Mes propos complèteront les interventions de mes prédécesseurs. Puisque les travaux de votre commission portent la souveraineté, je me permets de vous renvoyer aux travaux d'une personne que vous avez auditionnée, Jacques Percebois, et qui préfère employer le terme de vulnérabilité. La souveraineté est quasiment inaccessible, quand une politique énergétique peut nous permettre de lutter contre une situation telle que celle que nous connaissons actuellement. Ainsi, si l'Allemagne avait disposé de terminaux méthaniers, elle n'aurait pas été plus souveraine, mais elle aurait été moins vulnérable.
Par ailleurs, la souveraineté énergétique a souvent été abordée lors de vos auditions à l'aune de ce qui s'est passé sur l'amont, mais la place des réseaux a souvent été négligée. Or le système énergétique qui nous assure une maîtrise des vulnérabilités donne une place aux moyens de production, mais aussi aux réseaux. La production décentralisée est aujourd'hui croissante et représente une énergie dont il serait regrettable de ne pas bénéficier. Elle nécessite donc des réseaux. C'est d'autant plus important que la France a fait la preuve durant des décennies que les moyens de production, les réseaux et la capacité de prévision lui ont permis d'obtenir une électricité très compétitive.
Les raisons qui ont conduit à la perte de souveraineté sont bien détaillées dans un livre écrit en 2003 par François Soult, EDF : chronique d'un désastre inéluctable. Sur la base de l'analyse de la situation californienne à l'époque, il avait conclu que dans une situation induite par la dérégulation, les prix atteindraient des niveaux infinis, en raison du déséquilibre entre les moyens de production et la demande. Certes, les prix ne sont aujourd'hui pas infinis mais leur hausse est particulièrement inquiétante.
L' Inflation Reduction Act américain, doté de 400 milliards de dollars, fait aujourd'hui débat. Or l'Europe dispose aussi de moyens conséquents au service de la transition et de la souveraineté énergétiques. La Cour des comptes allemande et le ministre de l'économie allemand ont évoqué plus de 500 milliards d'engagements financiers sur les vingt ans de l' Energiewende. La Cour des comptes française, dans un rapport de 2018, évoque quant à elle 120 milliards d'engagements financiers au service cette transition énergétique.
L'argent a donc été mis à disposition mais il n'est pas au rendez-vous des espoirs qui étaient les nôtres. Par exemple, le mix électrique allemand émettait hier 626 grammes de CO2 par kilowattheure, contre 420 grammes il y a cinq ans.
Pour autant, dans un souci de pédagogie pour la transition et la souveraineté énergétiques, il faut insister sur la bonne compréhension de la situation par le grand public. Celui-ci doit ainsi pouvoir maîtriser ces données et disposer de chiffres clairs sur la décarbonation de notre économie et du mix électrique, qui seuls permettront l'adhésion nécessaire aux politiques énergétiques.
Ensuite, les questions de prévision me semblent fondamentales. De notre côté, nous insistons sur l'idée de « poire pour la soif » : il faut toujours prévoir un peu plus de marges de production pour pouvoir répondre aux besoins de consommation. De ce point de vue, Antoine Pellion a récemment souligné l'importance de différencier le kilowattheure du kilowatt, l'énergie de la puissance. La France était ainsi exportatrice massive d'électricité au moment du choix de la réduction de la part du nucléaire dans notre mix en 2014, ce qui permettait d'envisager des fermetures. Mais le propos mélange la quantité d'énergie produite et la capacité de répondre aux besoins d'un système. Par exemple si un pays dispose de capacités de production solaires gigantesques, il peut exporter une grande quantité d'électricité, mais jamais la nuit.
Il importe donc de tirer des leçons de ce qui s'est passé pour ne pas rééditer les mêmes erreurs. Pour la CFDT, tout est bon dans l'énergie ̶ la biomasse, l'hydroélectricité, le thermique décarboné, le solaire, le nucléaire ̶ pour décarboner l'économie et quitter le monde des énergies fossiles. En l'espèce, la CFDT a remis un cahier d'acteurs qui évoque la nécessité d'engager un programme de construction électronucléaire mais aussi de développer des moyens de production renouvelables, quand ils sont décarbonés.
De ce point de vue, nous estimons qu'il faut décarboner avec des moyens de production qui valorisent les chaînes industrielles nationales et européennes. Or les filières de production solaires et éoliennes européennes sont très fragilisées aujourd'hui car le marché est monopolisé par la Chine. Ces questions relatives au mix énergique méritent donc de conduire à une réflexion d'ensemble avec les filières industrielles concernées.
S'agissant du cadre européen, la CFDT estime que le marché est un problème, mais le problème n'est pas le marché. Plus précisément, si le marché tel qu'il est organisé en Europe est un problème, le problème ne se résume pas à la manière dont il est organisé. Nous avons ainsi engagé des réflexions sur les moyens de le faire évoluer et de considérer un adossement des prix aux coûts de production, mais simultanément de rester dans un marché européen qui nous assure d'atteindre un optimum à une échelle plus large que celle de la France. L'énergie a été au cœur de la fondation de l'Europe ; il ne faudrait pas qu'elle contribue à la déconstruire.