L'État consacre quelque 3 milliards à l'école inclusive ; c'est probablement insuffisant mais cela reste un investissement important. Nous poursuivons la dynamique du meilleur accueil possible des enfants dans les écoles, tout en développant une approche en plateforme, pour répondre aux parents. Le préalable est d'avoir une entrée unique pour les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) et l'école, avec un numéro d'identification : une fois le handicap qualifié par la MDPH, l'école peut évaluer rapidement les besoins et la réponse à apporter. Le modèle d'évolution, en guichet unique, est le même que celui des pôles inclusifs d'accompagnement localisé (Pial).
Au sein même des établissements, un mécanisme de plateforme permettrait de disposer d'AESH en situation stable – nous travaillons sur des contrats communs entre collectivités et État permettant des temps de travail pleins et non « fractionnés » – mais surtout d'une équipe éducative et médico-sociale répondant de façon complète aux besoins des enfants, de sorte qu'un espace médico-éducatif côtoierait la classe traditionnelle. Ce sont les 100 expérimentations annoncées par Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, qui consistent à implanter de petits instituts médico-éducatifs (IME) au sein des établissements scolaires. Cette configuration permet aux enfants de bénéficier d'une réversibilité des parcours : ceux qui se sentent bien en classe unique peuvent y rester ; ceux qui, temporairement, ne le peuvent plus sont accueillis dans l'espace médico-éducatif ; ceux qui évoluent favorablement au sein de la structure IME peuvent basculer vers la classe ordinaire. Quels que soient les cas de figure, des temps communs – récréation, cantine ou sorties scolaires – contribuent à l'inclusion. Au bout du compte, tous les enfants, y compris ceux en situation de handicap plus lourd, passent les portes de l'école.
Un des enjeux fondamentaux est le périscolaire et l'accompagnement hors de l'école. Nous avons mis beaucoup d'argent pour l'école et nous avons développé tout un corps d'accompagnants. Dans certaines classes, il peut y avoir jusqu'à huit AESH ! Or il n'est pas souhaitable qu'autant d'adultes cohabitent dans une même salle de classe, d'où l'idée de développer d'autres possibilités d'accueil, toujours les plus adaptées aux besoins de l'enfant. Ces dispositifs, accessibles via l'école, doivent être soutenus par les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), c'est-à-dire par des équipes mobiles qui peuvent accompagner les parents chez eux ou, pour les enfants placés en protection de l'enfance, dans des structures d'accueil ou au sein de familles d'accueil.
S'agissant de la fusion des fonctions d'assistant d'éducation et d'AESH, je pense qu'elle n'est pas adaptée, car il ne faut pas fusionner le pédagogique et le médico-social. Chaque professionnel doit conserver ses spécificités, ses compétences, ses savoirs ; le professeur doit garder la possibilité d'enseigner sans avoir à mélanger tous les métiers. Le partage et la mise en place d'un vrai partenariat entre les équipes pédagogiques et médico-sociales sont préférables à la fusion. C'est ce rapprochement qu'il faut cultiver ; il s'agit, pour nous, d'un axe politique majeur.
Je suis très attentive à ce que les enfants en structures IME et Itep (institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) aient accès à la même offre culturelle, sportive et de socialisation que celle proposée dans les établissements ordinaires. L'énergie que nous avons dépensée pour l'école ne doit pas grever celle que nous devons déployer pour d'autres structures. L'idéal est que des synergies, des plateformes et des équipes se créent et qu'il n'y ait plus deux canaux parallèles, qui nécessitent deux fois plus de moyens et d'énergie.
Je travaille en ce sens et de manière concertée avec Geneviève Darrieussecq ; c'est d'ailleurs une demande spécifique du Président de la République. On sait qu'une mauvaise prise en charge ou la fatigue des familles peut conduire à la saisine de l'aide sociale à l'enfance et à des placements – dans certains territoires, plus de 20 % des enfants pris en charge par l'ASE sont en situation de handicap. Ce chiffre atteste de notre difficulté à accompagner la parentalité et le parcours de ces enfants ; il confirme que nous devons avancer et faire mieux sur tous ces sujets. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement lance une mission véritablement transversale, confiée à M. Stéphane Haussoulier, le président du conseil départemental de la Somme, qui va du transport scolaire au foyer de la protection de l'enfance – car tout est dans tout et les flux et les prises en charge interagissent.
