Délégation aux droits des enfants

Réunion du mercredi 12 juillet 2023 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • accompagnement
  • enfance
  • handicap
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  • parent
  • parentalité
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  • scolaire

La réunion

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La séance est ouverte à 11 heures.

Présidence de Mme Perrine Goulet, présidente de la délégation

La Délégation aux droits des enfants auditionne Mme Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre chargée de l'Enfance sur le rapport du Comité des droits de l'enfant de l'ONU relatif à l'application par la France de la Convention internationale des droits de l'enfant.

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Madame la secrétaire d'État, nous vous auditionnons à la suite de l'examen de la France par le Comité des droits de l'enfant des Nations unies, en mai dernier, et de la remise du rapport correspondant au mois de juin.

Notre pays est signataire de la Convention internationale des droits de l'enfant (Cide), qu'il a ratifiée en 1990. Cette convention repose sur quatre piliers principaux : la non-discrimination ; l'intérêt supérieur de l'enfant ; le droit à la vie, à la survie et au développement ; le respect des opinions de l'enfant sur toutes les questions qui le concernent. La France prend très logiquement un certain nombre d'engagements, dont celui d'une évaluation de sa politique en faveur de l'enfance par le Comité des droits de l'enfant, celui-ci étant chargé de veiller à la bonne application de la Cide et de ses protocoles facultatifs par les États. Ces derniers rendent un rapport sur la situation nationale des droits de l'enfant tous les cinq ans, et, cette année, c'est sur l'application de la convention par la France que le Comité a rendu ses observations.

Le Comité des droits de l'enfant a relevé les progrès accomplis, notamment avec le plan de lutte contre les violences faites aux enfants ou les évolutions de la protection dans le cadre du numérique. Mais il y a encore beaucoup à faire. Nous nous réjouissons que le Comité ait signalé, parmi les efforts déployés par notre pays, la création de notre Délégation aux droits des enfants, qui marque un pas de plus vers la reconnaissance de l'intérêt supérieur de l'enfant dans la mise en œuvre des politiques publiques. Nous espérons que le Sénat nous emboîtera le pas rapidement.

Reste que, malgré l'instauration par le Défenseur des droits des jeunes ambassadeurs des droits (Jade), chargés de diffuser la Cide, notamment dans les établissements scolaires, les enfants ne connaissent pas assez leurs droits – je l'ai regretté lors des questions au Gouvernement du 6 juin dernier. On l'a vu lors d'un débat organisé avec des classes en partenariat avec l'Unicef, en novembre 2022. Erwan Balanant était venu leur présenter la loi, qui porte son nom, visant à combattre le harcèlement scolaire : nombre d'enfants ne la connaissaient pas, preuve qu'ils ont besoin qu'on les informe sur leurs droits.

La Délégation a, par ailleurs, à cœur de mettre en pratique l'article 12 de la Cide et d'entendre le point de vue des enfants sur les évolutions législatives qui les concernent. À cet effet, nous avons organisé un débat, toujours en partenariat avec l'Unicef, concernant des propositions de loi sur le numérique.

Je suis particulièrement attachée à un meilleur accompagnement de l'enfant dans le cadre des procédures judiciaires, et je plaide pour qu'il soit systématiquement accompagné par un avocat lors d'une audience en assistance éducative. Je salue l'engagement en ce sens pris par le Garde des sceaux dans le cadre de la loi de programmation et de réforme pour la justice. Nous allons donc pouvoir avancer sur ce point.

Je souhaiterais revenir sur plusieurs points qui ont été soulevés dans le rapport du Comité des droits de l'enfant.

Tout d'abord, s'agissant des enfants en situation de handicap, la France tarde à rendre effective la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, pour ce qui est notamment de l'inclusion scolaire. Notre délégation a d'ailleurs lancé une mission d'information sur le sujet, dont les conclusions devraient nous parvenir au cours du mois d'octobre prochain.

Ensuite, celle des enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE). Ce secteur souffre d'une pénurie de personnel et les délais d'exécution des mesures d'assistance éducative ne cessent de s'allonger. Je regrette à cet égard que certains décrets d'application de la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants ne soient toujours pas pris, notamment celui qui concerne l'hébergement des enfants à l'hôtel.

La situation particulière des Outre-mer a également été pointée. Notre délégation lui a d'ailleurs consacré son premier rapport qui, en l'occurrence, traitait des violences faites aux mineurs dans ces territoires souvent occultés. Nous continuerons à la suivre, puisque nous sommes en relation avec votre collègue chargé des outre-mer, pour essayer de le sensibiliser à cette question.

Enfin, concernant les mineurs non accompagnés (MNA), le Comité des droits de l'enfant a constaté, le 25 janvier dernier, que la France avait méconnu plusieurs articles de la Cide. À la suite de ce constat, notre pays disposait d'un délai de cent quatre-vingts jours, c'est-à-dire jusqu'au 25 juillet, pour informer le Comité des mesures prises. Pourriez-vous, madame la secrétaire d'État, nous faire un point à ce sujet ?

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Charlotte Caubel, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'enfance

C'est toujours un plaisir de venir devant vous pour évoquer mon action et celle du Gouvernement. Concernant l'enfance, le Parlement et le Gouvernement ont su mettre en place une méthode de travail fructueuse.

Je voudrais, dans un premier temps, revenir sur l'évaluation de la France par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU. Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai souhaité que nous préparions avec attention le rendez-vous avec le comité. J'avais conscience de l'aspect technocratique de ce type de préparation et du manque de souffle politique – au sens positif du terme – et d'une vraie représentation de la France dans cet exercice. Le dernier rendez-vous, en 2016, s'était bien passé mais, entre-temps, l'action des administrations avait repris un tour un peu technique. Après un travail de préparation intense, nous sommes partis à l'ONU avec une délégation nombreuse, animée d'une forte conviction mais aussi d'humilité – il n'était pas question de répondre avec arrogance pendant les plus de six heures où nous avons été interrogés.

Dans son rapport, le Comité des droits de l'enfant a constaté les progrès accomplis depuis six ans. Nous avons échangé sur des sujets bien identifiés, sur lesquels il nous reste une large marge de progression, ainsi que sur les chantiers déjà engagés. Le Comité a salué l'implication et le professionnalisme de la délégation française et la qualité des échanges ; il a accueilli favorablement notre meilleure prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant dans nos politiques publiques en matière de santé, d'éducation et de protection, trois axes majeurs que vous avez évoqués, madame la présidente. Comme vous l'avez dit également, les membres du Comité ont salué la Délégation aux droits des enfants de l'Assemblée nationale ; le secrétariat d'État chargé de l'enfance, placé auprès de la Première ministre ; la stratégie nationale de prévention et de protection de l'enfance ; la politique des 1 000 premiers jours ; les plans de lutte contre les violences et la prostitution ; le déploiement des unités d'accueil pédiatrique des enfants en danger (Uaped) et la généralisation des mécanismes de participation des enfants dans l'élaboration des politiques publiques.

Ils ont également appelé notre attention sur plusieurs points, qui sont au cœur de mes priorités : la qualité de la politique de protection de l'enfance, qui doit favoriser la prévention et la désinstitutionalisation ; la prise en charge des enfants en situation de handicap, pour laquelle nous devons être plus convaincants ; la santé physique et mentale des enfants ainsi que la pauvreté. Le Comité a aussi mis l'accent sur deux publics prioritaires : les enfants migrants – avec ou sans famille – et les enfants dans les territoires ultramarins.

Dès le 15 juin, à l'occasion d'une réunion de suivi du comité interministériel à l'enfance (CIE), j'ai fait état de ce rapport à l'ensemble des ministres présents et je l'ai utilisé comme levier. Il s'agissait de le faire infuser dans les politiques en cours, mais aussi de susciter des propositions concrètes pour le deuxième CIE qui aura lieu en novembre prochain, sous la présidence de la Première ministre. L'ensemble du Gouvernement est ainsi d'ores et déjà saisi de ce rapport.

Ce CIE a été l'occasion de faire le point sur les cinq priorités fixées par la Première ministre : la lutte contre les violences ; la santé ; l'accompagnement des enfants les plus fragiles, notamment ceux pris en charge par l'ASE et ceux en situation de handicap ; le service public de la petite enfance (SPPE) et enfance et numérique.

Beaucoup a déjà été fait lors du précédent quinquennat, et d'autres choses ont été engagées depuis. S'agissant de l'internet, plusieurs textes ont été adoptés, comme ceux de Laurent Marcangeli, de Bruno Studer et Caroline Janvier et de Jean-Noël Barrot. Un travail a également été lancé au sujet du harcèlement, à l'école et hors du cadre scolaire car ce phénomène est transversal.

