La séance est ouverte à neuf heures cinquante.
(Présidence de Mme Isabelle Rauch, présidente)
La commission organise une table ronde en lien avec les États généraux de l'information réunissant M. Antoine Chuzeville, co-premier secrétaire général, Mme Aziliz Le Berre et M. Alexandre Buisine, secrétaires généraux du Syndicat national des journalistes (SNJ) ; M. Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes CGT (SNJ CGT) ; Mme Élise Descamps, secrétaire générale de l'Union syndicale des journalistes (CFDT Journalistes) et M. Laurent Villette, secrétaire confédéral en charge de la presse (F3C-CFDT) ; M. Tristan Malle, secrétaire général du Syndicat général des journalistes-Force ouvrière (SGJ-FO).
Mes chers collègues, nous recevons ce matin les représentants des syndicats représentatifs des journalistes pour la suite du cycle de travaux menés par notre commission en lien avec les États généraux de l'information (EGI). Je souhaite la bienvenue à M. Antoine Chuzeville, co-premier secrétaire général, ainsi qu'à Mme Aziliz Le Berre et M. Alexandre Buisine, secrétaires généraux du syndicat national des journalistes (SNJ) ; à M. Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes CGT (SNJ-CGT) ; à Mme Élise Descamps, secrétaire générale de l'Union syndicale des journalistes (CFDT-Journalistes) et M. Laurent Villette, secrétaire confédéral en charge de la presse (F3C-CFDT) ; et à M. Tristan Malle, secrétaire général du Syndicat général des journalistes-Force ouvrière (SGJ-FO).
Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour échanger avec les membres de la commission sur les questions liées à la production de l'information et les enjeux propres à l'exercice du métier de journaliste. Mon collègue Inaki Echaniz et moi-même, sommes rapporteurs d'une mission d'évaluation de l'impact de la loi n° 2016-1524 du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche. Au cours de nos travaux, nous avons constaté que depuis la promulgation de la loi en 2016, les transformations du paysage informationnel déjà à l'œuvre n'ont cessé de se renforcer, voire de s'accélérer, qu'il s'agisse de l'importance croissante des canaux de diffusion numériques, et particulièrement des réseaux sociaux, ou de la viralité et la continuité du cycle de l'information.
Comment analysez-vous les conséquences de ces phénomènes sur la production d'une information fiable et indépendante ? Quels en sont selon vous les impacts très concrets sur le travail des journalistes ? Aujourd'hui, les sources d'information se sont diversifiées et multipliées, modifiant les habitudes, notamment celles des plus jeunes. Selon vous, comment faire en sorte de renforcer l'identification par le public de l'information vérifiée ? Faut-il introduire des processus de labellisation ou de certification, tels que le Journalism Trust Initiative ? Faut-il mener des actions d'éducation aux médias spécifiques et, si oui, lesquelles seraient alors les plus pertinentes à votre avis ?
Le métier de journaliste est soumis à une déontologie particulière énoncée dans de grands textes, tels que la charte d'éthique professionnelle des journalistes du Syndicat national des journalistes ou la charte de Munich de 1971. Mais ces principes sont soumis aux pressions très fortes exercées sur les journalistes. Comment, selon vous, mieux garantir la mise en œuvre de ces principes ? De façon plus générale, le renforcement des garanties déontologiques passe-t-il par la création d'un organisme tiers indépendant, qui pourrait ressembler au conseil de déontologie journalistique et de médiation ; ou par un accroissement des pouvoirs de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) ?
Enfin, nous savons que la mission d'informer ne peut être détachée des conditions économiques de sa réalisation. Comment analysez-vous les transformations capitalistiques intervenues ces dernières années dans le secteur des médias ? Quelles sont les conséquences de la migration des revenus publicitaires vers le secteur numérique ? Quels en sont les effets sur les médias dits traditionnels ? Selon vous, cela doit-il conduire à repenser les règles de la concentration ?
Au nom de l'intersyndicale, je souhaite vous donner lecture préliminaire d'un texte rédigé hier soir en relation avec l'actualité législative.
« Rallongement de la prescription du droit de la presse. C'est encore une fois la liberté d'informer que l'on bâillonne. Les parlementaires ont décidément de plus en plus de mal avec la liberté d'expression. À l'occasion du débat au Sénat sur la proposition de loi renforçant la sécurité des élus locaux, un amendement déposé conjointement par la sénatrice LR Catherine Di Folco et le groupe Socialiste modifie la loi de 1881 sur la presse. L'article deux bis de cette proposition prévoit que, pour les délits de diffamation ou d'injure publique contre un élu ou une personne dépositaire de l'autorité publique, le délai de prescription soit rapporté de trois mois à un an, faisant une loi d'exception pour les seuls élus.
Ce texte a été débattu ce mercredi 7 février à l'Assemblée nationale en dix minutes, révèle le journal d'information Médiapart. Si la députée Renaissance Violette Spillebout l'a limité aux seuls élus locaux ou nationaux et aux candidats à un tel mandat, la proposition enfonce un coin sans précédent dans le fragile équilibre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse en France, qui fait figure de modèle, jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme, pour la défense de la liberté d'expression. Le SNJ, le SNJ-CGT, la CFDT-Journalistes et le SGJ-FO, organisations syndicales représentatives de journalistes en France, condamnent avec la plus grande fermeté cette modification d'une des lois les plus protectrices de la liberté d'expression, de la liberté d'informer et d'être informé.
Ce rallongement du délai de prescription ferait planer une épée de Damoclès sur le traitement de l'actualité politique, avec le risque de voir, durant un an, un élu ou un candidat s'en prendre à un ou une journaliste ou à un éditeur de presse si la suite de son mandat venait à subir les conséquences d'informations délivrées par un organe de presse. C'est aussi une pression financière supplémentaire mise sur les éditeurs, journalistes et organisations de défense de la profession, avec un risque d'inflation des procédures et de leurs coûts.
