Commission d'enquête sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire

Réunion du jeudi 25 juin 2020 à 15h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CSM
  • avocat
  • indépendance
  • instruction
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La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 05.

Présidence de M. Ugo Bernalicis, président

La Commission d'enquête entend M. Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire.

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Chers collègues, nous poursuivons nos travaux en recevant M. Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire.

Compte tenu de la réputation d'indépendance dont vous avez joui durant votre carrière au sein de la magistrature, monsieur Van Ruymbeke, il est important de vous entendre : votre expérience dans ce domaine nous intéresse particulièrement.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « je le jure ».

(M. Renaud Van Ruymbeke prête serment).

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Je vous remercie de me donner la parole sur le thème très important de l'indépendance de la justice.

Chercher les petites contradictions a été mon métier pendant des années. J'ai lu que votre commission d'enquête porte sur les obstacles à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Or vous avez rappelé, dans la première question écrite que vous m'avez adressée, que la Constitution parle d'autorité et non de pouvoir judiciaire.

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Si vous le permettez, je vais vous répondre tout de suite.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Vous basculez donc dans la position de celui qui répond aux questions du juge d'instruction (Sourires).

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Cette commission d'enquête a été créée dans le cadre du droit de tirage du groupe La France insoumise, et son intitulé correspond à la rédaction que nous avions proposée, à dessein. Quant aux questions, elles vous ont été adressées par le rapporteur. Il y a sans doute une divergence d'approche et d'analyse entre nous, mais l'objectif est de susciter le débat et le questionnement.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Il n'existe pas de pouvoir judiciaire en France : les constituants n'ont pas voulu en créer un. C'est pourquoi on parle d'autorité judiciaire.

Comme vous l'avez relevé dans votre deuxième question, c'est le Président de la République qui est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Cela me semble contradictoire. Si l'on avait un véritable pouvoir judiciaire, je ne vois pas en quoi le Président de la République aurait à interférer dans son fonctionnement.

Par ailleurs, le garde des Sceaux gère la carrière de la plupart des magistrats, y compris ceux du siège – sauf pour les postes vraiment très élevés, en fin de carrière –, à travers la direction des services judiciaires. Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne gère pas les carrières : il émet un avis, conforme ou non, selon le poste concerné.

Si vous vouliez créer un véritable pouvoir judiciaire, il faudrait transférer au CSM tous les pouvoirs du garde des Sceaux en la matière. Cela lèverait toute ambiguïté sur l'immixtion, réelle ou supposée, du pouvoir exécutif dans le fonctionnement du pouvoir judiciaire. C'est particulièrement important dans les affaires politico-financières. Je me suis trouvé confronté au pouvoir à travers le parquet, institution hiérarchisée qui a conservé un lien avec le garde des Sceaux, lequel est un membre du pouvoir exécutif.

Des évolutions considérables ont eu lieu en ce qui concerne l'« indépendance » du parquet – l'indépendance relative des procureurs. J'ai connu une époque où des affaires étaient étouffées par les parquets. Cela a beaucoup évolué, peut-être en raison des affaires qui ont opposé indirectement le pouvoir et les juges d'instruction, lesquels se sont trouvés en première ligne. Je l'ai été dans certaines affaires qui concernaient aussi bien la droite que la gauche, et dans lesquelles j'ai observé le même comportement du côté du parquet ou du parquet général, parce que le ministre de la justice appartenait à un parti politique en cause dans le dossier.

Cela m'a valu d'être poursuivi deux fois – c'est peut-être un record, je ne sais pas – devant le CSM, qui m'a blanchi dans les deux cas – d'abord dans l'affaire Boulin, en 1979, puis dans l'affaire Clearstream. J'ai été poursuivi pendant six ans dans cette dernière affaire, à l'initiative du garde des Sceaux, qui avait commissionné, en quelque sorte, l'inspecteur général des services judiciaires, qui est pour moi un procureur général.

Alors que je me suis trouvé confronté au pouvoir pendant toute ma carrière, à travers des procureurs ou des procureurs généraux, j'ai dû rendre des comptes à un procureur général – je n'avais pas le choix. Il s'est prononcé avec deux autres magistrats que je considère comme étant du parquet – on l'est à partir du moment où on est à la Chancellerie ou dans un cabinet.

Il ne devrait pas y avoir de confusion. Nous ne jouons pas dans la même cour : on devrait séparer complètement, du moins à un certain niveau, les fonctions du parquet et celles du siège. Certains magistrats vont de l'un à l'autre au cours de leur carrière, ce qui a des conséquences sur la lisibilité et sur ce que d'aucuns appellent la culture de la soumission, dont le siège est suspect par ricochet. Il faudrait peut-être clarifier les choses.

Le problème de fond est que la justice a une double tutelle. On a avancé en ce qui concerne le pouvoir politique, mais tout n'est pas parfait. Mme Houlette vous a expliqué très clairement qu'elle rendait des comptes au parquet général – elle appartenait à une structure hiérarchique. Si on coupait le cordon politique, par ailleurs, il faudrait faire attention au corporatisme. Sinon, le remède pourrait être pire que le mal.

