La réunion

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Mercredi 6 septembre 2023

La séance est ouverte à dix heures.

(Présidence de M. Frédéric Descrozaille, président de la commission)

La commission entend lors de sa table ronde sur l'impact des pesticides sur la qualité de l'eau réunissant :

– Mme Agathe Euzen, directrice adjointe de l'Institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule Eau du CNRS et co-directrice du PEPR OneWater, et M. Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

– Mme Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – Eaux souterraines et changement global, Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je suis heureux de vous accueillir après la pause estivale, qui a été, je l'espère, revigorante pour tout le monde.

Nous voici frais et dispos pour poursuivre les travaux de notre commission d'enquête. Je vous rappelle que nous étions convenus, avec le rapporteur, de vous proposer une première phase de mise à niveau de nos connaissances, avant d'entrer dans le dur de nos auditions.

Nous conclurons cette phase introductive cette semaine. Nous examinerons l'impact des produits phytosanitaires sur l'eau et sur l'air, après avoir étudié leur impact sur les sols.

Nous commençons par une première table ronde réunissant des chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et du Bureau de recherche géologique et minière (BRGM). L'audition suivante sera consacrée à deux départements de l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses), compétents sur la contamination de l'eau.

J'accueille Mme Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement et responsable de la cellule eau du CNRS, M. Gwenaël Imfeld, directeur de recherche au CNRS, et Mme Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global au BRGM.

Nous vous remercions de vous être rendus disponibles pour notre commission d'enquête. Je vous remercie de faire preuve de beaucoup de pédagogie, comme si nous étions tous des néophytes. N'hésitez pas à expliciter les termes et les sigles que vous utiliserez, nous avons besoin de mettre à niveau les connaissances de tous les membres de la commission.

Je vous demande également de limiter à une trentaine de minutes au total vos interventions liminaires, de manière à laisser suffisamment de temps aux échanges avec les membres de la commission.

Je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale. Je vous rappelle également que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Agathe Euzen, Mme Dominique Darmendrail, et M. Gwenaël Imfeld prêtent serment.)

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Je vous remercie d'avoir mobilisé le CNRS pour examiner l'impact des pesticides sur la qualité de l'eau. Ce sujet permet d'appréhender les enjeux environnementaux et sanitaires qui découlent de la pollution liée aux activités humaines. Comme je ne suis pas directement compétente sur le sujet, je me suis adressée à l'un de mes collègues, Gwenaël Imfeld, qui vous a transmis un document pour approfondir le sujet. Il montrera toute la complexité des pesticides et proposera quelques orientations, ce qui est aussi l'une des missions du CNRS. Ensuite, Dominique Darmendrail, avec laquelle je codirige le programme d'équipement prioritaire de recherche (PEPR) « OneWater, eau bien commun », interviendra.

Au sein du CNRS, les enjeux relatifs à l'eau s'inscrivent dans une démarche scientifique globale et systémique. Plus de 210 laboratoires, sur les 1 000 que compte l'établissement, traitent de la question de l'eau, de la molécule à la gestion, des questions culturelles, de pollution, d'écologie, de physique ou de chimie ; cela illustre la transversalité de l'ensemble des compétences et des disciplines portées par le CNRS. Ces laboratoires réunissent plus de 2 900 personnes, qui appréhendent l'eau à travers ses enjeux scientifiques, environnementaux et sociétaux. Cette organisation favorise des approches disciplinaires extrêmement variées, ce qui facilite la compréhension de la complexité du sujet, grâce à des regards, des points de vue, des méthodologies et des observations complémentaires.

Le CNRS a noué des partenariats avec le monde économique, des collectivités et des ONG pour favoriser le lien entre la science et la société, permettre un éclairage par des données scientifiques et aider à la décision.

Les laboratoires de recherche sont répartis sur l'ensemble du territoire métropolitain et ultramarin. Les recherches sont menées à des échelles très variées, des petits ruisseaux aux grands bassins-versants ou aux bassins transfrontaliers. Elles traitent de l'eau dans tous ses états – solide, liquide, gazeux –, des molécules, des isotopes, des phases, à toutes les échelles – globales, systémique. Elles s'intéressent aussi aux interfaces entre l'eau et l'atmosphère, les eaux de surface et les eaux souterraines, à la dynamique des flux dans les milieux, dans différents contextes, à la pression des activités humaines, etc. Ces recherches permettent de comprendre les dynamiques de l'eau, sa qualité, sa disponibilité, dans un contexte de changement global.

Quand nous parlons de l'eau de façon globale, nous parlons généralement du grand cycle de l'eau que nous connaissons tous, parfois du petit cycle, associé aux réseaux d'eau potable ou d'assainissement. Il est essentiel de les associer car la qualité de l'eau brute a une incidence sur les traitements à appliquer pour disposer d'une eau potable de bonne qualité. Il est essentiel de prendre en considération cette interconnexion, comme celle avec les éléments présents dans l'air, en surface et en souterrain. Nous sommes dans une approche globale, cette question ne peut pas être envisagée par silo.

Les unités mixtes de recherche (UMR) que le CNRS a constituées avec des universités ou des organismes comme le BRGM cherchent à comprendre les enjeux scientifiques, techniques, sociaux, environnementaux, économiques et industriels présents et à venir en s'appuyant également sur le passé des processus et des dynamiques de l'eau, sur des temps extrêmement longs ou plus courts, à travers la diversité des usages.

Les compétences et les savoir-faire du CNRS sont mobilisés pour répondre à l'enjeu des polluants, anciens et nouveaux, liés à nos modes de consommation et à nos pratiques actuelles et à venir, au niveau local comme au niveau global. Nous observons des emboîtements d'échelles spatiales, liés à des vulnérabilités de territoires ou à des transferts entre des territoires et nous sommes face à une diversité d'acteurs. Des actions locales peuvent avoir des impacts globaux, que ce soit en termes de décision, d'ingénierie, de gestion, etc. La recherche s'empare de l'ensemble de ces problématiques.

Nous parlerons de la détection et de l'analyse des polluants, de la bio-analyse, des bio-essais, mais aussi des risques environnementaux, sanitaires et des solutions pour y répondre.

Sur plus de 100 000 micropolluants qui ont été recensés, la surveillance et l'évaluation réglementaire ne portent que sur moins de 1 % d'entre eux. La recherche développe des capacités de mesure de plus en plus fines mais elle n'a pas la capacité d'analyser tous les impacts sur les milieux et sur la santé humaine, seuls ou en association, de toutes les substances.

Ces problématiques sont également traitées dans le cadre du programme « OneWater – Eau bien commun » copiloté et codirigé par le CNRS, le BRGM – avec Dominique Darmendrail – et l'Inrae – avec Thibault Datry. Il s'agit de réenvisager l'eau pour ce qu'elle est et non plus comme « au service de ». Nous devons en effet changer de paradigme car nous ne pouvons plus envisager l'eau comme étant abondante et coulant à flots. Il faut donc repenser l'eau, tant en termes de disponibilité que de qualité. La sécheresse a par exemple des conséquences directes sur la qualité. L'objectif du programme, prévu sur dix ans, est de réfléchir, en mobilisant les connaissances existantes et celles qui sont à produire, et de proposer de nouvelles formes de gouvernance de la gestion de l'eau, avec six défis : adaptation, empreinte, eau sentinelle, socio-écosystèmes, solutions et réponses, données à produire et à mobiliser.

Nous cherchons également à mieux connaître les pesticides, leur impact à court, moyen et long termes sur le vivant. S'intéresser aux pesticides, c'est aussi chercher à mieux comprendre les dynamiques des vivants et des milieux.

Une étude a été publiée cette année sur les effets de l'intensification des pratiques agricoles et de l'augmentation des températures sur le déclin des oiseaux en Europe. Vingt-huit pays européens ont suivi pendant 37 ans plus de 170 espèces communes sur 20 000 sites. Le nombre d'oiseaux forestiers a baissé de 18 % depuis 1980. Le nombre d'oiseaux des milieux agricoles s'est effondré de 57 %. Ils n'ont peut-être plus d'insectes à manger, les pesticides favorisant l'agriculture au détriment du vivant et de la biodiversité. Les conséquences des pesticides sur les milieux sont flagrantes en termes de biodiversité. Par ailleurs, les insectes sont des pollinisateurs essentiels, aussi pour les humains qui font partie de cet écosystème complexe. Il serait dommage de faire comme les Chinois et d'en être réduit à polliniser à la main après avoir détruit tous les insectes qui le font naturellement.

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Mon intervention a pour objectif de vous présenter un état de l'art succinct, de vous donner quelques repères sur l'impact des pesticides sur la qualité de l'eau pour contribuer au socle commun et comprendre l'absence de diminution des quantités et des risques associés aux pesticides. J'aborderai 5 points : les pesticides et la qualité de l'eau ; le transport de pesticides des sols vers les eaux ; l'état de la contamination et les impacts des pesticides sur la qualité chimique ; l'impact des pesticides sur la qualité biologique, notamment la biodiversité aquatique ; et enfin, les leviers d'action.

Neuf limites planétaires dans lesquelles l'humanité peut évoluer durablement en sécurité ont été définies. La transgression d'une seule de ces limites, que sont la biosphère, les changements de territoires, l'utilisation de l'eau, les flux biogéochimiques ou encore le changement climatique, peut entraîner des effets néfastes susceptibles de s'étendre à l'échelle continentale et planétaire.

Les pesticides et les produits de transformation font partie des entités nouvelles de la pollution chimique. Ils présentent trois caractéristiques : persistance, mobilité, impact sur le vivant. Les limites planétaires sont actuellement transgressées par l'accroissement des productions et des rejets de ces nouvelles entités chimiques, dont les produits de transformation des pesticides, par l'arrivée constante de nouvelles molécules au potentiel de risque très varié et qui peuvent interagir et par le dépassement de notre capacité à évaluer et à contrôler la sécurité des milieux, ainsi que l'a rappelé Agathe Euzen.

Les produits biocides, qui regroupent les pesticides, les produits phytosanitaires ou phytopharmaceutiques, les désinfectants et les antibiotiques, sont destinés à détruire, repousser et rendre inoffensifs les organismes considérés comme nuisibles par l'humain.

Les produits phytosanitaires sont régis par la directive européenne 91/414 qui a pour objectif de protéger les végétaux contre tout organisme nuisible. Actuellement, 500 molécules actives sont autorisées au sein de l'Union européenne, dans plus de 3 000 formulations commerciales. À l'échelle mondiale, la consommation des pesticides augmente ou stagne.

Les conséquences sanitaires et écologiques sont connues et décrites par la science depuis maintenant plusieurs décennies. Les objectifs internationaux de conservation de la biodiversité ne peuvent être atteints sans réduction de l'utilisation des pesticides. L'Union européenne fixe des critères stricts pour l'utilisation des pesticides mais leurs effets sur les écosystèmes sont peu intégrés. Une partie des pesticides est externalisée en dehors de l'Union européenne. C'est un point essentiel. En effet, quand nous importons de la nourriture, nous importons également les pesticides utilisés, par exemple, en Amérique latine, pour la déforestation et la culture du soja. Ces produits font ainsi partie du bilan pesticide français.

Les ingrédients actifs des pesticides s'accumulent dans les sols, ont des effets parfois persistants, ruissellent vers les cours d'eau et s'infiltrent dans le sol vers les eaux souterraines. Les insecticides ont une efficacité importante sur les insectes ciblés mais aussi sur les insectes non ciblés, en très petites quantités, notamment sur les invertébrés et sur les pollinisateurs. Les fongicides sont fréquemment appliqués de façon prophylactique et ont des effets avérés sur différents organismes, dont les champignons des sols et des rivières, qui jouent un rôle écosystémique essentiel. Enfin, les herbicides sont les substances actives les plus utilisées. Ils sont également employés dans un contexte urbain et dans l'habitat.