C'est un coup porté contre la démocratie dans son ensemble. Les journalistes auraient le droit d'enquêter et de faire leur travail d'investigation, sauf à s'intéresser de trop près aux affaires politiques de ce pays. On marche sur la tête. La liberté d'expression ne peut se négocier. Si les éditeurs de presse et les journalistes, depuis plus d'un siècle, peuvent avoir à rendre des comptes devant les tribunaux du poids de leurs écrits, il n'est pas question qu'une catégorie de citoyens qui par ailleurs, sont aux manettes du pouvoir législatif, puisse exercer une pression intolérable sur la liberté d'informer des rédactions.
Alors que les États généraux de l'information sont en cours et que les propositions citoyennes font état d'une demande de transparence, cette proposition des députés nous apparaît comme un camouflet au libre exercice du journalisme. L'intersyndicale des journalistes s'oppose catégoriquement à cette modification de la loi de 1881 et demande le retrait immédiat de cet article deux bis de cette proposition de loi. Contactée, Violette Spillebout, députée Renaissance et rapporteure, s'est dite ouverte à une table ronde rapide avant la commission mixte paritaire (CMP) prévue fin février. L'intersyndicale déposera une question prioritaire de constitutionnalité si cette proposition de loi est adoptée en l'état. »
Je vais m'exprimer à présent au nom du SNJ. Madame la présidente de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de nous recevoir et de nous entendre dans le cadre de vos travaux sur les États généraux de l'information.
Le 2 octobre dernier, le Président de la République a adressé une lettre de mission au comité de pilotage de ces États généraux. Dans cette lettre, il rappelle notamment que « l'information dont tout citoyen a besoin doit être conçue et présentée dans le respect des principes de liberté, d'indépendance, de pluralisme et de fiabilité ». Cette mission – informer les citoyens – est celle des dizaines de milliers de journalistes que nous représentons aujourd'hui. À ce titre, nous devons rappeler ici que cette mission est aujourd'hui très difficile à mener. Depuis le mois d'octobre, nous n'avons pas été souvent sollicités par les EGI. Nous n'avons pas été beaucoup associés à leurs travaux. Nous le regrettons, mais quand nous l'avons été, nous avons à chaque fois rappelé les nombreuses urgences auxquelles notre profession est confrontée.
En introduction, nous souhaitons brièvement rappeler cinq de ces urgences. Premièrement, il faut lutter contre la dislocation des rédactions. Une information libre, indépendante, pluraliste et fiable ne peut pas se construire sur des professionnels fragilisés, menacés, précarisés. Le SNJ le rappelle inlassablement depuis plus d'un siècle : la sécurité matérielle et morale est la base de l'indépendance du journaliste. Nous en reparlerons en détail si vous le souhaitez, mais le constat est accablant. La vie de nombreux titres de presse en France est rythmée par les suppressions de postes, les licenciements. Dans certains départements, le risque est grand de voir disparaître à très court terme l'essentiel de la presse locale.
Au sein des entreprises de presse qui tiennent encore, les CDI se raréfient au profit de contrats précaires, parfois illégaux. Les employeurs ont, hélas, de plus en plus recours à des modes de rémunération qui ne respectent pas ce que prévoit le code du travail. Ces délits sont régulièrement condamnés, mais cela ne suffit pas. Notre profession est aujourd'hui morcelée, paupérisée, ce qui a évidemment des conséquences sur la production de l'information et sur sa qualité. L'État doit intervenir pour mettre fin à ces pratiques. Les aides publiques à la presse doivent être conditionnées au respect du droit du travail.
Deuxièmement, la protection des sources d'information doit être améliorée. Le SNJ souhaite que la loi de 2010 sur le respect de la protection des sources soit renforcée en précisant la notion d'impératif prépondérant d'intérêt public ; le SNJ souhaite également qu'elle soit consolidée, afin notamment d'empêcher l'espionnage des journalistes, mais aussi les poursuites judiciaires sous couvert d'atteinte au secret des affaires, par exemple.
Par ailleurs, sur ce point, la notion de secret-défense ne peut pas être utilisée de manière illimitée. Notre profession a été particulièrement choquée par la garde à vue récente de la journaliste Ariane Lavrilleux, autrice d'une enquête sur les liens militaires entre la France et le
régime égyptien. Il faut également mettre un terme aux procédures-bâillon. Toutes ces pressions et ces intimidations sont des menaces graves pour la liberté de la presse.
Troisièmement, l'indépendance des rédactions passe par un renforcement des droits collectifs des journalistes. C'est pourquoi le SNJ préconise, entre autres, la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle. Nous sommes d'ailleurs à votre disposition pour détailler cette proposition.
Quatrièmement, il s'agit de créer urgemment un cadre déontologique commun à toutes les entreprises de presse. Pour le SNJ, qui a publié sa première charte d'éthique professionnelle en 1918, rien ne sera plus efficace qu'un socle déontologique unique pour l'ensemble des rédactions. Des textes de référence existent aujourd'hui, et il est grand temps qu'ils soient annexés à notre convention collective. Là encore, nous souhaitons que l'État intervienne. Nous proposons par exemple que les aides publiques à la presse ou la signature des conventions par l'Arcom soient conditionnées à l'adhésion des médias écrits ou audiovisuels à une instance déontologique indépendante, comme le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) créé en 2019.
Enfin, pour conclure, le SNJ rappelle son attachement à un financement pérenne et indépendant de l'audiovisuel public, qui est aujourd'hui l'un des principaux employeurs de journalistes en France. La suppression de la redevance audiovisuelle n'a pas été suivie de mesures garantissant durablement ce financement et cette indépendance. Il nous paraît indispensable et urgent d'y remédier, tout comme il nous paraît indispensable de développer le maillage territorial de l'audiovisuel public et de préserver l'existence de rédactions distinctes en son sein. La priorité n'est pas à la création d'une superstructure de type holding, mais bien au développement de l'offre d'information, en particulier l'information de proximité.
Nous sommes à votre disposition pour développer ces points qui nous semblent essentiels pour renforcer une information libre, fiable et indépendante, et cette liste n'est évidemment pas exhaustive.
Nos quatre syndicats sont représentatifs de la profession ; l'intersyndicale est forte et unie. Je me reconnais totalement dans les propos de mon camarade Antoine Chuzeville, à l'exception de ceux concernant l'instance de déontologie.