Il faudrait, selon moi, que le CSM soit renforcé, qu'il gère effectivement la carrière des magistrats, que l'inspection générale soit rattachée à lui et non au garde des Sceaux, et que le CSM soit représentatif des citoyens. Quelques magistrats peuvent en être membres, mais on ne peut pas laisser aux magistrats le soin de se contrôler eux-mêmes. Je ne le dis pas parce que je ne fais pas confiance aux magistrats, mais parce que ce serait par définition du corporatisme, de l'entre-soi, dans un pays où les juges ne sont pas élus, contrairement à vous – ils n'ont pas la même légitimité.

Les membres extérieurs du CSM sont notamment désignés par le Président de la République, par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat. Pourquoi ne pas donner cette compétence à l'Assemblée nationale et au Sénat, au lieu de la réserver à leurs présidents ? Un problème de représentativité démocratique se pose. Quant aux magistrats élus par leurs pairs pour siéger au CSM, il y a très clairement une surreprésentation de la hiérarchie judiciaire – on fait voter des corps. Il faudrait mettre les choses à plat pour créer un CSM digne de ce nom.

S'agissant du parquet, faut-il ou non couper le cordon entre lui et le pouvoir politique ? Ce dernier ne l'a jamais voulu, au motif que la politique pénale doit être la même dans tous les ressorts, et qu'on ne peut pas laisser les procureurs la définir individuellement. J'ai travaillé dans un parquet il y a très longtemps – j'en suis d'ailleurs parti en courant au bout de deux ans, après m'être heurté au procureur général, et je ne me suis juré de ne plus jamais y revenir, même si j'ai le plus grand respect pour mes collègues du parquet. Ma propre caractéristique, en tant que juge d'instruction, est d'être totalement indépendant. Je n'ai pas l'habitude que l'on me dise qu'il ne faut peut-être pas aller voir de tel ou tel côté dans un dossier. La justice est la même pour tous.

Je voyais passer les circulaires lorsque j'étais au parquet, mais la plupart des magistrats n'en avaient rien à faire. C'est du papier, de la bureaucratie. Croyez-vous qu'on se dit, quand on intervient dans un dossier précis, que telle circulaire de telle date a modifié ce que prévoyait la circulaire précédente ? Je n'en suis pas personnellement convaincu.

Je préférerais un système dans lequel les procureurs seraient totalement indépendants. Ils dépendraient du CSM pour leur nomination et ils auraient interdiction non seulement de recevoir la moindre instruction – cela figure déjà dans les textes – mais aussi de faire remonter des informations dans des affaires particulières. Dans certains cas, exceptionnels, des questions d'ordre public se posent, et il est alors naturel que le pouvoir exécutif soit informé de ce qui se passe. Mais je ne vois pas pourquoi le garde des Sceaux devrait être informé d'une affaire qui concerne un parti politique, un élu ou un intermédiaire.

Le juge d'instruction est totalement indépendant. Il est très important, pour le citoyen, de savoir que les affaires complexes sont entre les mains de juges indépendants. Il faut éviter la suspicion, le sentiment que l'on pourrait aller dans un sens ou dans un autre pour telle ou telle raison.

Le juge d'instruction, indépendant, n'est pas l'homme le plus puissant de France. Il est soumis à un contrôle : celui de la loi, le vôtre, et celui de la chambre de l'instruction – les avocats ont accès au dossier et peuvent demander l'annulation ou l'infirmation de toutes les décisions prises. Surtout, l'aboutissement des affaires, qu'elles aient fait l'objet d'une instruction ou d'une enquête préliminaire, se joue devant le tribunal, lors d'audiences publiques. Le tribunal peut aussi bien considérer que le juge d'instruction a tout faux que valider l'instruction et passer à l'étape de la sanction.

Il est important de garder le cap de l'indépendance et de l'égalité devant la loi – il n'y a pas de privilèges dans ce pays, que je sache. Il faut aussi avoir un peu de recul, réfléchir à ce que l'on fait, mettre une distance avec les médias, pour ne pas être leur otage – le temps judiciaire n'est pas le temps médiatique – et on doit surtout écouter les personnes. On peut avoir des intuitions et formuler des hypothèses, mais il faut les vérifier systématiquement et en conscience, en faisant abstraction autant que possible de ce que l'on peut penser par ailleurs. Cela me paraît important. Il ne faut pas que l'on puisse suspecter le juge de se soucier de sa carrière ou d'être l'objet de pressions.

Le juge d'instruction est aussi un magistrat qui doute. Il n'y a rien de pire, dans ces enquêtes qui sont difficiles, que d'avoir des certitudes. Nous devons nous remettre en question, et le dialogue avec les avocats est fondamental. Lorsque l'on convoque une personne pour la mettre en examen, il faut d'abord l'écouter et confronter ses déclarations avec les éléments figurant dans le dossier – certains d'entre eux vont tomber tandis que d'autres seront confortés. Puis le juge décide d'un non-lieu ou d'un renvoi s'il estime qu'il existe des charges suffisantes, et c'est ensuite au tribunal de les apprécier lors d'une audience publique – j'insiste sur ce point.

Enfin, et nous pourrons y revenir si vous le voulez, il est important que les affaires ne traînent pas à l'instruction pendant des années avant d'être jugées publiquement, dans le cadre d'un débat contradictoire.

