La réunion commence à neuf heures trente-cinq.
La commission spéciale auditionne, lors d'une table ronde avec des associations, MM. Jonathan Denis, président, et Yoann Brossard, secrétaire général de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, le Dr Denis Labayle, coprésident d'honneur de l'association Le Choix, M. Tugdual Derville, porte-parole, et le Dr Olivier Trédan, conseiller médical de l'association Alliance Vita, M. Jean-Marie le Méné, président, et Mme Véronique Bourgninaud, chargée de plaidoyer Vulnérabilité et handicap de la Fondation Jérôme Lejeune
Opposés à toute forme de suicide assisté et d'euthanasie, nous sommes très inquiets de ce projet de loi et des éléments de flou qu'il comporte.
Premièrement, la formule de l'« aide à mourir » recèle une euphémisation dissimulatrice de la réalité. Deuxièmement, les critères d'éligibilité augurent une forme de boîte de Pandore, la notion de moyen terme et de souffrance psychologique insupportable reposant sur une subjectivité trop importante. Troisièmement, nous percevons la promesse de soins palliatifs accessibles à tous comme un alibi. Quatrièmement, le projet aboutira in fine à faire sauter le verrou de l'interdit de tuer, qui forge la déontologie médicale depuis le serment d'Hippocrate.
Ensuite, notre association s'attache particulièrement à la prévention du suicide, que cette loi risque de ruiner en désignant comme éligibles à certaines formes de suicide des catégories de personnes. On laisse croire que le suicide est la solution, alors qu'il existe heureusement bien d'autres solutions d'accompagnement. Nous sommes inquiets, car l'offre de suicide assisté crée largement la demande.
Contrairement à ce que nous entendons dire, le projet est contraire à la liberté, comme à la fraternité. La possibilité offerte affectera les plus fragiles en les conduisant à se demander s'ils ne sont pas de trop. Quel est le sens d'une liberté qui s'exerce sous une double pression interne – celle d'une souffrance physique, psychique ou morale mal accompagnée – et externe – le sentiment d'inutilité et de poids à la charge des autres. Compte tenu de l'état actuel de notre système de santé, le grand paradoxe de l'autonomie affichée par cette réforme réside dans le risque que cette aide à mourir s'impose par défaut à d'autres modes d'accompagnement, de traitement et de prise en charge adaptée.
De manière plus complexe, cette fin de vie provoquée prive la personne d'un temps de vie dont nous ne savons pas ce qu'il donnerait. Il y a une forme de naïveté de penser que cette fraternité peut s'exprimer par la proposition d'un suicide assisté ou d'une euthanasie. Nous craignons les conséquences à long terme de ce raisonnement et les risques d'effets domino qu'il comporte. Nous ne sommes pas des îles d'autodétermination, notre culture nous influence. Cette dévalorisation sous-jacente, ce mépris que les bien-portants peuvent porter sur ceux qui sont devenus fragiles risquent de pousser les faibles – que nous deviendrons peut-être les uns et les autres un jour – à une auto-exclusion.
À plus de 80 %, les Français demandent une évolution de la loi qui fournisse des soins d'accompagnement et des soins palliatifs partout et pour tous et, comme recours possible, l'aide active à mourir. La loi que nous évoquons me semble constituer une loi de liberté, qui se doit de respecter la conscience des soignants, mais également des soignés. Il est nécessaire qu'ils aient le choix entre le suicide assisté et l'euthanasie – j'assume ces mots. Il faut respecter simultanément la liberté de conscience des soignants et rappeler qu'aucun d'entre eux ne sera obligé d'accompagner dans le cadre d'une aide active à mourir, ce qui ne doit pas s'appliquer aux établissements – les murs n'ont pas de conscience.
Aujourd'hui, les directives anticipées sont en revanche les grandes absentes du texte sur l'aide active à mourir. L'égalité est au cœur de notre devise républicaine. Je déplore donc que vingt-et-un départements soient encore orphelins d'unités de soins palliatifs. À ce titre, le plan décennal annoncé doit être salué. Il appelle toutefois à un sursaut sur la formation et la compréhension de ces soins d'accompagnement. L'inégalité concerne également la limitation actuelle des zones d'accès aux soins transfrontaliers, mais aussi les ressources financières – le coût d'un suicide assisté en Suisse oscille entre 8 000 et 12 000 euros. Une loi d'égalité doit également reconnaître que les euthanasies pratiquées ne doivent pas être clandestines.