Le problème ne date évidemment pas de la loi Bloche de 2016. Notre première déclaration en faveur de la reconnaissance juridique de l'équipe rédactionnelle date de 2008. Mais nous avons l'impression de ne jamais être entendus, et que tout se décide sans nous. L'épisode d'hier révélé par Médiapart est stupéfiant. Comment des élus du peuple peuvent-ils prendre de telles dispositions sans s'adresser d'abord aux syndicats de journalistes ? Nous avons rencontré le même problème avec le gouvernement sur le schéma national de maintien de l'ordre dans la loi dite « sécurité globale ».
Secrétaire général du SNJ-CGT depuis 2010, je suis journaliste chez Géo, dans le groupe Prisma Media, qui a été racheté par Vincent Bolloré en juin 2021 et peux vous certifier qu'il n'est pas facile de travailler sous la coupe d'un milliardaire qui cherche à bâtir un groupe de presse d'extrême droite. Nous luttons depuis plus de quinze ans contre le phénomène de concentration des médias. Pendant quinze ans, on nous a dit que sans les milliardaires, la presse sombrerait, faute de financements. Mais avec eux, avec les Bolloré et les Dassault, la casse sociale est immense. Nous sommes passés de 40 000 à 34 000 journalistes en huit ans.
Quand M. Bolloré a racheté le premier groupe de presse magazine, Prisma Media, la moitié des journalistes a décidé de partir, en exerçant leur droit à la clause de cession. Il en a remplacé 40 % et nous sommes passés de 400 à 360 cartes de presse, pour accomplir le même travail. Cette situation n'est plus tenable, alors que nous nous apprêtons à fêter les 80 ans du programme du Conseil national de la résistance, dont les premières ordonnances portaient sur la liberté de la presse et la concentration.
Nous attendons d'abord de ces États généraux qu'ils assurent le pluralisme en luttant contre la concentration, en refondant complètement la loi de 1986. Nous avons peu d'espoir, mais nous maintiendrons toujours notre position, car dans les rédactions, nous subissons la pression de ces milliardaires. Il faudrait ainsi refondre la loi de 1986 en abaissant les seuils de concentration des médias, en intégrant pour leur calcul l'ensemble des supports papier et numérique et en supprimant le critère de périodicité.
Les seuils doivent prendre en compte la concentration horizontale – le nombre de titres détenus –, mais aussi verticale, c'est-à-dire inclure les activités en amont et en aval de la seule production des diffusions d'informations. Ces seuils doivent s'appliquer au niveau national, mais aussi niveau régional : dans la plupart des métropoles de France, il n'existe souvent plus qu'un seul quotidien. Dans l'est de la France, le Crédit Mutuel et le groupe Ebra ont créé un petit bureau à Paris avec une vingtaine de journalistes qui produisent l'ensemble de l'information nationale et internationale pour l'ensemble du groupe, limitant les titres du groupe à l'information locale.
Nous n'en pouvons plus de cette situation, notre profession va très mal. Aujourd'hui, 30 % des journalistes sont précaires, ce qui pousse 40 % des jeunes journalistes à quitter la profession au bout de sept ans.
Nous constatons que la place des journalistes dans la société est de moins en moins comprise et nous ne nous sentons plus faire partie du paysage quotidien des citoyens, comme des personnes qui façonnent notre pays, notamment les élus. Nous manquons de temps pour bien travailler, nous manquons de sécurité. Nous avons besoin de travailler sans entrave, nous avons besoin que la liberté de la presse soit réaffirmée et d'être soutenus par nos employeurs et par les pouvoirs publics, mais nous nous voyons à l'inverse décrédibilisés par des élus ou des entreprises.
À titre illustratif, laissez-moi évoquer un exemple. Il y a quelque temps, le journal La Provence avait publié un article sur le contrôle de la chambre régionale des comptes concernant la commune d'Éguilles. En réaction, le maire a écrit à ses administrés pour leur tenir les propos suivants : « Il faut considérer que nous n'avons plus de presse informative et objective, seulement une presse partisane et politisée qui s'empresse de ronger un os dès qu'elle le peut, une presse qui n'aborde jamais le fond et qui a pour seul but de soulever des polémiques. Quel dommage. Aujourd'hui, être journaliste de presse locale, c'est trouver un titre-choc, posséder un bon appareil pour enregistrer, puis sortir quelques phrases hors contexte, et voilà, c'est écrit. Mais surtout, employer le conditionnel et faire jaillir le doute chez le lecteur. »
Je souhaite insister sur deux points : l'éducation aux médias et la précarité des journalistes. Les citoyens constituent pour nous la priorité et nous pensons que l'éducation aux médias doit vraiment représenter un volet important de l'action publique, qui doit y consacrer des moyens plus élevés. S'il faut apprendre à développer un esprit critique, il convient au préalable de donner le goût de l'information aux plus jeunes. Comment les citoyens peuvent-ils s'informer s'ils n'ouvrent jamais un journal, s'ils n'écoutent jamais une radio, s'ils ne suivent jamais un programme d'information à la télévision ? Pour y parvenir, il faut renforcer le pluralisme, payer des journalistes pour intervenir dans le cadre de l'éducation aux médias, non seulement pour témoigner de leurs pratiques, mais également de la démarche journalistique, de leurs doutes et dilemmes. Le journalisme n'est pas une science exacte, mais un véritable artisanat.
Ensuite, les journalistes sont victimes de la précarité. Aujourd'hui, un quart de la profession est pigiste ou enchaîne les CDD. Malheureusement, des groupes de presse font enchaîner à des dizaines de journalistes des CDD d'une journée. Pourtant, la loi Cressard de 1974 impose la présomption de salariat : tout journaliste doit être salarié. Nous demandons en premier lieu que cette loi soit respectée et que des moyens soient consacrés pour ce faire, qu'il s'agisse de contrôleurs Urssaf ou d'inspecteurs du travail. Des cellules doivent y être dédiées au sein du ministère du travail, mais aussi en interministériel, afin de combattre ces dérives. Enfin, nous avons besoin d'un statut pour les pigistes à l'étranger, qui ne sont pas protégés.
