le soleil et le vent. Nous possédons également des atouts économiques, avec des entreprises excellentes pour produire des pompes à chaleur ou dans le domaine du solaire thermique. Des grands groupes français sont présents dans le secteur de la rénovation, en amont avec la production de fenêtres ou de la laine de roche, comme Saint-Gobain. D'autres dans le secteur de l'optimisation de la consommation d'énergie par des systèmes d'information, avec Schneider Electric, tant pour le résidentiel que dans les bâtiments de service. Eco Cell, une entreprise franco-irlandaise dont le pôle de recherche et les deux principaux pôles de production sont en France, produit le ciment bas carbone utilisé par exemple pour construire la ligne de métro 18 du Grand Paris. Nous possédons donc un ensemble de pépites, start-up et scale-up, qui peuvent devenir les grands groupes de la transition énergétique.
Mais pour cela il faut que l'on s'appuie l'existence d'un État stratège. Le fait que notre pays dispose d'excellents ingénieurs au service de l'État est une immense force, qui a été mise à profit pendant les années 1970-1980. Que l'on soit favorable au nucléaire ou non, il faut reconnaître que le plan français a été efficace puisque les années 1980 ont été marquées par une croissance importante de la production nucléaire. On peut s'appuyer sur ces mêmes qualités pour faire en 2022 ce que vous, représentants de la nation, considérez être pertinent. En tant qu'expert, je peux vous assurer que des chantiers comme le développement des énergies renouvelables et la rénovation énergétique sont essentiels.
Il faut reconnaître aujourd'hui que la France est dans une impasse, qu'elle fait face à une crise des énergies fossiles et qu'il faut en sortir. Il faut changer de doctrine : c'est un changement intellectuel qui passe par l'intégration de la notion de sobriété. Il faut promouvoir à une grande échelle les technologies qui fonctionnent : les chauffe-eaux solaires, les véhicules électriques, les transports publics, la rénovation des bâtiments. Il faut le faire en accord avec les industriels pour savoir si la production peut suivre et identifier avec eux leurs difficultés si ce n'est pas le cas. Cela peut par exemple signifier une augmentation du plafond de temps de travail pour une catégorie précise d'employés et pendant une période donnée afin de résoudre la crise énergétique.
Il faut enfin avoir une réflexion intégrée. Par exemple, l'hydrogène seul n'a aucun sens. Je compare souvent l'hydrogène au champagne : rare, cher, impossible de le produire partout… Il faut donc le garder pour certaines occasions. Nous aurons absolument besoin de l'hydrogène pour produire de l'acier vert. Mais cela demande une approche de l'hydrogène hors d'un grand marché de l'hydrogène. Ce qui fait sens, c'est un hydrogène pensé au niveau des bassins industriels. L'idée que l'on va importer de l'hydrogène de pays tiers n'a pas de sens. Mais l'idée fait sens de déployer des parcs éoliens en mer près des bassins industriels de manière à faire venir de l'électricité renouvelable pas cher, d'installer des électrolyseurs pour avoir de l'hydrogène et d'installer un petit réseau de distribution pour transporter cet hydrogène pour alimenter les usines. Cela demande de s'appuyer sur une des qualités de l'État français : l'aménagement du territoire. Il faut trouver des solutions pour ces territoires et penser l'hydrogène à l'échelle de ces pôles industriels.
Il sera d'autant plus facile de déployer de grands projets d'énergie renouvelable que les citoyens sauront que cette électricité va permettre de maintenir l'industrie locale, sans parler de l'attachement largement partagé à l'idée de garantir l'avenir industriel de la nation.
M. Thomas Pellerin-Carlin parlait d'un alignement actuel des planètes pour réussir à mener de front une politique de sobriété, d'efficacité des énergies renouvelables et d'amélioration de la souveraineté énergétique. Si les planètes sont effectivement alignées, il existe toutefois des risques : le risque que l'urgence écrase la question du climat et de la biodiversité ; le risque que certains investissements que l'on consentirait aujourd'hui au prétexte de l'urgence nous bloquent dans la décarbonation de notre économie. C'est tout le problème des actifs liés aux hydrocarbures fossiles dans les comptes des banques. Nous disposons d'objectifs climatiques, c'est eux que l'on doit suivre comme boussole. Notre objectif à horizon 2030 est une réduction de 55 %, par rapport à 1990, de nos émissions de gaz à effet de serre.
Je veux faire état d'un autre point de vigilance. Il y a cent ans, nous étions en 1922. Aujourd'hui, l'objectif est 2050. Qui, en 1922, aurait prédit 1950 ? Qui aurait prédit la crise de 1929 ? La Seconde Guerre mondiale ? Tout cela pour dire que beaucoup de choses peuvent survenir et que si l'on ne suit pas notre boussole, nous serons contraints de le faire dans un environnement qui sera très douloureux pour tout le monde.
La séance est levée à 11 h 30
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Benjamin Haddad, Mme Julie Laernoes, M. Denis Masséglia
Excusés. – M. Gabriel Amard, M. Rodrigo Arenas, M. Pierrick Berteloot, Mme Sophia Chikirou, Mme Laurence Cristol, M. Guillaume Garot, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Joëlle Mélin, Mme Sandra Regol, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye