La séance est ouverte à douze heures cinq.
Bienvenue à M. le médecin général des armées Philippe Rouanet de Berchoux, directeur central du service de santé des armées (SSA) depuis octobre 2020, que nous auditionnons pour la première fois.
Les défis à relever pour le SSA au cours des années de programmation 2024-2030 sont nombreux, dans un contexte de retour de la haute intensité : défi du recrutement et de la fidélisation des personnels, après les déflations d'effectifs subies dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et qui sont allées de pair avec un accroissement du nombre d'engagements ; défi de la préparation à la haute intensité et d'un meilleur accompagnement médical et psychosocial des blessés.
Le ministre de la défense a annoncé lors de son audition devant notre commission une suspension des réflexions sur la fermeture des centres médicaux du SSA en région, ce dont nous nous réjouissons, et s'est déclaré favorable à une spécialisation thématique de ces antennes. Pourriez-vous nous en dire plus ?
La mission du SSA est unique : apporter en tout lieu et en toute circonstance à tout militaire exposé à un risque lié à son engagement opérationnel un soutien santé qui va de la prévention la plus efficace à la meilleure qualité de prise en charge en cas de maladie ou de blessure.
Le SSA est organisé autour d'une direction centrale, de cinq composantes – la médecine générale, les hôpitaux, la formation, la recherche et l'innovation et le ravitaillement médical – et de deux fonctions d'appui : les ressources humaines (RH) et les systèmes d'information en santé.
Le service compte aujourd'hui un peu plus de 14 200 personnels – praticiens, paramédicaux, personnels administratifs, techniques, logistiques –, auxquels s'ajoutent 4 100 réservistes, dont la contribution à notre action est très importante.
Nous avons trois atouts. Premièrement, le service est un haut lieu scientifique et technique. Nous sommes là pour prodiguer des actes techniques de très haut niveau dans des circonstances parfois très difficiles. Deuxièmement, nous nous appuyons sur une organisation intégrée, en deux sens du terme : intégrée aux forces armées, mais aussi au sens où elle englobe toutes les composantes que j'ai citées. La réactivité et la permanence sont notre troisième et dernier atout. Nous sommes capables, comme on l'a vu à Mulhouse, de mettre rapidement sur pied des structures et même d'en inventer. Nous devons aussi assurer la permanence du soutien médical pour garantir la liberté d'action stratégique du chef d'état-major des armées et du Président de la République.
Les trois grands axes de notre ambition stratégique pour 2030 consistent à nous recentrer sur l'opérationnel, à refonder notre organisation, enfin à nous réaligner avec nos partenaires interministériels, notamment de la santé publique, et étrangers.
Ainsi, nous avons défini notre concept de soutien médical opérationnel ; entrepris, à mon arrivée, de refonder la direction centrale afin d'y développer l'anticipation et certaines composantes et, surtout, de revoir l'ensemble du volet ressources humaines ; enfin, nous avons signé un protocole pluriannuel avec la santé publique en avril 2022.
Quelles sont les priorités pour 2023 dans le cadre du projet de loi de programmation militaire (LPM) ?
Du point de vue opérationnel, il nous faut procéder à plusieurs retex (retour d'expérience) : celui de l'opération Résilience, notamment concernant notre relation avec la santé publique ; celui de l'opération Barkhane, qui nous a permis de confirmer certains axes, dont notre doctrine du soutien médical opérationnel ; celui de la guerre en Ukraine ; enfin celui de l'exercice Orion, également en ce qui concerne notre lien avec la santé publique. Il faut enfin préparer les Jeux olympiques et paralympiques de 2024.
En matière d'organisation, le gros chantier est celui des ressources humaines. Il est primordial de définir une nouvelle politique et un nouveau modèle mettant l'accent sur l'identité militaire des soignants, suivant trois phases qui visent à permettre de rejoindre à terme l'ambition des armées.
