Intervention de Pierre-Franck Chevet

Réunion du mardi 22 novembre 2022 à 16h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Pierre-Franck Chevet, président-directeur général d'IFP Énergies Nouvelles :

Divers documents vous sont présentés et les réponses au questionnaire donneront des éléments chiffrés sur les hydrocarbures. Mon propos se concentrera sur la transition énergétique.

En créant et en relocalisant de l'emploi local, tout en offrant une énergie verte à notre pays, la transition énergétique contribue à la souveraineté de la France qui semble constituer actuellement un enjeu partagé.

Rappelons en premier lieu que la France est moins dépendante sur le plan énergétique que d'autres pays. En effet, le programme nucléaire nous permet de disposer d'une source d'énergie. Le parc de production d'électricité, qui fournit 70 à 80 % du mix électrique, contribue à notre souveraineté. J'ai été président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), et je suis conscient que dans les circonstances actuelles, le programme nucléaire est moins efficace qu'auparavant. Cependant, la situation est liée à des facteurs conjoncturels.

De nombreuses dispositions ont été prises lors de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'énergie afin de contribuer à la sécurité de l'approvisionnement. Je pense notamment aux stocks stratégiques en matière pétrolière et aux obligations des opérateurs d'assurer un stock de gaz pour l'hiver. Ces mesures vont dans le bon sens, bien que la France reste presque intégralement dépendante en matière pétrolière.

Nos travaux s'appuient sur les données de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui fournit un important travail d'accompagnement des pays afin d'exposer différentes solutions technologiques. L'AIE propose notamment plusieurs scénarios de baisse des émissions de CO2. Le premier indique qu'en tenant compte des politiques actuellement menées, l'augmentation de la température devrait s'élever à environ 2,7 degrés, soit une hausse supérieure au 1,5 degré visé. Le second scénario de l'AIE prend en considération les engagements des pays pour l'avenir, comme l'objectif de neutralité carbone en 2050 pour l'Europe. La Chine, émetteur important, s'est également engagée à atteindre la neutralité en 2060, tandis que l'Inde, sous condition d'y être aidée, vise cet objectif pour 2050. Selon ce second scénario, l'augmentation prévisionnelle de la température s'élèverait à 2,1 degrés.

Toutefois, pour la première fois depuis longtemps, les investissements dans les énergies propres ont assez largement dépassé les investissements dans les hydrocarbures à l'échelle mondiale. Un mouvement collectif vers la transition énergétique est en cours, même si nous restons encore très éloignés de notre cible. En effet, pour atteindre cette dernière, une multiplication par quatre des investissements dans les énergies propres serait nécessaire.

L'AIE défend plusieurs préconisations pour accélérer la transition. Il n'existe pas de solution magique à la crise climatique, mais une pluralité de leviers peut être activée. Le premier est la sobriété et l'efficacité énergétiques, qui représentent selon l'AIE un peu plus de 10 % de l'effort à fournir. Les véhicules électriques constituent un élément non négligeable de ce panel de solutions, dont l'hydrogène fait partie, au même titre que le solaire et l'éolien ou que les biocarburants à l'horizon 2050. Enfin, les énergies renouvelables autres que le solaire et l'éolien devront être mobilisées. La géothermie, sur laquelle travaille le BRGM, représenterait environ 6 % du mix énergétique de 2050. Le nucléaire aurait vocation à doubler à échelle mondiale pour atteindre 12 %. Les solutions de captage et le stockage du CO2 (CCUS) représentent enfin une partie significative des procédés à déployer pour la transition énergétique, notamment dans le but de décarboner l'industrie. Toutefois, le CCUS peut aussi servir dans la production d'électricité, notamment par gaz.

Les pistes de solutions techniques sont donc nombreuses, et l'Ifpen est massivement investie sur certaines d'entre elles. Ainsi, nous sommes considérés par les organismes de recherche dans le monde comme leader en matière de CCUS. Les technologies de captage, stockage et valorisation du CO2 sont matures et efficientes. Un de ces procédés sera prochainement expérimenté en Chine, tandis que la technologie DinamX fonctionne sous forme d'un gros démonstrateur industriel depuis quelques semaines sur le site d'ArcelorMittal à Dunkerque, pour une durée d'environ un an. Ce procédé est efficient — les taux de captage du CO2 peuvent être supérieurs à 95 % — et d'ores et déjà disponible sur le marché français. Cependant, le coût estimé de cette solution reste supérieur au coût du carbone sur le marché européen. Le prix du procédé expérimenté dans l'aciérie de Dunkerque est de l'ordre de 120 euros la tonne évitée. Cette somme tient compte des étapes de captage, de transport et de stockage dans le gisement Northern Lights proposé par le gouvernement norvégien en mer du Nord. Or, le coût du CO2 sur le marché européen, calculé par le système Emission Trading Scheme (ETS), atteint 75 euros. Cet écart restera probablement significatif une fois les procédés de CCUS déployés à échelle industrielle. Ainsi, lorsque le gouvernement souhaitera adopter une telle solution, il lui faudra compenser cet écart, par exemple en adoptant des règlementations ou des quotas.

