Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Réunion du mardi 22 novembre 2022 à 16h00

Résumé de la réunion

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commission d'enquête VISANT à éTABLIR LES RAISONS DE LA PERTE DE SOUVERAINETé ET D'INDéPENDANCE ÉNERGÉTIQUE DE LA FRANCE

Mardi 22 novembre 2022

La séance est ouverte à 16 heures 5.

(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)

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Nous entamons un nouveau cycle d'auditions axé sur le pétrole et le gaz, fortement consommés sur notre territoire, mais dont la France reste dépendante. Compte tenu des délais contraints des travaux de notre commission, qui doit rendre son notre rapport au plus tard le 11 avril, les problématiques liées aux énergies fossiles ne pourront pas être étudiées de manière approfondie. Cependant, nous avons déjà recueilli différentes informations sur ces questions, notamment au sujet des importations et des approvisionnements.

Nous ouvrons ce cycle par une table ronde consacrée à la recherche en auditionnant les responsables des deux organisations de recherche qui font partie de l'alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre) créée en 2009.

Monsieur Pierre-Franck Chevet, vous êtes président-directeur général d'IFP Énergies nouvelles (Ifpen) dont Mme Catherine Rivière est directrice générale adjointe. Monsieur Christophe Poinssot, vous représentez le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en tant que directeur général délégué et directeur scientifique de cette institution de l'État. Monsieur Patrick d'Hugues, enfin, vous êtes directeur du programme scientifique « Ressources minérales et économie circulaire ».

Je vous remercie d'avoir accepté si rapidement notre invitation. La robustesse d'un système énergétique dépend largement de la recherche, de l'expertise technique et de l'existence d'un vivier scientifique. Vous disposez de compétences nationales de très haut niveau et maîtrisez les technologies de l'énergie, ce qui constitue aussi pour un pays un gage de souveraineté et d'indépendance énergétiques.

Cette audition devrait nous permettre de compléter les éléments recueillis par la commission d'enquête, notamment sur le volet statistique, et d'adopter un point de vue plus qualitatif sur le sujet de l'énergie.

L'effet des politiques publiques mises en œuvre pourra aussi faire l'objet de nos échanges. Je pense notamment à la fermeture des sites de production et à la parenthèse de l'exploration des gisements de gaz de schiste, à la loi du 30 décembre 2017 qui met fin aux recherches ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures. Nous devons pourtant garder à l'esprit que des objectifs trop ambitieux risquent de mettre sous pression les organismes de recherche ainsi que les moyens consentis en faveur de nouvelles technologies.

Le rôle de l'Union européenne mérite également d'être examiné dans vos secteurs de compétences. Les financements européens sont désormais nécessaires au bon fonctionnement de la plupart des organismes de recherche français. Dans quelle mesure la taxonomie verte européenne orientera-t-elle vos travaux ?

Par ailleurs, si le verdissement du secteur énergétique, entre autres, est souhaité, la diversité des solutions proposées — gaz naturel, gaz naturel liquéfié, gaz vert, gaz renouvelable et biogaz — peut conduire à perdre le citoyen-électeur dans la compréhension du système gazier.

Enfin, le sous-sol prend de la valeur comme ressource énergétique, mais aussi comme ressource minière, à nouveau et de plus en plus, et comme espace de stockage.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Pierre-Franck Chevet, Mme Catherine Rivière, M. Christophe Poinssot et M. Patrick d'Hugues prêtent serment)

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Divers documents vous sont présentés et les réponses au questionnaire donneront des éléments chiffrés sur les hydrocarbures. Mon propos se concentrera sur la transition énergétique.

En créant et en relocalisant de l'emploi local, tout en offrant une énergie verte à notre pays, la transition énergétique contribue à la souveraineté de la France qui semble constituer actuellement un enjeu partagé.

Rappelons en premier lieu que la France est moins dépendante sur le plan énergétique que d'autres pays. En effet, le programme nucléaire nous permet de disposer d'une source d'énergie. Le parc de production d'électricité, qui fournit 70 à 80 % du mix électrique, contribue à notre souveraineté. J'ai été président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et je suis conscient que dans les circonstances actuelles, le programme nucléaire est moins efficace qu'auparavant. Cependant, la situation est liée à des facteurs conjoncturels.

De nombreuses dispositions ont été prises lors de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'énergie afin de contribuer à la sécurité de l'approvisionnement. Je pense notamment aux stocks stratégiques en matière pétrolière et aux obligations des opérateurs d'assurer un stock de gaz pour l'hiver. Ces mesures vont dans le bon sens, bien que la France reste presque intégralement dépendante en matière pétrolière.

Nos travaux s'appuient sur les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui fournit un important travail d'accompagnement des pays afin d'exposer différentes solutions technologiques. L'AIE propose notamment plusieurs scénarios de baisse des émissions de CO2. Le premier indique qu'en tenant compte des politiques actuellement menées, l'augmentation de la température devrait s'élever à environ 2,7 degrés, soit une hausse supérieure au 1,5 degré visé. Le second scénario de l'AIE prend en considération les engagements des pays pour l'avenir, comme l'objectif de neutralité carbone en 2050 pour l'Europe. La Chine, émetteur important, s'est également engagée à atteindre la neutralité en 2060, tandis que l'Inde, sous condition d'y être aidée, vise cet objectif pour 2050. Selon ce second scénario, l'augmentation prévisionnelle de la température s'élèverait à 2,1 degrés.

Toutefois, pour la première fois depuis longtemps, les investissements dans les énergies propres ont assez largement dépassé les investissements dans les hydrocarbures à l'échelle mondiale. Un mouvement collectif vers la transition énergétique est en cours, même si nous restons encore très éloignés de notre cible. En effet, pour atteindre cette dernière, une multiplication par quatre des investissements dans les énergies propres serait nécessaire.

L'AIE défend plusieurs préconisations pour accélérer la transition. Il n'existe pas de solution magique à la crise climatique, mais une pluralité de leviers peut être activée. Le premier est la sobriété et l'efficacité énergétiques, qui représentent selon l'AIE un peu plus de 10 % de l'effort à fournir. Les véhicules électriques constituent un élément non négligeable de ce panel de solutions, dont l'hydrogène fait partie, au même titre que le solaire et l'éolien ou que les biocarburants à l'horizon 2050. Enfin, les énergies renouvelables autres que le solaire et l'éolien devront être mobilisées. La géothermie, sur laquelle travaille le BRGM, représenterait environ 6 % du mix énergétique de 2050. Le nucléaire aurait vocation à doubler à échelle mondiale pour atteindre 12 %. Les solutions de captage et le stockage du CO2 (CCUS) représentent enfin une partie significative des procédés à déployer pour la transition énergétique, notamment dans le but de décarboner l'industrie. Toutefois, le CCUS peut aussi servir dans la production d'électricité, notamment par gaz.

Les pistes de solutions techniques sont donc nombreuses, et l'Ifpen est massivement investie sur certaines d'entre elles. Ainsi, nous sommes considérés par les organismes de recherche dans le monde comme leader en matière de CCUS. Les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 sont matures et efficientes. Un de ces procédés sera prochainement expérimenté en Chine, tandis que la technologie DinamX fonctionne sous forme d'un gros démonstrateur industriel depuis quelques semaines sur le site d'ArcelorMittal à Dunkerque, pour une durée d'environ un an. Ce procédé est efficient — les taux de captage du CO2 peuvent être supérieurs à 95 % — et d'ores et déjà disponible sur le marché français. Cependant, le coût estimé de cette solution reste supérieur au coût du carbone sur le marché européen. Le prix du procédé expérimenté dans l'aciérie de Dunkerque est de l'ordre de 120 euros la tonne évitée. Cette somme tient compte des étapes de captage, de transport et de stockage dans le gisement Northern Lights proposé par le gouvernement norvégien en mer du Nord. Or, le coût du CO2 sur le marché européen, calculé par le système Emission Trading Scheme (ETS), atteint 75 euros. Cet écart restera probablement significatif une fois les procédés de CCUS déployés à échelle industrielle. Ainsi, lorsque le gouvernement souhaitera adopter une telle solution, il lui faudra compenser cet écart, par exemple en adoptant des règlementations ou des quotas.

Le stockage du CO2 est une solution indispensable. Il soulève des questions techniques, comme celle de l'intégrité à long terme des sites, qui doivent rester étanches. Les problématiques techniques liées au stockage de CO2 restent toutefois plus faciles à appréhender que celles liées à l'enfouissement des déchets radioactifs, dont la durée de vie ou la nocivité est de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'années, contre cent à deux cents ans pour le stockage de CO2. Il n'en demeure pas moins que des réponses devront être apportées à cette question.

Par ailleurs, l'acceptation sociale du stockage du CO2 devra être prise en compte. Le gisement Northern Lights que j'ai évoqué est un ancien site gazier en mer, qui soulève par conséquent peu de questions d'acceptation. Un stockage sous-terrain sur notre territoire, à terme, serait susceptible de soulever davantage de difficultés.

La réutilisation du CO2 — plutôt que son simple stockage — est une autre piste que nous explorons. Une voie consiste à transformer le CO2 en hydrocarbure en le combinant à de l'hydrogène vert, lorsque nous en aurons en masse. L'autre réutilisation matière envisagée est une réinjection du CO2 dans des ciments. Toutefois, le potentiel de réutilisation sous forme matière reste relativement faible par rapport à la quantité de carbone qui doit être captée. Le scénario de l'AIE estime que 8 % du CO2 pourrait être réutilisé, tandis que les 92 % restants devraient être stockés.

Dans le domaine du CCUS, l'IFP Énergies nouvelles détient une place de leader.

