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Intervention de Julien Lambert

Réunion du mercredi 25 janvier 2023 à 17h00
Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la france

Julien Lambert, secrétaire fédéral en charge de la politique industrielle et énergétique, Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT) :

Pour la FNME-CGT, la crise que nous traversons fournit de précieux enseignements sur les conditions de couverture à long terme de nos besoins énergétiques, sur nos besoins en énergies primaires, gaz, pétrole, uranium et charbon, en métaux et minéraux nécessaires pour assurer notre production.

Le marché des énergies primaires a accentué la concurrence, tirant les prix vers le haut. Durant l'hiver 2020-2021, l'Asie a importé toutes les capacités disponibles de GNL, contribuant ainsi à faire monter les prix durablement et à ralentir les importations des opérateurs européens, nécessaires en particulier au stockage hivernal. Les salariés du secteur de l'énergie disposent d'une expérience de vingt-cinq ans durant lesquels ils ont vécu des transformations profondes qui ont créé les conditions de la crise actuelle ; la guerre actuelle en Ukraine ayant joué un rôle démultiplicateur.

La France et l'Union européenne sont obligées de réexaminer leurs choix à la lumière de la montée vertigineuse des prix des produits énergétiques et des enjeux climatiques. Les marchés européens et français tels qu'ils ont été conçus détruisent les objectifs de la transition énergétique et ne permettent pas d'investissements de long terme destinés à la construction de capacités pilotables, favorables à la sûreté des réseaux, la production et la souveraineté énergétique.

L'Union européenne a livré le secteur de l'énergie aux intérêts privés, dégradant par là même la capacité du système énergétique à répondre aux besoins. Ces derniers risquent d'ailleurs d'évoluer avec le développement de l'électrification et de la décarbonation dans le secteur du transport et de l'industrie, en termes d'infrastructures, de production d'énergie et d'approvisionnement en métaux.

La France ne doit pas rendre cessible l'hydraulique pour éviter des conflits d'usage et doit investir sur l'entretien et la capacité. La protection des usagers au sens large face à cette hausse de l'énergie constitue une priorité de notre fédération. La hausse de 109 % des tarifs réglementés de vente préconisée par la CRE est ainsi inadmissible.

La disparition du TRV gaz est un réel sujet, d'autant plus lorsque le bouclier tarifaire prendra fin en juillet 2023. La maîtrise des prix passera par le développement de nouvelles capacités de production pilotables, avec une optimisation du système par un tarif qui soit le reflet des vrais coûts.

Les salariés du secteur de l'énergie ont subi les conséquences de ces choix politiques ou idéologiques en termes d'emplois, de conditions de travail dégradées et de manque de perspectives d'avenir. Il s'agit aujourd'hui de réaliser un diagnostic sérieux sur les facteurs ayant remis en cause notre sécurité d'approvisionnement à court, moyen et long termes, sans occulter les niveaux des responsabilités.

Le recul de la maîtrise collective lors des dernières années est lié à plusieurs facteurs. La perte de souveraineté dans le domaine énergétique s'inscrit dans le cadre de l'affaiblissement du tissu industriel national et de la course à la rentabilité.

La déréglementation européenne du secteur doit également être mentionnée. Alors que la France disposait d'un système énergétique bâti à la Libération sur le choix de la nationalité de l'électricité et du gaz, le tournant engagé dans les années 1990 a fait la part belle au marché. Les acquis de notre politique énergétique ont été remis en cause par étapes : la privatisation, la séparation des activités verticalement intégrées, la tarification et la régulation favorables au développement d'une concurrence factice ont fait augmenter les tarifs tout en dégradant la sécurité d'approvisionnement et le service public.

Les choix de privatisation effectués en France ont conduit au démantèlement du service public. Les gouvernements ont ajouté aux effets néfastes de la concurrence, la transformation des statuts d'EDF et GDF en sociétés anonymes en 2004. La privatisation de Gaz de France dans le cadre de la fusion absorption par le groupe Suez s'en est ensuivie.