Les pesticides sont présents en grande quantité dans les matériaux de la vie quotidienne, notamment dans les peintures et les enduits pour la protection herbicide des façades des bâtiments. Les peintures contiennent entre 0,1 et 0,5 % d'herbicide, par exemple de la terbutryne, qui est interdite depuis plusieurs décennies pour les usages agricoles. Les consommateurs, les services municipaux et les professionnels du bâtiment sont peu informés de la présence de ces substances, alors qu'il existe des alternatives comme les peintures minérales et les bâtiments durables pour construire les villes de demain. Nos travaux montrent une transformation importante des pesticides utilisés dans les peintures et les enduits sur les façades des bâtiments. En effet, l'énergie solaire transforme une partie des molécules de pesticides en produits de transformation inconnus, potentiellement toxiques, et libérés à l'occasion des pluies qui atteignent les façades, dans une proportion plus grande que celle observée pour les pesticides. Le mélange de pesticides et de produits de transformation atteint le sol, puis les eaux de surface et les eaux souterraines, en suivant les écoulements dans les systèmes séparatifs ou unitaires. Dans les écoquartiers, la gestion alternative des eaux pluviales prévoit une infiltration directe et pose de nouvelles questions liées au transfert de pesticides provenant des habitations dans les sols et dans les nappes phréatiques. Cet impact sur les eaux est encore peu connu.

Lorsque les pesticides sont appliqués dans leur formulation commerciale, ils se transforment lentement ou rapidement, en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques et de leur exposition au soleil. Ils sont transformés totalement ou partiellement et génèrent des produits de transformation. Lors d'événements pluvieux, ils s'infiltrent vers la nappe à travers le sol et peuvent encore se transformer, entraînant le transport de nouveaux pesticides et de nouveaux produits de transformation. Ils parviennent ensuite dans les cours d'eau où ils peuvent être transportés en aval ou s'accumuler dans les sédiments. Les pesticides peuvent aussi être directement exportés des parcelles vers les cours d'eau par ruissellement.

Pour vous donner un ordre de grandeur des quantités en jeu, j'ai choisi de vous montrer les résultats d'une étude de terrain représentative dans un bassin-versant du Bas-Rhin d'environ 120 km2. La masse totale de l'herbicide S-métolachlore appliqué dans le bassin est de 7 000 kilogrammes par an. Environ 90 % de cette masse est dégradée dans le sol, entraînant la formation de produits de transformation, dont l'ésamétolachlore et l'oxamétholachlore. En 2019, année peu ruisselante, l'export représentait moins de 0,5 % de la masse initialement appliquée. Cela peut paraître peu mais correspond à des concentrations dans le bassin-versant supérieures à 2 microgrammes par litre, au-delà des normes de qualité environnementale. Par ailleurs, l'export des produits de transformation excède très largement celui du S-métolachlore, ce qui reflète sa dégradation dans les sols.

La qualité de l'eau se caractérise d'un point de vue chimique et biologique. La qualité dépend de l'usage. Les normes diffèrent pour l'eau potable, l'irrigation de cultures ou pour l'alimentation des cours d'eau naturels. En France et en Europe, l'eau est une denrée très réglementée et sa qualité est étroitement suivie. L'eau du robinet est généralement d'excellente qualité, notamment grâce à la compétence des syndicats des eaux, mais il peut arriver, ponctuellement, qu'elle ne soit pas conforme. Au moins une fois en 2018, 9,4 % de la population, soit 6 millions de personnes, ont été alimentées par une eau non conforme, aux limites de qualité autorisées pour les pesticides. Cette situation reflète le problème des aires de captage des eaux potables.

Les réseaux de mesure dans les cours d'eau sont denses et les mesures fréquentes. En 20 ans, le nombre de points de mesure a doublé en France et les prélèvements sont effectués 9 fois par an. La majorité des mesures concerne les pesticides.

Entre 2010 et 2018, la concentration moyenne en pesticides des eaux souterraines a augmenté mais les résultats sont très hétérogènes en fonction des bassins hydrographiques. Au moins un pesticide est détecté dans 80 % des 2 340 points de mesure des réseaux de surveillance de la qualité. La concentration en pesticides est supérieure à 0,5 microgrammes par litre sur 35 % des points de mesure, contre 14 % en 2010. Les pesticides déclassent 73 % des masses d'eau déjà en mauvais état. Cela traduit l'héritage des anciens pesticides, avec les métabolites d'atrazine, aujourd'hui interdite en France, ou du dimétachlore quantifiés dans 55 % des stations de mesure. Cela reflète des temps de transfert entre le sol et les nappes extrêmement longs. En 2020, les substances les plus quantifiées sont les métabolites du métolachlore, du métazachlore, du dimétachlore, du bentazone, du chlortoluron et du glyphosate. Les résidus de pesticides tendent à persister dans les eaux souterraines, en raison notamment d'une masse microbienne moins importante que dans les cours d'eau. Cette évolution de la qualité globale des eaux souterraines pose également la question de la vulnérabilité des aires d'alimentation des captages aux pollutions diffuses et des actions à mener en priorité sur ces aires.

S'agissant de la contamination des cours d'eau, l'indice « pesticides » (IPCE) est en baisse de 20 % depuis 2008. C'est un indice intéressant qui tient compte des concentrations et des effets connus des pesticides. Cette baisse est hétérogène en fonction des régions et traduit l'impact de la réglementation, avec la substitution par de nouvelles molécules comme le pendiméthaline – un herbicide – ou la cypermethrine – un insecticide. L'indice n'intègre pas l'effet d'autres micropolluants. Plusieurs micropolluants qui n'existaient pas en 2008 sont aujourd'hui détectés et jouent un rôle en termes d'écotoxicité. Il ne faut pas non plus banaliser les pesticides dans les eaux de surface. Leur présence traduit un transfert entre le sol et l'eau, qui n'est souvent pas anticipé et qui n'est pas prédit par les autorisations de mise sur le marché.

Pour examiner l'impact des pesticides sur la qualité biologique des eaux, je vous propose de me concentrer sur les invertébrés aquatiques. Si nous observons une diminution de l'indice pesticide pour les cours d'eau, une étude récente indique que la reconstitution de la biodiversité des macro-invertébrés des eaux douces européennes s'est arrêtée depuis 2010. La littérature scientifique note un fort impact sur la biodiversité taxonomique des macro-invertébrés des petits cours d'eau agricoles européens, avec une contribution significative des insecticides. Ces derniers sont responsables du mauvais état écologique de 30 % des petits cours d'eau, d'une réduction de 50 % de l'abondance des macro-invertébrés et de 40 % de la richesse spécifique.

Il faut également noter des effets chroniques avérés à des concentrations largement inférieures aux seuils de toxicité réglementaires de l'Union européenne. On constate un risque fort de dégradation des communautés sur 20 % du territoire européen, en raison d'effets directs et indirects. On observe aussi une perturbation des interactions biotiques entre les différentes populations et du cycle de la matière organique à l'échelle des écosystèmes. Par exemple, l'herbicide terbutryne peut détruire des populations d'algues, ce qui a un impact sur les invertébrés qui s'en nourrissent.

Globalement les travaux de la recherche au cours de la dernière décennie montrent des effets indirects multiples qui sont ignorés par la réglementation. Ils incitent à créer de nouveaux cadres conceptuels pour les prendre en compte, en examinant notamment le rôle des interactions biotiques dans la toxicité des pesticides à l'échelle des écosystèmes et du paysage, et à mettre en place des indicateurs unifiés de biodiversité phylogénétique et fonctionnelle.

Par ailleurs, il apparaît que le réchauffement global et la variation des conditions hydrologiques associée auront probablement des effets directs ou indirects significatifs sur le transport et la transformation des pesticides et sur la qualité des eaux françaises. L'augmentation attendue des températures, l'impact des patrons de pluie et des pressions sur les ravageurs et les maladies risquent d'entraîner des changements sur la contamination microbienne et toxique dans les aliments, des changements dans l'utilisation des pesticides en termes de quantité, de dose, de fréquence et de type, et davantage de dégradation des pesticides dans les sols, ce qui va entraîner une production chronique de produits de transformation.

La combinaison des stress chimiques – comme les pesticides – et physiques – par exemple, les étiages-crues – sur les organismes et les écosystèmes peut entraîner des réactions plus rapides et plus intenses au changement climatique. Nous avons besoin de systèmes résilients aux extrêmes hydro-climatiques et d'une diminution des intrants.

En conclusion, compte tenu de l'état de la contamination des eaux superficielles et souterraines, nous devons identifier rapidement les moyens de réduire l'impact des pesticides sur la qualité des eaux pour préserver la biodiversité, les fonctions écosystémiques et la santé globale. En effet, la santé des écosystèmes et la santé humaine sont intimement liées. Cela passe par la réglementation et par la surveillance, qui sont exigeantes mais qui ne protègent pas suffisamment la qualité chimique et la biodiversité aquatique. Il nous faut mieux comprendre les effets sur la biodiversité et les écosystèmes, les impacts des dérogations. Il nous faut améliorer nos réponses aux nouveaux risques qui apparaissent après la mise sur le marché des produits. Il s'agit aussi de mieux intégrer à notre réflexion les sciences humaines et sociales et certaines connaissances non-académiques, notamment pour analyser le fonctionnement des acteurs impliqués dans le processus d'encadrement des pesticides, ainsi que la fabrication de l'évaluation des risques environnementaux.

En termes de recherche, nous nous orientons désormais de plus en plus vers des suivis non ciblés, pour détecter de plus en plus de composés. Nous cherchons également à élargir les tests d'écotoxicité à d'autres organismes et à d'autres écosystèmes, à intégrer la recherche sur l'holobionte – c'est-à-dire la compréhension de la plante dans ses assemblages d'espèce et ses interactions avec les autres organismes vivants – et à utiliser la modélisation pour travailler sur différents scénarios. Nous devons étudier les impacts des stress multiples –physiques, chimiques, effets cocktails, etc. – et les effets indirects en intégrant la biodiversité et les fonctions écosystémiques. Mais nous devons également intégrer et accepter que nous ne pourrons jamais tout connaître des impacts. Nous ne savons pas tout mais les connaissances sont déjà abondantes et permettent des décisions préventives et protectrices sans regret.

Enfin, nous cherchons à combiner les leviers d'action systémiques vers l'agroécologie pour la santé globale (écosystèmes, humains, animaux), par la prévention, en travaillant sur les choix de cultures et de variétés adaptées, sur les prairies des aires d'alimentation des captages, sur la diversification des cultures et des paysages, par des solutions mécaniques de non-labour ou d'enherbement, par des solutions biologiques, comme le biocontrôle, et par l'utilisation de biopesticides.

Cela peut passer par des développements pragmatiques, comme tenir l'objectif de 25 % de surfaces en agriculture biologique à l'horizon 2030, énoncé par le Pacte vert européen, prôner le zéro pesticides dans les villes et dans les villages et ne pas oublier que la réduction des pesticides commence par l'assiette, en intégrant des visions territoriales sur les systèmes alimentaires et en portant la réflexion sur les régimes alimentaires, l'offre et le choix des consommateurs et le lien entre les consommateurs et les producteurs.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Mon intervention portera essentiellement sur la situation des eaux souterraines. Les nappes assurent 67 % de l'alimentation en eau potable de la France, et même plus de 90 % dans certains départements. Par conséquent la qualité des nappes d'eau souterraines est très importante. Ces nappes fonctionnent de manière complexe. Il existe environ 6 500 aquifères, dont seulement 200 sont de taille régionale. Elles n'ont pas accès au soleil et donc aux effets que celui-ci peut avoir sur la dégradation de certaines substances.

Le BRGM gère le réseau piézométrique qui permet de produire les cartes fournissant le niveau de l'eau, publiées tous les quinze jours ou tous les mois. Ce réseau est associé à un portail d'accès aux données des eaux souterraines qui contient l'ensemble des données récoltées par les collectivités locales et par les syndicats d'eau sur la qualité des eaux souterraines. Ces données permettent de réaliser des analyses au niveau national et au niveau régional ; elles alimentent le reporting au niveau européen.

Par ailleurs, comme il est difficile de multiplier les trous dans le sous-sol, nous avons recours à des modélisations pour prédire ce qui se passe dans les eaux souterraines. Dans le cas des polluants, nous devons être en mesure de coupler qualité et quantité et nous formulons des hypothèses. Nous travaillons sur des gros volumes d'eau et sur des solutions visant à traiter les pollutions diffuses qui sont importantes.