Les biocarburants représentent une autre solution essentielle à la transition énergétique sur laquelle nous travaillons. Comme pour le CCUS, les procédés existent. La génération actuelle de biocarburants utilise généralement des ressources agricoles et alimentaires. Le taux d'incorporation moyen sur les moteurs de tous types en France s'élève à 7 %. Notre recherche s'intéresse aux biocarburants de deuxième génération, à base uniquement de déchets forestiers ou agricoles qui n'ont pas d'autre utilité. Nous avons les capacités techniques de fabriquer tous types de carburants, notamment pour l'aviation. Par définition, cette solution ne serait susceptible d'engendrer des économies de CO2 que si nous récupérons la ressource sur notre territoire et que l'usine se situe à proximité de nos frontières. Nous renforcerions ainsi notre souveraineté en créant des emplois sur l'ensemble de notre territoire tout en soutenant une partie de la transition énergétique. Ces résidus pourraient être incorporés à hauteur de 33 % dans les carburants fabriqués, soit environ cinq fois plus que ce que permet la première génération de biocarburants. Il est entendu que la substitution d'hydrocarbures par des biocarburants ne résoudra pas l'ensemble des problématiques liées aux transports, mais elle représente une partie de la réponse à apporter. Ainsi, il me semble ces biocarburants devraient être destinés en priorité aux secteurs pour lesquels il est difficile d'envisager d'autres solutions. Les voitures électriques représentent par exemple une solution pour les véhicules automobiles. Cependant, l'aviation reste encore un secteur problématique, la piste de l'hydrogène étant complexe à déployer. Les biocarburants pourraient donc contribuer à décarboner l'aviation, ainsi que certains poids lourds.

Il est aussi possible de fabriquer des bioplastiques de tous types à partir de ce même type de ressources. Les procédés existent et représentent une voie d'accès à l'indépendance, car ils évitent d'importer le pétrole nécessaire à la fabrication du plastique. Nous travaillons avec Michelin pour fabriquer des biopneumatiques sur le site de Bassens en Nouvelle-Aquitaine. Cette même ressource pouvant servir à plusieurs usages, la puissance publique devra probablement adopter de nouvelles régulations pour en favoriser certains.

Enfin, des travaux assez avancés sont en cours sur le recyclage chimique des plastiques, qui permet d'économiser des ressources pétrolières et de réutiliser la matière plastique. Ces procédés sont matures et représentent un progrès par rapport au recyclage mécanique actuellement employé. En effet, la qualité du produit issu de ce dernier est bien inférieure au produit d'origine. Par conséquent, le plastique ne peut être recyclé qu'un nombre limité de fois. Les recyclages chimiques permettent quant à eux d'obtenir la même qualité que celle du produit d'origine. Des démonstrateurs industriels expérimentent d'ores et déjà ces technologies. Une entreprise procèdera prochainement à des essais de ce type au Japon, pour la fabrication de vêtements. Ces technologies pourront donc probablement être délivrées dans quelques années, sous réserve que la régulation l'autorise. Le recyclage des plastiques a un intérêt pour la souveraineté à condition que l'usine se situe à proximité du lieu de collecte des plastiques.

L'ensemble de ces technologies n'est pas hors de notre portée. Loin de relever de la science-fiction, elles pourraient être déployées dans les années à venir.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Le BRGM est un établissement public français à intérêt commercial créé en 1959. Il remplit une double fonction : il s'agit d'un établissement de recherche sous tutelle du ministère de la recherche, en charge de développer des programmes sur les usages, les ressources et les risques du sous-sol. Par ailleurs, le BRGM assure le rôle de service géologique national, et capitalise l'ensemble des connaissances sur le sous-sol de notre territoire et sur les besoins en ressource de notre société et de notre industrie.

Nous sommes particulièrement engagés dans la question de l'usage du sous-sol pour la transition énergétique. Doté de ressources et représentant un espace de stockage, le sous-sol est un lieu important de déploiement de la transition énergétique. Par ailleurs, nous puisons de longue date nos ressources minérales dans le sous-sol pour construire notre industrie et fabriquer les objets de notre quotidien.

Trois grands moteurs conduisent à une augmentation significative des besoins en ressources minérales. Tout d'abord, la croissance d'un certain nombre de pays se poursuit sous l'influence de l'augmentation de leur population. De plus, l'ensemble des pays du monde sont concernés par le déploiement de deux transitions, à savoir la transition énergétique pour se départir des ressources fossiles et utiliser des énergies décarbonées, et la transition numérique. Or, l'une et l'autre de ces transitions font appel à des quantités de ressources minérales de plus en plus importantes et diversifiées, et qui nécessitent des degrés de pureté toujours plus élevés. Alors que le monde du début du XXe siècle s'appuyait sur moins d'une dizaine de métaux pour construire tous les objets de la vie quotidienne, une soixantaine de ces métaux est désormais nécessaire, et l'intégralité des éléments chimiques auxquels nous avons accès sur la planète sera probablement employée dans les décennies à venir.

Les technologies que nous devrons déployer dans le cadre de la transition énergétique sont particulièrement consommatrices de ressources minérales. La capacité de production d'une éolienne offshore nécessitera en effet six fois plus de ressources minérales qu'une installation de production électrique à partir du charbon — qui est la source principale d'électricité à échelle mondiale — par mégawattheure installé. De même, un véhicule électrique contient six fois plus de métaux qu'un véhicule thermique. Nous sommes donc confrontés à un véritable mur en matière d'augmentation des besoins en ressources minérales de manière à répondre à ces enjeux de transition énergétique. L'AIE estime ainsi que d'ici 2040, nous aurons besoin de quarante fois plus de lithium, vingt fois plus de nickel ou de cobalt et sept fois plus de terres rares, à fonctions constantes. Il est donc crucial de s'interroger sur la manière dont nous pourrons nous approvisionner en ces ressources pour déployer correctement ces transitions.

Au-delà du cobalt, du lithium, du nickel et des terres rares fréquemment évoqués dans les débats, les besoins en métaux sont très variés. De nombreux éléments chimiques seront nécessaires pour la transition numérique et la transition énergétique, sans doute en quantités moins importantes que ceux précédemment cités, mais dont le rôle sera néanmoins crucial. La demande en ressources minérales connaît ainsi une forte augmentation tant quantitative que qualitative. Pour déployer ces transitions, on estime qu'il faudra exploiter d'ici le milieu du siècle autant de ressources minérales du sous-sol que ce qui en a été extrait depuis le début de l'âge du fer.

De nombreuses ressources minérales utilisées en France et en Europe, comme le lithium, le cobalt et les terres rares, sont intégralement importées. L'Europe ne dispose pas ou plus de mines pour extraire ces ressources, ni d'industries pour les raffiner. Ces dernières ont été transférées vers des pays tiers depuis plusieurs décennies, en raison du coût de main-d'œuvre peu élevé et de la moindre prise en compte des impacts environnementaux qu'ils induisent dans ces pays. En résulte une forte dépendance pour l'accès à ces ressources, ainsi que des questionnements éthiques.

Les investissements dans l'industrie minérale à échelle mondiale sont colossaux. Ils dépassent les 1000 milliards de dollars. Cette mobilisation concerne cependant relativement peu notre pays. Par ailleurs, malgré l'ampleur de ces investissements, on estime qu'il sera difficile de répondre à la demande en temps et en heure, en raison du rythme soutenu de croissance vers la transition énergétique. Nous aurons besoin de quarante fois plus de lithium d'ici 2040, ce qui nécessitera l'ouverture d'un nombre très important de nouvelles mines dans des délais particulièrement contraints. Pour une bonne partie de ces ressources, plus que leur disponibilité, l'enjeu concerne la capacité à y avoir accès rapidement afin de respecter les échéances des trajectoires économiques et industrielles, par exemple pour la mobilité électrique.

Le Gouvernement a lancé un certain nombre de réflexions en ce sens. Ainsi, Philippe Varin a remis un rapport début 2022 au Gouvernement proposant un certain nombre de pistes d'actions. Quatre leviers doivent être actionnés collectivement. Tout d'abord, nous avons constaté un manque de connaissances précises des chaînes d'approvisionnement, des chaînes de valeur minérales, qui sont extrêmement complexes. Avec un certain nombre d'établissements partenaires, dont l'Ifpen, nous avons pris l'initiative de créer un observatoire national sur les ressources minérales (Ofremi). Il sera financé pour partie par les pouvoirs publics, notamment pendant la phase d'amorçage par le programme France 2030, et par les filières industrielles, qui seront les premières clientes de l'information qu'il fournira. Cet observatoire aura pour objectif de décrypter, comprendre, connaître et simuler l'ensemble de ces chaînes de valeur afin de donner à la filière industrielle la visibilité dont elle a besoin pour décider de ses investissements. L'observatoire mènera en outre un travail de prospective sur l'évolution de la demande. Enfin, il informera les pouvoirs publics et les filières industrielles des risques de rupture des chaînes d'approvisionnement, liés à des événements climatiques, sociaux, logistiques ou géopolitiques. Le conflit en Ukraine a donné plus d'acuité à ces questions.

Le deuxième levier d'action concerne le recyclage et l'économie circulaire. Les objets en fin de vie, les rebuts industriels constituent des matières réutilisables disponibles sur notre territoire. Le développement d'une industrie dans ce domaine représente également un moyen de reconquérir une partie de notre souveraineté et de relocaliser l'activité industrielle plutôt que de renvoyer ces déchets dans des pays tiers. Toutefois, le recyclage ne permettra jamais de couvrir l'ensemble de nos besoins. Il s'agit donc d'une étape indispensable, mais insuffisante.

C'est la raison pour laquelle le redéveloppement d'une industrie minière européenne s'impose comme un nouvel enjeu. Ces mines devront respecter différents standards applicables aux mines responsables, afin de limiter au maximum leur impact environnemental. Il faudra également les co-construire en lien avec les populations locales. Le sous-sol européen est encore riche en ressources. L'inventaire minier, à savoir l'inventaire des ressources disponibles dans le sous-sol français, date d'une cinquantaine d'années, et il a été réalisé avec des moyens limités. Il fournit le détail des ressources jusqu'à une profondeur de 300 mètres seulement, alors qu'il est désormais possible d'extraire des minerais jusqu'à 1000 mètres de profondeur. La France est par exemple particulièrement bien dotée en lithium. À ce titre, l'industriel Imerys a annoncé un projet d'ouverture de mine de lithium à Échassières, dans l'Allier, d'ici 2027.

Cependant, d'après la moyenne des projets mondiaux menés depuis quinze ans et les chiffres avancés par l'AIE, dix-sept années sont nécessaires entre la décision et l'ouverture d'une mine. Ce long travail doit donc se faire en tenant compte du cycle de vie des matières, des contraintes environnementales, et en impliquant les populations locales. La France joue un rôle actif pour faire émerger une régulation internationale à ce sujet et la mettre en œuvre dans tous les projets auxquels elle pourra être partie prenante.

Enfin, il est certain que les sous-sols français et européen ne pourront nous assurer la fourniture de toutes les ressources dont nous aurons besoin. Il restera nécessaire de procéder à des importations, y compris à très long terme. Cela suppose la mise en place de démarches concertées entre les pouvoirs publics et les acteurs privés. C'est la raison pour laquelle une diplomatie des ressources minérales est actuellement structurée sous l'égide du ministère des affaires étrangères.

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La décarbonation de la production d'électricité nécessitera beaucoup de matériaux, de même que la décarbonation des usages non électriques, notamment dans le secteur des transports. Par conséquent, ne pensez-vous pas que l'interdiction du moteur thermique à horizon 2035 et le pari monotechnologique des politiques publiques sur la voiture électrique constituent une forme d'impasse ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Le délai de quinze ans imposé à la restructuration de l'outil industriel et à son déploiement représente en effet un défi complexe, même s'il est prévu de faire un point intermédiaire en 2026.

Sur le plan de la transition énergétique, l'intérêt du véhicule électrique sera variable en fonction des pays. L'Ifpen mène des études complètes, publiées sur notre site, pour estimer le bilan en CO2 des technologies de transport. Le mix électrique français étant décarboné, le passage du véhicule thermique au véhicule électrique représente un gain notable de 60 % sur le bilan de CO2, depuis la fabrication à l'utilisation du véhicule. À l'inverse, le mix européen moyen actuel induit un gain beaucoup plus faible à l'échelle de l'Union, notamment en Pologne. Ainsi, pour que le recours aux véhicules électriques représente un véritable progrès en matière de réduction des émissions, il est d'abord nécessaire de décarboner l'électricité. Le rythme de cette mutation peut sembler violent mais celle-ci a du sens.

Par ailleurs, nous devons nous interroger sur le devenir du parc existant et sur son amélioration. La vente de véhicules neufs sera interdite en 2035. Or, la durée de vie moyenne du parc automobile s'élève à quinze ou vingt ans. Le parc existant sera donc toujours majoritaire en 2035, et les véhicules thermiques vendus jusqu'à cette date seront donc probablement utilisés jusqu'en 2055. Une partie de la réponse pour ces véhicules sera sans doute apportée par les biocarburants. En effet, les aides de l'État ne suffiront pas à convaincre tous les Français de changer de voiture immédiatement.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Avec les technologies existantes, comme les batteries, nous manquerons de certaines ressources minérales, telles que le lithium et le cuivre, pour déployer le tout électrique d'ici 2035. Plusieurs réponses peuvent être apportées à cette situation. Il est par exemple possible de reporter cet objectif dans le temps, ou bien de viser un nombre de véhicules électriques moindre pour 2035.

Par ailleurs, s'il est vrai qu'un véhicule électrique n'émet pas de CO2 lorsqu'il roule, sa construction et l'extraction des ressources minérales nécessaires à sa fabrication sont, elles, émettrices.

Il faut donc peut-être avoir une réflexion plus globale et chercher à faire émerger des solutions différentes en fonction des usages. Si le véhicule électrique est par exemple adapté aux déplacements domicile-travail en ville, il est moins pertinent pour les déplacements de longue durée. En outre, nous devons réfléchir aux infrastructures nécessaires pour alimenter les voitures électriques. La réflexion doit donc être menée à l'échelle du pays entier. Ces deux solutions seraient plus vertueuses, dès lors que le véhicule électrique embarque du CO2 et que son bilan peut se retrouver très proche d'un véhicule thermique à basse émission.

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Quelles alternatives à ce choix monotechnologique, qu'elles soient matures ou non, identifiez-vous ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

J'ai cité la première : il s'agit des biocarburants. Les biocarburants de première génération sont déjà disponibles, tandis que les biocarburants de deuxième génération sont prêts à être déployés. Je rappelle qu'ils représentent une solution pour le parc existant.

D'autres voies, comme l'hydrogène et les piles à combustible, pourraient être explorées, pour d'autres véhicules que les automobiles. L'Ifpen teste ces expérimentations sur la Toyota Mirai. Cependant, l'hydrogène est un gaz à effet de serre. Par ailleurs, ces véhicules ont un coût assez important et leur déploiement nécessiterait l'existence d'une filière de production d'hydrogène.

S'agissant des véhicules lourds, qui nécessitent davantage d'autonomie énergétique, nous réfléchissons à utiliser l'hydrogène en combustion directe dans le moteur thermique, plutôt que des piles. En effet, la molécule d'intérêt dans un hydrocarbure n'est pas le carbone, mais l'hydrogène. Des expérimentations sont en cours sur le site de l'Ifpen de Lyon. L'injection d'hydrogène à 100 % dans des moteurs de type automobile a montré de très bons résultats en matière d'efficacité, mais également de pollution de l'air, puisque les mesures de pollution de l'air sans pot d'échappement ont affiché un résultat conforme aux nouvelles normes Euro 7. Des tests seront menés l'année prochaine sur des moteurs de poids lourds, dont la chambre de combustion, beaucoup plus grande, soulève des enjeux de maîtrise de la combustion plus complexes.

Cette solution n'est pas exclusive de celle qui s'appuie sur des piles à combustible, mais elle pourrait être accessible plus rapidement, et constituer, ainsi, une solution intermédiaire à coût moindre. Elle pourrait enfin contribuer à faire monter en puissance la filière de production d'hydrogène dont le développement dépend des usages.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Les technologies comme le moteur thermique ou les piles à combustible sont beaucoup moins demandeuses en ressources minérales et offrent une meilleure autonomie. La quasi-totalité du marché du véhicule électrique est dominée par les producteurs chinois, si ce n'est pour les ressources minérales, pour les électrodes contenues dans les batteries par exemple. En l'absence d'une industrie européenne, le basculement vers le véhicule électrique induit donc une dépendance envers les producteurs chinois, qui pose donc des problèmes en matière de souveraineté.

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Je vous remercie pour la qualité de vos exposés et documents, Toutefois des explications complémentaires vous seront demandées pour expliciter certains de vos propos, par exemple sur la perspective d'un goulet d'étranglement en 2035 pour le cuivre ou les comparaisons en matière d'extraction ou de bilan carbone. Je comprends difficilement la raison pour laquelle vous mettez sur le même plan la dépendance au pétrole et aux minerais. La première est une dépendance en flux : chaque fois que nous devons faire le plein, nous avons besoin de pétrole ; dès qu'une industrie fabrique un équipement, elle a besoin d'énergie fossile et elle émet des émissions de gaz à effet de serre. Dans le second cas, il s'agit d'un stock. C'est un investissement initial, qui doit être entretenu, mais dont les matériaux restent généralement les mêmes. Certes, un goulet d'étranglement initial peut ralentir l'investissement dans ces nouvelles technologies. Cependant, je comprends mal pourquoi nous ne serions pas en mesure d'atteindre nos objectifs en 2035 ou en 2050.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Il est vrai que les ressources minérales servent bien à construire des objets de construction électrique, comme les éoliennes ou les panneaux photovoltaïques, ou de moyens d'usage, comme la voiture. Elles représentent un investissement initial pour créer une infrastructure ou un parc, qui, une fois construits, ne nécessitent pas d'apports ultérieurs.

Toutefois, il sera nécessaire de renouveler les infrastructures construites. Nous devrons développer le recyclage autant que possible, mais ce dernier induit toujours des pertes. Nos besoins perdureront donc, même s'ils seront plus faibles que durant la période d'investissement initial.

Les difficultés que j'ai soulignées quant à l'atteinte de nos objectifs d'ici 2035 sont tirées du dernier rapport de l'AIE de mai 2021. Ce dernier montre notamment que le cuivre sera soumis à de très fortes tensions dès 2027. Par ailleurs, il s'écoule en moyenne dix-sept ans entre la date à laquelle il est décidé d'ouvrir une mine et son exploitation effective. Ainsi, les mines que nous décidons d'ouvrir à présent ne seront exploitées qu'en 2039. Or, ces dernières années, l'industrie minière a fait l'objet d'un sous-investissement et nos besoins en cuivre sont croissants. D'ici 2030, il faudrait ouvrir quatre-vingts mines d'une taille équivalente aux plus grandes qui se trouvent en Amérique latine pour répondre aux besoins mondiaux. C'est la raison pour laquelle nous concluons que l'offre ne sera pas en mesure de répondre à la demande pour ce matériau.

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Pourriez-vous nous indiquer la durée de vie des minerais contenus dans une éolienne ? Par ailleurs, la proportion recyclable et réutilisable de ces minerais est-elle majeure, au vu de l'évolution des technologies que nous pouvons attendre en matière de recyclage ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Nous pourrons vous fournir des évaluations plus approfondies ultérieurement. Toutefois, la durée de vie moyenne d'une éolienne est de vingt-cinq à trente ans. Ainsi, lorsque nous aurons achevé le développement de notre parc éolien et photovoltaïque tel qu'il a été prévu, les infrastructures de première génération devront déjà être renouvelées. Cependant, il est vrai que le recyclage devrait permettre de pourvoir une partie de la demande, à condition que nous parvenions à créer cette industrie en France.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Il s'agit bien d'un stock, mais dont le taux de rotation sera assez rapide. Ces constats ne s'appliquent d'ailleurs pas uniquement au photovoltaïque et à l'éolien, mais également aux véhicules électriques. La durée moyenne des parcs s'élève à vingt ou vingt-cinq ans. Si les flux sont donc bien moindres que pour les hydrocarbures, ils représenteront toutefois un défi.

