COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 28 février 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 10.
Ce point de l'ordre du jour ne fait pas l'objet d'un compte rendu écrit. Les débats sont accessibles sur le portail vidéo de l'Assemblée à l'adresse suivante :
Monsieur le Président, mes chers collègues, la commission s'est saisie pour observations du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole, le fameux « DADUE ».
Ce projet de loi a pour objet de transposer plusieurs directives et de mettre en cohérence le droit national avec plusieurs règlements européens. Il procède, par ailleurs, à des mises en conformité de dispositions nationales avec le droit de l'Union européenne rendues nécessaires dans le cadre de mises en demeure ou à la suite de décisions contentieuses.
Comme tous les projets de loi d'adaptation au droit de l'Union européenne, celui-ci est par définition « composite », pour ne pas dire parfois un petit peu complexe. Il concerne six grands domaines que je vais résumer de façon synthétique. Je vous renvoie à l'annexe 1 du rapport pour une présentation plus détaillée des dispositions.
Le titre I comporte des mesures économiques et financières : plusieurs articles portent sur la transparence des services financiers et bancaires ; des mesures concernent la protection des consommateurs ; un article vise à renforcer la présence des femmes dans les°sociétés cotées ;
Le titre II prévoit des mesures relatives à la transition écologique comme la transposition du règlement relatif aux batteries et aux déchets de batteries, l'importation de boue d'épuration sur le territoire, ou encore l'important dossier des échanges de quotas d'émissions de gaz à effet de serre ;
Les titres III et IV prévoient diverses dispositions en matière de services répressifs et de droit pénal tels que l'échange d'informations dans les affaires de terrorisme, la mise en œuvre du mandat d'arrêt européen, ou la précision des conditions de garde à vue ;
Le titre V relatif à la politique agricole prévoit la possibilité de délégation de signature du préfet aux autorités régionales en matière de gestion des crédits de la politique agricole commune et des mesures relatives à la mise en œuvre du règlement relatif aux maladies animales transmissibles ;
Enfin, le titre VI relatif au droit social et à la santé prévoit la transposition de la directive dite « REACH » relative à l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques ; et des dispositions relatives à l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants.
J'ai choisi de mettre l'accent dans ce rapport sur quelques dispositions dans l'adoption desquelles la France a joué un rôle moteur, notamment lors de la présidence du conseil de l'Union européenne en 2022.
Il y a tout d'abord la transposition de la directive dite « Women on Boards », qui vise à renforcer la place des femmes dans les conseils d'administration des sociétés cotées. La France a eu un rôle moteur dans l'adoption de ce texte qui est d'ailleurs inspiré de notre propre législation nationale. Depuis 2011, ce type de mesure a été introduit en droit français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Plus récemment, sous la présidence d'Emmanuel Macron, la loi dite Rixain de 2021 visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, est venue renforcer le corpus législatif, pour renforcer l'égalité femmes-hommes dans les entreprises.
Deuxième point important : les mesures du projet de loi relatives aux batteries et aux déchets de batteries. La structuration d'une filière industrielle sur l'ensemble de la chaîne de valeur des batteries est un enjeu stratégique pour la France. Dès 2018, la France a lancé un premier Plan Batteries, sous l'impulsion très forte du Ministre de l'économie Bruno Le Maire, avec son homologue allemand de l'époque Peter Altmaier, pour accélérer l'émergence d'une filière de production de batteries en France, en Allemagne et en Europe. Il visait à implanter, à court terme, des gigafactories sur le territoire français, puis à favoriser la compétitivité de ces usines. Les efforts doivent se poursuivre pour que la France se positionne dans ce domaine. On a une partie de cette filière globale qui est visée dans cette transposition.
Enfin, quelques mots de la mise en œuvre du marché carbone dont une partie de la transposition est assurée dans ce DADUE. C'est d'une certaine façon le début de la transposition du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la taxe carbone aux frontières comme on le dit plus trivialement, qui avait été également fortement portée par le Président de la République lors de la dernière campagne des élections européennes en 2019. Cette réforme dote l'Union des outils nécessaires pour atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2030. Surtout, la création du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières nous permettra de concilier cet objectif avec la préservation de la compétitivité de notre industrie. Ces nouveaux instruments sont ceux d'une Europe capable d'être ambitieuse sur le plan climatique sans pour autant abandonner ses entreprises et ses citoyens.