Compte tenu du nombre de molécules présentes, de leurs caractéristiques, de la complexité du milieu souterrain, il est difficile de faire des généralités. Nous nous adaptons systématiquement au contexte dans lequel nous nous situons. Un même comportement peut avoir des effets opposés. Par exemple, il peut y avoir des effets de chasse en cas de forte pluie s'il y a un stock de polluants dans le sol au-dessus des nappes d'eau souterraines. Les polluants seront ici dilués. Dans d'autres cas, une arrivée d'eau massive peut apporter encore plus de polluants.

Agathe Euzen vous a dit que moins de 1 % des polluants étaient mesurés. En Europe, 480 substances actives ont été homologuées ; on en retrouve 185 dans les produits autorisés en France. Avec les métabolites, il y a ainsi environ 500 substances à doser mais seules 29 le sont en surveillance normale. La base de données que j'ai mentionnée contient des informations sur ces 29 substances. Nous vous communiquerons des éléments pour vous montrer les gammes de concentration que nous pouvons observer. Nous disposons aussi des mêmes données pour les eaux de surface. Il y a eu une campagne de mesures en 2011 et en 2012 sur les eaux de surface et sur les eaux souterraines mais nous n'avons pas trouvé les mêmes substances, notamment pour des raisons de temporalité et de transferts entre le sol et les eaux souterraines. Si l'atrazine est banni depuis 17 ans, il y a ainsi encore des traces de cette substance dans les eaux souterraines en raison du stock dans les sols. Les concentrations diminuent mais elles restent supérieures à ce qui est considéré comme admissible.

Gwenaël Imfeld l'a évoqué, du fait de la multiplicité des comportements de ces substances et de leurs métabolites, nos méthodes de surveillance doivent évoluer. Par exemple, grâce à des monitorings non ciblés, nous cherchons les substances à problème. C'est un de nos grands champs de recherche. Je vous montrerai quelles sont les substances phytosanitaires que nous pouvons identifier ou non en fonction des différents types de dosage. En conclusion, le milieu souterrain est ainsi très compliqué à appréhender.

En termes de solutions, le BRGM travaille sur un programme de microbiodiversité des eaux souterraines, laquelle demeure très mal connue, y compris au niveau européen. Sur la nappe des calcaires de Beauce, au nord d'Orléans, nous nous sommes aperçus que les faciès microbiologiques étaient différents des faciès chimiques et il semblerait qu'il existe un lien avec les concentrations de certains polluants, en particulier avec des pesticides. Il existe donc un indicateur permettant d'identifier des problèmes de pesticides que nous ne mesurons pas à l'heure actuelle avec les seuils que nous utilisons. Nous dosons les substances une à une et par groupe, mais il peut y avoir des substances que nous ne recherchons pas et qui ont des effets sur la microbiodiversité. Ce programme est financé dans le cadre du programme exploratoire de recherche « OneWater » et nous espérons qu'il nous permettra de définir des indicateurs pour identifier des problèmes de pollution aujourd'hui non mesurés au travers de leurs effets sur la microbiodiversité.

Enfin, nous essayons de prendre en compte les effets cocktail, notamment dans les solutions que nous étudions. Par exemple, nous cherchons à utiliser les bactéries présentes dans les milieux pour traiter les pesticides mais aussi d'autres molécules qui seraient présents, comme les molécules pharmaceutiques ; nous cherchons ainsi à traiter le cocktail. Nous sommes néanmoins confrontés au manque de clarté et d'articulation entre les différentes règlementations françaises et européennes. Certaines portent sur le suivi de la qualité des milieux, d'autres sur l'autorisation des substances pour une certaine utilisation – agricole par exemple, d'autres encore pour une autre utilisation – je pense au bâtiment. Or l'impact sur l'environnement et sur la qualité des eaux est global, il est la synthèse de l'ensemble de ces sources qui sont appréhendées par autant de réglementations différentes.

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Nous vous remercions pour votre exposé très clair.

Vous dites que l'indice « pesticides » IPCE est en baisse de 20 % depuis 2008. Cette nouvelle rassurante est en contradiction avec les autres alertes que vous avez partagées avec nous, notamment sur la qualité des indicateurs ou sur un certain aveuglement sur les effets cocktail, etc. Comment devons-nous traiter cette information ?

Par ailleurs, la création de cette commission d'enquête a été motivée par des alertes sur la qualité de l'eau – préoccupation que je partage avec Mélanie Thomin. Vous avez peu évoqué les alertes de scientifiques sur les effets du dérèglement climatiques, notamment les situations de stress hydrique. Le cycle de l'eau reste globalement stable sur l'année avec des périodes de pénurie et des périodes d'abondance. Pendant les périodes de pénurie, il sera plus difficile de rendre l'eau propre à la consommation humaine en raison d'une moindre possibilité de dilution des polluants. Pouvez-vous apporter des précisions sur ce point ? C'est un élément assez déterminant entre le petit et le grand cycle de l'eau, qui touche aux fondements de notre sécurité alimentaire.

Je m'interroge également sur les agences de l'eau. Sont-elles suffisamment armées pour faire face à l'ensemble des défis de sécurité alimentaire, sanitaire et environnementale que vous avez évoqués, en termes de gouvernance, de moyens financiers, etc. ?

Vous nous avez dit que ces questions n'étaient pas nationales mais qu'il y avait des interactions à l'échelle internationale, par les échanges de produits agricoles, par les flux marins, par les grands cycles de l'eau. Au-delà des programmes de recherche, y a-t-il une forme de multilatéralisme de l'eau à l'échelle européenne ou planétaire ? L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) coopère avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la question d'une seule santé – ou « One Health ». Existe-t-il des programmes de recherche ou de gouvernance sur l'eau en tant que bien commun à l'échelle internationale ?

Enfin, sur « OneWater », la lenteur du démarrage est-elle liée à des questions budgétaires, à des problématiques de gouvernance ou de pilotage ? Ce que vous nous dites est tellement urgent que nous serions marris que le dispositif soit en panne.

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

L'indice « pesticides » a en effet diminué de 20 % depuis 2008. Il est établi à partir des concentrations et à partir des valeurs écotoxicologiques prédictives. C'est une sorte de normalisation des concentrations en fonction des effets possibles qui sont détectés. La première limite de cet indice est que tous les produits de transformation ne sont pas intégrés. Nous ne les connaissons pas tous et nous sommes encore en train d'essayer de comprendre la toxicité de certains d'entre eux.

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Qu'entendez-vous par produits de transformation ? S'agit-il des métabolites ?

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Le terme correct est bien « produits de transformation » puisque celui de « métabolites » fait référence à un métabolisme produit par des organismes. Or, les produits de transformation peuvent aussi avoir pour origine la photolyse à travers l'énergie solaire, l'hydrolyse, etc.

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Je comprends qu'il s'agit d'un principe actif, d'une chaîne de molécules ayant un effet biocide, qui va être transformée, assemblée avec d'autres atomes, et que ce principe actif sera donc toujours présent au sein de nouvelles molécules.

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Vous avez raison. La molécule conserve, en partie, ses propriétés actives mais d'autres effets peuvent apparaître à partir du moment où elle a été cassée et où elle a perdu un groupe fonctionnel, c'est-à-dire une partie de ses atomes.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Nous étudions attentivement la qualité de l'eau et les effets du stress hydrique, même si, en période de stress comme lors des deux derniers étés, nous avons plutôt tendance à nous focaliser sur la quantité que sur la qualité. Dans la base de données, nous avons accès aux informations sur la quantité et sur la qualité des eaux souterraines et nous cherchons les liens existant entre les deux. Y a-t-il une surconcentration parce qu'il y a moins d'eau qui arrive pour un même apport de polluants ou, au contraire, une diminution de la concentration de polluants parce que le flux est porté par l'eau ? Malheureusement, la situation ne se réduit pas à ces deux hypothèses puisque, dans certains cas, nous pouvons observer des effets inverses pour le même processus, en raison des caractéristiques des substances et du milieu. Par exemple, des apports de polluants pendant plusieurs années sur les mêmes parcelles génèrent un effet de stock dans les sédiments des eaux de surface ou dans la partie non saturée du sol, qui constituent des sources secondaires en cas d'événement extrême. Si la température de l'eau augmente, nous pouvons observer un phénomène de relargage à partir de ces stocks secondaires. Ces mesures sont difficiles à faire, notamment dans les eaux souterraines, car les 6 500 aquifères du territoire sont différents, avec des fissures, des fractures, etc. Les effets seront totalement différents en fonction des milieux et de leur réactivité.

Par ailleurs, les effets du changement climatique sont difficiles à mesurer et nous avons du mal à prédire comment l'accélération va se produire. Ces éléments font partie de nos programmes de recherche et « OneWater » comprend un projet ciblant cette prédiction en fonction du changement climatique. Je suis navrée de ne pas pouvoir être plus précise…

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Parmi les événements extrêmes, nous sommes également confrontés à des inondations brutales. Ces inondations génèrent des risques de ruissellement si des surfaces ont été traitées.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Les effets de l'arrivée d'un même volume d'eau sont totalement différents si cette arrivée se produit en une journée, un mois ou six mois.

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Nous avons cette chance en France de disposer des agences de l'eau. Depuis la loi de 1964, elles gèrent l'eau par grand bassin, en impliquant l'ensemble des acteurs – donc l'ensemble des usages. Les évolutions actuelles montrent l'importance de ces agences mais aussi leurs insuffisances. Elles s'inscrivent dans une approche globale mais nous nous rendons compte de la vulnérabilité et de la singularité des territoires. Il est difficile d'appliquer des réglementations européennes à l'échelle locale, de les adapter aux situations concrètes des petits bassins, des types d'usages et des pratiques associées, agricoles, industrielles, domestiques, de loisirs, etc.

Compte tenu des enjeux, les financements et les moyens humains dont disposent les agences sont ainsi insuffisants pour assurer les suivis, la prévention et le lien entre les enjeux relatifs à l'eau et les spécificités du milieu. L'eau est en lien avec la biodiversité, les activités humaines et les territoires. Il faudrait réenvisager le rôle des agences de l'eau de manière un peu différente, plus transversale, pour éviter les approches en silo qui ne permettent d'appréhender les enjeux de façon globale.

Au niveau européen, il existe le programme de recherche « Water for all », qui doit beaucoup à Dominique Darmendrail.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Dans le cadre des programmes de recherche européens, nous avons en effet monté un partenariat sous le financement « Horizon Europe » qui s'appelle « Water for all, water security for the planet », c'est-à-dire « Sécurité de l'eau pour la planète ». Ce programme, qui réunit une trentaine de pays, est coordonné par l'Agence nationale de la recherche (ANR) française. Il a pour objectif de développer de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences en matière de sécurité de l'eau – cela inclut les problèmes de pollution – et dispose d'un budget de 425 millions d'euros sur sept ans, cofinancé par la Commission européenne et par différents organismes des États impliqués. En France, le CNRS et le BRGM ont décidé de contribuer à ce projet et portent la création d'observatoires de recherche pour mesurer ce qui se passe sur différents types de territoires et comparer les résultats avec des données collectées en Allemagne, en Suède ou en Espagne. Ce dernier pays rencontre des conditions que nous risquons de connaître en France au cours des prochaines années et il nous sera très utile de collaborer avec lui. Nous portons également la création d'un portail interopérable de données européennes sur l'eau accessible à tous. Le climat ne s'arrête pas à nos frontières, de nombreux cours d'eau et de nombreuses nappes sont transfrontalières. Nous avons donc besoin des données des autres pays pour être en mesure de répondre rapidement aux questions qui nous sont posées. Aujourd'hui, nous devons souvent répondre dans la semaine aux sollicitations des pouvoirs publics pendant les périodes de sécheresse.

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Il est essentiel que nous puissions nous appuyer sur la recherche fondamentale et expérimentale. Sans elles, nous n'aurions pas la connaissance des besoins à traiter. C'est la mission du CNRS de favoriser cette recherche fondamentale jusqu'à la recherche appliquée pour répondre à l'ensemble des enjeux.