En matière de santé mentale, le plan « autisme » a été lancé avant mon entrée en fonction ; il est destiné à rattraper le retard considérable de la France en la matière, par l'amélioration du diagnostic, la reprise d'un « stock » de prises en charge important et la mise en œuvre de pratiques qui existaient peu précédemment.
La crise sanitaire a compliqué la situation en matière de santé mentale : à cause de celle-ci, les gamins se sont essentiellement socialisés par le numérique, ce qui, par un effet d'entraînement, a fragilisé l'équilibre général de nos enfants. Plusieurs enquêtes concernant les étudiants et les études Enabee, sur les 3 à 11 ans, ont mis en lumière l'état de santé mentale très inquiétant des enfants, quels que soient leurs milieux sociaux. Cette crise sanitaire a également nourri les violences, elles-mêmes alimentées par le numérique, à l'instar du harcèlement. Là aussi, tout est dans tout. Il nous faut agir sur toutes les thématiques et répéter que les violences psychologiques, comme les violences physiques et, a fortiori, les violences sexuelles, ont des impacts extraordinaires et déstructurants. La plupart des victimes adultes se présentent en effet comme des survivantes. Ce terme très fort, même s'il peut être contesté, laisse imaginer l'effet que ces violences peuvent avoir sur la santé mentale de nos enfants.
Parmi les actions déjà en cours figuraient également le renforcement des maisons des adolescents (MDA) et l'investissement dans les centres médico-psychologiques (CMP). Une circulaire du ministre de la santé a été largement diffusée, auprès de l'Éducation nationale et de la PJJ notamment, pour qu'en matière de compétences psychosociales, des clés soient données aux enfants eux-mêmes pour qu'ils sachent réagir à certaines émotions – la tristesse, la peur ou la colère, par exemple. Ces outils sont largement utilisés dans d'autres pays, mais ils étaient largement ignorés de la sphère éducative et parentale en France.
Les formations aux premiers secours en santé mentale, notamment chez les fonctionnaires, dans les écoles ou à la PJJ, permettent quant à elles de répondre à une des difficultés propres aux enfants : le diagnostic au moment d'une crise – les parents peuvent, en effet, contester la dimension « mentale » de cette crise. Il s'agit de fournir à l'ensemble des acteurs de l'enfance, des professionnels de la PMI aux professeurs de sport, en passant par les moniteurs de colonie de vacances, les éléments indispensables pour qu'ils aient les bons réflexes, qu'ils sachent qui appeler lorsqu'ils repèrent un comportement atypique. Nous travaillons en ce sens avec Amélie Oudéa-Castera et Sarah El Haïri.
« Mon Parcours psy », dispositif annuel de huit séances d'accompagnement psychologique, permet également de venir en aide aux personnes, aux enfants notamment, qui en éprouvent le besoin. Son déploiement et son efficacité sont malheureusement limités par le manque de professionnels et les déserts médicaux. La prise en charge de la santé mentale des enfants est en outre entravée par la césure, à 15 ans, entre la pédopsychiatrie et la psychiatrie adulte. De plus, comme nous n'avons pas repéré les troubles du neurodéveloppement des générations antérieures, il arrive également que des parents soient détectés lors de l'évaluation de leurs enfants. Il faut alors assurer un double accompagnement, qui rend la situation plus complexe encore.
C'est donc un vaste chantier qui s'offre à nous, de la prévention jusqu'à l'ouverture de lits en pédopsychiatrie, dont le manque est manifeste. Cela d'autant que nous attendons également les préconisations des assises de la pédiatrie et de la santé de l'enfant.
