COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 17 mai 2023
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 13 heures 31.
Nous sommes heureux d'accueillir Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger, qui plus est quelques jours après le succès du sommet Choose France, qui se traduira par 13 milliards d'investissement et la création de 8 000 emplois. Ces chiffres, Monsieur le ministre délégué, ne tombent pas du ciel mais résultent du travail que vous menez depuis 2017 avec le Gouvernement et le Président de la République afin de renforcer l'attractivité de notre pays.
Je tiens également à saluer la présence parmi nous du secrétaire général du Parlement albanais, M. Gjoncaj, et de deux collaboratrices des services. Une importante coopération interparlementaire sera lancée entre l'Assemblée nationale et le Parlement albanais afin de partager nos expériences, notamment, sur le processus de transposition des directives européennes. Soyez assuré, Monsieur le secrétaire général, que notre commission sera pleinement impliquée dans cette coopération.
À l'occasion de la Journée internationale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie, je tiens à rappeler que les droits des personnes LGBT sont mis en cause dans nombre de pays européens, en particulier la Pologne, la Hongrie et l'Italie, mais aussi en France, comme nous l'avons constaté le week-end dernier où des joueurs de football ont refusé de porter le maillot arc-en-ciel à l'occasion du week-end de lutte contre l'homophobie dans le football. La Commission européenne a eu raison de rappeler qu'aucun euro du budget européen ne doit être versé à des États qui ne respectent pas les valeurs de tolérance.
Alors que les positions françaises en faveur d'une politique commerciale européenne plus offensive gagnent du terrain, un Conseil des affaires étrangères consacré au commerce se réunira le 25 mai. Comme le Président de la République l'a écrit dans une tribune publiée par le Financial Times la semaine dernière, le temps n'est plus à une forme de « naïveté » de l'Europe. Avec nos partenaires, nous sommes déterminés à faire en sorte que le made in Europe devienne la norme dans les secteurs stratégiques. Nous devons nous montrer encore plus offensifs sur cet enjeu de souveraineté.
Le renforcement des instruments de défense commerciale, l'instauration d'un mécanisme de filtrage des investissements directs étrangers au sein de l'Union, l'accord intervenu récemment sur un mécanisme carbone aux frontières, les discussions en cours sur la mise en place d'un outil de sanction contre les pratiques coercitives des pays tiers témoignent d'une détermination nouvelle de l'Union à défendre ses intérêts face à des puissances commerciales agressives. Le 6 avril dernier, la Commission européenne a, par exemple, instauré des droits antidumping sur les pneus en caoutchouc importés de Chine.
Ce Conseil devra traiter d'importants sujets comme ceux de la réforme de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et des relations commerciales entre l'Union européenne, les États-Unis et la Chine. Alors que la réponse européenne à l' Inflation reduction act (IRA) doit beaucoup à la détermination de la France, nous serions heureux que vous nous présentiez les positions françaises sur ces thèmes.
Au-delà, je crois utile que vous fassiez un point sur les accords de libre-échange en cours de négociation par la Commission européenne ou en attente de ratification. Ces accords offrent des opportunités d'exportation, notamment de services, qui sont un point fort des économies européennes, tout en s'accompagnant de garanties nouvelles en matière d'ouverture des marchés publics ou de reconnaissance des appellations géographiques. Ils suscitent aussi de vives inquiétudes chez nos agriculteurs, qui craignent une concurrence nouvelle de produits agricoles à bas prix, lesquels ne sont pas toujours soumis aux mêmes normes environnementales, sociales et sanitaires, mais également au sein de la société civile, qui s'interroge sur les conséquences de ces accords commerciaux sur l'environnement et le respect de nos préférences collectives. Après s'être exprimées à propos de l'Accord économique et commercial global (CETA) entre l'Union européenne et le Canada, ces inquiétudes se focalisent sur l'accord d'association avec le Marché commun du Sud (Mercosur). La position de la France est très claire : pas d'accord sans clauses miroir. Où en sont les discussions sur les garanties réclamées par la partie sud-américaine, notamment en matière de lutte contre la déforestation ?
J'évoquerai tout d'abord notre politique commerciale et, ensuite, l'ordre du jour du Conseil qui se réunira à Bruxelles le 25 mai.
Depuis 2017 et, en particulier, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons travaillé à révolutionner la politique commerciale de l'Europe car il importe d'en finir avec la « naïveté » et avec une époque où, dans un esprit très libéral, nous avons pu donner l'impression à nos concitoyens d'être ouverts aux quatre vents de la mondialisation, au point de subir le dumping d'autres États qui ne respectaient pas nos normes environnementales, sanitaires et sociales et faisaient entrer dans l'Union des produits forcément plus compétitifs que les nôtres.