En mars dernier, les Nations Unies ont organisé la conférence internationale sur l'eau que nous attendions depuis 46 ans. Elle a montré l'intérêt international pour cette ressource dont la dimension essentielle, fondamentale et transversale au vivant a enfin été comprise. Nous avons pu, à cette occasion, présenter « OneWater ».

« OneWater » a até créé dans le cadre des programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) du quatrième programme d'investissements d'avenir (PIA). Nous avons eu la chance d'être lauréats de la première vague, avec quatre autres programmes. Sa mise en place prend un peu de temps, comme tout objet nouveau, que ce soit en termes de financements ou de pratiques de recherche. Gwenaël Imfeld, qui porte une des actions du programme, est extrêmement impliqué et fait quotidiennement les frais, comme nous, de la lenteur de son déploiement. L'objectif est de commencer au plus vite la recherche. Le lien avec l'ANR et avec les différents acteurs est essentiel. Nous voulons non seulement mobiliser les chercheurs de la communauté nationale mais aussi favoriser le lien avec les acteurs non académiques. Outre le conseil scientifique international, sans lequel la recherche ne pourrait pas avancer de façon pertinente en l'absence de regards extérieurs et d'expériences complémentaires dans des contextes spécifiques, le projet tient également compte de la réalité des territoires et des terrains et de la manière dont les problématiques de l'eau se présentent sur ces mêmes territoires en termes d'organisation, d'aménagement, de vie économique et sociale, de durabilité, dans un contexte qui bouge en permanence. Aujourd'hui, nous ne disposons pas des connaissances nous permettant de prendre en compte toutes les incertitudes mais nous travaillons, entre scientifiques de la même discipline, entre chercheurs de disciplines complémentaires et avec les acteurs des territoires – collectivités locales, ONG, acteurs privés de la filière eau – à comprendre cette complexité et à faire évoluer la gouvernance de l'eau.

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Je vous remercie pour vos présentations très intéressantes et compréhensibles. Êtes-vous en mesure de distinguer les impacts respectifs des insecticides, des herbicides et des fongicides, ces produits n'ayant pas le même usage ? Il est peut-être possible de se passer plus facilement de certains d'entre eux. Je précise que je ne dis pas qu'il ne faudrait pas réussir à se passer de tous ces produits : je ne tiens pas à ce que mes propos soient déformés.

Par ailleurs, vous avez indiqué que seules 29 substances étaient mesurées. Il existe des limites aux technologies de détection, des problématiques d'échantillonnage, des problématiques de caractérisation de certaines molécules. Il est important de le dire pour ne pas laisser croire que tout est facilement mesurable. Y a-t-il un effort de recherche à faire sur ce sujet ? Avez-vous besoin de moyens pour franchir ces limites de détection et acquérir les techniques de caractérisation qui vous manquent ?

Enfin, je n'ai pas bien compris les démarches mises en œuvre sur les effets cocktail ? Vont-elles assez loin ou faut-il les mener de manière matricielle et plus approfondie ?

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Votre première question vise finalement à savoir si l'on peut prioriser certaines molécules par rapport à d'autres. Il y a des molécules qui sont mieux connues que d'autres. Parmi les molécules connues, le DDT et le Lindane ont été interdites, d'autres sont encore utilisées. Il y a un gradient inverse entre le degré de connaissance et l'existence de nouvelles molécules. Plus une molécule est nouvelle, moins nous la connaissons, même si les industriels qui la fabriquent la connaissent très bien. Les industriels ne communiquent pas aux scientifiques publics toutes les informations dont ils disposent. Ils connaissent par exemple l'ensemble des produits de transformation, alors que nous ne les détecterons que dans dix ans. Il est donc nécessaire de rendre ce système beaucoup plus transparent.

Par ailleurs, nous testons beaucoup les effets directs des substances, par exemple un fongicide, sur tel ou tel champignon, dans l'eau et dans le sol. Ce sont des informations qui figurent dans l'autorisation de mise sur le marché. En revanche, nous testons beaucoup moins les impacts indirects de ce fongicide, par exemple sur des algues ou sur des animaux, et donc sur l'écosystème. Quel que soit le degré de priorité que nous établirons, nous rencontrerons toujours des difficultés à comprendre les effets de substances à l'échelle des écosystèmes et à déterminer les produits de transformation de ces molécules. Je suis donc très prudent sur l'idée d'agir en priorité sur certains pesticides. En outre, nous devons prendre en compte le problème de la dépendance aux pesticides. Plus nous continuerons à les utiliser, plus nous aurons besoin de molécules de substitution, plus des résistances apparaîtront et plus ils pèseront sur le budget des paysans.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Sur la caractérisation des molécules à partir d'échantillonnages, quelques éléments scientifiques figurent dans la documentation que nous vous remettrons. Vous verrez ce que nous parvenons à doser, avec quelles techniques et selon quel échantillonnage, qu'il soit direct ou indirect. Nous utilisons aussi des capteurs passifs sur les cours d'eau, qui nous permettent de concentrer les substances sur une longue période et donc d'identifier celles dont les niveaux sont extrêmement faibles, que nous ne dosons pas spontanément car nous ne savons quelle substance rechercher, mais qui peuvent avoir un effet sur les milieux et les écosystèmes. Il y a des efforts de recherche sur ce sujet, avec des moyens dédiés, même si les chimistes disent qu'ils ne sont jamais suffisants. Par ailleurs, quand nous trouvons de nouvelles techniques de mesures, nous devons aussi les transférer à ceux qui vont réaliser ces mesures. Il y a aujourd'hui en France un groupement de scientifiques, Aquaref, qui veille à la transposition des procédures de mesure auprès des laboratoires départementaux. C'est un travail essentiel.

Enfin, les effets cocktail sont complexes à mesurer au regard du nombre de substances en entrée. Nous avons l'habitude d'étudier les cocktails les plus fréquemment identifiés mais ce n'est pas évident car nous ne disposons pas de la liste de tous les éléments de base à rechercher.

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Je confirme que nous avons besoin d'approfondir la recherche, donc de temps et de moyens financiers et humains. Il nous faut former des chimistes qui soient en capacité d'appréhender les mesures de la qualité de notre environnement. Aujourd'hui, nous sommes confrontés à la formation d'un nombre insuffisant de chimistes.

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Vous êtes passés assez rapidement sur un point qui me paraît essentiel pour les travaux de notre commission. Ce n'est pas tant la présence dans les eaux qui est importante que la provenance. Vous avez évoqué les peintures sur les bâtiments dont certaines contiennent des herbicides interdits dans l'agriculture mais autorisés dans le bâtiment, malgré l'existence d'alternatives. C'est un point sur lequel notre commission devra s'attarder.

Ce sujet rejoint la polémique qui a éclaté au mois d'avril sur le chlorothalonil dont des résidus ont été retrouvés par l'Anses dans les eaux souterraines. Nous avons à cette occasion appris que le caractère cancérigène de la molécule n'était pas avéré, que les concentrations étaient en deçà des seuils inquiétants mais aussi qu'elle était présente dans les peintures antifouling des bateaux. Il me semble donc très important de savoir d'où viennent les molécules puisqu'il semble qu'elles ne proviennent pas uniquement de l'activité agricole.

Dans le document que vous nous avez fourni, les concentrations en pesticides des eaux souterraines ne semblent pas correspondre à la carte de l'agriculture en France. Pourquoi les concentrations sont-elles parmi les plus importantes en Île-de-France, alors que cette région n'est pas la plus agricole du pays ? Je suis élu de la Gironde, où les tonnages de produits phytosanitaires sont très importants, mais la carte ne montre pas une concentration importante de pesticides dans les eaux de ce département.

Enfin, vous avez dit qu'en 2018, 10 % de la population a été alimentée par des eaux non conformes. Pouvez-vous préciser quelles étaient les molécules concernées et dans quelles proportions ?

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Je vous remercie pour vos interventions. J'ai noté que « l'indice pesticides » avait diminué de 20 % depuis 2008 mais vous avez précisé qu'il ne tenait pas compte de tous les produits de transformation. Est-ce qu'il intègre tous les produits de formulation ou est-il centré sur la matière active, sachant qu'aucun pesticide n'est vendu sans produits de formulation et que malheureusement on ne s'intéresse jamais à ceux-ci ?

Vous avez également évoqué les notions de seuil, notamment celui de 2 microgrammes par litre. Quelle est votre opinion sur cette valeur liée à des seuils de détection et qui n'a pas été établie sur la base de la toxicité sur l'environnement ou sur les macro ou micro-invertébrés ?

Enfin, vous avez fait état de travaux de recherche sur les pesticides et l'agriculture. Que pensez-vous des campagnes de désinsectisation menées autour des cours d'eau dans les zones touristiques pour éliminer les moustiques, qu'ils posent ou non des questions sanitaires ? C'est un sujet qui n'est jamais abordé, pourtant je pense que c'est une source importante de contamination des cours d'eau.

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Je vous remercie, Madame la directrice, pour votre parole forte. J'ai pu lire certains de vos témoignages dans la presse quotidienne régionale et je pense qu'ils sont essentiels pour sensibiliser la population à l'enjeu fort de la ressource en eau. Je suis députée du Finistère, un territoire entre terre et mer. Nous sommes sensibles au lien très fort entre les activités sur terre et leurs répercussions sur la qualité des eaux de nos rivières, de nos rias, de la rade de Brest ou du littoral. Certaines activités, comme la filière ostréicole ou la culture de la coquille Saint-Jacques dans la rade de Brest sont compromises parce que la qualité des eaux est remise en cause dans certaines zones. Comment travaillez-vous avec les collectivités locales sur ce sujet ?

Les enjeux économiques, industriels et environnementaux s'entrechoquent et la gouvernance de l'eau, avec les agences de l'eau, est un sujet sensible. Qui est responsable des non-conformités des eaux ? Quelle échelle de décision serait la plus pertinente pour gérer au mieux cette ressource et sa qualité ? De quels moyens humains avez-vous besoin ? J'entends régulièrement que les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) ne sont pas suffisamment nombreux pour investiguer sur les atteintes à l'environnement et notamment sur la pollution des milieux aquatiques.

Enfin, vous avez évoqué le ruissellement des eaux. Comment pouvons-nous mieux barrer la route aux pesticides et atténuer le ruissellement des eaux de pluie ? Les collectivités sont-elles à la hauteur des enjeux ?

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Tous les biocides ne sont en effet pas soumis à la même réglementation. Pour les biocides utilisés dans un contexte domestique, nous n'anticipons pas leur contact avec l'environnement, avec les eaux ou avec les sols. Cette situation appelle à une réflexion sur l'harmonisation des réglementations dans la mesure où ils suivent une voie similaire à celle qui est observée dans le milieu agricole. Nous devons comprendre comment un pesticide interdit en agriculture peut être utilisé dans le volet domestique et pourquoi personne n'en parle, alors que les concentrations en sortie de façade sont élevées, à peu près similaires à celles que nous trouvons à l'exutoire de certains bassins-versants.

Nous trouvons également le produit de transformation du chlorothalonil, le R-471811, dans les peintures et dans différentes sources. La carte que nous avons présentée a été construite à partir de sources principalement agricoles. Les sources urbaines sont ponctuellement prises en compte, notamment quand des rivières traversent des villes, comme à Paris, à Lille, ou à Strasbourg. Des mesures avant et après ces villes permettent de prendre en compte l'apport de ces sources. Nous sommes désormais en mesure, grâce à différents modèles, de travailler sur du multisources. Par exemple, l'acide aminométhylphosphonique, produit de dégradation du glyphosate, est souvent accusé de provenir de sources urbaines. À travers des techniques analytiques, nous pouvons désormais identifier la source de ces substances. Si elles sont utilisées à la fois en agriculture et dans les milieux urbains, c'est essentiellement dans le milieu agricole que nous les retrouvons.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Les cartes que nous avons présentées sont le résultat d'une compilation des données effectuée par Eaufrance. Certaines zones sont en effet devenues plus rouges, en raison de la hausse des concentrations mais aussi parce que la réglementation a changé, avec l'élargissement du nombre de substances recherchées. Il y a aussi plus de bâti, ce qui se traduit par un impact plus fort des peintures sur les ressources en eau et sur les sols.