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Lorsqu'une éolienne est en fin de vie, quelle proportion de minerais peut être recyclée et quelle proportion doit être de nouveau importée ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Idéalement, nous devrions réussir à recycler l'intégralité des minerais. Néanmoins, nous ne savons pas encore le faire. Les grosses pièces d'aimants permanents, qui contiennent des terres rares, font l'objet d'initiatives pour faire émerger une industrie du recyclage, qui n'est pas encore opérationnelle au regard de nos besoins. De nombreuses pièces électroniques, de conduction électrique, en cuivre, sont probablement déjà recyclées. En revanche, la structure de l'éolienne — la nacelle et les pales —, qui ne sont pas constituées de minerais, mais par exemple de fibres de verre, ne sont à ma connaissance pas recyclées. Elles sont enfouies.

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Patrick d'Hugues, Directeur de Programme Scientifique « Ressources Minérales et Économie Circulaire »

De nombreux travaux sont menés sur le recyclage des aimants permanents. Ils sont relativement simples à démanteler. Toutefois, l'ensemble de l'infrastructure représente encore une problématique du point de vue du recyclage.

Le recyclage ne sera jamais entièrement efficace, et la création d'une filière du recyclage engendrera elle-même de nouveaux besoins : s'il est techniquement possible de recycler l'ensemble de ces composants, il sera nécessaire d'évaluer la quantité d'énergie nécessaire pour ce faire. Par ailleurs, plus l'objet est complexe, plus il est difficile à recycler.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Des évaluations sont également en cours sur la recyclabilité des moteurs électriques et des batteries, notamment des aimants, qui en sont les composants les plus valorisés.

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Pourriez-vous revenir sur le potentiel des biocarburants ?

Monsieur Poinssot, vous avez indiqué que même lorsque le besoin de métaux rares a fait pressentir le besoin d'ouvrir de nouvelles mines en Europe à la fin des années 1990, l'inventaire n'a été ni repris ni renouvelé à la fin des années 1990. Jusqu'au rapport Varin de 2022 et l'annonce de la création de l'observatoire, vous décrivez un abandon de la souveraineté minérale, de la capacité à anticiper les besoins et la sécurité d'approvisionnement. Quelles causes expliquent la situation des trente dernières années ?

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Je vous invite, à ce titre, à inclure dans vos analyses la situation de l'outre-mer.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Le pourcentage d'incorporation de biocarburant devrait atteindre 33 % du plein d'essence, contre 7 % environ actuellement. Une étude similaire menée par l'Imperial College confirme ces ordres de grandeur pour le périmètre européen.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Le BRGM a assisté à un désengagement significatif de la politique minière française. L'une de ses causes est la désindustrialisation progressive de notre pays. Nous n'avions plus besoin de ressources minérales pour alimenter nos industries, puisque nous achetions des objets fabriqués dans des pays tiers. Cette désindustrialisation s'est accompagnée d'un développement important des activités tertiaires. La logique de la mondialisation nous a poussés à croire qu'il était toujours possible de sécuriser nos approvisionnements dans le monde.

Cette transformation profonde était également liée au fort impact environnemental des industries de première transformation. La poursuite de leur activité représentait donc un surcoût par rapport à celle menée dans des pays qui n'étaient pas animés par cette préoccupation, et qui exerçaient un effet de dumping sur les produits. Par exemple, 60 % du marché mondial de transformation des terres rares se situait dans une usine de La Rochelle dans les années 1980. Désormais, 99 % de ce marché est localisé en Chine.

Le BRGM a vécu de plein fouet cette transformation. Dans les années 1990, environ 300 membres du BRGM travaillaient sur les ressources minérales, contre 50 à 60 désormais. Ces effectifs ont été maintenus grâce à la contraction de projets à l'international, notamment européens, de développement de procédés pour le recyclage ou de mines plus propres. La préservation de ce noyau de compétences nous permet désormais de répondre aux besoins largement exprimés par la collectivité.

Outre-mer, la situation est assez différente. La Nouvelle-Calédonie possède de nombreuses ressources en nickel, qui sont exploitées, mais probablement également en cobalt et d'autres types. Dans l'équilibre politique actuel, le développement de ces activités dépend du territoire. La Guyane est assez riche en minerais, outre ses ressources aurifères, mais nos connaissances restent parcellaires. Par ailleurs, leur exploitation nécessiterait le respect de la biodiversité et l'environnement de cette région particulièrement fragile.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

S'il est vrai que la désindustrialisation a permis à la France d'émettre moins de CO2 ces trente dernières années, le bilan des matières importées révèle une augmentation des émissions de 6 millions de tonnes. Nous avons finalement exporté notre pollution, alors que le maintien des industries sur notre territoire aurait pu contribuer à une meilleure maîtrise de nos émissions.

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Vous aviez cependant accompagné dans vos précédentes responsabilités la fermeture d'une exploitation minière en France.

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Je souhaite vous interroger sur la géothermie, que nous aurions gagné à considérer davantage comme une piste de solution pour retrouver notre souveraineté énergétique. Le lancement de France Géoénergie ce matin même démontre un intérêt renouvelé pour la géothermie. Les choix de nos voisins européens en matière d'énergies renouvelables thermiques, et en particulier sur la géothermie, les ont protégés des aléas géopolitiques et de dépendances trop fortes. Quelles mesures pourraient contribuer à une accélération de nos actions en la matière ?

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Pour tendre vers l'indépendance énergétique de la France, nous devons explorer le plus de pistes possible et mobiliser l'ensemble des ressources dont dispose notre pays. La France traverse un contexte de dépendance énergétique qui induit d'importants risques sur la sécurité d'approvisionnement du pays, d'explosion des prix de l'énergie, et d'inflation des prix des ressources importées et de déficit record de notre balance commerciale, qui ne pourra que s'aggraver au regard des importations à venir de gaz de schiste américain.

Notre territoire dispose de gaz de couche, notamment en Lorraine. En Moselle-est, grâce aux forages exploratoires et aux essais d'extraction, près de 2,1 milliards de mètres cubes sont déjà certifiés. Les études de la Française de l'énergie évaluent la production annuelle à 1,5 milliard de mètres cubes, soit un peu moins de 4 % de la consommation nationale annuelle de gaz. Cette extraction ne nécessiterait pas de fracturation hydraulique et n'entraînerait donc pas d'effets nocifs majeurs sur l'environnement. Malgré les enjeux de souveraineté énergétique et de création d'emploi dans le bassin houiller que pourrait représenter ce projet, l'État n'a accordé aucune autorisation d'exploitation à ce jour, alors que la réponse est attendue depuis plusieurs mois.

Le BRGM mène-t-il des démarches pour estimer les réserves de gaz en Moselle et ailleurs sur le territoire national ? Quel est votre point de vue sur la possible exploitation de ces ressources ?

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Nous avons besoin de beaucoup plus de métaux pour produire davantage d'énergie verte, mais l'extraction des métaux elle-même nécessite de l'énergie. Plus l'exploitation de ces métaux s'affinera, plus elle consommera d'énergie, qu'elle soit nucléaire, fossile ou renouvelable. Certains chercheurs parlent ainsi d'un « cul-de-sac énergétique » : le retour sur investissement de l'énergie utilisée pour extraire de l'énergie diminue, qu'il s'agisse de pétrole ou de métaux utilisés pour fabriquer des centrales ou des énergies renouvelables. Parvenez-vous au même constat ? Croyez-vous que ce rapport pourrait s'inverser à terme ?

Le Gouvernement a toujours refusé l'adoption d'objectifs de recyclage par métaux critiques au niveau national. Par conséquent, les déchets électroniques sont encore broyés. Les métaux qui ont le plus de valeur sont généralement extraits, mais le reste n'est pas conservé ni recyclé. Des objectifs de recyclage par métaux critiques permettraient-ils de débloquer la situation ?

Enfin, vous avez indiqué qu'il serait souhaitable de procéder à de nouvelles évaluations minières de notre sous-sol. Pouvez-vous d'emblée estimer la production de métaux critiques envisageable en France, et le degré d'indépendance qu'elle induirait ? Le Gouvernement refuse également de flécher les métaux produits en France sur des filières stratégiques, comme la production d'énergies renouvelables ou la défense éventuellement. Or, la transition numérique est elle-même fortement consommatrice de métaux. Les climatiseurs sont les plus forts consommateurs de néodyme dans le monde. La tension attendue sur la ressource n'appelle-t-elle pas à un renforcement du rôle de l'État dans l'attribution de ces métaux à des usages prioritaires, notamment l'énergie ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Il existe différents types de géothermie. La géothermie électrogène consiste à pomper de l'eau suffisamment chaude pour alimenter une turbine et fabriquer de l'électricité. Elle est uniquement pertinente dans les territoires où des anomalies thermiques donnent accès à une eau très chaude, comme dans le fossé rhénan ou dans les territoires d'outre-mer volcaniques. Une centrale d'eau bouillante alimente par exemple la Martinique. Ce procédé est donc très spécifique et ne saurait changer considérablement le paysage énergétique français.

La géothermie de moyenne profondeur — ou de moyenne température — pompe une eau moins chaude à environ un millier de mètres de profondeur pour alimenter des réseaux de chaleur. Ce procédé est développé dans le Bassin parisien, où 500 000 à 600 000 logements en bénéficient, et qui représente le plus grand pôle géothermique de chauffage urbain mondial. De plus, entre 800 et 900 réseaux de chaleur existent à l'échelle de quartiers. Seule une petite partie d'entre eux fonctionnent grâce à de la géothermie, les autres étant alimentés au gaz. Il serait pertinent d'utiliser davantage de géothermie pour décarboner rapidement la production de chauffage tertiaire urbain.

