commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE
Mardi 15 novembre 2022
La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
La commission d'enquête auditionne sous forme de table ronde, ouverte à la presse,
• Mme Ketty Attal-Toubert, Cheffe du Département des statistiques et des études du commerce extérieur (DSECE) de la Direction générale des douanes et des impôts indirects, et son adjoint M. Boris Guannel ;
• Mme Béatrice Sédillot, Cheffe du service des données et études statistiques (Sdes) au Commissariat général au développement durable (CGDD), Mme Bérengère Mesqui, sous-directrice des statistiques de l'énergie et Mme Virginie Andrieux, bureau des statistiques de l'offre énergie ;
• Mme Madeleine Mahovsky, Cheffe de l'Unité « Énergie », et M. Gaston Bricout, gestionnaire en statistiques, Eurostat, Commission européenne ;
• M. Tanguy de Bienassis, Analyste finances et investissements, et M. Jérôme Hilaire, Analyste investissements et Modélisateur approvisionnements, Agence internationale de l'énergie (AIE).
Chers collègues, après un premier cycle d'auditions qui nous a permis de recueillir divers éléments de contexte, nous poursuivons nos travaux par de nouvelles auditions sur les données statistiques. La semaine dernière, nous avons reçu l'Insee, qui a abordé les questions relatives à la consommation et au marché sous un angle statistique. Cette table-ronde devrait nous permettre de nous pencher davantage sur la production et l'approvisionnement.
Je remercie les nombreuses personnes que nous avons invitées pour leur présence cet après-midi. L'audition réunit des représentants des services des données et études statistiques (Sdes) du commissariat général au développement durable (CGDD), du département des statistiques et des études du commerce extérieur ((DSECE) et de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), qui nous fourniront des données nationales. Nous entendrons également Eurostat, qui est rattaché à la Commission européenne, sur les données relatives aux pays européens et à l'Union européenne ; ainsi que l'Agence internationale de l'énergie (AIE), fondée dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour les comparaisons internationales.
Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(MM. Jérôme Hilaire, Boris Guannel, Tanguy de Bienassis et Gaston Bricout, et Mmes Ketty Attal-Toubert, Madeleine Mahovsky, Béatrice Sédillot, Bérengère Mesqui et Virginie Andrieux prêtent serment.)
Le Sdes est le service statistique du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministère de la transition énergétique. Il s'agit d'un service du CGDD, ainsi que de l'un des seize services statistiques ministériels qui constituent, avec l'Insee, le service statistique public.
Les pratiques liées à la production et à la consommation d'énergie sont traitées par une sous-direction du Sdes, dont les travaux couvrent des sujets plus larges, comme le transport, le logement, la construction ou l'environnement. Nous produisons des indicateurs statistiques afin d'éclairer le débat public. Nous transmettons aussi des données mensuelles et annuelles à l'AIE et à Eurostat, sur les produits pétroliers et le gaz notamment, afin d'assurer la sécurité de la France en hydrocarbures. Le Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) utilise également pour une large partie de ses estimations nos données. Nous avons aussi pour mission de suivre les engagements de la France sur le plan international comme national. Nous contribuons donc au suivi du protocole de Kyoto sur les émissions de gaz à effet de serre, et nous suivons de nombreuses directives européennes, en particulier sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Notre site Internet propose une documentation fournie sur l'ensemble de ces éléments, comme des bilans de l'énergie, des chiffres clés, des notes de conjoncture, des tableaux de bord trimestriels sur les énergies renouvelables, des données mensuelles, ainsi que des publications régulières sur les prix, incluant des comparaisons européennes, sur la R&D, ou encore sur les facteurs d'évolution des émissions en CO2 liées à l'énergie.
Les statistiques que je vais présenter s'appuient sur des données annuelles consolidées de l'année 2021 et sur des données de l'année 2022 afin d'exposer des tendances plus récentes.
La France connaît une baisse tendancielle de sa consommation d'énergie à la fois primaire et finale depuis le milieu des années 2000. En 2020, un rebond s'observe, en raison de la sortie de la crise sanitaire. La consommation primaire atteint 2760 TWh en 2021 et la consommation finale 1750 TWh. La répartition entre les différents types d'énergie révèle une part importante du nucléaire dans la consommation primaire. La part de l'électricité est moindre en consommation finale, les produits pétroliers occupant une plus large part.
Depuis 1990, la consommation d'énergie dans l'industrie diminue nettement pour atteindre 316 TWh en 2021. La consommation du tertiaire et du résidentiel reste stable depuis le milieu des années 2000. La sortie de la crise sanitaire a entraîné un rebond de la consommation d'énergie des transports en 2021, sans toutefois que ce niveau atteigne celui de 2019.
La production primaire d'énergie a fortement crû depuis les années 1970, principalement grâce au déploiement du programme nucléaire. Elle rebondit en 2021, à la suite de la sortie de la crise sanitaire. Elle reste néanmoins inférieure à son niveau de 2019, notamment parce que la production nucléaire, qui s'établit à 1 150 TWh, se situe à l'un de ses plus bas niveaux depuis la fin des années 1990. En effet, la crise sanitaire a affecté les calendriers de maintenance et des problèmes de corrosion ont été découverts dans plusieurs réacteurs en fin d'année, entraînant leur mise à l'arrêt. La production nucléaire est par conséquent inférieure de 15 % à son niveau le plus élevé, observé en 2005. En 2021, la production hydraulique a également diminué en raison de faibles précipitations et de stocks hydrauliques assez bas, n'atteignant pas le niveau de 2019.
Le nucléaire représente un peu plus des deux tiers de la production électrique, bien que cette part marque un léger retrait par rapport à 2005. Au contraire, la part des énergies renouvelables dans la production électrique est croissante depuis la fin des années 2000.
La production électrique du troisième trimestre 2022 décroît de 24 % par rapport au troisième trimestre 2021. Cette diminution s'explique par la baisse de 36 % de la production nucléaire et de la baisse de 36 % de la production hydraulique, liée à la sécheresse que le pays a traversée en 2022.
En 2021, les énergies renouvelables représentent 19,3 % de notre consommation finale brute. Cette part est légèrement inférieure à l'objectif fixé pour 2020. Elle a toutefois plus que doublé depuis 2005, en raison du développement de l'éolien, des pompes à chaleur et des biocarburants.
La France importe en net 1 247 TWh. Il s'agit essentiellement de pétrole et de gaz naturel. À l'inverse, notre pays est exportateur net d'électricité. Les exportations nettes d'électricité sont toutefois un peu plus fluctuantes depuis 2008, en raison de la fermeture des centrales à charbon et du développement des énergies renouvelables intermittentes. En 2022, la baisse de la production d'électricité s'est doublée d'un effondrement des exportations.
Les statistiques ne définissent pas de concept de souveraineté énergétique. Néanmoins, plusieurs indicateurs permettent d'approcher cette notion. Le taux d'indépendance énergétique correspond au rapport entre la production primaire et la consommation primaire, soit la part de consommation primaire produite nationalement. Le développement du programme nucléaire a permis à ce taux de progresser de 25 % à la fin des années 1970 à 55 % en 2021.
Quels sont les critères de définition du taux d'indépendance énergétique ? La part de l'électricité produite sur le territoire national à partir de pétrole importé est-elle par exemple comptabilisée ?
Il s'agit de la production primaire, et non de la transformation. Le calcul de ce taux prend donc essentiellement en compte l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables.
En 2022, le taux d'indépendance énergétique chute de six points, en raison de la baisse de production nucléaire.
Les échanges extérieurs et la diversification des pays d'importation d'énergie sont également révélateurs du degré d'indépendance énergétique. La définition des pays d'importation par les douanes est souvent délicate. Les fournisseurs d'énergie nous transmettent ces informations, contenues dans les contrats d'achat de gaz. Elles diffèrent un peu des données issues des douanes. En 2021, la Norvège représente 32 % des importations de gaz, la Russie 22 %, l'Algérie 8 %, les Pays-Bas 7 % et le Nigeria 7 %. Enfin, 22 % du gaz est importé d'autres pays, notamment de pays indéfinis, car les fournisseurs ne connaissent pas toujours l'origine du gaz acheté sur les marchés.
