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Intervention de Olivier Becht

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Olivier Becht, ministre délégué :

Madame Klinkert, nous menons une politique commerciale à la fois défensive et offensive. Nous ne devons pas seulement protéger les produits pour lesquels nous ne sommes pas compétitifs, nous devons aussi vendre dans les autres continents nos produits qui sont de grande qualité.

S'agissant de l'agriculture, nous avons tendance à jouer trop en défense. Or, Monsieur Sabatou, notre production agricole dépasse les besoins nationaux et se place au premier rang des exportations mondiales – c'est évidemment le cas pour les vins et spiritueux, en particulier pour le cognac dont 80 % de la production est exportée, mais aussi pour la filière laitière, dont 40 % de la production est exportée, ou encore les céréales. Notre pays compte aussi des champions mondiaux de l'agroalimentaire tels que Lactalis ou Danone.

Dans les négociations, notre approche doit aussi être offensive parce que nous avons des marchés à gagner – c'est ce que je dis aux agriculteurs – à condition que l'Europe suive. Cela m'amène à la pause réglementaire, Madame Chikirou. L'Union européenne applique aujourd'hui les normes environnementales les plus protectrices au monde. Nous devons veiller à ce qu'elles soient respectées par les autres pays pour garantir l'équilibre des échanges. Mais nous devons aussi faire preuve de pragmatisme et nous assurer que nos producteurs puissent encore produire et exporter.

Il est fréquent d'entendre La France insoumise et le Rassemblement national dire : « On le croira quand on le verra ». Il y a quelques semaines, j'ai été interpellé lors des questions au Gouvernement sur la phosphine dont l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) envisageait d'interdire l'usage, ce qui risquait de mettre en péril nos exportations de céréales à destination de l'Afrique. J'avais pris l'engagement de résoudre le problème. En dépit des doutes que le Rassemblement national avait exprimés, j'ai tenu ma promesse. J'ai fait valoir que nous ne pouvions pas être plus exigeants que les normes européennes à moins de desservir nos propres producteurs. C'est l'idée que défend le Président de la République en évoquant une pause : appliquons déjà les normes qui sont les plus ambitieuses au monde avant d'en adopter de nouvelles qui déséquilibreraient les échanges au détriment de nos producteurs.

Madame Klinkert, faut-il continuer à suivre les règles de l'OMC si nous sommes les seuls à le faire ? La question est légitime, mais, à nos yeux, ces règles restent bonnes et nécessaires car sans elles, c'est la loi du plus fort qui prévaut. Reste ensuite à savoir si les autres les appliquent. Force est de constater que la Chine et les États-Unis – à hauteur de 200 milliards en vertu de l'IRA – accordent des subventions massives qui sont contraires aux règles de l'OMC. Nous sommes pragmatiques, nous soutenons le multilatéralisme et nous invitons à une réforme de l'OMC susceptible de favoriser un meilleur respect des règles et des règlements des différends. Pour autant, nous ne serons pas les derniers à soutenir le fronton du temple lorsque ses gardiens auront emporté les piliers. Voilà les principes qui dictent notre position au niveau européen.

Monsieur Sabatou, vous m'avez interrogé à propos de l'accord de libre-échange entre la France et le Mercosur. Les conditions que nous avons posées sont claires. Tout d'abord, les politiques publiques de tous les pays membres du Mercosur devront respecter l'accord de Paris. Ensuite, l'Union européenne n'autorisera pas l'importation de produits issus de la déforestation. Enfin, les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne devront être respectées. Des sanctions sont prévues et elles pourraient aller jusqu'à faire tomber le traité.

Vous avez émis la crainte, tout comme Monsieur Chassaigne, que les agriculteurs soient les grands perdants de ce traité. Si je résume votre propos, vous considérez que nous faisons des concessions au profit des industriels et au détriment des agriculteurs. C'est le même discours que celui qui se tenait il y a cinq ans, sur les bancs de l'Assemblée nationale, pour rejeter le CETA. Signer le CETA, pour bon nombre de parlementaires, c'était enfoncer le dernier clou dans le cercueil de l'agriculture française, en particulier de la filière bovine. Les arguments étaient avancés avec une telle conviction que je m'étais abstenu de voter, dans le doute. Cinq ans plus tard, les faits m'ont donné tort : le CETA a permis à la France d'augmenter ses exportations vers le Canada de 15 %. En particulier, l'exportation des produits de l'agriculture a bondi de 30 %. Le seul exemple du bœuf devrait suffire à vous convaincre, Monsieur Chassaigne : nous exportons trois fois plus de viande bovine vers le Canada que nous n'importons de viande bovine du Canada. Les chiffres en attestent, c'est une réalité que vous ne pouvez nier. Peut-être ce traité deviendra-t-il un jour obsolète mais, en attendant, la France y gagne. Le CETA crée de l'emploi et permet à des gens de vivre dignement. Rappelons que 4 millions d'emplois dépendent des exportations vers des pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne. Si vous mettez fin aux traités commerciaux, vous les perdez immédiatement mais vous gagnez 4 millions de chômeurs, à la charge de l'État. Vous expliquerez ensuite aux gens pourquoi ils ne perçoivent plus de salaire !