Ces quelques mesures montrent que l'Europe peut être une chance pour la France. À l'occasion de ce texte de transposition, nous voyons que l'Union européenne travaille et « délivre » sur des dossiers majeurs. Nous remarquons d'ailleurs que la France inspire en bonne partie les législations européennes et que Bruxelles ne nous écrase pas et ne nous impose rien, comme on l'entend trop souvent.
Pour terminer, d'un point de vue plus légistique, j'aimerais évoquer rapidement l'état de nos performances nationales en matière de transposition des directives. J'ai interrogé le Secrétariat général aux affaires européennes, rattaché aux services du Premier ministre, à ce sujet. La France a très nettement progressé en matière de transposition des directives, comme le démontrent les excellents chiffres que vous trouverez dans le rapport. En 2023, nous sommes l'État membre dont le déficit de transposition est le plus faible, de 0,1 %. Cela signifie que la France est aujourd'hui le pays de l'Union européenne qui transpose le mieux les directives.
Ce fait est assez méconnu, je vous invite donc à le partager. Ce résultat est le meilleur jamais obtenu en matière de transposition des directives. Je veux à cette occasion féliciter nos administrations qui se sont mises en ordre de marche afin que les transpositions soient effectuées en temps et en heure. Il faut aussi féliciter le législateur, puisqu'au final les directives sont transposées en droit interne par nos deux Assemblées. C'est une excellente performance de l'ensemble politico-administratif français en matière de transposition.
Il faut aussi savoir que les délais de transposition de directives sont très inférieurs en France à la moyenne européenne. En moyenne, nous transposons les directives dans un délai de 4,3 mois, alors que la moyenne européenne se situe autour de 13 mois. Cette performance est excellente et il est important que cela soit su. Je vous remercie.
Comme vous l'avez rappelé, il est dommage que certains de nos collègues ne soient pas là pour entendre vos propos sur l'efficacité de l'Europe. Je m'arrêterai sur deux choses. D'abord sur l'implantation de gigafactories, une installation est prévue à Dunkerque, et une autre à Marseille. Pour moi, il est important que cette implantation se fasse en France, notamment au regard des problèmes d'emploi et de relance de l'économie que nous connaissons sur nos territoires.
Je souhaitais également vous demander quelques éclaircissements en matière de transposition des directives. Vous nous avez dit que la France était la nation qui avait la meilleure aptitude à transposer les règles européennes. Mais je vais aller plus loin : la France n'est-elle pas accusée de pratiquer ce qu'on appelle la sur-transposition ? En s'efforçant d'être un bon élève, ne va-t-on pas parfois plus loin que l'application stricto sensu des règles, ce qui pose parfois problème?
Ce projet de loi regroupe plusieurs dispositions en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social, et en matière agricole. Tout cela peut paraître très technique, mais en réalité le diable se cache parfois dans les détails. Je ferai deux observations en amont des discussions qui auront lieu au sein des commissions compétentes au fond. D'une part, certaines dispositions ont une forte dimension technique, dé-corrélée de leur contexte d'adoption initiale, ce qui en rend les motifs difficiles à cerner. D'autre part, la déclinaison en droit français est contrainte, et les marges de manœuvre laissées aux Parlements nationaux sont limitées.
Sur l'ensemble des dispositions, J'ai noté un certain nombre d'articles sur lesquels j'aimerais avoir votre analyse et votre regard. Je note l'article 3 qui prévoit une habilitation à légiférer par ordonnance concernant les dérives du rôle des influenceurs.
Par ailleurs, j'aimerais que l'on aille un peu plus loin dans l'analyse des effets de l'article 13 relatif au mécanisme d'ajustement carbone aux frontières dont vous venez de parler, de même que sur les articles 14 à 16 relatifs aux systèmes des échanges des quotas d'émissions de gaz à effet de serre.
Plusieurs articles portent par ailleurs sur le droit et la procédure pénale. Je m'arrêterai sur l'article 28, dont nous n'avons pas parlé, qui est pourtant essentiel. Il s'agit de la réforme de la garde à vue et du droit d'accès à un avocat. L'article 28 du projet de loi initial consacrait l'interdiction de la possibilité d'audition immédiate des gardés à vue sans la présence d'un avocat. Le Sénat a aménagé les dispositions du code de procédure pénale afin de prévoir la possibilité de reporter exceptionnellement la présence de l'avocat pour des raisons impérieuses, tenant aux circonstances particulières de l'enquête, pour assurer le bon déroulement des investigations, urgentes, et pour prévenir une atteinte à la vie, à la liberté et à l'intégrité physique. Il a introduit une référence à une situation susceptible de compromettre sérieusement une procédure pénale.
