La séance est ouverte à dix heures.
Je vous prie de bien vouloir excuser le président, Thomas Gassilloud, invité à assister ce matin à Toulon au discours du Président de la République sur la Revue nationale stratégique.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine. Monsieur l'ambassadeur, depuis le 24 février dernier, vous êtes ambassadeur dans un pays qui lutte pour sa liberté, pour sa souveraineté, au prix d'immenses sacrifices. Un pays qui fait front, face à l'agression dont il est victime, et qui reste debout malgré les épreuves tragiques qu'il subit chaque jour, grâce à la résistance de ses soldats et à la résilience de sa population.
Vous-même vous êtes mué en « ambassadeur de guerre ». Vous êtes resté aux côtés des Ukrainiens, incarnant le soutien et la solidarité de la France envers l'Ukraine. Après le déplacement de l'ambassade à Lviv, vous avez été un des premiers à revenir à Kiev, ouvrant la voie au retour d'autres ambassades. Vous avez également été un des premiers à vous rendre à Boutcha, théâtre de crimes de guerre, désormais documentés grâce, notamment, à la présence de gendarmes français. Vous vous rendez régulièrement dans la ville martyr de Tchernihiv, bombardée pendant trente-cinq jours de suite, ville dont la France s'est engagée à contribuer à la reconstruction.
Au côté du peuple ukrainien, vous êtes confronté aux mêmes périls que celui-ci. Au nom de la commission de la défense, je vous adresse notre profonde reconnaissance pour votre action, ainsi que celle de l'ensemble des personnels de votre ambassade.
Dans le cadre de cette audition, vous aurez certainement à cœur de dresser un premier bilan de ce conflit, de ses évolutions et des scénarios envisageables pour l'avenir. Vous souhaiterez probablement revenir sur le soutien et l'aide multiforme apportée par la France et d'autres pays étrangers à l'Ukraine. Quels sont ses besoins prioritaires, notamment dans le domaine militaire ? Le projet de loi de finances rectificative, approuvée cette nuit, prévoit un doublement du fonds de soutien.
Le résultat des élections américaines peut-il avoir un impact sur le soutien des États-Unis à l'Ukraine ?
Enfin, vous qui vivez ce conflit aux côtés des Ukrainiens, quelle est votre appréciation sur la formidable résilience de la nation ukrainienne face à la guerre ? Comment la société ukrainienne s'est-elle mobilisée pour ne pas subir, mais résister ? À l'heure où l'on redécouvre l'importance des forces morales et la nécessité de se doter d'une défense globale, les Ukrainiens constituent une puissante source d'inspiration pour notre pays.
C'est un très grand honneur d'être auditionné par votre commission. Je vous remercie, Monsieur le président, pour vos paroles aimables à l'attention de l'ambassade que j'ai l'honneur de diriger depuis trois ans.
J'ai été nommé en septembre 2019, mais ma mission a pris une tournure particulière depuis le 24 février au matin. Je reviendrai sur la situation militaire, la situation politique et l'assistance française, avant de répondre à vos questions.
La situation militaire connaît une phase de plateau, après deux succès défensifs ukrainiens, tout à fait remarquables quand on se souvient de la différence des forces en présence le 24 février. Le premier, entre fin février et mars, est celui de Kiev et de Kharkiv puisque le coup de force – que l'on peut aussi qualifier de coup de poker – russe a échoué grâce à la levée en masse du peuple ukrainien, qui a refusé de se soumettre au joug russe.
Au cours de l'été, la deuxième tentative d'offensive russe dans le Donbass, assise sur une méthode un peu différente, plus professionnelle, si vous me permettez de m'exprimer ainsi, s'appuyait essentiellement sur l'artillerie. Ce « rouleau compresseur » – comme le présentaient les Russes – devait tout balayer devant lui et permettre à la Russie de conquérir deux oblasts du Donbass, Donetsk et Louhansk. L'opération a initialement connu un certain succès dans l'oblast de Louhansk, mais pas dans celui de Donetsk. Or, lors des premiers jours de la guerre, le principal objectif des Russes était de dégager Donetsk, grande ville de 2 millions d'habitants, du feu des canons ukrainiens. Près de neuf mois après, ce n'est toujours pas le cas. Au contraire, les progrès ont été très limités.
Cette offensive s'est enrayée, grâce à l'aide occidentale, et notamment grâce à l'artillerie – HIMARS américains pour High Mobility Artillery Rocket System et canons Caesar français – qui a permis de frapper les stocks russes en profondeur, et donc de gripper la machine. C'est pourquoi le rouleau compresseur s'est progressivement arrêté. Pourtant, début juillet, peu de gens pensaient que les Ukrainiens seraient capables de stopper la puissance russe, qui devait tout balayer devant elle.
Plus surprenant encore, le succès offensif ukrainien, qui a commencé le 1er septembre également remarquable, alors qu'ils n'étaient pas nombreux ceux qui pensaient que les Ukrainiens seraient capables de monter une opération offensive, puisque cela demande de disposer de capacités plus complexes – état-major, organisation, moyens logistiques, etc. L'offensive, brillante et victorieuse, s'est déroulée dans le nord, dans la région de Kharkiv, alors que les Russes l'attendaient au sud – tactique militaire classique.
Depuis, la situation et le front semblent s'être stabilisés au nord, du côté de Kharkiv. Les Ukrainiens ont légèrement progressé à la limite de l'oblast de Louhansk, entre deux rivières, mais la situation est complexe et les progrès sont limités.
Au sud, dans la région de Kherson, les Ukrainiens veulent repousser définitivement l'agresseur russe de la rive droite du Dniepr. La ville de Kherson étant située du côté haut de ce grand fleuve, en frappant les ponts, il s'agit d'enfermer les Russes dans une nasse. Les Ukrainiens avancent doucement. Certains l'analysent comme une volonté de l'état-major ukrainien de limiter les pertes en ne lançant pas une offensive généralisée, alors que certains souhaiteraient que l'offensive soit plus brutale, de façon à encercler la vingtaine de milliers de militaires russes qui sont du mauvais côté de la rive. Difficile de savoir, mais la pression des Ukrainiens est continue sur cette partie du front.