Il peut s'agir de gaz liquide, mais pas uniquement.
Il est difficile d'obtenir des informations précises à ce sujet, tant de la part des fournisseurs que des transporteurs. En 2020, ces échanges non affectés ont été particulièrement nombreux en raison de la chute du prix du gaz et de la fréquence des échanges sur le marché.
La provenance de nos importations de pétrole est beaucoup plus diversifiée. L'Europe nous fournit 42 % de nos produits pétroliers non raffinés. Il s'agit ici d'importations nettes.
Par convention statistique, le nucléaire et les énergies renouvelables sont considérés comme des énergies nationales. Cependant, la totalité de l'uranium naturel utilisé dans nos centrales est importée. Les principaux producteurs en sont le Kazakhstan, à hauteur de 45 %, la Namibie, à 12 %, et le Canada, à 10 %. Les pays fournisseurs d'uranium sont moins diversifiés que ceux dont provient le pétrole. De même, de nombreuses ressources nécessaires à la production d'énergie renouvelable sont importées, comme le précise le Réseau de transport d'électricité (RTE) dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 ». De fortes tensions pèsent sur l'approvisionnement en cuivre, indispensable à tous les composants du système électrique, en silicium, nécessaire au développement de l'énergie solaire, ainsi qu'en lithium et en cobalt, notamment utilisés pour stocker l'électricité.
La souveraineté énergétique peut également être évaluée au regard de la facture énergétique. En 2021, cette facture s'établit à 44,3 milliards d'euros. L'année 2022 est marquée par une envolée de la facture en raison de la hausse des cours depuis la fin 2021. La facture atteint 96 milliards sur douze mois, soit une augmentation de 187 %.
En septembre, les stocks utiles de gaz s'élèvent à 137 TWh, ce qui est supérieur à la même date en 2021. Le niveau de remplissage des installations de stockage de gaz naturel sur le territoire s'établit à 96,9 % au 1er octobre 2022. Les stocks stratégiques et commerciaux de pétrole, pour lesquels nous ne disposons que de données annuelles, se situent en dessous des niveaux des années précédentes, à la fin de l'année 2021, et nous ne disposons pas des données afférentes au début de l'année 2022
Le stockage de gaz en septembre approche du niveau maximal. En début d'année, à l'inverse, le niveau était historiquement bas. En outre, la courbe était particulièrement pentue en fin d'année dernière. Les indices de criticité étaient donc déjà visibles à cette période.
Les prix étaient alors très hauts, et il était difficile d'anticiper qu'ils continueraient à augmenter.
Vous nous aviez également demandé des précisions sur les zones non interconnectées. La production primaire dans les départements d'outre-mer est très faible. Elle est sept fois inférieure au niveau de consommation de ces territoires. Il s'agit d'une production d'énergie renouvelable, électrique ou thermique. La production d'électricité dans les départements d'outre-mer provient essentiellement de centrales au gaz ou à charbon.
Quel est le rôle de votre service dans l'élaboration de scénarios de consommation d'énergie ? Je pense notamment à celui de RTE. Vous disposez en effet de données fiables. Êtes-vous sollicités ou pas ?
Toutes nos données sont disponibles en ligne et sont probablement utilisées pour élaborer des scénarios. Nous fournissons des données à ceux qui le demandent, mais RTE, par exemple, dispose déjà de données sur l'électricité.
Les données sont utilisées pour les séries longues. Notre service n'assure cependant pas de rôle de prospective.
Certes, RTE dispose de données sur l'électricité. Cependant, pour travailler sur le transfert d'usage, il peut être utile d'avoir accès à des données plus fines concernant les autres énergies, comme celles dont vous disposez.
Le DSECE appartient à la Direction générale des douanes et des droits indirects. Il est chargé du suivi des échanges extérieurs de la France en matière de biens. Comme le Sdes, le DSECE fait partie du service statistique public.
Nous diffusons de nombreuses informations statistiques sous différentes formes : résultats mensuels sur les imports et les exports et le solde commercial, et bilans trimestriels et annuels. Nous publions également des données en open data. Par ailleurs, nous menons des études plus ponctuelles et approfondies sur différentes thématiques. L'ensemble de ces études est disponible sur le site du kiosque des finances.
Pour produire les statistiques du commerce extérieur, nous distinguons les échanges de biens intérieurs et extérieurs à l'Union européenne. Jusqu'à janvier 2022, pour produire les statistiques intraeuropéennes, nous utilisions la déclaration d'échanges de biens. Cette formalité administrative comprenait un volet fiscal et une composante destinée à la collecte d'informations pour l'établissement des statistiques du commerce extérieur. Cette dernière partie était régie par le règlement Intrastat européen, récemment remplacé par le règlement European business statistics (EBS). La formalité administrative et la collecte d'informations pour l'établissement des statistiques du commerce extérieur ont été séparées. Cette dernière est réalisée par l'enquête mensuelle sur les échanges de biens intra-UE (EMEBI) depuis janvier 2022.
L'enquête est quasiment exhaustive. Nous avons défini un seuil en deçà duquel nous ne collectons pas de données. Nous interrogeons pratiquement tous les acteurs situés au-dessus du seuil.
Nous interrogeons l'ensemble des entreprises qui ont dépassé 460 000 euros d'échanges, à l'introduction ou à l'expédition intraeuropéenne, sur l'année. Ces règles existaient déjà lorsque la déclaration d'échanges de biens était pratiquée. Toutefois, cette dernière reposait sur une obligation de déclaration de la part des opérateurs dès lors qu'ils constataient qu'ils avaient dépassé ce seuil. Désormais, il revient à notre service de les identifier, en nous appuyant par exemple sur les chiffres d'affaires à l'exportation, transmis chaque mois à la direction générale des finances publiques (DGFIP). Le passage de la déclaration à l'enquête n'a pas profondément modifié la collecte, car le commerce extérieur est fortement concentré au niveau national : une trentaine de milliers d'opérateurs assurent près de 95 % des échanges de la France. Ce sont des opérateurs de taille connue, que nous suivons donc régulièrement.
Nous ne disposons pas de définitions de la souveraineté ni de l'indépendance énergétiques. Toutefois, nous avons recours à la notion de vulnérabilité, définie par le Fonds monétaire international (FMI), puis utilisée par direction générale du Trésor et le conseil d'analyse économique. Nous nous sommes notamment appuyés sur ce concept dans notre analyse de la vulnérabilité des approvisionnements originaires de Chine publiée cet été.
La vulnérabilité est définie par deux critères. Le premier est le degré de concentration des pays fournisseurs des importations du produit. En effet, l'importation d'un produit par un nombre réduit de pays fournisseurs peut représenter un risque, à moins qu'un report sur d'autres fournisseurs soit possible. C'est la raison pour laquelle nous avons introduit comme second critère le potentiel de diversification à court terme du produit. Pour un produit donné, nous analysons le nombre d'exportateurs mondiaux. Nous n'avons toutefois pas encore appliqué ces critères sur le champ de l'énergie.
Qui définit les champs auxquels vous devez appliquer cette notion de vulnérabilité ? Depuis quand ce concept préside-t-il à l'organisation de vos travaux ?
Nous présentons un programme de travail au conseil national de l'information statistique (Cnis). Certains sujets peuvent également s'imposer à nous en fonction du contexte économique. Notre dernier bilan trimestriel comprenait une partie approfondie sur les questions relatives aux énergies.
Nous l'avons utilisé pour la première fois cet été dans le cadre de nos travaux sur la Chine. Les études du Trésor l'intègrent depuis 2020, en raison du contexte épidémique. Elles mettaient notamment en évidence la vulnérabilité de la France envers certains produits pharmaceutiques.