Enfin, la géothermie de très proche surface s'appuie sur un échangeur de chaleur et serait facilement déployable sur 90 % du territoire. Le BRGM comme l'Ifpen promeuvent cette technologie qui n'est pas suffisamment utilisée, et qui permettrait pourtant de réduire significativement et rapidement notre dépendance envers le gaz pour se chauffer. Toutefois, l'émergence d'une filière industrielle serait nécessaire pour y parvenir. Le métier de foreur, en particulier, connaît une tension importante et exige de l'expertise.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Une fois le réseau établi, il est assez aisé de choisir l'énergie utilisée pour l'alimenter. La souplesse des sources d'approvisionnement confère ainsi une certaine sécurité et représente ainsi un véritable atout énergétique. Il est cependant plus pertinent de s'appuyer sur ce type de dispositif dans des zones à fortes densités, car il est relativement coûteux.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Il serait souhaitable de recourir davantage à ce type de géothermie dans des zones comme le Bassin aquitain.

Par ailleurs, une fois le forage exécuté, il est possible d'en tirer différents usages. Nous préconisons ainsi l'hybridation des solutions. L'eau pompée dans le sous-sol peut par exemple contenir du lithium. Un filtre pourrait ainsi récupérer le lithium pendant que le système de géothermie fonctionne. Plusieurs sociétés promeuvent ce type de projet dans le fossé rhénan. Par ailleurs, l'eau réinjectée pourrait être saturée en CO2 afin de stocker ce dernier.

S'agissant des gaz de couche présents au sein des couches de charbon dans le bassin houiller français, le BRGM assure pour le compte de l'État français la gestion et le suivi des anciens sites miniers, en maîtrise d'ouvrage déléguée. Un département du BRGM s'y consacre. Je confirme qu'il y a bien du gaz dans un certain nombre de ces sites. Plusieurs sociétés, comme la Française de l'Énergie, défendent des projets de valorisation de cette ressource. Nous n'avons pas mené de travaux d'estimation de la quantité de gaz représentée ni le potentiel de développement de ces sites. Des demandes de permis sont en cours d'instruction par les autorités compétentes. Cette piste mérite d'être étudiée comme une ressource complémentaire, sachant que les quantités disponibles ne sont pas d'un ordre de grandeur similaire à celui des approvisionnements extérieurs dont nous disposons actuellement.

Mme Dufour a évoqué un « cul-de-sac énergétique ». Il est vrai que les minerais extraits du sous-sol sont beaucoup moins concentrés en métaux d'intérêt qu'ils ne l'étaient par le passé. Ainsi, leur extraction nécessite une énergie plus importante, même si des projets de R&D explorent des procédés pour compenser pour partie cette augmentation. L'énergie consommée pour extraire un kilo de cuivre est effectivement plus importante qu'il y a vingt ans et est probablement vouée à croître encore. Pour autant, je ne pense pas que nous nous dirigions vers un « cul-de-sac énergétique ». En effet, nous avons d'autres sources d'énergie parallèles, comme les énergies renouvelables qui utilisent le vent et le soleil présents sur notre territoire, et le nucléaire qui utilise de l'uranium dont la consommation sera moindre si des réacteurs de quatrième génération sont déployés. Il est néanmoins certain que la quantité d'énergie nécessaire pour extraire un minerai finira par nous interroger sur la pertinence des exploitations. Toutefois, d'ici là, le recyclage permettra probablement d'apporter une réponse alternative.

Les objectifs de recyclage sont effectivement importants. Dans le cadre du développement de la mobilité électrique, une réflexion est menée à l'échelle européenne pour que les batteries des véhicules électriques contiennent une part minimum et croissante de composantes recyclées. L'imposition d'un pourcentage de matière recyclée ne sera cependant pas suffisante. En effet, les batteries chinoises peuvent elles aussi intégrer une partie de matériaux recyclés. Un passeport carbone et une règlementation aux frontières garantissant un marché juste et équilibré pourraient apporter une solution à ce problème.

Vous m'avez enfin interrogé sur le fléchage des usages en fonction des filières stratégiques. Nous devons nous orienter vers une économie circulaire qui permette de recycler les matières. Néanmoins, il serait très coûteux de chercher à extraire des éléments chimiques précis dans les matériaux recyclés, plus encore si le degré de purification recherché est très élevé. Nous devons donc réfléchir à des usages avec des spécifications décroissantes : ainsi, lorsqu'un métal est doté d'un très haut degré de pureté, il doit être utilisé en priorité pour fabriquer un objet qui le nécessite. Une fois recyclé, il pourrait servir à un usage induisant un moindre degré de pureté. Nous devrions donc viser une réorganisation des chaînes de valeur, dont le déploiement sera probablement complexe.

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Patrick d'Hugues, Directeur de Programme Scientifique « Ressources Minérales et Économie Circulaire »

En effet, le recyclage des déchets d'équipements électriques et électroniques, les D3E, est particulièrement coûteux. L'écoconception doit dès lors présider à nos réflexions, en particulier pour les appareils liés au numérique. Elle nécessite des développements technologiques. Ces appareils sont tellement complexes que l'énergie nécessaire pour leur recyclage rend celui-ci contreproductif.

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En réponse à la forte augmentation de la demande et des besoins en métaux, vous avez employé l'expression de diplomatie des ressources minérales. Qui a la responsabilité de cartographier et d'anticiper les besoins, tant en qualité qu'en quantité ? Notre commission s'intéresse à la souveraineté de notre pays. A quelle échelle cette diplomatie devrait-elle se développer ? S'agit-il d'une échelle européenne ? Compte tenu de notre dépendance à l'égard de ces métaux et terres rares, pouvons-nous espérer l'émergence d'une filière européenne en matière de batteries et de panneaux photovoltaïques, qui s'appuierait notamment sur le recyclage ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

La diplomatie des ressources minérales était évoquée dans le rapport remis par M. Varin. Une action concertée, pilotée par le Quai d'Orsay, s'appuie sur l'expertise technique que fournissent des organismes tels que le BRGM, et sur la vision et les besoins exprimés par les filières industrielles, qui restent les clients finaux. À ce titre, au travers des nombreux projets que nous avons menés à l'international, et du fait de notre histoire — le BRGM a accueilli à sa création nos services géologiques d'Afrique équatoriale et d'Afrique orientale —, notre Bureau est doté de connaissances majeures en géologie et en ressources minérales dans de nombreux pays, et notamment en Afrique.

La réflexion et l'action sont à la fois déployées à l'échelle nationale, mais également au niveau européen. La présidence française de l'Union européenne a été l'occasion de mener un travail en symbiose entre le gouvernement français et l'administration à Bruxelles. Des projets de réglementation des métaux critiques sont en cours de discussion au niveau européen, comme le critical raw materials Act, qui devrait contribuer à l'organisation de cette filière, ou sur le développement d'une diplomatie des ressources minérales articulée à celles qui sont menées par chacun des États, dont la France.

Des efforts importants sont en cours pour faire émerger des filières européennes sur ces technologies. Je pense en particulier à la question des batteries. De mémoire, une trentaine de projets de gigafactories est en cours d'étude en Europe, en particulier dans le cadre des financements prévus pour « l'Airbus des batteries ». Chacune de ces usines font l'objet d'un investissement d'environ un milliard d'euros, et elles devraient contribuer à alimenter le marché européen. Toutefois, pour fonctionner, ces usines auront besoin d'électrodes, de lithium et d'autres ressources. C'est donc toute la chaîne de valeur en amont des gigafactories que nous devons repenser. Le rapport Varin proposait ainsi la localisation d'industries de raffinage sur le territoire national pour alimenter les trois gigafactories prévues en France, en particulier dans la région de Dunkerque.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Nous travaillons à ce titre sur le recyclage des batteries. Toutefois, il s'écoulera dix à quinze ans avant que nous disposions de batteries à recycler en masse. En effet, nous devrons attendre que les batteries utilisées dans les voitures atteignent leur fin de vie, puis qu'elles soient utilisées pour appuyer le stockage d'énergie produite par l'éolien. Le marché en masse du recyclage européen pourra donc se déployer au terme de ces deux vies successives potentielles.

À l'inverse, l'expérience asiatique a montré que le démarrage de ces gigafactories s'accompagnera de beaucoup de revues de fabrication, qui permettent une montée en puissance technologique de la capacité à recycler les éléments un par un, notamment les matériaux actifs des cathodes. Des travaux de recherche sont en cours afin d'accompagner les gigafactories pour éviter au plus tôt des pertes de matière lors du processus de fabrication.

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Je souhaitais vous interroger sur les fonctions que vous avez précédemment occupées et qui concernent l'enquête. Monsieur Chevet, vous avez été directeur général de l'énergie et des climats au ministère de l'écologie entre 2007 et 2012, et président de l'ASN entre 2012 et 2018. Monsieur Poinssot, vous avez passé vingt ans au commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

En 2017, en tant que responsable de l'ASN, vous avez plusieurs fois partagé des déclarations sur la situation préoccupante du nucléaire en matière de sécurité et de sûreté. Vous signaliez notamment des risques systémiques. Votre prise de fonctions est en effet intervenue après les accidents de Tchernobyl et de Fukushima. Vous évoquiez notamment les difficultés techniques et technologiques qui se posaient au prolongement de la durée de vie de dix ans les centrales. La majeure partie des centrales nucléaires ayant été construites en 1980, il devenait en effet nécessaire de prendre des mesures de sûreté sur les réacteurs. Vous estimiez en outre que la crise que connaissaient les réacteurs était conjoncturelle et non pas structurelle. En outre, vous avez tenté de mener des investigations sur les installations de retraitement des déchets, notamment à la Hague, qui vous ont amené à juger que la situation était problématique. Vous avez aussi déclaré qu'il revenait aux exploitants de mener les contrôles sur les problématiques liées aux cuves et aux EPR. Enfin, vous avez parlé de l'omerta qui régnait avant Fukushima en rappelant la nécessité de transparence. Vous avez aussi déclaré : « Si Fessenheim fermait plus tôt, cela ne me dérangerait pas » et préconisiez des investissements en matière de sûreté. Vos propos d'alors ont-ils été entendus et suivis d'effets ? L'omerta sur la sûreté du nucléaire est-elle toujours d'actualité dans notre pays ? Plusieurs lanceurs d'alerte font part de leurs préoccupations, notamment sur la centrale du Tricastin.