Nous avons fait un point sur les mesures annoncées à l'occasion de la Conférence nationale du handicap (CNH) – je salue la mission que votre délégation a créée pour approfondir cette question. Nous aurons l'occasion de travailler ensemble, notamment parce que, dans le cadre de la CNH, j'ai insisté pour que le cas des enfants de l'ASE et celui des enfants en situation de handicap soient bien pris en compte, tant ils ont des répercussions sur l'ensemble de notre politique en matière de handicap.

Nous n'avons pas pu, en juin, faire la restitution des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, lancées par le ministre de la santé. Les propositions faites à cette occasion sont nombreuses, assez disruptives et, à ce stade, peu concertées. Le ministère de la santé les étudie « à la loupe » et les premiers retours publics ainsi que les premiers débats – y compris avec vous, bien sûr – auront lieu à la rentrée.

Pour ce qui est du lancement du service public de la petite enfance, dont vous serez en partie saisis avec le projet de loi pour le plein emploi, il s'appuiera sur la nouvelle convention d'objectifs et de gestion (COG) de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), qui vient d'être signée par Jean-Christophe Combe, le ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées.

J'ai fait le point sur la contractualisation avec les départements en matière de prévention et de protection de l'enfance, et sur la mise en œuvre des lois des 7 et 21 février 2022. Ces lois exigeaient énormément de textes réglementaires, dont plusieurs décrets en Conseil d'État. Dans ce champ de l'enfance, il faut demander l'avis de diverses commissions, comités et conseils, notamment celui du Conseil national de protection de l'enfance (CNPE), qui a lui-même été créé par la loi. S'est ensuivi un phénomène de « poupées russes », puisqu'il a fallu installer ce CNPE pour qu'il puisse, ensuite, rendre des avis sur la loi. Il y a donc eu un léger « retard à l'allumage » sur un certain nombre de décrets, qui avaient été peu évalués quant à leur impact financier. Par exemple, il a fallu travailler avec les départements pour pouvoir mettre en œuvre les textes sur l'augmentation de la rémunération des assistantes et assistants familiaux. Il en reste beaucoup, mais d'autres sortent du Conseil d'État et devraient être publiés, je l'espère, d'ici à la fin de l'été.

À la rentrée, le plan de lutte contre les violences faites aux enfants 2023-2027 sera détaillé lors du lancement d'une campagne de communication sur les violences sexuelles, qui fait partie des préconisations de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise). Nous pourrons également revenir sur la fin des travaux de la Ciivise et sur les conclusions qui nous obligent à être particulièrement engagés.

J'ai également procédé au déploiement et au démarrage des comités départementaux pour la protection de l'enfance (CDPE) ; je serai d'ailleurs demain en Eure-et-Loir pour lancer le sixième de ces dix CDPE. Quand bien même les départements concernés sont volontaires, je suis assez étonnée par la qualité et l'engagement des acteurs des CDPE, qu'ils soient membres du secteur associatif, de caisses d'allocations familiales (CAF) ou de caisses primaires d'assurance maladie (CPAM). Tous apprécient de pouvoir se mobiliser autour des préfets, des agences régionales de santé (ARS), des recteurs et des présidents de département. Ces acteurs avaient beaucoup à se dire, mais ne se parlaient plus beaucoup, ou alors en bilatéral. C'était bien le but de la loi et le souhait de l'autorité judiciaire que cette expérimentation lance des synergies pour répondre à une forte attente de coopération.

Toujours en matière de protection de l'enfance, j'ai lancé, il y a quelques heures, une valorisation des bonnes pratiques avec la présidente du groupement d'intérêt public (GIP) France Enfance Protégée (FEP). Nous avons également organisé des déjeuners thématiques avec les professionnels. Je réunirai bientôt les vice-présidents des conseils départementaux – souvent des vice-présidentes, d'ailleurs –, en charge de la protection de l'enfance, pour travailler plus concrètement encore. Je souhaite aussi avoir un colloque à la rentrée avec les fameux référents ASE, ces personnes censées définir le parcours de l'enfant et qui sont, parfois, assez éloignés de ces enfants. On le leur reproche beaucoup et j'aimerais mieux connaître ce métier pour pouvoir mieux l'accompagner.

Le ministre de la justice s'est fortement engagé avec celui de l'Éducation nationale pour renforcer la connaissance des droits des enfants. Il a prolongé la démarche Éducadroit, qui complète l'extraordinaire activité de la Défenseure des droits sur la question de l'information des droits des enfants. De notre côté, nous avons demandé, dans le cadre de la refonte des programmes en matière d'éducation sexuelle, que la question des droits et de la protection soit également intégrée. Et je ne peux que saluer votre action, madame la présidente, celle de votre délégation et celle de la présidente de l'Assemblée nationale pour renforcer la place des enfants auprès du créateur de droit qu'est le Parlement. Je pense que l'on a tout de même avancé un peu en ce début de quinquennat.

J'avais fait tenir un conseil des ministres des enfants, autour de la Première ministre, lors de la dernière Journée mondiale de l'enfance, le 20 novembre 2022. Nous réfléchissons à celui qui aura lieu le 20 novembre prochain, pour lequel nous nous appuierons probablement sur les conseils municipaux et départementaux, auxquels nous demanderons de venir faire part de notre action. Nous sommes donc très engagés sur la place des enfants, sur leur connaissance des droits et leurs capacités à intervenir et à nous donner leur avis.

Concernant les mineurs non accompagnés, la stratégie du Gouvernement est de stabiliser le projet de loi sur l'immigration, qui comporte une refonte importante de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et des structures de prise en charge des migrants. Nous étions convenus, avec le ministre de l'intérieur, que la question des MNA serait traitée postérieurement à cette refonte. Je rappelle que dans ce projet de loi figure d'ores et déjà l'interdiction de placer les enfants en centre de rétention administrative (CRA). Pour ce qui est des mineurs non accompagnés, il y a toujours cette zone insatisfaisante de recours devant le juge des enfants après une décision de non-reconnaissance de minorité. Ces recours, dont les délais varient considérablement d'un département à l'autre, concernent des jeunes qui ne relèvent ni de la protection de l'enfance ni des dispositifs destinés aux adultes, mais qui doivent néanmoins trouver une prise en considération sociale. Ce public entre deux eaux soulève une difficulté d'articulation entre les dispositifs respectivement dédiés aux mineurs et aux majeurs, qui réclame que le sujet des majeurs soit posé par la loi, ainsi que le souhaitait le Gouvernement.

Je ne saurais conclure sans évoquer les événements de ces dernières semaines et, donc, la problématique des quartiers où ils se sont déroulés, impliquant les enfants, la parentalité et les politiques sociales qui y sont menées. Selon moi, l'action du Gouvernement doit être conduite selon deux axes : la prévention spécialisée et la parentalité. La première, qui relève des départements, est très hétérogène d'un territoire à l'autre et plus ou moins pilotée, par le Gouvernement ou les collectivités territoriales. Cette prévention spécialisée pâtit également d'un déficit de sens des missions, d'un manque d'attractivité des métiers et, paradoxalement, d'une multiplication des acteurs engagés qui, certes, apporte de l'énergie, mais provoque aussi de la dispersion. Quant à la parentalité, à l'accueil, à l'accompagnement et à la responsabilisation des parents – je n'ai aucune difficulté avec cette thématique –, elle fait l'objet du deuxième volet de la politique des 1 000 premiers jours. Si l'accent est mis sur l'égalité homme-femme en matière d'accès au travail dans le cadre du SPPE, l'accompagnement des mamans – y compris celles qui ne travaillent pas –, la mise en place de lieux de socialisation pour les enfants et la synergie entre enfants, parents et lieux publics d'accueil ne doivent pas être oubliés. Ces questions figurent d'ailleurs parmi les priorités de Jean-Christophe Combe.

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Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.

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Je tiens à saluer votre engagement, depuis un an, au service de la protection de l'enfance : France enfance protégée, campagne nationale de sensibilisation aux numéros d'aide pour les enfants victimes de violences et lutte contre la prostitution des mineurs sont autant de mesures prises en faveur du bien-être de nos enfants.

Le 7 juin dernier, en conseil des ministres, les grands axes du nouveau plan 2023-2027 contre les violences faites aux enfants ont été présentés. Priorité est donnée à la détection des situations de violence et à l'accompagnement des victimes dans le cadre de procédures judiciaires. Une attention particulière sera portée aux enfants protégés en situation de handicap ou résidant Outre-mer. Cette prévenance pour les enfants vulnérables est plus que souhaitable : les enfants en situation de handicap ont trois fois plus de risques d'être victimes de violences sexuelles ou physiques ; plus de 10 % des élèves en situation de handicap sont victimes de harcèlement, contre 5 % à 6 % des autres élèves.

Dans un tel contexte, ce sont tous les acteurs en lien avec les enfants qui doivent être sensibilisés à toutes les formes de violences et informés quant aux leviers d'action qui existent pour les combattre. En pratique, comment envisagez-vous de favoriser la prise de conscience des professionnels ? Que pensez-vous des formations croisées incluant éducation nationale, médico-social et ASE ?

