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Intervention de Étienne de Poncins

Réunion du mercredi 9 novembre 2022 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Étienne de Poncins, ambassadeur de France en Ukraine :

Monsieur Thiériot, nous nous posons en effet la question : les Ukrainiens sont-ils prêts à reprendre la Crimée par la force ? C'est ce qu'ils affirment et, jusqu'à présent, ils ont toujours fait ce qu'ils disaient. J'étais convaincu que s'ils le pouvaient, ils n'hésiteraient pas à frapper en Crimée et ils ont bel et bien attaqué le pont de Kertch et la base de Sébastopol. Pour m'exprimer autrement, disons que le jour où ils pourront à nouveau frapper, ils le feront. Lorsqu'ils pourront approcher des fameux isthmes qui bloquent l'accès à la Crimée, passeront-ils à l'offensive ? En auront-ils les moyens ? Comment la communauté internationale réagira-t-elle ? Je n'ai pas les réponses.

Pour soutenir l'Ukraine face à la Russie, nous pouvons compter sur de nombreux partenaires, au premier rang desquels figure la Pologne, qui est très présente et leur apporte une importante aide humanitaire, économique, politique, en particulier dans les territoires qui étaient polonais avant 1939. Dans une moindre mesure, les pays baltes les soutiennent eux aussi mais ils n'ont pas la même population ni la même importance.

Madame Thillaye, en matière de corruption, l'Ukraine n'a pas adopté les normes européennes. Le sujet n'est pas nouveau puisque nous l'évoquions déjà en 2015. Dans une déclaration de 2015, les chefs d'État des pays du G7 ont d'ailleurs chargé le G7 de suivre les réformes que l'Ukraine s'était alors engagées à mener en matière économique et pour renforcer la démocratie. En fait de réformes, il s'agissait surtout de lutter contre la corruption. La guerre n'a pas interrompu ce suivi et nous en discutons régulièrement avec mes collègues du G7. Beaucoup de progrès restent à accomplir pour améliorer la gouvernance des entreprises publiques et installer de véritables structures anticorruption. Les avancées, qui sont réelles, restent lentes. L'Ukraine a nommé un procureur anti-corruption et a adopté des lois dans ce domaine. Nous surveillons l'évolution de la situation comme le lait sur le feu dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. En langage diplomatique, nous dirions que c'est un point de vigilance et nous verrons de quelle manière il sera géré dans le cadre de la reconstruction. L'Ukraine souffre d'un problème de fond : la justice est elle-même sujette à caution, jusqu'aux institutions les plus élevées, notamment la Cour constitutionnelle. Or les juges constitutionnels, dans un État de droit tel que nous le concevons, sont inamovibles.

N'oublions pas non plus que le pays compte de nombreux oligarques. Le parlement ukrainien a adopté une loi « anti-oligarques » pour se débarrasser de leur tutelle. Nous verrons comment elle sera appliquée. Surtout, les chefs d'État et de Gouvernement européens ont posé sept conditions à l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne. Elle devra ainsi renforcer les dispositions anticorruption, la transparence de la vie démocratique et la lutte contre les oligarques.

La production d'énergie électrique est dominée, en Ukraine, par le nucléaire (45 % de la production). Le bombardement des centrales nucléaires par les Russes pose la question de la capacité des Ukrainiens à se défendre contre les frappes mais aussi à reconstruire ce qui a été démoli. Ce seront les enjeux des prochaines semaines.

Madame Lepvraud, je connais assez mal le sujet des satellites. Dès le début du conflit, le milliardaire Elon Musk a fourni aux autorités ukrainiennes des terminaux qui ont permis d'assurer une connexion internet depuis n'importe quel endroit du pays, y compris les plus isolés, grâce à une constellation de satellites qui forment son réseau. Cette aide a joué un rôle crucial dans le jeu de la défense ukrainienne car elle a permis de maintenir les communications. Son retrait serait très ennuyeux. Adviendra-t-il ? Nous ne le savons pas. L'homme d'affaires américain a demandé au Pentagone de prendre en charge le financement de ce réseau et les réactions ont été variées. Il serait tout de même assez peu réaliste qu'il retire ses satellites. En l'espèce, nous ne sommes qu'observateurs, nous n'avons pas de pouvoir de décision.

Monsieur Royer-Perreaut, la France et l'Italie fourniront à l'Ukraine les instruments de défense antiaérienne qu'elle demande. C'est une très forte demande que le président Zelensky a formulée et les Italiens nous ont confirmé qu'ils étaient prêts à l'octroyer. Nous pourrons donc répondre à leurs besoins.

Concernant les enfants, le sujet le plus sensible concerne la GPA. La section consulaire fonctionne à nouveau à Kiev et nous avons repris le traitement des dossiers comme nous le faisions avant la guerre, en respectant les instructions que nous recevons du ministère des affaires étrangères. Le flux est moins important qu'avant la guerre mais nous essayons de soutenir autant que nous le pouvons les couples concernés.

Quant à la communauté française, il m'est difficile de vous donner un chiffre précis mais nous estimons entre 300 et 500 le nombre de Français qui font régulièrement l'aller-retour entre l'Ukraine et la France, plus qu'ils n'y résident. Les agriculteurs français qui s'étaient installés en Ukraine sont revenus en Ukraine et cultivent des terres dans les régions de l'ouest.

Monsieur Bex, il est difficile de connaître le nombre de morts. Du côté ukrainien, il est très élevé, aux alentours de 9 000 soldats, en raison notamment de l'offensive de Kharkiv ou de la contre-offensive de Kherson. Le nombre de morts civils est encore plus difficile à évaluer mais il est, sans nul doute, très important lui aussi. Du côté russe, les pertes sont lourdes mais il est encore plus difficile d'obtenir des chiffres. Les Ukrainiens évoquent un nombre de 75 000 tués – plus de 50 000 en tout cas. Les pertes sont considérables en Russie, c'est évident, mais hélas il n'y a pas, là-bas, la même considération pour la vie humaine. Nous devrons attendre la fin de la guerre pour en savoir davantage. Quoi qu'il en soit, les pertes sont déjà très lourdes du côté ukrainien, de très nombreuses familles sont endeuillées, les cimetières se remplissent de nouvelles tombes. Le conflit est très meurtrier et n'épargne personne. Cette situation est rendue encore plus dramatique par la commission d'abominables crimes de guerre qui ont pour conséquence de radicaliser la population. Lorsque vous avez subi de telles épreuves, vous êtes bien moins enclins au compromis. La montée aux extrêmes éloigne la perspective de paix.

Madame Lingemann, la résilience des élèves et des étudiants ukrainiens est remarquable. Les 18 000 jeunes Ukrainiens qui se sont réfugiés en France suivent un double cursus : le cursus français et, à distance, le cursus ukrainien. Ils font preuve d'une rigueur exceptionnelle. Après les frappes du 10 octobre, les écoles ont rouvert et il est émouvant de voir ces jeunes enfants reprendre courageusement le chemin des études, courir s'abriter à chaque alerte – et elles sont nombreuses. Tous les abris ont été aménagés, y compris dans le lycée français Anne de Kiev qui a rouvert même s'il est passé de 500 à 67 élèves. J'ai moi-même visité ces abris qui offrent une protection satisfaisante aux élèves et aux étudiants, tout comme le métro d'ailleurs, dans lequel il n'est pas rare de voir les jeunes s'y remettre à travailler avec leur professeur, le temps que le danger soit écarté. C'est un pays en guerre, que nous aidons, pour que les enfants y soient scolarisés dans les meilleures conditions possibles. J'admire cette résilience.

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