Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission entend M. Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques, sur l'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.

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Nous accueillons, en sa qualité de président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), monsieur Pierre Moscovici afin qu'il nous présente l'avis du Haut Conseil sur le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) pour 2023, rendu public ce lundi 23 janvier au moment du dépôt du projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale.

Je rappelle que, conformément à l'article 61 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), le Haut Conseil est chargé d'émettre un avis sur les prévisions macroéconomiques que le Gouvernement retient pour l'élaboration du PLFRSS et sur la cohérence de ce projet, notamment de son article liminaire, au regard des orientations pluriannuelles de soldes structurels fixés par la loi de programmation des finances publiques (LPFP).

Par ailleurs, et il s'agit d'une innovation, la loi organique de 28 décembre 2021 prévoit que le Haut Conseil doit également donner son avis sur le réalisme des prévisions de recettes et dépenses du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Étant donné que cette réforme des retraites passe par un PLFSS, il était naturel de donner la parole au président du Haut Conseil.

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vous remercie de m'avoir invité pour que je puisse vous présenter les principales conclusions du Haut Conseil relatives au PLFRSS pour 2023.

Je débuterai par un rappel des missions du Haut Conseil, qui a été saisi en l'application de l'article 61 de la LOLF. En effet, le Haut Conseil est appelé à donner un triple avis sur le PLFRSS pour 2023 : sur les prévisions macroéconomiques, sur le réalisme des prévisions des recettes et des dépenses et, enfin, sur la cohérence de son article liminaire à la lumière des orientations pluriannuelles de solde structurel et de dépenses des administrations publiques.

Compte tenu du rôle du Haut Conseil, celui-ci a estimé que la saisine du Gouvernement était particulièrement étroite. En effet, elle ne porte que sur l'incidence de la réforme proposée sur les finances publiques pour la seule année 2023. Au delà, le Gouvernement ne nous a transmis que des informations très partielles, à la fois en termes d'horizon, de champ et d'explication du chiffrage des différents dispositifs. Le HCFP n'a donc pas pu être en mesure d'évaluer l'incidence à moyen terme de la réforme des retraites sur les finances publiques. Ce prisme annuel est très regrettable au vu de l'incidence de la réforme proposée, qui s'étend nécessairement sur le moyen et le long termes.

Cette remarque importante étant faite, j'en viens à nos deux principaux messages relatifs au PLFRSS.

Premièrement, le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2023 paraît toujours optimiste, même si les dernières prévisions montrent une résilience plus forte que prévu.

Deuxièmement, la réforme des retraites aura un impact très faible sur les finances publiques en 2023, le HCFP n'ayant pas pu en estimer les conséquences à moyen terme.

S'agissant des analyses macroéconomiques, le Gouvernement n'a pas modifié son scénario par rapport à celui du PLFSS pour 2023, lequel date de septembre 2022. Pour 2023, le Gouvernement continue de prévoir un rythme de croissance du produit intérieur brut (PIB) d'un point. Or, dans le cadre de son avis sur le PLFSS pour 2023, le HCFP avait estimé que cette prévision était un peu élevée du fait de plusieurs hypothèses que nous considérions comme fragiles. En outre, les informations conjoncturelles récentes laissent à penser que la croissance s'est essoufflée en fin d'année 2022, notamment en raison de l'impact de l'inflation et de la hausse des taux d'intérêt. Le Gouvernement anticipe donc pour 2023 une accélération nette de l'activité au cours de l'année, ce qui paraît à première vue un peu contre-intuitif.

Cette hypothèse ne peut toutefois pas être exclue compte tenu des récents signaux positifs montrant une certaine résilience de l'économie française, même si elle n'est pas la plus probable. Néanmoins, le scénario de croissance du Gouvernement paraît optimiste, car l'environnement international demeure mal orienté en 2023 : le durcissement des politiques monétaires devrait se poursuivre dans la zone euro et freiner la demande au cours des prochains trimestres. L'investissement pourrait notamment pâtir de la hausse plus forte que prévu des taux d'intérêt au sein de la zone euro.

De fait, la prévision de croissance du Gouvernement se situe au-dessus de celle des instituts de conjoncture français et internationaux, ainsi que du consensus des économistes qui, en janvier 2023, anticipent une croissance de l'économie française de seulement 0,2 point en 2023, la Banque de France se situant à 0,3 point. La croissance estimée à un point correspond donc à un chiffre élevé, qu'il faudra corriger le moment venu.

Cette croissance est justifiée selon le Gouvernement par la résilience de l'économie au troisième trimestre de 2022 et par l'acquis de croissance en 2023, mais elle sous-estime pour nous les facteurs de freinage de l'activité actuellement à l'œuvre, notamment le niveau élevé de l'inflation et le durcissement en cours des politiques monétaires.

Le Gouvernement prévoit également, pour 2023, une hausse de l'indice des prix à la consommation de 4,2 % en moyenne annuelle, après une progression de 5,2 % en 2022. Les prévisions d'inflation restent dépendantes des prix de l'énergie, qu'il est aujourd'hui très difficile d'anticiper. La fin de la remise sur le carburant au 31 décembre 2022, la revalorisation de 15 % en moyenne des tarifs réglementés du gaz au 1er janvier et de l'électricité au 1er février sont à court terme plutôt des facteurs de hausse, alors que les baisses récentes du marché du gaz et du pétrole auront à l'inverse un effet baissier.

Nous avons, dans ce cadre, estimé que le reflux de l'inflation anticipé par le Gouvernement semblait rapide. Cette moyenne est en dessous des prévisions faisant consensus auprès des économistes, qui se situent à 4,8 %, et suppose un net infléchissement par rapport aux tendances récentes. Or l'indexation du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), les hausses de salaire déjà négociées ainsi que la transmission en cours des hausses passées des prix de production et d'importation sur les prix des produits alimentaires manufacturés devraient continuer à soutenir l'inflation en 2023. Au regard de ces éléments, le Haut Conseil considère que la prévision d'inflation pour 2023 est quelque peu faible.

Le Gouvernement a également maintenu sa prévision d'une progression de la masse salariale des branches marchandes non agricoles de 5 points en 2023, mais cette prévision paraît faible, notamment au regard de la sous-estimation des perspectives d'inflation.