Ces choix politiques ont été aggravés par une succession de compromis avec la Commission européenne qui a accentué la pression sur la France, jugeant les acteurs historiques trop puissants. Le troisième paquet de directives a imposé la séparation des activités de production, transport et distribution, contribuant à détruire les synergies permises par la nationalisation et l'intégration verticale qui a fait le succès d'EDF et de GDF.

La Commission a ensuite obtenu l'extinction des tarifs réglementés de l'électricité et du gaz, effective en 2016, ainsi que la mise en place du mécanisme de l'AREHN, cette régulation asymétrique qui conduit à une tarification favorable aux négociants sans moyens de production. Les concurrents d'EDF ont réalisé peu d'investissements dans des moyens de production pilotables et ont intenté plusieurs recours pour obtenir la fin des tarifs réglementés afin de pouvoir augmenter leurs prix. Il est urgent de revenir sur ce dispositif.

Bruno Le Maire vient d'affirmer que le marché européen unique de l'électricité est devenu obsolète et qu'il faut que le consommateur paye son électricité à un prix qui reflète le coût de production de son mix national. Il reconnaît ce faisant implicitement l'inefficacité de la construction tarifaire qui découle de la loi NOME.

La réduction des moyens de production pilotables au profit du solaire et de l'éolien doit également être mentionnée. À travers les paquets européens adoptés en 2008 et révisés en 2014, l'Union européenne a orienté les investissements vers l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables intermittentes pour réduire les gaz à effet de serre, faute de consensus sur le mix énergétique. Le marché a conduit à la mise au placard de 12 000 mégawatts de moyens de production pilotables, essentiellement sur le thermique classique, mais aussi sur le nucléaire. Or ces moyens auraient pu nous prémunir contre le risque de coupure ou de délestage cet hiver.

La FNME-CGT estime que ces choix sont particulièrement problématiques pour la France, qui ne peut pas réduire ses émissions de gaz à effet de serre par le développement du solaire et de l'éolien. Pour nous, la production hydraulique demeure la production de renouvelable la plus importante en France et présente l'avantage d'être pilotable.

Le remplacement du nucléaire par le solaire ne peut pas non plus représenter un arbitrage climatique -puisque quasiment toutes les EnR émettent plus de CO2 que le nucléaire, ni un choix d'indépendance industrielle. La situation est également défavorable à l'industrie éolienne française, très dépendante en terres rares. Il est certes théoriquement possible de constituer des filières françaises ou européennes, comme l'éolien mer, mais encore faudrait-il que la Commission lève son véto sur les critères pouvant être pris en compte dans les appels d'offres publics.

La Commission a également promis de subventionner dans certains cas le développement à marche forcée des interconnexions. Sans contester l'utilité d'un certain niveau d'interconnexions, l'orientation prise au niveau européen conduit à assurer à bon compte ce que nos voisins seraient en mesure de fournir en cas de pointe de froid.

L'affaiblissement de la filière nucléaire s'inscrit dans une tendance lourde liée à la désindustrialisation. La construction de l'EPR de Flamanville a quant à elle mis en lumière les pertes de compétence résultant des choix d'organisation de la filière. Après le passage d'Alstom sous pavillon américain, le non-renouvellement du parc nucléaire qui visait à justifier le scénario 100 % renouvelable conduirait à la liquidation de tous les atouts de la France dans le nucléaire civil, entraînant un risque majeur de souveraineté.

En conclusion, il est nécessaire pour la FNME-CGT de relancer la filière nucléaire qui permet aujourd'hui de répondre aux besoins, de prolonger la durée de vie du parc et de relancer la construction de nouvelles tranches, de bâtir les nouveaux ouvrages hydrauliques, de revenir à un statut EPIC pour EDF et Gaz de France et de refonder un vrai service public de l'énergie indispensable pour faire face aux défis industriels et énergétiques.

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