Mercredi 25 janvier 2023
La séance est ouverte à 17 heures
(Présidence de M. Raphaël Schellenberger, président de la commission)
La commission procède aujourd'hui à l'audition des organisations syndicales représentatives, et plus particulièrement des fédérations dédiées au secteur de l'énergie. Nous vous remercions d'avoir répondu favorablement à notre invitation. Le contexte actuel, notamment marqué par l'augmentation des prix de l'énergie, constitue nécessairement un élément de préoccupation pour vos organisations.
L'objet des travaux de notre commission porte sur les raisons de la situation que nous connaissons actuellement. Le rapporteur vous a adressé un questionnaire sur lequel vous pourrez appuyer vos propos liminaires.
L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »
(MM. Jacky Chorin, Alexandre Grillat, Julien Lambert et Christophe Béguinet, prêtent serment.)
Je tiens à remercier tous ceux qui ont proposé la constitution de cette commission d'enquête, dont la pertinence paraît chaque jour plus évidente. Pour Force Ouvrière (FO), la souveraineté énergétique repose sur la réunion de trois éléments : disposer de moyens de production, en particulier pilotables, suffisants pour assurer la sécurité d'approvisionnement de notre pays ; garantir un prix compétitif aux Français, ménages et industriels ; assurer un service public, hors des zones de desserte des entreprises locales de distribution (ELD), par un EDF fort et intégré, grâce à un contrat clair passé avec l'État et débattu au Parlement.
En 2004, lorsque j'ai été élu pour la première fois à son conseil d'administration, EDF était un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) intégré. Il offrait une sécurité d'approvisionnement et des prix beaucoup plus compétitifs que ceux de l'Allemagne.
Aujourd'hui, la sécurité d'approvisionnement de notre pays est remise en cause, les entreprises sont étranglées par la hausse des prix de l'électricité et la Commission de régulation d'énergie (CRE) en vient à formuler une proposition ahurissante visant à augmenter de 100 % le tarif réglementé de vente pour les consommateurs domestiques.
Votre Commission présente le mérite de permettre un début de bilan de la déréglementation, que les syndicats ne cessent de réclamer. FO voit deux raisons principales à cette situation : d'une part, l'introduction de la concurrence par l'Europe ; et d'autre part, un certain nombre de décisions néfastes prises par les gouvernements successifs.
Après avoir écouté nombre des intervenants devant votre Commission, FO constate que beaucoup d'entre eux rejoignent les syndicats pour considérer que la concurrence est absurde dans l'électricité. Yves Bréchet, ancien Haut-Commissaire à l'énergie atomique, a ainsi indiqué que « c'est une erreur fondamentale de penser que l'on peut faire un marché d'un bien non stockable », ajoutant qu'« on a fabriqué un outil qui est un outil de spéculation pure. On a fait gagner de l'argent à des gens qui n'ont pas produit un électron ».
De même, plusieurs intervenants, notamment Henri Proglio, estiment que cette concurrence a été l'outil de la Commission européenne et de l'Allemagne pour casser EDF et la découper en morceaux, afin de fragiliser le nucléaire et l'hydraulique. FO partage cette analyse. EDF a été, en effet, une véritable obsession de la Commission, comme en témoigne sa mise en demeure de 2015 contre la France sur l'hydraulique, au motif qu'EDF n'avait pas perdu encore assez de parts de marché.
Il est vrai aussi que les gouvernements français successifs ont aussi une lourde responsabilité dans ce désastre. Ils ont d'abord voté la concurrence en Europe et, quand les prix ont augmenté, ils ont mis en place des mesures ouvertement contraires aux engagements pris, suscitant en retour des réactions de la Commission.
C'est par exemple à la fin du second mandat de Jacques Chirac, fin 2006, qu'a été créé le tarif réglementé et transitoire d'ajustement au marché (TARTAM), tarif de retour au marché pour les entreprises, qui devaient faire face déjà à une hausse des prix de l'électricité. Les mêmes avaient pourtant voté l'ouverture des marchés en 2004. La conséquence a été redoutable : la Commission a menacé d'intenter des procès contre la France et le gouvernement Fillon s'est finalement incliné sans combattre, avec la loi sur la nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME) de 2010.
Ce texte institue cette machine infernale contre EDF qu'est l'accès régulé à l'énergie nucléaire historique (ARENH) en créant de toutes pièces une concurrence factice, puisqu'EDF est contrainte d'aider ses concurrents, qui plus est avec un prix bloqué à 42 euros du fait de la Commission européenne. En conséquence, Jean-Bernard Lévy l'a rappelé, la dette augmente mécaniquement de 3 à 4 milliards par an.
Cette loi a aussi prévu deux autres dispositions structurantes et désastreuses applicables à partir de 2016. La première a mis fin aux tarifs jaune et vert pour les industriels, rejetés dans la main invisible du marché. Ces entreprises sont victimes de ce lien, dénoncé par tous, établi au niveau européen entre le marché du gaz et celui de l'électricité. La seconde concerne le mode de calcul des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) pour les consommateurs domestiques et les TPE : avec le principe de contestabilité, le niveau des TRVE n'est plus fixé en fonction du coût de production d'EDF, mais de la capacité des fournisseurs alternatifs à concurrencer EDF. Il s'agit là d'une absurdité, dénoncée par l'Autorité de la concurrence. Les promoteurs de la concurrence avaient prétendu que celle-ci ferait diminuer les prix, le résultat est inverse : on augmente les prix que la concurrence subsiste.
Comme je l'ai déjà indiqué, la CRE propose d'accroître les TRVE de 100 %, alors que les coûts du mix électrique français ont très faiblement augmenté. Même si le gouvernement limite la hausse à 15 %, celle-ci sera reportée sur les années suivantes.
Pour sortir de cette impasse qui broie notre pays, la seule solution consiste à reprendre notre souveraineté et à revenir à une fixation des tarifs en fonction du coût du mix électrique français, pour tous les Français. Du reste, l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), trop souvent oublié, indique que le marché intérieur « n'affecte pas le choix d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie ».
Les Allemands ont décidé de promouvoir une Energiewende fondée sur un mix fossiles/EnR qui fragilise toute l'Europe. Mais ils ne doivent pas demander à notre pays, qui a opéré des choix judicieux, de compenser la perte de compétitivité des industriels allemands en augmentant les prix payés par les Français. En effet, si le choix de la France en faveur du nucléaire ne se traduisait pas par des prix le prenant en compte, l'adhésion des Français à cette énergie indispensable pour respecter notre trajectoire bas carbone et la sécurité d'approvisionnement de notre pays risquerait de se fragiliser.
Par ailleurs, nous contestons vigoureusement les propos de Bruno Le Maire selon lequel, « si on était sortis aujourd'hui du marché européen de l'énergie, nous n'aurions pas eu l'électricité allemande dont nous avons eu besoin pour faire tourner les fours des boulangers ». Les interconnexions ont existé bien avant le marché européen ; elles existent aussi avec des pays qui sont en dehors de l'Union. De plus, à l'exception de la période récente, la France est structurellement exportatrice d'électricité. Il est inutile de faire peur aux Français en faussant sciemment le débat : ce sont bien les pays alentour qui ont besoin la plupart du temps de notre électricité et non l'inverse.
Le retour à un tarif de l'électricité fondé sur le coût du mix français est donc le point majeur pour assurer notre souveraineté énergétique. L'État touche aujourd'hui les limites de ce qu'il peut faire en termes de bouclier tarifaire, simplement parce que nous appliquons des règles de marché absurdes. Il est donc urgent de modifier ces règles et de suspendre l'ARENH, suspension explicitement prévue par le Code de l'énergie en cas de circonstances exceptionnelles.
Mais il nous faut aller plus loin encore. La Commission a fait de la promotion des énergies renouvelables (EnR) intermittentes l'alpha et l'oméga de la politique européenne, au point que des objectifs toujours plus élevés sont proposés. Paradoxalement, la France va être condamnée à une amende de 500 millions d'euros pour ne pas avoir respecté ses objectifs en matière d'EnR, alors qu'elle est bien plus vertueuse que la plupart des autres pays européens en matière d'émissions de CO2. Cette plaisanterie doit cesser. Notre objectif commun consiste à protéger la planète et non à implanter des éoliennes partout, avec des moyens de production non pilotables qui n'assurent pas la sécurité d'approvisionnement de notre pays.
La Commission européenne s'est alignée là encore sur les positions anti-nucléaires allemandes, mais nous ne pouvons en rester là et il faut maintenant mettre en avant des objectifs de moyens de production bas carbone, dont le nucléaire est l'élément principal et non des objectifs fondés sur les seules EnR.
Au demeurant, le manque de résistance du gouvernement sur ce sujet s'explique sans doute par le fait que la conversion pro-nucléaire du Président de la République est récente. Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron a mis ses pas dans les orientations désastreuses de François Hollande, en fermant Fessenheim, en arrêtant le projet Astrid, en faisant voter une loi pour fermer quatorze réacteurs d'ici 2035, certes avec une échéance reportée de dix années, et en maintenant l'objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique.
Certes, le Président a fait volte-face dans son discours de Belfort il y a un an. FO soutient évidemment l'annonce d'un programme d'EPR 2, souhaitant qu'il soit mené jusqu'à quatorze réacteurs. Nous voulons également le prolongement des centrales existantes et rejetons la fermeture de centrales pour des raisons politiques. Pour autant, nous avons perdu cinq ans et la gestion de ce dossier lors du premier mandat a fragilisé notre filière nucléaire. Je rappelle qu'il s'agit là de la troisième filière industrielle de France avec 220 000 travailleurs. Vous me permettrez, à ce sujet, d'avoir une pensée pour les salariés de Fessenheim, qui ont assuré jusqu'au bout un service public exemplaire et qui ont été sacrifiés sur l'autel d'une idéologie prétendument verte.