Pour résumer cette première partie : le Haut Conseil estime que la prévision de croissance est encore élevée, même si les bonnes surprises ne sont certes pas prévisibles, et que la prévision d'inflation est un peu basse, tout comme celle de la masse salariale.

J'entre à présent dans le détail des constats du Haut Conseil concernant les finances publiques sur la base de cette saisine que nous jugeons trop étroite. Je rappelle que le mandat du Haut Conseil est d'évaluer le réalisme des recettes et des dépenses du PLFRSS et de veiller à la cohérence de texte avec les orientations pluriannuelles de finances publiques. Sur ce dernier point, la loi organique ne permet pas au Haut Conseil de se prononcer, car le projet de loi de programmation des finances publiques (LPFP) présenté par le Gouvernement n'a pas été adopté à ce stade.

Cela me donne l'occasion d'insister sur un message que j'ai déjà porté et que le Haut Conseil reprend dans le cadre de son avis : la France ne peut se passer d'une LPFP. Il s'agit d'une obligation juridique, organique, européenne et surtout d'un outil de pilotage indispensable des finances publiques. L'érosion progressive de la position de la France au sein de la zone euro conjuguée aux investissements massifs auxquels notre pays fait face nécessite de redresser nos comptes publics. Pour y parvenir sans recourir à l'austérité, l'effort doit évidemment être piloté sur plusieurs années. C'est pourquoi nous avons besoin d'une programmation pluriannuelle.

Son absence pose de nombreux problèmes, tant pour le Haut Conseil que pour la Commission européenne, d'autant que nous sommes toujours sous le regard du Conseil constitutionnel. Ne sous-estimez pas les risques d'une telle absence : nous pourrions entrer dans un processus de finances publiques qui serait discontinu et incomplet – il s'agit d'un vrai sujet et j'appelle toutes les parties prenantes à ce que la France se dote d'une telle programmation et ce dès que possible.

S'agissant de l'analyse du réalisme des dépenses et des recettes présentées dans le PLFRSS, le Gouvernement n'a transmis que les incidences de la réforme des retraites pour l'année 2023 et quelques éléments généraux et peu détaillés jusqu'en 2026.

Les conséquences du projet de réforme des retraites sur les finances publiques en 2023 sont faibles, avec un coût estimé par le Gouvernement à 0,4 milliard d'euros, estimation que nous jugeons réaliste. Ce coût de la réforme en 2023 résulte en premier lieu des économies réalisées par le décalage de trois mois du départ en retraite d'environ 50 000 personnes en fin d'année 2023 et des recettes fiscales et des cotisations sociales supplémentaires liées à leur maintien dans l'emploi durant cette période.

En second lieu, il faut prendre en compte les dépenses supplémentaires entraînées par la réforme, la hausse du minimum contributif, les mesures sur la pénibilité et l'usure professionnelle et les mesures en faveur des transitions entre l'emploi et la retraite. Le coût estimé à 400 millions d'euros se comprend donc, car il se situe en amont des recettes permises générées par la réforme en fin d'année.

Plus largement, s'agissant du solde public, prévu à – 5 % du PIB en 2023, le Haut Conseil avait estimé en septembre qu'il existait des risques que le déficit soit plus dégradé que prévu. À ce jour le risque demeure, mais il est contrebalancé par la baisse récente des prix de gros du gaz et de l'électricité, qui pourrait alléger le coût des dispositifs de soutien aux ménages et aux entreprises. Une bonne surprise n'est donc pas exclue.

En ce qui concerne les incidences à plus long terme sur les finances publiques, le Haut Conseil n'a pas reçu suffisamment d'informations pour pouvoir évaluer l'incidence de la réforme des retraites, ce qui est regrettable. Tout au plus avons-nous reçu l'annexe au PLFRSS portant sur la période allant de 2023 à 2026. Nous réalisons toutefois un diagnostic qui pourrait vous intéresser : la réforme des retraites ne devrait pas améliorer grandement la trajectoire de dette que le Gouvernement avait évoquée dans le projet de LPFP présenté en septembre. Par rapport à cette présentation, il n'y a pas eu d'ambition supplémentaire dans l'effort de redressement des finances publiques, alors que nous avions estimé à l'époque que la LPFP était peu ambitieuse.

Les données fournies au Haut Conseil permettent de constater que les déficits des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale (ROBSS) et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) sur la période de 2023 à 2026 sont désormais un peu plus élevés dans ce PLFRSS que dans la LFSS initiale pour 2023. Autrement dit, les dépenses des retraites progressent plus rapidement au sein du projet de loi tout juste déposé que ce qui était prévu en septembre dernier. Une telle évaluation est clairement le résultat de l'intégration dans la réforme des retraites de mesures qui n'avaient pas été envisagées, ce qui entraîne une légère dégradation des comptes publics.

Enfin, je souhaiterais terminer sur l'importance d'une réforme des retraites. Je ne dis pas « la » réforme des retraites, car il ne me revient pas de déterminer son contenu et ses contours. Toutefois, en l'état, le système n'est pas soutenable et pas finançable ; une réforme est donc nécessaire. Nous savons tous que nos finances publiques ont connu une érosion progressive et qu'elles n'ont pas les marges de manœuvre pour faire face aux investissements dont le pays a besoin.

Ainsi, la France est entrée dans la zone euro avec un ratio de dette qui se situait dans la moyenne européenne et qui était exactement équivalent à celui de l'Allemagne. Nous étions alors à 58 points de dette. Vingt ans plus tard, la dette de la Belgique, qui était très élevée, a augmenté d'un point, celle de l'Allemagne a augmenté de 10 points, celle de l'Italie, qui était aussi déjà très dégradée, de 41 points. Mais celle de la France a augmenté de 55 points, soit 45 points de plus que notre partenaire allemand ! C'est un fait. Or la dette n'est plus gratuite car nous sommes sortis de l'ère des taux d'intérêt négatifs, que certains jugeaient bénie : le taux d'intérêt à dix ans a retrouvé son niveau d'il y a dix ans. Pour l'État, la charge de la dette représentait 30 milliards d'euros en 2020, 35 milliards en 2021 et elle est projetée à 44 milliards d'euros par le Gouvernement en 2023. Je vous rappelle que le budget de la mission Défense, avant même le dépôt du futur projet de loi de programmation militaire, se situe à 41 milliards d'euros, hors contribution au compte d'affectation spéciale Pensions, et à 50 milliards d'euros avec cette contribution. Nous arrivons donc dans cette zone dangereuse où c'est le remboursement de la dette qui devient le deuxième budget de l'État. Or il n'existe pas de dépense plus stérile. Tout euro que nous y consacrons à taux d'intérêt positifs est un euro perdu pour les dépenses que, les uns ou les autres, vous pouvez souhaiter pour notre pays : sécurité sociale, éducation, lutte contre le réchauffement climatique, forces armées, etc.