Monsieur le rapporteur, ne pouvons-nous pas insister sur ce point dans le rapport ? La rédaction de l'article 28 me semble peu précise et susceptible d'élargir les motifs de dérogation au droit à la présence d'un avocat. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce sujet.
Nous sommes aujourd'hui réunis pour débattre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole. Tout est dit, et notre commission doit s'exprimer en une heure sur l'ensemble de ces sujets. Cela n'a pas de sens, surtout quand on sait que des heures de débat auront lieu au sein des commissions des lois, des affaires économiques, des finances et du développement durable. Je tiens donc à poser la question de l'intérêt de tels échanges en trois minutes. Il ne nous est même pas possible d'aborder véritablement un seul de ces sujets.
Je ne parlerai donc pas de l'évolution de la garde à vue, de la mal nommée taxe carbone aux frontières, des questions de santé, ou encore des mesures de simplification administrative pour la précédente PAC. Je voudrais m'attarder sur le marché du carbone européen qui est prévu dans le paquet législatif visant à réduire de 55 % les émissions de carbone d'ici à 2030. Dans le contexte que nous connaissons : renchérissement du prix de l'énergie, conséquences des sanctions européennes, concurrence déloyale à l'importation avec des dizaines d'accords de libre-échange européens auxquels nous nous sommes toujours et systématiquement opposés. Un tel projet ne ferait qu'ajouter du mal au mal.
Le climat social que nous connaissons, conjugué à la dette abyssale de la France, creusée par les virtuoses de la finance du gouvernement, ne me semble aucunement garantir que ce projet de taxation européen améliorera la vie de nos concitoyens. L'augmentation des coûts induits par la diminution des quotas gratuits ne sera pas sans conséquence sur le porte-monnaie des Européens. Et c'est sans compter l'extension prévue du marché carbone au chauffage des habitats collectifs et individuels au gaz ou au fioul, et au carburant routier. Cette folie conduira à une nouvelle crise des gilets jaunes, car ce seront encore et toujours les ménages qui payeront l'addition. Et c'est cela le futur du marché carbone européen que vous souhaitez pour la France.
Ce marché carbone européen est symptomatique de la construction européenne technocratique et bruxelloise que nous combattons. C'est la création de ressources propres de l'Union européenne, et donc un renforcement de la mainmise de la Commission sur les économies des États membres. Encore un abandon de souveraineté. Et quand il sera trop tard, votre gouvernement de virtuoses de l'économie dira comme pour la crise agricole : « mais ce n'est pas de notre ressort, cela se joue au niveau européen ».
Mais c'est bien vous, qui serez comptables d'avoir mis la France sur de tels rails politiques. C'est bien vous qui aujourd'hui nous conduisez vers ce nouvel impôt. Votre majorité impose cette dictature climatique, qui va à l'encontre de toute réflexion économique cohérente, et appauvrira l'Europe et la France. Une vraie politique protectionniste sanctionnant les abus écologiques des productions extra-européennes permettrait non seulement de renforcer notre compétitivité mais serait bien plus efficace pour la défense de l'environnement que vos politiques qui relèvent d'une idéologie de décroissance. Aussi, devant l'absence de temps dont nous disposons pour examiner un texte aux ramifications aussi importantes, nous nous abstiendrons.
Sur les batteries et les gigafactories, nous constatons effectivement un développement privilégié de ce type d'usines dans la partie nord du pays, car il s'agit de l'un des cœurs industriels de l'Europe mais également d'une zone frontalière. Or, plusieurs pays de la région sont intéressés par le développement de cette filière. La filière des batteries constitue un bon exemple de réussite européenne, c'est peut-être d'ailleurs ce qui gêne nos collègues anti-européens. Le succès de la filière européenne des batteries est réel, nous en voyons des déclinaisons nationales et régionales – le Conseil régional des Hauts de France s'est particulièrement saisi de ce sujet, par exemple. Cette filière a été structurée dans un délai extrêmement court, grâce à un soutien public important. Des aides d'État ont été autorisées par la Commission européenne, qui, à la faveur du débat majeur sur l'avenir de la filière automobile a fait évoluer de façon substantielle sa doctrine. La Commission a compris que l'on ne pouvait pas structurer des filières en Europe, face à la concurrence notamment des pays asiatiques, sans soutien public. Ce projet de loi s'inscrit dans cette démarche.
