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Intervention de Olivier Becht

Réunion du mercredi 17 mai 2023 à 13h30
Commission des affaires européennes

Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger :

J'évoquerai tout d'abord notre politique commerciale et, ensuite, l'ordre du jour du Conseil qui se réunira à Bruxelles le 25 mai.

Depuis 2017 et, en particulier, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, nous avons travaillé à révolutionner la politique commerciale de l'Europe car il importe d'en finir avec la « naïveté » et avec une époque où, dans un esprit très libéral, nous avons pu donner l'impression à nos concitoyens d'être ouverts aux quatre vents de la mondialisation, au point de subir le dumping d'autres États qui ne respectaient pas nos normes environnementales, sanitaires et sociales et faisaient entrer dans l'Union des produits forcément plus compétitifs que les nôtres.

Cette ère est révolue, même si cette révolution est encore « en marche » et qu'un certain nombre de points demeurent à l'agenda européen. Ainsi, l'accord que nous avons passé avec la Nouvelle-Zélande illustre ce que l'on appelle la « nouvelle approche » de l'Union européenne : une politique commerciale qui reste ouverte – les pays les plus fermés sont aussi les plus pauvres – mais à nos conditions. Cette ouverture n'est pas sans réciprocité et ne saurait se faire au détriment des intérêts européens et de certaines valeurs, dont celle du respect de l'homme et de la planète.

Nous introduisons donc dans les accords internationaux des règles qui sont autant de conditions aux préférences tarifaires accordées. En cas de violation, ces préférences n'ont plus lieu d'être et l'accord est lui-même susceptible d'être rompu. L'Union européenne a également adopté plusieurs dispositifs permettant de restaurer l'équilibre de l'échange, le cas échéant, en imposant des sanctions. Vous avez évoqué les droits antidumping et antisubventions mais on pourrait également se référer à l'instrument anticoercition qui est en passe d'être adopté et qui a fait l'objet d'un accord en trilogue. Ainsi introduisons-nous les accords de Paris comme clause essentielle : un accord commercial avec un pays qui ne respecterait pas ces derniers tomberait.

Nous incluons également dans nos accords commerciaux un règlement européen permettant de lutter contre la déforestation et de préserver la biodiversité, comme nous le faisons d'ailleurs en France, notamment avec le fameux principe du « zéro artificialisation nette » des sols. Il s'agit là d'un point essentiel pour faire en sorte qu'aucun produit importé au sein de l'Union européenne ne soit issu d'une culture ou d'un élevage impliquant une déforestation.

Sur un plan social, nous introduisons dans les accords commerciaux les conventions de l'Organisation internationale du travail (OIT), notamment celles prohibant le travail forcé ou le travail des enfants. Là encore, leur violation n'entraînera pas seulement l'ouverture d'éventuelles procédures de sanction devant les organes de l'OIT mais elle sera susceptible d'annuler l'accord.

Enfin, nous insérons dans les accords des clauses miroir, quoique nous privilégions les mesures miroir. Les premières sont introduites dans l'accord commercial : la signature de l'accord avec le Mercosur, par exemple, supposerait qu'elles y soient incluses. Tel pays pourra importer du bœuf sur le sol européen mais celui-ci devra avoir été élevé conformément aux préconisations de l'Union européenne, imposées à nos propres producteurs. Les secondes ne sont pas introduites dans l'accord commercial mais dans la législation européenne, règlements et directives : ce que nous imposons à nos producteurs européens s'applique à tout importateur. Les mesures miroir s'appliqueront à tous les traités de commerce, y compris à ceux qui ont été antérieurement conclus, dont le CETA. Toutefois, elles ne seront pas à proprement parler rétroactives en ce qu'elles ne s'appliqueront pas aux importations déjà réalisées mais à celles qui le seront dès que ces mesures seront effectives. Elles seront également valables pour les importations en provenance de pays avec lesquels nous n'aurions pas d'accord de commerce, comme c'est le cas avec les États-Unis. Nous restaurons ainsi un équilibre des échanges. Nous privilégions une telle stratégie parce qu'elle est la plus efficace : nul besoin de faire des concessions. Une clause miroir, en effet, est négociée dans le cadre d'un accord de commerce. Un importateur, si une contrainte lui est imposée, peut demander en échange une augmentation des quotas. Une mesure miroir présente les mêmes avantages qu'une clause miroir mais il n'y a rien à négocier en contrepartie.