En outre, la France fait face à des besoins d'investissements majeurs. C'est dès aujourd'hui qu'elle doit rénover son système de santé, son système scolaire, son armée, produire sur son territoire, investir dans la recherche et développement pour se maintenir dans la compétition mondiale et, enfin, investir dans ses infrastructures et réduire les émissions de dioxyde de carbone (CO2). Un mur d'investissement et une montagne de dette posent un vrai problème et obèrent toute marge de manœuvre.

Réformer les retraites fait partie de l'effort collectif nécessaire pour parvenir à financer ces investissements, mais cela ne suffit pas. La France a la capacité d'examiner les qualités de la dépense dans tous les secteurs publics. Ce n'est pas toujours facile, mais tous nos partenaires le font. Ainsi, une revue annuelle de dépenses, comme l'a annoncée le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, est nécessaire – ce que la Cour des comptes appelle depuis plusieurs années –, mais cette revue de dépenses doit avoir une raison d'être, une gouvernance, un calendrier et des objectifs clairs.

Mesdames et Messieurs les députés, le temps nous appelle au sérieux et à l'ambition. Je ne voudrais pas qu'un accident nous oblige à rectifier tout à coup notre trajectoire, en coupant drastiquement dans les dépenses pour relever brutalement les impôts. Le Royaume-Uni n'est pas un pays de la zone euro, mais elle n'est pas un petit pays : son cas doit nous faire réfléchir.

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Vous nous avez déclaré que nous faisons face à un mur d'investissements à réaliser, et le chef de l'État vient d'ailleurs d'en évoquer un nouveau à travers les investissements massifs dans notre système de défense, mais nous savons que nous sommes très loin du compte concernant la planification écologique et les services publics.

Face à ces investissements se dresse le mur de la dette qui, selon vos propos, finit par être plus importante que le budget de l'État. Il s'agirait donc de prioriser les investissements ou le fait de s'endetter. Néanmoins, je ne comprends pas comment on peut réaliser des investissements à long terme sans s'endetter et j'estime que notre pays peut supporter un tel endettement. En revanche, je suis certain que notre économie ne peut pas supporter la baisse continue de la fiscalité au moyen des dépenses fiscales.

De plus, vous estimez que des baisses sont à prévoir du côté d'autres dépenses publiques, voire du côté de mécanismes de solidarité et pourquoi pas du côté de celui des retraites. J'estime que ce n'est pas au système des retraites de payer les dépenses de l'État. Je suis en effet favorable à un système de retraite fondé sur les productions de richesses dues au travail et j'implique dans ces productions le capital. Ainsi, l'équilibre du système des retraites est à rechercher du côté de nouvelles ressources, notamment des ressources adossées aux revenus du capital. Le président du Conseil d'orientation des retraites (COR) a affirmé ici la semaine dernière que les dépenses des retraites ne dérapaient pas et qu'elles étaient même annoncées en baisse dans trois des quatre scénarios présentés pour les années à venir. Vous dites vous-même que le projet de retraite représentera un coût net de 0,4 milliard d'euros pour 2023 et que, pour la suite, le HCFP n'est pas en mesure d'évaluer l'incidence de cette réforme sur les finances publiques. En outre, vous avez dit également que cette réforme ne devrait pas modifier la trajectoire de la dette dans les années à venir.

Vous avez évoqué les prévisions économiques qui varient de – 0,2 point à + 0,7 point du PIB selon les instituts. Il existe donc une problématique quant à l'hypothèse de croissance d'un point du PIB sur laquelle s'appuie le PLFRSS. Dans ce cadre, pouvez-vous nous préciser quels sont les principaux éléments d'information qui vous ont fait défaut pour évaluer à long terme l'incidence de la réforme ?

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Notre commission porte évidemment une attention toute particulière aux incidences budgétaires du texte, qu'elles soient de court ou de moyen termes.

L'avis du Haut Conseil des finances publiques m'inspire trois remarques principales.

Tout d'abord, le Haut Conseil relève que l'absence d'adoption du projet de loi de programmation de finances publiques ne lui permet pas de vérifier la cohérence des prévisions de finances publiques des textes financiers avec la loi de programmation et que cette absence, contraire aux engagements européens de la France, prive les finances publiques d'une boussole indispensable à leur bonne gestion et à la préservation de la soutenabilité de la dette publique.

Il me semblait important de souligner ce point. Se doter d'une loi de programmation est un impératif pour sécuriser les expertises, éclairer nos politiques et écarter tout risque juridique. Sans prononcer l'adjectif, vous avez déclaré ce matin en audition au Sénat qu'écarter une loi de programmation des finances publiques est un exercice jugé irresponsable. Je tenais à vous le rappeler, chers collègues.

Ensuite, votre avis souligne l'obligation qui est la nôtre de réformer notre système de retraite pour assurer sa pérennité et participer au redressement de nos finances publiques.

Les prévisions du Gouvernement se fondent sur un scénario central d'un taux de chômage de long terme de 4,5 % et d'une croissance de la productivité du travail de 1 %.

Le Haut Conseil considère que cette dernière prévision de croissance est un peu ambitieuse. Je trouve pour ma part que nos efforts vers le plein emploi sont justement la marque de l'ambition forte que nous portons, inédite depuis longtemps dans notre pays. Je relève, s'agissant de la croissance, que votre avis indique qu'« une accélération de l'activité au cours de l'année […] ne peut pas être exclue, car des signaux positifs existent […], l'économie française fait preuve de résilience, l'emploi demeure dynamique, le risque d'une rupture des approvisionnements en électricité et en gaz paraît désormais limité […] et les tensions sur les prix de l'énergie s'atténuent. »

Il me paraît nécessaire à ce stade de souligner que, quelle que soit la réalité de la situation économique des années à venir, qui ne peut jamais être prédite de manière certaine, la nécessité de la réforme est évidente dans l'ensemble des scénarios envisageables.