Cette ère est révolue, même si cette révolution est encore « en marche » et qu'un certain nombre de points demeurent à l'agenda européen. Ainsi, l'accord que nous avons passé avec la Nouvelle-Zélande illustre ce que l'on appelle la « nouvelle approche » de l'Union européenne : une politique commerciale qui reste ouverte – les pays les plus fermés sont aussi les plus pauvres – mais à nos conditions. Cette ouverture n'est pas sans réciprocité et ne saurait se faire au détriment des intérêts européens et de certaines valeurs, dont celle du respect de l'homme et de la planète.
Nous introduisons donc dans les accords internationaux des règles qui sont autant de conditions aux préférences tarifaires accordées. En cas de violation, ces préférences n'ont plus lieu d'être et l'accord est lui-même susceptible d'être rompu. L'Union européenne a également adopté plusieurs dispositifs permettant de restaurer l'équilibre de l'échange, le cas échéant, en imposant des sanctions. Vous avez évoqué les droits antidumping et antisubventions mais on pourrait également se référer à l'instrument anticoercition qui est en passe d'être adopté et qui a fait l'objet d'un accord en trilogue. Ainsi introduisons-nous les accords de Paris comme clause essentielle : un accord commercial avec un pays qui ne respecterait pas ces derniers tomberait.
Nous incluons également dans nos accords commerciaux un règlement européen permettant de lutter contre la déforestation et de préserver la biodiversité, comme nous le faisons d'ailleurs en France, notamment avec le fameux principe du « zéro artificialisation nette » des sols. Il s'agit là d'un point essentiel pour faire en sorte qu'aucun produit importé au sein de l'Union européenne ne soit issu d'une culture ou d'un élevage impliquant une déforestation.
Sur un plan social, nous introduisons dans les accords commerciaux les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), notamment celles prohibant le travail forcé ou le travail des enfants. Là encore, leur violation n'entraînera pas seulement l'ouverture d'éventuelles procédures de sanction devant les organes de l'OIT mais elle sera susceptible d'annuler l'accord.
Enfin, nous insérons dans les accords des clauses miroir, quoique nous privilégions les mesures miroir. Les premières sont introduites dans l'accord commercial : la signature de l'accord avec le Mercosur, par exemple, supposerait qu'elles y soient incluses. Tel pays pourra importer du bœuf sur le sol européen mais celui-ci devra avoir été élevé conformément aux préconisations de l'Union européenne, imposées à nos propres producteurs. Les secondes ne sont pas introduites dans l'accord commercial mais dans la législation européenne, règlements et directives : ce que nous imposons à nos producteurs européens s'applique à tout importateur. Les mesures miroir s'appliqueront à tous les traités de commerce, y compris à ceux qui ont été antérieurement conclus, dont le CETA. Toutefois, elles ne seront pas à proprement parler rétroactives en ce qu'elles ne s'appliqueront pas aux importations déjà réalisées mais à celles qui le seront dès que ces mesures seront effectives. Elles seront également valables pour les importations en provenance de pays avec lesquels nous n'aurions pas d'accord de commerce, comme c'est le cas avec les États-Unis. Nous restaurons ainsi un équilibre des échanges. Nous privilégions une telle stratégie parce qu'elle est la plus efficace : nul besoin de faire des concessions. Une clause miroir, en effet, est négociée dans le cadre d'un accord de commerce. Un importateur, si une contrainte lui est imposée, peut demander en échange une augmentation des quotas. Une mesure miroir présente les mêmes avantages qu'une clause miroir mais il n'y a rien à négocier en contrepartie.
Voilà la petite révolution que la France est en train d'accomplir avec ses partenaires de l'Union européenne afin de maintenir le nécessaire dynamisme de notre politique commerciale. Le développement de la motorisation électrique, par exemple, suppose des batteries – des gigafactories sont implantées dans le Nord – mais aussi des matières premières dont nous ne disposons pas en quantité suffisante en Europe et qu'il faudra bien importer. Le dynamisme de notre politique commerciale repose certes sur nos exportations mais, aussi, sur nos importations, même si nous voulons réduire notre dépendance à l'endroit d'un certain nombre de matières stratégiques et souveraines.
Quatre points sont à l'ordre du jour du Conseil du 25 mai.