Le syndicat général des journalistes-Force ouvrière estime que l'avenir des médias d'information passe d'abord par le respect de l'information due aux citoyens ; il s'agit d'un enjeu démocratique, qui permet de former des citoyens à part entière en France. Cela nécessite que l'information soit fondée sur les faits et non sur les commentaires plus ou moins éclairés, les opinions, voire la propagande que nous voyons se déverser aujourd'hui à flux continu dans un certain nombre de médias et qui sont à l'origine de la défiance de plus en plus généralisée de nos concitoyens vis-à-vis des médias.
Bien évidemment, cette situation dépend de l'organisation capitalistique de la presse française, de plus en plus concentrée entre quelques mains. La concentration est aujourd'hui de deux ordres : d'une part, la concentration des médias eux-mêmes et, d'autre part, la concentration liée aux Gafam. De fait, de nombreux patrons de presse ont prêté allégeance aux Gafam en échange de l'utilisation de contenus journalistiques et ils se sont pliés à toutes leurs exigences, notamment sur les formats ou l'immédiateté de l'information.
Ces pratiques engendrent une information de piètre qualité, destructrice des emplois et des droits des salariés, où des algorithmes dictent en grande partie la consommation de la presse. En optant pour le tout numérique, un grand nombre d'employeurs et de patrons de presse ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis.
Ensuite, sans libertés publiques, il n'y a pas ni presse ni information indépendante. Or depuis 2015, notre pays est engagé dans une dérive autoritaire qui s'est traduite par un certain nombre de remises en cause du droit de la presse. Par ailleurs, une série de lois-bâillons ont été mises en place. Nous pensons également qu'il faut revenir sur cette loi de 2010, qui ne constitue pas une garantie suffisante pour les journalistes.
Par ailleurs, nous considérons que le maintien des garanties collectives de la profession et du statut des journalistes reste la meilleure garantie pour la sauvegarde d'une presse pluraliste, d'une information au service de la démocratie et du citoyen. Nous déplorons une véritable dislocation des rédactions, dont les effectifs ne cessent de diminuer tout en étant de plus en plus précarisés et soumis à une pression constante et à des conditions de travail dégradées. Enfin, nous voudrions que les rédactions connaissent aujourd'hui un véritable débat sur les questions de déontologie et de ligne éditoriale. Il y a quelques jours, la société des journalistes (SDJ) du Parisien s'est encore interrogée pour savoir si son journal était toujours un journal généraliste populaire ou s'il s'agissait d'un journal de parti pris.
Dans ce domaine, tous les représentants syndicaux ne partagent pas les mêmes points de vue. De notre côté, nous sommes réticents à la mise en place d'un statut juridique des rédactions et à l'établissement d'un comité d'éthique par rédaction. Ces questions méritent d'être débattues et il aurait été souhaitable qu'elles le soient dans le cadre des États généraux de la presse, avec les intéressés.
La commission des affaires culturelles et de l'éducation a décidé de participer aux États généraux de l'information pour apporter sa contribution. Dans ce cadre, nous avons choisi d'auditionner un certain nombre d'acteurs, dont les journalistes. Vous avez pu constater que votre liberté de parole est totale dans cette enceinte, quand bien même certains de vos propos ce matin semblent un peu rudes et parfois injustifiés. Je cède la parole à mes collègues.
Je tiens à m'excuser auprès de vous, concernant cet article 2 bis, introduit par des sénateurs appartenant à ma famille politique, dont nous ne partageons ni le fond ni la forme. Nous avons bien évidemment voté sa suppression hier en séance et nous avons pris contact avec nos collègues afin que cet article soit supprimé ou largement réécrit par la future commission mixte paritaire (CMP). En effet, cet article ne correspond absolument pas au combat que nous menons depuis le début de cette mandature pour la liberté, l'indépendance et le pluralisme de la presse.
L'ensemble de vos propos fait écho aux travaux que nous menons depuis plusieurs semaines avec Isabelle Rauch. Quel regard portez-vous sur les déclarations de Mme Rachida Dati, ministre de la culture, concernant l'audiovisuel public, l'avenir de son financement et la réorganisation entre France Télévisions et les radios publiques ? Quel regard portez-vous sur la proposition de modification de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf) pour pérenniser le financement de l'audiovisuel public ?
Ensuite, certaines propositions transpartisanes concernent la possibilité d'instaurer un droit d'agrément pour la nomination des directeurs de rédaction. Quel regard portez-vous sur les différentes formes d'agrément ? Existe-t-il une formule plus pertinente que les autres ? Enfin, s'agissant des statuts et de la reconnaissance juridique des syndicats et des SDJ, quelles évolutions vous paraissent nécessaires ?
Je vous remercie pour votre présence et vos propos. Je voudrais que vous évoquiez la question de la protection de l'intégrité physique et morale des journalistes. Les violences à l'encontre des journalistes ne constituent pas un phénomène nouveau, non seulement en France, mais également dans de nombreux pays, y compris au sein de l'Union européenne. Les journalistes chargés de recueillir, vérifier et partager l'information sont victimes d'agressions de plus en plus nombreuses.
Dans le cadre de nos travaux, que pensez-vous notamment de l'idée d'ajouter les journalistes à la liste des personnes dont la qualité entraîne une circonstance aggravante lorsqu'elles sont victimes de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, comme c'est le cas pour d'autres professions ?
Je suis très heureuse que nous puissions entendre ici l'intégralité des syndicats représentatifs des journalistes. Lors de notre dernière audition, les sondeurs interrogés nous ont indiqué que les Français faisaient part simultanément d'un respect pour le travail des journalistes, mais aussi d'un certain rejet pour le système médiatique. Intuitivement, j'en déduis un lien entre la déontologie journalistique et un système plus ou moins protecteur de l'indépendance des journalistes et de leurs conditions de travail.
