Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du mardi 22 novembre 2022 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles :

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, des projets de relance du nucléaire ont en effet été entamés. L'expression employée à l'époque était celle d'une « renaissance du nucléaire ». Des travaux exploratoires ont suivi la loi de 2005 sur l'énergie à l'origine de la construction de l'EPR de Flamanville. Indépendamment du changement de président, l'accident de Fukushima a modifié la trajectoire politique du nucléaire et a entraîné dans le monde entier et notamment en France un travail de réexamen de la sûreté des réacteurs.

J'assume les propos que j'ai tenus dans mes précédentes fonctions. Il est vrai que le président de l'ASN est celui qui prend et défend publiquement les décisions. Cependant, ces décisions sont construites collectivement au sein de l'ASN. Je suis donc pleinement convaincu que l'organisation de l'ASN continue de mener une action cohérente.

Si votre question porte bien sur les effets qui ont suivi mes alertes sur l'anomalie de corrosion sous contrainte, je peux vous indiquer que cette dernière ne découlait pas d'un défaut de maintenance de la part d'EDF, qui a mené un travail rigoureux en procédant à des contrôles plus performants pour identifier le problème et apporter une réparation dans les meilleurs délais. Il est vrai que cette anomalie survient à un moment où nous aurions précisément besoin de davantage d'électricité. Je considère toutefois que le travail a été fait correctement.

Je n'ai pas le souvenir d'avoir employé le terme d'omerta. En revanche, il est certain que la transparence constitue l'une des clés de la sûreté d'un parc nucléaire. En France, notamment, les réacteurs sont standardisés. Il est donc crucial de s'attacher à détecter la moindre anomalie à des seuils très bas et de la traiter le plus vite possible. Sans cela, nous risquons d'être confrontés à des problèmes de grande ampleur. La transparence est une condition de sûreté fondamentale. C'est globalement ce que les exploitants comme l'ASN se sont appliqués à défendre. S'agissant du risque d'omerta, comme j'en avais pris l'initiative, l'ASN a récemment mis en place une plateforme sur son site internet pour les lanceurs d'alerte, afin de documenter les sujets de préoccupation. Nous avons effectivement reçu des alertes au sujet de Tricastin. Il me paraît donc que le fonctionnement de la France à ce sujet est plutôt exemplaire. Le parc standardisé impose plus encore qu'ailleurs cette contrainte. Ce système ne garantit pas l'impossibilité de la survenue d'un accident, mais il faut souligner sa robustesse.

Dans le cadre d'un débat sur l'énergie entre 2012 et 2014, j'ai participé à la rédaction d'une publication de l'ASN qui mettait en exergue les avantages d'un parc standardisé. Les réacteurs des centrales étant presque identiques, la détection d'une anomalie permet de déployer rapidement les réparations sur l'ensemble du parc. La standardisation du parc représente également un atout du point de vue des coûts. Enfin, il s'agit d'un avantage pour la sûreté et la qualité des réacteurs, car les techniciens exécutent les mêmes gestes, ce qui réduit le risque d'incident. Cependant, l'inconvénient de ce parc standardisé est qu'en cas de détection trop tardive d'une anomalie, nous risquerions de mettre à l'arrêt une quinzaine de réacteurs dans un laps de temps relativement court, car tous pourraient être concernés par le même problème. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons. Notre texte rappelait au gouvernement l'importance de disposer de marges sur le système électrique afin de rendre acceptable la mise à l'arrêt dans un délai d'une ou deux semaines d'une quinzaine de réacteurs pour réparation. Il en va de la responsabilité de l'ASN de signaler ces problématiques, mais la réponse politique qui doit y être apportée relève quant à elle du gouvernement.

Si l'on souhaite se passer de l'industrie, il n'est pas nécessaire d'avoir recours au CCUS. Toutefois, pour conserver notre industrie, la seule solution consiste à nous appuyer sur des procédés de capture. Ces derniers sont matures et efficients, comme le prouve le démonstrateur d'ArcelorMittal à Dunkerque. Toutefois, vous avez raison de rappeler que la capture et le stockage ne sont qu'une solution parmi d'autres. Vous parlez d'efficience. Je pense plutôt que nous pourrions changer l'énergie nécessaire au fonctionnement d'une partie des procédés industriels chimiques, en nous appuyant davantage sur une énergie électrique verte et décarbonée. ArcelorMittal a prévu d'expérimenter de tels procédés à Dunkerque. Cependant, lorsqu'il est impossible de modifier le procédé chimique lui-même, et que ce dernier entraîne des émissions de CO2, le captage et le stockage des émissions sont la seule solution qui s'impose à nous. Un travail est en cours sur les voies d'utilisation du carbone. Nous n'avons pas encore trouvé de gisement de réutilisation suffisant en masse, mais nous ne pourrons décarboner notre industrie sans nous appuyer sur le CCUS. Or, la délocalisation de notre industrie n'est pas un geste écologique.

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