Ce sont les chiffres, Madame Chikirou. Je conçois bien qu'ils ne vous fassent pas plaisir : ils sont contraires à votre idéologie. Certains systèmes politiques ont une fâcheuse tendance à changer les chiffres et les faits lorsqu'ils leur déplaisent mais chez nous, en démocratie, dans un État de droit, nous ne maquillons rien.

Monsieur Sabatou préfèrerait que nous ne concluions que des accords bilatéraux, par exemple avec le seul Brésil plutôt qu'avec le Mercosur. Vous imaginez bien que si un traité est signé entre la France et le Brésil, un autre le sera entre le Brésil et l'Allemagne, ou bien les Pays-Bas. Que faites-vous des frontières du marché intérieur ? Est-ce à dire que vous supprimeriez le marché unique ? Admettons que les Pays-Bas achètent au Brésil à des tarifs plus élevés que ceux que nous proposons. Le Brésil vendra ses marchandises aux Pays-Bas et elles finiront chez nous, de la même manière que dans le cadre du traité avec le Mercosur, sauf que cette fois nous serons perdants. Votre proposition ne tient que si vous abolissez le marché intérieur européen, sur lequel repose l'architecture de l'Europe et dont dépendent des millions d'emplois.

Madame Chikirou, nous ne révolutionnons pas à moitié la politique commerciale. Des mesures aux conséquences bien concrètes ont déjà été prises et les mesures miroir ne sont pas de vaines promesses. Ainsi, dans sa version datée de février dernier, le projet de déclaration, outre un règlement sur la déforestation importée, prévoit qu'il sera interdit d'importer de la viande bovine traitée aux hormones de croissance, des produits agricoles contenant des traces de deux néonicotinoïdes interdits dans l'Union européenne, de la viande d'animaux traités aux antibiotiques de croissance.

Vos arguments finissent par se retourner contre vous, Madame. Vous en appelez à des mesures plus protectionnistes tout en reprochant aux États-Unis d'en prendre. Vous voudriez ainsi que l'on réagisse aux mesures prévues par l'IRA. Je comprends bien que vous voudriez, pour reprendre vos propos, instaurer un « protectionnisme solidaire » mais nous préférons le principe de réciprocité. Si l'État avec lequel l'on a conclu un contrat n'applique pas à nos produits les mêmes avantages que nous accordons aux siens, nous pourrions prendre des mesures pour rétablir l'équilibre.

Quant à savoir si nous serions prêts à quitter les traités de libre-échange si les clauses n'étaient pas respectées, vous trouvez la réponse dans le dispositif des clauses essentielles : si un pays avec lequel nous avons signé l'accord de libre-échange ne respecte pas l'accord de Paris, nous quitterons le traité.

Madame Karamanli, oui, il faut financer par des fonds européens la lutte contre le changement climatique. Le plan industriel du pacte vert, les plans de relance, France 2030 prévoient des mesures pour financer la transition énergétique, la révolution digitale, la biotechnologie.

Monsieur Chassaigne, les Français, en 1992, par référendum, ont autorisé la ratification du traité sur l'Union européenne qui confie la compétence commerciale à l'Union européenne. C'est le Parlement européen qui vote ces traités. En cas d'accord mixte, les parlements nationaux sont saisis. Ce fut le cas pour le Ceta.

Concernant l'extraterritorialité du droit américain, l'Union européenne a adopté en 1996 un règlement dit de blocage pour protéger l'ordre juridique établi et les intérêts de la Communauté contre l'application, notamment, de la loi renforçant l'embargo contre Cuba. L'Union européenne, et la France en particulier, a toujours considéré que le recours à des sanctions internationales est injustifié, injustifiable et illégal au regard du droit international, en ce qu'elles portent atteinte à notre souveraineté économique. Le règlement de 1996 doit être réformé mais il reste toujours actif et protège les intérêts de nos entreprises. Entre 2018 et 2021, la Commission a reçu trente-cinq notifications. La France applique sa propre loi de blocage et a noué un dialogue avec l'administration américaine.

Madame Le Peih, nous avons pu attirer 1 269 projets industriels grâce aux mesures que nous prenons depuis 2017, qu'il s'agisse des ordonnances Pénicaud, de la réforme de la fiscalité ou de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique dite loi Asap. C'est un très bon résultat. De surcroît, plus de la moitié des projets profiteront aux territoires ruraux ou périurbains. Nous veillons à préserver l'équilibre du territoire. Ces projets se réalisent dans les villes moyennes, les sous-préfectures, les territoires qui ont été oubliés par la mondialisation et que la crise des gilets jaunes a mis en lumière. C'est une très bonne nouvelle pour l'emploi et pour ces territoires qui s'en trouveront dynamisés. La réindustrialisation prendra du temps mais nous sommes sur la bonne voie.

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