Dans le même domaine, je suis attentif au renforcement de nos réserves. Il s'agit d'optimiser leur emploi, de favoriser leur accueil mais aussi de veiller au rayonnement du SSA afin de susciter davantage d'engagements.
Nous réfléchissons avec le cabinet du ministre à l'évolution de notre capacité hospitalière, un enjeu majeur pour répondre aux besoins des armées en faisant profiter celles-ci d'une offre de soins à proximité tout en tenant compte des réalités des territoires de santé. Enfin – c'est l'un des enseignements de la guerre en Ukraine –, nous devons consolider notre fonction de veille et d'expertise dans ce domaine.
S'agissant des sujets plus particulièrement liés au projet de LPM, la période 2019-2025 avait permis une redotation liée à la crise du covid ; il s'agissait de rattraper certains retards et vétustés et de débuter la mise en œuvre de l'ambition stratégique que j'avais proposée en 2021. Pour 2024-2030, le SSA s'inscrit dans les grandes orientations ministérielles, notamment la volonté de rééquilibrage en faveur des soutiens et de mise en cohérence avec les ambitions des armées. Pour le service, cet enjeu est également majeur : nous devons disposer des moyens nécessaires à la réussite de notre mission ; nous sommes donc partis de celle-ci pour dimensionner les moyens. Nous avons également privilégié la cohérence entre nos différents moyens : financiers, humains, d'infrastructure et d'équipement.
Notre but est de contribuer à renforcer l'autonomie des forces armées pour leur permettre de faire face aux conflits et aux menaces auxquels elles peuvent être confrontées. Nous avons défendu plusieurs mesures normatives en ce sens.
Avant de donner la parole à Jean-Michel Jacques, rapporteur du projet de LPM, je la laisse à Fabien Lainé, qui a une contrainte horaire.
Début 2022, la direction centrale du service de santé des armées a réformé le cursus des élèves de l'école militaire de santé de Lyon-Bron, amenant un changement en cours de scolarité des conditions et de leur contrat. Auparavant, à l'issue de leur scolarité, ils pouvaient s'orienter soit en médecine générale, soit directement dans les spécialités qu'ils avaient envisagées ; cette variété de débouchés rendait l'école attractive. Cette réforme soudaine oblige tous les élèves à partir en médecine générale et à n'envisager que bien plus tard de se spécialiser. Ces conditions seront stipulées dans les contrats des nouveaux, mais elles sont particulièrement préjudiciables pour les élèves déjà engagés, à qui on n'avait pas vendu cela. Subissant de plein fouet cette modification unilatérale de leur contrat, des élèves ont démissionné faute de véritables explications, quittant la médecine militaire pour la médecine civile. Cette situation est très dommageable pour l'école militaire de santé de Lyon-Bron, mais également pour le service de santé des armées, qui fait face à un déficit de personnels soignants dans certaines spécialités médicales et paramédicales.
Le SSA subit, comme les services de santé civils, le manque de professionnels de santé.
La décision dont vous parlez a été travaillée pendant un an. Je suis allé l'annoncer moi-même aux élèves, qui ont pu obtenir des explications, des réponses à leurs questions et ont bénéficié d'un suivi. Je me suis déplacé plusieurs fois et cela a été fait de manière répétée dans les écoles.
Ce qui a motivé la décision est la réforme des trois cycles d'études en santé. Permettrait-elle de disposer à la sortie de praticiens militaires, c'est-à-dire dotés d'un diplôme d'études spécialisées (DES) pour pouvoir exercer le métier, mais aussi d'une formation militaire ? Il devenait très difficile de garantir qu'il y aurait 120 médecins à la sortie du cursus. Les études sont de dix ans pour un médecin généraliste, un peu plus pour les spécialistes : il faut déjà attendre au moins dix ans pour que les personnels soient en emploi. La modélisation a montré qu'il fallait garantir la dimension militaire de la formation, qui permet aussi de disposer de spécialistes dans plusieurs domaines, soit directement, car ces praticiens pourront devenir des spécialistes hospitaliers, soit en recrutant par contrat des personnes déjà formées.