Tout d'abord, les relations entre l'Union européenne et les États-Unis. Nous avons trouvé auprès de l'administration Biden une meilleure écoute suite aux contentieux portant sur Boeing et Airbus mais, aussi, sur l'acier et l'aluminium, lequel dure depuis 2018, et aux pénalités qui ont durement touché nos producteurs de vin de Cognac et de fromages. Un règlement provisoire a été trouvé en 2021 sur ce dernier contentieux mais, dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies, le UE-US TTC, Trade and technology council, nous cherchons à mettre un terme définitif à ces pénalités. D'ici la fin de l'année, nous devrons absolument parvenir à un accord définitif.
Autre sujet ayant engendré quelques crispations, cette fois avec l'administration Biden : l'IRA. Celui-ci constitue tout de même une bonne nouvelle puisque l'administration américaine s'est engagée dans la transition énergétique, les États-Unis étant l'un des premiers émetteurs de CO2 au monde – cela vaut toujours mieux que lorsqu'un Président américain déclarait, il y a quelques années, que le réchauffement climatique était une invention des Chinois et qu'il n'y avait aucune raison pour que les Américains fassent le moindre effort afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit également d'une bonne nouvelle parce qu'avec 369 milliards de dollars, les montants investis sont considérables. Cela aurait été toutefois une nouvelle encore meilleure si ce montant avait été compatible avec les règles de l'OMC, ce qui n'est pas le cas pour 200 milliards. Ce sont les clauses de « contenu local » imposées pour un certain nombre de produits afin de bénéficier des subventions américaines qui sont l'objet de ces crispations, puisque ces clauses excluent des productions du monde entier, dont celles de l'Europe.
Nous avons travaillé avec nos amis américains dans le cadre d'une task force et nous avons mis en avant quelques pistes, qui appellent une réponse européenne, notamment le Green deal industrial plan que nous sommes en train de finaliser et qui sera décliné au plan national. Le plan France 2030, le projet de loi relatif à l'industrie verte, l'accélération de la réindustrialisation, le bonus écologique constituent également autant de réponses à l'IRA.
Deuxième point à l'ordre du jour : la relation entre l'Union européenne et la Chine. L'Union européenne considère la Chine comme un partenaire économique, un compétiteur et, sur le plan politique, un rival systémique. Nous avons évidemment besoin d'une relation commerciale avec ce pays. Nous ne partageons pas la stratégie américaine de découplage. La nôtre vise à diversifier les approvisionnements et à « dérisquer » certains positionnements sur des produits stratégiques pour notre souveraineté, comme nous l'avons constaté lors de la crise du covid : si le panier cède après que l'on y a mis tous nos œufs, nous les perdons tous ; si un seul pays nous livre du Doliprane, des masques ou des microprocesseurs et que, pour une raison ou pour une autre, il cesse ses livraisons, nous en sommes totalement dépendants, ce qui soulève la question stratégique de la souveraineté nationale. Ainsi, nous rapatrions un certain nombre d'industries et, lorsqu'un équilibre économique de production n'est pas possible en France, nous veillons à diversifier nos sources d'approvisionnement. Nous continuerons une telle stratégie, tout en veillant aux subventions chinoises sur plusieurs produits. Nous n'hésitons d'ailleurs pas à appliquer les instruments que j'ai évoqués : mesures antidumping, antisubventions et anticoercition.
Troisième point à l'ordre du jour : les relations avec l'OMC. Celle-ci a traversé une phase un peu difficile compte tenu des tensions protectionnistes qui se sont fait jour ici ou là et qui mettent en question le multilatéralisme commercial qu'elle incarne. L'OMC, ce sont d'abord des règles permettant que le commerce mondial ne soit pas soumis à la loi de la jungle, mais ce sont aussi des organes permettant de régler les différends, notamment l'organe d'appel, lequel est aujourd'hui bloqué. Nous souhaitons travailler à l'approfondissement d'un certain nombre de règles. Des avancées ont été réalisées lors de la dernière conférence ministérielle (CM12), en 2022, notamment sur la question de la pêche illégale et de la préservation de la ressource halieutique. Nous nous engagerons également sur la question de la surpêche. Nous devons revenir au règlement des différends au sein de l'OMC afin d'éviter que chacun n'élabore des stratégies déloyales par rapport à ses concurrents, soit à travers des subventions massives, soit par d'autres biais de contournement des règles de l'OMC.
Enfin, quatrième point : les accords de commerce en cours. Nous avons terminé les négociations avec certains États, dont la Nouvelle-Zélande et le Chili, et des accords devraient être signés d'ici la fin du semestre ou au début du semestre suivant. Les négociations avec le Mexique sont presque achevées mais il n'est pas certain que le Conseil en soit rapidement saisi car des discussions demeurent autour de la « nouvelle approche » de la Commission européenne, que nous souhaitons intégrer dans le traité. Les discussions avec l'Australie avancent également plutôt bien, avec l'espoir de les achever en cours d'année.