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Merci pour vos propos liminaires. Est-ce que cela coûte, et combien, d'être indépendant ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

On fait une croix sur sa carrière, terme que je n'ai d'ailleurs jamais aimé. Cela m'a coûté d'être poursuivi et d'être vilipendé lors d'un congrès du parti socialiste, en 1992, à Bordeaux. Dans ce type d'affaires, on s'expose à des attaques, à des suspicions, à des manipulations, notamment médiatiques, et à des critiques. Il est normal que les gens s'expriment librement, ils peuvent critiquer leur juge et la justice, mais nous n'avons pas la possibilité de répondre.

L'ironie de l'histoire est que j'ai été conforté dans mes fonctions, en quelque sorte, lorsque j'ai été poursuivi dans l'affaire Clearstream. Je devais devenir président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel au moment où cette affaire – notamment mes rencontres avec M. Gergorin – est sortie dans la presse, mais le CSM a suspendu cette nomination. Il s'est dit que l'on ne pouvait pas donner une promotion à une personne poursuivie. Je suis donc resté et quand j'ai été blanchi, six ans plus tard, un poste de premier vice-président chargé de l'instruction m'a permis de garder mes dossiers. J'ai ainsi pu rester vingt ans au pôle financier, dans le même cabinet.

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La désignation des juges d'instruction pose-t-elle question, selon vous, sous l'angle de l'indépendance ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Nécessairement. J'ai vu comment le système fonctionnait à Paris – j'ai même fini doyen des juges d'instruction. Les affaires qui arrivent vont au juge de permanence, mais ce n'est pas automatique : si un juge qui n'est pas de permanence a un dossier connexe, l'affaire lui revient ; par ailleurs, on ne va pas donner un gros dossier à des cabinets surchargés, et certains d'entre eux sont spécialisés, par exemple dans la cybercriminalité. Une péréquation est nécessaire. Il n'y a pas de problème dans 95 % des affaires. Quand j'étais doyen, j'étais consulté par la première vice-présidente en charge de faire les désignations, sur délégation du président du tribunal. Elle venait toutes les semaines au pôle financier et nous faisions le point ensemble. On essaie de rationaliser les choses tout en préservant le principe d'indépendance. Pour le reste, cela marche différemment.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Je ne pourrais pas dire quel est le pourcentage exact. Dans quelques affaires, très médiatisées, c'est le président du tribunal qui décide. Il a le pouvoir discrétionnaire de désigner qui il veut. Je ne sais pas quels sont les critères : je n'ai jamais été associé à ces désignations. Il y a un système d'exception pour ces affaires.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Qu'une autorité extérieure soit chargée de procéder à des désignations dans des dossiers lourds n'est pas critiquable en soi. Il faut bien que quelqu'un le fasse, et cela ne peut pas être une personne de l'intérieur. Quant à la question de savoir comment cela se passe dans telle ou telle affaire, je n'en sais rien.

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S'agissant des co-saisines, qui se développent de plus en plus, notamment dans les dossiers les plus sensibles, quel est votre retour d'expérience ? Est-ce une bonne idée ? Certains critiquent l'allongement des délais que cela impliquerait, notamment parce qu'il faut caler les agendas.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

L'idée de ne pas faire peser sur un seul juge des décisions lourdes de conséquences me paraît tout à fait légitime. On réduit souvent les affaires à un juge, alors qu'ils sont souvent deux ou trois. J'ai eu des aventures diverses dans le cadre des co-saisines. Il faut désigner, sinon des équipes, du moins des juges qui s'entendent et qui ont les mêmes méthodes. C'est une question de ressources humaines : le résultat peut être paralysant, mais la co-saisine ne conduit pas nécessairement à un ralentissement.

En revanche, j'ai souvent dit à des collègues que si l'on est trois à entendre une même personne, cela fait un peu tribunal et c'est lourd : on peut le faire à deux seulement. C'est une question de répartition des tâches. Par ailleurs, la co-saisine devrait permettre d'éviter un excès de personnalisation. Souvent, le juge est attaqué parce qu'il est perçu comme étant seul. Lorsqu'une collégialité existe, on ne peut pas faire ce reproche : normalement, le juge ne prend pas seul les décisions.

On n'a pas multiplié par trois le nombre de juges d'instruction. La charge de travail étant la même, un des juges co-saisis sert de pilote, étudie le dossier. Certains marchent à deux, en co-pilotes, mais l'usage que j'ai plutôt constaté est que celui qui est désigné en premier fait le travail d'investigation et en réfère aux autres, normalement, lorsque des décisions majeures doivent être prises. Par ailleurs, il y a deux ou trois juges lors des auditions particulièrement importantes. On peut aussi se répartir les différents aspects d'un dossier.

Dans les dossiers très lourds et très compliqués, de trente ou cinquante tomes, le problème est que si un collègue voit le volet A et moi le volet B, je ne saurai pas ce qu'il y a dans le volet A. Or il faut qu'il y ait une unité. J'ai toujours considéré qu'il m'appartenait, dès lors que j'étais désigné en premier, de travailler tout le dossier ; sinon, certaines connexions ne peuvent pas être faites. C'est une vraie difficulté.