En 2027, le déficit du système de retraite atteindra 0,4 % du PIB, quel que soit le scénario retenu. En 2037, il serait compris entre 0,2 point de PIB et 0,7 point de PIB.

Enfin, concernant à proprement parler l'incidence budgétaire du projet de loi, l'avis du HCFP souligne que la réforme présenterait en 2023 un coût net de 0,4 milliard d'euros. Vous jugez « réaliste » cette estimation. Ce coût est bien la preuve de l'importance des mesures compensatoires qui accompagnent le relèvement de l'âge d'ouverture des droits et l'allongement de la durée de cotisations permettant de liquider sa retraite à taux plein. Ces mesures d'accompagnement sont centrales et permettent de faire de la réforme qui vous est proposée une réforme de responsabilité, mais aussi de justice.

Que serait un système de retraite non financé ? Ce serait un système dans lequel les pensions ne peuvent pas être servies ou alors ne peuvent l'être qu'à un niveau réduit. Nier le besoin de réduction du déficit du système de retraite, c'est donc accepter une baisse des droits des assurés, ce à quoi le Gouvernement et la majorité ne peuvent se résoudre, mais qui semble convenir à certains d'entre nous !

Sur le plan de l'équilibre, le HCFP s'est bien entendu concentré sur l'année 2023, mais quelle analyse fait-il de la trajectoire pour les ROBSS et le FSV, ainsi que pour la branche vieillesse, d'ici à 2026 ?

S'agissant des recettes, votre avis estime que la prévision de masse salariale pour 2023 est un peu basse. C'est une observation que le HCFP avait déjà faite par le passé. S'est-elle vérifiée ? Pouvez-vous expliquer les raisons suscitant cette remarque ? Quelle projection alternative retenez-vous par rapport à la cible de 5 % ? Quel serait l'effet sur le produit des cotisations et contributions de sécurité sociale ?

Sur le plan des dépenses, vous soulignez que les effets de la hausse du minimum contributif restent incertains à ce stade. D'où proviennent ces difficultés, notamment concernant le coût de la revalorisation des pensions déjà liquidées ? Je me félicite d'ailleurs de cette intégration, fruit du dialogue entre l'exécutif et les groupes parlementaires.

Enfin, concernant l'allongement de la durée de cotisations permettant de liquider sa retraite à taux plein, disposez-vous de données quant aux premiers effets observés sur le solde public de l'entrée en application de la réforme dite Touraine en 2020 ?

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Avant de poser trois questions, je souhaiterais faire un point sur l'intervention du président de notre commission. Le HCFP étant saisi pour l'année 2023, personne ne peut savoir ce qu'aurait été son avis pour 2024 et pour les autres années.

S'agissant des prévisions, nous partageons le même point de vue : elles sont volontaristes, mais les derniers chiffres du chômage sont cohérents avec un objectif visant le retour au plein emploi à terme et une croissance relativement soutenue l'année prochaine.

Vous soulignez le handicap que représente l'absence d'une LPFP en vigueur, à la fois en termes de pilotage et de crédibilité de notre politique budgétaire et financière. Nous n'avons en effet pas voté cette loi en première lecture, mais j'espère que nous pourrons la voter lors de la nouvelle lecture et je me tiens d'ailleurs disponible pour y travailler. Vous aviez souligné qu'il manquait des informations documentant la trajectoire du projet de LPFP, en particulier en ce qui concerne les réformes engagées. La réforme des retraites vous rassure-t-elle sur la crédibilité de cette trajectoire ?

De plus, vous relevez que son effet est positif en 2023 car elle apporte sans délai des mesures de justice. Ces mesures coûteront 400 millions d'euros, mais seront synonymes de hausse des pensions minimales pour de très nombreux Français. À plus long terme, les hypothèses financières sont fondées sur un taux de productivité de 1 % sur l'ensemble de la période et un taux de chômage de 4,5 %. Ces deux hypothèses vous paraissent-elles crédibles ou optimistes ?

Enfin, s'agissant de la baisse du coût de l'énergie, on note un effet positif en crédits et un effet négatif en recettes : le solde sera-t-il selon vous positif pour les finances publiques en 2023 si le coût de l'énergie continuait à baisser ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vais être décevant sur le sujet de la trajectoire, car nous ne possédons pas suffisamment d'informations. En effet le Haut Conseil n'a été saisi que sur les conséquences de la réforme des retraites pour la seule année 2023. En réponse à des demandes répétées, le Haut Conseil a fini par obtenir un complément au PLFRSS portant sur la période de 2023 à 2026 qui a permis d'établir une comparaison avec les chiffres de la LFSS pour l'année en cours. La comparaison n'est donc que partielle.

Pour aller plus loin, il eût fallu que nous puissions disposer des résultats chiffrés présentés dans le rapport sur les objectifs et les effets du projet de réforme des retraites, mais aussi de détails sur les hypothèses et les mécanismes concernant ces chiffrages qui ne figurent pas dans ce rapport.

Ce qui me permet de répondre tout de suite à la question du rapporteur général : sommes-nous rassurés ? Nous ne pouvons raisonner qu'en différentiel. Je peux dire que la réforme des retraites ne suffit pas à elle seule à justifier la trajectoire des finances publiques, mais qu'elle l'étaye en partie. De plus, par rapport à ce que contenait le projet de loi de programmation des finances publiques, il manque toujours 0,7 milliard d'euros en 2026 sur les régimes de base et le FSV.

Dans ce cadre, je souhaite d'emblée corriger deux illusions d'optique. Premièrement, s'agissant des 0,4 milliard d'euros : ces mesures ont un coût, mais elles rapporteront par la suite. Deuxièmement, si l'incidence sur la dette n'est pas visible, cela ne veut pas dire qu'il n'existe aucune incidence.

S'agissant de la question du président sur le mur d'investissements et la charge de la dette, j'ai bien parlé d'investissements à financer. Nous avons besoin d'investissements, mais j'estime qu'un investissement a besoin d'être financé avec des recettes et des marges de manœuvre. Dans ce cadre, la course à l'endettement n'est en aucun cas la solution. J'ajoute que nous sommes dans un moment où cet écart qui existe déjà entre nos finances publiques et celles de nos partenaires est en train de se creuser. C'est pourquoi j'ai parlé d'une trajectoire trop peu ambitieuse. Les autres pays de l'Union européenne visent l'année 2025, alors que nous visons 2027 avec une dette stagnante. Les investissements sont donc nécessaires, mais ils ne doivent pas être financés par un surcroît de dettes.