Le principe est de s'appuyer sur un socle très fourni, et nous avons augmenté le nombre de places en première année, mais nous misons aussi sur un recomplètement pendant les études : il s'agit d'une politique de flux. À la différence de ce qui se faisait auparavant, j'ai ainsi ouvert des postes au recrutement jusqu'au dernier cycle. L'objectif est d'avoir 120 médecins non à l'entrée, mais à la sortie. C'est une garantie de stabilité. En effet, se fonder sur le recrutement de contractuels déjà formés ne fonctionne que pour des spécialités attractives.
Votre décision était la bonne. Le SSA doit préserver sa militarité, et un jeune qui y viendrait pour faire sa spécialité oublierait cette dimension d'abord militaire. Être médecin militaire est en soi d'une très grande noblesse ; se spécialiser ensuite n'en est que mieux. Quant aux quelques-uns qui ont démissionné, s'ils partent à la première frustration, c'est qu'ils n'étaient peut-être pas assez solides pour être militaires.
Le rapport annexé au projet de LPM évoque à propos du SSA « une cartographie territoriale repensée et un modèle rénové ». Le SSA a-t-il suffisamment de leviers pour répondre le cas échéant à des besoins d'engagement majeurs ?
Comment les hôpitaux militaires déjà implantés seront-ils associés à cette transformation ? Pendant la crise du covid, le SSA et les hôpitaux des armées ont pris toute leur part à la résilience du pays.
Le SSA est capable de développer une chaîne permanente qui part de l'extrême avant, au plus près des combats et des combattants – ses personnels y sont exposés aux mêmes risques qu'eux –, et concerne tous les engagements. Elle permet une prise en charge le plus tôt possible qui peut aller jusqu'à l'évacuation médicale vers nos hôpitaux militaires. Un hôpital militaire, c'est le dernier maillon de prise en charge depuis le théâtre d'opérations. Les actes techniques pratiqués à l'extrême avant ne sont pas définitifs : ils permettent la survie. Les équipes qui accueillent les blessés dans nos structures hospitalières réalisent le traitement définitif du blessé.
L'hôpital militaire doit être pensé comme une structure opérationnelle, implantée dans un territoire de santé civil, laquelle est sa mission quotidienne, mais ayant cette singularité militaire. Celle-ci se traduit aussi par certaines particularités – nucléaire, radiologique, biologique et chimique. Pour accueillir les blessés dans un second temps, l'hôpital militaire propose une offre de soins spécifique : chirurgie, psychiatrie, MPR (médecine physique et de réadaptation).
En cas de conflit de haute intensité ou d'une crise comme celle du covid, lors de laquelle on a évacué des malades depuis des zones très touchées de l'Est vers Brest ou Bordeaux, un plan spécifique, en lien avec la santé publique, est en préparation pour permettre l'accueil secondaire des personnes touchées. C'est l'un des enjeux du protocole pluriannuel que j'ai cité. La fonction hospitalière militaire ne pourra pas réagir seule à une crise de haute intensité ; il faut donc construire le parcours du blessé avec le territoire de santé et le système de santé civil.
Comment situer l'hôpital militaire à la fois dans ce territoire et dans le territoire militaire ? L'avantage d'une implantation en plusieurs endroits est de permettre de s'appuyer sur plusieurs structures hospitalières à des fins de résilience.
Au début de l'actuelle LPM, en 2019, notre volonté était de stabiliser nos effectifs après une décennie où on nous avait demandé de les réduire fortement. Or, quand on est dans une spirale de déflation, il faut d'abord stopper celle-ci avant de repartir vers une hausse. Ce qui est très délicat dans cette trajectoire, c'est que nous subissons de plein fouet, dix ans après, les conséquences des décisions prises dans les années 2010 pour adapter notre modèle RH, notamment la diminution de nos recrutements initiaux : c'est aujourd'hui que les plus petites promotions sortent de notre école.