Depuis l'affaire Cahuzac, notamment, le parquet national financier (PNF) a été créé, et il existe désormais des assistants spécialisés – les juges peuvent bénéficier de leurs compétences techniques, par exemple en ce qui concerne les saisies. Les enjeux sont considérables dans les affaires financières, où des dizaines de millions d'euros se promènent dans les paradis fiscaux.

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On m'a transmis des articles évoquant la « foi du palais », une sorte de secret de couloir partagé et institutionnalisé. Est-ce une pratique courante ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Les conversations off entre un juge d'instruction et un magistrat du parquet ont toujours existé, sans jamais offusquer personne. Il est nécessaire de se parler.

La « foi du palais » s'applique aussi dans les relations entre les magistrats et les avocats, même si tout le monde ne partage pas cette idée. Cela permet d'avoir des échanges qui ne seraient pas aussi faciles dans un autre cadre. Si, par exemple, je lance un mandat d'arrêt, ou que je m'apprête à le faire, contre une personne se trouvant à Dubaï, qui a détourné beaucoup d'argent, et que son avocat vient me voir, nous pouvons discuter des garanties qui peuvent être données et de la caution, au regard de l'importance des faits. Si la personne vient de son plein gré, je n'ai plus de raison de lancer un mandat d'arrêt. Nous ne sommes pas là pour faire de la répression mais pour avancer dans les dossiers.

J'ai eu de telles discussions – je ne m'en cache pas. Cela permet de faire sortir des affaires. Ce qui est important pour le juge est de comprendre. Il y a souvent des masques et des comptes auxquels on ne peut pas accéder parce que la coopération judiciaire ne fonctionne pas avec les pays concernés. Il faut soupeser les choses, et le dialogue est important. La « foi du palais » me paraît essentielle parce qu'elle permet d'échanger et de lever des équivoques. C'est dans l'intérêt du bon fonctionnement de la justice. Elle doit être humaine. Un avocat peut signaler, par exemple, que son client est malade mais qu'il ne voudra pas en parler.

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Notre commission d'enquête est heureuse de vous entendre. Vous incarnez dans la mémoire collective récente ce qui fait la valeur d'un juge d'instruction – un homme un peu seul mais qui garde des convictions chevillées au corps et qui avance.

Sans vouloir rejouer inutilement un match, j'aimerais avoir votre sentiment sur l'affaire EADS-Clearstream. Il a été reconnu, finalement, que Denis Robert avait apporté des éléments allant dans le sens de l'intérêt général, le processus judiciaire a suivi son cours, et vous avez été blanchi par le CSM en 2012. Ce qui s'est passé vous paraît-il correspondre à un débat judiciaire certes dur à vivre mais normal, même s'il conduit à la mise en cause d'un juge sur le plan disciplinaire, ou bien considérez-vous qu'il s'agissait plutôt d'une pression strictement politique et excessive ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

J'adopterais la seconde hypothèse. J'ai rendu des comptes au président du tribunal et au premier président de la Cour d'appel : j'ai expliqué les circonstances dans lesquelles j'avais été conduit à rencontrer M. Gergorin. Le président du tribunal ne m'a jamais fait de reproches. Le premier président, que je ne connaissais pas et qui a fait une enquête, a conclu au vu de mes explications qu'il n'y avait pas matière à saisir le CSM. L'affaire aurait dû en rester là.

Le garde des Sceaux de l'époque a demandé un rapport d'enquête au premier président, magistrat du siège auquel il était normal que je rende des comptes, mais il a également saisi l'inspecteur général des services judiciaires, qui était alors M. Raysseguier. Je me suis donc trouvé, je l'ai dit tout à l'heure, dans l'obligation de m'expliquer devant un procureur général, ce que l'inspecteur général était pour moi, alors que toute mon histoire était marquée par des conflits avec le parquet général. Le rapport comportait des phrases très fortes : j'aurais manqué à mon serment de magistrat… Pour moi qui ai toujours eu des convictions, c'était très dur à vivre. Et je l'ai appris en regardant une chaîne d'information en continue. Au vu de ce rapport, le ministre m'a renvoyé devant le CSM. Je ne trouve pas du tout que c'était normal. Je me suis interrogé sur les manipulations politiques qu'il y avait à cette époque où l'on parlait de supprimer le juge d'instruction, personnage qui dérange.

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Vous avez dit qu'il faut une distance entre les juges et les médias. Comment faire ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Cela relève du juge d'instruction. Il va puiser, comme le parquet, des informations auprès des médias. Dans mes dossiers, il m'est souvent arrivé d'apprendre par la presse des éléments qui m'intéressaient. Le travail du juge est de prendre l'information, de regarder si elle est crédible et surtout de la vérifier. On peut avoir affaire à un informateur, à un lanceur d'alerte ou aux Panama Papers, par exemple. Il appartient au juge de s'approprier les informations. Il n'est pas l'otage des médias : il doit garder une distance. Il ne peut pas rester dans sa bulle, totalement isolé de tout – il écoute ce qui se dit –, mais ce ne sont pas les médias qui dictent sa conduite.