Les seuils sont définis à différents niveaux. Nous réalisons des études sur les écosystèmes, ce qui nous permet de définir les seuils à partir desquels nous observons un effet des différentes substances. Ces seuils sont confrontés à ce que nous sommes capables de mesurer dans les milieux de façon générique. Certaines analyses très pointues ne peuvent pas être déployées sur les territoires. Nous travaillons sur les limites de détection et les limites de quantification et nous faisons un compromis entre les effets des substances et ce que nous sommes capables de mesurer. Dans un certain nombre de cas, les seuils ont été définis au niveau européen comme étant ceux de quantification, mais rien n'empêche les États de les descendre s'ils sont capables d'affiner le niveau de mesure. Par conséquent, les seuils sont liés parfois à des effets observés, parfois à des limites de quantification.

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Nous voyons bien la continuité des impacts et des effets, avec des temporalités variables selon la capacité des milieux à absorber les substances. Nous voyons également la continuité terre/mer, les estuaires et l'océan étant les réceptacles finaux de la pollution de l'air et des sols. L'ensemble du cycle de l'eau est donc directement concerné par l'impact des pesticides. Il doit être pris en considération dans les enjeux d'activité en amont et les conséquences que cela peut avoir en aval. Cette situation pose la question des solidarités entre les différents acteurs. Pour appréhender les impacts d'une activité sur une autre, il est nécessaire de connaître les différents usages, non seulement la manière dont les ressources sont mobilisées sur les territoires, mais aussi la qualité nécessaire pour satisfaire les besoins, jusqu'aux besoins essentiels en bout de chaîne, le plus en aval possible. Les usagers doivent donc réfléchir au partage de cette ressource, tant en termes de quantité que de qualité. La notion de bien commun est essentielle et chacun des acteurs doit se la réapproprier. La responsabilité est donc partagée, chacun étant soumis à des obligations réglementaires établies à l'échelle européenne voire internationale, déployées en fonction de critères de rentabilité, de rendement ou de développement. Les récents événements auxquels nous avons été confrontés permettent de passer d'une prise de conscience à une prise de réalité des enjeux en termes environnementaux, s'agissant de l'eau en particulier. Il relève de la responsabilité de chacun, comme individu et comme citoyen, mais aussi comme gestionnaire, entrepreneur ou élu, de prendre en charge cet intérêt pour le commun, de ne plus raisonner pour son intérêt individuel et de répondre à la question « est-ce qu'on est bien quand on a ou quand on est ? ».

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Je vous remercie d'avoir élargi le débat aux produits phytosanitaires aux biocides.

Monsieur Imfeld, j'ai été surpris de vous entendre dire que les industriels qui développent de nouveaux produits ont une bien meilleure connaissance des produits de transformation et de leurs impacts que les chercheurs publics. Je pensais que les procédures d'homologation prévoyaient des obligations d'information des industriels sur le produit, ses effets sur un certain nombre d'espèces cibles, sur ses principaux produits de transformation et leurs effets.

Par ailleurs, votre présentation avait pour objectif de montrer l'impact plus complexe des produits phytosanitaires et de leurs produits de transformation sur le milieu aquatique. Notre commission d'enquête porte sur l'incapacité de la France à réduire ces impacts. Vous avez évoqué la nécessité de parvenir à passer 25 % des surfaces agricoles en agriculture biologique. Pourquoi cet objectif n'est-il pas encore atteint ? Je précise que je suis agriculteur et qu'il existe de vraies difficultés pour convertir une exploitation au bio. Comment pouvons-nous faciliter ces transitions ? Quelles sont les limites du biocontrôle, qui constitue une autre façon de limiter les usages ? Enfin, avez-vous identifié des produits dont les profils de dégradation grâce au métabolisme du sol permettraient de résoudre une partie des problèmes ? Êtes-vous sollicités pour développer des produits dont la dégradation serait quasiment totale ?

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Je vous remercie tous les trois pour vos interventions. Ma question porte sur la qualité des eaux souterraines, notamment lors des forages et des prélèvements d'eau en grande quantité. Je pense notamment aux éoliennes. Des études sont-elles menées avant et après tous les forages, pour connaître la quantité et la qualité des eaux souterraines ? Les zones de stocks risquent-elles d'être mises en danger lors de ces retraits d'eau ?

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Gwenaël Imfeld, directeur de recherche CNRS au sein de l'Institut Terre Environnement de Strasbourg

Dans le cadre de la procédure d'autorisation, les industriels doivent en effet fournir une liste de données très complète mais nous avons du mal à tout comprendre. Certains essais sont réalisés au champ mais ne permettent pas de prendre en compte des mécanismes de long terme. Les substances passent en effet par plusieurs milieux, par plusieurs aquifères complexes, certains avec beaucoup d'oxygène, d'autres avec moins. Il est extrêmement difficile de prévoir ce qui va se passer dans ces différents milieux, en particulier dans les milieux d'interface. Dans les sédiments en étiage, quand il fait très chaud et qu'il y a peu d'oxygène, la dégradation n'est pas la même. Nous ne savons pas non plus si les champignons dégradent les substances de la même façon que les bactéries. Souvent, les industriels disposent de plus d'informations que celles qu'ils communiquent aux acteurs publics.

Les freins à l'agriculture biologique sont bien connus. Il existe une confusion par rapport au label, à ce que nous entendons par agriculture biologique. Il y a aussi la question de la volonté politique. Personne ne dit que c'est la panacée ; néanmoins, d'un point de vue scientifique, c'est le mode d'agriculture écologisée le plus avancé, sur lequel nous avons beaucoup de connaissances. Il permet de préserver la biodiversité. Il y a aussi la question de l'atteinte d'un seuil qui permettrait de développer plus facilement cette filière. 25 % d'agriculture biologique laisse 75 % à l'agriculture de conservation ou à d'autres modes.

De nombreuses substances de biocontrôle sont mises sur le marché et beaucoup de recherches sont nécessaires pour les comprendre, même si elles émanent de substances naturelles. On peut penser qu'elles sont plus facilement dégradées parce qu'elles proviennent de composés actifs naturels ; mais ce n'est pas toujours le cas. Reste la question du travail sur les paysages et de l'élargissement du biocontrôle à la prévention. Il faudrait sans doute en faire une priorité nationale et de la recherche.

La dégradation totale d'une substance, c'est-à-dire la minéralisation, n'existe pas. Il faudrait que la molécule soit active au moment où elle est utilisée puis qu'elle se transforme très rapidement en dioxyde de carbone ou en méthane. Ce serait contradictoire avec l'effet recherché des pesticides qui doivent pouvoir se dégrader mais aussi persister pendant un certain temps sur les cultures. Il y aura donc toujours des traces de ces molécules.

Pour conclure, je pense qu'il faut prévenir le ruissellement et s'interroger sur les raisons pour lesquelles autant de pesticides quittent les parcelles. Il est possible de travailler sur l'agronomie et réduire de manière drastique les pesticides dans les zones les plus vulnérables.

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Tout nouveau forage doit être déclaré et doit faire l'objet d'une étude préalable sur son positionnement, les formations géologiques transférées et le niveau aquifère prélevé. L'ouvrage est également évalué dans son contexte. On regarde quels sont les autres prélèvements dans l'aquifère pour estimer la contribution de ce forage aux volumes qui sont prélevés et voir si les prélèvements sont supérieurs au renouvellement de l'eau. Nous comparons les volumes qui seront prélevés aux volumes prélevables pour essayer de le rendre durable sur le long terme.

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Comment peut-on obtenir les résultats de ces études ? Sous quel délai sont-elles réalisées en amont des travaux ?

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Dominique Darmendrail, directrice du programme scientifique Gesteau – eaux souterraines et changement global, Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)

Les délais dépendent du maître d'ouvrage mais les rapports sont disponibles. Nous préciserons dans la documentation que nous vous transmettrons comment vous pourrez accéder à ces informations. Néanmoins, certains vous diront que l'une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés dans le cadre du plan eau est de connaître l'ensemble des prélèvements sur certains aquifères. Nous cherchons à les identifier et à les mesurer.

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Agathe Euzen, directrice adjointe de l'institut écologie et environnement du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), responsable de la cellule eau du CNRS

Vous avez noté l'importance de mieux connaître les origines et les impacts des substances, en intégrant l'ensemble des processus de transformation et les effets à court, moyen et long termes sur le vivant, c'est-à-dire sur l'environnement mais aussi sur les humains. Il est également nécessaire de mieux encadrer et de mieux harmoniser les différentes réglementations, qui peuvent être appropriées à un produit ou à un secteur mais antinomiques avec la préservation de l'environnement ou de la santé humaine, à l'échelle européenne, comme à l'échelle nationale. Il faut aussi regarder comment ces réglementations se traduisent à l'échelle des territoires. Nous n'avons pas abordé les territoires ultramarins, qui sont confrontés à des réalités bien différentes de celles que nous rencontrons dans l'Hexagone. Il est donc indispensable d'intégrer ces singularités et ces vulnérabilités au système de gouvernances qui sera mis en place.

Nous devons faire évoluer les usages et les pratiques dans tous les secteurs, notamment dans le monde agricole, en facilitant le déploiement de l'agriculture biologique, le partage d'eau, le partage de parcelles ; mais aussi dans le monde industriel et dans le milieu domestique.

Les incendies de forêts sont souvent traités avec de l'eau polluée par des produits chimiques utilisés pour leur faculté à éteindre les feux. Cette utilisation a des conséquences sur les milieux ; nous devons ainsi agir sur le climat pour limiter les événements extrêmes.

Enfin, nos sociétés se sont construites sur la confiance accordée à la chimie, qui répond au besoin de maîtrise de l'humain, sans reconnaître la capacité de la nature à nous rendre des services et à apporter des solutions, en respectant des cycles qui favorisent le maintien de l'harmonie dans les milieux. C'est un point extrêmement important dans l'interconnaissance et dans la représentation que chacun a du milieu, de son intérêt, des usages, du rapport à la ressource, des besoins de l'autre, etc. Les scientifiques croient savoir ce dont vous avez besoin mais si vous ne formulez pas clairement vos attentes, nous ne serons pas en capacité de répondre de façon pertinente à ce dont vous avez besoin, même si chacun a, au regard de son expertise, la connaissance de ce vers quoi il faut aller. Il faut réinstaurer la confiance entre les acteurs. Les scientifiques apportent un certain nombre de connaissances sur lesquelles vous pouvez vous appuyer, sur lesquelles la société peut s'appuyer. Nous avons également des efforts à faire pour mieux transmettre nos connaissances et venir en appui à la décision et à la gestion sur le territoire.

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Je vous remercie pour votre disponibilité et pour la clarté de vos interventions. Je retiens l'approche globale sur laquelle vous venez d'insister, la nécessité d'éviter de fonctionner en silo et de faire dialoguer des acteurs qui n'ont pas forcément l'habitude de partager leurs contraintes.

La commission auditionne M. Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES), et M. Christophe Rosin, adjoint à la directrice du Laboratoire d'hydrologie de Nancy (ANSES).

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Mes chers collègues, nous auditionnons M. Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle sciences pour l'expertise de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), et M. Christophe Rosin, adjoint à la directrice du laboratoire d'hydrologie de Nancy (LHN) de l'Anses.

Je précise que nous auditionnerons d'autres membres de l'Anses et que la présente audition est exclusivement consacrée à l'impact des pesticides sur la qualité de l'eau. Je vous prie donc de ne pas poser de question relative aux modalités de décision de l'Anses s'agissant de l'autorisation de mise sur le marché (AMM) de produits pesticides. Nous aborderons ce sujet ultérieurement.

Je rappelle que cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Matthieu Schuler et Christophe Rosin prêtent successivement serment.)