Cette loi est également une loi de fraternité. À ce titre, nous ne pouvons être le seul pays au monde à parler d'un « pronostic vital engagé à court ou à moyen terme », qui ne peut être défini et qui exclurait de la prochaine loi des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Enfin, il s'agit d'une loi de laïcité, qui respectera évidemment toutes les consciences.
Ce projet de loi est en apparence d'essence idéaliste et envisage la vie comme un matériau à gérer, dans une vision prométhéenne. Mais il se trouve simultanément confronté au principe de réalité. De fait, le projet de loi n'est pas un projet idéal, mais un texte de résignation.
Les conditions d'accès, de procédure, de clause de conscience, de contrôle et d'évaluation sont censées nous rassurer. La rigueur de l'encadrement, qui est aujourd'hui l'argument principal du texte, est supposée proportionnée à la gravité de la transgression, mais elle est en réalité purement incantatoire. Il n'y a plus de principe à partir du moment où on accepte une transgression encadrée : le caractère pervers de la transgression ne réside pas forcément dans l'excès, mais dans l'essence même de l'acte de tuer, même si celui-ci est censé être limité. Je rappelle que chaque loi de bioéthique n'a fait que rendre légal ce qui était illégal précédemment. Enfin, on ne contrôle pas des limites qui ne sont pas sanctionnées et qui ont vocation à disparaître.
Ce projet de loi est un texte de résignation, parce qu'il ne dit pas tout et qu'il ne peut pas tout dire. Il s'est résigné au mensonge vis-à-vis des familles, des médecins, des soignants, des pharmaciens, des directeurs d'établissement et des élus locaux. Le mensonge atteint son paroxysme dans le choix du terme « aide à mourir », qui ne comporte nulle mention de l'euthanasie ou du suicide. Nous sommes très inquiets : loin de les unir, ce texte divisera profondément les Français.
Fille d'un père tétraplégique mort après quarante années d'un long combat contre la maladie et mère de deux enfants handicapés, je vis avec la grande maladie depuis ma plus tendre enfance. Je connais les pressions sociales et collectives qui pèsent sur les personnes gravement malades et sur leur entourage. Quand bien même il savait l'issue de la maladie certaine, mon père était accroché à la vie, parce qu'il était considéré, accompagné et encouragé par ses proches, par le corps médical et les personnels soignants. Il se sentait protégé par la société et lui en savait gré.
La mise à l'écart des personnes gravement malades et des personnes mourantes est une réalité dramatique de notre société. L'euthanasie ne soignera jamais cette solitude, cette souffrance, ce désespoir. Si l'euthanasie venait à être légalisée, elle deviendrait une oppression pour les malades et les personnes en fin de vie. L'interdit de tuer est un repère fondamental de la vie en société et porte une dimension protectrice absolument essentielle pour les personnes vulnérables, dont la dignité est immuable. Il est de notre devoir collectif d'assurer la sûreté de leur personne ; les laisser sans la protection de l'État serait criminel.
La mort fait partie de la condition humaine et l'euthanasie ne procure pas les conditions de réussite de la mort ; elle les enlève au contraire définitivement. Messieurs et mesdames les députés, votre responsabilité consiste à donner à chacun les conditions nécessaires à une mort humaine et digne. Les gens n'ont pas besoin d'une aide active à mourir, mais d'une aide active à vivre jusqu'au bout ; tel est l'objet propre des soins palliatifs.
Notre association tient à saluer la démarche gouvernementale. Nous attendons du Parlement qu'il aboutisse à un texte clair, ne cherchant pas à obtenir une unanimité impossible, mais une large majorité.
S'agissant de la première partie de la loi, au-delà de l'ouverture de nouvelles unités de soins palliatifs, il est essentiel de développer les autres solutions, dont les maisons d'accompagnement. Nous sommes favorables au développement des unités mobiles et des unités de soins palliatifs dans les services de médecine. Enfin, nous considérons comme prioritaire la formation du personnel soignant. Ces propositions sous-entendent l'organisation et l'enseignement des soins d'accompagnement, considérés comme une partie intégrante du service public. Nous voulons des soins palliatifs laïques, ouverts sur la demande des malades, sans frontières, avec l'aide active à mourir.