Ensuite, l'hydraulique est, de loin, la première énergie renouvelable de France, verte et pilotable. Sur ce point, le bilan des gouvernements successifs est également mauvais, puisque les investissements sont bloqués alors qu'EDF estime pouvoir développer trois à cinq gigawatts supplémentaires en dix ans. Depuis 2006, les gouvernements se sont inscrits dans l'ouverture à la concurrence demandée par l'Europe. Il y a là encore matière à scandale, car il est essentiel de maintenir l'hydraulique au sein d'une EDF intégrée avec une optimisation amont-aval telle qu'elle existe aujourd'hui, plutôt que d'initier une nouvelle destruction-désoptimisation de l'entreprise comme le prévoyait le projet Hercule.
Lorsque la loi française de 2015 a permis de prolonger certaines concessions existantes contre des travaux, la Commission a refusé le projet EDF de la Truyère pourtant fondé sur des objectifs de transition énergétique, au motif que cela n'était pas permis par la directive Concessions. Un important potentiel hydroélectrique, énergie renouvelable, n'est pas exploité uniquement pour des raisons idéologiques.
Il importe donc de régler rapidement cette question dans l'intérêt général et de renoncer à la mise en concurrence des concessions hydroélectriques, tout en préservant l'intégrité d'EDF, qui passe par le rejet du plan Hercule et du Grand EDF. Il faut reconstruire un service public ; les salariés n'en peuvent plus de toutes ces décisions erratiques, qu'elles viennent de l'Europe ou de la France.
Malgré cette casse programmée et les milliards d'euros dépensés pour détricoter ce système intégré qui fonctionnait parfaitement, les salariés ont continué à assurer un service public de qualité dans des conditions de plus en plus difficiles. Mais quand ils voient les résultats de ce gâchis, ils sont écœurés.
Travailler pour des concurrents qui s'en mettent plein les poches grâce à l'ARENH sans prendre aucun risque ne doit plus être l'avenir du service public de l'électricité, si nécessaire à notre pays. Voir les entreprises mettre la clé sous la porte en raison de la hausse faramineuse des tarifs électriques, alors que le coût du mix électrique français est resté pratiquement stable n'est pas soutenable. L'État assaille EDF d'injonctions contradictoires, le paroxysme étant la décision inique du gouvernement d'augmenter le plafond de l'ARENH alors qu'EDF avait soldé ses positions, ce qui a entraîné une perte de 10 milliards d'EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement).
Les directions successives d'EDF ne sont évidemment pas exemptes de toute critique, qu'il s'agisse des investissements internationaux sous la présidence de Pierre Gadonneix ou du projet d'Hinkley Point C (HPC) sous Jean-Bernard Lévy, qui a été finalement payé sur les fonds propres d'EDF.
Aujourd'hui, nous avons véritablement besoin d'un État qui soit à l'écoute, qui retrouve la voie du service public et qui dise enfin à EDF ce qu'il attend d'elle, par exemple au travers d'un contrat de service public qui devrait être débattu au Parlement.
C'est pourquoi FO demande les éléments suivants : la suspension immédiate de l'ARENH avant son abandon pur et simple ; la fin de la concurrence dans les concessions hydroélectriques pour débloquer les investissements nécessaires ; la transformation des objectifs de moyen de production renouvelables en objectifs incluant toutes les énergies bas carbone ; l'application sans délai de la relance du nucléaire annoncée à Belfort ; l'instauration d'un tarif de l'électricité fondé sur le coût du mix électrique français.
Force Ouvrière soutient en outre la proposition de loi de nationalisation d'EDF émise par le député Brun, garantissant le caractère intégré d'EDF, premier pas vers le retour à l'EPIC. En effet, en dehors des zones de desserte des entreprises locales de distribution, le service public de l'électricité est porté par EDF. En conséquence, tout affaiblissement d'EDF affaiblit ce service public.
Mesdames, Messieurs, le gouvernement s'est rendu compte que la mise en bourse d'EDF décidée en 2004 était une erreur. Il ne lui reste donc plus qu'à reconnaître que la concurrence est aussi un échec et que l'avenir est au retour au service public autour d'une EDF intégrée. Cela offrirait la meilleure garantie d'un retour à la souveraineté énergétique de notre pays et s'inscrirait dans la continuité historique du CNR, le vrai, celui du Conseil national de la résistance.
Pour la FNME-CGT, la crise que nous traversons fournit de précieux enseignements sur les conditions de couverture à long terme de nos besoins énergétiques, sur nos besoins en énergies primaires, gaz, pétrole, uranium et charbon, en métaux et minéraux nécessaires pour assurer notre production.
Le marché des énergies primaires a accentué la concurrence, tirant les prix vers le haut. Durant l'hiver 2020-2021, l'Asie a importé toutes les capacités disponibles de GNL, contribuant ainsi à faire monter les prix durablement et à ralentir les importations des opérateurs européens, nécessaires en particulier au stockage hivernal. Les salariés du secteur de l'énergie disposent d'une expérience de vingt-cinq ans durant lesquels ils ont vécu des transformations profondes qui ont créé les conditions de la crise actuelle ; la guerre actuelle en Ukraine ayant joué un rôle démultiplicateur.
La France et l'Union européenne sont obligées de réexaminer leurs choix à la lumière de la montée vertigineuse des prix des produits énergétiques et des enjeux climatiques. Les marchés européens et français tels qu'ils ont été conçus détruisent les objectifs de la transition énergétique et ne permettent pas d'investissements de long terme destinés à la construction de capacités pilotables, favorables à la sûreté des réseaux, la production et la souveraineté énergétique.
L'Union européenne a livré le secteur de l'énergie aux intérêts privés, dégradant par là même la capacité du système énergétique à répondre aux besoins. Ces derniers risquent d'ailleurs d'évoluer avec le développement de l'électrification et de la décarbonation dans le secteur du transport et de l'industrie, en termes d'infrastructures, de production d'énergie et d'approvisionnement en métaux.
La France ne doit pas rendre cessible l'hydraulique pour éviter des conflits d'usage et doit investir sur l'entretien et la capacité. La protection des usagers au sens large face à cette hausse de l'énergie constitue une priorité de notre fédération. La hausse de 109 % des tarifs réglementés de vente préconisée par la CRE est ainsi inadmissible.
La disparition du TRV gaz est un réel sujet, d'autant plus lorsque le bouclier tarifaire prendra fin en juillet 2023. La maîtrise des prix passera par le développement de nouvelles capacités de production pilotables, avec une optimisation du système par un tarif qui soit le reflet des vrais coûts.
Les salariés du secteur de l'énergie ont subi les conséquences de ces choix politiques ou idéologiques en termes d'emplois, de conditions de travail dégradées et de manque de perspectives d'avenir. Il s'agit aujourd'hui de réaliser un diagnostic sérieux sur les facteurs ayant remis en cause notre sécurité d'approvisionnement à court, moyen et long termes, sans occulter les niveaux des responsabilités.
Le recul de la maîtrise collective lors des dernières années est lié à plusieurs facteurs. La perte de souveraineté dans le domaine énergétique s'inscrit dans le cadre de l'affaiblissement du tissu industriel national et de la course à la rentabilité.
La déréglementation européenne du secteur doit également être mentionnée. Alors que la France disposait d'un système énergétique bâti à la Libération sur le choix de la nationalité de l'électricité et du gaz, le tournant engagé dans les années 1990 a fait la part belle au marché. Les acquis de notre politique énergétique ont été remis en cause par étapes : la privatisation, la séparation des activités verticalement intégrées, la tarification et la régulation favorables au développement d'une concurrence factice ont fait augmenter les tarifs tout en dégradant la sécurité d'approvisionnement et le service public.
Les choix de privatisation effectués en France ont conduit au démantèlement du service public. Les gouvernements ont ajouté aux effets néfastes de la concurrence, la transformation des statuts d'EDF et GDF en sociétés anonymes en 2004. La privatisation de Gaz de France dans le cadre de la fusion absorption par le groupe Suez s'en est ensuivie.
Ces choix politiques ont été aggravés par une succession de compromis avec la Commission européenne qui a accentué la pression sur la France, jugeant les acteurs historiques trop puissants. Le troisième paquet de directives a imposé la séparation des activités de production, transport et distribution, contribuant à détruire les synergies permises par la nationalisation et l'intégration verticale qui a fait le succès d'EDF et de GDF.
La Commission a ensuite obtenu l'extinction des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz, effective en 2016, ainsi que la mise en place du mécanisme de l'AREHN, cette régulation asymétrique qui conduit à une tarification favorable aux négociants sans moyens de production. Les concurrents d'EDF ont réalisé peu d'investissements dans des moyens de production pilotables et ont intenté plusieurs recours pour obtenir la fin des tarifs réglementés afin de pouvoir augmenter leurs prix. Il est urgent de revenir sur ce dispositif.
Bruno Le Maire vient d'affirmer que le marché européen unique de l'électricité est devenu obsolète et qu'il faut que le consommateur paye son électricité à un prix qui reflète le coût de production de son mix national. Il reconnaît ce faisant implicitement l'inefficacité de la construction tarifaire qui découle de la loi NOME.
La réduction des moyens de production pilotables au profit du solaire et de l'éolien doit également être mentionnée. À travers les paquets européens adoptés en 2008 et révisés en 2014, l'Union européenne a orienté les investissements vers l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables intermittentes pour réduire les gaz à effet de serre, faute de consensus sur le mix énergétique. Le marché a conduit à la mise au placard de 12 000 mégawatts de moyens de production pilotables, essentiellement sur le thermique classique, mais aussi sur le nucléaire. Or ces moyens auraient pu nous prémunir contre le risque de coupure ou de délestage cet hiver.
La FNME-CGT estime que ces choix sont particulièrement problématiques pour la France, qui ne peut pas réduire ses émissions de gaz à effet de serre par le développement du solaire et de l'éolien. Pour nous, la production hydraulique demeure la production de renouvelable la plus importante en France et présente l'avantage d'être pilotable.