Par ailleurs, le SSA n'est pas hermétiquement séparé de la santé publique. La grave crise que connaît celle-ci affecte nos effectifs. Les flux de sortie sont plus importants que ce que nous avions programmé, d'où une tension assez marquée à partir de 2023.
Voilà pourquoi, dans le cadre de la LPM, nous avons proposé de changer notre modèle RH. Cela implique énormément de mesures. Le directeur central a parlé du recrutement initial : nous le renforçons, mais nous n'aurons les bénéfices de ce renforcement que dans quelques années. Certaines mesures permettront cependant d'anticiper. Nous avons une stratégie de déploiement du nouveau modèle en trois temps : l'idée est d'agir vite et assez fortement au cours des trois premières années de la LPM, de procéder au retour d'expérience pour savoir si nous avons visé juste et de passer à la deuxième étape au cours de la deuxième phase de la LPM afin d'être pleinement efficaces à partir de 2030. Les mesures concernent notamment la construction de notre statut particulier, pour les praticiens comme pour les paramédicaux, et la politique de rémunération, dont les fondements sont entièrement revus.
Les vocations militaires peuvent se révéler tardivement. Pour cette raison, et bien que les difficultés de recrutement touchent aussi le civil, ne faudrait-il pas envisager un recrutement par voie parallèle tout au long des études de médecine ?
L'article 6 de la LPM prévoit l'augmentation des effectifs des volontaires de la réserve opérationnelle, portés à 105 000 personnes en 2035. Comment cette mesure va-t-elle s'appliquer alors que le civil rencontre des problèmes de recrutement ? Quel effet aura-t-elle sur le SSA ?
Nous avons ouvert l'année dernière jusqu'à vingt droits pendant les études en santé, donc jusqu'au dernier cycle, contre un ou deux auparavant. Certains veulent sortir, d'autres entrer ; avec la réforme des études de santé, tout est devenu très compliqué. Je le répète, l'objectif n'est pas 125 à l'entrée, mais 125 à la sortie. Cela oblige à garder des contacts et à développer le réseau universitaire.
Chez nous, la réserve n'est pas une liste de personnes mobilisables en cas de besoin : nous employons beaucoup de réservistes, dans tous les corps de métier de soignants, y compris en opérations extérieures et dans nos structures. L'enjeu est de nous faire mieux connaître, de proposer à ces publics des emplois significatifs – on ne vient pas chez nous par hasard, mais pour agir – et de préparer les remplacements au sein des structures des équipes qui sont projetées – nous y parvenons aujourd'hui, mais il faut prévoir d'éventuelles tensions plus fortes demain. Il faut donc rendre la fonction réserve plus attractive et plus lisible, sachant que nous sommes déjà très attractifs dans plusieurs métiers.
Il s'agit aussi de mieux utiliser les réservistes qui sont chez nous. Comme après les attentats, on est venu frapper à notre porte après la crise du covid. Nous sommes aussi en mesure de proposer des formations reconnues par l'université – par exemple pour des spécialités transverses comme la chirurgie de guerre. Le but est d'utiliser au mieux les personnes que nous avons formées dans le civil, pour les employer chez nous.
Quels étaient les effectifs globaux du service de santé des armées s'agissant du personnel opérationnel – médecins et paramédicaux – dans la précédente loi de programmation militaire et quels sont-ils dans le projet actuel de LPM ? Sont-ils adaptés à vos besoins ?