S'agissant de la seconde partie de la loi, portant sur l'aide à mourir, nous approuvons la recherche d'une terminologie qui ne heurte pas, et sommes d'accord pour que le mot « euthanasie », malheureusement dévoyé, n'y figure pas. Nous demandons au Parlement de s'assurer que certaines exigences ne constituent pas des obstacles au développement de la loi.
Premièrement, vouloir préciser qu'un malade atteint d'une maladie grave et incurable, a une durée de vie à court et moyen termes, est une illusion. Deuxièmement, nous souhaitons que les malades atteints d'affections graves et incurables soient reconnus comme seuls capables d'affirmer que ces souffrances physiques et psychiques sont devenues insupportables. Troisièmement, si la réponse médicale au choix du malade doit être prise après une écoute collégiale, elle repose sur la responsabilité du seul médecin qui suit ce malade. Quatrièmement, il serait légitime de laisser aux malades le droit de choisir entre l'auto-administration du produit létal et la demande d'administration avec l'aide d'un médecin et d'un tiers. Cinquièmement, les directives anticipées doivent avoir un effet opposable, et l'avis de la personne de confiance doit être juridiquement reconnu. Sixièmement, le délai de trois mois prévu pour confirmer la date de l'aide à mourir semble injustifié ; il risque de conduire les malades atteints d'affections incurables à évolution lente à précipiter leur décision.
Enfin, nous demandons la création d'une commission multidisciplinaire, afin que l'application du décret de la loi soit conforme à l'esprit de cette dernière et ne pas donner un blanc-seing à la Haute Autorité de santé (HAS), dont nous avons constaté les erreurs manifestes lors du texte d'application de la loi de 2016, qui devra être revu. Nous demandons ainsi une modification de ses modalités pour aboutir à une agonie brève et indolore. D'une façon générale, nous souhaitons que la commission spéciale encourage l'ensemble des élus à rédiger leurs propres directives anticipées, afin que cela puisse éclairer leur vote.
Je tiens à rappeler que le projet concerne les malades atteints de maladies graves et incurables en fin de vie. Aux représentants des associations opposées au projet de loi, je demande s'ils estiment que la mort nous appartient ou non. Ensuite, considérez-vous que la maladie grave et incurable prive par définition l'être humain de sa capacité d'autonomie et d'autodétermination ? Enfin, quelles sont pour l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et l'association Le Choix les conditions souhaitables d'accès à une aide à mourir dans ce texte ?
Madame Bourgninaud, ce texte ne constitue absolument pas un permis de tuer. Ensuite, les patients atteints de maladies neuro-évolutives que nous avons rencontrés nous ont indiqué que la possibilité de demander demain une aide active à mourir leur permettrait de mieux vivre leur handicap.
Alliance Vita est-elle prêtre à s'engager dans les réformes portant sur les soins d'accompagnement, les maisons d'accompagnement, le plan décennal territorialisé ?
J'indique à l'ADMD et à l'association Le Choix que certaines de leurs propositions, notamment le caractère éventuellement opposable des directives anticipées lorsque le patient n'est plus en état de s'exprimer, participent déjà à nos réflexions. L'ADMD entend-elle jouer un rôle dans ce triangle entre le patient, les soignants et ses proches, au moment de l'aide active à mourir ?
Pour répondre au Dr Labayle, je pense qu'il faut adopter un nouveau regard sur la sédation profonde, continue, et maintenue jusqu'au décès, dont nous avons eu beaucoup de peine à réaliser l'évaluation. M. Leonetti a bien souligné que la sédation devient à un moment insupportable, quand « le malade n'en finit pas de mourir ».
Je précise à mon tour que cette loi ne concerne absolument pas les personnes handicapées et les personnes âgées. Que pensez-vous des critères d'accès prévus par le texte et du statut de la personne volontaire que le malade peut désigner pour être accompagné dans le geste de fin de vie ?
Monsieur Denis, l'alinéa 7 de l'article 11 prévoit que lorsque la personne n'est pas en mesure de procéder à l'administration de la substance létale, celle-ci est réalisée à sa demande, soit par une personne volontaire qu'elle désigne lorsqu'aucune contrainte n'y fait obstacle, soit par le professionnel de santé présent. Quelle est votre position à ce sujet ?
Monsieur Derville, que pensez-vous de la clause de conscience prévue par le texte pour protéger les soignants ?
Monsieur Denis, docteur Labayle, quelles sont vos propositions pour améliorer le texte en lien avec les « court et moyen termes » mentionnés ? Les personnels paramédicaux peuvent-ils jouer un rôle pour évaluer la souffrance des soignants ?