Le remplacement du nucléaire par le solaire ne peut pas non plus représenter un arbitrage climatique -puisque quasiment toutes les EnR émettent plus de CO2 que le nucléaire, ni un choix d'indépendance industrielle. La situation est également défavorable à l'industrie éolienne française, très dépendante en terres rares. Il est certes théoriquement possible de constituer des filières françaises ou européennes, comme l'éolien mer, mais encore faudrait-il que la Commission lève son véto sur les critères pouvant être pris en compte dans les appels d'offres publics.
La Commission a également promis de subventionner dans certains cas le développement à marche forcée des interconnexions. Sans contester l'utilité d'un certain niveau d'interconnexions, l'orientation prise au niveau européen conduit à assurer à bon compte ce que nos voisins seraient en mesure de fournir en cas de pointe de froid.
L'affaiblissement de la filière nucléaire s'inscrit dans une tendance lourde liée à la désindustrialisation. La construction de l'EPR de Flamanville a quant à elle mis en lumière les pertes de compétence résultant des choix d'organisation de la filière. Après le passage d'Alstom sous pavillon américain, le non-renouvellement du parc nucléaire qui visait à justifier le scénario 100 % renouvelable conduirait à la liquidation de tous les atouts de la France dans le nucléaire civil, entraînant un risque majeur de souveraineté.
En conclusion, il est nécessaire pour la FNME-CGT de relancer la filière nucléaire qui permet aujourd'hui de répondre aux besoins, de prolonger la durée de vie du parc et de relancer la construction de nouvelles tranches, de bâtir les nouveaux ouvrages hydrauliques, de revenir à un statut EPIC pour EDF et Gaz de France et de refonder un vrai service public de l'énergie indispensable pour faire face aux défis industriels et énergétiques.
J'interviens devant vous ce soir au nom de la CFE-CGC Énergies, la seconde organisation syndicale représentative des industries électriques et gazières (IEG), et la première dans l'encadrement.
Je porterai donc la voix des électriciens et des gaziers, celles et ceux qui font vivre au quotidien le secteur énergétique français et ses missions de service public au cœur de la question de la sécurité des approvisionnements énergétiques du pays, et donc de sa souveraineté. Ils ont vécu plus de vingt-cinq années de décisions politiques, françaises et européennes, ayant conduit à la situation actuelle et aux questions auxquelles votre commission cherche à répondre.
Mon propos portera tout d'abord sur la question de la souveraineté. Doit-elle être nationale, européenne ou les deux ? La question n'est pas anodine, puisque la manière dont l'Europe de l'énergie s'est construite depuis trente ans a des implications pour la souveraineté énergétique du continent, mais aussi du pays.
De plus, le contexte géopolitique démontre que la mondialisation est loin d'être heureuse et qu'elle est marquée par le retour des rapports de force et la primauté de la guerre économique. Ainsi, certains n'hésitent pas à dire que dans un monde de carnivores, se comporter en herbivore est suicidaire.
Dans ce contexte, la souveraineté, l'autonomie, le refus de la dépendance à des pays tiers n'est plus une option pour maîtriser son destin, mais une nécessité vitale, une condition de survie pour nos sociétés et nos économies. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que les dirigeants politiques embrassent désormais la notion de souveraineté, après vingt années où les mots de souveraineté et de défense de nos intérêts pouvaient apparaître comme suspects. Encore faut-il que nous passions des discours en faveur de la souveraineté à des actes réellement souverains.
Puisque l'énergie est bien le sang de notre économie et de la vie de notre société, la souveraineté énergétique est la clef de la souveraineté tout court, et de la résilience face aux crises. Cette souveraineté doit tout autant être industrielle, technologique, scientifique, économique que numérique. Compte tenu de la compétition pour l'accès aux terres rares, métaux et matériaux critiques, cette souveraineté peut également être minérale, comme en atteste la création de la nouvelle délégation interministérielle dédiée à cet impératif.
L'énergie, au-delà d'être une question climatique, n'est pas qu'une question environnementale comme certains le défendent. Elle est aussi et surtout une question industrielle, de maîtrise des technologies, et désormais, une question numérique. La question énergétique est enfin une question par essence géopolitique, et donc bien souvent de défense des intérêts nationaux.
Nous vivons une compétition économique : cette guerre économique est une guerre énergétique, celle de l'accès à l'énergie à des prix qui assurent la compétitivité économique. À cet égard, comment peut-on parler de souveraineté énergétique sans maîtrise de l'ensemble des écosystèmes industriels des technologies retenues par les choix de politique énergétique ?
Si l'Union européenne et la France en particulier maîtrisent l'ensemble de l'écosystème industriel du nucléaire, de l'amont à l'aval, tel n'est pas le cas des énergies renouvelables, dont bon nombre d'équipements installés en Europe sont conçus et fabriqués en Chine. De même, si la stratégie européenne en matière d'hydrogène repose sur une prédominance des importations d'hydrogène dit vert et fabriqué hors d'Europe, l'Union européenne risque fort de remplacer sa dépendance au gaz russe par une dépendance à l'hydrogène non européen. En résumé, les choix énergétiques réalisés à Paris ou à Bruxelles ne peuvent en aucun cas faire l'impasse sur cette question de souveraineté industrielle et de maîtrise des écosystèmes industriels.
La manière dont l'Europe de l'énergie a été construite depuis vingt ans mérite que nous nous y arrêtions plus en détail. La stratégie définie en 2000 a reposé sur la diversification autour de trois axes : diversification des énergies ; diversification des sources d'approvisionnement ̶ et des pays auxquels on achète de l'énergie ̶ et diversification des routes d'approvisionnement. Qu'en est-il plus de vingt ans après ?
La France a déployé depuis plus de cinquante ans un bouquet énergétique équilibré fait de nucléaire, d'hydroélectricité, de gaz et progressivement d'énergies renouvelables, et une stratégie gazière fondée sur la diversité des pays producteurs et des points d'entrée ̶ gazoducs mais aussi terminaux méthaniers.
Tel n'a pas été le cas de l'Allemagne qui mise tout sur les énergies renouvelables avec son Energiewende, tout en cachant son addiction au charbon et surtout au gaz russe, sans avoir alors développé de terminal méthanier.
De son côté, la Commission européenne a jusqu'à présent fait preuve de dogmatisme, en bafouant la stratégie qu'elle avait elle-même édictée en 2000. La bataille sur la taxonomie, de 2020 à 2022, comme celle aujourd'hui sur l'hydrogène vert ou bas carbone mais encore les principes du Green Deal, le démontrent : la stratégie énergétique européenne n'a plus pour priorité la sécurité énergétique, mais d'être vertueuse et donc verte, guidée par le développement des seules énergies renouvelables. Cette stratégie se révèle être dogmatique au lieu d'être pragmatique, à la différence de celles États-Unis, par exemple.
L'influence allemande défend ardemment ses intérêts et ceux de son industrie à Bruxelles, non sans un certain succès. Nous devons de notre côté en faire de même. La Commission européenne elle-même se met en contradiction avec le traité Euratom, pourtant un des traités fondateurs de l'Union. Celui-ci stipule clairement que l'UE doit favoriser les investissements nucléaires en Europe.
En outre, elle n'hésite pas à reléguer au second plan le principe de subsidiarité en matière de mix énergétique, validé par le traité de Lisbonne de 2008. La CFE-CGC Énergies considère à l'inverse que la sécurité énergétique, la neutralité technologique bas carbone et le respect du principe de subsidiarité doivent être au cœur de l'Europe de l'énergie.
Au-delà de cette idéologie verte contraire à l'impératif de souveraineté, l'Europe de l'énergie s'est construite sur un autre dogme, celui de la main invisible du marché. La crise des prix de l'énergie à laquelle nous faisons aujourd'hui face le démontre : les défaillances d'un marché roi imposent une réforme de fond pour éviter un suicide industriel européen par perte de compétitivité énergétique et une paupérisation énergétique des Européens.
La Commission a en effet réduit l'Europe de l'énergie à un marché intérieur régi par les seules règles du marché et de la concurrence, tout en donnant aux énergies renouvelables des règles privilégiées ̶ subventions et accès prioritaire au réseau ̶ au détriment d'autres énergies. Ces dernières sont pourtant pilotables et donc essentielles à la sécurité d'approvisionnement de l'Europe.
Il s'agit bien là d'une question de souveraineté, qui impose de revoir la primauté du tout marché. Si la concurrence peut avoir une utilité, il faut la cantonner là où elle est utile, mais ne pas l'imposer de manière uniforme. Je me souviens ainsi d'un échange avec un représentant de la DG Énergie qui défendait l'idée selon laquelle l'intérêt général consistait à ne priver aucun des consommateurs européens des opportunités qu'offre le marché, grâce aux obligations faites à tous les États-membres d'imposer des offres de tarification dynamique.
Il est donc essentiel de faire un bilan de l'ouverture des marchés et de corriger le tir. Si la Commission européenne semble faire un premier pas avec les contrats long terme envisagés dans les pistes de projet de réforme et en les ouvrant au nucléaire, rien n'est gagné face aux partisans du statu quo, convaincus de la supériorité du tout marché.
Mais les dirigeants politiques doivent également réfléchir aux conséquences de leurs décisions sur le long terme. Le sommet de Barcelone en 2002 a entériné l'ouverture totale des marchés aux effets délétères, alors que les dirigeants français avaient la possibilité de faire valoir les enjeux de service public et donc de souveraineté.
De même, l'ouverture des marchés européens ̶ et donc la fin des monopoles d'importation ̶ ont donné un tel pouvoir à ceux qui ont continué à bénéficier de leurs monopoles d'exportation, Gazprom en tête.
Défendre la souveraineté énergétique nationale consiste à mettre des limites aux velléités de la DG Énergie de réduire sa vision au seul marché, et lui rappeler le cadre Euratom, pour engager une véritable révision du régime européen des aides d'État et mettre fin à son entêtement envers la France.