Au début de la LPM actuelle, en 2019, les droits ouverts pour le service de santé des armées étaient de 14 700 postes. Si le SSA emploie ces 14 700 personnes, il ne gère et ne paie que le cœur des effectifs, c'est-à-dire les soignants, soit à peu près 10 000 personnes. Parmi elles, 80 % sont militaires – dont nos élèves – et 20 %, pour l'essentiel des paramédicaux, sous statut de personnel civil. Le reste se compose de ressources qui nous sont données par les autres gestionnaires des armées : l'armée de terre, avec laquelle nous dialoguons beaucoup, qui nous fournit plus d'un millier d'engagés volontaires – des auxiliaires sanitaires –, et le gestionnaire civil, qui nous apporte les personnels administratifs, techniques et logistiques exerçant les métiers de support.
Il y a eu par la suite une revue annuelle des moyens fournis, et le service a été redoté à la suite de la crise du covid : quelques dizaines de postes supplémentaires nous ont alors été attribués afin d'accroître certaines capacités pour mieux réagir à ce type de crise.
On connaît l'enveloppe globale au niveau du ministère, mais le détail des droits accordés et des trajectoires est en cours de discussion.
Pour que le SSA maintienne son excellente réputation, nous devons sanctuariser les budgets qui lui sont consacrés chaque année par le projet de loi de finances. Nous avons donc besoin d'une LPM ambitieuse, claire et sincère dès le départ pour que le SSA réussisse à relever les grands défis de son ambition 2030. Nos armées ne sont pas responsables des montants : ce sera aux politiques de s'en expliquer ; nous aurons ce débat avec M. le ministre Lecornu.
Nous aimerions cependant savoir quelles marges de manœuvre vous identifiez s'agissant de la tarification médicale appliquée par le SSA, que le ministre considère comme une source importante de recettes extrabudgétaires. Est-il probable que ces dernières augmentent au profit du SSA dans les prochaines années ? Quelle est votre stratégie pour y parvenir ?
Nous avons beaucoup ciblé les recettes extrabudgétaires. Nous partons de l'activité et du projet médical que nous devons développer, dont ces recettes sont la finalisation financière. Aujourd'hui, le maillage hospitalier nous permet de les garantir. Le projet médical de demain est-il budgétairement soutenable, compte tenu des enjeux primordiaux que sont la prise en charge de blessés lourds, l'infectiologie, l'expertise dans les domaines aéronautique ou de la plongée ? Cette soutenabilité ne me paraît pas en danger. En tout cas, ce risque n'a pas été identifié comme majeur.
Je précise qu'en lien avec les territoires de santé, nous développons des prestations correspondant à nos missions : nous n'avons pas de pédiatrie, par exemple.
Quelles sont les hypothèses concernant l'attrition et le nombre de blessés en cas d'engagement majeur ? Dans le cadre d'un conflit symétrique, les moyens sont-ils au rendez-vous afin d'atteindre l'objectif d'une prise en charge dans le délai de la golden hour ?
Le personnel de l'HIA (hôpital d'instruction des armées) Desgenettes, où je me suis rendu, est très inquiet : si on gèle les transformations au sein du service, la masse critique de personnels n'est plus là. Beaucoup craignent que le nouvel élan au sein du SSA ne soit qu'un trompe-l'œil. Pouvez-vous démentir ce discours ?
Au cours de la précédente législature, notre groupe avait défendu à propos des blessés psychiques une proposition de loi tendant à supprimer l'homologation de la blessure : le diagnostic du SSA suffirait à enclencher la procédure de prise en charge. La « prise en charge unique », évoquée par le rapport annexé au projet de LPM, était un argument que la précédente majorité avait opposé à cette proposition. Des dispositions réglementaires pourraient-elles être adoptées à ce sujet ?
Quel volume la recherche représente-t-elle au sein du SSA ? Dans quels domaines de recherche allez-vous investir au cours des prochaines années ? Avez-vous une prospective liée au dérèglement climatique et à ses risques pour la santé publique ?