Docteur Labayle, comment faire évoluer l'article 17 si vous estimez qu'il est insuffisant ?
Madame Bourgninaud, pouvez-vous entendre qu'un malade veuille arrêter les soins à un moment donné, malgré la présence active de sa famille et la qualité de l'équipe soignante ?
En tant que cancérologue, j'observe que le caractère incurable ne survient pas du jour au lendemain, mais au terme de l'évolution d'une maladie.
Ensuite, tout patient, même au stade terminal d'un cancer, peut évidemment exprimer sa volonté de manière autonome. Mais il ne faut pas négliger le fait qu'un patient lourdement traité, en fin de course d'une maladie grave, pourrait donner lieu à des témoignages discordants d'une période à l'autre.
Madame Fiat, je ne me permettrai jamais de juger l'acte que posent les personnes malades. Simultanément, la désespérance d'une personne en fin de vie doit être reçue dans toute sa complexité et son ambivalence. La mort est la dernière grande action de la vie et d'une certaine manière, l'accompagnant procède à ce moment-là à un travail qui peut se rapprocher de celui d'un accoucheur. Enfin, je n'arrive pas à comprendre en quoi l'injection d'un produit létal diffère du fait de tuer. Administrer la mort ne sera jamais un soin.
Monsieur Falorni, pour nous, l'essentiel consiste à faire en sorte que le malade soit au centre de sa décision, et à respecter sa dernière liberté. Je m'oppose totalement à l'idée de tuer, qui consiste à retirer la vie de l'autre avec violence. En l'espèce, nous sommes dans le domaine de la compassion, de la réponse à une demande.
La dépénalisation est importante pour les médecins, qui ne peuvent pas travailler sous la menace d'une poursuite judiciaire ou de suspension par l'Ordre des médecins. Les médecins belges ne sont pas moins soignants en accompagnant leurs malades jusqu'au bout que les médecins français qui refusent de le faire.
Ensuite, il ne faut pas multiplier les critères, car ils risqueraient de rendre la loi inapplicable. Nous demandons également qu'une commission vérifie que l'application de la loi est bien conforme à son esprit.
Par ailleurs, le mot « terme » n'est pas acceptable, car il n'est pas réalisable ni médical. La souffrance doit être appréciée par le malade, la réponse médicale au choix du malade doit être prise après une écoute collégiale, mais repose sur la responsabilité du seul médecin qui le suit, sous le contrôle d'un autre médecin ou soignant. L'accompagnement humain au geste, cette solidarité dont je ne nie pas la difficulté émotionnelle, peut être selon nous réalisé par le médecin ou une autre personne.
Je partage totalement les propos du Dr Labayle. L'incurabilité et l'expression des souffrances physiques ou psychiques insupportables par le patient, doivent être la base de cette demande d'accompagnement. Je suis favorable à ce que le médecin se prononce sous un délai de quatre jours et non de quinze jours, ainsi qu'à une commission de contrôle et d'évaluation de la loi, mais également une commission de contrôle de la sédation profonde et continue jusqu'au décès. Nous proposons que des associations accompagnent les personnes effectuant cette demande d'aide active à mourir et assumerons notre rôle fraternel et humaniste d'accompagnement jusqu'au bout, dans la dignité.
Nous sommes extrêmement préoccupés par la définition des soins palliatifs dans ce texte, qui les réduit à la lutte contre la douleur. Si les maisons d'accompagnement sont a priori attrayantes, nous craignons qu'elles soient des lieux de confusion. Cette aide, qui devrait être demandée par la personne, va finir par être proposée par la société, comme cela se passe au Canada. Pour Alliance Vita, la prévention du suicide ne souffre aucune exception. Nous redoutons une forme de fraternité à l'envers, même si elle est bien intentionnée, et le basculement vers une levée de cet interdit du passage à l'acte de tuer.
Le serment d'Hippocrate protège le soignant quand il précise : « Je ne donnerai à personne du poison, même si l'on m'en fait la demande ». Au nom de l'autonomie du patient, la loi fait endosser au médecin la décision du passage à l'acte éventuel.
Le serment d'Hippocrate a évolué dans le temps. La dernière version, celle de 2012, indique que les médecins n'aident pas à mourir, mais précise également qu'il faut respecter la volonté du malade, traiter les souffrances et ne pas prolonger abusivement les agonies. Comment y parvenir sans augmenter les doses de sédatif, ce qui est une manière humaine d'aider à mourir ?