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Chacun devrait pouvoir manger à sa faim, manger sainement, s'habiller correctement ou partir en vacances. Or 40 % des Français ne partiront pas en vacances cet été, soit davantage que l'année dernière. Parmi eux, combien d'enfants ? En France, un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté ; ils sont 2,9 millions à être confrontés à une situation de pauvreté inacceptable, parfois même à la misère – bidonvilles, logements insalubres, non-accès à l'eau potable. Les familles monoparentales sont plus particulièrement concernées.

En 2018, les promesses d'Emmanuel Macron étaient grandiloquentes : « Je veux que nous menions ce combat ; je pense que nous pouvons, à la hauteur d'une génération, éradiquer la grande pauvreté dans notre pays », affirmait-il. Au bilan de ces grandes promesses, des pauvres de plus en plus pauvres.

Le 2 juin dernier, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies publiait ses observations sur la mise en œuvre par la France des droits consacrés par la Convention internationale des droits de l'enfant. Il en ressort que la pauvreté infantile sur le territoire français demeure.

Parmi les observations finales, le logement et l'hébergement ont été identifiés comme des points spécifiques d'attention. On sait que la France connaît une grave crise du logement et que les rénovations et constructions ne suffisent plus. Comment le Gouvernement entend-il améliorer l'accès des parents, des enfants et des familles monoparentales en situation de pauvreté à des logements dignes, adaptés à leurs besoins ? Plus largement, comment espérez-vous tenir les promesses faites par votre Gouvernement en matière d'éradication de la pauvreté et de réinsertion grâce à des emplois dignement rémunérés, alors que la situation ne cesse de s'aggraver ?

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Le décalage est énorme entre votre communication à la suite du rapport du Comité des droits de l'enfant de l'ONU et la teneur de ce rapport. Vous auriez été félicités – quelques progrès, petits, sont notés, en effet – alors que la liste est longue des inquiétudes et des recommandations, dites prioritaires, formulées par le Comité. Concernant la protection de l'enfance, il recommande ainsi : d'augmenter les budgets alloués aux services sociaux ; d'accroître les ressources humaines, techniques et financières ; de veiller à ce que les décisions de justice de protection de l'enfance soient appliquées immédiatement ; de s'assurer que la collecte des données et la publication des délais d'exécution soient faites, ce qui n'est toujours pas le cas.

Je souligne ces recommandations, car la semaine dernière, un petit garçon de 3 ans est décédé au domicile de ses parents, alors que le juge venait d'ordonner, deux jours plus tôt, une séparation et un placement de l'enfant. Cet événement n'est malheureusement pas isolé ; nous avons un sérieux problème de non-exécution des mesures de protection des enfants, prises par des magistrats. Alors que des violences ou des défaillances parentales sont signalées, sanctionnées, des enfants restent de plus en plus longtemps au domicile des parents.

En France, nous ne disposons pas d'indicateur pour mesurer le nombre de placements et de décisions non exécutés. Cela fait plusieurs fois que je le demande, notamment au Garde des sceaux. Je le redis, il s'agit d'un drame qui n'est pas isolé et je ne vois aucune mesure prise pour protéger les enfants dans notre pays. Les enfants sont en danger et l'État ne les protège pas.

Vous avez également rappelé les événements qui ont traversé, percuté l'Hexagone. Je remarque, là encore, le décalage et la violence des propos tenus par le Gouvernement sur la responsabilité parentale. Je voudrais juste vous rappeler que, dans ce pays, il y a des parents qui appellent à l'aide, qui demandent des mesures administratives auprès de l'ASE ; des magistrats qui ordonnent des mesures d'accompagnement en action éducative en milieu ouvert (AEMO). En Seine-Saint-Denis, le délai moyen d'attente est de dix-huit mois avant que l'on puisse croiser un éducateur. Je vous entends parler de petits-déjeuners, de colloques, alors qu'il y a urgence : des enfants qui doivent l'être ne sont ni accompagnés ni protégés.

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Dans son rapport publié le 2 juin dernier, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a appelé l'attention de la France sur sa mise en œuvre des droits consacrés par la Cide. En matière de harcèlement scolaire, force est de constater qu'avec près de 1 million d'élèves concernés chaque année, nous ne sommes pas en accord avec l'article 29 de la Cide par lequel les États conviennent que l'éducation doit favoriser l'épanouissement de la personnalité de l'enfant, inculquer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Chacun d'entre nous dans cette salle le sait, le harcèlement scolaire est un fléau sociétal qui fait de plus en plus de ravages ; il est l'un des nombreux symptômes d'une violence sociale grandissante, hautement préoccupante, à l'école, dans la rue et sur les réseaux sociaux.

En dépit de l'adoption de la loi du 2 mars 2022, qui vise à combattre le harcèlement et cyberharcèlement scolaire, la tendance ne faiblit pas. Le suicide de la jeune Lindsay, qui a ému la France entière, le prouve tragiquement. J'en ai d'ailleurs alerté le ministre de l'Éducation nationale lors des questions au Gouvernement, le 6 juin dernier. La réponse qui m'a été apportée n'était pas à la hauteur des enjeux ni de la complexité de la lutte contre cette calamité. Les récentes annonces de la Première ministre, comme toute mesure, sont bonnes à prendre. Pour ma part, j'ai déposé une proposition de résolution pour faire de la lutte contre le harcèlement scolaire une grande cause pour l'année 2024.

D'autres pays ont mis en place des solutions innovantes et opérantes. Il y a urgence à prendre, en France, des mesures concrètes, rapides et efficaces pour combattre le harcèlement scolaire.

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Pour par part, je souhaite aborder la question, tout aussi importante, de la parentalité. C'est une caractéristique de l'enfance que d'avoir des parents qui nous éduquent, nous forment et nous mènent sur le chemin de la vie – si l'on a la chance qu'ils soient encore là. Or, aujourd'hui, les parents sont perdus sur un certain nombre de sujets. Le harcèlement scolaire constitue un angle mort de cet accompagnement, défaillant à transmettre les bonnes pratiques autant qu'à protéger. Le téléphone portable, ce formidable outil de pédagogie, de communication et de sociabilisation que de plus en plus d'enfants ont de plus en plus jeunes, peut aussi devenir une arme.

Les pouvoirs publics doivent accompagner la parentalité. Dans mon rapport, je préconise une grande campagne d'État, comme il en existe sur la prévention contre le tabac, l'alcool ou la délinquance routière, sur l'accompagnement à la parentalité, pour délivrer un certain nombre de bonnes pratiques. Ainsi, même si les enfants ont droit à leur intimité, les parents doivent contrôler leur téléphone portable, encadrer l'usage de ce formidable outil, qui peut être dangereux. J'aimerais connaître les pistes du Gouvernement à ce sujet.

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Il est important que notre délégation puisse vous entendre après l'examen du rapport périodique de la France par le Comité des droits de l'enfant. Dans ses observations finales, celui-ci a appelé l'attention de notre pays sur les conséquences du changement climatique sur les droits des enfants. Il est de notoriété publique que les températures record de l'année 2022 correspondent à celles d'une année moyenne à l'horizon 2050. Or les enfants sont particulièrement vulnérables aux vagues de chaleur.

Le Comité a formulé une double recommandation : accroître à l'école la sensibilisation et la préparation des enfants au changement climatique et aux catastrophes naturelles ; tenir compte du point de vue des enfants lors de l'élaboration des politiques portant sur le changement climatique. Compte tenu de la nature interministérielle de votre secrétariat d'État, votre rôle sera donc fondamental. La mise en œuvre de ces recommandations est nécessaire pour garantir aux enfants le bien-être de base et la santé.

Il me semble, cependant, qu'il faut aller plus loin. Le changement climatique est une menace pour le droit à l'éducation, tel qu'il est défini à l'article 28 de la Cide. Conditions d'apprentissage dégradées par la chaleur, difficulté à maintenir certains cours comme l'éducation physique et sportive, voire rupture de la continuité du service public éducatif en cas d'événements extrêmes comptent parmi les défis à venir. Plus généralement, il existe un risque majeur d'accroître la souffrance des enfants en milieu scolaire si notre réponse n'est pas à la hauteur.

Comment comptez-vous appliquer ces recommandations ? Quelles actions allez-vous mener pour protéger les droits des enfants du péril climatique ?

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Charlotte Caubel, secrétaire d'État

La lutte contre les violences faites aux enfants est un combat que je ne peux que prendre à bras-le-corps, tant il m'a « fouettée » lorsque j'ai pris mes fonctions. Je pensais avoir vu beaucoup de choses, notamment en tant que magistrate, mais les chiffres donnés par la Ciivise, Santé publique France (SPF) et la Haute autorité de santé (HAS) révèlent la réalité de la violence. Vous avez évoqué ce petit garçon qui est décédé par accident alors qu'il aurait dû être placé ; je dois vous dire que quatre enfants ont été tués par leurs parents au cours de ces trois derniers jours, dans le cadre de séparations parentales, dans une indifférence assez générale. La question des violences faites aux enfants est donc, pour moi, un combat absolu.