Vous avez évoqué la loi d'exception concernant les élus. Il ne vous aura pas échappé que mon groupe La France insoumise a voté contre cette atteinte à la liberté de la presse et, plus largement, contre toute la loi, au risque de se faire traiter de « parti antirépublicain » favorable aux violences contre les élus, quand bien même nous la subissons nous-mêmes. Il nous semblait en effet problématique d'adopter une loi qui puisse apparaître comme une loi d'exception et qui soit notamment un cheval de Troie pour la remise en cause d'un certain nombre de droits et libertés, notamment de la presse.
Face à la précarisation et au développement d'un journalisme non salarié, quelles seraient vos préconisations ? Estimez-vous que des évolutions législatives doivent être menées, notamment sur la question du temps et du nombre de sujets traités par les journalistes ? Face au phénomène de concentration des médias, quelles sont vos pistes de réflexion concernant les seuils de détention ? Comment reconnaître les rédactions et les sociétés de journalistes ?
Enfin, s'agissant de la protection juridique face aux procédures-bâillons et aux plaintes gouvernementales, envisagez-vous une évolution de la loi sur la protection des sources ? Faut-il la renforcer ? À l'inverse, faut-il revenir sur les lois concernant le secret des affaires et le secret-défense ? Enfin, faudrait-il un type de justice particulier pour traiter les délits de presse ? Le recours à la justice commerciale est-il une bonne chose ?
Je vous remercie de nous avoir fait part de votre réaction vive et légitime vis-à-vis de l'amendement adopté hier et nous pouvons effectivement espérer que la CMP modifie le texte sur ce point. Je vous remercie d'avoir également évoqué les problèmes de fond, ainsi qu'un certain nombre de solutions possibles. L'une d'entre elles consisterait déjà à appliquer certaines lois existantes et à en réviser d'autres.
La plupart des syndicats dénoncent l'opacité et la mise à l'écart des interlocuteurs sociaux et de la profession de ces États généraux. Vous sentez-vous mieux impliqués dans les travaux de ces EGI ? Le constat est-il toujours sans appel ? Quels ont été les retours sur les journées délibératives citoyennes qui se sont déroulées à la fin du mois de janvier et sur les contributions qui ont pu être réalisées par une centaine de citoyens ?
Ce matin, j'ai écouté sur France Inter, des témoignages au sujet de la situation de la Rai en Italie, certains qualifiant cette chaîne de « télé Meloni ». Nous entendons très régulièrement dans cette commission nos collègues d'extrême droite critiquer l'audiovisuel public et réclamer sa privatisation. Dans un scénario catastrophe, imaginez-vous que cette situation puisse également survenir en France ?
Enfin, pouvez-vous évoquer la détérioration des conditions de travail des correspondants à l'étranger, dont certains paient de leur vie notre droit à être informés ? Rémunérés à la pige, ils sont privés de contrat de droit français et donc de droits sociaux. Ma collègue, la sénatrice Mélanie Vogel, a d'ailleurs formulé des propositions à ce sujet.
Monsieur le député Echaniz, je vous remercie pour votre mise au point, qui fait plaisir à entendre, concernant le vote intervenu hier. La ministre de la culture Rachida Dati insiste très fortement sur la nécessité d'opérer des rapprochements, qui inquiètent au sein des sociétés d'audiovisuel public. Cela fait plusieurs années que nous voyons poindre derrière de tels projets de fusion la volonté de mener des mesures d'économie, de rationalisation et de réduction d'effectifs à France Télévisions, où je travaille. Nous ne pouvons nous résoudre à de tels projets pour l'audiovisuel public.
En matière de financement, nous sommes favorables à une taxe affectée pour l'audiovisuel public qui permette à ces sociétés de travailler sans épée de Damoclès au-dessus de leur tête, et de disposer d'une programmation budgétaire fiable, pluriannuelle et relativement indépendante des pouvoirs politiques.
Madame Legrain, vous nous avez posé des questions sur la précarité des journalistes et nos propositions législatives. Il faudrait tout d'abord que les soutiens, les autorisations, les conventionnements et renouvellements de conventionnement par des instances comme la commission d'attribution des aides publiques à la presse écrite ou l'Arcom soient conditionnés au respect de la loi. Il importe également que les salariés de ces entreprises soient mieux entendus, mieux écoutés, afin que les conditions de production de l'information soient prises en compte.
De notre côté, au-delà d'un droit d'agrément, nous sommes surtout favorables à un droit de veto, pas forcément sur une personne, car il faut se prononcer sur un projet dans son intégralité. Plus globalement, l'enjeu porte sur la capacité des rédactions à être garantes de l'identité éditoriale des titres. C'est la raison pour laquelle nous militons en faveur de la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles, pour leur permettre de disposer d'une capacité collective. Quand la loi de 1935 reconnaît un droit individuel avec la clause de conscience ou la clause de cession, nous militons pour un droit collectif.
Si l'obligation de création d'une équipe rédactionnelle rassemblant l'intégralité des journalistes voyait le jour, les pouvoirs attribués aux journalistes seraient bien plus établis que dans le cadre d'une SDJ qui ne représente parfois qu'une poignée de journalistes. Dès lors, conférer un pouvoir particulier à un objet mal défini ne nous paraît pas forcément constituer une bonne idée. Il s'agit de défendre au quotidien l'identité éditoriale, l'indépendance des journalistes vis-à-vis des élus, des acteurs économiques dont les propriétaires des journaux, plutôt que de se focaliser sur des votes d'agrément ponctuels.
Depuis la loi de 1986 sur les concentrations, déjà questionnables, nous avons changé de monde. Selon nous, il faut prendre en compte l'audience cumulée, tous supports confondus. Nous sommes naturellement favorables à une diminution des seuils, mais nous voyons bien que, plus globalement, la loi est inopérante et obsolète.
La loi Dati sur la protection des sources est plutôt protectrice, mais la notion « d'impératif prépondérant d'intérêt public » demeure assez floue. À ce titre, la loi belge pourrait servir d'exemple à suivre. Elle indique ainsi dans son article 4 : « Les personnes visées à l'article 2 ne peuvent être tenues de livrer les sources d'information visées à l'article 3 qu'à la requête du juge, si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes en ce compris les infractions visées à l'article 137 du Code pénal, pour autant qu'elles portent atteinte à l'intégrité physique, et si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions ; les informations demandées ne peuvent être obtenues d'aucune autre manière. » La loi belge est donc bien plus précise et restrictive.