Nous menons également des discussions avec l'Indonésie et la Thaïlande ainsi qu'avec l'Inde. Elles sont plus compliquées avec ce dernier car le marché de ce pays, désormais le plus peuplé du monde, reste très fermé à nos produits.
Dans les négociations avec le Mercosur, qui durent depuis vingt-trois ans déjà, nos exigences sont très claires. Elles tiennent tout d'abord au respect de l'accord de Paris puisque, conformément à sa nouvelle approche, la Commission en fait une clause essentielle du traité mais aussi un critère d'appréciation des politiques publiques du Mercosur. Elles s'étendent à la lutte contre la déforestation : pas un kilo de bœuf brésilien ou argentin, élevé sur des terres issues de la déforestation, ne pourra être importé dans un pays européen. Des mesures miroir sont prévues pour imposer aux producteurs du Mercosur les mêmes conditions d'exportation, sanitaires ou environnementales, que celles auxquelles sont soumis les producteurs de l'Union européenne, en particulier pour les produits agricoles. Enfin, nous souhaitons instaurer des mécanismes de sanction qui permettront de suspendre l'accord si les conditions que je viens d'énoncer n'étaient pas remplies lors de son application.
Les discussions aboutiront-elles ? Sincèrement, je n'en sais rien ; tous les scenarii sont sur la table. Les Espagnols, qui présideront l'Union européenne au deuxième semestre, souhaitent accélérer parce qu'ils entretiennent des liens privilégiés avec les pays du Mercosur. Après vingt-trois ans, il est légitime de vouloir que les négociations aboutissent mais une chose est sûre : nous n'accepterons jamais de signer un accord qui ne réponde pas aux conditions que nous avons posées. Nous ne refusons pas par principe un tel accord – pourquoi ferions-nous du commerce avec le Canada, le Japon, ou l'Australie et pas avec l'Amérique latine ? – mais il ne doit pas desservir nos intérêts, ni nuire à l'humain et à la planète. Nous devrons nous prononcer clairement.
Dans un monde de plus en plus interconnecté, nous devons accorder une attention particulière à la politique commerciale de l'Union européenne.
Parce que nous constituons un bloc économique majeur, nous avons le devoir de garantir la compétitivité de nos industries, de protéger les intérêts de nos travailleurs et de promouvoir une croissance économique durable. La politique commerciale européenne repose sur des piliers fondamentaux tels que la promotion du libre-échange, la défense d'une concurrence équitable, la protection des droits de propriété intellectuelle ainsi que le respect des normes sociales et environnementales. En encourageant des échanges commerciaux ouverts et équitables, nous créons des opportunités pour nos entreprises, nous stimulons l'innovation et nous favorisons la création d'emplois.
Toutefois, il ne faut pas méconnaître les grands défis auxquels nous sommes confrontés : les tensions commerciales et les changements géopolitiques. Pour les relever, nous devons nous adapter et faire preuve de réactivité afin de saisir les opportunités, anticiper les risques et défendre nos intérêts économiques. Dans ce contexte, il est primordial de rester unis ; la coopération et la coordination entre les États membres sont indispensables pour parler d'une même voix sur la scène internationale et pour garantir que nos intérêts communs soient pris en considération.
Certains de nos partenaires, y compris les plus proches, semblent faire le choix de s'extraire du système commercial multilatéral au centre duquel se trouve l'Organisation mondiale du commerce (OMC) – l'IRA en est un exemple flagrant. Comment la France doit-elle réagir ? Est-il toujours pertinent de suivre les règles si nous sommes les derniers à le faire ?
Depuis 1995, l'accord de libre-échange entre l'Europe et l'Amérique du Sud est un serpent de mer. Les négociations, commencées en 2000, ont été interrompues et reprises plusieurs fois. Alors qu'un accord de principe avait été trouvé en 2019, rien n'a été signé depuis. Ces contretemps montrent les difficultés et les réticences que soulève un tel accord, et ce, des deux côtés.
Le monde agricole est vent debout contre lui. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et la Coordination rurale dénoncent une concurrence déloyale. Le porte-parole de la Confédération paysanne y voit « une impossibilité de travailler à un nouveau pacte agricole, une meilleure rémunération des paysans, une alimentation de qualité pour tout le monde si, en même temps, on continue à favoriser les endroits avec les coûts sociaux et environnementaux les plus faibles. »
Les craintes du monde agricole paraissent justifiées. Nous voulons tous une agriculture de qualité, respectueuse de l'environnement et de la biodiversité. Force est de constater que les pays sud-américains n'appliquent presque aucune des normes environnementales européennes. Sans l'adoption de clauses miroir en matière sanitaire, environnemental et de bien-être animal, c'est notre modèle d'une agriculture vertueuse qui sera mis en péril.