La situation est telle et la masse de dossiers si importante que je me suis demandé si je ne devais pas transférer le dossier à mon collègue de la santé, pour « changer les neurones » des adultes. Les enfants en situation de handicap sont particulièrement vulnérables à ces violences physiques, sexuelles ou psychologiques et ils font partie des publics à repérer et à protéger en priorité.

Plusieurs chantiers doivent être menés de concert. D'abord, il y a l'interpellation, la sensibilisation, le « coup de poing dans l'estomac ». Lors du conseil des ministres du 7 juin, un grand silence s'est installé après que j'aie interpellé mes collègues – je n'étais pas mécontente de mon effet. Il faut parler, dire et redire.

Nous allons faire une campagne assez « trash » sur l'inceste, à la rentrée. J'ai demandé des moyens – je compte d'ailleurs sur vous par la suite – pour mettre en place une campagne d'information du type sécurité routière, régulière, récurrente, sur toutes les formes de violences, sur tous les types de publics, en étant très vigilants à ne pas genrer ces violences et à montrer qu'elles sont présentes dans nos comportements d'adultes.

Nous avons déjà mené beaucoup d'actions, dans le monde du sport, par exemple, avec Amélie Oudéa-Castera, la ministre des sports, avec laquelle nous travaillons main dans la main. Nous étions encore devant les magistrats de la Cour d'appel de Paris il y a quelques semaines. Tous les ministres se sentent impliqués, car nous avons tous pris conscience de l'importance de cette question.

Avec Agnès Firmin-Le Bodo, la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé, nous avons commencé à diffuser le kit d'information de la Ciivise aux services de santé. Les magistrats et l'ensemble des fonctionnaires du ministère de la justice le reçoivent également en ce moment même. L'excellent guide de la Ciivise et l'excellent film qui l'accompagne sont, en effet, des leviers qu'il nous faut utiliser. Les personnels de santé ont un rôle crucial à jouer dans la lutte contre ces violences, notamment parce qu'ils repèrent des signes très importants. Un dentiste peut ainsi déceler la soumission d'un enfant s'il s'allonge brutalement sur le fauteuil. Côté médecin, nous avons toujours la problématique du secret professionnel qu'il nous faut approfondir ; nous aurons probablement besoin d'un texte pour la faire évoluer, mais nous avançons.

Dans le secteur de l'animation, Sarah El Haïri, la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel, s'est également saisie de ce sujet dans le cadre de son comité de filière. Le ministre de la justice a fait une circulaire dédiée aux parquets ; Gérald Darmanin, le ministre de l'intérieur, a mis en place un office destiné à coordonner l'action des gendarmes et des policiers, tandis que nous continuons de développer les Uaped et à travailler sur le criblage, pour repérer les personnes qui ont déjà été condamnées.

Ce plan 2023-2027 est essentiel, mais nous ne pourrons pas réussir sans les parents. Il s'agit d'une de mes actions prioritaires, comme le travail avec les publics de l'Outre-mer, de l'ASE et les personnes en situation de handicap.

S'agissant de la pauvreté, nous finalisons une stratégie qui prendra le relais de ce qui a été fait au cours du précédent quinquennat. Cette stratégie est polymorphe et combine les enjeux de logement et d'aide sociale. Nous travaillons beaucoup sur la question des allocations et de la protection, qui ne concerne pas tout le monde, comme nous le souhaiterions. Pourtant, beaucoup de choses ont été faites ; l'accueil d'urgence se situe ainsi à un niveau jamais atteint au cours des précédents quinquennats. La sortie de ces places d'accueil d'urgence est également une problématique en soi, de même que la sortie des foyers pour jeunes mamans et enfants et l'accession à des logements propres et sûrs. La crise sanitaire et la mise à l'abri de beaucoup de personnes ont, en outre, ralenti la construction des logements sociaux. Nous avons beaucoup à faire, mais sommes très engagés, avec le ministre délégué chargé de la ville.

Au registre des petits succès, nous sommes parvenus, l'année dernière, à rescolariser plus de 3 000 enfants qui vivaient dans des bidonvilles. Nous menons une action très transversale, associant politique de la ville, éducation nationale, santé et, bien sûr, protection de l'enfance. Les chiffres de la pauvreté restent évidemment inacceptables ; c'est un combat que nous menons spécifiquement dans la stratégie contre la pauvreté, qui doit être présentée dans les prochains jours.

Beaucoup a été fait pour les familles monoparentales : l'intermédiation financière des pensions alimentaires, qui a permis de stabiliser un certain nombre de familles, l'augmentation de certaines allocations et la prise en compte du statut de monoparentalité. C'est évidemment toujours insuffisant, tant la séparation et la reconstruction de la famille sont des moments qui fragilisent les enfants. Les séparations se produisent une fois sur deux avant le premier anniversaire des enfants et certains peuvent connaître jusqu'à neuf parentalités, nous a dit Boris Cyrulnik. Imaginez les conséquences sur les parcours de ces enfants ! Parentalité et construction familiale sont vraiment des enjeux pour ces familles – et encore suis-je optimiste, parler de stabilisation du concept même de famille serait plus juste.

Les enjeux de parentalité nous ont sauté aux yeux lors des récents troubles – et je regarde ces familles, qui ont assisté aux émeutes de très près, avec humanité. Elles font tout ce qu'elles peuvent, certaines demandant de l'aide et n'en recevant pas, d'autres n'en demandant pas. Il ressort des observations que la prévention et l'accompagnement en milieu ouvert sont essentiels pour prévenir les placements d'enfant, qui sont de plus en plus nombreux faute d'avoir pu organiser cet accompagnement en amont. On peut discuter longuement des raisons qui expliquent cela, madame Marianne Maximi : toutes les familles ne sont pas demandeuses d'aide et, au sein même de ces familles, les deux parents ne le sont pas non plus. Le désaccord entre les parents est d'ailleurs une des causes de la judiciarisation de la protection de l'enfance – on va devant le juge pour obtenir l'accord de tout le monde, ce qui ralentit encore le processus.

Des mécanismes de prévention et d'adhésion des familles existent. J'ai saisi le CNPE pour que l'on trouve un moyen de travailler sur la protection de l'enfance avec les familles, sans toujours recourir à une décision de justice, qui s'impose brutalement. Je suis magistrate, donc je ne conteste pas l'importance de ces décisions, mais elles se prennent très en amont, et de plus en plus en aval. Les enquêtes ouvertes pour violences intrafamiliales conduisent à intervenir dans des délais très contraints, sans accompagnement. La politique des 1 000 premiers jours conduit, quant à elle, au placement de plus en plus de bébés ; c'est en partie le résultat – positif – de la formation des professionnels. La pression est très forte et, selon les situations sociales, dans les quartiers urbains ou ailleurs, on est constamment dans l'urgence ; cela n'est pas satisfaisant, en plus d'être brutal pour les familles qui subissent ces placements. L'aide sociale à l'enfance d'aujourd'hui n'a pas meilleure presse que ne l'avait l'ancienne Ddass (direction départementale des affaires sanitaires et sociales) ; pour les familles, si elle entre chez elles, c'est pour leur voler leur enfant. Le travail en amont est donc compliqué et explique aussi ces placements, qui constituent, finalement, la décision la plus « lisible » – je n'aime pas cette expression – de la situation, en permettant d'observer l'enfant en dehors de son milieu familial et de comprendre ce qui se passe.

Les travailleurs sociaux et les magistrats doivent définir ensemble ce qu'est le milieu ouvert et la façon de l'améliorer. Ils doivent discuter aussi du placement, qui est désormais la principale réponse aux problématiques de famille ; cela n'est pas satisfaisant, parce qu'il s'agit nécessairement d'une rupture pour l'enfant. Je le répète, les modalités de placement doivent être subsidiaires à l'accompagnement familial. Les chiffres sont connus et le rapport du Sénat sur la protection de l'enfance de juillet 2023 est très clair : quelles que soient les lois de protection de l'enfance – de 2007, de 2016 ou de 2022 –, il y a toujours 80 % de judiciarisation et 20 % d'administratif ; 60 % de placements et 40 % de milieux ouverts. La stabilité est la règle, bien que le législateur préconise moins de placements et plus de participation des familles. Repenser la prévention et le milieu ouvert est un long travail, fortement déstabilisé par la crise sanitaire, sur lequel nous pouvons avancer tous ensemble, notamment avec l'autorité judiciaire. Une décision de justice doit être exécutée, mais quand on décide d'un placement, ne peut pas s'exonérer de s'interroger sur l'aval et sur le sens de ce placement. Et toute cette démarche doit être collective.