La loi de 2016 constitue effectivement un échec, car elle est très peu pratiquée. Je vous conseille de lire le texte de la HAS, dont je ne veux pas. En effet, je ne veux pas que mon corps soit déshydraté, je ne veux pas avoir une sédation fluctuante. Nous proposons que l'aide active à mourir puisse être réalisée sous la forme d'une injection létale ou d'une sédation à l'aide de sédatifs à doses rapidement croissantes permettant une agonie rapide. La plupart des patients souhaitent s'endormir sans douleurs : faisons en sorte de répondre à leurs demandes.
Le texte ne prévoit aucunement un « permis de tuer ». L'article 5 précise bien que le patient effectue sa demande et que la seule proposition du médecin porte sur les soins palliatifs. Si l'un de vos proches vous demandait de l'aider dans sa détresse, que feriez-vous ?
Docteur Labayle, la légalisation apparaît comme une porte ouverte qui vous permettrait, à titre personnel, de poursuivre plus tranquillement cette activité. Au nom de quel principe vous sentez-vous au-dessus des lois depuis si longtemps ?
Monsieur Denis, votre association n'hésite pas à affirmer de manière inexacte que les soins palliatifs feraient mourir les malades de faim et de soif, ce qui constitue une déformation grave et diffamatoire de la pratique médicale. Comment votre association peut-elle continuer à prétendre que ce projet de loi constitue un progrès social et une amélioration des soins ?
Monsieur Denis, docteur Labayle, n'est-il pas temps de reconnaître et respecter pleinement les directives anticipées en prenant en compte la situation de personnes atteintes d'une maladie incurable mais dont le pronostic ne serait pas forcément engagé immédiatement ou à moyen terme ?
Ne faudrait-il pas permettre l'amnistie des personnes condamnées pour avoir préparé leur fin de vie illégalement en se procurant des substances destinées à des procédures de fin de vie médicamenteuse et l'amnistie des professionnels de santé condamnés pour euthanasie ou aide au suicide assisté, en cas de consentement avéré du patient ?
Monsieur Le Méné, en quoi respecter la volonté d'un patient qui demanderait l'aide à mourir reviendrait à imposer le choix à celles et ceux qui ne veulent pas y recourir ?
Si la loi était votée, l'ADMD ne cache pas sa volonté de la faire évoluer vers une loi du libre choix, sans aucune obligation pour quiconque. Monsieur Labayle, disposez-vous de données scientifiques solides pour étayer l'idée que la sédation profonde et continue peut durer trop longtemps ?
Le handicap, aussi important soit-il, n'engage pas un pronostic vital. Quels ont été les obstacles à l'application de la loi Claeys-Leonetti ? Les directives anticipées devraient-elles être obligatoires dans le dossier médical ? L'accumulation des souffrances n'abolit-elle pas la dignité du malade ? Comment envisagez-vous le rôle de vos associations dans le cadre des futures maisons d'accompagnement ?
Monsieur Denis, bien que je sois un fervent défenseur de l'aide à mourir, je ne veux pas éluder un point de doute au regard des ouvertures que vous proposez, notamment celles relatives aux maladies neurodégénératives.
Monsieur Le Méné, Fa fondation Jérôme Lejeune considère dans une de ses publications que « la loi naturelle antérieure au christianisme s'impose à tous, y compris à la République, [elle] est la seule façon d'empêcher la civilisation de basculer dans la barbarie ». Je confirme que rien ne s'impose à la République, surtout pas quelques lois naturelles. Quelle serait votre position si nous introduisions un délit d'entrave concernant l'aide à mourir ?
Je rappelle que le projet ne permet pas de proposer l'aide à mourir à une personne qui serait tétraplégique.
Messieurs Le Méné et Derville, le débranchement d'une personne ou la sédation profonde constitue-t-ils pour vous un acte d'aide à mourir ?
Monsieur Denis, quelles seraient les conditions permettant aux directives anticipées de relever du soin et au malade d'avancer ses priorités quant à sa fin de vie ?
Ce texte insiste sur la demande du patient, précise les critères d'accès et renforce les soins palliatifs et l'accompagnement. Comment améliorer et accompagner la rédaction des directives anticipées ? Comment peuvent-elles être envisagées au moment de la perte de discernement et de l'impossibilité à les réitérer ?