Le libre-échange nivelle par le bas le monde agricole alors que nous recherchons l'excellence. C'est le triomphe du moins-disant. Dans la lutte mondiale contre le réchauffement climatique, on ne peut que s'inquiéter de l'impact d'un tel accord des deux côtés de l'Atlantique. Celui-ci va à rebours de la logique de circuit court que nous voulons étendre. Il est probable qu'un marché ouvert sans restrictions ne ferait qu'accroître la déforestation de l'Amazonie, malgré la promesse du président Lula.
Pour éviter ces écueils, le Rassemblement national propose depuis des années de substituer des accords bilatéraux, respectueux de la souveraineté des différents pays, aux accords multilatéraux destructeurs.
Vous revendiquez la fin de la naïveté en matière de commerce international : les mesures miroir pour protéger notre agriculture et la suspension d'un accord dont les termes ne seraient pas respectés en seraient la marque. Permettez-moi d'être sceptique et d'attendre de voir ces annonces concrétisées avant de me réjouir d'un tel changement de cap, au demeurant vital pour notre pays.
En 2019, le président Macron avait bloqué les négociations ; le Parlement européen n'a de cesse de critiquer le projet d'accord. Comment espérez-vous imposer l'adoption de mesures miroir pour protéger notre filière agricole ? Quelle place envisagez-vous de donner à la politique environnementale ? Comment pourrez-vous contrôler l'application de l'accord ? L'amplification de la déforestation amazonienne ferait-elle tomber l'accord même si celui-ci n'en est pas la cause ?
L'ordre du jour du Conseil est très intéressant. Hélas, Monsieur le ministre délégué, je doute que cette réunion accouche d'autre chose que d'une souris.
Vous dites espérer une mini-révolution mais une fois encore, c'est le conservatisme libéral qui triomphera. Il y a vingt ans, la gauche militait pour une renégociation des traités de libre-échange afin d'y adjoindre des conditions sociales et environnementales. Or depuis, rien. Aujourd'hui, nous devons parer à l'urgence après les mesures que certains de nos alliés, en particulier les États-Unis, ont adoptées. La France et l'Union européenne ont à prendre une décision vitale pour l'avenir : devons-nous continuer à négocier en dépit d'intérêts divergents – y compris au sein de l'Union européenne ? Ou prenons-nous notre courage à deux mains, face à l'urgence climatique et sociale ainsi qu'à l'instabilité géopolitique, pour bifurquer et reprendre en main notre destin ?
L'IRA n'est en aucune façon bon pour nous – je doute même qu'il le soit pour les Américains. Pourquoi ne pas prendre, en miroir, des mesures de protectionnisme solidaire ? Je ne suis pas partisane de l'agressivité mais les États-Unis n'hésitent pas à en faire preuve. Souvenez-vous de l'Aukus, cette alliance au nom de laquelle ils nous ont tourné le dos et – il faut bien le dire – un peu ridiculisés ?
Nous devons prendre des mesures face à des alliés sans états d'âme. Lesquelles ? Êtes-vous prêts à conditionner les échanges internationaux aux normes les plus exigeantes ?
Le Président appelle à une pause réglementaire en matière environnementale. Ce n'est pas du tout une bonne idée, convenez-en. C'est, au contraire, l'inverse qu'il conviendrait de faire pour protéger les intérêts des Européens en instaurant un protectionnisme social et environnemental.
Nous nous posons des questions au sujet de l'application des clauses miroir, en particulier pour ce qui concerne leur rétroactivité ainsi que leur éventuelle primauté sur la législation européenne.
L'Union européenne et les États-Unis ont adopté des démarches différentes pour lutter contre le changement climatique. La première privilégie la réglementation, les seconds, les incitations. Si les Européens veulent développer une politique d'incitation, il convient de revoir notre modèle des aides publiques nationales, ce que plusieurs États membres rejettent. L'Union européenne a confirmé son attachement à l'ouverture des échanges tandis que les États-Unis ont fait le choix d'un « protectionnisme poli ».
Faut-il envisager de financer plus largement par des fonds européens et nationaux la transition énergétique et l'industrie verte en misant sur des retombées économiques et sociales favorables à terme ? Existe-t-il des études qui explorent cette voie ?