Si, d'ici à fin novembre, Kherson n'est pas reprise, la période allant devenir de moins en moins favorable aux offensives, la situation risque d'être plus compliquée. Vous le savez, une grande partie de la population de la ville a été évacuée par les Russes.
On parle également d'une offensive majeure du côté de Zaporijjia, sur le front sud, qui viserait à atteindre la mer d'Azov, et donc à couper en deux le dispositif russe puisque, dès les premiers jours de l'offensive russe, Kherson et Melitopol ont été prises. Si cette offensive réussissait, ce serait un coup très dur porté à la Russie. Mais nous n'en sommes pas là.
S'agissant de la situation politique, on peut parler de très grande constance côté ukrainien, depuis le premier jour, et d'unanimité nationale. Neuf mois plus tard, on ne détecte pas de réelles failles dans cette unanimité. Le président Zelensky a acquis une stature héroïque et internationale dès les premiers jours de la guerre, en restant sur place de façon extrêmement courageuse, alors que Vladimir Poutine s'attendait très vraisemblablement à ce qu'il fuit. La vidéo du 25 février a affermi sa stature, quand il a déclaré qu'il resterait jusqu'à la victoire dans la zone de Bankova – là où siègent les institutions présidentielles –, même si des tueurs russes se lançaient à ses trousses.
Son taux de popularité atteint 81 à 83 % – difficile de faire mieux – et ce n'est rien comparé à celui du chef d'état-major, le général Valeri Zaloujny, qui atteint 98 %. Ces chiffres ont le mérite d'illustrer l'unanimité de la nation ukrainienne derrière son président, dans la lutte contre l'agression.
Aujourd'hui les Russes veulent frapper les infrastructures, notamment énergétiques, pour qu'elles s'effondrent et, ainsi, fissurer l'unanimité et pousser la population à leur demander grâce, et la paix. Mais cela me semble très illusoire, car il est probable que les Ukrainiens resteront stoïques, comme les Britanniques lors du Blitz en 1940.
Je me déplace beaucoup sur le terrain – c'est important pour l'ambassade. J'étais récemment à Kharkiv, Odessa, Nijyn, Tchernihiv, puis à l'ouest à Stryї, et je peux témoigner de l'unanimité absolue, même chez les maires censément pro-russes avant la guerre. Les ponts sont complètement coupés du fait de l'agression et des crimes de guerre. Même les gens plutôt pro-russes ou proches de la culture russe, qui s'exprimaient en russe, ont définitivement basculé du côté de l'Ukraine. En réalité, la guerre lancée par Vladimir Poutine a contribué à la consolidation de l'esprit de la nation ukrainienne.
Ainsi, également, le maire de Marioupol, exilé, que je connaissais déjà avant la guerre car nous avions des projets de développement avec sa municipalité, me parlait toujours en russe. Mais la dernière fois que je l'ai reçu, il m'a parlé uniquement en ukrainien. C'est un symbole important car il s'agit d'une région russophone. Il en est de même avec le maire d'Odessa.
Malgré les difficultés, même si l'hiver est froid, même s'il n'y a pas d'électricité, je ne vois pas la résistance ukrainienne fléchir, ni d'intérêt pour un cessez-le-feu. Les Ukrainiens considèrent que, même s'ils l'obtenaient, ce serait surtout l'occasion pour Vladimir Poutine de renforcer ses troupes et de reprendre l'offensive au printemps, ou à un autre moment. Vu de Kiev, les Russes n'ont renoncé à rien, même pas à Odessa.
Qu'en est-il de l'aide française et du travail de l'ambassade ? C'est assez simple : depuis le 24 février au matin, tous nos efforts visent à soutenir l'Ukraine dans tous les domaines. Le soutien est constant et fort, en fonction de nos capacités, dans tous les secteurs, et notre efficacité et notre visibilité sont assez remarquables.
Dans le champ politique, le dialogue est constant entre le Président de la République et Volodymyr Zelensky, la relation de confiance étant relativement unique puisque leurs conversations durent en moyenne une heure et demie à deux heures. Ils ont le même âge et se connaissaient déjà bien avant la guerre du fait de la très forte implication française dans le protocole, puis les accords, de Minsk. Si la relation est fluide et régulière au plus haut niveau politique, elle se décline également au sein du Gouvernement : la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, Mme Catherine Colonna, est ainsi venue à Kiev à trois reprises, dont une fois avec le Président de la République.
L'aide militaire est issue du dialogue entre les deux présidents. L'Ukraine est un pays qui fonctionne bien, avec une administration qui fonctionne également et les Ukrainiens savent très bien demander ce dont ils ont besoin, en ciblant leurs requêtes.
Si l'ambassade est restée à Kiev, c'est évidemment un signe politique fort, mais surtout un gage d'efficacité car le contact constant avec les Ukrainiens nous a permis de nouer un dialogue très riche dans tous les domaines – militaire, humanitaire, etc.
Au début de la guerre surtout, les Ukrainiens étaient submergés par l'aide et leur difficulté était d'aller la chercher. Les chauffeurs européens ne pouvaient traverser la frontière pour des raisons de sécurité, et les chauffeurs ukrainiens, denrée rare en période de guerre, ne devaient aller chercher que ce qui était vraiment nécessaire. Dès le 7 mars, alors que nous avions quitté le Kiev pour Lviv, avec mon équipe et l'attaché de sécurité intérieure, nous avons engagé un dialogue avec la vice-ministre de l'intérieur, interlocutrice régulière du poste. C'était le tout début de la guerre, mais elle savait parfaitement quels étaient les besoins des services d'urgence, en matière de camions de pompiers, d'ambulances, etc. J'étais en mesure d'envoyer une liste à Paris le 7 au soir et, le 19 mars, moins de trois semaines plus tard, je réceptionnais sur le territoire ukrainien, à Tchernivtsi, le matériel demandé grâce au travail, qu'il faut saluer, de mes collègues du centre de crise et de soutien (CDCS).