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Cela dépend, évidemment, de la personnalité du juge. Je me suis beaucoup interrogé sur le secret de l'instruction, sujet sur lequel j'ai remis un rapport. Comment pourrait-on faire pour mieux protéger les juges ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Le juge doit agir en son âme et conscience. La distance, le recul sont au cœur de son métier : ils s'imposent vis-à-vis des avocats, des personnes poursuivies, du parquet, des enquêteurs – dont il doit être capable de remettre en cause les conclusions, même s'il les a désignés – et il en est de même vis-à-vis des médias.

S'agissant du secret de l'instruction, combien d'extraits de procès-verbaux ai-je retrouvé dans la presse ! Croyez-vous que cela me faisait plaisir ? Non ! J'espérais simplement que le décalage serait le plus long possible entre l'audition et la publication : deux jours après, le travail de l'instruction était discrédité, un mois après, le soulagement était grand.

Comme vous le savez, une enquête se déroule en deux temps : tout d'abord, l'enquête, à proprement parler, où le secret doit être préservé – des perquisitions sont programmées ou, dans les dossiers les plus lourds, des écoutes téléphoniques – car si des éléments « sortent », autant arrêter tout de suite ; ensuite, la phase judiciaire, où la personne poursuivie est soit mise en examen, soit placée sous le statut de témoin assisté. À ce stade, aucun contrôle n'est possible, surtout à l'heure de l'informatique. Ma greffière donnait des CD-ROM aux avocats, au parquet, les policiers connaissaient l'affaire. Combien de personnes m'ont dit, dans mon cabinet : « Monsieur le juge, regardez, le procès-verbal d'il y a quatre jours est sorti ! ». Que voulez-vous que j'y fasse ? Je ne suis pas propriétaire du dossier.

Avant que le principe du contradictoire ne soit introduit, en 1897, le juge était le seul à avoir le dossier mais ce n'est plus du tout le cas. De plus, croyez-vous que les journalistes cessent de parler des affaires qui intéressent les médias et les citoyens dès qu'une enquête est ouverte ? Elle durera cinq ans et nul ne l'évoquera ? Dans des dictatures seulement. La liberté de la presse et de l'information est une réalité.

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Si j'ai bien compris, votre vision de la justice de demain supposerait la création d'une sorte de « procureur général de la nation », une séparation assez nette entre la fonction judiciaire et le pouvoir politique, une séparation des corps, le corporatisme étant toutefois susceptible de prendre le relais de la tutelle politique. De ce point de vue, précisément, quelle est la bonne solution ?

Vous pointez par ailleurs le mode de désignation des membres du CSM. Les magistrats n'y sont pas majoritaires à une voix près puisqu'il est aussi composé de personnalités qualifiées, d'un conseiller d'État et d'un avocat. Là encore, si je comprends bien, vous souhaiteriez que les personnalités qualifiées ne soient pas désignées par les présidents des chambres mais par les chambres elles-mêmes. Cela suffirait-il à changer la donne ou ne serait-ce qu'un emplâtre sur une jambe de bois ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Vous êtes mieux placé que moi pour répondre !

Plus la base de ceux qui choisissent est large, mieux c'est. Je suis toujours soucieux d'éviter l'entre-soi. Pourquoi le processus de désignation des magistrats ne repose-t-il pas sur un collège unique ? Je ne dis pas du tout que le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas légitime mais la situation s'améliorera-t-elle s'il hérite de la plupart des pouvoirs du garde des Sceaux ? Il faudra bien poser la question de la désignation de ses membres.

Je ne suis pas favorable à la création d'un « procureur général » de la nation – on ne se refait pas ! – car le poids hiérarchique demeurerait. Lorsque l'on évoque le fonctionnement interne du parquet, il faut aussi soulever la question de la liberté d'action des substituts. En Italie, l'opération Mani pulite a été menée par des magistrats de base. Lorsque je discute avec un substitut ou un vice-procureur, nous ne sommes pas égaux puisque lui devra demander le feu vert du procureur ou du procureur-adjoint qui est son supérieur. Un procureur général de la nation renforcerait le système pyramidal alors que je suis plus favorable à un système égalitaire tel qu'il existe, bon ou mauvais, pour l'instruction.

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L'opération Mani pulite a été menée alors que le système italien était aussi inquisitoire que le nôtre ; il est aujourd'hui plutôt accusatoire. Je ne sais pas comment les choses se passeraient aujourd'hui, y compris dans la phase d'enquête.

Les remontées d'informations pour raisons politiques, selon vous, ne sont pas nécessaires et perturbent le jeu mais vous admettez qu'une remontée résiduelle soit souhaitable en matière d'ordre public. Pouvez-vous préciser votre point de vue ? Avant la loi de 2013, les directives individuelles étaient possibles à condition d'être transparentes, écrites, versées au dossier. Robert Badinter souhaiterait revenir à ce système, où la situation était selon lui plus claire. Quel est votre sentiment ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Il faut couper le cordon qui, à tort ou à raison, génère de la suspicion. En tant que magistrat, l'idée que des instructions soient données me heurte. Par ailleurs, si les instructions écrites ont existé, les coups de téléphone sont aussi possibles ! Récemment, Mme Houlette vous a elle-même expliqué comment elle a travaillé avec le procureur général, ce qui montre combien le lien hiérarchique subsiste avec le parquet et, in fine, avec le garde des Sceaux. Peut-être ma conception est-elle par trop individualiste mais j'ai apprécié, dans mon métier, de ne pas avoir à rendre de compte – si ce n'est à la loi –, de dialoguer, d'être contesté le cas échéant devant la chambre de l'instruction. J'ai peut-être tort mais je me vois mal aller voir un supérieur hiérarchique pour lui demander son avis sur ce que j'aimerais bien faire.