Il existe en effet d'autres solutions : les dépenses fiscales et sociales ou la hausse des impôts, même si nous ne le recommandons pas. La croissance ne répond pas non plus au problème, car nous ne devons pas nous bercer d'illusions : nous n'entrons pas dans les Trente Glorieuses.

Par ailleurs, madame la rapporteure pour avis, je ne permettrais jamais de dire à des députés ou des sénateurs qu'ils sont irresponsables. En revanche, je dis que l'absence de LPFP n'est pas anecdotique et pourrait entraîner des conséquences sérieuses, voire graves.

Enfin, ce n'est pas la première fois que le Haut Conseil annonce que la prévision de la masse salariale est basse, nous l'avions déjà fait en 2021 et elle s'est révélée plus dynamique que prévu. Cela ne veut pas dire que nos prédictions sont toujours justes. Néanmoins, si l'inflation était plus élevée que l'estimation de 4,2 % – et elle risque de l'être –, la masse salariale risque d'être également plus élevée.

S'agissant du bouclier fiscal, une baisse des prix pourrait en effet être favorable, mais les mécanismes sont complexes : le gain est probable, mais incertain dans son ampleur. Par conséquent, notre jugement sur les finances publiques pour 2023 reste nuancé. Cet automne, nous pensions que le déficit serait supérieur à 5 %, aujourd'hui je suis incapable de vous dire s'il sera supérieur, égal ou inférieur.

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C'est à mon tour de déplorer l'absence d'une loi de programmation qui nous empêche, au fond, de jouer notre rôle de contrôle de l'action du Gouvernement. Néanmoins, force est de constater que le Gouvernement a été transparent dès le début, puisque tous les textes financiers prévoyaient une réforme des retraites. En effet, l'objectif d'augmentation des dépenses publiques de 0,6 % en volume était évidemment incompatible avec une augmentation des dépenses des retraites de 1,8 % en volume. Je vous pose donc la question : ces hypothèses permettent-elles de renforcer la sincérité des prévisions ici présentées ?

Par ailleurs, nous faisons face à une impasse de financement pour équilibrer notre système de retraite à horizon 2030, sauf à faire le choix de l'endettement et donc de l'enrichissement de nos créanciers. Si la réforme des retraites est nécessaire, elle n'est d'après vous pas suffisante pour abaisser ce niveau d'endettement et faire face aux investissements futurs. Quel serait donc le coût de l'inaction, c'est-à-dire du statu quo à horizon 2030 ?

Par ailleurs, quel serait le coût, pour nos finances publiques, d'un abaissement de l'âge légal du départ en retraite à 60 ans ?

Enfin, quel est selon vous l'effet de cette réforme sur la croissance potentielle ? Peut-on considérer qu'il est positif ?

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Vous avez indiqué que le scénario macroéconomique retenu était un peu optimiste, que la prévision de masse salariale était un peu basse, que la prévision d'inflation était un peu faible et que la prévision de croissance était élevée.

Nous avons reçu, conjointement avec la commission des affaires sociales, M. Pierre-Louis Bras, président du COR, qui nous a affirmé que la réforme n'était en réalité pas une réforme du système des retraites, mais concernait la politique globale des finances publiques. Il a également rappelé que les dépenses des retraites représentaient 25 % des dépenses publiques et que si cette réforme n'était pas appliquée, elles augmenteraient de 1,8 % par an. Or, pour passer sous la barre des 3 % de déficit public à l'horizon 2027, il est nécessaire que les dépenses publiques n'augmentent pas de plus de 0,6 % par an. Il s'agit donc bien d'un problème de dette et vous affirmez vous-même que la réforme des retraites ne suffira pas à réduire cette dette.

Par ailleurs, si le coût de la réforme en 2023 est estimé à 400 millions d'euros, il ne vous est pas possible de vous projeter vers les années suivantes, faute du vote du projet de loi de programmation des finances publiques. On peut donc se poser la question : quel est l'intérêt de cette réforme des retraites si celle-ci n'améliore pas la trajectoire de la dette ? Que proposez-vous d'autre pour réduire la dette ?

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Dans son projet de loi de finances (PLF) pour 2023, le Gouvernement avait annoncé ses intentions : « les administrations de sécurité sociale participeront à la maîtrise d'évolution des dépenses, permise notamment par la réforme des retraites. » Voici donc le but réel de la réforme : faire des économies.

Or de quoi s'aperçoit-on aujourd'hui ? D'abord, que la réforme aura un effet très faible sur nos finances publiques. Alors pourquoi fait-on subir cela aux Français ? Au delà de 2023, nous n'avons aucune idée de son incidence. Nous avançons les yeux bandés, volontairement, qui est plus est, car comme vous nous en avez alertés, les scénarios sont un peu trop optimistes.

J'ai noté que vous annonciez que 50 000 personnes verraient leur départ retardé dès l'année prochaine : confirmez-vous cette information ? Qui sera concerné par ce report et pendant combien de temps ?

Par ailleurs, avez-vous prévu le coût social de cette réforme ? L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) parle de 277 000 chômeurs supplémentaires à horizon de dix ans pour un coût de 2,8 milliards d'euros, quand la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) estime à 3,5 milliards d'euros la conséquence d'un report de l'âge à la retraite.

Le Gouvernement affirme que le déficit du système des retraites sera de 0,7 % du PIB en 2050. C'est oublier que le PIB d'aujourd'hui ne sera pas le PIB de demain, qui sera a priori bien plus élevé en 2050 qu'en 2030. Avez-vous donc des estimations permettant de mesurer l'évolution du PIB français et celle du déficit du système des retraites ?

Enfin, s'agissant de la loi de programmation des finances publiques, vous jouez évidemment votre rôle. Je rappelle que l'Assemblée nationale a refusé en majorité ce projet de loi parce qu'il présentait des prévisions de croissance et d'inflation qui n'étaient pas sérieuses et qu'il promettait des mesures, telles que l'austérité dans nos communes, qui n'étaient pas acceptables politiquement, raison pour laquelle nous demandons à la minorité présidentielle de revenir à la raison sur ce sujet.