Nous en sommes au quatrième ou cinquième convoi du même type et notre présence à Kiev est gage de proximité et de confiance. Elle nous donne également une très forte visibilité.
Le processus est similaire sur le plan militaire, même si les discussions sont plus confidentielles : les Ukrainiens savent parfaitement définir leurs besoins et ils nous demandent uniquement ce que nous sommes en mesure de leur fournir.
Ils ont ainsi mis l'accent sur les canons Caesar, dont la précision leur a permis de beaux succès.
« Un bateau pour l'Ukraine » fut l'opération d'aide humanitaire la plus importante jamais menée par le ministère des affaires étrangères. Un navire mis à disposition par la CMA-CGM (Compagnie maritime d'affrètement - Compagnie générale maritime) est parti de Marseille pour Constanţa, chargé de 1 000 tonnes de fret, dont des camions de pompiers et des ambulances, qui ont été acheminées jusqu'à Suceava. J'ai réceptionné l'aide à Tchernivtsi et l'ai remise aux autorités ukrainiennes. Comme nous l'a proposé le président Zelenski, nous avons pu choisir les villes et les régions qui feraient l'objet de notre parrainage. Il s'est agi, en particulier, de Kharviv, Stryi – qui accueille de nombreux réfugiés internes – et, surtout, Tchernihiv, qui a courageusement résisté à l'armée russe pendant le premier mois de l'offensive.
À la suite des crimes de guerre de Boutcha, nous avons été les premiers à envoyer des gendarmes légistes : une équipe de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) est arrivée en Ukraine dès le 11 avril. Depuis, nous avons conduit plusieurs missions du même ordre. Nous avons également donné un laboratoire mobile ADN, que j'ai vu à l'œuvre à Izioum, et nous allons en donner un deuxième, qui est en cours de fabrication. Dans ce domaine clé de la lutte contre l'impunité, personne n'a fait aussi vite ni aussi bien que nous. Le procureur général d'Ukraine a d'ailleurs chaudement remercié les autorités françaises pour leur réactivité lors de son déplacement à Paris il y a quelques jours.
Comment voyez-vous évoluer, à l'avenir, l'aide militaire et humanitaire française ? Comment jugez-vous la manière dont est coordonnée l'affectation de l'aide, sur place ? Si, demain, les Américains se désengageaient, aurions-nous la capacité de jouer le rôle de nation cadre en matière de coordination ? Le cas échéant, à quelles conditions cela serait-il possible et dans quelle mesure les parlementaires peuvent-ils y contribuer ?
Notre pays a été fidèle à son histoire en accueillant des dizaines de milliers de réfugiés de guerre ukrainiens. Je salue les collectivités et les associations qui ont manifesté, à cette occasion, leur solidarité. Alors que le conflit semble s'enliser, il paraît nécessaire de réfléchir à notre politique à l'égard des réfugiés. Quels retours avez-vous eus concernant leur accueil et leur intégration ? Devons-nous augmenter notre participation à l'effort d'accueil, par exemple en accroissant notre aide à la Pologne ? Pensez-vous qu'un retour des réfugiés en Ukraine est possible dans les prochains mois ? Combien d'entre eux choisiront-ils, à votre avis, de rester durablement en France, même une fois la paix revenue ?
Vous avez illustré par votre action, que je salue, l'excellence du corps diplomatique français, dont on regrette, une fois de plus, la destruction annoncée à la suite de la décision du Gouvernement. Je salue également le choix qui a été fait de laisser notre ambassade en activité sur le sol ukrainien pendant toute la durée du conflit.
Depuis novembre 2021, le renseignement américain alertait sur l'imminence d'une intervention. La France et l'Allemagne ont pris une décision politique forte en ne faisant pas évacuer leurs ressortissants ni le personnel diplomatique, ce qui a constitué une tentative de désescalade. Toutefois, ce choix n'a-t-il pas mis en danger les personnes concernées ? A-t-il été le fruit d'une réflexion ou d'un défaut de notre renseignement ? Mme Parly avait affirmé, cinq jours avant l'intervention russe, que nous avions les mêmes renseignements que les Américains mais que nous n'en tirions pas les mêmes conclusions. Est-ce un défaut de notre renseignement ? Quelle analyse avez-vous faite de votre côté ? Cela a-t-il mis en péril nos ressortissants et le personnel diplomatique ?
Je voudrais vous faire part, au nom de mon groupe, de notre reconnaissance pour votre action et celle des personnels de l'ambassade au service du peuple ukrainien et des ressortissants français en Ukraine. La guerre bouleverse le développement économique de ce pays et remet en cause les projets de nombreuses entreprises françaises restées sur place. Pouvez-vous nous en dire plus sur l'accompagnement de nos ressortissants et des sociétés françaises ? Les chambres consulaires françaises sont-elles demeurées en Ukraine ? Vers qui nos entreprises doivent-elles se tourner lorsqu'elles ont besoin de soutien ?
Nous avons suivi avec fierté votre action, s'agissant, par exemple, de la remise de l'aide humanitaire à Odessa ou à Kharkiv. Vous apportez, ce faisant, un soutien très important à l'Ukraine et à son peuple courageux et résistant, ce qui fait honneur à la France.
Les Russes excellent dans les attaques informatiques, la collecte de données, la maîtrise de la datasphère, et sont passés maîtres dans l'art de la désinformation. Ils nient en bloc leurs atrocités et essaient de faire croire à l'existence de deux versions des faits. Ils construisent grossièrement les preuves d'une prétendue bombe sale que l'armée ukrainienne prévoirait d'utiliser sur son propre sol pour justifier une escalade.