Tels sont les termes du débat actuel sur la réforme du market design. La France doit peser de tout son poids politique pour obtenir une véritable réforme structurelle, à rebours de la loi NOME de 2010 qui oblige EDF à aider ses concurrents pour qu'ils prospèrent. À cette occasion, certains n'ont pas hésité à considérer que même si le gain économique d'une concurrence était quasi nul, elle devait être soutenue, au prétexte qu'elle favoriserait l'innovation.
De même, si le MEDEF se plaint aujourd'hui d'un prix de marché européen déconnecté de la structure de coût du mix de production national, il a été le premier, dans les années 1990 et 2000, à militer pour la loi du marché et son intégration européenne. Les États-Unis ou le Canada, pourtant de philosophie libérale, ont fait preuve de davantage de clairvoyance en laissant aux États et provinces le choix de leur niveau de dérégulation. Certains ont conservé un monopole régulé, d'autres ont totalement libéralisé, et les derniers ont opté pour un acheteur centralisé.
Les conséquences sont aujourd'hui mortifères. EDF est incapable d'assurer financièrement le renouvellement de son outil industriel, alors que tout le monde savait dès 1980 qu'il faudrait investir massivement pour prolonger ou renouveler le parc nucléaire. Afin d'être souverain et résilient, il faut se battre contre ses propres vulnérabilités et lutter contre tout sous-investissement dans les infrastructures énergétiques.
Au-delà de l'impact des choix européens, les décisions prises par l'État depuis plus de vingt ans méritent d'être débattues. Pour la CFE-CGC Énergies, elles ont eu de lourdes conséquences sur la capacité d'investissement dans les infrastructures énergétiques et, partant, la souveraineté énergétique du pays.
S'agissant de l'État stratège, la CFE-CGC Énergies n'a eu de cesse de rappeler que la sécurité énergétique du pays ne pouvait être assurée qu'en étant cohérent avec la nature systémique de l'électricité. Le système électrique a en effet besoin de disposer de moyens pilotables de production d'électricité afin d'assurer l'équilibre du réseau, ne serait-ce que pour passer les hivers. Un ancien président de l'ASN ne disait d'ailleurs pas autre chose en 2017 quand il affirma qu'il fallait préserver les marges du système électrique pour ne jamais avoir à arbitrer entre sûreté nucléaire et sécurité d'alimentation électrique en cas de problèmes génériques sur le parc nucléaire.
Au-delà de la fermeture des dernières tranches charbon, l'État a perdu de vue l'impératif de sécurité électrique à long terme. Sous couvert d'exigence de performance économique imposée à EDF pour qu'il optimise ses bénéfices et donc les dividendes versés, l'État a cautionné depuis quinze ans la fermeture d'importants moyens de production au charbon ou au fioul, certes carbonés mais pilotables. Les importations d'électricité carbonée ne sont donc pas le fruit du hasard.
Cet impératif de sûreté du système électrique et de préservation de ses marges a précisément été au cœur des arguments portés par la CFE-CGC Énergies depuis l'annonce par Jean-Marc Ayrault, alors Premier ministre, de la fermeture de 1 800 mégawatts de capacités pilotables bas carbone de production électrique en Alsace. Cet impératif de marges pilotables était et sera, demain encore plus qu'hier, essentiel avec la croissance de la demande d'électricité et la montée en puissance des énergies intermittentes.
L'importance des moyens pilotables de production et de la nature systémique de l'électricité oblige à ne pas confondre kilowatt et kilowattheure. L'oubli de de ce paramètre et les erreurs dans l'estimation de l'évolution de la demande d'électricité, pour justifier des choix politiques contestables, ont mis en danger la sécurité énergétique du pays et fragilisé la souveraineté énergétique. Il est donc urgent et impératif de ne plus les reproduire.
Nous avons justement porté ce message lors des travaux prospectifs de RTE à 2050. La crise énergétique européenne que nous connaissons nous conforte dans cette posture. Nous regrettons que cet impératif ait été insuffisamment intégré dans les décisions de politique énergétique, montrant ainsi les limites d'un État insuffisamment stratège.
Durant les années 1960-1970, l'État avait fait preuve de clairvoyance stratégique et industrielle en choisissant une technologie nucléaire préconisée par EDF. Depuis 2001, en revanche, l'État s'est montré incapable de trancher la rivalité croissante entre AREVA et EDF, quand bien même il en était l'actionnaire majoritaire.
Malgré les nombreuses alertes des syndicats, l'absence de clairvoyance stratégique a conduit l'État à soutenir en 2008 des décisions d'investissement nucléaire à l'international d'EDF dont le coût était exorbitant et la création de valeur très hypothétique. La destruction de valeur qui en a résulté a pesé et pèse encore aujourd'hui très lourdement sur les finances d'EDF. Elle obère sa capacité à investir dans ses outils industriels et, en conséquence, la sécurité et la souveraineté énergétiques du pays.
Nous sommes enfin en droit de nous interroger sur la vision stratégique de l'État en matière de politique industrielle de l'énergie. L'État a, par ses atermoiements, laissé croire aux salariés de la filière que la sortie à terme du nucléaire était engagée. En engageant la fermeture de capacités nucléaires sans débuter la construction de nouvelles, il a profondément fragilisé une filière industrielle qui exige vision de long terme, constance et cohérence. Si la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de 2009 envisageait la construction d'un second EPR sans fermer la moindre capacité existante, tel n'a plus été le cas par la suite.
Mais l'État s'en est aussi remis aux seules forces du marché, quoique largement subventionnées, pour assurer le développement des énergies renouvelables. De fait, il a ainsi laissé prospérer une logique de promotion immobilière qui s'appuie sur des importations d'équipements dans le simple but de maximiser les profits. L'État n'a donc pas, du moins jusqu'à très récemment, mis en route une stratégie d'industrialisation des énergies renouvelables en France.
Or, sans industrialisation, les choix de politique énergétique ne peuvent répondre aux enjeux de souveraineté. À ce titre, la CFE-CGC Énergies préconise une diversification de la stratégie française d'énergies renouvelables. Il est aujourd'hui nécessaire de délaisser la logique du tout ENR électriques intermittentes ̶ qui s'effectue bien souvent avec des équipements importés ̶ pour favoriser davantage les énergies renouvelables souveraines que sont les ENR thermiques, gazières et hydroélectriques. Les dernières annonces de Mme Pannier-Runacher et de M. Lescure sur les filières industrielles du nucléaire et des EnR vont dans le bon sens, mais ne seront opérantes que si elles sont réellement suivies d'effet.
Au-delà de l'État stratège, l'État actionnaire a également failli. Après avoir livré Gaz de France à Suez en 2007 en refusant d'étudier un rapprochement EDF-GDF qui était défendable auprès de Bruxelles, l'État a agi comme le pire actionnaire possible. L'État a en outre agi tel un prédateur s'agissant des dividendes exigés d'EDF de 2005 à 2015, alors que le modèle économique de l'entreprise n'avait pas été adapté à ces exigences de « création de valeur actionnariale ». À partir de 2005, près de 2 milliards d'euros de dividendes supplémentaires ont été distribués chaque année. Cumulés sur dix ans, 20 milliards manquent à l'appel des capacités d'investissement d'EDF dans des outils indispensables à la souveraineté énergétique du pays. Une gestion prudente et prévoyante aurait au contraire dû conduire l'État à renforcer les fonds propres de l'électricien pour qu'il soit en mesure de financer un mur d'investissements connu de tous depuis 1980.
Les augmentations de capital de 2015 et de 2022 ont ainsi servi à financer des acquisitions dictées par d'autres considérations que la seule stratégie industrielle de l'électricien. Je pense notamment à Areva NP ou GE Steam Power, anciennement partie d'Alstom Énergie cédée il y a quelques années. À cet égard, le bien-fondé de cette cession peut être questionné, en lien avec le sujet de votre commission d'enquête.
Le désengagement progressif mais constant de l'État du capital d'Engie, ex GDF-Suez, interpelle tout autant car cet énergéticien est essentiel à la souveraineté énergétique du pays. Dans cette perspective, la supposée renationalisation d'EDF, consistant dans le rachat des actionnaires minoritaires, ne règle aucun des problèmes financiers d'EDF, lesquels ont été causés par les décisions de l'État.
Il ne s'agit pas seulement d'un problème de faiblesse de fonds propres ou de sous-capitalisation endémique, mais également d'un problème de sous-rémunération chronique. Cette dernière est le fruit de décisions mortifères de l'État en sa qualité de régulateur, qui ont fragilisé EDF depuis vingt-cinq ans, réduisant sa capacité à assurer la souveraineté énergétique du pays. Ainsi, l'État a d'abord déconnecté les tarifs d'un modèle économique viable reposant sur la couverture des coûts par une baisse des tarifs de 14 % en trois ans en 1997. Il a ensuite imposé à EDF une trajectoire tarifaire l'éloignant de plus en plus de cette couverture des coûts, mettant de facto à mal le modèle économique de l'entreprise.
L'État a en outre imposé en 2006 le TARTAM qui a conduit, avec la loi NOME de 2010, au poison qu'est un ARENH dont le coût a été sous-calibré à l'origine et qui n'a pas évolué depuis 2012, à 42 euros, affaiblissant d'autant la situation financière d'EDF. Ce dispositif est asymétrique : EDF perd à tous les coups, mais ses concurrents gagnent à chaque fois.
L'État s'est ensuite entêté dans ce dispositif début 2022 en imposant à EDF vingt térawatts-heure supplémentaires d'ARENH, au mépris des règles européennes, pour le plus grand bonheur de ses concurrents. Or ces derniers n'ont jamais utilisé le bénéfice de l'ARENH pour développer leurs propres moyens de production et donc contribuer à la sécurité énergétique du pays. Pourtant, ils se scandalisent aujourd'hui quand le gouvernement leur demande de respecter un plafond de 280 euros le mégawattheure auprès de leurs clients entreprises, TPE et PME en tête, alors même qu'ils bénéficient d'un ARENH, au prix inchangé depuis 2012 de 42 euros.