Les statistiques que nous allons vous présenter sur le commerce extérieur diffèrent de celles commentées par le Sdes pour des raisons méthodologiques : un certain nombre de statistiques évoquées par le Sdes concernaient par exemple des importations nettes des exportations. En outre, elles mettaient l'accent sur les volumes, en TWh, alors que notre unité de base repose sur les valeurs.
Nous mesurons les valeurs et les quantités. Nous publions cependant essentiellement des statistiques en valeurs. Cela ne pose pas de problème méthodologique pour une large partie de l'énergie, puisque le TWh représente un dénominateur commun. En revanche, l'énergie ne représente qu'une composante de ce que nous étudions. Nous devons donc trouver un déflateur commun pour réconcilier différentes mesures de volume. Ce travail est exercé par l'Insee et dans les comptes trimestriels.
Depuis le milieu des années 2000 jusqu'à 2021, nos importations d'énergie ont fluctué. Ces variations suivent de manière assez proche l'évolution des cours de l'énergie. Le point le plus fort a été atteint en 2012, avec un montant d'importation d'énergie de l'ordre de 94 milliards d'euros ; le point plus bas, exception faite de l'année 2020, a été atteint en 2016 avec environ 46 milliards d'importations d'énergie. Ces variations sont essentiellement guidées par les évolutions des prix de l'énergie. L'évolution en proportion de nos importations montre que la part de l'énergie dans nos importations est relativement stable. Du milieu des années 2000 jusqu'au 2010, cette part fluctue aux alentours de 15 % de nos importations. Elle chute vers 2016 pour se stabiliser jusqu'en 2019 autour d'une dizaine de points de pourcentage. La crise du Covid a affecté la demande en énergie ainsi que les prix. La reprise des activités économiques s'est accompagnée d'une augmentation de nos importations énergétiques, accentuée en 2022 par le conflit en Ukraine, qui a eu un effet sur les prix et sur la fourniture en gaz naturel.
L'une des séries que vous nous avez fait parvenir concerne l'Europe hors Union européenne. De quels pays s'agit-il ?
Ce sont tous les autres pays qui ne font pas partie de l'Union européenne, comme le Royaume-Uni.
La Russie est-elle comptabilisée dans cette série ? Cela signifierait que, pudiquement, les importations russes sont qualifiées d'importations « Europe hors UE ».
Effectivement. Il s'agit du découpage que nous avons retenu.
Je comprends que vous travaillez en unités monétaires. Quelle est la destination interne à votre administration de vos études ? Existe-t-il une instance de surveillance de cette thématique au sein du ministère de l'économie, antérieure à la situation de crise que nous traversons ?
S'agissant des douanes, il n'existe pas d'analyse spécifique de l'énergie, si ce n'est que nous constatons dans l'ensemble des publications réalisées depuis le début de l'année que le poids de l'énergie ne cesse d'augmenter et qu'il contribue à l'augmentation du déficit observé depuis fin 2021. Au sein du ministère en général, d'autres services du ministère des finances, comme la direction générale du Trésor, peuvent observer de manière plus fine les produits de l'énergie.
Ces services ont peut-être accès à d'autres données, qui ne seraient pas issues de notre département. S'agissant de l'énergie, notre service est surtout orienté vers une valorisation en euros. Cependant, l'information est également collectée par la douane en TWh. Nous fournissons également ces informations au Trésor.
Au regard des données statistiques que vous nous avez transmises et commentées, est-il correct de dire que l'indépendance énergétique – au sens où vous l'entendez – de la France s'est accrue depuis 2000 ?
Le taux d'indépendance énergétique de la France a augmenté depuis 2000 pour atteindre 55 % en 2021. L'évolution est cependant marquée par des fluctuations.
Exception faite de la situation conjoncturelle, il n'y a donc pas de perte d'indépendance énergétique du pays depuis 2000.
Nous ne disposons pas des données pour 2022, mais la France n'a effectivement pas perdu d'indépendance énergétique entre 2000 et 2020.
Les évolutions sont liées à une tendance à la baisse de la consommation doublée d'une stabilité globale de la production primaire.
La courbe du taux d'indépendance énergétique atteint son plus haut point en 2012, avant d'être marquée par une chute, suivie d'une reprise. Comment expliquez-vous ces deux dernières évolutions ? S'agit-il du contrecoup de la crise économique ? Est-elle expliquée par des éléments relatifs au parc nucléaire ?
La baisse du taux d'indépendance énergétique s'explique par la stabilité de la consommation et la diminution de la production primaire en 2012, mais nous préférerions vous transmettre une réponse plus détaillée sur les facteurs qui l'expliquent ultérieurement.
Le taux d'indépendance croît de manière non linéaire entre 2000 et 2020. La croissance sensible des échanges extérieurs de gaz à partir des années 2000 explique-t-elle une partie significative de l'évolution de la dépendance énergétique du pays depuis 2000 ?
La croissance est plus importante avant cette date.
Il est difficile d'en tirer des conclusions sur l'indépendance énergétique, les données concernées portant sur le gaz seul et des importations brutes.
Eurostat présentera les éléments sur ce point. Le travail du Sdes porte sur l'ensemble des importations nettes. Il est difficile d'établir un lien direct entre cet indicateur, qui s'appuie sur des données brutes et partielles, et l'évolution du taux d'indépendance.
Comment s'explique l'évolution des importations de pays non déterminés dans les exportations de gaz ? En effet, ces pays représentent près de 20 % de nos importations de gaz.
La place des marchés dans les approvisionnements en gaz est importante. Près de 80 % des importations de gaz sont assurées par des contrats de moyen à long terme. Depuis quelques années, la part des achats de gaz sur le marché augmente. L'année 2020 a été celle où ces échanges ont été le plus nombreux. En outre, l'approvisionnement s'est diversifié. L'augmentation des échanges de gaz naturel liquéfié (GNL) a en effet multiplié le nombre de provenances qui ne sont pas retracées dans les statistiques. Nous interrogeons les ports méthaniers, mais certaines origines ne sont pas connues, malgré nos efforts.
La multiplication du nombre de pays dont nous importons du gaz entraîne-t-elle donc une diminution de notre vulnérabilité envers un pays en particulier ?
Nous dépendons moins d'un seul pays. 30 % de nos imports de gaz proviennent toutefois de Norvège.
Nous collectons des données mensuelles, qui seront consolidées en fin d'année.
À partir de ces données non consolidées, constatez-vous une évolution liée aux sanctions ?
Les importations de gaz gazeux s'effondrent tandis que les importations de GNL progressent très fortement, ce qui assure une plus grande diversification des approvisionnements. Au mois d'août, il n'y a plus d'importation de gaz russe. En très peu de mois, un changement très net s'observe.
Au troisième trimestre 2022, les entrées de gaz naturel gazeux diminuent de près de 80 % sur un an alors que les entrées nettes de GNL augmentent de 170 %. Le GNL provient des États-Unis et du Qatar, ce qui diversifie notre fourniture gaz.
Cela souligne-t-il notre capacité à substituer rapidement au gaz russe du gaz d'origine étrangère ? La dépendance au gaz russe – qui est réelle en quantité – est-elle facilement substituable avec d'autres fournisseurs d'autres pays ?
Il faut rester prudents. La consolidation des données annuelles pour 2022 nous permettra de formuler des observations plus précises.
Les entreprises doivent s'organiser pour trouver de nouveaux fournisseurs. Les prix d'import peuvent également être modifiés. La substituabilité est donc plutôt potentielle, et l'adaptation peut prendre un certain temps.
Nous avons constaté une augmentation importante des importations de GNL en provenance des États-Unis notamment, et une baisse des importations en gaz gazeux. La hausse des importations de GNL au troisième trimestre 2022 a été multipliée par dix en valeur sur un an, et quasiment par vingt depuis 2010. Cet effet prix se double d'un effet volume.