Vous avez été la cible, il y a moins d'un mois, d'une fake news évoquant votre démission, qui fait suite à la fuite imaginaire du président Zelenski. Les nombreux messages prorusses ont été relayés jusqu'en France, notamment par le conspirationniste Silvano Trotta. Cela montre la nécessité d'un combat global contre la désinformation, particulièrement en matière militaire. Si l'assistance de la France dans le domaine sécuritaire est essentielle, que fait-elle en matière de cybersécurité ? Comment mobiliser davantage nos partenaires européens ? Mme Colonna a annoncé la tenue d'une conférence sur la résilience de l'Ukraine, le 13 décembre, à Paris, qui réunira bailleurs et acteurs multilatéraux. Ne serait-ce pas l'occasion de mettre en avant cette thématique ?
Je tiens à saluer la continuité de votre action à la tête de notre ambassade à Kiev. Début octobre, le groupe Socialistes et apparentés a déposé une résolution visant à exprimer le soutien indéfectible de l'Assemblée nationale à l'Ukraine. Par ce texte, nous souhaitions affirmer l'exigence du recouvrement de la pleine souveraineté ukrainienne dans ses frontières internationalement reconnues, l'importance du renforcement des sanctions contre la fédération de Russie, le besoin d'investigation au sujet de tous les crimes commis par les forces d'occupation russes et la nécessité de rapatrier l'ensemble des Ukrainiens déportés de force en Russie.
Depuis février, nous assistons, sur le sol européen, à des actes de barbarie, au piétinement du droit international et à la violation du respect le plus élémentaire de la dignité humaine. Nous souhaitons témoigner à nouveau aux Ukrainiens frappés par le conflit notre amitié profonde et leur redire que nous resterons toujours à leurs côtés. Nous serons particulièrement attentifs au cours des prochains mois à la mobilisation française, tant en matière budgétaire que s'agissant du soutien de nos armées, notamment en matière de formation des soldats ukrainiens.
Mélanie Thomin, en congé maternité, m'a chargée également de vous interroger. Le 2 juin dernier, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères a connu une grève historique pour la défense du métier de diplomate. Le renouvellement des menaces témoigne d'un besoin criant de stratégie diplomatique, que l'on ne saurait improviser, comme l'atteste votre expérience de terrain au cours des derniers mois. Le Quai d'Orsay exerce un rôle singulier et complexe d'analyse et de prospective dans le respect du domaine particulier du Président, qui est lui-même conseillé par la cellule diplomatique de l'Élysée. La diplomatie du coup de téléphone direct, informel, par le Président interroge sur le rôle même du Quai d'Orsay, de l'équipe des ambassadeurs français. C'est particulièrement vrai depuis février. Nous avons besoin du corps des diplomates pour décrypter des sujets tels que l'extension du champ de la guerre, les coups de poker russes, le renouveau de la grammaire nucléaire. Des questions stratégiques restent en suspens : quel est l'objectif recherché par la diplomatie française ? Qu'en est-il, en particulier, d'un retour aux frontières de 1991 ?
Alors que l'Assemblée vient de voter le doublement du fonds français à l'Ukraine, je voudrais revenir sur le mécanisme d'expression des besoins ukrainiens en matière d'équipements militaires, en ce qui concerne les forces spéciales et les diverses spécialités techniques, ainsi que dans le domaine du renseignement. Que pensez-vous de la demande, qui nous est adressée très publiquement, d'équipements militaires d'un degré encore supérieur – je pense en particulier au char Leclerc ? Comment accueillez-vous la demande de formation de soldats ukrainiens en France, qui concernerait 2 000 d'entre eux ? Pourriez-vous distinguer les sujets qui relèvent de la relation bilatérale et les demandes qui sont dirigées vers l'état-major de l'Union européenne ?
Timothy Snyder, professeur à Yale, a affirmé très récemment que la remarquable résistance ukrainienne sur le terrain a peut-être été la meilleure garantie de sécurité pour l'Europe comme pour les États-Unis, bien au-delà de ce que la politique étrangère ou de défense américaine aurait pu obtenir en matière de sécurité globale. Cette résistance a non seulement révélé les faiblesses de l'armée russe, mais a aussi rendu assez peu crédible – même sous l'ombrelle de l'arme nucléaire – le scénario de l'invasion de Taïwan. Elle a justifié un soutien aussi puissant et résolu que possible à l'Ukraine sur le plan conventionnel – assorti d'une méfiance envers des chausse-trappes escalatoires –, ce qui rejoint les recommandations que nous avions faites, avec Charles de La Verpillière, dans un rapport d'information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l'Est. Cela va à l'encontre d'un discours assez présent, en particulier outre-Atlantique, selon lequel le soutien à l'Ukraine coûte fort cher et n'est peut-être pas notre combat. Comment réagissez-vous à ce type d'analyse ?
Enfin, je voudrais saluer votre action et votre réactivité en matière de recueil des preuves des crimes de guerre, à Boutcha comme ailleurs.
Monsieur Belhamiti, le doublement de l'enveloppe est bienvenu. Ces 200 millions d'euros s'ajouteront à l'aide européenne. L'enveloppe permettra de répondre aux demandes très pointues adressées par les Ukrainiens à notre industrie de défense. Ils bénéficieront d'une sorte de droit de tirage, ce qui est très apprécié, comme en témoigne la signature rapide du premier mémorandum pour le versement de 100 millions d'euros. Les Ukrainiens en feront usage très vite. C'est un bon instrument, pragmatique, rapide et qui permet de combler les manques.
Je ne connais pas encore le résultat des élections aux États-Unis, mais si j'en crois mes collègues américains présents en Ukraine, le consensus bipartisan en faveur de l'aide à ce pays est suffisamment large pour qu'il n'y ait pas grand-chose à craindre d'un renforcement des ultras, qu'ils se trouvent chez les conservateurs ou chez les démocrates – car l'opposition pourrait venir des deux côtés du spectre politique. De toute façon, en matière de poltique étrangère, la responsabilité revient directement au président Biden. Plusieurs missions ont été envoyées à Kiev au cours des derniers jours pour rassurer les Ukrainiens. Dans la mesure où les Américains produisent la plus grande partie de l'effort, notamment dans le domaine militaire, il ne serait pas possible de les remplacer, même si les Européens combinaient leurs forces. On peut le regretter, mais c'est ainsi.