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J'ai noté que vous ne pouviez pas répondre à un certain nombre de questions, je ne vous en poserai donc pas : je ferai état de remarques et de regrets qui susciteront peut-être des réactions.

Vous avez indiqué qu'il n'y a pas eu de modification dans ce PLFRSS des prévisions relatives la situation macroéconomique par rapport à septembre 2022. Je regrette que le Gouvernement n'ait pas ajusté ses hypothèses et que nous ayons affaire à un copier-coller. Je m'interroge toutefois sur la situation et l'impact des taux d'intérêt qui continuent à augmenter depuis septembre dernier.

S'agissant de la loi de programmation des finances publiques, je note également votre regret, comme celui de nous tous. Je regrette également que le Gouvernement n'ait pas entendu nos messages. Ces messages adressés par Les Républicains sont d'ailleurs confortés par les remarques du Haut Conseil : premièrement, dans votre avis du mois de septembre, lorsque vous souligniez l'importance de la maîtrise de la dépense publique couplée à la recherche d'une plus grande efficacité ; deuxièmement, dans votre avis de janvier, lorsque vous affirmez que la réforme des retraites ne suffit pas à atteindre à elle seule un objectif de financement des besoins d'investissements publics, liés notamment aux enjeux climatiques. Cela me fait dire que nous avons eu raison de ne pas voter en faveur du projet de loi de programmation des finances publiques tel qu'il était présenté.

Je souhaiterais également noter l'incidence sur les comptes de 2023 et la brutalité de l'impact de la réforme des retraites, puisque 50 000 personnes qui sont nées après le 1er septembre 1961 et avant le 31 décembre 1961 et qui pouvaient partir à la retraite au 1er octobre de cette année ne pourront partir qu'au 1er janvier 2024.

Enfin, je regrette que vous ne disposiez pas de données relatives à l'effet de la réforme sur les années à venir. Il n'est pas logique que le Gouvernement ne vous ait pas fourni un certain nombre d'éléments.

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Vous me permettrez une remarque sur la loi de programmation des finances publiques. Vous êtes certes dans votre rôle sur ce sujet, mais je m'interroge à nouveau sur l'utilité de ces lois. Vous écriviez dans l'avant-dernier avis du HCFP : « non contraignante, reposant sur des hypothèses généralement optimistes et rapidement obsolètes. Les objectifs n'ont que rarement été atteints. » Quel est l'intérêt, à partir de ce constat, d'adopter un document bavard qui ne sera pas respecté ?

J'ajoute par ailleurs que les sanctions prévues par les traités et notamment l'article 8 du traité sur la stabilité, la croissance et la gouvernance (TSCG) au sein de l'Union économique et monétaire n'ont jamais été appliquées. Dans ce cadre, qu'est-ce qui empêche le HCFP d'examiner le décalage entre les budgets votés et la norme qui ressort du programme de stabilité ? Il s'agit finalement d'un document comparable à une loi de programmation des finances publiques.

Quelles sont les informations qui vous manquent et qui auraient été utiles au HCFP pour produire son avis ?

S'agissant des prévisions de croissance trop optimistes, quels facteurs de freinage de la croissance, qui n'auraient pas été pris en compte par le Gouvernement, le HCFP anticipe-t-il ?

Enfin, en ce qui concerne l'incidence très faible en 2023 de la réforme des retraites, vous notez que des incertitudes entourent la hausse du minimum contributif. Quelles sont ces incertitudes et quelle pourrait être l'ampleur des variations éventuelles pour l'année 2023 ?

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Notre système de retraite connaît depuis de nombreuses années des débats sur sa soutenabilité. Selon les prévisions du COR et tous les scénarios, ce système s'achemine vers un déficit chronique à long terme. Le Gouvernement a donc annoncé une réforme pour pallier les déficits et garantir un système juste et autonome pour les futures générations. Par cette mesure de décalage de l'âge légal de départ en retraite, l'objectif est d'empêcher la fragilisation de notre système par répartition. La question de l'équilibre de nos comptes publics est en effet majeure, surtout lorsqu'il s'agit de notre système de solidarité, qui nous est à tous très cher.

Vous avez la charge de surveiller la bonne administration de nos comptes publics. Bien que vous n'ayez pu analyser en profondeur les effets de cette réforme, pourriez-vous nous indiquer si l'équilibre des comptes actuels serait soutenable à long terme sans réforme ? Êtes-vous en mesure de nous dire si cette réforme aura une incidence positive ou négative sur l'équilibre de nos finances publiques ?

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Depuis plusieurs semaines, nous ne cessons de rappeler que la réforme des retraites telle qu'elle est présentée est injuste et injustifiée. Votre avis ne modifie pas notre appréciation. En particulier, nous notons que la hausse de l'âge légal de départ dès septembre pourrait conduire 50 000 personnes à décaler leur départ, soit une personne sur quinze parmi les futurs retraités de 2023. Vous notez également que les éléments que vous a transmis le Gouvernement empêchent d'évaluer à moyen terme l'incidence de la réforme sur les finances publiques. C'est extrêmement dommageable, car ni le débat parlementaire ni l'opinion publique ne peuvent être éclairés sur la nécessité de cette réforme.

Pensez-vous acceptable que la représentation nationale et les Français souffrent d'un déficit d'informations sur une réforme d'une telle envergure ? Comment pouvons-nous nous prononcer sur un texte sans disposer des informations nécessaires à l'éclairage de notre décision ?

Vous insistez sur la nécessité de réduire la dette publique. Pensez-vous dès lors qu'il était opportun de réduire les impôts de production de 14 milliards d'euros entre 2020 et 2023 ? Ne pensez-vous pas qu'il aurait été bien plus adéquat de maintenir la contribution des entreprises aux efforts publics plutôt que d'aller chercher des économies par un report de l'âge légal dont les Français ne veulent pas ?

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J'ai quatre questions à vous poser.

Premièrement, vous nous indiquez que les prévisions de croissance du PIB en 2023 vous paraissent trop élevées : que se passerait-il si nous passions de 1 % à 0,2 ou 0,3 %, ce qui correspond plus ou moins au consensus actuel ?