Pourriez-vous indiquer un ordre de grandeur de la consommation à laquelle correspond la quantité de stock de gaz dont nous disposons ? Combien de temps ce stock nous permet-il de tenir, et pour quelles installations ?
Nous pourrons, pour éviter de donner des ordres de grandeur erronés, vous faire parvenir une réponse précise à ce propos.
La facture énergétique dépend largement du pétrole brut. Quel lien établissez-vous entre le montant de cette facture et la dépendance – ou l'indépendance – énergétique ? La situation semble évoluer à la fin de la période que vous présentez. D'autres facteurs comme la disponibilité de matériaux pour la production des sources primaires ou les enjeux géopolitiques interfèrent dans nos capacités de production. Aurions-nous pu mieux anticiper cette situation, ou nous trouvons-nous à un tournant de la manière de gérer l'indépendance énergétique par rapport aux décennies précédentes ?
Les fluctuations de la facture énergétique sont assez importantes. Elles s'expliquent par l'effet prix pour le pétrole.
Le pétrole influençait de manière importante la facture énergétique. En 2021, ce sont le gaz naturel, les produits raffinés et le pétrole qui sont responsables des évolutions. Il est difficile d'en tirer des conclusions sur la gestion de la dépendance énergétique au niveau du Sdes, cela relève plutôt de la DGEC.
Le principal service en charge de mesurer les approvisionnements du pays ne possède donc pas d'outil de mesure de la vulnérabilité des approvisionnements, y compris énergétiques. Cette demande n'a jamais été formulée par le Gouvernement depuis la création du service. Ne disposez-vous d'aucune mesure de la vulnérabilité des approvisionnements sous forme statistique ?
Nos données permettraient de calculer cet indicateur, mais ce dernier doit encore être défini. Ces données existent depuis très longtemps.
Ne vous semble-t-il pas étonnant ou problématique que les douanes françaises ne soient pas capables de mesurer statistiquement la vulnérabilité et la criticité de l'approvisionnement en matériaux comme l'uranium ou les métaux rares ?
Nous avons toutes les données sur les importations de ces produits. Depuis longtemps, nous diffusons par exemple des informations sur la part des importations sur des produits donnés.
Nous parlons de la mise en forme des données. Nous avons compris que la vulnérabilité, la souveraineté ou la criticité peuvent faire l'objet de la définition d'un outil statistique, or, cela n'a jamais été fait. La commande n'a peut-être pas été formulée.
En effet, à ma connaissance, nous ne procédons pas à un suivi spécifique et permanent des produits vulnérables depuis plusieurs années.
Cette thématique a émergé principalement après la crise covid. Nous nous équipons pour suivre ce genre de thématiques. Nous observons finement les pays à partir desquels nous nous fournissons. La capacité à faire appel à des pays d'approvisionnement diversifiés forme le premier critère de la vulnérabilité. Les données existent, même si elles ne sont pas mises en forme. Nous étudions par exemple la part de chaque pays dont nous importons des produits énergétiques. Cette information est mise à jour tous les mois sur notre site.
Sans cet indicateur synthétique, comment les ministres compétents peuvent-ils juger de la criticité d'un approvisionnement ?
Je suppose que d'autres directions au sein du ministère des finances suivent ces données. Nous disposons et suivons régulièrement la part des pays dont nous importons des produits énergétiques. S'agissant de la décision politique, je n'ai pas d'information particulière à vous apporter.
Vous indiquez qu'il n'y a pas d'application de la notion de la vulnérabilité au champ des biens énergétiques. Ce travail est-il en cours ? La commande a-t-elle été passée par votre administration et par le ministère ?
Nous n'avons pas reçu de commande formelle. Il serait cependant intéressant et utile d'effectuer ce calcul.
Vous n'avez finalement pas d'écran de contrôle. Ce sujet est étudié de manière approximative, sans qu'un outil statistique alerte d'une tension particulière sur un indicateur chaque mois.
Ce n'est pas le rôle de la statistique publique.
Non, mais vous produisez des alertes. C'est la raison même de la mesure du commerce extérieur. L'alerte sur la dépendance ou l'interdépendance énergétique n'existe pas. Elle peut être facilement créée, encore faut-il se mettre d'accord sur des critères, ce qui n'est pas simple. Cette définition relève aussi d'un choix politique.
Les informations sont précises, et non pas approximatives. Nous publions des données assez fines sur l'évolution des parts des différents pays importateurs d'énergie. Nous n'avons pas d'indicateur synthétique. Sa construction, en réalité, ne serait pas si simple que cela. Vous parlez également d'une implémentation mensuelle. Actuellement, cette dernière ne serait pas possible. Nous aurions besoin d'informations sur les exportations mensuelles dans les parts de marché mensuelles de chacun des pays, notamment pour mesurer le poids dans les exportations mondiales d'énergie de ces pays. Or nous ne disposons pas de cette information. Il faut réfléchir à la faisabilité d'un tel indicateur.
Ce n'est pas le cas sur l'énergie en particulier. Toutefois, lorsque nous avons réalisé l'étude sur la vulnérabilité de nos importations en provenance de Chine, nous avons été confrontés à un certain nombre de difficultés, notamment sur le niveau de finesse de l'analyse. Considérer la vulnérabilité par produit, par exemple, est très complexe. Le niveau d'agrégation des données collectées dans le cadre de notre étude était si élevé, que si nous le dupliquions dans le cadre de l'énergie, il ne serait pas possible de distinguer le GNL et le gaz gazeux par exemple. L'indicateur ne pourrait être très fin. La méthodologie demande ainsi une phase d'analyse importante.
Observez-vous des mouvements notables dans les pays limitrophes et dans l'évolution des échanges électriques avec ces pays, dans un sens ou un autre ?
Dans les derniers mois, notre publication trimestrielle soulignait qu'en solde commercial, nous avons davantage importé depuis le Royaume-Uni. Les pays depuis lesquels nous importons de l'énergie, et notamment de l'électricité, peuvent varier d'un mois à l'autre. Ainsi, nous avons basculé d'un excédent à un déficit envers le Royaume-Uni.
En 2021, le solde exportateur vers l'Allemagne a diminué de 45 %. Nous pourrons vous faire parvenir des précisions ultérieurement.
Les variations sont importantes d'une année sur l'autre.
Comment avez-vous sélectionné les pays que vous avez intégrés à votre comparaison sur le taux de dépendance énergétique ? Par ailleurs, à l'aune de l'ensemble des pays de l'Union européenne, dès lors que l'on exclut des pays dont la population est modérée et dotés de fortes concentrations de ressources énergétiques, comme l'Islande, la Suède et le Danemark, il semble que la France ait le plus faible taux de dépendance énergétique.
J'ai choisi des pays proches de la France. Je n'ai pas intégré la Norvège, qui est très peu dépendante en raison de son export net d'énergie. La France est l'un des pays qui a le plus faible taux de dépendance énergétique de l'Europe, si l'on exclut également l'Islande. Ce positionnement s'explique par notre importante production nucléaire, considérée comme une production nationale.
Eurostat est le service statistique de l'Union européenne. Nous fournissons des statistiques comparables au niveau de l'Union européenne. Comme tout office statistique, nous sommes strictement indépendants et nous n'intervenons pas dans les questions politiques.
Nous publions des statistiques mensuelles et annuelles sur l'Union européenne, ainsi que sur l'espace économique européen, les pays candidats à l'adhésion, et les membres de la communauté énergétique, qui rassemble par un traité international certains pays et les membres de l'Union européenne. La Géorgie et la Moldavie font par exemple partie de cette communauté énergétique, mais pas la Russie. Notre site donne accès à nos bilans énergétiques, aux statistiques annuelles et mensuelles par famille de combustibles, et aux grands indicateurs énergétiques, comme la dépendance aux importations. Nous publions également des statistiques sur les prix du gaz naturel et de l'électricité chaque semestre, par usage. Pour La France, le Sdes et non l'Insee nous fournit ces dernières données. Pour la plus grande partie de nos statistiques, nous nous appuyons sur des questionnaires partagés avec l'AIE, ce qui permet à nos différentes études d'être comparées.