Madame Martinez, on compte 100 000 réfugiés ukrainiens en France, ce qui est relativement modeste par rapport au nombre accueilli dans les autres pays de l'Union européenne : 1 million en Allemagne et 2 millions en Pologne. Il s'agit majoritairement de femmes et d'enfants, puisque les hommes en âge de porter les armes n'ont pas le droit de quitter l'Ukraine. Au total, 18 000 enfants ont été scolarisés. Les retours sont très positifs quant à l'intégration et à la qualité de l'accueil réservé aux réfugiés : les Ukrainiens apprécient notre générosité. Les collectivités locales, en particulier, ont produit un effort remarquable.
Y a-t-il un mouvement de retour vers l'Ukraine ? Oui et non : certaines personnes retournent voir leur famille puis repartent en fonction de l'évolution de la situation militaire. Des ruptures familiales peuvent se produire du fait de la séparation, même s'il est difficile, à ce stade, de les quantifier. Les femmes trouvent du travail très facilement : si la guerre durait trop longtemps, elles pourraient finir par s'enraciner.
Monsieur Lachaud, il ne me revient pas de faire des commentaires sur la suppression du corps diplomatique.
En ce qui concerne le renseignement, je ne suis pas non plus le mieux placé pour en parler. Il reviendra aux historiens d'examiner ce qui s'est passé. Comme le disait justement Mme Parly, le paradoxe est que nous disposions tous des mêmes informations : nous savions que 130 000 hommes se trouvaient dans une position agressive, encerclant l'Ukraine. La question était de savoir s'ils passeraient ou pas à l'attaque. C'est sur ce point que les analyses ont divergé. Les Américains pensaient que oui ; certains, dont nous-mêmes, considéraient que c'était peu probable. Le président Zelensky lui-même, jusqu'au dernier jour, disait que le problème allait se régler, que les Russes bluffaient. Le 18 février encore, soit six jours avant l'attaque, le maire de Marioupol était dans mon bureau pour parler de programmes de développement. Sa ville, située à 20 kilomètres de la zone de contact, devait être la première victime d'une offensive russe – ce qui a d'ailleurs été le cas. Ce jour-là, je lui ai demandé s'il avait peur, s'il pensait que les Russes allaient attaquer ; il m'a répondu qu'il était sûr que c'était du bluff.
Il est difficile de juger si l'on pouvait faire mieux en matière de renseignement. En revanche, ce que nous avions dit – je l'avais même écrit –, c'est que si le président Poutine prenait la décision irrationnelle consistant à essayer de prendre Kiev en trois jours avec 30 000 hommes, il échouerait. J'en étais convaincu car je connaissais bien Kiev. La ville compte 5 millions d'habitants et est très étendue : sauf absence totale de volonté de résistance de la population, l'entreprise était vouée à l'échec. Or mon équipe et moi-même étions intimement persuadés que les Ukrainiens résisteraient.
Dans les classements des systèmes d'armement, souvent fondés sur la quantité et confectionnés par les Anglo-Saxons, notre pays figure assez bas. En termes purement quantitatifs, cette approche est partielle car elle ne prend pas en compte ce qui est immatériel, ainsi que notre contribution à l'effort de l'Union européenne.
Madame Bazin-Malgras, plusieurs entreprises françaises continuent à travailler en Ukraine, notamment deux grandes banques qui y sont très implantées : le Crédit Agricole et la BNP.
Cela participe de l'incroyable résilience ukrainienne : l'économie du pays continue à fonctionner. Les Ukrainiens ont moissonné dans l'est du pays, quasiment sous le feu des canons russes. Ils continuent à produire. Dans l'ouest, sur la rive droite du Dniepr, tout fonctionne presque normalement. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de ruptures d'approvisionnement. En avril et en mai, les Russes ont frappé les dépôts pétroliers ; huit jours après, il y avait à nouveau de l'essence. Les Ukrainiens ont également réussi à faire sortir leur blé, soit par la voie maritime – grâce à l'accord relatif aux céréales – soit par la voie ferroviaire.
La chambre de commerce franco-ukrainienne est toujours active. Je rencontre régulièrement ses représentants. Au total, 200 à 300 Français sont revenus, notamment des hommes d'affaires faisant des allers-retours entre les deux pays. C'est parce que la vie économique continue que nous organiserons deux conférences, les 12 et 13 décembre. La première, pilotée par Bercy, sera consacrée au volet économique, à la résilience et la reconstruction. Des entreprises françaises y participeront. La seconde sera plus politique : elle portera sur l'arrivée de l'hiver et la façon de surmonter les frappes visant les infrastructures.
S'agissant de l'Ukraine, la rubrique « Conseils aux voyageurs » du site du ministère déconseille formellement, quel qu'en soit le motif, tout déplacement dans le pays. Cela se comprend, je n'en fais pas le reproche, mais c'est une difficulté pour les entreprises et les hommes d'affaires : les sièges sont très réticents à envoyer leur personnel en Ukraine. J'ai suggéré à mes autorités de modifier l'approche et de rouvrir la possibilité de voyages pour raisons impérieuses. La décision est difficile à prendre car, depuis le 24 février, des missiles peuvent tomber absolument partout. Il n'en demeure pas moins que les restrictions de circulation rendent plus difficiles la reconstruction et le retour à la vie normale dans certaines parties au moins de l'Ukraine.
Madame Poueyto, la guerre hybride, qui passe notamment par les attaques informatiques, est un phénomène de grande ampleur dans ce conflit. C'est une nouveauté, même si nous nous y attendions. De ce point de vue aussi, la capacité de résistance des Ukrainiens est frappante : ils n'ont subi aucune défaite majeure dans ce domaine. Ils ont développé, notamment, une application nommée Diia, dans laquelle sont versés tous les documents administratifs. Nous craignions qu'elle ne soit hackée, mais cela n'a pas été le cas jusqu'à présent. Le pays avait beaucoup d'ingénieurs, d'importantes capacités dans le domaine de l'informatique et des télécommunications ; on en voit le résultat.