S'agissant de l'intégrité morale et physique des journalistes, aujourd'hui, une agression est qualifiée d'infraction et ne devient un délit que lorsqu'une incapacité totale de travail (ITT) ou des facteurs aggravants sont constatés. Le SNJ n'est pas favorable à une modification de cette loi en l'état. En effet, aujourd'hui, les personnes particulièrement protégées exercent une mission de service public, ce qui n'est pas le cas des journalistes, même si l'on peut considérer qu'ils poursuivent une mission d'intérêt général. Nous ne voulons pas créer de distinction entre les journalistes et les citoyens, que nous côtoyons, et pour l'information desquels nous travaillons. Nous sommes très mesurés quant à la réelle efficacité d'une mesure qui voudrait protéger plus particulièrement les journalistes. Selon nous, il faudrait en revanche rappeler un respect de base de l'exercice de la liberté d'informer.
Ensuite, la deuxième mesure qui nous paraîtrait plus efficace concerne tout simplement le respect par les employeurs de leurs obligations de sécurité vis-à-vis de leurs salariés. Si un employeur estime que son salarié est en danger, il doit lui fournir l'équipement et les moyens financiers de se protéger efficacement dans l'exercice de ses fonctions ; ou systématiquement le représenter au tribunal correctionnel en cas d'agression.
Par ailleurs, la situation des correspondants à l'étranger illustre bien la déliquescence du respect du droit du travail par les employeurs vis-à-vis des journalistes. Ces journalistes travaillent sur tous les continents, fréquemment dans des zones de conflit ou des zones à risque. Sous couvert du respect des règles de territorialité de la sécurité sociale – aujourd'hui un citoyen français ne peut être couvert par la sécurité sociale que s'il réside plus de six mois en France –, les employeurs ont décidé de manière unilatérale de supprimer les cotisations sociales de ces travailleurs.
Simultanément, ces employeurs n'assurent pas un revenu suffisant à ces pigistes, qui leur permettrait de cotiser à la caisse des Français de l'étranger. Ces mêmes employeurs n'ont pas interpellé le Gouvernement, ni le ministère du travail, ni le ministère de la santé sur la situation de ces employés en matière de droits au chômage ou à la retraite. Nous menons aujourd'hui des démarches dans ce cadre – un colloque s'est notamment tenu au Sénat – pour tenter d'obtenir des modifications du code de la sécurité sociale et des engagements de la part des employeurs sur le respect du code du travail.
Les employeurs ne cessent de précariser les travailleurs à la pige. Aujourd'hui, quand un journaliste propose des articles aux publications du groupe Reworld Media, il lui est répondu que seul un contrat d'auto-entrepreneur sera proposé. Pourtant, l'auto-entreprenariat est interdit dans la presse et pour les journalistes. J'ai le sentiment qu'une des seules mesures qui pourrait faire peur aux employeurs serait un alourdissement radical des condamnations financières cas de non-respect du code du travail.
Je partage un grand nombre des propos qui viennent d'être tenus et remercie les élus qui se sont exprimés sur le vote d'hier. J'espère que cette erreur sera rapidement réparée.
S'agissant de l'audiovisuel public, la suppression de la redevance a constitué une très grande erreur, sous couvert de favoriser le pouvoir d'achat. Les synergies promues par Mme Dati sont seulement motivées par des motifs d'économie, aucune stratégie éditoriale n'est envisagée.
S'agissant des EGI, nous sommes un peu plus respectés qu'initialement. Nous avons été auditionnés une fois en intersyndicale par le groupe 3, piloté par M. Baldelli, et j'ai également été auditionné en compagnie de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT. Les conclusions des journées délibératives citoyennes sont intéressantes, mais il y a « à boire et à manger ». Parmi les aspects positifs, il me semble que les citoyens prônent le retour de la redevance. En revanche, je ne comprends pas la proposition d'un « ordre des journalistes », puisque nous sommes une profession salariée, avec un lien de subordination très fort.
Ensuite, la précarité constitue pour nous une question primordiale, bien avant les Gafam ou les ingérences étrangères. Notre précarité, c'est votre désinformation. Une profession aussi précarisée ne peut pas produire d'information de qualité. Il suffit simplement d'appliquer la loi Cressard et je souligne que le député Yannick Monnet est d'ailleurs en train de mettre en place un groupe de travail transpartisan sur ce sujet.
Le dialogue social est malheureusement très faible dans la branche de l'information et des médias. Les syndicats patronaux sont très éclatés et constituent à nos yeux des groupes de lobbying qui ont surtout pour objet d'aller chercher des aides publiques ou d'obtenir des modifications normatives. À ce propos, il semble que le lobby accepterait le droit d'agrément des rédactions en échange de la suppression de la clause de cession des journalistes. Depuis les « ordonnances Macron » de 2017, toutes les branches disposent d'une commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI), mais nous ne parvenons pas à en établir une au sein la convention collective des journalistes. En effet, face à nous, les patrons ne veulent pas établir de dialogue social.
La question de la sécurité des journalistes doit s'envisager dans un cadre global. À la suite de notre victoire devant le Conseil d'État sur le schéma national de maintien de l'ordre, nous participons chaque mois à un comité de liaison avec le ministère de l'intérieur, pour faire le point sur la sécurité des journalistes, ce qui n'empêche pas les gardes à vue et les perquisitions de se poursuivre.
En tant que membre de la CGT, je ne suis naturellement pas opposé aux aides publiques, mais elles me posent problème lorsqu'elles tombent dans les poches des milliardaires. Si vous ne voulez pas agir contre la concentration des médias, la seule manière consistera à les attaquer au portefeuille, en conditionnant les aides au respect de la convention collective, du code du travail et de la protection des journalistes. Je rappelle que le total cumulé des aides directes et indirectes s'élève à 5 ou 6 milliards d'euros par an. Or je suis favorable à l'utilisation de l'argent public à bon escient.