Un amendement au règlement qui préside à la collection des statistiques énergétiques imposera deux changements importants en 2022. Nous produirons des statistiques plus détaillées sur les énergies renouvelables, sur l'électricité, et sur la consommation des transports et des activités de service. De plus, nous réaliserons des statistiques pour couvrir de nouveaux phénomènes, relatifs par exemple à l'hydrogène, aux batteries ou encore à la consommation d'énergie des centres de données.
L'évolution du contexte géopolitique et l'invasion injustifiée de l'Ukraine par la Russie ont fortement accéléré nos travaux et réorienté nos points d'attention. Deux nouveaux indicateurs ont été publiés. Le premier permet de mesurer la dépendance énergétique aux importations pour le pétrole, les produits pétroliers et le gaz naturel. Nous en distinguons l'origine. Ces données sont publiées pour les fournisseurs les plus importants. Deuxièmement, Eurostat est chargé de surveiller les mesures de réduction de la demande de gaz.
Les dernières données annuelles définitives dont nous disposons concernent l'année 2020. Nous publierons prochainement les données pour 2021. Les bilans énergétiques seront disponibles en janvier. Nous avons également des statistiques mensuelles et des indications partielles pour 2022.
En 2020, dans l'Union européenne, la plus grande part de l'énergie disponible brute est représentée par le pétrole et les produits pétroliers, à hauteur de 34 %, suivis par le gaz naturel, à 24 %, puis les énergies renouvelables, à 17 %. Viennent ensuite l'énergie nucléaire, qui représente 13 % de l'énergie disponible brute, et les combustibles solides fossiles, comme le charbon, dont la part s'élève à 10 %. Près de 41 % de la production d'énergie est renouvelable, et plus de 30 % sont issus du nucléaire. Les combustibles fossiles représentent 15 % de la production, le gaz naturel 7 %, et le pétrole et les produits pétroliers 4 %.
Pour la première fois en 2020, l'Union européenne a utilisé plus d'énergies renouvelables que d'énergies fossiles pour produire de l'électricité. En revanche, ce constat s'explique notamment par la crise sanitaire, car les chiffres préliminaires de l'année 2021 révèlent un positionnement en tête des énergies fossiles. La production d'électricité nucléaire conserve quant à elle une part stable.
S'agissant des combustibles, on constate une diminution du charbon et du pétrole, au profit d'une forte progression des renouvelables au cours des dernières années.
Cependant, d'importantes nuances s'observent en fonction des pays. La France produit essentiellement de l'électricité nucléaire, tandis que la Pologne utilise massivement du charbon, et que 60 % de l'énergie disponible brute en Suède est d'origine renouvelable. Dans les Balkans occidentaux, le lignite continue à représenter la part majoritaire.
Eurostat définit la dépendance énergétique aux importations comme le rapport entre les importations nettes et l'énergie brute disponible. Nous excluons donc le transit. Nous regardons l'énergie totale pour les activités sur le territoire d'un pays. Entre les années 1990 et 2019, la dépendance énergétique de l'Union européenne a progressé de 50 % à plus de 60 %. Cependant, cette dépendance a baissé en 2020, probablement en raison de la pandémie. Les chiffres préliminaires indiquent en effet que cette tendance ne se poursuit pas en 2021. Dans la plupart des pays européens, la consommation énergétique est restée relativement stable, tandis que la production nationale a diminué, en raison notamment des décisions politiques et du changement de mix énergétique. Malte et Chypre sont quasiment entièrement dépendantes de l'extérieur. Les grandes économies comme l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne ont un taux de dépendance supérieur à 60 %, qui est donc bien plus élevé que celui de la France, qui s'établit à 44,5 %. Certains pays affichent un taux bien plus faible, tels que la Suède, la Roumanie ou Estonie : ils importent seulement 10 % environ de l'énergie qu'ils consomment.
Le détail des combustibles importés est aussi marqué par des différences. L'Union européenne dépend à 95 % des importations de pétrole en 2020. Les principaux fournisseurs étaient alors la Russie, la Norvège, le Kazakhstan, les États-Unis et l'Arabie saoudite. Le taux de dépendance en gaz naturel est de 84 % en 2020. Le fournisseur principal est la Russie, suivie par la Norvège, l'Algérie, le Qatar et les États-Unis. En 2022, cependant, les importations en provenance de la Russie ont fortement diminué en raison des sanctions adoptées par l'Union européenne. Le taux de dépendance énergétique en houille est de plus de 57 %. Il reste cependant moins élevé que celui du gaz et du pétrole, en raison d'une production encore importante en Pologne et en Tchéquie.
La réponse européenne à l'invasion de l'Ukraine par la Russie a été très rapide. Depuis mars 2022, le plan REPowerEU vise à accélérer notre transition vers un mix énergétique moins dépendant des importations des pays tiers et notre transition verte. De plus, depuis août 2022, le Conseil européen a adopté un règlement afin de réduire la demande en gaz naturel au niveau européen, que nous surveillons tous les deux mois. En juin 2022, le Conseil a aussi fixé des objectifs minimaux de stockage de gaz, qui ont été atteints dans tous les pays avant le mois d'octobre. Le pacte vert doit enfin contribuer à l'accélération de la transition écologique.
L'AIE est une agence internationale créée en 1974, à la suite de la première crise pétrolière. Sa mission consistait originellement à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique de ses membres. L'une des règles fondamentales pour adhérer à cette institution était d'avoir au moins quatre-vingt-dix jours assurés pour sécuriser la consommation de pétrole sur le territoire national. Le deuxième mandat de l'agence reposait sur l'approfondissement de la coopération entre les pays membres.
La mission de l'AIE est désormais de façonner un avenir énergétique sûr et durable pour tous. La sécurité de l'approvisionnement et la coopération restent au cœur de cette mission, mais s'y ajoute la lutte contre le changement climatique. Nous informons les gouvernements et les autres parties prenantes sur les tendances historiques, actuelles et futures du secteur énergétique en publiant des rapports, en présentant nos travaux et en soumettant des recommandations.
Le World Energy Outlook (WEO) expose les perspectives mondiales de l'énergie. Cette publication annuelle utilise les dernières données disponibles pour analyser les tendances du système énergétique, les émissions de CO2 et de méthane associées, et les impacts sur l'environnement et sur le climat. Comme dans toutes les analyses conduites par l'Agence, nous suivons une approche toutes énergies et toutes technologies : nous nous efforçons de conserver une ligne aussi impartiale que possible, sans tenter d'encourager l'utilisation d'un carburant ou d'une technologie en particulier.
Outre des statistiques, nous proposons des analyses de scénarios afin d'informer les parties prenantes sur des futurs plausibles du système énergétique. Nous avons construit trois scénarios cette année. Le Stated Policies Scenario (Steps) inclut toutes les politiques annoncées pour mieux comprendre quels en seront les résultats. Le deuxième est l' Announced Pledge Scenario (APS), qui intègre les nouveaux engagements pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Enfin, le Net Zero Emissions by 2050 (NZE) est un scénario normatif qui définit les actions que nous devons mener ainsi que leur échéance pour décarboner le secteur énergétique.