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Les mots ont leur importance : vous avez dit que, lorsque vous receviez des gens dans votre cabinet, vous commenciez par leur dire que vous étiez à leur écoute. J'espère que ce n'était pas par des moyens techniques !

(Sourires)

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En juin 2019, vous avez confié à Ouest-France que, dans l'affaire Urba, vous vous étiez heurté au pouvoir politique par l'intermédiaire des procureurs généraux. Serait-ce aujourd'hui impossible ou le procureur général peut-il toujours servir de relais ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Depuis l'affaire Urba, les choses ont beaucoup changé, qui plus est avec le rôle joué par la presse.

Un garde des Sceaux ne pourrait plus se mêler d'une affaire par l'intermédiaire d'un procureur général afin de se protéger. La mise en examen d'Henri Emmanuelli à laquelle j'ai procédé, avec l'aval de deux collègues, avait entraîné une réaction politique alors que je n'instruisais qu'1 % de l'affaire Urba, son versant sarthois.

Le statut du parquet, en revanche, demeure. Si les procureurs, en fait, ont pris beaucoup d'indépendance – et c'est tant mieux – en droit, rien n'a changé, hors la fin des instructions écrites, même si un coup de téléphone est donc toujours possible. Le progrès est toutefois réel : le piège qui a été tendu à Éric Halphen à travers son beau-père ne me paraît plus possible aujourd'hui. J'ajoute que si un garde des Sceaux se permettait d'intervenir, ne serait-ce qu'indirectement, il serait très rapidement amené à démissionner en raison de la pression médiatique.

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Vous avez connu les affaires politico-financières avant et après la création du PNF. Quels en sont les apports et les limites – si on voit bien l'intérêt de la spécialisation et des moyens alloués, n'y a-t-il pas également un risque de centralisation et de pression ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Le bilan n'est pas parfait.

C'était une bonne idée d'enlever la section financière au procureur de Paris et de la confier à un autre procureur, spécialisé, en raison de la technicité de ces affaires. Lorsqu'un juge ou un procureur étranger veut procéder à telle ou telle vérification, il n'a désormais qu'un seul interlocuteur. Néanmoins, comme vous le savez, le PNF ne centralise pas toutes les affaires puisque certains dossiers de même nature sont traités par le procureur de Paris. Suivez mon regard ! Qui arbitre ? Le procureur général.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

L'extrême complexité de l'affaire, qui peut être liée à sa médiatisation, mais posez-lui plutôt la question ! Je ne sais pas ce qui se passe derrière le rideau.

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Dans le dossier Fillon, MM. Davet et Lhomme ont pointé deux anomalies.

Tout d'abord, on aurait attendu, le vendredi soir, la fin de la permanence du juge d'instruction, Mme Simon – qui s'en serait plainte auprès du président du tribunal de grande instance – afin que soit désigné le « bon » juge d'instruction, alors même que Mme Houlette a déclaré qu'elle était résolue à transmettre le dossier dès le mercredi. Un tel décalage est assez surprenant : quelle est donc l'utilité du roulement prévu par le code de procédure pénale s'il ne doit pas être respecté ?

En outre, contrairement à l'usage, ni le doyen des juges d'instruction, ni le premier vice-président chargé de l'instruction que vous étiez n'ont été consultés. Confirmez-vous ces éléments ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Ce dossier fait partie des quelques-uns dont j'ai parlé, où le pouvoir discrétionnaire et « régalien » du président du tribunal – en l'occurrence, M. Hayat – s'applique. Que s'est-il passé entre le mercredi et le vendredi ? Je n'en sais rien.

Il est vrai que je n'ai pas été consulté mais il n'y avait pas d'obligation. Pour l'anecdote, j'ai appris la nouvelle aux informations, le vendredi soir, et je n'y ai pas cru, persuadé que j'aurais été mis au courant. J'ai appelé la première vice-présidente, qui m'a confirmé la nouvelle. Je n'en sais pas plus.

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Dans un certain nombre d'affaires, ce sont souvent les mêmes premiers juges d'instruction qui sont saisis : comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, sondages de l'Élysée, Bygmalion, Libye, affaire Tapie, dossier Fillon.

La Cour européenne des droits de l'homme est attachée au principe d'impartialité du juge, que nous sommes censés appliquer, c'est-à-dire à son absence de préjugés, or un juge ayant déjà signé des ordonnances de renvoi contre quelqu'un est-il encore impartial à son endroit ? Est-ce raisonnable de le désigner sur des affaires concernant la même personne ? Cette hyperpersonnalisation du suivi des dossiers ne porte-t-elle pas atteinte au principe d'impartialité ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Comme souvent les personnes qui se retrouvent dans mon bureau, je vais me dérober ! Je ne peux pas répondre à cette question et je n'ai pas de commentaire à faire sur la façon dont des instructions ont été menées par des collègues. Il faut poser la question aux personnes qui ont procédé aux désignations.