Vous avez rappelé qu'il n'y avait pas de solution magique à la crise climatique. Vous avancez que les solutions de captage de CO2 sont matures. Cependant, il me semble qu'elles ne le sont pas. Vous suggérez par exemple de stocker le CO2 en mer plutôt qu'en terre pour faciliter l'acceptation sociale. Toutefois, nous ignorons quels seraient les dangers induits par la libération d'une poche de captage. Vous avez comparé le coût élevé de ces solutions au prix du carbone ; vous auriez aussi pu le mettre en regard du CO2 évité en investissant dans l'efficacité énergétique, la sobriété et les énergies renouvelables dont les technologies sont mieux maîtrisées. Ne vous paraît-il pas plus important d'investir l'argent, la recherche et le savoir-faire dans ces solutions plutôt que dans les procédés de captation, que nous ne maîtrisons pas encore parfaitement ?

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Je suspends la séance afin que les députés puissent se rendre au scrutin solennel en séance.

La réunion est suspendue de dix-sept heures cinquante-cinq à dix-huit heures vingt.

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Lorsque vous étiez directeur général de l'énergie et du climat au ministère chargé de l'écologie, avez-vous eu connaissance de projets de relance du nucléaire ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, des projets de relance du nucléaire ont en effet été entamés. L'expression employée à l'époque était celle d'une « renaissance du nucléaire ». Des travaux exploratoires ont suivi la loi de 2005 sur l'énergie à l'origine de la construction de l'EPR de Flamanville. Indépendamment du changement de président, l'accident de Fukushima a modifié la trajectoire politique du nucléaire et a entraîné dans le monde entier et notamment en France un travail de réexamen de la sûreté des réacteurs.

J'assume les propos que j'ai tenus dans mes précédentes fonctions. Il est vrai que le président de l'ASN est celui qui prend et défend publiquement les décisions. Cependant, ces décisions sont construites collectivement au sein de l'ASN. Je suis donc pleinement convaincu que l'organisation de l'ASN continue de mener une action cohérente.

Si votre question porte bien sur les effets qui ont suivi mes alertes sur l'anomalie de corrosion sous contrainte, je peux vous indiquer que cette dernière ne découlait pas d'un défaut de maintenance de la part d'EDF, qui a mené un travail rigoureux en procédant à des contrôles plus performants pour identifier le problème et apporter une réparation dans les meilleurs délais. Il est vrai que cette anomalie survient à un moment où nous aurions précisément besoin de davantage d'électricité. Je considère toutefois que le travail a été fait correctement.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir employé le terme d'omerta. En revanche, il est certain que la transparence constitue l'une des clés de la sûreté d'un parc nucléaire. En France, notamment, les réacteurs sont standardisés. Il est donc crucial de s'attacher à détecter la moindre anomalie à des seuils très bas et de la traiter le plus vite possible. Sans cela, nous risquons d'être confrontés à des problèmes de grande ampleur. La transparence est une condition de sûreté fondamentale. C'est globalement ce que les exploitants comme l'ASN se sont appliqués à défendre. S'agissant du risque d'omerta, comme j'en avais pris l'initiative, l'ASN a récemment mis en place une plateforme sur son site internet pour les lanceurs d'alerte, afin de documenter les sujets de préoccupation. Nous avons effectivement reçu des alertes au sujet de Tricastin. Il me paraît donc que le fonctionnement de la France à ce sujet est plutôt exemplaire. Le parc standardisé impose plus encore qu'ailleurs cette contrainte. Ce système ne garantit pas l'impossibilité de la survenue d'un accident, mais il faut souligner sa robustesse.

Dans le cadre d'un débat sur l'énergie entre 2012 et 2014, j'ai participé à la rédaction d'une publication de l'ASN qui mettait en exergue les avantages d'un parc standardisé. Les réacteurs des centrales étant presque identiques, la détection d'une anomalie permet de déployer rapidement les réparations sur l'ensemble du parc. La standardisation du parc représente également un atout du point de vue des coûts. Enfin, il s'agit d'un avantage pour la sûreté et la qualité des réacteurs, car les techniciens exécutent les mêmes gestes, ce qui réduit le risque d'incident. Cependant, l'inconvénient de ce parc standardisé est qu'en cas de détection trop tardive d'une anomalie, nous risquerions de mettre à l'arrêt une quinzaine de réacteurs dans un laps de temps relativement court, car tous pourraient être concernés par le même problème. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Notre texte rappelait au gouvernement l'importance de disposer de marges sur le système électrique afin de rendre acceptable la mise à l'arrêt dans un délai d'une ou deux semaines d'une quinzaine de réacteurs pour réparation. Il en va de la responsabilité de l'ASN de signaler ces problématiques, mais la réponse politique qui doit y être apportée relève quant à elle du gouvernement.

Si l'on souhaite se passer de l'industrie, il n'est pas nécessaire d'avoir recours au CCUS. Toutefois, pour conserver notre industrie, la seule solution consiste à nous appuyer sur des procédés de capture. Ces derniers sont matures et efficients, comme le prouve le démonstrateur d'ArcelorMittal à Dunkerque. Toutefois, vous avez raison de rappeler que la capture et le stockage ne sont qu'une solution parmi d'autres. Vous parlez d'efficience. Je pense plutôt que nous pourrions changer l'énergie nécessaire au fonctionnement d'une partie des procédés industriels chimiques, en nous appuyant davantage sur une énergie électrique verte et décarbonée. ArcelorMittal a prévu d'expérimenter de tels procédés à Dunkerque. Cependant, lorsqu'il est impossible de modifier le procédé chimique lui-même, et que ce dernier entraîne des émissions de CO2, le captage et le stockage des émissions sont la seule solution qui s'impose à nous. Un travail est en cours sur les voies d'utilisation du carbone. Nous n'avons pas encore trouvé de gisement de réutilisation suffisant en masse, mais nous ne pourrons décarboner notre industrie sans nous appuyer sur le CCUS. Or, la délocalisation de notre industrie n'est pas un geste écologique.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Je souhaite apporter quelques précisions sur le CCUS. Il ne s'agit pas d'installer une bulle de gaz dans le sous-sol. Le stockage de CO2 peut être comparé à une éponge avec de tout petits trous, dans lesquels de l'eau contenant du CO2 serait intégrée. Le risque n'est donc pas celui d'une grande bulle de gaz qui pourrait se libérer soudainement. Par ailleurs, il faut garder à l'esprit que de très grandes quantités de CO2 sont déjà contenues dans le sous-sol, qui en est même saturé par endroits. Il arrive que le CO2 se relâche naturellement, sans induire de risque pour le voisinage. C'est par exemple le cas de la source des Saladis dans l'Allier. Ces phénomènes sont naturels. Nous concentrons d'ailleurs nos efforts pour éviter toute fuite, et détecter très rapidement ces dernières si elles survenaient. Nous avons développé des technologies capables de surveiller les sites de stockage. Dans le cadre d'un contrat en Algérie, le BRGM surveille le site d'In Salah, où 3,8 millions de tonnes de CO2 sont stockées, grâce à des capteurs de surface. Ces solutions sont matures. Il reste toutefois à les développer sur les territoires en lien avec les habitants. Enfin, les technologies du CCUS s'appliquent aux émissions ultimes, non réductibles, auxquelles nous ne pouvons apporter d'autre solution. Elles sont d'ailleurs prônées par le rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC).

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L'ensemble des représentants de groupes présents s'étant exprimés, j'invite les autres députés à prendre la parole.

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La question de la sobriété et de l'efficacité énergétiques revient fréquemment dans nos échanges. Le cycle de vie et d'usage de nos équipements et de nos infrastructures de production énergétique est inclus dans ces thèmes. Pourquoi n'avons-nous pas plus tôt pris en compte la corrélation entre les besoins de fabrication des infrastructures et les limites d'accès aux matériaux et aux énergies ? Pourquoi nous demandons-nous encore quelle est la durée de vie réelle d'une centrale nucléaire ? Ne devrions-nous pas réfléchir à la manière de lier la durée d'usage, impliquant le réemploi et la possibilité du recyclage, et la capacité à nous fournir en énergie et en matériaux ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Le cycle de vie complet des équipements est de mieux en mieux pris en compte dans nos analyses. J'ai donné l'exemple du bilan total des émissions de CO2 des véhicules électriques, depuis leur construction jusqu'à leur utilisation. L'analyse des cycles de vie complète nécessite ainsi de prendre en compte les émissions, la pollution atmosphérique induite, les matériaux critiques associés à la solution technologique, ou encore l'énergie nécessaire à sa fabrication. Certaines technologies demandent un regard très particulier. C'est le cas des e-fuels, des fuels de synthèse fabriqués à partir d'hydrogène et de CO2. Ce procédé nécessite une suite d'opérations chimiques. La chaîne globale de fonctionnement soulève donc des problématiques particulières. La plupart des politiques publiques suppose que nous disposerons à terme d'une électricité décarbonée massive, ce qui n'induit donc pas de s'interroger sur la sobriété. C'est pourtant une question que nous nous posons. En effet, nous n'aurons peut-être pas suffisamment d'électricité pour réaliser tout ce que nous souhaitons. La pensée énergétique actuelle a trop souvent tendance à occulter la question de l'économie de la ressource. Après le premier choc pétrolier, cette question primait pourtant sur celle de la production de l'énergie.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Vous nous demandez pourquoi nous n'adoptons pas une approche globale du cycle de vie. L'idée n'est pourtant pas récente, puisque la première norme sur le sujet date de la fin des années 1990. Cependant, les difficultés soulevées par l'analyse du cycle ne résident pas tant dans son calcul que dans la définition des données à y intégrer. Un tel bilan nécessite en effet des informations très détaillées sur l'infrastructure évaluée — par exemple une centrale ou une éolienne — sur l'origine des matières ou encore la manière dont elles ont été transportées. Depuis vingt ans, une partie de la communauté scientifique cherche à collecter et consolider ces informations afin que nous puissions entamer un travail d'évaluation robuste et sérieux permettant d'appuyer des décisions publiques. Ainsi, les évaluations du cycle de vie et du poids de CO2 du kilo wattheure, qu'il soit nucléaire, photovoltaïque ou éolien, sont très récentes. Certaines questions n'ont toujours pas été tranchées : par exemple, sur quel poste affecter le poids CO2 des déchets d'une installation de production d'électricité ? Cette évaluation suppose donc une réflexion méthodologique très complexe.