Voilà la petite révolution que la France est en train d'accomplir avec ses partenaires de l'Union européenne afin de maintenir le nécessaire dynamisme de notre politique commerciale. Le développement de la motorisation électrique, par exemple, suppose des batteries – des gigafactories sont implantées dans le Nord – mais aussi des matières premières dont nous ne disposons pas en quantité suffisante en Europe et qu'il faudra bien importer. Le dynamisme de notre politique commerciale repose certes sur nos exportations mais, aussi, sur nos importations, même si nous voulons réduire notre dépendance à l'endroit d'un certain nombre de matières stratégiques et souveraines.

Quatre points sont à l'ordre du jour du Conseil du 25 mai.

Tout d'abord, les relations entre l'Union européenne et les États-Unis. Nous avons trouvé auprès de l'administration Biden une meilleure écoute suite aux contentieux portant sur Boeing et Airbus mais, aussi, sur l'acier et l'aluminium, lequel dure depuis 2018, et aux pénalités qui ont durement touché nos producteurs de vin de Cognac et de fromages. Un règlement provisoire a été trouvé en 2021 sur ce dernier contentieux mais, dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies, le UE-US TTC, Trade and technology council, nous cherchons à mettre un terme définitif à ces pénalités. D'ici la fin de l'année, nous devrons absolument parvenir à un accord définitif.

Autre sujet ayant engendré quelques crispations, cette fois avec l'administration Biden : l'IRA. Celui-ci constitue tout de même une bonne nouvelle puisque l'administration américaine s'est engagée dans la transition énergétique, les États-Unis étant l'un des premiers émetteurs de CO2 au monde – cela vaut toujours mieux que lorsqu'un Président américain déclarait, il y a quelques années, que le réchauffement climatique était une invention des Chinois et qu'il n'y avait aucune raison pour que les Américains fassent le moindre effort afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Il s'agit également d'une bonne nouvelle parce qu'avec 369 milliards de dollars, les montants investis sont considérables. Cela aurait été toutefois une nouvelle encore meilleure si ce montant avait été compatible avec les règles de l'OMC, ce qui n'est pas le cas pour 200 milliards. Ce sont les clauses de « contenu local » imposées pour un certain nombre de produits afin de bénéficier des subventions américaines qui sont l'objet de ces crispations, puisque ces clauses excluent des productions du monde entier, dont celles de l'Europe.

Nous avons travaillé avec nos amis américains dans le cadre d'une task force et nous avons mis en avant quelques pistes, qui appellent une réponse européenne, notamment le Green deal industrial plan que nous sommes en train de finaliser et qui sera décliné au plan national. Le plan France 2030, le projet de loi relatif à l'industrie verte, l'accélération de la réindustrialisation, le bonus écologique constituent également autant de réponses à l'IRA.

Deuxième point à l'ordre du jour : la relation entre l'Union européenne et la Chine. L'Union européenne considère la Chine comme un partenaire économique, un compétiteur et, sur le plan politique, un rival systémique. Nous avons évidemment besoin d'une relation commerciale avec ce pays. Nous ne partageons pas la stratégie américaine de découplage. La nôtre vise à diversifier les approvisionnements et à « dérisquer » certains positionnements sur des produits stratégiques pour notre souveraineté, comme nous l'avons constaté lors de la crise du covid : si le panier cède après que l'on y a mis tous nos œufs, nous les perdons tous ; si un seul pays nous livre du Doliprane, des masques ou des microprocesseurs et que, pour une raison ou pour une autre, il cesse ses livraisons, nous en sommes totalement dépendants, ce qui soulève la question stratégique de la souveraineté nationale. Ainsi, nous rapatrions un certain nombre d'industries et, lorsqu'un équilibre économique de production n'est pas possible en France, nous veillons à diversifier nos sources d'approvisionnement. Nous continuerons une telle stratégie, tout en veillant aux subventions chinoises sur plusieurs produits. Nous n'hésitons d'ailleurs pas à appliquer les instruments que j'ai évoqués : mesures antidumping, antisubventions et anticoercition.

