La sécurité énergétique consiste à garantir un accès à des services énergétiques à un coût raisonnable. Dans notre économie actuelle, si le coût est déraisonnable, les acteurs les plus pauvres, tant du côté des ménages que des entreprises, se coupent de cet accès aux services énergétiques. Nous sommes déjà dans une situation de crise de sécurité de l'approvisionnement car le prix actuel de l'énergie est tellement élevé que certaines entreprises comme Duralex ont arrêté leur production.
En France, l'immense majorité de l'énergie consommée provient du pétrole et du gaz. Près de la moitié du mix énergétique français dépend du pétrole (44 % en 2019), pour des services de mobilités et de chauffage. Vient en deuxième position le gaz fossile, dont nous sommes relativement dépendants en France, puis en troisième, le nucléaire et les énergies renouvelables. Le nucléaire utilise un combustible, l'uranium, que la France importe de l'étranger, tandis que les énergies renouvelables sont produites en Europe. Le mix énergétique français est assez proche du mix énergétique européen. La France dépend un peu plus du pétrole et du nucléaire, beaucoup moins du charbon et malheureusement moins des énergies renouvelables.
Dès 2007, il y a eu une volonté européenne de développer les énergies renouvelables avec un objectif de 20 % du mix énergétique d'ici 2020. La France est le seul État des 27 à ne pas avoir atteint cet objectif. Ce manque de résultat est clairement dû à ses choix politiques et la France sera sanctionnée prochainement pour non-respect du droit européen.
La crise énergétique que nous connaissons aujourd'hui s'inscrit dans un demi-siècle de crises des énergies fossiles. La première a été le premier choc pétrolier de 1973, suivie d'un second choc en 1979. Depuis, nous assistons à une série de crises gazières et pétrolières : en 2006, une première crise gazière ; en 2008, une très forte hausse des prix du pétrole qui a exacerbé les effets de la crise financière ; en 2009, puis en 2014, d'autres crises gazières. Nous faisons aujourd'hui face, depuis 2021, à une crise qui concerne le gaz, le pétrole, le charbon et l'électricité.
Concernant le pétrole, le prix de l'essence devrait se situer normalement à 1,90 €. Mais comme l'État français a décidé de mettre en place l'un des plus grands plans de subventions de pétrole de l'histoire du pays, les prix ont été maintenus à un niveau quasi-normal : les prix de l'essence et du diesel sont actuellement inférieurs à ce qu'ils étaient en 2012. Il n'existe à l'heure actuelle pas de risque de pénurie.
La situation est en revanche complètement différente pour le gaz. Les prix du gaz sont historiquement élevés, avec une augmentation de 1000 % et devraient le rester sur la durée. Nous basculons d'un monde où nous achetions du gaz bon marché à la Russie à un monde où nous achèterons de plus en plus de gaz naturel liquéfié (GNL) extrêmement coûteux. Il existe un risque de pénurie dès la fin de cet hiver (février-mars 2023) et surtout courant 2024. A priori, la Russie aura complètement coupé l'accès au gaz d'ici là, et il faudra donc refaire nos stocks sans gaz russe. Je pense que la France devrait se préparer à cinq à dix hivers difficiles. Du fait de la corrélation entre les prix du gaz et de l'électricité ainsi que des faibles performances du parc nucléaire français, les prix de l'électricité sont anormalement élevés dans l'intégralité de l'arc ouest européen. Le risque de pénurie concerne surtout la France, même si EDF espère pouvoir remettre en marche une partie du parc début 2023.
La principale cause de cette crise est le choix politique de sous-investir dans l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables. En 2008 ont été adoptés les objectifs du Grenelle de l'environnement qui prévoyaient un plan de rénovation des bâtiments. Si ce plan avait été mis en œuvre, la France aurait été indépendante du gaz russe dès 2019, grâce aux économies d'énergie réalisées. En ce qui concerne les énergies renouvelables, la France est en dernière position sur les 27 pays de l'UE, malgré un potentiel très favorable qui n'est pas bien exploité : la France est un des pays les plus ensoleillés et les plus venteux.
Les plans de sortie de crise doivent s'organiser autour de trois sujets : la sobriété et l'efficacité énergétiques, les énergies renouvelables. À court terme, la sobriété peut signifier le rationnement mais à plus long terme, elle doit viser à garantir le bien-être de chacun tout en minimisant la consommation d'énergie. La rénovation des bâtiments est un enjeu structurel de réponse à la crise et doit être entamée immédiatement pour avoir des effets sur le long terme. S'agissant des énergies renouvelables, il faut être capable de changer d'échelle en termes d'installation d'infrastructures. J'espère que nous saurons reconstruire un système énergétique qui garantisse notre indépendance et notre capacité à survivre au XXIe siècle.