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Les pesticides, les produits phytopharmaceutiques en particulier, sont des substances actives composées de diverses substances chimiques et éventuellement de coformulants, qui présentent la propriété de subsister, après usage, dans des milieux tels que l'air, l'eau et les aliments. Dans cette perspective, la question peut être posée à l'Anses, pour des raisons réglementaires ou sociétales, de savoir où nous en sommes en matière de graduation des risques relativement au niveau de présence de ces molécules. Tout usage d'un produit – chimique ou non – se diffusant à un moment donné dans l'environnement induit un niveau de présence. Dans le domaine des pesticides et des produits phytopharmaceutiques, toute présence suscite une forte attention sociétale pour en connaître la signification.

S'agissant des produits phytopharmaceutiques, l'Anses intervient de plusieurs façons. Pour ma part, je suis chargé de l'évaluation des risques dans divers milieux. Il faut conserver à l'esprit qu'en matière de gouvernance des risques, qu'il s'agisse des actes d'évaluation et de gestion ou du regard que posent sur eux les citoyens, l'Anses intervient à plusieurs reprises.

En amont, nous intervenons dès qu'il s'agit de déterminer si un nouveau produit phytopharmaceutique doit être autorisé ou si son AMM doit être prolongée. Tant qu'il est utilisé, nous intervenons en appui des agences régionales de santé (ARS) et de nos ministères de tutelle, dès qu'il s'agit de déterminer son niveau de présence dans l'environnement. A posteriori, nous assurons la phytopharmacovigilance, qui est un outil essentiel de tout dispositif de gestion et de gouvernance des risques, en complément des évaluations menées en amont.

Cette exigence d'attention et de vérification est prévue par la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Même si on est certain d'avoir bien fait les choses, il importe de disposer d'un mécanisme de vigilance ex post qui – c'est la spécificité de la phytopharmacovigilance – s'applique à tous les domaines, non seulement à l'eau, mais aussi à l'air ainsi qu'aux effets indésirables sur l'homme et les animaux. Nous exerçons une surveillance très transversale.

À ce propos, les habitudes et les pratiques d'appréhension et de gestion des risques induits par la présence de produits phytosanitaires varient selon le milieu.

S'agissant de l'eau, les textes réglementaires et législatifs, notamment la directive relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, dite directive « eau potable », ainsi que la directive établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau et la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), prévoient des limites de qualité très basses. Elles ne découlent pas d'évaluations scientifiques, mais servent de signaux d'alerte précoce si la ressource en eau est non pas saturée, mais assez chargée d'une substance chimique donnée, dans une proportion de l'ordre de 0,1 microgramme par litre.

S'agissant de la qualité de l'air, c'est le contraire. Les limites réglementaires fixées pour les particules telles que les particules PM10 et PM2,5 sont au-dessus de la cible recommandée par la science, qui est difficile à atteindre, ce qui soulève la question, pour tous les acteurs – porteurs des politiques publiques, élus locaux, particuliers –, de savoir comment y parvenir.

Notre travail, en tant qu'évaluateur de risques ex ante dans le cadre législatif et réglementaire que j'ai rappelé, est d'aider les pouvoirs publics – principalement le ministère des solidarités et de la santé, les acteurs de terrain que sont les ARS et le ministère chargé de l'environnement – à fixer des repères scientifiques et à situer l'exposition aux risques.

Par ailleurs, en tant qu'agence de l'ensemble des santés – ce que nos homologues anglais appellent One health –, nous disposons de laboratoires de référence et de recherche. Ce rôle de laboratoire de référence est essentiel dans le cadre du contrôle sanitaire de l'eau qui, en France, est déployé sous l'égide des ARS par les acteurs techniques que sont les laboratoires. Véritable tour de contrôle, le laboratoire de référence est à la fois un diapason, qui s'assure que tous les laboratoires mesurent avec les mêmes règles et avec la même précision les facteurs de risque dans l'environnement, et une vigie qui regarde un peu au-delà pour identifier les éléments à creuser dans la surveillance de la qualité des eaux, qu'elles soient destinées à la consommation ou à la baignade, en vue d'aider les pouvoirs publics à améliorer leur dispositif de surveillance.

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Comme les huit autres laboratoires de l'Anses, le LHN a un double métier, la recherche et la référence, en vue d'améliorer la qualité sanitaire des eaux de consommation, des eaux minérales et des eaux de loisirs. Laboratoire national de référence (LNR), il favorise la production de données fiables et robustes par les laboratoires agréés, apporte un appui scientifique et technique au ministère des solidarités et de la santé et mène des travaux de recherche et des travaux prospectifs, notamment dans le cadre de campagnes exploratoires pour des polluants encore faiblement surveillés. À ce titre, le LHN a de nombreuses interactions avec les principaux acteurs du contrôle sanitaire des eaux – ministère des solidarités et de la santé, ARS, réseau de laboratoires agréés.

La surveillance des pesticides dans les eaux destinées à la consommation est encadrée par le code de la santé publique et par des arrêtés ministériels récemment révisés en raison de l'adoption de la directive « eau potable ». Le contrôle sanitaire est organisé par les ARS, dans le cadre d'une passation de marchés publics avec des laboratoires agréés, fixant notamment la liste des pesticides qui doivent être surveillés. Ce contrôle réglementaire intervient en deuxième niveau, après la surveillance effectuée par les personnes responsables de la production et de la distribution de l'eau (PRPDE), telles que les communes, les syndicats des eaux et les bénéficiaires d'une délégation de service public (DSP) de l'eau.

Quelques chiffres de ce contrôle sanitaire suffisent à démontrer que l'eau est probablement l'aliment le plus surveillé de France : dans 33 000 captages, 300 000 prélèvements d'échantillons sont réalisés chaque année. Environ 18 millions d'analyses sont menées, dont 11 millions portent sur les pesticides.

Pour mener à bien ce contrôle sanitaire et prendre des mesures de gestion adaptées, nous avons besoin de données robustes et représentatives. Quatre leviers nous permettent de produire des données fiables.

Le premier est la reconnaissance des compétences des laboratoires par le biais d'une accréditation. Aucun laboratoire ne peut faire des contrôles réglementaires s'il n'est pas régulièrement audité et s'il ne justifie pas d'une certaine compétence. Le deuxième est l'agrément que nous délivrons depuis 2021, après avoir vérifié que les performances du laboratoire sont compatibles avec les valeurs réglementaires que nous voulons surveiller, que les méthodes d'analyse sont respectées et que le laboratoire offre des garanties en matière d'indépendance et d'impartialité. Le troisième est l'appui offert par le LNR dans le cadre de l'animation du réseau de laboratoires, sous forme de conseils techniques, de levées de doute en cas de résultats divergents et de propositions de méthodes d'analyse. Le quatrième est la normalisation, notamment par le biais de l'Association française de normalisation (Afnor), en vue d'arrêter des méthodes harmonisées et standardisées, partagées par tous les laboratoires, ce qui permet d'adopter des pratiques homogènes et d'obtenir des résultats comparables.

Ce contrôle sanitaire est évolutif et itératif. Il est basé sur des progrès scientifiques et techniques assez récents. Je l'illustrerai par trois exemples.

J'évoquerai d'abord les produits de dégradation, également appelés métabolites de pesticides, qui sont des molécules issues de leurs substances actives. On considère en général que chaque substance active génère plusieurs métabolites, une dizaine en moyenne. Les métabolites ont la particularité d'être très mobiles et souvent stables dans l'environnement. Dans le bilan annuel de la qualité de l'eau potable publié en 2020, trois des quatre métabolites de pesticides dont la concentration est la plus élevée n'étaient pas surveillés il y a dix ou quinze ans. Les progrès techniques réalisés par les laboratoires permettent de surveiller cette famille de produits de dégradation que l'on recherchait moins bien auparavant.

Par ailleurs, l'amélioration des performances des laboratoires induit un abaissement des limites de détection. Dès lors que nous sommes capables de détecter des teneurs de plus en plus basses, les fréquences de détection augmentent mathématiquement. Il importe donc de garder en perspective les valeurs sanitaires plutôt que les fréquences de détection, qui peuvent présenter un biais. Il est généralement admis que les laboratoires s'améliorent d'un facteur dix tous les dix ans. À l'heure actuelle, ils sont capables de détecter à peu près n'importe quel polluant dans n'importe quelle matrice.

Le dernier axe de progrès réside dans le fait que, si les laboratoires, jusqu'à présent, ne trouvent que ce qu'ils cherchent car ils se concentrent sur certaines molécules, les travaux de recherche en cours développent des approches non ciblées, visant à rechercher sans a priori ni connaissance préalable. Cette méthodologie particulièrement complexe à mettre en œuvre, que les chercheurs s'approprient, ne s'inscrit pas dans le cadre du contrôle réglementaire mais peut lui être très utile. Ainsi, le métabolite R471811 du chlorothalonil, qui a fait couler beaucoup d'encre et a été fréquemment quantifié dans des campagnes exploratoires, a été identifié pour la première fois grâce à une approche non-ciblée.

Ces progrès techniques ont également permis d'établir de nouvelles méthodologies pour les listes de contrôle sanitaire. Si la tendance actuelle est de ne pas rechercher les mêmes molécules dans toutes les régions et dans tous les départements pour tenir compte des spécificités territoriales, l'Anses a été associée à la préconisation méthodologique en faveur d'une harmonisation des pratiques et d'une méthodologie commune pour inclure ou exclure des molécules. Il y a quelques décennies, on avait tendance à surveiller tout ce que le laboratoire savait surveiller, et les listes de pesticides pouvaient inclure 400 ou 500 molécules. De nos jours, l'idée est de chercher moins mais mieux des molécules ciblées en lien avec l'historique des découvertes, avec les autres réseaux de surveillance environnementale alimentant le contrôle sanitaire, avec les activités et les usages agricoles, avec les outils de simulation permettant d'établir des molécules pertinentes, avec les dires d'experts, notamment les alertes de la phytopharmacovigilance, et avec les campagnes exploratoires.

Celles-ci font partie intégrante des missions de l'Anses et spécialement du LHN. Nous mettons périodiquement en œuvre des travaux visant à établir une cartographie de contamination pour des paramètres qui ne sont pas surveillés régulièrement ou pas réglementés. La dernière campagne portant sur les métabolites de pesticides en recherchait une centaine, sur 150 molécules. Les résultats de ces travaux, publiés au printemps dernier, ont mis en évidence certains métabolites très peu surveillés jusqu'à présent. Ils permettent de les introduire progressivement, au fur et à mesure de la montée en compétence des laboratoires, dans les réseaux de surveillance.

En résumé, les progrès analytiques de la dernière décennie ont été très importants. Ils ont permis d'améliorer la connaissance des niveaux de contamination dans l'eau, avec un focus très particulier sur les produits de dégradation, qui sont une famille de mieux en mieux surveillée. Parmi les nombreux enjeux d'avenir, citons les apports des approches non ciblées, qui permettront d'enrichir la surveillance, le devenir des pesticides en réseau de distribution dès lors que les produits de dégradation peuvent réagir avec le chlore et disparaître ou se transformer. Les résultats des 11 millions d'analyses de pesticides menées chaque année doivent être mis en perspective d'une évaluation des risques sanitaires robuste.

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Votre présentation de l'aspect scientifique de votre expertise est précise et complète. À présent, nous aimerions savoir ce que vous trouvez et comment évolue la contamination des eaux par les pesticides et par d'autres micropolluants.

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J'ai particulièrement apprécié la mise en perspective de la présente audition dans le champ de la recherche et des travaux de l'Anses.

Je commencerai par quelques observations de philosophie des sciences.

L'évolution de la capacité à détecter de nouvelles molécules est telle que toute comparaison avec le passé semble difficile. Comment dire qu'il y en a plus ou qu'il y en a moins si l'on ne cherche pas la même chose qu'auparavant ? La question, pour simpliste qu'elle puisse paraître, me semble mériter d'être posée. Pouvons-nous mener des comparaisons sur vingt ou trente ans ? Que valent les indicateurs de fréquence de traitements phytosanitaires (IFT) si l'on ne cherche pas la même chose qu'auparavant ? Il faut mettre à plat ces considérations, sinon elles seront instrumentalisées dans un sens ou dans l'autre, pour diaboliser ou pour dédiaboliser.