L'année 2022 a été marquée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui a déclenché une crise énergétique mondiale. Si les pressions sur les marchés énergétiques préexistaient à cette invasion, cette dernière a fait basculer le secteur de l'énergie dans une zone de profonde turbulence. La Russie était avant 2022 le plus grand exportateur de combustibles fossiles – charbon, gaz naturel et pétrole – au monde. Cette crise cause de graves dommages à l'économie mondiale et exacerbe les pressions inflationnistes. Seule la crise pétrolière des années 1970 était d'une ampleur comparable. La flambée des prix de l'énergie et des denrées alimentaires risque de plonger l'économie mondiale vers la récession. Elle nous interroge sur la réaction que les décideurs politiques adopteront, mais nous pousse également à nous demander si cette crise peut servir de catalyseur pour opérer une transition vers un système énergétique plus durable et plus résilient.
Les gouvernements accélèrent la transition vers les énergies propres, qui incluent les énergies renouvelables, le nucléaire, les carburants propres, les réseaux électriques et le stockage, mais également, s'agissant de la demande, les améliorations sur l'efficacité ou le recours aux véhicules électriques. Dans les cinq premières années qui ont suivi la signature des accords de Paris, les investissements mondiaux dans les énergies propres sont restés stables. Il a fallu attendre 2021 pour constater un début de reprise. Cet élan est stimulé par de nouvelles politiques, notamment l' Inflation Reduction Act aux États-Unis, certains éléments du paquet Fit for 55, REPowerEU, le Green Transformation au Japon ou encore des politiques menées en Chine et en Inde. D'ici 2030, notre scénario Steps montre que les investissements annuels dans les énergies propres dépasseront les 2 000 milliards de dollars par an, soit une augmentation de plus de 50 % par rapport aux investissements actuels. Toutefois, la majeure partie de ces investissements est concentrée dans les économies avancées ainsi qu'en Chine. Or la transition énergétique nécessite également des investissements importants dans les économies émergentes et en développement. Les fabricants d'énergie propre se préparent également à des transformations plus rapides.
Le secteur de l'électricité entre dans un tournant en 2022. La croissance continue d'être soutenue par les énergies renouvelables au niveau mondial, avec un nouveau record pour le solaire photovoltaïque et l'éolien. En revanche, l'année a été particulièrement difficile pour l'énergie nucléaire, notamment en Europe et en France, en raison du retard de la maintenance causé par la crise sanitaire et des contrôles de sécurité supplémentaires non planifiés. La production de gaz naturel a également connu des difficultés en raison des prix élevés et des préoccupations en matière de sécurité énergétique. Ces phénomènes ont contribué à une augmentation de la production d'électricité à partir du charbon en Europe ainsi qu'en Asie. Le scénario Steps révèle cependant que la hausse mondiale de production de charbon n'est que temporaire. Les politiques favorisant les énergies renouvelables que j'ai mentionnées auront un poids bien plus important. En 2025, la production mondiale d'électricité à partir du charbon sera inférieure à ce qu'elle était en 2021. L'utilisation globale du charbon devrait atteindre un pic peu après 2025. À l'horizon 2030, la consommation de charbon décline de 10 % par rapport à 2021. La production d'électricité à partir du gaz naturel augmente. Les énergies renouvelables progressent de 90 %. L'énergie nucléaire, favorisée par le redémarrage de réacteurs au Japon, repart également à la hausse. Le pic d'émissions mondiales du secteur de l'électricité devrait ainsi être atteint dans les prochaines années. Cette réduction représente 5 milliards de tonnes de CO2, soit environ 15 % des émissions mondiales actuelles de ce secteur.
Lorsque nous avions réalisé des estimations sur le marché du gaz et sa demande en 2010, nous nous demandions si nous allions entrer dans une décennie d'âge d'or du gaz. La demande de gaz naturel a effectivement augmenté de 2 % par an dans la décennie. Cependant, dix ans plus tard, le constat a changé. Les coûts du solaire et de l'éolien ont significativement baissé. Par ailleurs, les tensions, les pénuries d'approvisionnement et la sécurité à court terme ont fait grimper le prix du gaz, et ce même avant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Les évolutions relatives au gaz dépendent également d'autres facteurs, comme les engagements Net zéro pris par les pays. Le gaz reste un combustible fossile ; à ce titre, nous suivons également les émissions de méthane, qui s'échappent lors de la production de gaz et de pétrole, et dont le potentiel de réchauffement est trente fois plus important que celui du CO2.
La demande de gaz augmentait de 2 % par an entre 2010 et 2021. Le scénario Steps ne prévoit plus qu'une augmentation de 0,5 % entre 2021 et 2030. À partir de cette date, la demande reste stable : elle connaît une réduction dans les pays développés, compensée par une hausse dans les économies émergentes.
D'un point de vue commercial, les exportations par pipeline de la Russie vers l'Europe s'effondrent. Pour transférer cette dernière vers l'Asie, des dépenses très importantes seraient nécessaires pour installer les infrastructures, dont les sanctions économiques rendent la réalisation peu probable. Il est donc peu vraisemblable que les exportations par pipeline de la Russie vers l'Asie puissent compenser la perte du marché européen. Les réductions du commerce par gazoduc conduisent à des trajectoires pour le GNL très différentes du gaz dans son ensemble. L'augmentation des exportations de GNL est estimée à plus de 2 % par an. Les exportations américaines augmentent de 60 % par rapport à 2021, pour atteindre près de 150 milliards de mètres cubes en 2030, dont 60 milliards dirigés vers l'Europe.
Une tendance similaire en Asie s'observe en Asie, même si certains des importateurs traditionnels comme le Japon et la Corée voient leur demande de GNL diminuer grâce à la suppression graduelle du gaz de leur mix énergétique.
S'agissant de la vulnérabilité et de la substituabilité des fournisseurs, il convient de garder à l'esprit que tous les acteurs souhaitent substituer leur fournisseur au même moment. L'Europe devient généralement très dépendante du GNL américain. Le gaz est un marché international, et la pression sur les prix peut être très forte.
Ces tendances de plateau de la demande mondiale du gaz et de charbon nous permettent d'annoncer pour la première fois un pic de demande des combustibles fossiles au cours de la prochaine décennie. La part des combustibles fossiles est restée aux alentours de 80 % de l'approvisionnement énergétique mondial pour la première fois depuis la révolution industrielle. Elle baisse pour atteindre 75 % en 2030 et 60 % en 2050.
Au-delà de la crise immédiate, les décideurs politiques doivent réfléchir aux nouveaux risques qui pourraient survenir pendant la transition. La transition énergétique et la crise énergétique offrent la possibilité de construire un système plus sûr et plus durable, mais rien ne garantit que le voyage se fera sans accroc. Cette année, l'AIE propose dix lignes directrices pour aider à renforcer la sécurité énergétique et essayer d'apprécier la cohabitation entre les énergies propres et les énergies fossiles. Le WEO montre qu'il est impossible de réduire les investissements dans l'ensemble des énergies et en particulier dans les énergies fossiles sans accompagner cet objectif d'un investissement massif dans les énergies propres et renouvelables. Pour chaque dollar investi dans les énergies fossiles, 1,5 dollar est investi dans les énergies renouvelables. Cela ne suffira pas à atteindre la stratégie Net Zero, qui nécessiterait un doublement des investissements déjà prévus pour 2030, soit 4 milliards. Dans le scénario Net Zero, si aucun nouveau projet n'est développé dans les énergies fossiles, des investissements restent nécessaires pour sécuriser des sources d'approvisionnement existantes, pour améliorer leur efficacité et pour capturer les émissions qui en résultent. Ainsi, le ratio entre les investissements dans les énergies fossiles et les énergies propres passe d'un à neuf.
Nous devons également réfléchir à utiliser au maximum les infrastructures telles que les centrales à gaz, les raffineries et les réseaux de gaz pour gérer l'intermittence des renouvelables dans le scénario Net zéro. Il ne faut donc pas les fermer trop tôt, mais veiller à les utiliser à bon escient afin de répondre aux pics de demandes de production.