Nous pensons que des mesures de protection doivent être prises en faveur des SDJ. Il n'en demeure pas moins vrai que le dialogue social ne fonctionne pas suffisamment dans notre branche et que les « ordonnances Macron » ont considérablement affaibli le syndicalisme en entreprise. Nous demandons plus de moyens pour les militants syndicaux en entreprise, qui doivent traiter de plus en plus dossiers tout en ayant de moins en moins de temps à y consacrer, mais également une place pour les représentants de la profession à la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), qui ne réunit aujourd'hui que les représentants patronaux et les représentants de l'État. Cela nous permettrait de donner notre avis sur les pratiques des éditeurs.
S'agissant du dialogue social et de la voix des salariés, dans l'audiovisuel public, les contrats d'objectifs et de moyens pourraient intégrer des conditions sociales et les syndicats pourraient émettre des propositions.
Dans le domaine de la sécurité, nous sommes favorables à l'inscription des journalistes dans la liste des professions et des fonctions qui entraînent une circonstance aggravante en cas d'agression. Nous ne demandons pas un privilège, mais simplement que soit réparée une carence du code pénal. De nombreuses professions et fonctions sont déjà protégées, qu'il s'agisse des élus, des enseignants, des policiers, des conducteurs de bus, des gardiens d'immeuble. Lorsqu'un journaliste travaille, il ne représente pas que lui-même, mais aussi les valeurs fondamentales de notre démocratie. C'est la raison pour laquelle il faut le protéger.
Ensuite, la CFDT porte le dossier des correspondants étrangers depuis de longues années. Nous avons d'ailleurs établi un rapport très détaillé en 2019 et en avons fait la première des priorités lors de la campagne des élections présidentielle et législatives. À ce titre, nous pensons qu'il faut réformer le code de la sécurité sociale et que des solutions existent, pour les 500 personnes concernées et qui sont essentielles pour l'information des citoyens français en matière d'actualité internationale. Nous demandons ainsi que la notion de territorialité soit modifiée dans le code de la sécurité sociale, afin qu'un salarié travaillant pour un journal basé en France, imprimé en français et s'adressant à des citoyens français soit considéré comme travaillant en France.
De plus, ce n'est pas parce qu'un journaliste relève d'un régime de sécurité sociale étranger qu'il n'a pas de contrat de travail : il faut vraiment scinder les deux sujets et distinguer le contrat de travail de la protection sociale. Aujourd'hui, il existe un dysfonctionnement dans le code de la sécurité sociale, qui doit être réparé, ce qui ne passe pas forcément par une loi. Nous pouvons d'ailleurs vous transmettre un dossier à ce sujet.
En termes de précarité, est-il normal que des pigistes soient rémunérés 30 euros pour la rédaction d'un feuillet de 1 500 signes ? À l'heure actuelle, il n'existe pas de barème en presse régionale. Il est donc nécessaire d'établir des tarifs au feuillet qui considèrent le temps de travail effectué, non pas par des jeux d'équivalence, mais par une négociation de tarifs plus élevés.
Il est regrettable que la question sociale ait été totalement éludée par les États généraux de l'information. En tant que négociateur de branche pour la presse écrite, je vous invite à vous pencher sur les grilles de salaire des journalistes, qui sont catastrophiques. Lors de son discours de politique générale, le Premier ministre a considéré qu'il fallait « désmicardiser » la France. Pour ma part, je pense qu'il faut commencer par désmiscardiser le travail des journalistes. La note qui vous a été remise porte justement sur les salaires des journalistes. Or dans les différentes branches de presse, nous dénombrons douze indices dans lesquels les salaires conventionnels sont inférieurs au montant du Smic.
Les journalistes sont aujourd'hui déclassés. En pratique, jusqu'en milieu de carrière, la plupart d'entre sont quasiment payés au Smic. Dans la presse hebdomadaire régionale, ils sont rémunérés au Smic plus 5 % ; dans la presse magazine, ils sont rémunérés au Smic plus 10 euros. Ces salaires sont indécents. Entre 2019 et 2022, les salaires des jeunes journalistes, ceux âgés de moins de 26 ans, ont baissé de 6,13 % : ils sont passés en moyenne de 2 180 euros à 2 054 euros, selon les données de l'Observatoire de la presse. La situation est encore pire pour les jeunes pigistes, dont les salaires se sont effondrés de 9,46 %, passant en moyenne de 1 885 euros à 1 722 euros, en brut. En presse spécialisée, on demande ainsi à un journaliste assez expérimenté de travailler à Paris pour un salaire de moins de 2 000 euros brut par mois.
Naturellement, les salaires réels dans les entreprises peuvent différer du salaire conventionnel de la branche. Mais pour les jeunes journalistes, ils s'en rapprochent de plus en plus. Nous lançons donc une alerte : si nous voulons une information de qualité, il faut attirer des gens disposant de connaissances nécessaires, lesquelles nécessitent de longues études ; et il faut les payer correctement. À ce titre, je regrette que les États généraux de l'information aient complètement éludé les conditions d'existence des journalistes.
Je partage complètement les propos de mon camarade sur la faiblesse des grilles de salaire. Les négociations salariales qui sont intervenues dans les branches au cours de l'année passée se sont parfois traduites par une stagnation et au mieux par une hausse de 2,5 % à 3 %, en dépit de l'inflation considérable. Du fait d'un alignement systématique des plus bas salaires sur le Smic et puisque les salaires plus élevés n'augmentent pas autant que le Smic, les évolutions de carrière sont de moins en moins attractives. Dès lors, il sera de plus en plus difficile d'attirer de nouveaux journalistes. Je partage également les remarques sur la nécessité de respecter le code du travail dans les entreprises de presse.
La suppression de la redevance a effectivement été dramatique. En tout état de cause, le financement par la TVA de l'audiovisuel public accentuera encore plus les problèmes. De même, la politique consistant à ramener sans arrêt l'audiovisuel public à la portion congrue n'est pas acceptable. À ce titre, le projet d'une « BBC à la française » ne fera qu'accompagner les suppressions d'antennes, voire de chaînes.