Le stockage du CO2 est une solution indispensable. Il soulève des questions techniques, comme celle de l'intégrité à long terme des sites, qui doivent rester étanches. Les problématiques techniques liées au stockage de CO2 restent toutefois plus faciles à appréhender que celles liées à l'enfouissement des déchets radioactifs, dont la durée de vie ou la nocivité est de l'ordre de plusieurs centaines de milliers d'années, contre cent à deux cents ans pour le stockage de CO2. Il n'en demeure pas moins que des réponses devront être apportées à cette question.

Par ailleurs, l'acceptation sociale du stockage du CO2 devra être prise en compte. Le gisement Northern Lights que j'ai évoqué est un ancien site gazier en mer, qui soulève par conséquent peu de questions d'acceptation. Un stockage sous-terrain sur notre territoire, à terme, serait susceptible de soulever davantage de difficultés.

La réutilisation du CO2 — plutôt que son simple stockage — est une autre piste que nous explorons. Une voie consiste à transformer le CO2 en hydrocarbure en le combinant à de l'hydrogène vert, lorsque nous en aurons en masse. L'autre réutilisation matière envisagée est une réinjection du CO2 dans des ciments. Toutefois, le potentiel de réutilisation sous forme matière reste relativement faible par rapport à la quantité de carbone qui doit être captée. Le scénario de l'AIE estime que 8 % du CO2 pourrait être réutilisé, tandis que les 92 % restants devraient être stockés.

Dans le domaine du CCUS, l'IFP Énergies nouvelles détient une place de leader.

Les biocarburants représentent une autre solution essentielle à la transition énergétique sur laquelle nous travaillons. Comme pour le CCUS, les procédés existent. La génération actuelle de biocarburants utilise généralement des ressources agricoles et alimentaires. Le taux d'incorporation moyen sur les moteurs de tous types en France s'élève à 7 %. Notre recherche s'intéresse aux biocarburants de deuxième génération, à base uniquement de déchets forestiers ou agricoles qui n'ont pas d'autre utilité. Nous avons les capacités techniques de fabriquer tous types de carburants, notamment pour l'aviation. Par définition, cette solution ne serait susceptible d'engendrer des économies de CO2 que si nous récupérons la ressource sur notre territoire et que l'usine se situe à proximité de nos frontières. Nous renforcerions ainsi notre souveraineté en créant des emplois sur l'ensemble de notre territoire tout en soutenant une partie de la transition énergétique. Ces résidus pourraient être incorporés à hauteur de 33 % dans les carburants fabriqués, soit environ cinq fois plus que ce que permet la première génération de biocarburants. Il est entendu que la substitution d'hydrocarbures par des biocarburants ne résoudra pas l'ensemble des problématiques liées aux transports, mais elle représente une partie de la réponse à apporter. Ainsi, il me semble ces biocarburants devraient être destinés en priorité aux secteurs pour lesquels il est difficile d'envisager d'autres solutions. Les voitures électriques représentent par exemple une solution pour les véhicules automobiles. Cependant, l'aviation reste encore un secteur problématique, la piste de l'hydrogène étant complexe à déployer. Les biocarburants pourraient donc contribuer à décarboner l'aviation, ainsi que certains poids lourds.

Il est aussi possible de fabriquer des bioplastiques de tous types à partir de ce même type de ressources. Les procédés existent et représentent une voie d'accès à l'indépendance, car ils évitent d'importer le pétrole nécessaire à la fabrication du plastique. Nous travaillons avec Michelin pour fabriquer des biopneumatiques sur le site de Bassens en Nouvelle-Aquitaine. Cette même ressource pouvant servir à plusieurs usages, la puissance publique devra probablement adopter de nouvelles régulations pour en favoriser certains.

Enfin, des travaux assez avancés sont en cours sur le recyclage chimique des plastiques, qui permet d'économiser des ressources pétrolières et de réutiliser la matière plastique. Ces procédés sont matures et représentent un progrès par rapport au recyclage mécanique actuellement employé. En effet, la qualité du produit issu de ce dernier est bien inférieure au produit d'origine. Par conséquent, le plastique ne peut être recyclé qu'un nombre limité de fois. Les recyclages chimiques permettent quant à eux d'obtenir la même qualité que celle du produit d'origine. Des démonstrateurs industriels expérimentent d'ores et déjà ces technologies. Une entreprise procèdera prochainement à des essais de ce type au Japon, pour la fabrication de vêtements. Ces technologies pourront donc probablement être délivrées dans quelques années, sous réserve que la régulation l'autorise. Le recyclage des plastiques a un intérêt pour la souveraineté à condition que l'usine se situe à proximité du lieu de collecte des plastiques.

L'ensemble de ces technologies n'est pas hors de notre portée. Loin de relever de la science-fiction, elles pourraient être déployées dans les années à venir.

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