Qu'en est-il de la définition des secteurs stratégiques et de l'établissement de nouvelles règles d'investissement guidées par trois préoccupations : la sécurité de l'Union européenne au sens large, la réciprocité – notamment par le biais de joint-venture –, et l'exclusion de certains secteurs stratégiques ?
Je formulerai quatre observations sur les accords de libre-échange. L'agriculture est toujours la monnaie d'échange. L'accord avec la Nouvelle-Zélande prévoit que 38 000 tonnes de viande ovine, transportée par bateau et conditionnée sous azote liquide, s'ajoutent aux 126 000 tonnes que nous accueillons depuis l'affaire du Rainbow Warrior.
Seulement 3 % des importations agricoles ou agroalimentaires font l'objet de contrôles mais un manquement aux règles est constaté dans 16 % des cas.
Vous nous faites miroiter des mesures miroir, qui, contrairement aux clauses, pourraient être prises une fois l'accord en vigueur. Mais elles ne résoudront pas le problème que posent les tribunaux d'arbitrages internationaux – peut-être même l'aggraveront-elles. Ces institutions permettent en effet aux entreprises de contester les décisions étatiques qui nuisent à leurs intérêts. Vous ouvrez une boîte de Pandore.
Si vous êtes sûrs de vous, pourquoi refusez-vous de soumettre à l'approbation des parlements nationaux les accords qui traitent de sujets sur lesquels la compétence de l'Union européenne n'est pas exclusive – alors qu'étrangement, elle l'est pour la négociation de ces accords ?
Enfin, pour ce qui est d'un sujet qui m'est cher, l'extraterritorialité du droit américain, je vous dis clairement que j'en ai ras-le-bol. La France et l'Union européenne continuent de la subir. En 2016, une mission d'information de l'Assemblée nationale, consacrée au sujet, suggérait de recourir aux « lois de blocage ». Rien n'est fait. Les États-Unis font fi des règles de l'OMC en imposant à tous les pays du monde le blocus de Cuba qui ruine son économie. Nos entreprises et nos banques ne peuvent pas avoir de relations avec l'île et vous indiquez, Monsieur le ministre délégué, que la France pourrait remettre en cause ses accords avec elle. C'est gravissime.
Je tiens à féliciter Monsieur le ministre délégué ainsi que les conseillers du commerce extérieur de la France pour leur soutien à nos entreprises sur les marchés étrangers. Notre pays est pour la quatrième année consécutive le pays européen le plus attractif pour les investissements étrangers. On ne parle pas assez des bonnes nouvelles.
La France est dans une dynamique industrielle positive. Le Président de la République a annoncé le déblocage de 700 millions d'euros pour développer des formations aux métiers d'avenir ou en tension dans l'industrie. Le sommet Choose France a été l'occasion de révéler 13 milliards d'euros d'investissements dans vingt-huit grands projets, représentant 8 000 emplois. Mais une inquiétude persiste sur la répartition des retombées. Comment favoriser les investissements étrangers sans qu'ils contribuent à creuser les inégalités territoriales ?
Monsieur le ministre délégué, vous avez décrit des effets nocifs pour notre économie, l'environnement, ainsi que les droits humains et sociaux. En cas d'échec des discussions, la France est-elle prête à envisager de sortir de certains traités de libre-échange ?
Madame Klinkert, nous menons une politique commerciale à la fois défensive et offensive. Nous ne devons pas seulement protéger les produits pour lesquels nous ne sommes pas compétitifs, nous devons aussi vendre dans les autres continents nos produits qui sont de grande qualité.
S'agissant de l'agriculture, nous avons tendance à jouer trop en défense. Or, Monsieur Sabatou, notre production agricole dépasse les besoins nationaux et se place au premier rang des exportations mondiales – c'est évidemment le cas pour les vins et spiritueux, en particulier pour le cognac dont 80 % de la production est exportée, mais aussi pour la filière laitière, dont 40 % de la production est exportée, ou encore les céréales. Notre pays compte aussi des champions mondiaux de l'agroalimentaire tels que Lactalis ou Danone.
Dans les négociations, notre approche doit aussi être offensive parce que nous avons des marchés à gagner – c'est ce que je dis aux agriculteurs – à condition que l'Europe suive. Cela m'amène à la pause réglementaire, Madame Chikirou. L'Union européenne applique aujourd'hui les normes environnementales les plus protectrices au monde. Nous devons veiller à ce qu'elles soient respectées par les autres pays pour garantir l'équilibre des échanges. Mais nous devons aussi faire preuve de pragmatisme et nous assurer que nos producteurs puissent encore produire et exporter.