Nous considérons par ailleurs que la loi sur la protection des sources n'est vraiment pas adaptée, dans la mesure où elle la limite en cas d'« impératif prépondérant d'intérêt public ». Cela n'a pas pour autant empêché Mme Lavrilleux d'être mise en garde à vue et de voir ses ordinateurs saisis. La loi sur le secret des affaires pose également problème, puisqu'elle peut conduire un tribunal de commerce à tenter d'identifier les sources des journalistes.
En matière de délits de presse, de nombreuses modifications sont intervenues et ont même intégré pour certaines le code pénal. La loi de 1881, qui permettait l'expression libre, est totalement détricotée. Sans elle, la situation est plus compliquée pour les journalistes.
Vous avez également évoqué la reconnaissance juridique des sociétés de journalistes. Je redoute que la reconnaissance juridique accordée à des structures qui ne sont pas forcément démocratiques – car on ne sait pas qui y adhère – ne s'effectue au détriment des organisations syndicales représentatives. En outre, nous avons appris il y a quelques jours, lors du discours de politique générale, qu'une deuxième phase de simplification du code du travail allait être mise en œuvre. Parmi les pistes évoquées figure la remise en cause de la priorité accordée aux organisations syndicales de se présenter au premier tour des élections professionnelles. Si cette modification intervient, elle se traduira par un nouvel affaiblissement des processus démocratiques dans l'entreprise.
Nous n'avons effectivement été invités à nous exprimer qu'à une seule reprise dans le cadre des États généraux de l'information, devant le groupe de travail n° 3. Les confédérations et les représentants de certains syndicats de journalistes ont été reçus par le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Mais c'est à peu près tout. Par exemple, nous n'avons pas reçu de comptes rendus officiels des conventions citoyennes. Nous sommes ravis d'être conviés aujourd'hui par votre commission, mais notre mise à l'écart des travaux des EGI demeure étrange.
Les demandes et revendications sont noyées dans un maelstrom d'intérêts particuliers, divers et variés, mais elles ne sont pas entendues. La confiance des Français dans les médias est importante, elle est même nécessaire. Je ne suis pas particulièrement favorable à une protection spécifique pour les journalistes ni à un statut particulier. Nous sommes des salariés, dont le métier est de faire de l'information. Je demande au Gouvernement de nous donner des garanties suffisantes pour que nous puissions travailler dans des conditions sociales satisfaisantes ; donnez-nous des effectifs, arrêtez de supprimer des emplois, respectez notre liberté professionnelle et la liberté d'informer en général.
Le Gouvernement peut également prendre des mesures économiques. Je suis par ailleurs favorable au conditionnement des aides à la presse au respect d'un certain nombre d'exigences en matière sociale. Aujourd'hui, le principal bénéficiaire des aides à la presse est tout de même M. Bernard Arnault, dont nous savons à quel point il est nécessiteux. Ceci m'apparaît pour le moins un peu étrange.
Cette audition s'achève. Je vous remercie pour vos contributions et vos réponses aux questions de mes collègues. Je vous poserai les miennes à un autre moment. J'aurais été intéressée de connaître votre point de vue sur les impacts de la transformation des modes d'information, qui pèsent également sur les conditions d'existence et d'exercice de votre profession, sur lesquelles vous nous avez éclairées.
J'aurais aussi souhaité que nous puissions aller encore un peu plus loin, pour pouvoir nourrir de façon plus conséquente la contribution de la commission des affaires culturelles et de l'éducation aux États généraux de l'information.
Nous vous transmettrons une contribution écrite sur ce point, que nous n'avons effectivement pas évoqué aujourd'hui.
Je vous remercie. À mon sens, il existe un continuum dans l'exercice de la profession et dans la façon d'informer, afin de pouvoir délivrer une information fiable et de qualité à nos concitoyens et concitoyennes.
Nous défendons l'information, quel que soit le support. Les journalistes que nous représentons œuvrent tous les jours à bâtir des nouvelles offres.
Dans le cadre de notre mission d'évaluation de la loi Bloche, nous avons entendu un certain nombre d'acteurs de la profession. Il apparaît que la profession de journaliste n'est pas toujours clairement identifiée par le public et qu'elle est en concurrence avec des influenceurs ou d'autres acteurs. C'est la raison pour laquelle j'avais posé ces questions, afin de connaître votre point de vue sur cette transformation et de déterminer comment nous, parlementaires, pouvons y répondre. En ce sens, je soumettais l'idée d'une labellisation, qui permette d'aider le citoyen à faire la différence entre un travail de journaliste et celui d'un autre intervenant.
Une partie importante de notre travail concerne l'éducation aux médias. Peut-être est-il possible de créer une telle labellisation, mais, il faut avant tout éduquer le citoyen. Ensuite, même au sein d'une publication de presse, il n'y a pas seulement de l'information, mais aussi de la publicité ou du publirédactionnel. Identifier une publication comme étant une publication de presse, faisant travailler des journalistes, peut être intéressant, mais il n'empêche que nous devrons toujours apprendre à reconnaître ce qu'est le travail journalistique.
Je partage ce point de vue. Une fois encore, cette audition et nos questions ont vocation à enrichir le débat par vos témoignages. En effet, cette transformation du modèle économique est partie intégrante des problématiques dont vous nous avez fait l'exposé ce matin.
La séance est levée à onze heures trente.
Présences en réunion
Présents. – M. Belkhir Belhaddad, M. Inaki Echaniz, Mme Sarah Legrain, Mme Isabelle Rauch, M. Jean-Claude Raux.
Excusés. – Mme Ségolène Amiot, Mme Béatrice Bellamy, Mme Soumya Bourouaha, Mme Fabienne Colboc, Mme Nathalie Da Conceicao Carvalho, Mme Béatrice Descamps, M. Raphaël Gérard, M. Frantz Gumbs, M. Stéphane Lenormand, M. Frédéric Maillot, M. Maxime Minot, M. Emmanuel Pellerin, Mme Claudia Rouaux, M. Boris Vallaud, M. Christopher Weissberg.