Le retex d'Ukraine, en cours d'élaboration, est très important pour évaluer les moyens requis. C'est un conflit de haute intensité, caractérisé par des pertes massives, et qui est donc intéressant par l'aspect technique de la prise en charge, mais aussi parce qu'il montre comment une nation est capable de monter en puissance dans le cadre d'une attaque – bref, sa résilience. Nous travaillons sur les deux aspects. Les pertes massives à l'extérieur doivent pouvoir être prises en charge chez nous, mais le déroulement sur le territoire national soulève plusieurs questions supplémentaires. Elles sont discutées au sein d'un groupe de travail dont je fais partie et qui réunit les directeurs centraux de l'Otan.
Il en ressort pour l'instant qu'il faut, comme je l'ai dit, une veille-anticipation en matière médicale, en tout cas une meilleure coordination au stade précurseur, pour capter des signaux, afin par exemple d'acheter des produits.
Un autre élément majeur est le fait que les structures de santé soient elles-mêmes des cibles. La crise du covid a montré que le sanitaire est désormais un enjeu primordial. S'il est attaqué, cela a un effet non seulement sur le combattant, mais aussi sur la population. Il faut donc une résilience au niveau de l'hôpital.
Cela a aussi des conséquences en matière de pratiques médicales. C'est un autre enjeu de la réserve. Il faut former le maximum de personnels à nos pratiques ; c'est l'une des leçons des attentats terroristes. Or nous avons une école de formation, et la diffusion de ces pratiques peut aussi se faire dans le cadre de la réserve. C'est ce partage de pratiques qui permettra à des personnels médicaux et paramédicaux de nous renforcer – de nous épauler voire de nous remplacer.
L'approvisionnement médical, en particulier en sang et en oxygène, suscite également des interrogations. Nous avons la chance de disposer du Centre de transfusion sanguine des armées (CTSA), qui participe aussi à des innovations concernant la thérapeutique et l'évolution des produits sanguins labiles.
Bref, le domaine sanitaire est un enjeu majeur eu égard à la transmission de savoir-faire comme à la liberté d'action des forces armées. Garantir cette dernière est notre.
La question des blessés psychiques a récemment fait l'objet d'un colloque à la Maison de la chimie. Nous avons un nouveau plan d'action et nous réfléchissons à intégrer cette dimension à nos plans de prévention. Nous avons déjà développé, par exemple, le soutien psychologique en opération. Nous sommes très précurseurs en la matière, car notre mission nous oblige à prendre ces aspects en considération. Par ailleurs, il faut agir au niveau du ministère : certaines simplifications ne nous concernent pas au premier chef. Nous traiterons les dossiers avec les autres acteurs, dont l'état-major des armées et le SGA (secrétariat général pour l'administration du ministère des armées), chargé du sujet.
La recherche est très tournée vers les domaines applicables pour les armées. Elle ne repose pas sur le seul Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA) : elle est clinique et se fait dans tous les établissements et dans des centres comme le CTSA. L'articulation entre nos problématiques en santé et les chercheurs permet de développer des produits. Les recherches portent sur le facteur humain – la réaction au chaud, au froid, à l'altitude –, en lien avec l'emploi opérationnel et en collaboration avec le réseau de chercheurs extérieurs et, au sein du ministère, avec la DGA (direction générale de l'armement).
L'Observatoire de la santé du militaire et du vétéran (OSMV) va nous permettre de faire de la prévention à partir des risques, à la fois sanitaires et liés aux conditions d'exercice, identifiés grâce au suivi de cohortes. Le public visé n'est plus seulement le vétéran mais l'ensemble de la population militaire.
Desgenettes s'inscrit dans le projet militaire du SSA dans son ensemble. Des projets de spécialisation en médecine physique et de réadaptation et en psychiatrie vont être développés. L'enjeu est de bâtir le projet médical de demain, avec les partenaires de santé publique environnants, au sein du territoire de santé, et d'y intégrer les hôpitaux militaires. Ces derniers peuvent offrir des pôles d'excellence dans certains domaines et assurer la proximité de la structure de soin, tout en bénéficiant à la population militaire. À mon niveau, un comité mensuel suit le projet et le devenir du personnel de Desgenettes.