Deuxièmement, vous jugez la masse salariale un peu basse, avec 5 %. Mais 5 % dans le cadre d'une inflation à 4,3 % correspondent encore à une augmentation du pouvoir d'achat de la masse salariale de 0,7 % et même si l'on soustrait l'augmentation des effectifs à 0,2 ou 0,3 %, nous arrivons encore 0,4 ou 0,3 %. Or les négociations salariales en cours montrent des réévaluations inférieures à la croissance des prix envisagée, soit 4,3 %. Pouvez-vous nous expliquer ces prévisions ?

Troisièmement, vous signalez une très légère baisse de la dette publique qui serait liée essentiellement à une mobilisation de la trésorerie excédentaire de l'État accumulée à la fin de l'année 2022. Pouvez-vous nous dire à quelle hauteur ? Il semble que nous nous soyons volontairement surendettés pour donner l'illusion d'un fléchissement de la dette.

Quatrièmement, s'agissant de votre avis sur les dépenses et plus particulièrement concernant l'État et les collectivités territoriales : avez-vous eu le temps d'examiner le dérapage du coût des intérêts de la dette ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

Je vais débuter ma réponse en évoquant la réforme des retraites de manière générale. Nous estimons qu'il existe un besoin de financement, qui peut être comblé par une réforme des retraites, laquelle peut toutefois prendre plusieurs voies. Ce n'est pas à moi de choisir. Néanmoins, il est clair qu'il ne s'agit pas là de payer le déficit de l'État : c'est une réforme faite pour équilibrer le système de retraite, pas pour autre chose. À partir de constat, nous arrivons à toute une série de questions que vous avez posées.

D'abord, le coût de l'inaction : il ne revient pas au Haut Conseil de se prononcer sur des choix politiques. Si la Cour des comptes a conclu sur la nécessité d'une réforme, nous n'avons pas à en prescrire les voies et les moyens.

La réforme des retraites assure-t-elle l'équilibre du régime de retraite par répartition à moyen et long termes ? Je ne peux qu'en juger au regard des mesures exposées et nous n'avons pas de certitude pour pouvoir le certifier, puisque notre information est lacunaire. Nous ne pouvons donc pas juger de l'incidence à moyen et long termes de cette réforme sur les finances publiques.

Pour répondre à la question de savoir si la réforme des retraites contribue à faire baisser la dette, là encore nous ne disons pas que cet effet n'existe pas, mais nous disons qu'il est plutôt inférieur aux prévisions antérieures. En revanche, sans réforme des retraites, la dette augmenterait d'ici à 2027.

S'agissant de la croissance potentielle, la réforme des retraites doit avoir un effet sur celle-ci, car elle influence un facteur de production : le travail. Si la quantité de travail augmente, la croissance potentielle également.

50 000 personnes vont devoir décaler leur départ à la retraite en 2023. Il s'agit d'un chiffre présenté dans les documents qui nous ont été soumis. Il y a bien 50 000 personnes qui devaient pouvoir partir en retraite à l'âge de 62 ans, sur les 200 000 personnes partant chaque année, qui devront décaler leur départ.

En ce qui concerne l'évaluation du déficit du système de retraite à 0,7 point de PIB en 2050, il ne s'agit pas du PIB d'aujourd'hui et si c'était le cas, ce chiffre serait plus important.

Où en est la charge de la dette compte tenu de la hausse des taux d'intérêt ? Pour l'État, celle-ci devrait augmenter d'un peu plus de 12 milliards d'euros en 2022, passant de 35 milliards d'euros à 47 milliards d'euros en comptabilité nationale. En 2023, le Gouvernement prévoit un reflux de la charge de la dette de 3 milliards d'euros, pour arriver à 44 milliards d'euros – reflux qui provient du repli de la charge des titres indexés en lien avec la baisse attendue de l'inflation –, mais nous ne savons pas quel sera l'effet de la hausse des taux. Compte tenu de cette incertitude et de l'inflation qui pourrait être plus élevée, ce recul de la charge de la dette n'est pas acquis.

Combien la hausse du minimum contributif coûte-t-elle ? Son coût est prévu à 0,4 milliard d'euros en 2023 par le Gouvernement. Il sera partiellement financé par une solidarité entre les branches des régimes obligatoires de base. Les contours exacts de la mesure restent à préciser.

S'agissant de la croissance et des effets sur le déficit, le scénario du Gouvernement est à un point, soit au-dessus du haut de la fourchette retenue par les prévisionnistes de référence. Nous aurions pu être plus sévères, mais nous sommes restés modérés, car nous n'écartons pas totalement la possibilité d'une bonne surprise. Néanmoins, il serait bon que le Gouvernement ajuste à un moment donné sa prévision de croissance, car s'il y avait 0,8 point de croissance en moins, cela représenterait 0,4 point de déficit en plus et donc 10 milliards d'euros d'endettement supplémentaires.

Enfin, au sujet du projet de loi de programmation de finances publiques, je ne me permettrais pas de contredire ceux qui l'ont critiqué sur le fond. Néanmoins, nous avons besoin d'une référence commune : la loi organique et les traités l'exigent. On peut toujours bricoler, mais il existe des règles et la Commission européenne les rappellera à un moment donné. Du point de vue français, le programme de stabilité n'est pas non plus équivalent à la loi de programmation. La loi organique dit d'ailleurs bien que nous devons nous prononcer par rapport à un objectif de moyen terme qui figure dans la loi de programmation de finances publiques. Il s'agit donc d'un problème juridique et constitutionnel. Je le redis : nous ne pourrons pas faire sans une loi de programmation de finances publiques.

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Nous nous trouvons actuellement dans un scénario qui prévoit qu'en 2030, nous atteindrions 13,5 milliards d'euros de déficit du système de retraite si nous ne faisions rien. Toutefois, ce scénario est bâti sur une hypothèse de chômage à 4,5 %, qui paraît peu réaliste. Êtes-vous capable d'estimer cette situation si nous prenions une hypothèse plus réaliste, soit 7 ou 7,5 % ?

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Il n'est pas acceptable de laisser dire ou sous-entendre qu'il est irresponsable de ne pas avoir voté le projet de loi de programmation des finances publiques. Ce qui est à notre sens irresponsable, c'est le Gouvernement qui, par arrogance, a maintenu des prévisions soit irréalistes, soit inacceptables. Je tenais à le dire.