J'insiste aussi sur le flou entourant les propositions relatives à la personne de confiance et la nécessité d'améliorer la formation à la douleur et l'accompagnement.
Enfin, de quelle manière la décision collégiale doit-elle s'envisager ?
Docteur Labayle, comment pouvez-vous justifier sur le fond que ce projet de loi ne soit qu'une question individuelle et non une question collective ?
Je précise à l'intention d'Alliance Vita et de la Fondation Jérôme Lejeune que ce texte n'ouvre pas l'aide active à mourir à tout un chacun, mais prévoit des conditions d'accès et une clause de conscience pour les soignants. Docteur Labayle, monsieur Denis, de quelle manière envisagez-vous que les directives anticipées soient la pièce centrale du dispositif ? De quelle manière les renouveler ?
Dr Labayle, que se passerait-il si le médecin n'arrive pas à consulter dans un délai de quatre jours ?
Si le texte du projet de loi avait existé en leur temps, Vincent Lambert, Vincent Humbert, Chantal Sébire auraient-ils eu accès à l'aide à mourir ?
Enfin, à l'issue de ces auditions, j'émets des doutes quant à la pertinence de permettre à un proche d'exercer cette aide à mourir, compte tenu des conséquences. Quelle est votre position à ce sujet ?
Monsieur Denis, docteur Labayle, vous militez pour une ouverture plus large du champ de la loi, notamment aux maladies chroniques, qui suscite de grandes inquiétudes chez les associations de personnes en situation de handicap. Comment concilier votre position avec la mise en place de garde-fous ? Vous semble-t-il nécessaire de mettre en place des protocoles, notamment pour les médecins qui recevront les demandes d'aide à mourir ?
Plusieurs établissements ont commencé à évaluer leur pratique de la sédation profonde et terminale. Dans mon institution, elle est inférieure à quarante-huit heures et les patients ne meurent pas de déshydratation. La loi Claeys-Leonetti a aussi permis de favoriser le dialogue entre professionnels de santé et une médecine collégiale et intégrative, en écoutant les patients. Je redoute que ce processus bénéfique ne soit interrompu pour s'orienter vers un engrenage délétère.
Madame Rousseau, votre question importante témoigne du flou et de la confusion qui entourent la terminologie d'« aide à mourir », qui rend attractive une réalité confuse. Débrancher une personne ou administrer une sédation profonde et continue ne relève pas de l'euthanasie mais d'une médecine proportionnée. Il est toujours possible de soulager, sans jamais tuer.
La clause de conscience est absolument indispensable, mais également insatisfaisante. Nombre de soignants qui l'activeront se retrouveront rejetés de leurs propres institutions, comme en témoigne l'exemple belge, conduisant à une fracturation des équipes médicales. Des institutions qui essayent de vivre dans l'accompagnement seront obligées d'accueillir en leur sein une pratique qu'elles réprouvent. Notre position, dans sa radicalité assumée, estime que nous sommes tous mortels et que l'enjeu consiste à apaiser et soulager, en conservant l'interdit du passage à l'acte, pour protéger les plus fragiles.
Madame Dogor-Such, j'ignore par quels moyens vous parvenez à mesurer la clandestinité. Ensuite, je le réaffirme : le fait de réfléchir concrètement à ses propres directives anticipées permet de penser la mort, sa propre mort. Selon moi, les soins palliatifs et l'aide à mourir doivent être conçus dans une conception républicaine de laïcité et de tolérance.
La loi de 2016 pose problème ; elle est méconnue des médecins, mais aussi des politiques. Je ne veux pas du texte de la HAS, qui considère que la déshydratation est un soin. De nombreux témoignages attestent par ailleurs que la sédation peut durer bien au-delà de quarante-huit heures, parfois plusieurs semaines.
Ensuite, le projet de loi comporte effectivement le risque d'oublier les personnes atteintes de maladies graves et incurables à évolution lente. Les directives anticipées sont effectivement essentielles mais insuffisamment publicisées et ne constituent pas une obligation dans les dossiers médicaux.
Par ailleurs, il est exact que les soignants sont insuffisamment formés à la souffrance et à la mort. Je rappelle qu'il était impossible d'utiliser les sédatifs à domicile jusqu'en septembre 2022, soit six ans après le vote de la loi. Enfin, il me semble important d'établir à la fois un contrôle de la loi, mais aussi de son application.