Concernant les moyens destinés à la protection de l'enfance, leur évaluation et la collecte des données, on part de très loin. Je viens de mettre en place le GIP France enfance protégée, qui doit être le lieu de réflexion et de travaux sur les ressources et les données. Le législateur, dans sa grande sagesse, a souhaité créer un objet administratif, riche de ses composantes ; nous en sommes toujours à fédérer les énergies de l'ensemble des personnes qui ont rejoint le GIP. Sa gouvernance, qui associe l'État, les départements et les associations, est très audacieuse. Toutes ces composantes sont engagées pour l'intérêt supérieur de l'enfant, mais leurs points de vue ne sont pas nécessairement convergents.

Au-delà du GIP, dans le cadre d'un plan « numérique » ambitieux – que vous avez certainement dû aborder dans d'autres circonstances –, le ministère de la justice s'est saisi de la question des chiffres de la justice des mineurs. Indispensables à l'évaluation de tout ce dont nous parlons présentement, ces chiffres sont au mieux schématiques, au pis inexistants. Qu'il s'agisse des mineurs non accompagnés, des décisions non exécutées ou de la qualité et de la continuité des parcours, le trou est béant côté judiciaire. Et nous avons 101 départements qui, chacun, disposent de leurs propres chiffres ! Nous avons heureusement l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) qui, de temps en temps, fait des synthèses, ainsi que quelques études réalisées par les universités ; mais cela reste très largement insuffisant.

Ces départements consacrent plus de 8 milliards d'euros à la protection de l'enfance ; depuis cinq ans, ce budget augmente de 10 % à 15 % chaque année. L'État contribue lui aussi, mais de façon peu visible – quand l'école accueille un enfant sous protection de l'ASE, par exemple. Nous travaillons actuellement à des conventions avec l'Éducation nationale et l'enseignement supérieur pour mieux accompagner les enfants protégés dans leur parcours scolaire. C'est un gage d'insertion à la sortie du dispositif de protection de l'enfance.

Un dispositif de santé accompagne parfois ces enfants : pour la santé physique, c'est l'expérimentation intitulée Santé protégée, que nous proposerons d'élargir, dans le cadre du PLFSS, à tous les enfants de la protection de l'enfance. Nous travaillons, à l'occasion des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant, à la même démarche en matière de santé mentale. Ces enfants, plus que les autres, ont besoin d'un bilan et d'un accompagnement psychologiques. Tout cela, c'est de l'argent que l'État met au service de la protection de l'enfance et qui s'ajoutent aux 8 milliards d'euros que l'on cite habituellement.

La société civile aussi doit être mobilisée, car ces 300 000 enfants n'ont pas de réelle existence dans notre pays – ils intéressent M6 une fois tous les deux ans, pour un reportage racoleur. Les gamins eux-mêmes ne disent pas qu'ils sont placés, pour ne pas donner une mauvaise image d'eux, et pas davantage lorsqu'ils sont sortis d'affaire. Nous avons beaucoup investi sur le mentorat et le parrainage, qui sont essentiels à l'accompagnement de ces enfants. Je suis ravie que le Garde des sceaux se soit saisi de la question des droits de ces enfants, en donnant toute leur place à l'avocat et à l'administrateur ad hoc, mais aussi en mettant les moyens pour qu'ils aient accès à leurs droits.

De mon côté, j'ai demandé que le CNPE s'occupe de la place, essentielle, des familles, en plus d'autres sujets également cruciaux, comme le placement des nourrissons, dont l'évolution est aujourd'hui extrêmement inquiétante. Que signifient ces pouponnières remplies d'enfants, placés quelques semaines après leur naissance ? Que prévoit-on pour eux ? On retrouve là, à nouveau, l'enjeu de la parentalité et de l'accompagnement des familles.

La question de la parentalité doit faire partie de l'éducation des enfants à la vie, ces fameuses compétences psychosociales. On ne parle pas de parentalité avant qu'ils deviennent grands, à nos enfants. Grâce à la politique des 1 000 premiers jours, on en parle maintenant juste avant et juste après une naissance, mais beaucoup trop de parents le deviennent sans savoir ce que cela signifie. Cette notion doit susciter la mobilisation de tous les acteurs, y compris dans le monde du travail, car un parent équilibré est un travailleur équilibré. La parentalité est donc, à mon avis, au cœur de tous les enjeux qui nous préoccupent.

En la matière, la prévention et le milieu ouvert doivent retrouver une place prioritaire par rapport au placement. Or, dans ce champ de la protection de l'enfance qui ne connaît pas de normes d'encadrement, un décret important est en cours de travail qui, bien qu'un peu contesté par tout le monde, aboutira à l'exigence que les départements et l'État mettent tous les moyens sur l'encadrement dans le placement, en contradiction avec les moyens dont ont besoin le milieu ouvert et la prévention et alors même que nous n'avons pas de travailleurs sociaux, en dépit des importants moyens financiers que nous leur consacrons. Cet équilibre global entre prévention, milieu ouvert, placement et qualité de la prise en charge, qui a pour seule finalité le parcours le plus construit, le plus fluide et le plus stable affectivement pour l'enfant, est très compliqué à trouver dans ce cadre de parentalité complexe et de violence, réelle, qui nous oblige à intervenir en urgence.

Je me permets de vous rappeler, madame Marianne Maximi, que pour ce qui est de la mort du petit garçon que vous avez évoquée, l'enquête pénale a conclu à un accident – certes, si cet enfant n'avait pas été là, il ne serait pas tombé – et qu'aucune violence n'est à l'origine de la défenestration. C'est important de le dire, car des professionnels se sentent, dans l'exercice de leurs fonctions, terriblement et légitimement coupables. Je suis très attentive à ce que l'on emploie les mots qui conviennent et je fais partie de celles qui pensent que celui de maltraitance recouvre des réalités très différentes. Des désorganisations professionnelles, qui sont préjudiciables et qui relèvent de la responsabilité des institutions publiques, des financeurs et des employeurs, ne sont pas assimilables à des passages à l'acte inacceptables de professionnels ni à des situations, accidentelles notamment, qui dépassent la responsabilité de tout le monde. Le poids est lourd sur les épaules de ces travailleurs sociaux, mais il nous appartient aussi de contribuer à l'attractivité de leur métier en mettant en lumière ce qui va bien. C'est notamment mon objectif avec la politique de mise en valeur des bonnes pratiques et des belles histoires de la protection de l'enfance – parce qu'il en existe.

Le rôle des familles est aussi primordial dans le problème du harcèlement, qui rejoint les thèmes des violences faites aux enfants, des violences entre enfants et de l'éducation à la non-violence. Comme je l'ai dit pour l'affaire du jeune Lucas, les enfants ne naissent pas homophobes. Je ne suis pas dans l'intimité des familles dont les enfants ont été impliqués dans ces faits de harcèlement, mais la violence qui s'est exercée sur Lucas n'a peut-être pas été corrigée par ces mêmes familles. C'est pourquoi, après l'affaire de la petite Lindsay, j'ai invité les parents à rentrer chez eux et à interroger leurs enfants sur ce qu'est le numérique. Vous le savez, monsieur Erwan Balanant, 80 % des parents n'ont aucune idée de ce que leurs enfants font sur le net. Quand tous ou presque demandent « où vas-tu, qui vas-tu voir et quand rentres-tu ? » lorsqu'un enfant sort, ces questions ne sont jamais posées pour le numérique. On se dit même qu'au moins, avec leur téléphone, les enfants restent à la maison, au calme, et ne font pas de bêtise. Il faut que les parents prennent conscience que les risques sur internet ont parfois des effets décuplés par rapport à ceux de la vie réelle. Les drames survenus à Lucas et à Lindsay doivent être l'occasion pour eux de discuter avec leurs enfants, le plus tôt possible. On sait que ces maux apparaissent dès les CM1 et CM2 et qu'ils se cristallisent au collège, une période charnière pour la construction des enfants et pour les phénomènes de groupe. Ils se régularisent à peu près au lycée, avant le passage à l'âge adulte, même si des adultes ont été poursuivis dans ces affaires et que le harcèlement numérique n'est pas l'apanage de nos seuls enfants. Sur les réseaux sociaux, nous sommes nous-mêmes victimes de mots désagréables ; mais comme nous sommes adultes, nous le vivons plutôt mieux. Les adultes doivent donc, eux-mêmes, être exemplaires.

La Première ministre a réuni les ministres concernés la semaine dernière, pour accélérer et coordonner l'action de chacun en matière de harcèlement. Dans le cas de Lindsay, la question de la coordination de l'école, des acteurs du numérique, de la plateforme 3018, de la justice, des forces de police et de gendarmerie a été posée. Nous travaillons pour que l'ensemble de ces acteurs, y compris les plateformes numériques qui ont une responsabilité à prendre en la matière, puissent se concerter. Ils doivent pouvoir se demander, lorsqu'il y a un signal de harcèlement, s'il est encore possible de régler le problème par la médiation entre les deux enfants. Dans le cas contraire, les institutions doivent pouvoir réagir et protéger l'enfant harcelé, tout en prenant en compte le harceleur, étant entendu qu'un harceleur peut devenir harcelé, et réciproquement. Les études sont très claires à cet égard. Le travail avec les enfants doit être éminemment transversal.