En soutenant ces passagers clandestins du système électrique et en fragilisant à l'excès EDF, l'État régulateur a privilégié le soutien à la concurrence à l'impératif d'investissement industriel dans la souveraineté énergétique du pays. Cette vision à courte vue avait simplement oublié qu'il fallait sécuriser les ressources financières d'EDF pour lui permettre de faire face aux multiples investissements des années 2020.
Il est donc aussi urgent qu'essentiel de rétablir la régulation du secteur électrique, afin de favoriser prioritairement les investissements industriels, qui sont la clef de la souveraineté énergétique du pays. L'État doit enfin se comporter en régulateur responsable.
Je terminerai mon propos par les conséquences de l'arrimage, en 2007, de l'énergie au ministère de l'environnement. Ce faisant, il a éloigné les décisions de politique énergétique des impératifs industriels et économiques, mais il a surtout fait dépendre ces décisions d'un dialogue environnemental dès lors biaisé sur les questions énergétiques.
En 2015, dans le cadre des travaux de la plateforme nationale d'actions pour la responsabilité sociétale des entreprises ( plateforme RSE), nous avons, avec le responsable RSE du MEDEF, alerté sur l'asymétrie, dans le dialogue environnemental, entre d'une part les organisations syndicales et patronales ̶ qui doivent faire la preuve de l'effectivité de leur représentativité par le biais d'élections régulières ̶ et d'autre part, les ONG environnementales qui prétendent représenter la société civile sans avoir à faire la preuve de leur représentativité.
Cette asymétrie a conduit à biaiser le débat sur la politique énergétique de 2013 et au sein du Conseil national de la transition écologique (CNTE), en les focalisant sur les seules questions environnementales, parfois dans une logique militante assumée, et non sur les impératifs industriels, de sécurité et de souveraineté. La reconfiguration du dialogue environnemental dédié aux questions énergétiques n'en est donc que plus essentielle si l'on veut, à l'avenir, mieux prendre en considération les enjeux de souveraineté énergétique.
En conclusion, les causes de cette perte de souveraineté énergétique sont multiples, profondes et anciennes. Les électriciens et gaziers, attachés à leurs missions de service public au service de la nation et des Français, ne peuvent donc que se féliciter des travaux de votre commission pour y remédier.
Mes propos complèteront les interventions de mes prédécesseurs. Puisque les travaux de votre commission portent la souveraineté, je me permets de vous renvoyer aux travaux d'une personne que vous avez auditionnée, Jacques Percebois, et qui préfère employer le terme de vulnérabilité. La souveraineté est quasiment inaccessible, quand une politique énergétique peut nous permettre de lutter contre une situation telle que celle que nous connaissons actuellement. Ainsi, si l'Allemagne avait disposé de terminaux méthaniers, elle n'aurait pas été plus souveraine, mais elle aurait été moins vulnérable.
Par ailleurs, la souveraineté énergétique a souvent été abordée lors de vos auditions à l'aune de ce qui s'est passé sur l'amont, mais la place des réseaux a souvent été négligée. Or le système énergétique qui nous assure une maîtrise des vulnérabilités donne une place aux moyens de production, mais aussi aux réseaux. La production décentralisée est aujourd'hui croissante et représente une énergie dont il serait regrettable de ne pas bénéficier. Elle nécessite donc des réseaux. C'est d'autant plus important que la France a fait la preuve durant des décennies que les moyens de production, les réseaux et la capacité de prévision lui ont permis d'obtenir une électricité très compétitive.
Les raisons qui ont conduit à la perte de souveraineté sont bien détaillées dans un livre écrit en 2003 par François Soult, EDF : chronique d'un désastre inéluctable. Sur la base de l'analyse de la situation californienne à l'époque, il avait conclu que dans une situation induite par la dérégulation, les prix atteindraient des niveaux infinis, en raison du déséquilibre entre les moyens de production et la demande. Certes, les prix ne sont aujourd'hui pas infinis mais leur hausse est particulièrement inquiétante.
L' Inflation Reduction Act américain, doté de 400 milliards de dollars, fait aujourd'hui débat. Or l'Europe dispose aussi de moyens conséquents au service de la transition et de la souveraineté énergétiques. La Cour des comptes allemande et le ministre de l'économie allemand ont évoqué plus de 500 milliards d'engagements financiers sur les vingt ans de l' Energiewende. La Cour des comptes française, dans un rapport de 2018, évoque quant à elle 120 milliards d'engagements financiers au service cette transition énergétique.
L'argent a donc été mis à disposition mais il n'est pas au rendez-vous des espoirs qui étaient les nôtres. Par exemple, le mix électrique allemand émettait hier 626 grammes de CO2 par kilowattheure, contre 420 grammes il y a cinq ans.
Pour autant, dans un souci de pédagogie pour la transition et la souveraineté énergétiques, il faut insister sur la bonne compréhension de la situation par le grand public. Celui-ci doit ainsi pouvoir maîtriser ces données et disposer de chiffres clairs sur la décarbonation de notre économie et du mix électrique, qui seuls permettront l'adhésion nécessaire aux politiques énergétiques.
Ensuite, les questions de prévision me semblent fondamentales. De notre côté, nous insistons sur l'idée de « poire pour la soif » : il faut toujours prévoir un peu plus de marges de production pour pouvoir répondre aux besoins de consommation. De ce point de vue, Antoine Pellion a récemment souligné l'importance de différencier le kilowattheure du kilowatt, l'énergie de la puissance. La France était ainsi exportatrice massive d'électricité au moment du choix de la réduction de la part du nucléaire dans notre mix en 2014, ce qui permettait d'envisager des fermetures. Mais le propos mélange la quantité d'énergie produite et la capacité de répondre aux besoins d'un système. Par exemple si un pays dispose de capacités de production solaires gigantesques, il peut exporter une grande quantité d'électricité, mais jamais la nuit.
Il importe donc de tirer des leçons de ce qui s'est passé pour ne pas rééditer les mêmes erreurs. Pour la CFDT, tout est bon dans l'énergie ̶ la biomasse, l'hydroélectricité, le thermique décarboné, le solaire, le nucléaire ̶ pour décarboner l'économie et quitter le monde des énergies fossiles. En l'espèce, la CFDT a remis un cahier d'acteurs qui évoque la nécessité d'engager un programme de construction électronucléaire mais aussi de développer des moyens de production renouvelables, quand ils sont décarbonés.
De ce point de vue, nous estimons qu'il faut décarboner avec des moyens de production qui valorisent les chaînes industrielles nationales et européennes. Or les filières de production solaires et éoliennes européennes sont très fragilisées aujourd'hui car le marché est monopolisé par la Chine. Ces questions relatives au mix énergique méritent donc de conduire à une réflexion d'ensemble avec les filières industrielles concernées.
S'agissant du cadre européen, la CFDT estime que le marché est un problème, mais le problème n'est pas le marché. Plus précisément, si le marché tel qu'il est organisé en Europe est un problème, le problème ne se résume pas à la manière dont il est organisé. Nous avons ainsi engagé des réflexions sur les moyens de le faire évoluer et de considérer un adossement des prix aux coûts de production, mais simultanément de rester dans un marché européen qui nous assure d'atteindre un optimum à une échelle plus large que celle de la France. L'énergie a été au cœur de la fondation de l'Europe ; il ne faudrait pas qu'elle contribue à la déconstruire.
Quel regard portez-vous sur les scénarios d'évolution des besoins énergétiques pour la France ?
Les scénarios bâtis par RTE ont permis d'associer l'ensemble des parties prenantes. Il ne faut pas pour autant nous inscrire dans une démarche minimaliste ; les pays européens ont tous en tendance des prévisions de consommation supérieures à celles de la France. Les politiques d'efficacité et de sobriété énergétiques ne seront pas suffisantes à mon sens.
Pour la CFDT, les prévisions de consommation de RTE sous-estiment la consommation : les estimations d'une réduction de 40 % de la consommation d'énergie d'ici 2050 sont trop élevées. Il faut être ambitieux mais également réalistes.
De plus, il est souvent question d'interconnexion et de solidarité entre les pays, mais si tout le monde souffre des mêmes problèmes en même temps, le système ne fonctionnera pas.
Les scénarios d'évolution des besoins énergétiques nous ont conduits à pointer du doigt le problème de la sobriété, qui sera selon nous forcée et entraînera des impacts non négligeables sur l'industrie. Je partage ainsi les propos tenus à l'instant par M. Béguinet.
Ensuite, l'évaluation des besoins d'hydrogène dans le cadre de la décarbonation de certaines filières, comme la métallurgie, n'est pas toujours possible. Nous sommes favorables à un mix énergétique équilibré, fondé sur le renouvellement du parc nucléaire, l'hydraulique et le thermique, mais aussi sur la complémentarité des énergies comme le biogaz ou la valorisation des déchets.
Il s'agit là d'une base de discussion qui renvoie à un débat de société sur la sobriété. Nous préférons donc parler de performance énergique pour favoriser la réduction ; plutôt que de sobriété, car elle implique une notion de renoncement.
Le document de RTE permet de mener un débat mais il faut encore conduire une réflexion sur nos usages et besoins. Il convient de réintroduire l'idée d'un État stratège, en plus d'une clarification industrielle associée à une planification associant industrie et énergie.
Les scenarios envisagés lors des quinze dernières années n'ont pas été établis en prenant en compte les chocs ou les crises. De fait, les marges ont été supprimées les unes après les autres en sous-dimensionnant les besoins.