Ma deuxième observation serait impertinente si je ne connaissais pas très bien le suivi des produits mis sur le marché et si je n'avais pas défendu les amendements ayant permis de financer le retrait des molécules ayant fait l'objet d'une alerte épidémiologique ou environnementale. La phytopharmacovigilance tient compte, me semble-t-il, du fait que nous n'avons pas toujours connaissance de toutes les données avant la mise sur le marché d'un produit. Certaines ne peuvent être obtenues que dans la vraie vie, grandeur nature ; pour d'autres, nous ne nous sommes pas donné les moyens de les acquérir avant la mise sur le marché. Sur ces questions, il faut trancher.

De façon plus pratique, peut-on, comme nous l'avons entendu lors de la précédente audition, qualifier la recherche de pesticides d'enquête de routine ? En somme, plutôt que cibler, on patrouille et on tombe sur un fait divers. Il s'agit d'une démarche empirique consistant à s'intéresser à ce qui semble dangereux sans préjugés. Peut-on, sur le plan scientifique, parler d'une démarche empirique ?

J'en viens au domaine de l'action publique, qui intéresse particulièrement la commission d'enquête, pour enfin tenir les promesses de la France et de la planète en matière de réduction des pesticides. Parvenez-vous à discerner, parmi les sources des molécules ou des métabolites que vous mesurez, celles qui viennent du milieu agricole et celles qui viennent d'ailleurs ? La question a notamment été posée par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et par le CNRS à propos des biocides utilisés sur les façades. Répondre à cette question permettrait d'éviter les mauvaises controverses sur l'état de la science.

Il existe une pratique consistant à diluer les effets des molécules surveillées pour rendre l'eau potable. Le LHN a-t-il commencé à réfléchir à l'incapacité de diluer les molécules pour rendre l'eau propre à la consommation humaine en raison du phénomène de concentration lié au stress hydrique ?

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

La comparaison avec le passé est très difficile : en 1998, lorsque la directive sur l'eau a instauré la fameuse limite de qualité de 0,1 microgramme par litre, c'était presque le seuil de ce que l'on savait mesurer. C'est pour cette raison que M. Rosin appelait à la prudence : la fréquence de détection d'une molécule est directement liée à la performance technique.

La clef, c'est de s'intéresser à l'évolution longitudinale. C'est ce qui s'est passé pour le S-métolachlore, qui peut rester assez longtemps dans l'environnement et rejoindre les nappes souterraines ; le suivi longitudinal nous a permis de vérifier si les milieux pouvaient absorber cette charge, et s'il y avait un risque, et nous avons estimé que l'utilisation de ce produit entravait la résilience du milieu. Cet exemple illustre aussi le fonctionnement de la pharmacovigilance : l'évaluation ex ante a été faite, l'hypothèse d'un danger était présente, et l'autorisation européenne du S-métolachlore avertissait même qu'une grande vigilance serait nécessaire. L'interdiction ne découle pas d'une absence de préoccupation dans l'autorisation. C'est la pharmacovigilance qui a ensuite mené l'Anses à prendre la décision que vous connaissez.

Notre démarche est-elle complètement empirique ? Il y a une part de capacité technique, bien sûr, mais nous ne lançons pas nos filets complètement au hasard. Dès lors que des contaminants spécifiques posent des problèmes sanitaires, des contrôles sanitaires interviennent : cela a été le cas pour le plomb, lorsqu'il était difficile de suivre l'évolution de l'amélioration du dispositif de distribution, ou pour le chlorure de vinyle monomère, produit cancérogène qui pouvait être relâché par certaines tuyauteries. Nous essayons d'être pragmatiques : nous ne surveillerons pas les mêmes pesticides dans une région où l'élevage prédomine que dans une région où l'on cultive principalement du maïs.

Vous nous demandez s'il est possible de déterminer l'origine des pesticides que nous retrouvons. En règle générale, le spectromètre de masse ne sait pas faire parler la molécule. Prenons l'exemple de l'Ampa (acide aminométhylphosphonique), qui est un métabolite du glyphosate, mais aussi un produit de transformation de certaines substances détergentes ou biocides : nous ne saurons pas dire si l'Ampa retrouvé dans une masse d'eau provient d'un pesticide, d'un biocide ou d'un détergent. Dans certains cas peu fréquents, il existe des signatures ; pour les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), la proportion des différents HAP dans la famille permet d'orienter vers une usine d'incinération ou vers la combustion d'un moteur de véhicule, par exemple. Mais rien ne permet de remonter à la source d'une substance isolée. Seule l'enquête sur l'utilisation d'un produit dans un territoire peut nous renseigner. Les agriculteurs ont l'obligation de consigner dans un carnet les traitements qu'ils font, mais nous n'avons pas accès à ces données de manière automatisée, ce qui rend le récolement et donc la mise en perspective compliqués.

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Tracer l'origine d'une contamination est en effet compliqué. Quand on parle d'un captage d'eau potable, nous le surveillerons quel que soit son environnement. Du côté de la surveillance environnementale, il y a peut-être des leviers supplémentaires parce que les points d'échantillonnage des réseaux de surveillance sont orientés en fonction des contaminations industrielles, anthropiques, agricoles ; une approche statistique des contrôles environnementaux apporterait des éléments de réponse. On pourrait aussi faire l'hypothèse que les adjuvants et les coformulants pourraient nous aider à tracer certaines activités – mais nous sommes là dans le domaine de la recherche et non du contrôle réglementaire.

S'agissant des comparaisons dans le temps, ce n'est malheureusement possible que pour des molécules déjà surveillées il y a dix ou quinze ans. Les spectres de recherche sont si différents qu'il ne sert à rien de comparer les listes de pesticides actuelles avec celles d'il y a quinze ans.

Le stress hydrique est en effet un enjeu majeur. L'Anses en a fait une priorité.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Le stress hydrique est déjà une préoccupation importante des producteurs d'eau : lorsqu'ils ont plusieurs captages, ils doivent parfois les mixer pour atteindre une qualité suffisante. Nous avons examiné des dossiers d'autorisation exceptionnelle dans lesquels les quatre ou cinq captages étaient déjà saturés par un contaminant précis, et où il apparaissait important d'en ouvrir davantage ou de mieux protéger les captages existants.

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Confirmez-vous que nous ne connaissons pas tous les métabolites présents dans nos eaux ? Est-ce grave ? Y a-t-il un risque pour notre santé ?

Eu égard à l'efficacité attendue du travail de régulation et de protection des populations confié à l'Anses, comment voyez-vous la réalité de la pollution massive des masses d'eau et de la chute de la biodiversité, toutes deux bien documentées scientifiquement ?

M. Imfeld, directeur de recherche au CNRS, nous a dit : « On ne sait pas tout, mais la connaissance permet des décisions préventives sans regret. » Qu'en pensez-vous ?

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Prétendre à une connaissance exhaustive des métabolites serait prométhéen ! Hier, nous contrôlions surtout les substances actives ; aujourd'hui, nous progressons vers une meilleure connaissance des métabolites. L'enjeu, c'est de savoir lesquels sont pertinents et présentent un risque sanitaire. On doit se poser la question d'une éventuelle toxicité documentée en amont.

Pour que le niveau de protection soit satisfaisant, nous disposons de différents éléments : la limite réglementaire de qualité, je l'ai dit, est de 0,1 microgramme par litre pour un pesticide ou un métabolite pertinent, et le seuil de cumul est de 0,5 microgramme par litre. Ces deux paramètres sont examinés en même temps pour estimer si la masse d'eau considérée se dégrade ou pas.

La présence d'un nombre important de substances chimiques dans les masses d'eau est une réalité. Il me paraît moins évident de parler de « pollution massive », si l'on considère les risques que peuvent présenter ces masses d'eau. Le contrôle sanitaire, dont l'importance a été rappelée tout à l'heure, vise à donner une image aussi précise que possible des éventuels enjeux sanitaires, et à permettre d'agir dès lors que les conditions de sécurité ne sont plus réunies – notamment pour imposer des restrictions de consommation. Celles-ci ne sont pas des décisions prises à la légère : du point de vue sanitaire, distribuer de l'eau dans des bouteilles en plastique n'est évidemment pas satisfaisant.

Une expertise collective confiée à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer) a réaffirmé un constat connu : la biodiversité est en danger, sous l'effet de nombreux facteurs, dont les produits phytopharmaceutiques font à l'évidence partie, mais qui comprennent aussi le stress physique ou abiotique, ou l'évolution des sphères d'occupation de l'homme, c'est-à-dire la part d'activité anthropique dans un territoire. Aujourd'hui, nous disposons d'une évaluation en amont de l'écotoxicité. Nous aimerions arriver à construire des modèles prédictifs afin d'améliorer notre prise de décision d'autorisation d'une substance. Nous entendons y travailler avec des acteurs comme l'Inrae ou l'Ifremer, donc des acteurs du monde de la recherche, et différentes agences européennes.

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Monsieur Rosin, le laboratoire d'hydrologie de l'Anses a publié en mars 2023 une étude de l'eau distribuée en France et destinée à la consommation humaine. Cette étude peut inquiéter ; elle relève notamment la présence dans ces eaux de chlorothalonil R471811, résidu d'un fongicide aujourd'hui interdit : tout le Bassin parisien est concerné. Si l'on en croit le syndicat des eaux d'Île-de-France, 3 millions d'usagers reçoivent aujourd'hui une eau dont la teneur en chlorothalonil R471811 est quatre à cinq fois supérieure au seuil réglementaire. Vous faisiez également état de la présence d'un autre métabolite, cette fois du S-métolachlore, classé comme cancérogène et suspecté d'être un perturbateur endocrinien. Vous vous arrêtez encore sur le 1,4-dioxane, produit cancérogène retrouvé dans 8 % des échantillons. Aucun seuil réglementaire n'a été fixé pour ce produit, au niveau national ou européen, mais certains pays comme l'Allemagne le limitent à 1 microgramme par litre ; or vous avez parfois trouvé des concentrations de 4,8 microgrammes par litre.

Au total, d'après votre rapport, un tiers de l'eau distribuée en France est contaminée par un pesticide.

Vous avez bien expliqué qu'il est souvent difficile de déterminer l'origine d'un métabolite. Pouvez-vous cependant confirmer que c'est l'agriculture intensive qui est majoritairement responsable de cette contamination des eaux qui coulent du robinet des Français ?

Avez-vous enregistré une amélioration de la qualité des eaux à la suite des plans Écophyto ?

Enfin, les Françaises et les Français ont-ils des raisons d'être prudents, voire inquiets, en ce qui concerne leur consommation d'eau du robinet ?

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Ce rapport résulte d'une campagne exploratoire destinée à rechercher dans l'eau de consommation certains polluants, identifiés dans la bibliographie ou grâce à des alertes de pays voisins, afin d'améliorer nos connaissances et d'instaurer, au besoin, des contrôles réguliers. La fréquence de la présence de 1,4-dioxane fait en effet partie des faits marquants de ce rapport – nous nous écartons ici des produits phytosanitaires, puisqu'il est question d'un solvant industriel. Le ministère de la santé est saisi et des travaux d'évaluation des risques sont en cours pour établir une valeur guide, dont nous ne disposons pas encore. La valeur maximale trouvée était en effet de 4,8 microgrammes par litre ; l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une valeur inférieure à 50 microgrammes par litre, quand certains États américains interdisent de dépasser 0,3 microgramme par litre. Un travail de fond de toxicologie est donc nécessaire.

S'agissant des produits phytosanitaires, le chlorothalonil R471811 a été la grande surprise de cette étude, avec des fréquences de dépassement assez importantes – qu'il faut un peu relativiser, puisque notre plan d'échantillonnage visait principalement des sites vulnérables aux pesticides : cela rend difficile une extrapolation à l'ensemble de l'eau distribuée en France. Pour savoir ce qu'il en est à l'échelle nationale, il faudra attendre que ce produit soit intégré aux contrôles sanitaires.