Beaucoup d'initiatives et de travaux sont lancés, comme la généralisation du programme Phare de lutte contre le harcèlement à l'école, à la rentrée, par le ministre de l'Éducation nationale, ou encore la formation des ambassadeurs lycéens contre le harcèlement, la Journée du harcèlement le 10 novembre et l'apparition du petit bouton « harcèlement », beaucoup plus visible et facilement accessible, sur les plateformes numériques. La coordination des acteurs et les relations avec les parents restent toutefois essentielles. Selon certains chefs d'établissements scolaires, les parents de harceleurs contestent les faits lorsqu'ils sont interpellés. Il faut donc travailler ces relations.

Je remercie le Parlement de s'être saisi du sujet de la parentalité numérique. Les textes de Bruno Studer sur le contrôle parental ou celui de Laurent Marcangeli sur la majorité numérique nous permettent de nous adresser beaucoup plus clairement aux parents.

Le constat que je fais, au bout d'un an, c'est que nous sommes nombreux à parler du numérique aux parents, mais sans vraiment disposer des outils pour le faire. Il existe un site, « jeprotegemonenfant.gouv.fr », que nous retravaillons, parce que je ne le trouve ni lisible ni visible ; il y a également les ateliers de la parentalité numérique, qui sont notamment promus par la CAF et les plateformes. Nous avons labellisé les contenus, parce que c'est ce que les parents attendent ; ils veulent que ces contenus soient clairs et consensuels. Si l'on prend l'exemple des écrans, tous les acteurs ne tiennent pas le même discours : certains sont ainsi pour interdire strictement tous les écrans avant 3 ans ; cela me paraît, quant à moi, un peu excessif. Nous savons cependant que les parents ont besoin d'avoir des règles ; en ce sens, la majorité numérique à 15 ans est un signal clair.

Nous allons préserver dans la COG de la Cnaf un certain nombre de crédits pour accompagner la parentalité numérique. Nous avons ainsi fait une campagne, dont le message – « Vous apprenez à vos enfants à nager, apprenez-leur à surfer sur le net » – a eu un certain impact. Comme vous l'avez rappelé, monsieur Erwan Balanant, le téléphone mobile est dans nos vies et ses répercussions sont polymorphes. Les orthophonistes disent, par exemple, que le simple fait de contrôler notre mobile en permanence, pour vérifier si nous n'avons pas reçu un message urgent ou si la livraison est bien arrivée, a pour conséquence une interaction plus faible avec les enfants. Résultat, l'acquisition du langage par les tout-petits est beaucoup plus lente. Ces répercussions vont également très loin dans les relations sociales, affectives et amoureuses. Certains adolescents sont incapables de demander quelque chose autrement que par SMS, qui leur permet d'éviter un refus ou d'instaurer un dialogue. Et puis il est beaucoup plus facile de se séparer par SMS que d'en discuter face à face. Cela concerne aussi les adultes, pour lesquels il est beaucoup plus simple d'envoyer un message que de passer un appel ; or un coup de téléphone n'a pas le même impact qu'un message. Certes, nous avons la plateforme Pix et le permis internet, mais l'éducation au numérique ne se limite ni à la sécurité ni à la protection des données ; il s'agit d'éducation à la vie. Et pour cela, les adultes ont un devoir d'exemplarité.

L'écologie est, bien entendu, au cœur des préoccupations du Gouvernement ; je confesse, en revanche, que si mon secrétariat d'État a travaillé sur de très nombreux sujets, il n'a pas eu les moyens de se consacrer à l'environnement proprement dit. L'écologie est présente dans nos esprits et dans nos actions, mais je n'ai eu ni le temps ni les moyens de développer un programme spécifique et transversal « enfance et écologie ». Je comprends votre demande, madame Pasquini, elle est très légitime et nous allons l'ajouter à notre programme de travail.

Ce que je peux dire, en tout cas, en matière d'environnement, c'est que nous pouvons compter sur les enfants et sur les jeunes pour nous pousser à faire plus, mieux et plus vite.

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Il faut effectivement recréer la confiance entre les travailleurs sociaux et les familles. Trop souvent, lorsque ces familles appellent à l'aide, cela se termine par un placement, qui discrédite la parole de ces travailleurs sociaux. Concernant l'encadrement, il faut aussi que l'on regarde le nombre de mesures que doit traiter chaque éducateur en milieu ouvert, selon qu'il s'agit d'AEMO ou d'AEMO renforcée, car on note de grosses disparités d'un département à l'autre.

En matière d'accompagnement des familles, je salue votre initiative de recensement des bonnes pratiques. Pour en avoir observé, notamment à SOS Villages d'enfants et à Apprentis d'Auteuil, certaines pratiques fonctionnent vraiment très bien ; il faudrait que l'on arrive à les généraliser.

J'en profite pour vous glisser quelques mots sur les espaces rencontres, notamment sur Les passages de bras, qui permettent d'éviter tension et violence en cas de conflit. Nous devons absolument développer ce système.

Enfin, nous avons actuellement une mission sur l'éducation numérique au sens large, pour les parents et pour les enfants. Pour que les premiers puissent éduquer les seconds, il faut déjà qu'ils soient à l'aise, eux-mêmes, avec ces outils. Nous devrions avoir les conclusions de cette mission vers la mi-octobre ou le début du mois de novembre.

Nous en venons aux questions des autres députés.

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Plusieurs des observations du Comité des droits de l'enfant des Nations unies s'agissant de l'application par la France des droits consacrés par la Cide ont retenu mon attention, en particulier le rapatriement des enfants retenus zone en irako-syrienne – sur lequel j'ai travaillé avec Mme la présidente et Mme Francesca Pasquini – ou le recours renforcé aux salles Mélanie dans les gendarmeries.

Je suis particulièrement sensible aux questions de santé mentale et, à cet égard, le Comité appelle la France à dresser un état des lieux de la santé mentale des enfants. Il l'invite également à élaborer une stratégie nationale, en s'interrogeant notamment sur les plus vulnérables, comme ceux qui sont pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Il se trouve que je suis rapporteur budgétaire sur ce sujet, qui m'est très cher.

Il s'agit d'un défi majeur, que la crise sanitaire a encore accentué. Un rapport de la Cour des comptes, sorti le 21 mars dernier, révèle que 1,6 million d'enfants et d'adolescents souffrent de troubles psychiques, 800 000 mineurs bénéficiant de soins pédopsychiatriques. Quant au nombre de pédopsychiatres, il a diminué de 34 % entre 2010 et 2022, soit une baisse de plus de 1 000 praticiens. La Cour des comptes dénonce une offre de soins psychiques inadaptée aux besoins de la jeunesse. Elle constate la saturation et le manque de visibilité du parcours de soins ainsi qu'une gouvernance peu adaptée. La Cour souligne néanmoins la volonté exprimée par le Gouvernement, depuis 2018, de renforcer l'accès à l'offre de soins psychiques infanto-juvéniles, manifestée par la feuille de route sur la santé mentale et, en amont du parcours de soins, par le projet national des 1 000 premiers jours, pour prévenir les troubles psychiques des mères et des nourrissons.

Pour les années à venir, quelles priorités fixez-vous en matière de santé mentale des enfants, des plus vulnérables en particulier ? Comment poursuivre l'effort dans ce domaine ?

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Le Comité des droits de l'enfant de l'ONU a alerté la France quant à la très mauvaise scolarisation des enfants en situation de handicap. Ce n'est malheureusement pas une surprise, puisque la Défenseure des droits l'avait déjà fait en août 2022 dans son rapport sur l'accompagnement des élèves en situation de handicap, ce sujet faisant l'objet de 20 % des saisines relatives aux droits de l'enfant qui lui sont adressées. Malgré l'ampleur du phénomène, il est insupportable qu'il n'existe pas de statistiques nationales relatives aux enfants déscolarisés, faute d'accompagnant. En Haute-Garonne, la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) et les syndicats estimaient, en septembre dernier, qu'il manquait plus de 300 postes d'accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH). Cela se traduit par un temps de présence d'AESH auprès d'élèves nécessitant un accompagnement quotidien réduit à quelques heures par semaine ou, pire, par la déscolarisation, faute d'accompagnement et de places en établissement médico-social. Les enfants sont en souffrance, les parents sont désespérés, comme ce père qui m'a raconté avoir fait une grève de la faim pour que les droits de son enfant soient respectés.