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En tant qu'ancien premier vice-président chargé du pôle de l'instruction, puis doyen, vous paraît-il normal de confier systématiquement les dossiers concernant un même justiciable aux mêmes juges ? Ce dernier peut-il avoir le sentiment d'avoir affaire à un juge impartial lorsqu'il se rend dans son bureau pour la sixième fois ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Je ne peux pas répondre.

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Ma question était pourtant assez théorique et il ne faut pas y voir malice !

La collégialité a été instaurée après l'affaire d'Outreau afin d'éviter les erreurs. Dans une affaire qui a un peu défrayé la chronique, votre refus de signer une ordonnance de renvoi a soulevé des questions sur la nature de cette ordonnance et sur le rôle des différents magistrats instructeurs. Qu'est-ce qui vous a motivé ?

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Je ne peux pas évoquer une affaire particulière mais, en cas de co-saisine, les juges peuvent être en désaccord tout comme, dans un tribunal, les trois magistrats qui siègent. Dans ce cas-là, la majorité l'emporte et un seul magistrat rend la décision au nom du tribunal mais, s'agissant de l'instruction, la loi dispose que le juge en désaccord n'est pas obligé de signer l'ordonnance de renvoi s'il n'en partage pas les termes.

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La critique que vous venez de faire, que l'on peut entendre, résulte-t-elle de votre expérience, emblématique, de juge d'instruction ou également de votre perception des problèmes du service public de la justice dans son ensemble ? Je songe en particulier à cette exigence d'indépendance de la justice, qui ne serait pas non plus au rendez-vous dans des affaires moins spectaculaires mais tout aussi essentielles pour nos concitoyens.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

En effet, il n'y a pas de petites affaires : pour un justiciable, une affaire est toujours fondamentale et les traitements doivent être identiques.

J'ai été confronté à des dossiers politico-financiers mais c'est le service public de la justice qui doit être notre boussole. Il s'agit de rendre une justice humaine, équitable, où l'on entend tout le monde, sans préjugé. Le bon fonctionnement du service public implique de faire preuve d'un maximum de célérité sans se précipiter.

À ce propos, Mme Houlette a expliqué avec raison qu'elle préférait ne pas ouvrir d'instruction compte tenu des délais. Je déplore également les recours, trop nombreux, et souvent uniquement procéduraux. Les affaires les plus importantes doivent être confiées à des juges d'instruction au-dessus de tout soupçon qui présentent des garanties d'indépendance. Il conviendrait donc de réduire ces insupportables délais : il faut parfois attendre un voire deux ans pour que la chambre de l'instruction fasse part d'une décision. L'engorgement, qui est énorme, paralyse l'instruction.

Problème : l'absence d'avocats lors des enquêtes préliminaires, qui ne passent pas par l'instruction, donc l'impossibilité d'accéder au dossier. Un justiciable découvre le dossier peu de temps avant de passer devant le tribunal et ne peut faire valoir ses arguments ou contester telle ou telle mesure. À la différence du procureur, le juge doit toujours se comporter comme un arbitre. Dans la plupart des affaires, y compris les plus complexes, il est dommageable de laisser toute latitude au parquet au détriment du juge d'instruction. La raison d'être de l'instruction, précisément, c'est son indépendance.

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Certaines affaires durent en effet des années, les juges d'instruction se succèdent et la longueur des délais peut peser sur leur indépendance, précipiter une décision ou la rendre inintelligible. Il convient donc de raccourcir les délais et de prévoir un certain nombre de dispositifs pour mettre un terme aux recours dilatoires.

Je suis d'accord avec vous : les droits de la défense sont de plus en plus réduits. J'ai entendu parler ce matin de ce nouveau tribunal parisien qui prive les avocats d'un contact avec les magistrats, ce qui génère de la frustration. Que faudrait-il faire de toute urgence pour rétablir les droits de la défense, aux stades de l'enquête et de l'instruction ? J'ai le sentiment que la volonté de se rassembler n'est plus présente alors que l'œuvre de justice relève des magistrats mais, aussi, des avocats.

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Nous manquons d'une culture commune. La formation doit-elle avoir lieu dans une même école ? Je crois que, il y a quelques années, les jeunes auditeurs de justice, à l'École nationale de la magistrature, passaient six puis trois mois dans un cabinet d'avocats. En ce qui me concerne, je n'y ai pas passé une seule journée, ce qui ne m'a pas empêché d'être intéressé par le « discours de l'autre » car il exprime une part de vérité et c'est elle que je recherche. C'est donc une question de culture personnelle et d'écoute, ce que permet l'instruction.

L'avocat a accès au dossier, il peut demander l'annulation de tel ou tel acte, contester une mesure devant une cour d'appel, ce qui est impossible face au parquet, où il découvrira le dossier à l'audience. Le traitement des dossiers compliqués qui ne sont pas passés par l'instruction sera difficile parce que l'avocat soulèvera de nouveaux éléments et formulera de nouveaux arguments qui n'ont pas été analysés. Le travail du juge, en revanche, consiste à écouter, dans le principe du contradictoire, et les droits de la défense peuvent s'exercer, tout comme à l'audience.