Troisième point à l'ordre du jour : les relations avec l'OMC. Celle-ci a traversé une phase un peu difficile compte tenu des tensions protectionnistes qui se sont fait jour ici ou là et qui mettent en question le multilatéralisme commercial qu'elle incarne. L'OMC, ce sont d'abord des règles permettant que le commerce mondial ne soit pas soumis à la loi de la jungle, mais ce sont aussi des organes permettant de régler les différends, notamment l'organe d'appel, lequel est aujourd'hui bloqué. Nous souhaitons travailler à l'approfondissement d'un certain nombre de règles. Des avancées ont été réalisées lors de la dernière conférence ministérielle (CM12), en 2022, notamment sur la question de la pêche illégale et de la préservation de la ressource halieutique. Nous nous engagerons également sur la question de la surpêche. Nous devons revenir au règlement des différends au sein de l'OMC afin d'éviter que chacun n'élabore des stratégies déloyales par rapport à ses concurrents, soit à travers des subventions massives, soit par d'autres biais de contournement des règles de l'OMC.

Enfin, quatrième point : les accords de commerce en cours. Nous avons terminé les négociations avec certains États, dont la Nouvelle-Zélande et le Chili, et des accords devraient être signés d'ici la fin du semestre ou au début du semestre suivant. Les négociations avec le Mexique sont presque achevées mais il n'est pas certain que le Conseil en soit rapidement saisi car des discussions demeurent autour de la « nouvelle approche » de la Commission européenne, que nous souhaitons intégrer dans le traité. Les discussions avec l'Australie avancent également plutôt bien, avec l'espoir de les achever en cours d'année.

Nous menons également des discussions avec l'Indonésie et la Thaïlande ainsi qu'avec l'Inde. Elles sont plus compliquées avec ce dernier car le marché de ce pays, désormais le plus peuplé du monde, reste très fermé à nos produits.

Dans les négociations avec le Mercosur, qui durent depuis vingt-trois ans déjà, nos exigences sont très claires. Elles tiennent tout d'abord au respect de l'accord de Paris puisque, conformément à sa nouvelle approche, la Commission en fait une clause essentielle du traité mais aussi un critère d'appréciation des politiques publiques du Mercosur. Elles s'étendent à la lutte contre la déforestation : pas un kilo de bœuf brésilien ou argentin, élevé sur des terres issues de la déforestation, ne pourra être importé dans un pays européen. Des mesures miroir sont prévues pour imposer aux producteurs du Mercosur les mêmes conditions d'exportation, sanitaires ou environnementales, que celles auxquelles sont soumis les producteurs de l'Union européenne, en particulier pour les produits agricoles. Enfin, nous souhaitons instaurer des mécanismes de sanction qui permettront de suspendre l'accord si les conditions que je viens d'énoncer n'étaient pas remplies lors de son application.

Les discussions aboutiront-elles ? Sincèrement, je n'en sais rien ; tous les scenarii sont sur la table. Les Espagnols, qui présideront l'Union européenne au deuxième semestre, souhaitent accélérer parce qu'ils entretiennent des liens privilégiés avec les pays du Mercosur. Après vingt-trois ans, il est légitime de vouloir que les négociations aboutissent mais une chose est sûre : nous n'accepterons jamais de signer un accord qui ne réponde pas aux conditions que nous avons posées. Nous ne refusons pas par principe un tel accord – pourquoi ferions-nous du commerce avec le Canada, le Japon, ou l'Australie et pas avec l'Amérique latine ? – mais il ne doit pas desservir nos intérêts, ni nuire à l'humain et à la planète. Nous devrons nous prononcer clairement.

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