En ce qui concerne la sur-transposition, il existe une règle très claire en France depuis juillet 2017, soit le début de la présidence d'Emmanuel Macron : une circulaire du du Premier ministre 26 juillet 2017 interdit, par principe, toute sur-transposition en France. Des dérives avaient été constatées par le passé . Aujourd'hui, la sur-transposition ne peut intervenir que sur dérogation du cabinet du Premier ministre. Il existe encore un stock important de directives ayant fait l'objet de sur-transpositions mais le flux, lui, s'est considérablement réduit.
Sur la marge de manœuvre limitée du Parlement français, je répondrai que, par définition, les directives concernent l'ensemble de l'Union européenne. Or, pour qu'il y ait une union politique, nous avons besoin de règles communes. On ne peut pas avoir des règles nationales différentes, ou alors de façon marginale. De fait, des modulations sont possibles et le débat sur la sur-transposition le prouve bien. Mais l'examen des projets de loi portant diverses adaptations au droit de l'Union ne peut pas être l'occasion de détricoter ce qui a été fait au niveau européen. Cela serait antidémocratique.
Cela me conduit à répondre à mon collègue du Rassemblement national : les directives ne sont pas technocratiques, elles font l'objet d'une procédure législative européenne fondée sur le dialogue entre le Conseil et le Parlement européen, qui ont chacun un fondement démocratique. Le Conseil est en effet composé des représentants des gouvernements des États membres et le Parlement européen procède des élections européennes.
Sur la question des ordonnances, je n'y suis pas opposé par principe si la technicité des mesures le justifie absolument ; il faut, toutefois, y recourir avec la plus grande modération et en cas d'urgence transposer dans le droit français certaines dispositions.
En ce qui concerne la garde à vue et la présence d'un avocat, sans être un spécialiste au fond de ces questions, j'émets un point d'alerte : on ne peut pas à la fois critiquer les sur-transpositions et faire valoir dans le même temps pour chaque question la spécificité du droit français.
M. Berteloot, nous avons vous et moi une vision de l'Europe, et donc de la France, différente. Vous pensez que les dispositions de ce texte sont symptomatiques d'une Europe technocratique. En réalité, de tels projets de loi d'adaptation montrent le caractère démocratique de notre Europe. Si l'Europe était technocratique, les directives seraient élaborées par la seule Commission, d'effet immédiat, et transmises au Secrétariat général aux affaires européennes sans qu'elles aient fait l'objet d'un quelconque examen. Aujourd'hui, entre la première version de la proposition de directive et son application finale, les Parlements nationaux, le Parlement européen, qui sont des organes démocratiques, mais également le Conseil, interviennent. Vous qui prônez une « Europe des nations » : elle existe déjà. Elle s'incarne notamment dans le Conseil, qui est l'un des deux co-législateurs, composé de représentants des gouvernements des États membres, gouvernements qui sont issus d'élections démocratiques.
Sur la lutte contre le réchauffement climatique, je dois avouer que je suis très heurté par vos propos. Parler de « dictature climatique » comme vous le faites est excessif. On peut avoir un débat politique sur l'écologie et l'environnement, la transition écologique peut être pensée différemment mais user de telles formules est dangereux car elles conduisent à une forme de déni d'un dérèglement climatique incontestable. De façon croissante, entre l'extrême-droite et les partis de gouvernement, l'écologie devient un sujet de divergence radicale.
Enfin, sur le rôle de la commission des affaires européennes, je laisserai notre président répondre mais peut-être faudrait-il en faire une commission permanente. À titre personnel, j'y suis favorable.
Je rappelle que la commission des affaires européennes a fait le choix de se saisir systématiquement des textes dont la dimension européenne est évidente. Cela nous permet d'avoir un débat liminaire au sein de notre commission, avant de pouvoir s'exprimer dans l'hémicycle. Cela permet de valoriser et de rendre visibles les travaux de notre commission. Je souhaite que notre commission s'exprime de plus en plus car la dimension européenne est présente dans presque toutes les politiques publiques dont nous débattons au sein de notre Assemblée. C'est le sens de notre réunion aujourd'hui.
La commission a ensuite autorisé le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.
La séance est levée à 16 heures 30.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. David Amiel, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Pierrick Berteloot, M. Stéphane Buchou, M. Benjamin Haddad, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Pont, M. Charles Sitzenstuhl, Mme Liliana Tanguy
Assistait également à la réunion. - Mme Virginie Duby-Muller