Il me faut faire face, notamment sur les réseaux sociaux, à certaines attaques hybrides, dont celle que vous avez mentionnée et qui me concerne. Elle est venue des réseaux prorusses ou antifrançais en Afrique et a fini par être relayée ici. Ce n'est pas très grave : les propos et l'attitude qui m'étaient prêtés étaient si peu vraisemblables que la manipulation n'a pas pris. De telles attaques sont désagréables mais ne m'empêchent pas de poursuivre mon travail au service de la relation franco-ukrainienne.
Madame Pic, la position ukrainienne est claire : l'objectif est de revenir aux frontières de 1991, ce qui inclut la Crimée. Au début du conflit, le président Zelensky réclamait un retrait des forces russes jusqu'aux positions qu'elles occupaient le 23 février. Au fil des mois, son discours s'est durci : il conditionne la fin du conflit à un retour aux frontières de 1991, assorti de compensations financières au titre de la reconstruction et de la réparation pour les crimes de guerre. Le Président de la République a défini notre position : pour nous, c'est aux Ukrainiens de définir les conditions de la victoire, et nous leur apporterons notre soutien le temps qu'il faudra.
Monsieur Larsonneur, les Ukrainiens veulent autant d'équipements que possible. Leurs demandes concernaient d'abord l'artillerie. Ensuite, nous leur avons fourni des véhicules de l'avant blindés ; après, ce fut du matériel de combat antiaérien en quantité, notamment des missiles Crotale. Une demande a été faite concernant des chars Leclerc. Quoi qu'il en soit, l'examen de la demande est en cours. Pour de telles questions, le dialogue a lieu directement entre les deux présidents.
Nous avons engagé la formation de 2 000 soldats. Le processus n'est pas entièrement nouveau : nous avions déjà formé des artilleurs. Il s'inscrira également dans le cadre de la mission européenne, qui a vocation à former 15 000 soldats.
Vous avez évoqué la volonté tout à fait légitime de l'Ukraine de retrouver ses frontières de 1991. C'est ce que nous pouvons souhaiter de mieux aux Ukrainiens, mais pensez-vous qu'ils se fixent vraiment pour objectif de reprendre militairement la Crimée ? Si oui, en ont-ils les moyens ? Un seul accès est possible : par l'isthme de Perekop. Quand on se souvient des combats qui eurent lieu en Crimée pendant la Deuxième Guerre mondiale, en particulier des manœuvres de Manstein, on mesure la complexité de l'entreprise.
Certains de nos amis et concurrents européens – et même extraeuropéens – sont-ils déjà présents en Ukraine pour préparer la reconstruction ?
Votre engagement personnel et celui du personnel de l'ambassade font honneur à la France ; nous en sommes très fiers. Nous avons reçu également M. Martinon : l'un et l'autre, vous portez haut les couleurs du Quai.
Je vous adresse à mon tour mes remerciements, à vous et à votre équipe : une telle situation demande une grande adaptabilité.
Vous avez évoqué vos bons rapports avec l'administration ukrainienne et la capacité de cette dernière à cibler ses besoins. Or nous avons toujours entendu dire qu'il y avait beaucoup de corruption en Ukraine, que l'administration n'était pas forcément fiable. Certes, il est délicat d'aborder la question en ce moment, mais qu'en est-il selon vous ?
Vous concertez-vous avec les ambassadeurs des autres pays de l'Union à propos de certaines dispositions à prendre ?
Quelle est la situation de l'Ukraine sur le plan énergétique ? Le pays est-il fortement dépendant de la Russie ?
Dès le début du conflit, l'entreprise américaine Starlink, dirigée par Elon Musk, a proposé d'offrir ses services de télécommunications par satellite à l'Ukraine afin de maintenir un réseau de communications par internet dans l'ensemble du pays malgré les destructions et les sabotages des infrastructures terrestres. En juin, 15 % des infrastructures internet du pays étaient détruites ou endommagées.
Le ministre ukrainien de la transformation numérique, M. Fedorov, a lui-même appelé les opérateurs privés, dans une lettre ouverte publiée le 1er mars, à partager leurs données, considérant que les capacités des satellites fournissaient des informations vitales sur la position des troupes et les flux de réfugiés.
Grâce à cet appui, les forces ukrainiennes ont pu conserver une structure de commandement et de contrôle malgré les frappes et le brouillage de leurs communications par les Russes. L'appui satellite offert par Starlink et par les puissances occidentales dès le début de l'invasion a permis de soutenir et de guider la contre-offensive ukrainienne. En octobre, 20 000 terminaux en orbite basse de la constellation de satellites Starlink étaient encore en service pour l'Ukraine et mis à sa disposition gratuitement. Néanmoins, Elon Musk a déclaré que l'entreprise ne pourrait financer indéfiniment cet appui et qu'il souhaitait faire payer à l'armée américaine les prochaines factures, dont le montant est évalué à 20 millions de dollars par mois. Il s'est rétracté par la suite.
La Russie a mené une cyberattaque visant un réseau de satellites de l'opérateur américain Viasat, destinée à rendre hors d'usage les consoles de communications mobiles de l'armée ukrainienne, perturbant au passage l'internet haut débit de plusieurs pays européens juste avant l'assaut du 24 février. Elle a récemment déclaré qu'elle considérait comme des cibles légitimes les satellites civils occidentaux utilisés pour aider Kiev, de la même manière qu'à ses yeux les pays apportant un soutien militaire à l'Ukraine sont parties prenantes au conflit.
Quel est le poids, pour la France et les forces alliées à l'Ukraine, des satellites commerciaux dans la conduite des opérations et la collecte d'informations essentielles à la préparation et à l'anticipation de l'emploi des forces ukrainiennes dans le conflit ? Quel serait l'impact, pour les forces ukrainiennes et pour ses partenaires – dont la France – du retrait ou de la destruction du réseau Starlink ?