Le SSA a-t-il contribué à aider le peuple ukrainien ? De quelle manière ?
Vous avez estimé à 4 100 le nombre de réservistes. Dans notre rapport d'information sur le sujet, en 2021, l'effectif était évalué à 3 325 en RO1 (réserve opérationnelle de premier niveau) et à 1 162 en RO2 (réserve opérationnelle de deuxième niveau), soit 4 487 en tout. Ce solde négatif de près de 400 personnes confirme votre constat et le bien-fondé de votre objectif en la matière. Le report de la limite d'âge prévu dans la LPM permettra-t-il de combler les manques en RO1 ?
Nous écrivions dans le même rapport que « la réserve citoyenne du SSA a […] vocation à contribuer au recrutement de l'active et de la réserve de ce service ». Dans ce domaine, quelles sont vos prescriptions et votre politique ?
Les critères d'aptitude médicale doivent être revus pour certains postes, notamment dans la réserve – une personne en fauteuil roulant ou amputée pourrait très bien travailler dans le cyber. Dans quelle mesure êtes-vous associés à la modification des protocoles, et peut-être à leur simplification ?
En cette période d'entrée en vigueur de la loi Rist, le Chru (centre hospitalier régional universitaire) de Brest-Carhaix envisage des dispositifs de solidarité territoriale, notamment pour permettre le déport vers vos services de parturientes ne pouvant plus accoucher dans leur hôpital de proximité. Pourriez-vous en dire un mot ?
J'en viens à la LPM. Concernant la capacité du SSA à « fabriquer de nouveaux médicaments spécifiques à la lutte contre les attaques chimiques neurotoxiques », le développement de cette compétence nécessitera-t-il de nouvelles infrastructures dans l'Hexagone ou en outre-mer ? Un partenariat avec l'industrie pharmaceutique est-il envisagé ? À quels objectifs la création de ce pôle de compétence correspond-elle ?
La « cartographie territoriale repensée » et le « modèle rénové » que mentionne le rapport annexé préfigurent-ils une rationalisation du nombre d'implantations du SSA par regroupements ou signifient-ils une nouvelle manière de travailler pour vos services ?
Quand le contrat d'un très bon chef ou d'une très bonne cheffe de service arrive à terme, il faudrait essayer de les garder en faisant preuve de souplesse.
Mais la situation des personnels de catégorie B et C, des personnels de soutien, est peut-être la plus difficile dans le fonctionnement quotidien des hôpitaux des armées. Pensons à leurs parcours de carrière.
Le succès des maisons Athos, qui proposent aux blessés psychiques une réinsertion accompagnée, a conduit le Gouvernement à accentuer ses efforts en la matière dans le cadre du projet de LPM. Mais il s'agit de structures non médicalisées. Le SSA aura-t-il un rôle spécifique à jouer au sein de ces maisons ? Si oui, savez-vous où les nouvelles structures seront implantées ?
Qu'en est-il de la mixité au sein du SSA, notamment parmi les soignants ? Avez-vous noté une évolution du nombre de jeunes femmes candidates au concours d'admission à l'école de santé des armées ?
Les personnes séropositives ne peuvent toujours pas exercer au sein de l'armée, même sous traitement et avec une charge virale indétectable. Envisagez-vous de lever cette interdiction ? Sinon, pourquoi ?
Concernant la réserve citoyenne, nous visons surtout le vivier que représente le monde universitaire. Pour la réserve opérationnelle, qui est un relais indispensable, le plan d'action vise à mieux utiliser cette réserve, car des marges de progression existent. La limite d'âge ira jusqu'à 72 ans, un âge au-delà duquel beaucoup de praticiens exercent encore dans la médecine civile ; c'est une excellente mesure.