Ensuite, de quelle sobriété parlons-nous ? Nous préférons parler de sobriété bas carbone, c'est-à-dire être sobre en matière d'usages carbonés très émissifs, mais pas sur les énergies qui ne sont pas carbonées. Le débat sur la sobriété a un impact sur les modèles et les acteurs défendent des scenarii en fonction de buts de guerre politique non avoués.
En matière d'hydrogène, les trajectoires évoquées sont promues par les porteurs de projets à la recherche de subventions françaises et européennes ; elles ne sont pas fondées sur une analyse rationnelle des cibles réelles d'usage.
On nous a dit pendant plusieurs années que la consommation n'allait pas augmenter pour justifier les fermetures. Subitement, le Président de la République effectue un retour vers le nucléaire et RTE a formulé des scénarios plus ambitieux en termes d'électricité, notamment fondés sur des paramètres de réindustrialisation qui étaient jusque-là totalement absents.
Ensuite, ayant participé à la rédaction d'un rapport sur l'efficacité énergique au Conseil environnemental et social en 2012, je crois à l'efficacité énergétique, mais suis beaucoup plus circonspect en matière de sobriété, qui touche à la vie des populations. Si elle est imposée, elle sera rejetée.
M. Grillat, vous avez évoqué l'asymétrie entre les syndicats représentatifs et les ONG lors de discussions dans des instances consultatives au ministère de l'énergie et de l'écologie. Pouvez-vous détailler ce propos ?
Cette asymétrie existe entre d'une part les organisations syndicales et patronales ̶ qui doivent faire la preuve de l'effectivité de leur représentativité par le biais d'élections régulières ̶ et d'autre part, les ONG environnementales à qui l'on ne demande pas les mêmes exigences, quand bien même elles peuvent être légitimes à travers les arguments qu'elles déploient.
Lorsque le Conseil national de la transition écologique (CNTE) a rendu un avis fin 2022 sur le projet de loi d'accélération du nucléaire, je vous confirme que l'essentiel des participants s'inscrivaient dans une logique militante anti-nucléaire, alors même qu'il ne s'agissait pas de l'objet du projet. La composition de cette instance est donc largement questionnable si l'on veut la rendre réellement représentative.
Je partage ce point de vue : il est impossible de mesurer la représentativité de telle ou telle ONG.
Je participe aux travaux de la stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC). À cette occasion, j'ai pu constater le déficit de prise en compte des faits scientifiques, et je rejoins ici des remarques effectuées par M. Jean-Marc Jancovici sur le sujet. Les opinions et idéologies des uns et des autres prennent trop souvent le pas sur les éléments factuels.
À de nombreuses reprises, les ONG ont bénéficié d'une meilleure écoute que les organisations syndicales. Nous demandons la réalisation d'un bilan, pour évoquer les sujets de société, en prenant en compte les attentes de chacun. Il faut entendre toutes les parties, surtout lorsque les salariés sont confrontés à des fermetures de sites en raison de choix politiques.
Cette asymétrie a conduit à une focalisation des débats sur les questions environnementales, laissant malheureusement de côté les enjeux de filière industrielle et d'emplois durables et qualifiés depuis 2013.
En 2010, l'énergie s'est vue rattachée au ministère de l'environnement. Dès lors, certains ministres n'ont jamais reçu les syndicats, à l'inverse des ONG. Ce fut notamment le cas de Ségolène Royal.
De fait, les questions énergétiques sont absorbées par des personnes qui défendent des points de vue partisans sans se préoccuper des conséquences sociales ni des réseaux. Je suis favorable à un retour vers une séparation, afin que chacun défende ses intérêts, avant que le Premier ministre ne tranche en interministériel.
Je vous remercie de votre présence, qui nous rappelle que les sujets d'énergie ne sont pas abstraits : des centaines de milliers de salariés nous permettent de produire de l'électricité en ce moment même.
Vous avez évoqué un biais en faveur des ONG et en défaveur des organisations syndicales. Pouvez-vous nous décrire des moments clés dans cette évolution et leur impact sur la capacité à se projeter ou sur les compétences de la filière ?
Cette asymétrie dans le dialogue environnemental a conduit à des positions caricaturales depuis 2012 : parce que les ENR seraient vertes, elles seraient miraculeuses et donc pourvoyeuses d'emplois. L'histoire des industries électriques et gazières témoigne réellement d'emplois durables et qualifiés : la construction de deux réacteurs nucléaires nécessite 3 000 personnes pendant huit ans, puis 800 personnes travaillent sur site pendant quarante ans et encore plusieurs centaines d'autres lors du démantèlement. Sur la durée de vie de l'actif, des dizaines de milliers d'emplois très qualifiés sont donc ancrés dans le territoire.
À l'inverse, combien d'emplois sont-ils engagés pour construire, exploiter et déconstruire un parc éolien ? Où sont-ils situés ? Ce débat pourtant essentiel sur les emplois n'a pas été possible depuis 2012, car il a été biaisé par la dimension environnementale et donc la primauté des énergies renouvelables.
Il est nécessaire d'accompagner le développement d'industries émergentes comme le photovoltaïque et l'éolien, notamment par la mise en place d'une politique que je n'hésite pas à qualifier positivement de protectionniste.
De fait, l' Energiewende allemande a profité à l'industrie chinoise, à hauteur de 150 ou 200 milliards sur les 500 mobilisés sur vingt ans. À un moment donné, il importe d'avoir le souci des emplois adossés à l'argent public dépensé. La France et l'Europe ont été dramatiquement naïves : les emplois verts annoncés ont été créés en dehors de nos territoires.
Effectivement, le modèle d'énergies renouvelables choisi en France et en Europe, fondé sur des appels d'offres favorisant le moins disant, a fait la part belle aux importations chinoises.
À titre d'exemple, l'État n'a jamais été capable de réaliser des appels d'offres permettant à l'entreprise Photowatt de faire valoir son savoir-faire. De fait, 200 à 300 emplois ont été perdus. Il faut promouvoir des énergies renouvelables mais surtout des énergies pilotables en intégrant la logique bas carbone. Les EnR ne permettront pas à elles seules d'assurer la sécurité d'approvisionnement de notre pays.
Il faut éviter de mettre en opposition les filières qui pourraient être complémentaires à condition que la maîtrise publique soit effective. Plus de 160 milliards ont été dépensés en faveur des renouvelables mais uniquement dans une logique capitalistique, sans développer une industrie et des garanties collectives pour les salariés. Aujourd'hui, nous n'avons plus aucune marge de sécurité face à la volatilité des prix. Nous souhaitons redonner une dynamique de visibilité aux filières.
En 2013, nous avons été quelques-uns à faire un lien entre transition énergétique et transition professionnelle, dont la question sociale doit être traitée. Malheureusement, le gouvernement ne s'est pas emparé de ce sujet, à l'exception de l'ordonnance sur la fermeture des centrales à charbon.
Or la vision à long terme que les politiques structurent les choix des jeunes étudiants dans leur filière de formation. De fait, depuis le discours de Belfort, l'Institut supérieur des techniques nucléaires dispose désormais de promotions complètes, ce qui n'était pas le cas il y a cinq ans.
Je partage nombre de vos propos. Je pense notamment aux critiques adressées à l'encontre du marché et de la mise en concurrence. Nous sommes également d'accord sur le statut d'EPIC d'EDF, des coûts d'énergie fondés sur les coûts de production, le retour aux TRV, la sortie de l'AREHN, la souveraineté des filières et la planification de l'industrie. En revanche, nous sommes partisans d'un mix 100 % renouvelable.
Je passe à présent à mes questions. Quel horizon de prolongation des centrales vous paraît-il raisonnable ? Quelle est votre position sur l'avenir des salariés travaillant dans ces centrales destinées à être fermées ? Croyez-vous que nous serons capables d'ouvrir Flamanville et d'autres EPR ?
Ensuite, êtes-vous inquiets sur un éventuel retour du projet Hercule ? Je rajoute que nous sommes favorables à la création d'un acheteur public national unique de l'électricité.
Par ailleurs, les salariés de la branche thermique nucléaire sont au statut des IEG quand les salariés des renouvelables sont sous le régime de la convention collective Syntec. Avez-vous des revendications particulières dans ce domaine ?
Enfin, le régime spécial qui est le vôtre devrait disparaître le 1er septembre 2023 si la loi devait passer. Cela ne créera-t-il pas une difficulté supplémentaire pour procéder à des recrutements ?
Nous considérons que le nucléaire et l'hydraulique, donc le bas carbone pilotable, et le bas carbone intermittent doivent être les deux jambes d'un mix équilibré, afin de permettre la résilience d'un système électrique à long terme.
Des centrales nucléaires finiront effectivement par fermer un jour. A contrario, nous sommes favorables à l'ouverture de nouvelles centrales, pour compenser.
Le débat du statut est lancinant depuis 2013. La CGE revendique que tous les salariés travaillant dans l'activité de production d'électricité doivent être au statut des IEG. Ce statut devrait être imposé à ceux qui produisent de l'électricité renouvelable. En effet, si nous voulons que la transition énergétique suscite des vocations, la dimension low cost doit être supprimée du modèle de développement des ENR.
L'acheteur unique est un des termes du débat sur la réforme du market design. Nous sommes favorables à la mise en place d'un acheteur unique pour protéger les producteurs et les consommateurs de la volatilité des prix, comme ce qui a été mis en place dans la province de l'Ontario.
En cas de fermeture de site, la problématique ne porte pas uniquement sur la centrale, mais sur l'ensemble du bassin d'activité. Nous sommes attachés au maintien de la filière nucléaire, qui passe notamment par la R&D, en particulier pour la quatrième génération.
Ensuite, tout le monde sait que les délais de construction de Flamanville avaient été sous-estimés. Désormais, nous allons disposer d'un retour d'expérience sur l'aspect technique mais aussi le volet social. De fait, la construction de nouveaux réacteurs nécessite un contrôle social renforcé.