Le chlorothalonil est un fongicide qui a été très largement utilisé, pour de nombreuses cultures et des usages multiples, pendant plus de cinquante ans, et à des tonnages importants. Il y a en effet un lien avec l'activité agricole.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Quatre à cinq fois au-dessus des seuils réglementaires, cela paraît beaucoup, mais les seuils réglementaires sont des conventions qui visent à protéger la ressource et donc à nous aider à nous poser les bonnes questions le plus tôt possible. Le dépassement d'un seuil est un signal d'attention, de mobilisation ; c'est le moment où nous devons nous demander si les captages sont suffisamment protégés, par exemple. Ce n'est évidemment pas une situation satisfaisante : il faut revenir sous le seuil réglementaire. Mais ce n'est pas forcément inquiétant sur le plan sanitaire.

Le S-métolachlore est une substance active classée comme cancérogène de niveau 2, au sens de l'Agence européenne des produits chimiques (Echa) : cela veut dire que nous disposons de données, notamment sur des animaux, qui laissent penser que ce produit est cancérogène. Les produits phytopharmaceutiques ne sont pas autorisés lorsqu'ils sont classés comme cancérogènes de niveau 1 : nous pourrons y revenir lors de la prochaine audition de l'Anses.

Je ne sais pas répondre à votre question sur la manière dont le plan Écophyto se concrétise. Nous n'avons pas fait d'études sur les dynamiques observées après le retrait d'une substance ; il est évident qu'on la trouvera de moins en moins, mais la descente sera plus ou moins rapide selon la vitesse de dégradation de la molécule. Si l'Anses a récemment demandé le retrait du S-métolachlore, c'est parce que la dégradation est lente. Nous y reviendrons certainement lors de la prochaine audition.

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Je note dans votre réponse un point qui pourrait nous inquiéter : les seuils réglementaires existent mais ne servent pas forcément à grand-chose, et semblent même relever d'une certaine subjectivité, comme le montrent les cas d'autres pays que vous prenez. Le citoyen peut s'interroger. Comment sont établis ces seuils ? Les Allemands sont-ils bien plus prudents que nous, sommes-nous laxistes ?

Vous n'avez pas répondu à ma question sur le rôle de l'agriculture dans la pollution des eaux ; j'ai compris que vous ne pouvez peut-être pas y répondre avec une grande précision, mais j'aimerais vous entendre.

Ma question sur les plans Écophyto visait simplement à savoir si vous avez constaté dans vos données, depuis vingt ans, des évolutions significatives – alors que nous constatons plutôt une utilisation toujours croissante de pesticides.

Je me permets enfin de poser à nouveau cette question : les Françaises et les Français qui nous écoutent doivent-ils s'inquiéter, ou à tout le moins se montrer prudents, lorsqu'ils consomment de l'eau du robinet ?

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Merci pour vos travaux. J'aimerais vous interroger sur la fermeture de captages d'eau : dans quelles conditions ces décisions sont-elles prises, et pour quelles raisons ? Quelles sont les conséquences sur les ressources en eau potable de nos territoires lorsque l'on ferme un captage, y compris en période de sécheresse ?

Comment vos données sont-elles utilisées par les services de l'État, les préfets notamment, mais aussi par les collectivités locales ? Vos études sont-elles suffisamment exploitées lorsqu'il s'agit de préserver la qualité de notre eau ?

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Pour répondre à cette dernière question, je vous dirai que ces travaux exploratoires ont pour objectif de dresser un premier état des lieux. C'est un levier qui permettra d'améliorer la surveillance des pesticides. Ainsi, le chlorothalonil R471811 n'était quasiment pas recherché jusqu'à maintenant dans d'autres pays européens ; c'est à partir d'une étude suisse que nous nous sommes penchés sur ce cas. Nous estimons aujourd'hui qu'il faut aider les laboratoires à développer des méthodes de détection et introduire progressivement cette molécule dans le contrôle sanitaire.

Nous pourrons ainsi répondre à la question sur l'impact de l'interdiction d'usage du chlorothalonil en 2020 : y a-t-il une décroissance, et à quel rythme ? Aujourd'hui, il est malheureusement trop tôt.

Concernant le seuil de 0,1 microgramme par litre, c'est une valeur de gestion et non une valeur sanitaire. L'objectif est de préserver la ressource. D'autres valeurs repères sont utilisées, les Vmax – valeurs sanitaires maximales. Lorsqu'elles ne sont pas disponibles, ce qui est le cas pour le chlorothalonil R471811, le ministère de la santé peut s'appuyer sur les valeurs sanitaires allemandes, dans l'attente de données de toxicité plus robustes.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Les fermetures de captages d'eau sont des décisions locales, dans lesquelles l'Anses n'intervient pas directement ; mais elles résultent d'éléments issus de la surveillance, soit du responsable de la distribution d'eau – c'est le premier niveau – soit du contrôle sanitaire.

Je vais répondre clairement à votre question sur l'eau du robinet en France : les agences régionales de santé, en lien avec les préfectures, la direction générale de la santé et l'Anses prennent des décisions précautionneuses. À mon sens, les suspensions de distribution sont décidées de manière précoce, et parfois plutôt parce que l'on manque de données pour démontrer la sécurité que parce qu'un vrai problème de sécurité a surgi. Je vous renvoie au rapport annuel de la direction générale de la santé sur la qualité de l'eau.

Mon collègue a évoqué les valeurs allemandes, qu'il est logique d'utiliser en l'absence de valeurs de référence françaises, pour ne pas recommencer un travail déjà fait. J'ajoute toutefois que la pratique est différente en Allemagne : ces valeurs ne sont pas des couperets, qui conduiraient à fermer l'eau ; ce sont des signaux d'attention, qui appellent des actions qui visent à revenir à un niveau conforme à la réglementation européenne. Quant au seuil de 0,1 microgramme par litre, je précise qu'il est européen.

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J'attends toujours les réponses sur la responsabilité de l'agriculture intensive et sur les inquiétudes que pourraient nourrir les Français à propos de l'eau du robinet – ou pas.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Sur la consommation d'eau, je pense avoir été clair : à mon sens, les producteurs d'eau et les décideurs publics agissent très en amont ; l'eau est distribuée de manière sûre.

S'agissant de l'agriculture, je n'ai pas de boule de cristal. L'Anses n'a pas quantifié les différentes provenances des produits concernés, ni leur rôle sanitaire comme environnemental.

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Vous avez parlé de 300 000 points de prélèvement, et expliqué qu'ils étaient choisis en tenant compte de ce que vous savez du territoire. Peut-on conclure que le tableau général est sans doute moins noir que celui que vous présentez ?

Comment procède-t-on dans les pays voisins ? Choisit-on aussi de surveiller certaines molécules, ou bien les pratiques sont-elles différentes, et cela change-t-il l'interprétation des résultats ?

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Nous réalisons 300 000 prélèvements par an dans le cadre du contrôle sanitaire ; dans nos campagnes exploratoires, nous choisissons beaucoup plus modestement 300 sites, et c'est pourquoi nous n'avons pas la prétention de présenter une photo très précise. Ces travaux exploratoires alimentent notre action en matière de contrôle sanitaire.

Nous n'avons pas à rougir de notre travail prospectif sur les produits de dégradation de pesticides et de leur ajout à nos contrôles réglementaires. Nous sommes sur ce point plutôt en avance par rapport à nos voisins européens.

S'agissant enfin de l'inquiétude au sujet de l'eau du robinet, je rappelle que l'eau contribue modestement à l'exposition de la population aux pesticides – de l'ordre de 5 %, selon des travaux de l'Anses publiés il y a quelques années. L'ensemble de nos résultats sur le chlorothalonil R471811 sont en outre inférieurs à la valeur sanitaire transitoire établie par l'Allemagne et reprise pour la gestion en France.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

À l'alimentation. Lorsqu'on veut déterminer une Vmax, nous nous posons la question de l'exposition totale par ingestion. Par observation rétrospective, on attribue moins de 5 % à l'eau, et le reste à l'alimentation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans un article du Point, monsieur Rosin, vous déclariez que « si nous n'avons pas de valeur sanitaire, l'Allemagne a établi un seuil de gestion pour cette molécule de 3 microgrammes par litre […] C'est donc plutôt rassurant, car la valeur la plus élevée que nous ayons mesurée était de 2 microgrammes par litre, c'est-à-dire inférieure au seuil de gestion allemand. »

Pouvez-vous nous confirmer, pour répondre à la question sur l'agriculture de M. Caron, qu'on retrouve aussi cette molécule dans les peintures antifouling des bateaux ? D'après ce même article, un seul pot de peinture suffirait à expliquer des quantités importantes de chlorothalonil.

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Christophe Rosin, adjoint à la directrice du LHN de l'Anses

Les valeurs constatées lors de cette campagne exploratoire sont en effet systématiquement inférieures aux valeurs transitoires allemandes, reprises par la France. S'agissant des peintures antifouling, je n'ai pas d'élément de réponse. C'est un sujet phare de cette étude : les questions sur cette molécule, sur son devenir dans les réseaux de distribution et sur le rythme à laquelle elle disparaîtra sont nombreuses. Nous n'avons pas le recul suffisant pour y répondre, y compris du point de vue sanitaire puisque nous n'avons pas encore de Vmax.

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Matthieu Schuler, directeur général délégué du pôle Sciences pour l'Expertise à l'Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES)

Les acteurs de la gestion de l'eau sont nombreux : agences régionales de santé, laboratoires… Le laboratoire d'hydrologie de Nancy joue un rôle de diapason – mesurons-nous tous bien la même chose ? – et de vigie – les plans de contrôle appliqués tant par ceux qui distribuent l'eau que par ceux qui les surveillent doivent-ils être complétés ?

L'Anses joue aussi un rôle en matière d'évaluation du risque. En matière de gestion de l'eau, les seuils, je le redis, sont précoces, car l'eau accumule longtemps et il est important de s'assurer de la qualité des masses d'eau avant qu'elle ne soit problématique ou ne présente un risque pour l'environnement pour l'homme. En cas de dépassement, l'Anses peut être à nouveau sollicitée, notamment par la direction générale de la santé, et être amenée à donner des repères, par exemple au sujet de produits de dégradation, initialement moins étudiés que les produits de départ. Lorsque ces repères doivent être établis très rapidement, parce que les décisions entraînent de lourdes conséquences, nous n'hésitons pas à regarder ce qui se fait chez nos voisins, notamment allemands ; le Umwelt Bundesamt (UBA) travaille de manière analogue à la nôtre. Nous essayons d'apporter aux pouvoirs publics la réponse la plus précise possible.

Lorsque nos scientifiques se posent des questions sur la toxicité d'un métabolite, ils regardent de près les données fournies par les industriels, lorsque les substances actives sont encore autorisées, pour estimer si un métabolite est pertinent, s'il ne l'est pas ou s'il a cessé de l'être – ce qui a été le cas pour le S-métolachlore.

Je voudrais soulever un dernier point de réflexion. Les substances actives peuvent devenir orphelines : n'étant plus autorisées, elles n'ont plus de responsable réglementaire. Pour les sites et sols pollués dont le propriétaire a mis la clef sous la porte, il existe une procédure qui permet de répondre aux questions de sécurité sanitaire ; dans le cas des pollutions radioactives, cela repose sur la Commission nationale des aides dans le domaine radioactif (Cnar). On pourrait imaginer un mécanisme similaire pour le cas des substances actives interdites ou qui n'ont plus de pétitionnaire : lorsqu'il s'agit d'établir une Vmax robuste ou de conforter ou pas une décision prise par une ARS ou un préfet pour limiter la consommation d'eau, cette procédure permettrait de collecter de la donnée scientifique pertinente afin que la décision publique soit prise au plus près de la réalité des risques.

La séance s'achève à treize heures cinq.

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Anne-Laure Babault, M. Aymeric Caron, M. Paul Christophe, M. Frédéric Descrozaille, M. Grégoire de Fournas, M. Jean-Luc Fugit, Mme Marine Hamelet, Mme Laurence Heydel Grillere, Mme Mathilde Hignet, M. Éric Martineau, Mme Marie Pochon, M. Dominique Potier, M. Loïc Prud'homme, Mme Mélanie Thomin, M. Nicolas Turquois

Excusé. – Mme Claire Pitollat