Pouvez-vous m'indiquer une étude montrant que les sédations profondes durent très longtemps ? Je n'en connais pas pour ma part.
De très nombreux témoignages l'attestent. Pouvez-vous m'indiquer une étude attestant de l'inverse ?
Comme l'indiquent MM. Labayle et Denis, les critères extrêmement précis de terme et de mesure de la souffrance ne peuvent tenir ; ils ne permettent donc pas à la loi de se mettre en œuvre. Finalement, le critère qui sera retenu à terme sera celui de l'appréciation de la personne, son ressenti, ce qui matérialisera la véritable logique de la transgression de l'interdit de tuer, que la loi escamote en lui préférant le terme apparemment plus présentable d'« aide à mourir ».
Ensuite, je suis opposé aux directives anticipées obligatoires auxquelles nous aboutiront in fine : il n'y a aucun sens à demander à une personne jeune et en bonne santé de les établir. Je pense en outre qu'un délit d'entrave verra effectivement le jour ; je n'y suis pas favorable.
Monsieur Guedj, vous avez souligné que rien ne s'oppose à la loi républicaine, mais il est extrêmement inquiétant que celle-ci s'émancipe du moindre référencement moral. Je pense qu'il existe des lois non écrites inscrites au cœur de l'homme, comme l'interdit de tuer.
Les personnes gravement malades ont besoin de soins et quand la thérapeutique atteint sa limite, il reste toujours le facteur humain. Les valeurs de fraternité et de non-abandon doivent être absolument inconditionnelles. Face à l'appel d'une seule personne, toute une société doit tendre la main : la détresse et la vulnérabilité imposent la relation d'aide. Le respect de la vie permet de faire société ; l'interdit de tuer protège les sociétés de la logique de la loi du plus fort. Enfin, pour être libre, il faut d'abord être vivant ; il existe bien une priorité des valeurs de vie sur la liberté.
Madame Dogor-Such, l'ADMD n'a jamais diffamé les soins palliatifs, que nous soutenons. Je ne suis pas un militant de l'euthanasie, ni du suicide assisté, mais un militant du libre choix, c'est-à-dire ce champ des possibles que je vous ai décrit tout à l'heure.
Si j'estime que certains points du projet de loi doivent être encore améliorés, il n'existe pas d'agenda caché de l'ADMD sur des étapes supplémentaires que nous demanderions. La proposition de loi de l'ADMD parle ainsi d'un stade avancé ou terminal, même en l'absence de pronostic vital engagé à brève échéance.
Ensuite, l'État doit absolument conduire des campagnes de communication et de mobilisation en faveur des directives anticipées. Je ne suis pas favorable à une obligation des directives anticipées, mais encourage évidemment toutes celles et tous ceux qui le souhaitent à y réfléchir.
Monsieur Guedj, l'ADMD parle des maladies à évolution lente et neurodégénératives, qui sont elles aussi reliées aux directives anticipées. Si ces directives anticipées ont été rédigées en toute conscience, il est nécessaire qu'elles puissent être appliquées au moment de l'accompagnement, quel qu'il soit.
Monsieur Vigier, l'ADMD remplira naturellement son rôle d'accompagnant, notamment dans les hôpitaux. Je partage par ailleurs les propos du Dr Labayle concernant la formation et suggère que nous nous inspirions de ce qui est pratiqué en la matière en Belgique.
Enfin, monsieur Pont, j'ai accompagné mon père, mais un médecin a fait le geste. Si demain, on me demandait de pratiquer le geste, je le ferais.
La réunion s'achève à onze heures quinze.
Présences en réunion
Présents. – M. Christophe Bentz, Mme Anne Bergantz, Mme Chantal Bouloux, Mme Laurence Cristol, Mme Christine Decodts, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Olivier Falorni, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, M. Thierry Frappé, M. Raphaël Gérard, M. Jérôme Guedj, Mme Marine Hamelet, M. Philippe Juvin, M. Gilles Le Gendre, Mme Élise Leboucher, Mme Brigitte Liso, Mme Lise Magnier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Didier Martin, Mme Michèle Peyron, M. Sébastien Peytavie, M. René Pilato, Mme Christine Pires Beaune, Mme Lisette Pollet, M. Jean-Pierre Pont, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cécile Rilhac, Mme Danielle Simonnet, M. Nicolas Turquois, M. Philippe Vigier
Assistait également à la réunion. – Mme Sandrine Rousseau