Les besoins augmentent et le Gouvernement nous explique qu'il peine à recruter. Mais comment s'en étonner ? La grande majorité des AESH ont des contrats précaires à temps incomplet ; elles sont payées 800 ou 900 euros par mois et accompagnent parfois cinq ou six élèves, qui ont des besoins très différents, dans plusieurs établissements. Puisqu'on prépare en ce moment la rentrée, allez-vous engager la fusion des fonctions d'assistant d'éducation et d'AESH, fusion redoutée par les professionnels parce qu'elle nierait complètement la spécificité du métier d'AESH ? Allez-vous, au contraire, mettre en place un véritable statut de fonctionnaire pour les AESH, avec un temps plein de vingt-quatre heures d'accompagnement et avec une formation et une rémunération dignes ?

Assez d'alertes, il faut agir pour le droit à la scolarité ! Or si l'inclusion scolaire reste « low cost », pour reprendre les termes de mon collègue François Ruffin, elle continuera de produire de la souffrance pour tous : pour les AESH, ces travailleuses essentielles, pour les familles, pour nos enfants.

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S'agissant des mineurs non accompagnés, le rapport du Comité des droits de l'enfant signale l'utilisation de tests osseux comme outils de décision concernant leur prise en charge, ou non, par les départements. Faut-il supprimer ces tests et, si oui, par quoi les remplacer ?

Pour les mineurs qui ont été pris en charge, l'année de la majorité constitue un passage difficile, marqué par une sortie sèche du dispositif. Peut-on envisager une solution similaire à celle retenue pour les enfants sortant de l'ASE ?

Les jeunes qui sont placés en centre de rétention administrative, à Mayotte et en Guyane notamment, sont le plus souvent seuls ou accompagnés, plus ou moins, par des personnes qui ne sont pas de leur famille – en Hexagone, ils sont en famille. À l'issue d'une mission sur place au cours de la précédente législature, nous avions déposé une proposition de loi pour que le juge d'instruction donne un avis préalable ; elle n'a pas abouti.

S'agissant des violences faites aux enfants, j'ai rédigé, au nom de cette délégation, un rapport d'information sur les moyens de mieux accompagner les enfants covictimes de violences intrafamiliales. Afin de mieux prendre en compte les conséquences psychologiques de ces violences, j'y préconisais le repérage, la prise en charge et le suivi psychologique des enfants qui subissent les conséquences de ces violences sans en être les victimes directes, sans recevoir de coups.

S'agissant des décisions judiciaires de placement, dans le département où je suis élue, 180 enfants sont en attente de placement, faute de familles d'accueil ou de places dans des structures d'accueil. En outre, certains enfants ne sont pas placés où ils devraient l'être ; ils occupent alors des places qui ne sont pas libérées pour d'autres enfants.

Enfin, faute de professionnels, les troubles psychologiques liés au covid-19, à la violence, à la crainte des risques environnementaux ou au stress ne sont pas pris en charge. Nous avons devant nous un boulevard de l'accompagnement psychologique.

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Ma collègue Servane Hugues et moi-même menons une mission d'information sur l'instruction des enfants en situation de handicap. Dans son rapport, le Comité des droits de l'enfant enjoint à la France de renforcer la formation et d'augmenter le nombre d'enseignants et d'éducateurs spécialisés dans les classes inclusives. Il lui est également demandé de promouvoir et de faciliter l'inclusion des enfants dans tous les lieux de vie, y compris à l'école, en particulier dans les zones rurales et dans les territoires ultramarins.

En dehors de la plateforme Cap école inclusive – un outil dont il faut pouvoir et savoir se saisir –, quelles mesures souhaite engager le Gouvernement pour assurer une formation initiale adaptée de toutes les personnes qui accompagnent les enfants en situation de handicap, mais aussi pour garantir que ces mêmes personnes ont bien suivi leur formation continue ?

Plus largement, pensez-vous qu'augmenter le nombre de professionnels en milieu scolaire permettra de mieux accompagner les 436 000 élèves concernés ? S'agit-il d'une stratégie vraiment adaptée ?

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Le rapport de l'Onu est cinglant, et j'en partage les inquiétudes quant à l'effectivité du droit fondamental à l'éducation pour tous les enfants, notamment Outre-mer, où l'absence totale de scolarisation d'une partie de la population augmente. Ces territoires sont déjà touchés par l'inflation, l'insécurité et une immigration incontrôlée ; l'école devrait précisément être un des piliers permettant de s'en sortir.

Nos compatriotes d'Outre-mer sont des Français comme vous et moi. Quand l'ONU pointe ce genre de défaillances sur le territoire national, les corriger doit être la priorité absolue du Gouvernement. À la lecture de ce rapport, on a l'impression qu'il traite d'un pays du tiers-monde. Malheureusement, ce n'est pas totalement faux : l'inaction de ce Gouvernement et des quelques précédents conduit bel et bien à la tiers-mondisation de la France.

Madame la secrétaire d'État, j'en appelle à votre volonté de changer les choses. Qu'allez-vous faire, à court terme, pour aider nos compatriotes d'outre-mer et rétablir un taux de scolarisation le plus élevé possible ? Je me permets d'ajouter que si la situation migratoire de Mayotte n'est pas traitée de la façon la plus rigoureuse, vous pourrez mettre en place tous les plans de financement que vous voudrez, vous n'y arriverez pas.

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Charlotte Caubel, secrétaire d'État

L'État consacre quelque 3 milliards à l'école inclusive ; c'est probablement insuffisant mais cela reste un investissement important. Nous poursuivons la dynamique du meilleur accueil possible des enfants dans les écoles, tout en développant une approche en plateforme, pour répondre aux parents. Le préalable est d'avoir une entrée unique pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et l'école, avec un numéro d'identification : une fois le handicap qualifié par la MDPH, l'école peut évaluer rapidement les besoins et la réponse à apporter. Le modèle d'évolution, en guichet unique, est le même que celui des pôles inclusifs d'accompagnement localisé (Pial).

Au sein même des établissements, un mécanisme de plateforme permettrait de disposer d'AESH en situation stable – nous travaillons sur des contrats communs entre collectivités et État permettant des temps de travail pleins et non « fractionnés » – mais surtout d'une équipe éducative et médico-sociale répondant de façon complète aux besoins des enfants, de sorte qu'un espace médico-éducatif côtoierait la classe traditionnelle. Ce sont les 100 expérimentations annoncées par Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, qui consistent à implanter de petits instituts médico-éducatifs (IME) au sein des établissements scolaires. Cette configuration permet aux enfants de bénéficier d'une réversibilité des parcours : ceux qui se sentent bien en classe unique peuvent y rester ; ceux qui, temporairement, ne le peuvent plus sont accueillis dans l'espace médico-éducatif ; ceux qui évoluent favorablement au sein de la structure IME peuvent basculer vers la classe ordinaire. Quels que soient les cas de figure, des temps communs – récréation, cantine ou sorties scolaires – contribuent à l'inclusion. Au bout du compte, tous les enfants, y compris ceux en situation de handicap plus lourd, passent les portes de l'école.

Un des enjeux fondamentaux est le périscolaire et l'accompagnement hors de l'école. Nous avons mis beaucoup d'argent pour l'école et nous avons développé tout un corps d'accompagnants. Dans certaines classes, il peut y avoir jusqu'à huit AESH ! Or il n'est pas souhaitable qu'autant d'adultes cohabitent dans une même salle de classe, d'où l'idée de développer d'autres possibilités d'accueil, toujours les plus adaptées aux besoins de l'enfant. Ces dispositifs, accessibles via l'école, doivent être soutenus par les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), c'est-à-dire par des équipes mobiles qui peuvent accompagner les parents chez eux ou, pour les enfants placés en protection de l'enfance, dans des structures d'accueil ou au sein de familles d'accueil.

S'agissant de la fusion des fonctions d'assistant d'éducation et d'AESH, je pense qu'elle n'est pas adaptée, car il ne faut pas fusionner le pédagogique et le médico-social. Chaque professionnel doit conserver ses spécificités, ses compétences, ses savoirs ; le professeur doit garder la possibilité d'enseigner sans avoir à mélanger tous les métiers. Le partage et la mise en place d'un vrai partenariat entre les équipes pédagogiques et médico-sociales sont préférables à la fusion. C'est ce rapprochement qu'il faut cultiver ; il s'agit, pour nous, d'un axe politique majeur.

Je suis très attentive à ce que les enfants en structures IME et Itep (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) aient accès à la même offre culturelle, sportive et de socialisation que celle proposée dans les établissements ordinaires. L'énergie que nous avons dépensée pour l'école ne doit pas grever celle que nous devons déployer pour d'autres structures. L'idéal est que des synergies, des plateformes et des équipes se créent et qu'il n'y ait plus deux canaux parallèles, qui nécessitent deux fois plus de moyens et d'énergie.