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Vous avancez que pour sécuriser les approvisionnements en métaux dont nous aurons besoin dans les années à venir, il serait nécessaire de développer une industrie minière européenne. La France est dotée de sols riches en métaux, notamment dans le Massif central. Nous avons perdu notre souveraineté nationale énergétique. Pourquoi, alors, développer une industrie minière européenne et non pas française ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Une industrie minière européenne serait en partie française. De nombreux pays européens ont conservé une industrie minière. Je pense à la péninsule ibérique ou encore à la Scandinavie. Cette région est particulièrement intéressante, puisque la conservation de l'industrie minière s'est accompagnée du développement d'une forte fibre écologique et environnementale forte, ce qui montre que ces deux trajectoires ne sont pas antithétiques.

Par ailleurs, nous devons investiguer à nouveau notre sous-sol, qui est loin d'être dépourvu de matières. La réouverture de mines est longtemps restée un impensé du débat public en France. Il me semble que nous devons corriger cette situation. Le projet d'Imerys de mise en exploitation d'une mine de lithium sur le site de Beauvoir me semble très prometteur. Nous devrons assumer les besoins en ressources minérales nécessaires aux choix de notre société. La meilleure des solutions n'est pas de laisser mener cette activité à l'autre bout du monde, dans des conditions que nous ne maîtrisons pas, mais bien de la développer sur notre territoire, en minimisant autant que possible son impact environnemental. Ce faisant, il me semble que nous tirerons l'ensemble de la filière possible vers une diminution de l'empreinte environnementale. Cependant, nous devons avoir conscience que la minimisation de l'impact environnemental engendrera des coûts plus importants. L'enjeu économique est donc également important.

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Nous avons longuement évoqué la nécessaire reconstruction d'une filière de compétences pour recruter dans le nucléaire. Il s'agit en effet d'un défi auquel nous devrons faire face. Le besoin de reconstitution de compétences dans la filière minière a-t-il été expertisé ? M. Chevet, dans ses anciennes fonctions, a suivi plusieurs anciennes exploitations minières dans ma circonscription. Or, les compétences pour suivre l'extinction de l'exploitation de ces sites sont de plus en plus rares.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

La gestion des sites après-mine en France est assurée par une centaine de personnes. Il s'agissait initialement d'anciens mineurs de Charbonnage de France, progressivement remplacés, à l'occasion des départs à la retraite, par des salariés du BRGM. La filière des anciens mineurs sera éteinte en 2025. Cependant, nous ne rencontrons pas de difficultés pour attirer des candidats vers ces métiers. Nous avons en effet eu suffisamment de temps pour assurer le transfert de compétences et de connaissances auprès des nouveaux salariés. Toutefois, ces compétences concernent la gestion d'après-mine, et non l'exploitation minière.

S'agissant précisément des compétences nécessaires à la prospection minière et au développement de procédés pour faire fonctionner la mine, la France a la chance d'être dotée de bonnes écoles. Je pense par exemple aux écoles des mines sur les pôles nancéien et orléanais. Une partie des jeunes formés dans ces cursus sont souvent recrutés par de grandes entreprises à l'étranger, qui reconnaissent leur savoir-faire. Cependant, il est vrai que la France souffre d'un manque de formation en ingénierie quotidienne d'exploitation des mines. Nous devrons donc reconstruire ces compétences. Nous avons toutefois des partenariats de longue date avec des grands pays mineurs, qui devraient bénéficier à la formation des jeunes générations.

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Monsieur Chevet, vous avez indiqué à Mme Laernoes que vous aviez formulé un certain nombre d'alertes sur la nécessité de préserver des marges dans les capacités de production installées pour éviter de rogner sur nos marges de sûreté. Quelles réponses vous ont-elles été adressées lorsque vous présidiez l'ASN ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Il faut que le système électrique soit capable de gérer l'arrêt de quinze réacteurs, par des capacités réservées, des capacités supplémentaires, y compris à l'étranger, ou par un effacement organisé. Nous n'avons pas proposé de solutions plus précises, car la définition de la politique énergétique ne relève pas de notre responsabilité.

Je ne suis pas sûr que nous ayons été parfaitement entendus. Par ailleurs, le rattachement à un réseau européen nous donne un certain nombre de garanties. Il est peu probable que la totalité du réseau soit concernée par des anomalies de nature différente. Cependant, l'ensemble des systèmes électriques européens est actuellement en tension.

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En 2016, votre alerte concernait un triple problème en matière de sûreté des centrales, de prolongement des réacteurs, et de l'état et de l'organisation d'Areva et d'EDF notamment. Avez-vous eu le sentiment que ces alertes ont été prises en compte par les responsables ? La question que je vous ai posée ne remettait pas en cause le travail que fournit l'ASN ni l'indépendance dans laquelle elle l'exécute. Vous sembliez indiquer que vous aviez mené des contrôles que les exploitants ne jugeaient pas nécessaires, et qui vous ont amené à découvrir des anomalies. L'ASN dispose-t-elle de moyens suffisants, et vos préconisations ont-elles été suffisamment entendues ?

La France a fait preuve d'une omerta dont chacun se souvient après Tchernobyl. Après Fukushima, l'omerta sur les risques inhérents au nucléaire a-t-elle été levée ?

Enfin, le captage de CO2 est un processus naturel. C'est également le cas de l'effet de serre. Un relâchement massif de CO2 n'est-il pas à craindre ? L'intégration des importations de gaz à effet de serre dans notre comptabilité ferait effectivement une évolution positive. Au-delà du captage, qui est absolument nécessaire, il me semble que nous devons réfléchir à la transformation de notre industrie pour décarboner au mieux ses processus et à la nature des industries qui sera requise par le modèle de sobriété et d'efficacité énergétiques à l'avenir.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

En 1986, je commençais ma carrière à l'ASN. J'ai précisément choisi de travailler dans ce domaine après l'incident de Tchernobyl, car j'avais été profondément marqué par cette catastrophe et par la communication qui l'avait suivie. Après Tchernobyl, la France est le premier pays à avoir adopté une échelle de gravité, qui rend obligatoire la déclaration des accidents, y compris publique, lorsque cela est nécessaire. La mise en place de cette échelle revêt donc des enjeux de transparence et de démocratie, et elle représente la meilleure manière d'assurer la sûreté des centrales.

Je ne suis pas certain de saisir à quels propos tenus en 2016 vous faites référence. Je peux cependant vous indiquer, de mémoire, que des mesures ont bien été prises à La Hague.

Concernant le captage de CO2 dans les sous-sols, je vous renvoie à la métaphore de l'éponge employée par M. Poinssot. Les sous-sols sont des milieux poreux qui peuvent contenir du pétrole, du gaz ou encore du CO2. Il ne s'agit pas d'une grosse bulle que nous tenterions de contenir, et qui pourrait se libérer en provoquant une catastrophe. Toute fuite serait très progressive et nous saurions la détecter. Votre question est donc légitime, mais le risque que vous décrivez n'est pas susceptible de survenir.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Seul un accident a été recensé en Afrique, mais le contexte volcanique était particulier et le stockage se trouvait au fond d'un lac et non dans une roche.

Nous souhaitons proposer des stockages de CO2 à l'échelle des territoires au plus près des émetteurs, afin d'éviter des transports sur de longues distances et d'induire un minimum d'investissements, tant sur le plan environnemental que financier. Le stockage en mer du Nord que nous avons évoqué concerne les très grands sites industriels sur les littoraux bordant cette mer. Nous réfléchissons à des stockages locaux relativement de petite ampleur pour les pôles industriels français.

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Nous n'avons pas parlé de stockage d'énergie dans les sous-sols. Par ailleurs, vous évoquez le stockage de bulles de gaz sous l'eau. Le carbone peut-il être stocké sous une forme autre que gazeuse ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Lorsque le CO2 est stocké dans des nappes phréatiques très profondes, il ne provoque pas de bulles car il est complètement dissout.

Le stockage du CO2 sous une forme autre que gaz nécessiterait une transformation coûteuse du point de vue énergétique. Par ailleurs, nous devrions dès lors nous interroger sur la manière de le réinjecter. Le CO2 a l'avantage d'être présent dans le milieu naturel : son stockage n'engendre donc pas de bouleversement du milieu naturel. Toutefois, certains environnements géologiques sont favorables à la transformation naturelle du CO2 en forme solide. L'Islande a mené des études à ce sujet. Il me semble toutefois qu'il sera nécessaire de commencer par l'injecter sous forme gazeuse ou dissout dans l'eau.

Le stockage d'énergie fait l'objet d'un certain nombre de travaux, afin de créer des batteries thermiques, permettant notamment de gérer l'alternance saisonnière. Ces procédés, sur lesquels la réflexion est encore très récente, mais prometteuse, reviennent finalement à une forme de géothermie plus performante, en injectant et en prélevant à la fois la chaleur. Un prototype a été lancé avec une société de travaux publics française pour stocker l'énergie générée par la chaleur du goudron l'été sur les routes, afin de la récupérer lors des périodes plus froides. Nous pouvons donc attendre des évolutions conceptuelles aux applications intéressantes dans les années à venir.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

D'autres technologies de stockage existent. Le stockage de gaz est un procédé de stockage d'énergie qui fonctionne bien. Des procédés de stockage par air comprimé dans des cavités ont également été développés. Ils pourraient apporter une solution de stockage à l'échelle de quelques jours, mais pas de manière inter-saisonnière. Ces procédés nécessitent toutefois un travail d'optimisation énergétique pour assurer un rendement satisfaisant.

La question du stockage est souvent occultée dans les débats, mais nous devons lui redonner une place centrale. La France se dirige vers une électrification massive, si possible décarbonée. Pour assurer la stabilité du réseau, le stockage d'électricité est donc une question majeure. L'électricité ne peut être stockée à l'échelle vers laquelle nous tendons, car les énergies renouvelables sont par définition intermittentes et le nucléaire peut suivre l'évolution des besoins, mais dans des limites relativement contraintes. Le problème du stockage de l'électricité va se poser de manière accrue.