Enfin, l'AIE s'intéresse aux nouvelles sources de vulnérabilité, comme les minéraux critiques. Nous avons essayé de faire des estimations à ce sujet. Nous étudions par exemple le niveau de concentration géographique des métaux critiques comme le cobalt, le nickel ou les terres rares. Pour ces trois métaux, la part des trois premiers pays producteurs se situe entre 60 et 90 % du commerce global, contre 40 à 50 % pour le pétrole et le gaz. Il convient donc de rester vigilants, car nous risquerions de quitter un système où nous sommes fortement dépendants envers un nombre restreint de pays producteurs pour rejoindre un système équivalent. Les gouvernements se voient de plus en plus impliqués dans la gestion de ces risques. Cependant, nous estimons que 70 % des investissements dans la transition énergétique devront provenir de sources privées. Ainsi, les politiques doivent veiller à conserver la compétitivité des secteurs de l'énergie et encourager le secteur privé à agir pour la transition. Il y a deux ans, nous avions montré qu'en France, le secteur privé avait besoin de signaux clairs et de long terme sur le futur du mix énergétique.
Au cours des dernières années, les émissions mondiales ont considérablement augmenté, même si les années 2010 ont annoncé un certain plateau. Depuis l'ère préindustrielle, les émissions de CO2 accumulées ont déjà réchauffé la Terre de 1 à 1,1 degré. Les émissions liées à l'énergie s'élèvent à 37 gigatonnes en 2021. Il s'agissait de la plus forte hausse annuelle des émissions jamais enregistrée.
Malgré ces inquiétudes, les émissions de CO2 liées aux combustibles fossiles devraient augmenter d'un peu moins de 1 % en 2022. Un plateau semble atteint. Le scénario Step datant d'avant les accords de Paris annonçait un réchauffement de 3,5 degrés. La crise énergétique et les différentes régulations adoptées à travers le monde devraient permettre de réduire le réchauffement climatique à 2,5 degrés, en prenant en compte les politiques déjà actées et la trajectoire actuelle du système énergétique. Cette augmentation reste supérieure à celle visée dans les accords de Paris. Le scénario APS, qui se fonde sur les engagements des pays, dont beaucoup ont été mis à jour en 2022, et sur les objectifs du Net Zero – pour lesquels quatre-vingt-quatre pays sont engagés – et sur les engagements du secteur maritime et de l'aviation, prévoit une augmentation du climat de 1,7 degré. Cette hypothèse doit être appréhendée avec précaution : elle repose sur la condition que les engagements pris seront respectés à temps. Pour passer en dessous de 1,5 degré de réchauffement climatique, une transition encore plus rapide serait nécessaire : les émissions de CO2 du système énergétique mondial devraient être divisées par deux d'ici 2030. Cet objectif est très ambitieux.
Le WEO envoie cependant un message positif, en soulignant que les réponses des gouvernements à la crise énergétique marquent un tournant majeur dans le système énergétique et orientent l'économie vers un système plus propre et plus sûr. Le plateau d'utilisation des combustibles semble dessiner pour la première fois un semblant de décorrélation entre la croissance du PIB et l'utilisation de combustibles fossiles. Toutefois, des investissements massifs dans les énergies propres sont nécessaires pour remplir nos objectifs climatiques.
Vos derniers propos contredisent ceux de l'une des personnes que nous avons auditionnées, selon laquelle il était impossible de poursuivre la croissance en dehors du carbone. Vous observez au contraire pour la première fois une augmentation du PIB décorrélée de la consommation de carbone.
Disposez-vous d'éléments permettant de qualifier les flux électriques internes à l'Europe, et d'observer d'éventuelles tendances de fond ? Contribuez-vous à des travaux de coordination des schémas de planification électrique européens ? Dans nos schémas de planification nationaux, nous comptons parfois sur des importations, sans toutefois vérifier leur disponibilité dans le pays en question. La Commission européenne, par l'intermédiaire d'Eurostat, ou l'AIE, y travaillent-elles ?
Les flux électriques internes à l'Europe relèvent plutôt du travail de l'European Network Transmission Operators. Cette agence fournit des chiffres à nos collègues, au sein de la direction générale de l'énergie, et à l'agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER), qui est l'autorité de régulation de l'Union européenne. Toutefois, la Commission européenne est dotée d'un groupe de coordination pour le gaz naturel, le pétrole et les produits pétroliers, qui se réunit pour discuter de mesures très concrètes, et qui vérifie que le réseau de transmission fournit suffisamment d'énergie.
Je précise que la décorrélation entre la croissance du PIB et l'utilisation de combustibles fossiles est le résultat de la modélisation de l'un de nos scénarios. Je ne contredis donc pas l'intervenant qui a tenu des propos contraires aux miens.
L'Agence a coopéré avec RTE pour élaborer le rapport de celui-ci.
Je n'en suis pas certain, mais je pourrai vous en fournir le détail à l'issue de l'audition.
Vous avez évoqué la question de la vulnérabilité. S'agit-il d'une problématique récente, ou l'étudiez-vous de longue date ? Sa prépondérance a-t-elle récemment évolué ?
Nous parlons de dépendance des importations. C'est un indicateur qui n'est en réalité pas si révélateur que cela. Il faut toujours se demander quels sont les possibilités, les prix et les vitesses de substitution. Le chiffre seul donne une indication, mais il faut l'interpréter avec précaution. Nous produisons ces données, en y ajoutant depuis septembre la dépendance des importations par pays d'origine pour le gaz et le pétrole. Comme nous n'avons pas pu définir notre niveau de dépendance envers la Russie, nous nous appuyons sur les fournisseurs les plus importants, qui sont au nombre, je crois, de onze pour le gaz et de sept pour le pétrole. À court terme, nous pouvons regarder de près l'origine des importations. Cependant, comme le Sdes l'a souligné, des problématiques méthodologiques subsistent, surtout pour le gaz, puisque le transit est exclu.
Nous avons toujours publié des données sur la dépendance des importations. Cependant, le travail approfondi sur le gaz et le pétrole par origine répond à une demande interne. Il s'agit d'une réponse à la situation géopolitique actuelle.
Ce travail est aussi lié aux multiples requêtes que nous avons reçues de nombreux acteurs, non seulement au niveau interne, mais aussi externe, dès le mois de février. Nous avons souhaité donc affiner notre travail sur la dépendance envers ces produits.
Pour les produits pétroliers, nous essayons également de travailler sur les dépenses secondaires, car certains pays importent du pétrole brut et exportent ensuite du pétrole raffiné.
La sécurité de l'énergie est au cœur du travail de l'Agence depuis sa création. L'AIE est divisée en plusieurs départements et équipes, dont certaines travaillent à court terme sur les marchés du gaz, du pétrole et du charbon. Elles fournissent des rapports à une fréquence bien plus élevée que nous le faisons. Un rapport publié au début du mois par l'équipe dédiée au gaz a souligné que si nos réserves en gaz nous permettront de passer l'hiver – à condition que les conditions climatiques le permettent – l'hiver prochain sera beaucoup plus difficile, car nous aurons à réapprovisionner nos stocks. De plus, en cas de rebond dans l'économie chinoise, le déficit pourrait s'élever à 30 milliards de mètres cubes de gaz. La méthodologie que nous employons dans notre unité conduit à un équilibre de nos marchés entre la demande et la production. Cependant, nous disposons également d'indicateurs de vulnérabilité. M. de Bienassis en a souligné trois. L'investissement massif dans les énergies renouvelables est la solution clé pour garantir la durabilité de notre système énergétique. Par ailleurs, un chapitre de notre rapport est dédié à la sécurité énergétique. D'autres éléments sont intégrés, comme la sécurité électrique ou encore le changement climatique, à l'origine de nouvelles vulnérabilités, notamment sur le secteur minier, qui pourrait être affecté par les inondations, en Australie et en Amérique du Sud, ou par les vagues de chaleur, notamment en Afrique.
La sécurité énergétique était au cœur du fondement de l'AIE. Nous essayons d'analyser des aspects supplémentaires dans nos rapports. Nous nous intéressons notamment aux aspects sociaux et à la question de l'emploi dans la sécurité énergétique.