Je travaille en ce sens et de manière concertée avec Geneviève Darrieussecq ; c'est d'ailleurs une demande spécifique du Président de la République. On sait qu'une mauvaise prise en charge ou la fatigue des familles peut conduire à la saisine de l'aide sociale à l'enfance et à des placements – dans certains territoires, plus de 20 % des enfants pris en charge par l'ASE sont en situation de handicap. Ce chiffre atteste de notre difficulté à accompagner la parentalité et le parcours de ces enfants ; il confirme que nous devons avancer et faire mieux sur tous ces sujets. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement lance une mission véritablement transversale, confiée à M. Stéphane Haussoulier, le président du conseil départemental de la Somme, qui va du transport scolaire au foyer de la protection de l'enfance – car tout est dans tout et les flux et les prises en charge interagissent.

En matière de santé mentale, le plan « autisme » a été lancé avant mon entrée en fonction ; il est destiné à rattraper le retard considérable de la France en la matière, par l'amélioration du diagnostic, la reprise d'un « stock » de prises en charge important et la mise en œuvre de pratiques qui existaient peu précédemment.

La crise sanitaire a compliqué la situation en matière de santé mentale : à cause de celle-ci, les gamins se sont essentiellement socialisés par le numérique, ce qui, par un effet d'entraînement, a fragilisé l'équilibre général de nos enfants. Plusieurs enquêtes concernant les étudiants et les études Enabee, sur les 3 à 11 ans, ont mis en lumière l'état de santé mentale très inquiétant des enfants, quels que soient leurs milieux sociaux. Cette crise sanitaire a également nourri les violences, elles-mêmes alimentées par le numérique, à l'instar du harcèlement. Là aussi, tout est dans tout. Il nous faut agir sur toutes les thématiques et répéter que les violences psychologiques, comme les violences physiques et, a fortiori, les violences sexuelles, ont des impacts extraordinaires et déstructurants. La plupart des victimes adultes se présentent en effet comme des survivantes. Ce terme très fort, même s'il peut être contesté, laisse imaginer l'effet que ces violences peuvent avoir sur la santé mentale de nos enfants.

Parmi les actions déjà en cours figuraient également le renforcement des maisons des adolescents (MDA) et l'investissement dans les centres médico-psychologiques (CMP). Une circulaire du ministre de la santé a été largement diffusée, auprès de l'Éducation nationale et de la PJJ notamment, pour qu'en matière de compétences psychosociales, des clés soient données aux enfants eux-mêmes pour qu'ils sachent réagir à certaines émotions – la tristesse, la peur ou la colère, par exemple. Ces outils sont largement utilisés dans d'autres pays, mais ils étaient largement ignorés de la sphère éducative et parentale en France.

Les formations aux premiers secours en santé mentale, notamment chez les fonctionnaires, dans les écoles ou à la PJJ, permettent quant à elles de répondre à une des difficultés propres aux enfants : le diagnostic au moment d'une crise – les parents peuvent, en effet, contester la dimension « mentale » de cette crise. Il s'agit de fournir à l'ensemble des acteurs de l'enfance, des professionnels de la PMI aux professeurs de sport, en passant par les moniteurs de colonie de vacances, les éléments indispensables pour qu'ils aient les bons réflexes, qu'ils sachent qui appeler lorsqu'ils repèrent un comportement atypique. Nous travaillons en ce sens avec Amélie Oudéa-Castera et Sarah El Haïri.

« Mon Parcours psy », dispositif annuel de huit séances d'accompagnement psychologique, permet également de venir en aide aux personnes, aux enfants notamment, qui en éprouvent le besoin. Son déploiement et son efficacité sont malheureusement limités par le manque de professionnels et les déserts médicaux. La prise en charge de la santé mentale des enfants est en outre entravée par la césure, à 15 ans, entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte. De plus, comme nous n'avons pas repéré les troubles du neurodéveloppement des générations antérieures, il arrive également que des parents soient détectés lors de l'évaluation de leurs enfants. Il faut alors assurer un double accompagnement, qui rend la situation plus complexe encore.

C'est donc un vaste chantier qui s'offre à nous, de la prévention jusqu'à l'ouverture de lits en pédopsychiatrie, dont le manque est manifeste. Cela d'autant que nous attendons également les préconisations des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant.

Madame Nicole Dubré-Chirat, vous avez évoqué les délais d'attente pour l'application des mesures de placement. Nous devons, globalement, faire face à quatre facteurs aggravants. Le premier est la meilleure prise en compte des violences intrafamiliales, qui conduit à davantage de placements. Le deuxième est l'augmentation des placements de nourrissons, notamment de prématurés, pour lesquels le lien avec la mère est plus compliqué. Ces nourrissons sont notamment nés de très jeunes mamans, de femmes issues de l'immigration ou qui ont déjà plusieurs enfants. Le troisième facteur est la baisse du nombre de familles d'accueil et les difficultés à recruter des travailleurs sociaux, malgré les moyens financiers mis à disposition. Enfin, la reprise des flux migratoires provoque l'arrivée d'un plus grand nombre de mineurs non accompagnés, qu'il faut protéger.

J'ai visité plus de quarante départements et je n'en ai pas vu qui n'investissaient pas dans la politique de l'enfance, malgré le coût très élevé de la prise en charge d'un enfant placé. Ce coût est de l'ordre de 60 000 à 90 000 euros par an et cela ne me pose pas de problème, car ces enfants méritent cet investissement, pour l'avenir. Peu de départements me disent : « Madame la ministre, passez votre chemin. » Certains peuvent mettre plus d'argent, mais ne recrutent pas, pour les raisons déjà évoquées d'attractivité des métiers, mais aussi de refonte de ces métiers, de convention unique, de Ségur de la santé – cela mériterait une autre audition, avec tous les ministres concernés.

Se pose à nouveau la question de la prévention et de l'accompagnement en milieu ouvert. Bien évidemment, la protection est prioritaire et, comme le disent Martine Brousse et La Voix de l'enfant, le plus important est d'éviter la violence et la mort – au premier signe, on place. Mais alors quid de la parentalité ? Nous avons besoin d'enquêtes judiciaires plus rapides et plus efficaces, pour mieux écouter les parents et les enfants. Nous devons consacrer plus de moyens à la justice et à la police, à la formation des enquêteurs – avec la formation Ciivise notamment –, ou encore aux Uaped, que nous avons décidé d'implanter dans chaque département. Si nous menons à bien tout cela, peut-être ne serons-nous plus obligés de faire ce que recommande Mme Brousse, c'est-à-dire « placer tout de suite ». Comme nous n'avons pas d'accompagnement en milieu ouvert suffisamment structuré, nous évaluons insuffisamment les tiers de confiance et nous ne confions les enfants qu'aux foyers d'urgence, où l'on sait, pour y consacrer des moyens, que les normes d'encadrement sont à peu près respectées

Vous pouvez compter sur moi pour insuffler l'énergie globale nécessaire, y compris pour discuter de la contractualisation avec le ministre du budget. Je compte d'ailleurs sur vous à cet égard, mais aussi pour stimuler le GIP, quant à ses moyens et à son envie de faire. Pour vous donner un ordre d'idée, j'ai dû mobiliser le 119 afin que l'on puisse répondre aux appels lors de la campagne consacrée aux violences sexuelles, que nous allons lancer en septembre. Si le 119, le 3018 ou le 3020 ne répondent pas à tous les appels, nous ne pourrons pas prendre en compte ni prendre en charge toutes les personnes concernées par ces violences sexuelles.

Nous avons l'énergie, nous avons les moyens – même si nous pourrions en avoir un peu plus –, mais nous avons surtout besoin de coordination, de moyens humains et de motivation pour venir en aide aux enfants les plus fragiles.

Enfin, pour ce qui est des retours de zone irako-syrienne, autant le Comité a été critique sur la question des migrants et des MNA, autant il a salué nos efforts, tout en nous invitant à continuer. Nous avons pu lui expliquer que la France était un des pays qui a rapatrié le plus d'enfants, sans les stigmatiser. Ces 300 enfants vivent aujourd'hui sur notre territoire et mènent une vie aussi normale que possible, sans la moindre stigmatisation. C'est essentiel pour moi et je tenais à le préciser.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pour conclure, je forme le vœu que lors de la prochaine évaluation du Comité des droits de l'enfant, dans six ou huit ans, il soit possible d'avoir l'avis du Parlement, comme on a celui de la société civile et du Gouvernement. Il est important que la voix du Parlement soit entendue.

La séance est levée à 12 heures 30.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Erwan Balanant, Mme Sandrine Dogor-Such, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Perrine Goulet, Mme Servane Hugues, Mme Laure Lavalette, Mme Christine Loir, Mme Alexandra Martin, Mme Marianne Maximi, Mme Caroline Parmentier, Mme Francesca Pasquini, M. Alexandre Portier, M. Éric Poulliat, Mme Anne Stambach-Terrenoir

Excusés. – Mme Charlotte Goetschy-Bolognese, Mme Isabelle Santiago, M. Hervé Saulignac