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Un État de l'Union européenne vous semble-t-il exemplaire au point que nous puissions nous en inspirer ?

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Renaud Van Ruymbeke, magistrat honoraire

Chaque pays a sa culture, anglo-saxonne, latine, de tradition centralisatrice ou non… Il n'y a pas de modèle unique ou parfait.

Nous devons réfléchir à partir du modèle qui est le nôtre : qu'est-ce qui irait dans le sens du service public, de l'universalité, du respect des droits, de meilleurs délais ?

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Je suis intervenu ce matin devant Mme la secrétaire générale de la Chancellerie sur la question de l'immunité parlementaire, qui protège notre liberté d'expression, notamment dans l'hémicycle, et qui peut être levée suite à une demande judiciaire. Que pensez-vous de son principe, de son évolution possible ou souhaitable, voire, de sa disparition ?

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Mon premier réflexe serait de vous dire que cette immunité est contraire au principe de l'égalité devant la loi.

Certains dictateurs amassent des fortunes dans des paradis fiscaux. Lorsqu'ils tombent, on crie au scandale, mais il est tout de même dommage qu'il n'ait pas été possible de s'intéresser avant à leur cas. Il est normal que la liberté d'expression du député soit protégée mais je ne vois pas ce qui justifie l'immunité parlementaire par rapport à son patrimoine, à des infractions qu'il aurait pu commettre.

J'ai été confronté à ce problème il n'y a pas si longtemps que cela : pour demander la levée de l'immunité, il faut faire une requête, la motiver, l'envoyer à l'Assemblée nationale, qu'elle soit étudiée par une commission… Il y a des inconvénients, notamment en matière de secret de l'instruction. S'agissant du patrimoine, peut-être ai-je tort ? Ma vision est celle d'un juge d'instruction, peut-être serait-elle différente si j'étais député !

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J'ai évoqué l'hypothèse d'une suppression de l'immunité parlementaire. La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique impose un certain nombre d'obligations en matière de transparence, de clarté et de lisibilité et elle peut très bien aborder les questions patrimoniales.

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Elle ne dispose pas des pouvoirs d'un juge d'instruction.

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Vous ne connaissez pas ceux des juges d'instruction !

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En tant que membre de l'opposition, je suis tenté de faire valoir les bienfaits de l'immunité parlementaire lorsque je participe à une manifestation qui n'est pas déclarée afin de ne pas être placé en garde à vue !

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Je suis en l'occurrence d'accord avec vous mais si vous avez 3 millions d'euros dans un compte off-shore, je ne vois pas pourquoi vous bénéficieriez de l'immunité.

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Je suis du même avis !

Vous souhaitez une plus grande indépendance de la justice mais comment faire pour que le magistrat puisse tout de même rendre des comptes, et pas devant le corps auquel il appartient ? Le contrôle politique, parlementaire, existe mais, au-delà, les citoyens pourraient-ils être impliqués ?

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Pourquoi pas, mais cela doit à mon sens passer par cet organe régulateur qu'est le CSM.

Les contrôles existent, à commencer par le respect de la loi lui-même : si tel n'est pas le cas, les actes du juge seront annulés. Ses décisions peuvent être contestées devant une chambre de l'instruction et si son dossier ne tient pas la route ou s'il a un peu forcé le trait, le tribunal prononcera la relaxe. Il n'est en revanche pas possible de contrôler l'activité juridictionnelle du juge et de le sanctionner parce qu'il a ordonné la saisie d'un bien et qu'au final, le tribunal ne l'a pas suivi. Si la responsabilité du juge est engagée sur l'un de ses actes, il ne prendra plus aucune décision. Les recours existent. Lui applique la loi que vous avez votée.

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J'entends bien mais une seule personne disposant d'autant de pouvoirs, de moyens souvent très intrusifs, pourrait donner le sentiment qu'elle persécute un justiciable. Si ces moyens sont utilisés de manière malintentionnée, nous devons disposer de mécanismes de régulation qui ne soient pas limités à l'interne.

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Le juge, en général, n'est plus seul et il ne doit jamais oublier qu'il est le garant des libertés. Il n'est ni policier, ni procureur. Le contrôle du CSM peut s'exercer, y compris à la demande des citoyens.

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Il y a tout de même un gros filtre mais, en théorie, c'est exact !

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Il peut aussi y avoir des abus : imaginez que quelqu'un à qui un bien a été confisqué puisse systématiquement saisir le CSM parce qu'il estime que la décision du juge est scandaleuse ! Son avocat doit demander la levée de la saisie, le juge la refusera s'il le veut mais la chambre de l'instruction pourra exprimer son désaccord et elle-même est soumise à la Cour de cassation. Les contrôles juridictionnels internes existent.

La séance est levée à 16 heures 20.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Ugo Bernalicis, M. Fabien Gouttefarde, M. Olivier Marleix, M. Didier Paris, M. Bruno Questel, Mme Cécile Untermaier