L'hydrogène représente à ce titre une piste de solution. L'hydrogène peut effectivement être utilisé comme une forme de stockage. Dans les usages de l'hydrogène, nous avons cité les mobilités et l'industrie. Toutefois, l'hydrogène peut être utilisé pour être réinjecté avec du CO2, sous forme de combustion afin d'obtenir de l'électricité. Si la filière de l'hydrogène se développe, cette solution pourrait donc aussi être envisagée. Il s'agirait dans ce cas d'un stockage de gros volumes d'énergies sur du long terme, par exemple inter-saisonnier.

Les capacités de stockage nécessaires sont différentes selon l'importance des besoins en électricité. Les différentes formes de stockage doivent être mobilisées afin d'équilibre le réseau avec une très grande précision.

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Pourtant certains décideurs publics donnent de grandes assurances pour l'alimentation en électricité cet hiver en se basant sur les stocks de gaz, ce qui peut entretenir une certaine confusion dans les esprits de nos concitoyens.

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Monsieur Chevet, en octobre 2018, lorsque vous avez quitté la présidence de l'ASN, vous avez déclaré dans une interview auprès de Sciences et Avenir au sujet du nucléaire : « ce qui m'a surpris, c'est la perte de compétences et d'expérience du secteur. Le parc a été construit à marche forcée pendant les années 1980 et nous avons ensuite vingt ans sans projets qui ont été fatals pour la transmission des savoirs techniques. »

Maintenez-vous ces propos ? Le cas échéant, pouvez-vous retracer la trajectoire qui a conduit à un tel constat ? Vous avez commencé votre carrière en 1986 et avez occupé différents postes. Vous avez été à la tête de la direction régionale de l'industrie, puis directeur de l'agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar) de la région Alsace. Vous avez été conseiller pour l'industrie, la recherche, l'environnement et l'énergie au cabinet du Premier ministre, avant de devenir directeur général de l'énergie et du climat entre 2007 et 2012. Ayant occupé de telles responsabilités au plus proche du secteur énergétique, comment avez-vous pu être surpris par l'état du secteur nucléaire lorsque vous avez pris la présidence de l'ASN ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Je maintiens effectivement mes propos, dont je reste convaincu. L'orientation vers le nucléaire s'est traduite par des décisions massives dans les années 1970. Près de cinquante réacteurs ont été construits en une dizaine d'années ou un peu plus. Lorsque j'ai entamé ma carrière en 1986, six à huit réacteurs étaient mis en service chaque année. Une fois que ces réacteurs ont été achevés, ce travail s'est arrêté, avant le lancement de réflexions sur la construction d'une nouvelle génération de réacteurs. La loi de 2005, qui résultait d'un travail du gouvernement, des parlementaires et d'experts, a ouvert la voie à la construction d'un nouveau réacteur pour expérimenter son fonctionnement. Il y avait vingt ans que la France n'avait pas construit de réacteurs. Le parc actuel avait été mis en œuvre de manière standardisée, ce qui avait garanti l'effet d'échelle et d'apprentissage. En 2005, cela n'a pas pu être le cas, puisqu'un seul réacteur a été construit. Je considère que cette erreur ne relève pas de la faute seule d'EDF, mais qu'elle est bien collective. L'exercice de ce métier sur une première centrale, puis sur d'autres, garantit en effet la progression des compétences.

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Lorsque vous êtes devenu directeur général de l'énergie et du climat en 2007, aviez-vous déjà posé ce diagnostic ? Avez-vous formulé des propositions pour éviter la disparition totale ou partielle de ces compétences ? Ces dernières ont-elles été suivies d'effets ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Non. Je n'ai le souvenir d'aucun politique ni parlementaire qui aurait posé cette question. La responsabilité est collective. Nous avons oublié de prendre en considération l'effet d'apprentissage que j'ai décrit dans notre prise de décision.

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Étiez-vous en mesure de formuler cette analyse lorsque vous étiez en poste à l'ASN, ou la faites-vous a posteriori, notamment après le rapport de Jean-Martin Folz et la diffusion d'une forme de doctrine sur la standardisation des parcs  ?

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Cette vision s'est progressivement construite lorsque j'étais en poste à l'ASN, car je constatais que les anomalies, qui sont usuelles, se répétaient. Or, sur le chantier de l'EPR, il n'était pas possible de répercuter les réparations d'une première anomalie sur un deuxième chantier. En outre, les compétences et le savoir-faire s'acquièrent sur le terrain. En ne lançant qu'un seul chantier de construction d'EPR, nous avons nécessairement limité cet apprentissage progressif.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

J'ai été conseiller nucléaire à l'ambassade de France à Pékin. La Chine est engagée dans un programme nucléaire important. Elle lance entre quatre et six nouveaux réacteurs par an, et envisage d'atteindre dix nouveaux réacteurs par an. Entre 2019 et 2020, la Chine a également lancé deux réacteurs EPR, dont la construction n'a pas suscité de difficultés majeures. En effet, les Chinois construisent les réacteurs par paire. Ainsi, dès qu'un problème surgit sur l'un des deux réacteurs, le retard est facilement rattrapé grâce au second. L'efficacité de la Chine pour construire des réacteurs n'est plus à prouver. Les réacteurs sont généralement achevés en cinq ans et dans le respect des budgets prévisionnels, puisque la dérive des coûts est essentiellement liée aux retards des plannings. La Chine redécouvre ainsi ce que la France a expérimenté dans les années 1980, à savoir la grande efficacité d'un programme majeur, régulier, et susceptible d'entretenir les compétences.

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Sur le plan du développement des filières industrielles et énergétiques de demain, nous aurions donc à gagner en évitant le stop and go. Nous pourrions extrapoler ce raisonnement aux filières de recherche, puisqu'une telle manière de procéder ne pourrait se traduire que par une perte d'efficacité sur la poursuite de la recherche. Ce parallèle serait sans doute également applicable à l'exploitation minière. Vous avez précisé que la France possède toujours des compétences en surveillance minière, mais pas en exploitation minière. Il faut donc s'attendre à ce qu'en cas de reprise des exploitations, nous devions faire face à des difficultés de redémarrage de l'activité.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

M. Poinssot a évoqué la Chine. C'est la France qui, une fois la construction de son parc achevé, a aidé les Chinois en 1990 à lancer leur programme nucléaire. Cette expérience d'apprentissage a donc démontré des résultats. Nous pourrions nous attendre, en retour, à bénéficier des compétences de pays étrangers. À ce titre, les pays qui nous fournissent des métaux ont une certaine pratique de l'opérationnalité. Certes, les contraintes environnementales dans lesquelles ils exploitent leurs mines diffèrent des nôtres. Cependant, nous devrions nous appuyer sur leurs compétences.

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

De nombreux pays européens n'ont pas arrêté leur activité minière. La Scandinavie, notamment, pratique cette activité tout en développant une fibre environnementale qui a permis l'émergence de mines responsables, propres et à faible impact, comme nous souhaiterions le faire en France. Nous avons donc intérêt à bénéficier de notre proximité avec les pays de l'Union européenne pour développer à nouveau cette activité.

Par ailleurs, il me semble que certains de nos constats sur le nucléaire ne peuvent s'appliquer à la filière minière. En effet, si nous avons mis un terme à notre activité minière depuis une vingtaine d'années, nous avons encore des opérateurs miniers. Nous n'opérons pas de réacteurs nucléaires à l'étranger, mais nous exploitons bien des mines dans d'autres pays que la France. Orano et Eramet exploitent des mines en Afrique, en Amérique du Sud ou encore au Canada. Nous avons donc toujours une filière industrielle minière, même si sa taille a considérablement diminué.

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L'exemple des mines de potasse en Alsace démontre que la technicité de l'exploitation est liée à la nature du matériau recherché et à son emplacement géologique. Chaque mine requiert un savoir-faire spécifique.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Les instructions menées sur les mines de potasse en Alsace ne mettaient pas réellement en avant des problématiques liées à la technologie minière, mais des précautions de base, notamment pour ne pas introduire de matériaux dans le stockage potentiellement en combustion.

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Je ne vous interrogeais pas sur le stockage, mais sur l'exploitation elle-même.

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Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles

Vous avez raison.

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L'observatoire de ressources minières va bientôt être remis en place. Quels moyens et quels délais seraient nécessaires au lancement d'un nouvel inventaire minier ?

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Christophe Poinssot, directeur général délégué et directeur scientifique du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Nous avons eu l'occasion de nous exprimer sur ce sujet devant le Sénat. Nous estimons que le lancement d'un nouvel inventaire minier sur les principales régions d'intérêt françaises — car il ne s'agirait pas de couvrir l'ensemble du territoire — nécessiterait 70 à 100 millions d'euros sur cinq à dix ans. Cependant, une part importante de ce coût est représentée par la prospection aéroportée, qui consiste à faire voler des avions et des hélicoptères équipés de capteurs pour recueillir des informations sur la structure du sous-sol. Toutefois, par effet domino, l'information récupérée permettrait aussi de mieux connaître le sous-sol et bénéficierait à des secteurs bien plus vastes que le seul inventaire minier. Nous pourrions ainsi progresser dans la connaissance des ressources en eaux, des risques naturels, ou encore l'aménagement du territoire.

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Je vous remercie pour votre présence et pour ces propos qui alimenteront les travaux de notre commission.

L'audition s'achève à dix-neuf heures vingt.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Antoine Armand, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Vincent Descoeur, M. Francis Dubois, Mme Alma Dufour, Mme Olga Givernet, Mme Julie Laernoes, M. Alexandre Loubet, M. Stéphane Mazars, Mme Natalia Pouzyreff, M. Raphaël Schellenberger, M. Matthias Tavel.

Excusée. - Mme Valérie Rabault.

Annexe 1 : Présentation de IFP Énergies nouvelles

Annexe 2 : Présentation du Bureau de recherche géologique et minières (BRGM)