Par ailleurs, les prolongations sont validées par l'ASN lors des visites décennales. Nous sommes également favorables à une ré-internalisation des sous-traitants, afin de disposer d'une maîtrise des compétences.
Nous sommes opposés, comme vous l'imaginez, à la réforme des retraites et à la disparition du régime spécial. L'exemple de la SNCF et de son double statut est éloquent : l'entreprise éprouve des difficultés évidentes à recruter.
Enfin, nous sommes très attachés au caractère intégré d'EDF, qu'il ne faut pas découper.
L'entreprise EDF a déjà été découpée ; la construction d'un service public optimisé de l'électricité a déjà été mise à mal.
Ensuite, le concept de l'acheteur unique avait été préconisé à la fin des années 1990 par la France. Nous tenons au maintien d'une organisation européenne du système électrique, qui est bénéfique dans l'absolu. Au-delà de l'acheteur unique, la France arrive souvent en ordre dispersé à Bruxelles quand d'autres pays avancent groupés et in fine, l'emportent. Je souligne donc la nécessité d'adopter une approche collective française pour défendre la souveraineté nationale du système national électrique.
En matière d'attractivité, nous avons à la fois besoin de bras et de têtes ; c'est-à-dire d'un nombre de salariés suffisant mais aussi de compétences pointues.
Nous sommes en désaccord avec l'OPA lancée sur EDF : nous voulons une loi de nationalisation. Nous sommes en effet contre le statut de société anonyme, qui ne protège en rien le caractère intégré de l'entreprise publique. FO souhaite en réalité une nationalisation démocratiquement choisie par le parlement, avec à la clef un contrat de service public définissant enfin les attentes de l'État et de la représentation nationale vis-à-vis d'EDF.
Aujourd'hui, EDF connaît le plus mauvais des deux mondes : d'une part, la logique financière liée à la cotation ; et d'autre part l'augmentation de l'AREHN, qui s'est traduite par 10 milliards de perte d'EBITDA. Cela n'est plus possible.
Nous voulons refonder le service public de l'électricité à travers un vrai débat national. À cet égard, nous saluons la constitution de cette commission, qui nous permet de mener un débat politique sur une vraie loi de nationalisation.
Nous sommes anciens et nous ne croyons pas aux engagements de Bruno Le Maire, le ministre de l'économie. En 2004, Gaz de France et EDF ont vu leur capital s'ouvrir, avec la promesse que ces entités resteraient publiques. Or, deux ans après, Gaz de France était privatisé…
Enfin, les retraites constituent un sujet majeur pour les gaziers et électriciens, car il s'agit là d'un élément indissociable du statut. La Caisse nationale des industries électriques et gazières est équilibrée ; elle a même été citée en exemple par le MEDEF comme étant la meilleure caisse de retraite de France. Nous sommes donc viscéralement opposés à la suppression de notre régime, qui ne coûte rien à la collectivité nationale. Les salariés sont en colère et ils le manifesteront par différents moyens.
La question des retraites s'inscrit plus globalement dans la manière dont nous pouvons assurer l'attractivité et la fidélisation nécessaires à EDF pour réaliser les projets nucléaires de demain. Le package rémunération et protection sociale est ici incontournable.
S'agissant du projet Hercule, nous avons déjà connu la tentation qui consistait à sortir le nucléaire d'EDF pour créer Nucléaire de France. Or la souveraineté énergétique nécessite d'assurer la pérennité de l'électricien.
Enfin, Flamanville a été présenté à l'époque, en 2008, comme la vitrine du nucléaire français pour assurer le développement international d'EDF, alors qu'il s'agissait en fait d'un démonstrateur technologique, qui devait permettre de remonter en compétence de construction le jour où le renouvellement du parc aurait été engagé. L'erreur a été de faire porter au chantier de Flamanville autre chose que ce pour quoi il avait été initié.
Votre point de vue est éclairant, même si je ne partage pas l'intégralité des propos. En revanche, je souscris à l'idée que l'énergie ne doit pas être considérée comme une marchandise mais comme un bien commun. La différenciation ente le prix de production et le prix de vente sur le marché est particulièrement éloquente.
Vous avez évoqué votre colère sur l'imprévision des décisions qui impactent les salariés, avec des choix vécus comme brutaux. Je m'interroge sur l'entreprise EDF et l'impréparation de la reconversion ou de la fermeture d'équipements, y compris de production d'énergie fossile.
Vous avez par ailleurs expliqué que le prix de production d'électricité a toujours été un argument en faveur du nucléaire. Mais aujourd'hui, le prix de production du nouveau nucléaire n'est pas du même ordre que celui de l'ancien nucléaire. Les prix des énergies renouvelables deviennent de plus en plus compétitifs, en raison des améliorations technologiques. Qu'en pensez-vous ?
Je partage vos interrogations sur les différents statuts au sein d'EDF et les problèmes d'attractivité qu'ils engendrent. Plusieurs rapports parlementaires ont alerté sur le recours à la sous-traitance et la fragilité qu'elle a induite pour la filière nucléaire. Quel est l'impact de cette sous-traitance pour les salariés ?
Nous avons auditionné hier le président de l'ASN. Il redoutait la survenue d'un scénario dans lequel il faudrait choisir entre la sécurité d'approvisionnement électrique et la sûreté nucléaire si les réacteurs étaient prolongés au-delà du raisonnable. Quel est votre avis sur ce sujet ?
Enfin, vous avez attaqué la légitimité des associations environnementales. Je rappelle que les associations siégeant au CNTE sont reconnues comme d'intérêt général. Dans le monde incertain que nous connaissons, je pense qu'il serait plus pertinent de nouer un dialogue entre ces associations et les organisations syndicales plutôt que de les mettre en compétition. Nous partageons tous en effet la volonté de disposer d'emplois durables ̶ quel que soit le secteur ̶, dans le cadre d'un climat soutenable pour les générations futures.
Nous ne questionnons pas la légitimité des ONG environnementales. Simplement, les organisations syndicales doivent faire la preuve de l'effectivité de leur représentativité, ce qui n'est pas le cas des ONG environnementales.
S'agissant de l'imprévision de la fermeture de centrales, les salariés sont attachés à leur outil industriel. En conséquence, ils doivent être convaincus de la justesse et de la rationalité des décisions prises au nom de la transition et qui auraient pour conséquence de fermer leurs usines.
Sur les centrales à charbon, comme d'ailleurs pour Fessenheim, nos fédérations ont souligné que ces fermetures portent sur des moyens pilotables. Il n'existe plus que quatre centrales à charbon ̶ elles ne représentent que 2 % des émissions de CO2 dans la production d'électricité en France ̶, qui sont indispensables pour gérer la pointe électrique puisque les énergies intermittentes ne peuvent pas toujours répondre quand on les appelle.
Ces salariés considèrent donc qu'il est injuste de fermer ces usines. En conséquence, ils ne s'inscrivent pas dans la transition et donc dans les mutations qu'on leur propose, d'autant plus qu'il leur est demandé de perdre des garanties collectives pour aller vers des métiers moins bien payés et moins bien protégés, sans certitude sur leur localisation dans leur territoire. Ces questions, liées au vécu quotidien des salariés, ne peuvent pas être passées par pertes et profits dans le débat.
Les ENR deviennent de plus en plus compétitives en prix du kilowatt, mais seul importe le kilowattheure, c'est-à-dire les coûts garantis en temps réel quand le consommateur en a besoin.
Enfin, s'agissant de la sous-traitance, l'introduction en bourse d'EDF lui a fait supporter le pire des deux mondes, comme Jacky Chorin l'a souligné. Face aux contradictions qu'elle a dû gérer, EDF a dû réduire les coûts et a donc taillé dans le poste des achats. La chaîne de sous-traitance du nucléaire a été fragilisée parce que l'État actionnaire a eu des exigences déraisonnables en matière de dividendes.
Vous avez évoqué la fin des centrales à charbon. Quand une fermeture n'est pas préparée, ni anticipée sur un pas-de-temps de dix ans, elle se déroule mal. Or la loi de 2019 a annoncé une fermeture anticipée des installations. Les salariés de Gardanne et de Cordemais ont formulé des propositions, qu'il faut entendre. Il faut examiner les besoins et construire les infrastructures pour répondre aux nouveaux usages.
Nous l'avons souligné, les prix doivent refléter les coûts. Il importe de réaliser les investissements nécessaires, en intégrant, entre autres, la part des énergies renouvelables. Par ailleurs, nous sommes favorables à la suppression de l'AREHN car elle n'a pas de sens en soi.
Enfin, la sous-traitance nous a fait indéniablement perdre des compétences, par exemple en chaudronnerie. Les choix et logiques d'externalisation sont allés trop loin. Nous sommes donc attachés à la ré-internalisation et au mieux disant social chez les sous-traitants.
Vous avez évoqué l'impréparation des fermetures, mais il faut aussi souligner les multiples atermoiements qui y ont été associés, à Cordemais comme à Saint-Avold. Pendant ce temps-là, les Allemands nous ont envoyé massivement leur charbon. Ces changements de pied incessants rendent le système illisible car ceux qui prônent des visions trop idéologiques se font toujours rattraper par la patrouille, en l'occurrence l'équilibre du réseau électrique.
L'État voulait fermer Fessenheim, la troisième centrale la plus sûre de France, mais ne voulait pas le dire dans un texte officiel, car il aurait alors dû régler des indemnités. Si la guerre en Ukraine s'était déroulée un an plus tôt, Fessenheim aurait été maintenu.
Par ailleurs, vous avez indiqué que le prix des ENR était en constante diminution ; mais cela est loin d'être le cas lorsque l'on raisonne en coûts complets.
Il faut bien comprendre que Flamanville est un prototype. Quand on prolonge une centrale à cinquante ou soixante ans, c'est le meilleur investissement qu'EDF puisse effectuer dans l'intérêt de la nation. Je regrette de n'avoir pas entendu les écologistes lorsque Saint-Avold a été relancé et qu'il a fallu importer du charbon allemand.