Concernant les critères d'aptitude à la réserve, un groupe de travail piloté au sein de la direction centrale est chargé de définir les conditions minimales pour être militaire, puis celles qui sont requises selon l'emploi qui sera exercé. Il s'agit pour nous de les déterminer médicalement ; c'est le commandement qui définit le niveau d'emploi. Nous évaluons l'état de santé, mais notre logique n'est pas celle de la médecine du travail.
S'agissant des nouveaux agents neurotoxiques, le Centre de transfusion sanguine des armées doit évoluer – dans ses équipements, dans ses compétences – pour pouvoir produire des contre-mesures médicales. Cette évolution est tout à fait supportable pour le SSA. Il s'agit là encore de garantir la résilience de la nation.
En ce qui concerne l'aide à l'Ukraine, nous avons pris en charge des blessés ukrainiens dans nos hôpitaux d'instruction des armées, organisé des stages de formation, fait du conseil. Pour l'instant, cette aide est à la hauteur de ce qui nous a été demandé.
Les maisons Athos, sous la responsabilité du SGA, relèvent en effet non pas du soin médical, mais de la réhabilitation. Pour notre part, nous pouvons apporter un appui, des conseils, nous avons déjà vu les blessés qui y séjournent et nous pouvons les reprendre si besoin dans nos structures de soin.
Concernant la séropositivité, les réflexions sont en cours et des experts scientifiques travaillent sur le dossier. Nous pourrons en reparler plus en détail.
À l'heure actuelle, les femmes représentent environ 63 % de nos effectifs globaux, sachant que leur proportion dépasse 90 % dans certains corps, comme les infirmiers. Dans les écoles, la mixité n'est plus un problème. Cela reflète la féminisation des professions de santé en général. Les femmes sont employées dans les mêmes conditions que les hommes. Nous devons prendre en considération les évolutions sociétales, et cela vaut quel que soit le genre. Notre recrutement, y compris secondaire, est ouvert. Notre but, je le répète, est d'avoir du personnel formé pour être médecin militaire.
En ce qui concerne Clermont-Tonnerre, le projet médical de l'hôpital n'inclut pas la compétence correspondant aux besoins des parturientes. Les partenariats sont discutés d'hôpital à hôpital. Les spécialités dépendent d'autorisations d'exercice et nous ne sommes pas habilités à toutes les proposer.
S'agissant de la rationalisation, c'est le projet médical qui détermine l'orientation de l'hôpital. Nous avons besoin de trauma centers, ce qui suppose tout un environnement pour prendre en charge les blessés lourds, sans compter les soins de réadaptation et de psychiatrie qui ne sont pas nécessairement dispensés dans les centres civils. En même temps, l'hôpital doit avoir un ancrage territorial et son projet médical doit aussi être lié aux besoins de la population civile.
Un travail a été mené ces derniers mois avec nos tutelles pour éviter qu'un engagement contractuel ne se termine en cul-de-sac. Le problème principal est la continuité du niveau de rémunération. Depuis six mois, nous aboutissons à des propositions correctes et nous savons garder ceux qui veulent rester avec nous.
La séance est levée à treize heures quinze.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pierrick Berteloot, M. Christophe Blanchet, M. Jean-Marie Fiévet, Mme Anne Genetet, M. Jean-Michel Jacques, M. Loïc Kervran, M. Fabien Lainé, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Delphine Lingemann, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, M. Aurélien Saintoul, Mme Mélanie Thomin
Excusés. - M. Xavier Batut, M. Julien Bayou, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Steve Chailloux, Mme Cyrielle Chatelain, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Bastien Lachaud, M. Olivier Marleix, Mme Lysiane Métayer, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, Mme Valérie Rabault, M. Fabien Roussel, Mme Isabelle Santiago, M. Mikaele Seo, Mme Nathalie Serre