La France fournit à l'Ukraine des moyens matériels, qu'il s'agisse de canons Caesar, de missiles Milan et Mistral, de véhicules de l'avant blindé ou de mines antichars, mais aussi un appui logistique et le soutien immatériel de nos services de renseignement. Nous avons appris que les États-Unis, l'Espagne et la Norvège avaient livré avant-hier de nouveaux systèmes de défense antiaérienne Nasams et Aspide afin de protéger certaines infrastructures sensibles des bombardements russes. L'Ukraine voudrait également des chars Leclerc. Savez-vous si elle aurait besoin d'autres types de matériel ?
D'autre part, combien de Français vivraient encore en Ukraine, en particulier dans la région de Kherson, qui fut le théâtre des derniers combats ?
Enfin, la France a suspendu les procédures d'adoption en Ukraine. Comment garantissez-vous aux parents qui arrivaient au bout de ce parcours avant le déclenchement du conflit qu'ils pourront accueillir l'enfant ?
À deux jours de la commémoration de l'armistice du 11 novembre 1918, je voudrais savoir combien de victimes, civiles et militaires, Ukrainiennes ou Russes, sont à déplorer depuis le début des hostilités.
Dans quel état se trouve l'enseignement supérieur en Ukraine ? Comment envisagez-vous l'avenir pour ces étudiants ?
Je tiens à vous rappeler que, puisque nous nous réunissons à huis clos, une partie de vos réponses peut ne pas être consignée dans le compte rendu si vous le souhaitez.
Monsieur Thiériot, nous nous posons en effet la question : les Ukrainiens sont-ils prêts à reprendre la Crimée par la force ? C'est ce qu'ils affirment et, jusqu'à présent, ils ont toujours fait ce qu'ils disaient. J'étais convaincu que s'ils le pouvaient, ils n'hésiteraient pas à frapper en Crimée et ils ont bel et bien attaqué le pont de Kertch et la base de Sébastopol. Pour m'exprimer autrement, disons que le jour où ils pourront à nouveau frapper, ils le feront. Lorsqu'ils pourront approcher des fameux isthmes qui bloquent l'accès à la Crimée, passeront-ils à l'offensive ? En auront-ils les moyens ? Comment la communauté internationale réagira-t-elle ? Je n'ai pas les réponses.
Pour soutenir l'Ukraine face à la Russie, nous pouvons compter sur de nombreux partenaires, au premier rang desquels figure la Pologne, qui est très présente et leur apporte une importante aide humanitaire, économique, politique, en particulier dans les territoires qui étaient polonais avant 1939. Dans une moindre mesure, les pays baltes les soutiennent eux aussi mais ils n'ont pas la même population ni la même importance.
Madame Thillaye, en matière de corruption, l'Ukraine n'a pas adopté les normes européennes. Le sujet n'est pas nouveau puisque nous l'évoquions déjà en 2015. Dans une déclaration de 2015, les chefs d'État des pays du G7 ont d'ailleurs chargé le G7 de suivre les réformes que l'Ukraine s'était alors engagées à mener en matière économique et pour renforcer la démocratie. En fait de réformes, il s'agissait surtout de lutter contre la corruption. La guerre n'a pas interrompu ce suivi et nous en discutons régulièrement avec mes collègues du G7. Beaucoup de progrès restent à accomplir pour améliorer la gouvernance des entreprises publiques et installer de véritables structures anticorruption. Les avancées, qui sont réelles, restent lentes. L'Ukraine a nommé un procureur anti-corruption et a adopté des lois dans ce domaine. Nous surveillons l'évolution de la situation comme le lait sur le feu dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. En langage diplomatique, nous dirions que c'est un point de vigilance et nous verrons de quelle manière il sera géré dans le cadre de la reconstruction. L'Ukraine souffre d'un problème de fond : la justice est elle-même sujette à caution, jusqu'aux institutions les plus élevées, notamment la Cour constitutionnelle. Or les juges constitutionnels, dans un État de droit tel que nous le concevons, sont inamovibles.
N'oublions pas non plus que le pays compte de nombreux oligarques. Le parlement ukrainien a adopté une loi « anti-oligarques » pour se débarrasser de leur tutelle. Nous verrons comment elle sera appliquée. Surtout, les chefs d'État et de Gouvernement européens ont posé sept conditions à l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Elle devra ainsi renforcer les dispositions anticorruption, la transparence de la vie démocratique et la lutte contre les oligarques.
La production d'énergie électrique est dominée, en Ukraine, par le nucléaire (45 % de la production). Le bombardement des centrales nucléaires par les Russes pose la question de la capacité des Ukrainiens à se défendre contre les frappes mais aussi à reconstruire ce qui a été démoli. Ce seront les enjeux des prochaines semaines.
Madame Lepvraud, je connais assez mal le sujet des satellites. Dès le début du conflit, le milliardaire Elon Musk a fourni aux autorités ukrainiennes des terminaux qui ont permis d'assurer une connexion internet depuis n'importe quel endroit du pays, y compris les plus isolés, grâce à une constellation de satellites qui forment son réseau. Cette aide a joué un rôle crucial dans le jeu de la défense ukrainienne car elle a permis de maintenir les communications. Son retrait serait très ennuyeux. Adviendra-t-il ? Nous ne le savons pas. L'homme d'affaires américain a demandé au Pentagone de prendre en charge le financement de ce réseau et les réactions ont été variées. Il serait tout de même assez peu réaliste qu'il retire ses satellites. En l'espèce, nous ne sommes qu'observateurs, nous n'avons pas de pouvoir de décision.
Monsieur Royer-Perreaut, la France et l'Italie fourniront à l'Ukraine les instruments de défense antiaérienne qu'elle demande. C'est une très forte demande que le président Zelensky a formulée et les Italiens nous ont confirmé qu'ils étaient prêts à l'octroyer. Nous pourrons donc répondre à leurs besoins.