Nous avons également deux indicateurs importants. En effet, nous suivons l'objectif politique de réduction de la demande de gaz naturel de 15 % par rapport aux cinq dernières années, tous les deux mois sur la période précédente correspondante. Nous avons publié en octobre les chiffres d'août et de septembre, qui montrent que l'objectif a été atteint. Il s'agit d'une réaction à la situation géopolitique. Par ailleurs, nous souhaitons travailler sur notre méthodologie de surveillance du stock de gaz naturel. En effet, nous observons des différences dans les définitions appliquées en statistiques énergétiques et dans le règlement qui détermine le seuil minimum. Ces travaux sont très récents, et leur avancée a été permise par l'évolution du contexte géopolitique.
Vous confirmez finalement qu'un effet annexe de l'invasion de l'Ukraine par la Russie est l'accélération de la transition énergétique. Les scénarios de l'AIE mentionnent une augmentation de la demande de gaz. La corrélez-vous au soutien nécessaire aux énergies renouvelables intermittentes ?
L'augmentation se poursuit jusqu'à 2030, puis se concentre principalement dans les pays émergents. Plus qu'un soutien aux énergies renouvelables, il s'agit de projets de gaz réservés aux pays émergents. Cette augmentation est très faible. Un plateau général est atteint, et la demande de gaz diminue dans les économies avancées pour être remplacée par des énergies renouvelables.
Effectivement.
Vous disiez vous intéresser aux innovations énergétiques. Quelles sont les pistes de solutions technologiques privilégiées pour accélérer les scénarios combinant la souveraineté et la décarbonation ?
Le scénario Net Zero s'est appuyé sur un travail rétroactif pour apprécier différentes solutions au regard de leurs résultats. Nous avons constaté une certaine dépendance envers l'arrivée de nouvelles technologies, comme l'hydrogène ou la capture et l'utilisation de carbone, qui occupent une place importante dans le scénario. Ce dernier propose une comparaison avec les différents scénarios du GIEC qui parviennent également à zéro émission nette en 2050. Nous montrons qu'il est très difficile, voire, impossible d'atteindre cet objectif sans l'apport de ces technologies, en particulier dans les secteurs dont la décarbonation est complexe, comme l'aviation ou l'industrie. Ces technologies, dans la mesure du possible, sont réservées dans notre scénario à ces secteurs. Les secteurs que nous savons déjà décarboner utilisent des énergies renouvelables et ne s'appuient pas sur ces nouvelles technologiques.
Oui.
Pour atteindre les scénarios, vous indiquez qu'il est nécessaire d'envoyer des signaux clairs et de long terme. Avez-vous une opinion sur la nature des signaux tels qu'ils existent, de la part de l'Europe et de la France notamment ?
Des signaux assez clairs sont envoyés concernant le gaz naturel. Il s'agit des prix, qui sont très élevés. Or, en France, ces prix sont masqués aux consommateurs, ce qui ne les encourage pas à réduire leur demande. Il en résulte une facture énergétique très élevée, et une absence d'incitation à la transition vers un système énergétique fondé sur d'autres technologies.
Je n'ai pas compris votre raisonnement. L'explosion des prix énergétiques n'est que partiellement couverte. Le signal du prix reste très négatif en général, et encourage à réduire la consommation énergétique. Vous sous-entendez que les mesures seraient de nature à moins inciter au changement pour des ménages dont la capacité d'investissement est très faible.
Avez-vous pu vérifier la correspondance entre les scénarios précédemment proposés avec la réalité ? Qu'en résulte-t-il ?
Nous avons présenté l'exemple de l'âge d'or du gaz. Notre projection prévoyait la croissance du gaz pour la prochaine décennie. Elle a bien été vérifiée. Nos scénarios restent toutefois des projections, et non des prédictions. Nous tentons d'explorer les futurs possibles en tenant compte des différentes politiques menées dans les pays et des technologies et de leur coût. Certains sont vérifiés, d'autres le sont moins.
Les prix en France sont beaucoup plus bas que les prix du marché. Même si toutes nos factures d'électricité et de gaz ont augmenté, leur croissance n'est pas du tout à hauteur de celle des prix constatés sur les marchés de gros de l'énergie. Dans certains pays, comme au Royaume-Uni, les factures énergétiques ont augmenté de 80 %. C'est dans ce sens que je parlais d'une protection du consommateur. Je n'ai pas de jugement sur sa valeur ; mais elle ne transfère pas l'externalité du prix sur le consommateur et ne l'encourage pas à faire des investissements. Nous sommes bien conscients que la plupart des ménages ne sont pas en mesure de réaliser ces derniers.
On pourrait protéger les ménages les plus vulnérables tout en laissant le signal prix pour les ménages qui le sont moins.
On peut aussi considérer que la construction du pouvoir d'achat ne se fait pas de la même façon dans tous les pays. La part énergétique dans le portefeuille des Français a toujours été plus faible qu'ailleurs. La capacité à augmenter cette part est donc également plus réduite. Quand le prix de l'énergie varie peu en France, l'augmentation a toutefois un effet important.
D'un point de vue technique, comment construisez-vous vos scénarios ? Vous appuyez-vous sur une expertise interne ? Recourez-vous à une expertise tierce ? Le cas échéant, laquelle ? Des ONG participent-elles à la construction de votre expertise ?
L'expertise débute en recueillant des données, sur le PIB mondial de tous les pays, sur des projections de population, sur les coûts des technologies et sur leur évolution, ou encore sur les politiques. La génération des scénarios est menée en interne. Nous publions un rapport que nous soumettons à un comité de relecture, composé d'une centaine de personnes issues du secteur industriel, des ONG, du milieu académique et des gouvernements, qui analysent et critiquent nos scénarios. Nous intégrons ensuite ces commentaires pour affiner nos scénarios.
Lorsque nous avons parlé de dépendance énergétique, nous avons surtout raisonné en watt heures. Avez-vous un suivi de la puissance en watts ? En effet, la question de la souveraineté se pose en particulier lors des pics.
Nous suivons surtout les capacités pour les énergies renouvelables. Nous avons également de ces indicateurs pour le parc nucléaire, mais ce dernier reste relativement stable. Pour la production d'électricité en particulier, nous avons des informations sur les capacités des centrales. Ces dernières figurent au registre RTE des installations de production et stockage d'électricité.
Pour l'hydrogène et le pétrole, nous avons également des données sur les capacités. Nous n'avons pas ces informations sur le charbon, mais la France n'en extrait plus depuis 2014. Pour le gaz, nous avons des injections biométhanes, mais le phénomène reste mineur. En revanche, nous avons des informations sur les capacités des opérateurs.
Nous regardons les capacités installées et les capacités de production. À partir de l'année de référence 2022, nous étudierons également les capacités décommissionnées. Nous collectons les données en quantités, puis nous calculons en équivalents pétroliers et en construisant nos bilans énergétiques dans une unité commune. Cependant, les différents combustibles sont collectés dans leur propre unité de mesure.
Nos bilans énergétiques sont en millions de tonnes équivalents pétrole, en térajoules et en gigawattheure. C'est ce qui nous permet de fixer de manière définitive nos données, avant que l'ensemble des données ne nous parvienne le mois suivant. Ainsi, le délai de livraison des données s'établit à onze mois, mais il sera réduit à dix mois l'année prochaine. Cela explique pourquoi la dimension comparative et les bilans sont importants. Il est utile de disposer des données dans une unité, mais il est nécessaire de pouvoir les convertir dans d'autres unités.
La séance s'achève à vingt heures dix.
Membres présents ou excusés
Présents – M. Antoine Armand, Mme Véronique Besse, Mme Olga Givernet, M. Raphaël Schellenberger.
Excusés – Mme Marjolaine Meynier-Millefert, Mme Valérie Rabault.