Il est fréquent d'entendre La France insoumise et le Rassemblement national dire : « On le croira quand on le verra ». Il y a quelques semaines, j'ai été interpellé lors des questions au Gouvernement sur la phosphine dont l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) envisageait d'interdire l'usage, ce qui risquait de mettre en péril nos exportations de céréales à destination de l'Afrique. J'avais pris l'engagement de résoudre le problème. En dépit des doutes que le Rassemblement national avait exprimés, j'ai tenu ma promesse. J'ai fait valoir que nous ne pouvions pas être plus exigeants que les normes européennes à moins de desservir nos propres producteurs. C'est l'idée que défend le Président de la République en évoquant une pause : appliquons déjà les normes qui sont les plus ambitieuses au monde avant d'en adopter de nouvelles qui déséquilibreraient les échanges au détriment de nos producteurs.
Madame Klinkert, faut-il continuer à suivre les règles de l'OMC si nous sommes les seuls à le faire ? La question est légitime, mais, à nos yeux, ces règles restent bonnes et nécessaires car sans elles, c'est la loi du plus fort qui prévaut. Reste ensuite à savoir si les autres les appliquent. Force est de constater que la Chine et les États-Unis – à hauteur de 200 milliards en vertu de l'IRA – accordent des subventions massives qui sont contraires aux règles de l'OMC. Nous sommes pragmatiques, nous soutenons le multilatéralisme et nous invitons à une réforme de l'OMC susceptible de favoriser un meilleur respect des règles et des règlements des différends. Pour autant, nous ne serons pas les derniers à soutenir le fronton du temple lorsque ses gardiens auront emporté les piliers. Voilà les principes qui dictent notre position au niveau européen.
Monsieur Sabatou, vous m'avez interrogé à propos de l'accord de libre-échange entre la France et le Mercosur. Les conditions que nous avons posées sont claires. Tout d'abord, les politiques publiques de tous les pays membres du Mercosur devront respecter l'accord de Paris. Ensuite, l'Union européenne n'autorisera pas l'importation de produits issus de la déforestation. Enfin, les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne devront être respectées. Des sanctions sont prévues et elles pourraient aller jusqu'à faire tomber le traité.
Vous avez émis la crainte, tout comme Monsieur Chassaigne, que les agriculteurs soient les grands perdants de ce traité. Si je résume votre propos, vous considérez que nous faisons des concessions au profit des industriels et au détriment des agriculteurs. C'est le même discours que celui qui se tenait il y a cinq ans, sur les bancs de l'Assemblée nationale, pour rejeter le CETA. Signer le CETA, pour bon nombre de parlementaires, c'était enfoncer le dernier clou dans le cercueil de l'agriculture française, en particulier de la filière bovine. Les arguments étaient avancés avec une telle conviction que je m'étais abstenu de voter, dans le doute. Cinq ans plus tard, les faits m'ont donné tort : le CETA a permis à la France d'augmenter ses exportations vers le Canada de 15 %. En particulier, l'exportation des produits de l'agriculture a bondi de 30 %. Le seul exemple du bœuf devrait suffire à vous convaincre, Monsieur Chassaigne : nous exportons trois fois plus de viande bovine vers le Canada que nous n'importons de viande bovine du Canada. Les chiffres en attestent, c'est une réalité que vous ne pouvez nier. Peut-être ce traité deviendra-t-il un jour obsolète mais, en attendant, la France y gagne. Le CETA crée de l'emploi et permet à des gens de vivre dignement. Rappelons que 4 millions d'emplois dépendent des exportations vers des pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne. Si vous mettez fin aux traités commerciaux, vous les perdez immédiatement mais vous gagnez 4 millions de chômeurs, à la charge de l'État. Vous expliquerez ensuite aux gens pourquoi ils ne perçoivent plus de salaire !
Ce sont les chiffres, Madame Chikirou. Je conçois bien qu'ils ne vous fassent pas plaisir : ils sont contraires à votre idéologie. Certains systèmes politiques ont une fâcheuse tendance à changer les chiffres et les faits lorsqu'ils leur déplaisent mais chez nous, en démocratie, dans un État de droit, nous ne maquillons rien.