Le travail doit être effectué collectivement sur l'intégralité de la filière, mais les conditions ne sont pas encore remplies. Le prix de production ne peut donc pas être décorrélé de l'usage qui en est fait. S'il y a déséquilibre entre la demande et la quantité produite, le problème se résout soit par du rationnement, soit en utilisant le signal prix.
Les salariés de Saint-Avold ne comprennent pas pourquoi leur centrale ferme alors qu'à vingt kilomètres de là, une centrale à charbon est en cours de construction en Allemagne. Moins il y aura de centrales nucléaires en service, plus il y aura des difficultés pour reclasser les salariés des centrales fermées.
Je constate notre désaccord sur le paysage énergétique. Par ailleurs, je vous ai respectueusement posé des questions qui me semblaient pertinentes, sans donner une opinion, mais en demandant des éclairages. Je regrette que la réciproque n'ait pas eu lieu.
Je partage par ailleurs la distinction que vous avez opérée entre efficacité et sobriété, pour faire diminuer notre consommation, notamment d'électricité. Même le scénario le plus nucléarisé de RTE conçoit que nos centrales vont vieillir. La corrosion sous contrainte constitue en outre un enjeu de taille. Il demeure également des incertitudes sur la résistance des cuves. De fait, il faudra bien prévoir la fermeture progressive de certaines centrales, que l'on relance ou non la construction de réacteurs. La question de l'effet falaise, du remplacement énergétique et de la diversification des sources de production par le déploiement des sources d'énergies renouvelables se posera quoi qu'il en soit.
Les centrales ne fermeront pas au même âge. Un lissage interviendra de facto.
Nous voulons relancer la filière en mobilisant les industriels. Même le scénario le plus nucléarisé accorde par exemple une place au thermique, pour effectuer la jointure dans l'équilibre du réseau. De plus, la décarbonation du thermique n'est pas encore déterminée. Il faut encadrer les gisements, structurer la filière par rapport aux besoins. C'est la raison pour laquelle nous demandons un bilan sur la déréglementation et les enjeux de filière. Une fois encore, une véritable stratégie de programmation est nécessaire. Dans le nucléaire, il faut planifier, prolonger et construire ; quand d'autres veulent décaler, réduire et éteindre.
Pardonnez-moi si vous estimez que j'ai été excessif. Mes propos n'avaient pour but que d'exprimer le fait que les salariés sont décontencés vis-à-vis des atermoiements successifs. Il existe toujours un écart entre les visions idéologiques et la réalité, qui consiste à équilibrer le réseau en permanence.
Ensuite, l'ASN fixe les règles les plus exigeantes du monde, en imposant le meilleur standard, le plus proche de l'EPR, lors de ses visites décennales. Aucun autre pays du monde n'est aussi rigoureux que nous. Il est objectivement stupide de dire que Fessenheim était la centrale la plus vieille centrale de France.
Le professionnalisme d'EDF a permis de détecter la corrosion sous contrainte puis de réaliser la réparation en trouvant des solutions innovantes pour résoudre ce problème industriel, qui a eu le défaut d'arriver au pire moment. Nous n'en aurions pas parlé de la même manière s'il était survenu il y a deux ans ou dans deux ans.
La dimension systémique du problème doit être évoquée, c'est-à-dire l'effet falaise que vous avez mentionné. La première version du projet de loi d'accélération des énergies renouvelables supposé répondre à l'urgence ne mentionnait pas l'hydraulique, ni la biomasse. A contrario, le plan de transformation de l'économie française proposé par le Shift Project repose sur un travail systémique.
Je suis par ailleurs assez inquiet sur le saucissonnage des chantiers et souhaite valoriser le système électrique dans sa conception nationale. De fait, l'acheminement en Allemagne via ses 940 Stadtwerke coûte globalement 30 % plus cher qu'en France. Une approche décentralisée à tout crin, en écart du fait scientifique lié au foisonnement de la production et de la consommation, est regrettable.
Nous consommons aujourd'hui plus de térawattheures de gaz que d'électricité en France, ce qui accroît nécessairement notre dépendance.
Les représentants de la direction d'Engie et d'EDF nous ont dit pis que prendre des tarifs réglementés et nous ont même vanté l'existence de contrats gré à gré. Ils ont également mis en avant en l'absence de production de gaz fossile en France pour justifier notre soumission aux prix mondiaux et se dédouaner de l'augmentation des tarifs. Quel regard portez-vous sur l'augmentation des profits d'Engie et de la branche gaz d'EDF ?
Que pensez-vous de l'idée de la renationalisation d'Engie, voire de la branche gaz de TotalEnergies ? Comment faire pour faire baisser le prix du gaz qui va demeurer élevé lors des dix prochaines années ?
Nous partageons le constat que la plupart des opérateurs électriques en concurrence avec EDF ne produisent que trop peu. Avez-vous des chiffres précis sur la part de la production d'EDF par rapport à celle des autres opérateurs d'électricité ? Combien d'opérateurs vendent de l'électricité sans en produire en France ?
Enfin, j'ai été étonnée que la sobriété et l'efficacité énergétique n'aient pas été mentionnées comme les moyens de gagner de la marge sur le système électrique et gérer les tensions d'approvisionnement. Il me semble que la sobriété constitue un moyen de gérer les pénuries prévisibles. Quel est votre avis sur le sujet ?
De nombreux travaux, notamment ceux de l'École des mines, ont été menés sur la réalité de l'efficacité énergique en France, notamment des bâtiments. Ils ne sont guère probants.
Par ailleurs, j'attends de connaître les chiffres exacts de la diminution de la consommation d'électricité, notamment par nos citoyens. Sans avoir de certitudes, je crains que la sobriété acceptée soit beaucoup trop faible pour équilibrer le système.
Le modèle énergétique doit être le plus sobre possible en termes de consommation de ressources, y compris en matière de ressources foncières et d'espaces naturels. Je vous renvoie sur ce sujet aux travaux de RTE qui a chiffré le nombre de tonnes de cuivre nécessaires pour produire les réseaux ENR décentralisés.
Pour être sobre en ressources, il faut faire des choix qui limitent la consommation de ressources dans toutes les dimensions. Nous sommes convaincus qu'un mix équilibré et diversifié est, en termes de consommation de ressources minérales, meilleur qu'un mix déséquilibré parce qu'exclusif.
La France a eu la chance de disposer de l'opérateur Gaz de France, qui lui a permis d'être la moins dépendante possible d'un acteur unique, en diversifiant ses sources d'approvisionnement. Ensuite, nous sommes persuadés qu'en développant les gaz souverains, nous améliorerons la souveraineté énergétique du pays. Or les premiers des gaz souverains sont les gaz renouvelables, puisqu'ils sont endogènes. Cependant, puisque la France ne produit pas de gaz fossiles, elle dépend des marchés mondiaux, qui sont par ailleurs soumis à une forte demande asiatique ; entraînant une forte tension sur les prix.
Enfin, la renationalisation d'EDF, au-delà de sa dimension politique, a également pour finalité de créer les conditions de la non mise en concurrence des concessions hydroélectriques et un financement du nouveau nucléaire par l'État. En effet, un opérateur public est plus facilement défendable à Bruxelles au sens du régime européen des aides d'État. Mais la situation actuelle est celle qu'elle est parce que l'État a fragilisé la structure financière d'EDF, qui ne peut plus autofinancer les nouvelles centrales nucléaires. En conséquence, la renationalisation d'EDF répond à des finalités qui ne sont pas duplicables à Engie.
Je préfère parler de performance énergétique du bâti et des chaînes de production qui permettent de réduire les consommations plutôt que de sobriété, qui implique le concept de décroissance. La sobriété ne doit pas se résumer au renoncement.
Pour le gaz, nous sommes soumis aux effets de marché car les contrats long terme n'existent plus. Nous préférons la renationalisation d'Engie plutôt que de poursuivre le fonctionnement actuel, qui consiste à endetter certaines filiales pour remonter du cash à l'entreprise.
Le gaz est de moins en moins présent en Europe. La Commission européenne ne croyait que dans les vertus du marché a fait tout ce qu'elle a pu pour casser les contrats à long terme (contrats take or pay ) et a supprimé le monopole d'importation de Gaz de France. Comme M. Grillat l'a évoqué plus tôt, les monopoles d'importation ont été brisés mais les monopoles d'exportation ont été maintenus. La Commission avait ainsi poussé à son paroxysme une vision libérale qui est allée in fine à l'encontre des intérêts des Européens. Désormais, les contrats à long terme et les achats groupés qui devraient constituer une hérésie pour la Commission européenne reviennent en grâce.
À une époque, des organisations syndicales se sont battues pour fusionner EDF et Gaz de France, mais le choix politique a été différent. La loi du 9 août 2004 a ouvert le capital d'EDF et Gaz de France à hauteur de 30 %. Deux ans après, Gaz de France a été absorbé par Suez, qui a imposé son mode de fonctionnement. À l'époque, les députés croyaient à la création d'un champion national. Mais le gaz a été très peu été développé et la filière d'exploration production a été vendue. Aujourd'hui, le géant du gaz s'appelle Total.
FO souhaite toujours renationaliser Engie. Y aura-t-il un impact sur le prix ? Les prix étant aujourd'hui mondiaux, la question revient à déterminer la répartition entre les dividendes de la société qui deviendrait publique et la protection des usagers clients du gaz.
La question porte sur le partage de la valeur. Dans ce domaine comme dans celui des retraites.
Je vous remercie. L'audition de ce jour nous a permis de découvrir de nouveaux espaces de discussion.
La séance s'achève à 20 heures 25.
Membres présents ou excusés
Présents. – M. Antoine Armand, Mme Alma Dufour, Mme Julie Laernoes, M. Maxime Laisney, M. Raphaël Schellenberger.
Excusée. – Mme Valérie Rabault.