Concernant les enfants, le sujet le plus sensible concerne la GPA. La section consulaire fonctionne à nouveau à Kiev et nous avons repris le traitement des dossiers comme nous le faisions avant la guerre, en respectant les instructions que nous recevons du ministère des affaires étrangères. Le flux est moins important qu'avant la guerre mais nous essayons de soutenir autant que nous le pouvons les couples concernés.
Quant à la communauté française, il m'est difficile de vous donner un chiffre précis mais nous estimons entre 300 et 500 le nombre de Français qui font régulièrement l'aller-retour entre l'Ukraine et la France, plus qu'ils n'y résident. Les agriculteurs français qui s'étaient installés en Ukraine sont revenus en Ukraine et cultivent des terres dans les régions de l'ouest.
Monsieur Bex, il est difficile de connaître le nombre de morts. Du côté ukrainien, il est très élevé, aux alentours de 9 000 soldats, en raison notamment de l'offensive de Kharkiv ou de la contre-offensive de Kherson. Le nombre de morts civils est encore plus difficile à évaluer mais il est, sans nul doute, très important lui aussi. Du côté russe, les pertes sont lourdes mais il est encore plus difficile d'obtenir des chiffres. Les Ukrainiens évoquent un nombre de 75 000 tués – plus de 50 000 en tout cas. Les pertes sont considérables en Russie, c'est évident, mais hélas il n'y a pas, là-bas, la même considération pour la vie humaine. Nous devrons attendre la fin de la guerre pour en savoir davantage. Quoi qu'il en soit, les pertes sont déjà très lourdes du côté ukrainien, de très nombreuses familles sont endeuillées, les cimetières se remplissent de nouvelles tombes. Le conflit est très meurtrier et n'épargne personne. Cette situation est rendue encore plus dramatique par la commission d'abominables crimes de guerre qui ont pour conséquence de radicaliser la population. Lorsque vous avez subi de telles épreuves, vous êtes bien moins enclins au compromis. La montée aux extrêmes éloigne la perspective de paix.
Madame Lingemann, la résilience des élèves et des étudiants ukrainiens est remarquable. Les 18 000 jeunes Ukrainiens qui se sont réfugiés en France suivent un double cursus : le cursus français et, à distance, le cursus ukrainien. Ils font preuve d'une rigueur exceptionnelle. Après les frappes du 10 octobre, les écoles ont rouvert et il est émouvant de voir ces jeunes enfants reprendre courageusement le chemin des études, courir s'abriter à chaque alerte – et elles sont nombreuses. Tous les abris ont été aménagés, y compris dans le lycée français Anne de Kiev qui a rouvert même s'il est passé de 500 à 67 élèves. J'ai moi-même visité ces abris qui offrent une protection satisfaisante aux élèves et aux étudiants, tout comme le métro d'ailleurs, dans lequel il n'est pas rare de voir les jeunes s'y remettre à travailler avec leur professeur, le temps que le danger soit écarté. C'est un pays en guerre, que nous aidons, pour que les enfants y soient scolarisés dans les meilleures conditions possibles. J'admire cette résilience.
Où en est la commande des vingt patrouilleurs côtiers Ocea ? Quatre ont été construits mais ne sont pas encore livrés. Est-il prévu de le faire ou envisagez-vous de les réallouer, par exemple à la gendarmerie maritime française ?
Nous suivons ce dossier de près et les Ukrainiens ont confirmé l'application des accords signés avant la guerre. Le contrat est donc relancé, de même que celui signé, lui aussi avant la guerre, et portant sur l'acquisition de 55 hélicoptères Airbus. Les Ukrainiens m'ont demandé à reprendre le dialogue autour d'une nouvelle commission économique mixte franco-ukrainienne, présidée par Bruno Le Maire et leur ministre de l'intérieur, Denys Monastyrsky. Ils souhaiteraient également relancer la signature du contrat avec Alstom pour la commande de locomotives.
D'autre part, le Fonds d'études et d'aide au secteur privé (Fasep) permet de financer des projets de grande envergure en Ukraine et un accord de prêt du Trésor a été signé pour financer la restauration de rails de chemin de fer. Le dialogue économique est moins soutenu qu'avant la guerre mais il n'est pas rompu.
Quant aux patrouilleurs côtiers, le contrat n'a pas été annulé, bien au contraire, mais les conditions doivent être réunies pour qu'ils puissent être livrés.
La séance est levée à onze heures trente.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Jean-Philippe Ardouin, M. Xavier Batut, M. Julien Bayou, Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Mounir Belhamiti, M. Christophe Bex, M. Hubert Brigand, M. Vincent Bru, M. François Cormier-Bouligeon, Mme Christelle D'Intorni, M. Christian Girard, M. José Gonzalez, M. David Habib, M. Loïc Kervran, M. Jean-Charles Larsonneur, Mme Anne Le Hénanff, Mme Murielle Lepvraud, Mme Delphine Lingemann, Mme Brigitte Liso, Mme Alexandra Martin, Mme Michèle Martinez, Mme Lysiane Métayer, M. Christophe Naegelen, M. Laurent Panifous, Mme Anna Pic, Mme Josy Poueyto, M. Julien Rancoule, M. Lionel Royer-Perreaut, M. Aurélien Saintoul, Mme Nathalie Serre, M. Bruno Studer, M. Jean-Louis Thiériot, Mme Sabine Thillaye, Mme Corinne Vignon
Excusés. - M. Christophe Blanchet, M. Frédéric Boccaletti, Mme Yaël Braun-Pivet, M. Yannick Chenevard, Mme Caroline Colombier, M. Jean-Pierre Cubertafon, M. Yannick Favennec-Bécot, M. Emmanuel Fernandes, Mme Anne Genetet, M. Jean-Michel Jacques, M. Olivier Marleix, Mme Pascale Martin, M. Frédéric Mathieu, M. Pierre Morel-À-L'Huissier, M. François Piquemal, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Valérie Rabault, Mme Véronique Riotton, M. Fabien Roussel, Mme Mélanie Thomin