Monsieur Sabatou préfèrerait que nous ne concluions que des accords bilatéraux, par exemple avec le seul Brésil plutôt qu'avec le Mercosur. Vous imaginez bien que si un traité est signé entre la France et le Brésil, un autre le sera entre le Brésil et l'Allemagne, ou bien les Pays-Bas. Que faites-vous des frontières du marché intérieur ? Est-ce à dire que vous supprimeriez le marché unique ? Admettons que les Pays-Bas achètent au Brésil à des tarifs plus élevés que ceux que nous proposons. Le Brésil vendra ses marchandises aux Pays-Bas et elles finiront chez nous, de la même manière que dans le cadre du traité avec le Mercosur, sauf que cette fois nous serons perdants. Votre proposition ne tient que si vous abolissez le marché intérieur européen, sur lequel repose l'architecture de l'Europe et dont dépendent des millions d'emplois.
Madame Chikirou, nous ne révolutionnons pas à moitié la politique commerciale. Des mesures aux conséquences bien concrètes ont déjà été prises et les mesures miroir ne sont pas de vaines promesses. Ainsi, dans sa version datée de février dernier, le projet de déclaration, outre un règlement sur la déforestation importée, prévoit qu'il sera interdit d'importer de la viande bovine traitée aux hormones de croissance, des produits agricoles contenant des traces de deux néonicotinoïdes interdits dans l'Union européenne, de la viande d'animaux traités aux antibiotiques de croissance.
Vos arguments finissent par se retourner contre vous, Madame. Vous en appelez à des mesures plus protectionnistes tout en reprochant aux États-Unis d'en prendre. Vous voudriez ainsi que l'on réagisse aux mesures prévues par l'IRA. Je comprends bien que vous voudriez, pour reprendre vos propos, instaurer un « protectionnisme solidaire » mais nous préférons le principe de réciprocité. Si l'État avec lequel l'on a conclu un contrat n'applique pas à nos produits les mêmes avantages que nous accordons aux siens, nous pourrions prendre des mesures pour rétablir l'équilibre.
Quant à savoir si nous serions prêts à quitter les traités de libre-échange si les clauses n'étaient pas respectées, vous trouvez la réponse dans le dispositif des clauses essentielles : si un pays avec lequel nous avons signé l'accord de libre-échange ne respecte pas l'accord de Paris, nous quitterons le traité.
Madame Karamanli, oui, il faut financer par des fonds européens la lutte contre le changement climatique. Le plan industriel du pacte vert, les plans de relance, France 2030 prévoient des mesures pour financer la transition énergétique, la révolution digitale, la biotechnologie.
Monsieur Chassaigne, les Français, en 1992, par référendum, ont autorisé la ratification du traité sur l'Union européenne qui confie la compétence commerciale à l'Union européenne. C'est le Parlement européen qui vote ces traités. En cas d'accord mixte, les parlements nationaux sont saisis. Ce fut le cas pour le Ceta.
Concernant l'extraterritorialité du droit américain, l'Union européenne a adopté en 1996 un règlement dit de blocage pour protéger l'ordre juridique établi et les intérêts de la Communauté contre l'application, notamment, de la loi renforçant l'embargo contre Cuba. L'Union européenne, et la France en particulier, a toujours considéré que le recours à des sanctions internationales est injustifié, injustifiable et illégal au regard du droit international, en ce qu'elles portent atteinte à notre souveraineté économique. Le règlement de 1996 doit être réformé mais il reste toujours actif et protège les intérêts de nos entreprises. Entre 2018 et 2021, la Commission a reçu trente-cinq notifications. La France applique sa propre loi de blocage et a noué un dialogue avec l'administration américaine.
Madame Le Peih, nous avons pu attirer 1 269 projets industriels grâce aux mesures que nous prenons depuis 2017, qu'il s'agisse des ordonnances Pénicaud, de la réforme de la fiscalité ou de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique dite loi Asap. C'est un très bon résultat. De surcroît, plus de la moitié des projets profiteront aux territoires ruraux ou périurbains. Nous veillons à préserver l'équilibre du territoire. Ces projets se réalisent dans les villes moyennes, les sous-préfectures, les territoires qui ont été oubliés par la mondialisation et que la crise des gilets jaunes a mis en lumière. C'est une très bonne nouvelle pour l'emploi et pour ces territoires qui s'en trouveront dynamisés. La réindustrialisation prendra du temps mais nous sommes sur la bonne voie.
La séance est levée à 14 heures 45.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. André Chassaigne, Mme Sophia Chikirou, Mme Annick Cousin, Mme Marietta Karamanli, Mme Brigitte Klinkert, Mme Nicole Le Peih, M. Alexandre Sabatou
Excusés. - Mme Pascale Boyer, M. Benjamin Haddad, Mme Constance Le Grip, Mme Nathalie Oziol, M. Christophe Plassard, Mme Sandra Regol, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Michèle Tabarot