Madame Nicole Dubré-Chirat, vous avez évoqué les délais d'attente pour l'application des mesures de placement. Nous devons, globalement, faire face à quatre facteurs aggravants. Le premier est la meilleure prise en compte des violences intrafamiliales, qui conduit à davantage de placements. Le deuxième est l'augmentation des placements de nourrissons, notamment de prématurés, pour lesquels le lien avec la mère est plus compliqué. Ces nourrissons sont notamment nés de très jeunes mamans, de femmes issues de l'immigration ou qui ont déjà plusieurs enfants. Le troisième facteur est la baisse du nombre de familles d'accueil et les difficultés à recruter des travailleurs sociaux, malgré les moyens financiers mis à disposition. Enfin, la reprise des flux migratoires provoque l'arrivée d'un plus grand nombre de mineurs non accompagnés, qu'il faut protéger.
J'ai visité plus de quarante départements et je n'en ai pas vu qui n'investissaient pas dans la politique de l'enfance, malgré le coût très élevé de la prise en charge d'un enfant placé. Ce coût est de l'ordre de 60 000 à 90 000 euros par an et cela ne me pose pas de problème, car ces enfants méritent cet investissement, pour l'avenir. Peu de départements me disent : « Madame la ministre, passez votre chemin. » Certains peuvent mettre plus d'argent, mais ne recrutent pas, pour les raisons déjà évoquées d'attractivité des métiers, mais aussi de refonte de ces métiers, de convention unique, de Ségur de la santé – cela mériterait une autre audition, avec tous les ministres concernés.
Se pose à nouveau la question de la prévention et de l'accompagnement en milieu ouvert. Bien évidemment, la protection est prioritaire et, comme le disent Martine Brousse et La Voix de l'enfant, le plus important est d'éviter la violence et la mort – au premier signe, on place. Mais alors quid de la parentalité ? Nous avons besoin d'enquêtes judiciaires plus rapides et plus efficaces, pour mieux écouter les parents et les enfants. Nous devons consacrer plus de moyens à la justice et à la police, à la formation des enquêteurs – avec la formation Ciivise notamment –, ou encore aux Uaped, que nous avons décidé d'implanter dans chaque département. Si nous menons à bien tout cela, peut-être ne serons-nous plus obligés de faire ce que recommande Mme Brousse, c'est-à-dire « placer tout de suite ». Comme nous n'avons pas d'accompagnement en milieu ouvert suffisamment structuré, nous évaluons insuffisamment les tiers de confiance et nous ne confions les enfants qu'aux foyers d'urgence, où l'on sait, pour y consacrer des moyens, que les normes d'encadrement sont à peu près respectées
Vous pouvez compter sur moi pour insuffler l'énergie globale nécessaire, y compris pour discuter de la contractualisation avec le ministre du budget. Je compte d'ailleurs sur vous à cet égard, mais aussi pour stimuler le GIP, quant à ses moyens et à son envie de faire. Pour vous donner un ordre d'idée, j'ai dû mobiliser le 119 afin que l'on puisse répondre aux appels lors de la campagne consacrée aux violences sexuelles, que nous allons lancer en septembre. Si le 119, le 3018 ou le 3020 ne répondent pas à tous les appels, nous ne pourrons pas prendre en compte ni prendre en charge toutes les personnes concernées par ces violences sexuelles.
Nous avons l'énergie, nous avons les moyens – même si nous pourrions en avoir un peu plus –, mais nous avons surtout besoin de coordination, de moyens humains et de motivation pour venir en aide aux enfants les plus fragiles.
Enfin, pour ce qui est des retours de zone irako-syrienne, autant le Comité a été critique sur la question des migrants et des MNA, autant il a salué nos efforts, tout en nous invitant à continuer. Nous avons pu lui expliquer que la France était un des pays qui a rapatrié le plus d'enfants, sans les stigmatiser. Ces 300 enfants vivent aujourd'hui sur notre territoire et mènent une vie aussi normale que possible, sans la moindre stigmatisation. C'est essentiel pour moi et je tenais à le préciser.