La question, finalement, n'est pas de réformer les retraites. Il s'agit en réalité de trouver des fonds dans un pays étranglé par les prélèvements obligatoires et par la dette. Le choix du Gouvernement a donc été de faire porter ce poids sur la qualité de vie des Français. De plus, nous sommes dans un axe assez réducteur d'analyse des gains potentiels de cette retraite. Or nous savons très bien que cette réforme engendrera des coûts supplémentaires pour l'assurance chômage, l'assurance maladie, notamment au titre de l'invalidité, pour les collectivités territoriales, singulièrement les départements via le revenu de solidarité active (RSA) ou les communes. Quelle est donc l'incidence des charges complémentaires de cette réforme comparée aux gains ?

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S'il est nécessaire pour vous de reporter l'âge de départ à la retraite, cela signifie en réalité que vous demandez à celles et ceux qui ont tenu le pays pendant la crise du covid-19 d'en faire plus. Autrement dit, ceux qui nous ont sauvés nous coûteraient aujourd'hui presque trop cher. Or on ne s'intéresse jamais à ceux qui nous entourent : je vais donc me faire un devoir de vous prendre comme exemple. Entre votre salaire et vos retraites, la France vous verse chaque mois 22 000 euros, soit 260 000 euros par an. Ne voyez-vous pas ici un problème moral ? C'est toujours à ceux qui font marcher le pays de faire des sacrifices supplémentaires.

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Pensez-vous que la situation de stagflation soit durable ? Le poids de la dette publique par rapport au PIB reste en réalité très relatif. La dette est certes en hausse constante, mais il faut la rapporter au niveau de taux d'intérêt imposé par les marchés, aux données du commerce extérieur qui est un désastre pour la France et au niveau de croissance très faible, ainsi qu'au rythme d'inflation qui se relance. Cette conjoncture morose vous paraît-elle durable ?

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Au sein du débat sur les retraites, certains préconisent des hausses importantes de prélèvements obligatoires. La Cour des comptes prenait une position forte sur ce sujet, dans une publication d'octobre 2021 intitulée Continuer à adapter le système de retraite pour résorber les déficits et renforcer l'équité, en indiquant que « les marges de manœuvre pour de nouvelles hausses des taux de cotisation apparaissent restreintes dès lors que la France a déjà le taux de prélèvement obligatoire le plus élevé de l'Union européenne ». Pouvez-vous donc nous préciser quels effets économiques seraient à attendre en cas de hausses importantes des cotisations ?

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Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques

S'agissant des prévisions et du chiffrage du déficit du système de retraite selon l'hypothèse retenue pour le taux de chômage, nous ne sommes pas une instance de prévision : il s'agit là du rôle du COR.

Comme je l'ai déjà dit, je ne permettrais jamais de parler d'irresponsabilité parlementaire, mais je souhaite redire qu'une loi de programmation n'est pas optionnelle : elle est obligatoire et son absence est un problème grave pour le pays. Respectueux des députés et des sénateurs, il me semble toutefois que vous devez aboutir à un résultat.

Vous m'interrogez sur les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires : nous avons en France quelques paradoxes qui doivent tous nous frapper. Nous avons le niveau de dépenses publiques le plus élevé de l'Union européenne, 58 %, nous sommes un des pays qui a le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé, au-dessus de 44 %, mais nous n'avons pas pour autant des services publics qui donnent une totale satisfaction, autant dans la perception que dans la réalité – notamment le logement et l'éducation nationale, avec des dépenses élevées et des performances plutôt faibles.

Nous ne pouvons vivre durablement dans cette situation hautement insatisfaisante. Or nous connaissons les solutions : l'élévation du niveau de croissance potentielle à travers des politiques d'investissement intelligemment ciblées et la maîtrise de la dépense. J'utilise le mot de maîtrise plutôt que celui de baisse, car c'est la qualité de la dépense qui est en cause. Que ce soit dans l'éducation ou la santé, il y a sans doute à la fois des dépenses supplémentaires à consentir et des économies à faire. Nous devons être capables, dans ce pays, de soulever le capot, d'analyser ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas au sein des politiques publiques. C'est pourquoi j'appelle depuis des années, déjà comme commissaire européen, à des revues de dépenses publiques annuelles et sérieuses. Nous avons échoué dans les divers exercices précédents. Autrement, nous risquons d'engendrer un mécontentement général face à la gestion des dépenses. Les investissements soutenant la croissance potentielle vont de pair avec des modifications intelligentes et modernes des politiques publiques. C'est une question économique, financière, sociale, politique et démocratique et c'est pourquoi nous avons besoin d'une loi de programmation des finances publiques, synonyme de transparence des débats publics, lesquels ont besoin de maturité.

Concernant la stagflation, la plupart des économistes estiment que l'inflation devrait être temporaire et nous devrions donc sortir d'une situation de stagflation, même si l'atterrissage reste incertain.

Enfin, monsieur Maudet tous les citoyens doivent contribuer à la hauteur de leurs revenus, et j'ajoute que j'ai nettement dépassé l'âge de départ la retraite.

Membres présents ou excusés

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 15 heures

Présents. - M. Franck Allisio, M. David Amiel, M. Mickaël Bouloux, M. Philippe Brun, M. Frédéric Cabrolier, M. Michel Castellani, M. Thomas Cazenave, M. Jean-René Cazeneuve, M. Florian Chauche, M. Éric Coquerel, M. Charles de Courson, M. Dominique Da Silva, M. Jocelyn Dessigny, M. Fabien Di Filippo, Mme Stella Dupont, Mme Marina Ferrari, Mme Félicie Gérard, M. David Guiraud, Mme Nadia Hai, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, Mme Constance Le Grip, M. Mathieu Lefèvre, M. Philippe Lottiaux, Mme Véronique Louwagie, Mme Lise Magnier, M. Louis Margueritte, M. Jean-Paul Mattei, M. Damien Maudet, M. Benoit Mournet, Mme Christine Pires Beaune, M. Christophe Plassard, M. Robin Reda, M. Alexandre Sabatou, Mme Eva Sas, M. Jean-Philippe Tanguy

Excusés. - M. Christian Baptiste, M. Manuel Bompard, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Karine Lebon

Assistait également à la réunion. - M. Vincent Seitlinger