Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 17 novembre 2022
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Examen des conclusions de l'audition publique sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne des 22-23 novembre 2022 (Jean-Luc Fugit, député, rapporteur) ;
- Mes chers collègues, l'ordre du jour appelle en premier lieu l'examen des conclusions de l'audition publique que l'Office a organisée le 3 novembre dernier sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne des 22 et 23 novembre 2022. Je cède donc la parole à Jean-Luc Fugit, son rapporteur, pour la présentation desdites conclusions.
- Merci, monsieur le président. Quelques étudiants ont demandé l'autorisation d'assister à nos travaux ce matin. Nous disons souvent qu'il est important d'intéresser les jeunes à la science en général et à l'action publique en particulier. Je me réjouis donc que vous ayez accepté cette ouverture à nos jeunes.
Nous sommes réunis ce matin pour examiner les conclusions de l'audition du 3 novembre dernier sur les enjeux du conseil ministériel de l'Agence spatiale européenne (ESA – European Space Agency ) qui doit avoir lieu à Paris les 22 et 23 novembre. Organisé tous les trois ans, le conseil ministériel de l'ESA réunit les ministres responsables des affaires spatiales des États membres de l'agence afin de déterminer ses grandes orientations stratégiques ainsi que son budget triennal.
Le dernier conseil a eu lieu en Espagne, à Séville, en novembre 2019. L'Office avait préalablement organisé une audition publique pour faire le point sur les enjeux français et européens.
Pour le conseil ministériel 2022, la préparation des négociations se déroule depuis déjà quelques mois ; elle est marquée par des annonces et des prises de position politiques fortes. En effet, le Président de la République a prononcé le 16 février 2022 à Toulouse, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (UE), un discours qui présentait la vision française de la politique spatiale. Il évoquait alors les conditions de la compétitivité et de la souveraineté spatiales, notamment disposer d'un lanceur réutilisable et d'une constellation de mini satellites destinée à la connectivité sécurisée.
Sur ce dernier volet, Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, a proposé en mars dernier une feuille de route aux pays membres de l'UE pour lancer une constellation européenne de satellites. Le coût total de ce projet public-privé est estimé à six milliards d'euros, dont une participation publique européenne de 2,4 milliards d'euros.
Puis, à l'occasion de l'ouverture du soixante-treizième Congrès international d'astronautique (IAC) le 18 septembre 2022, à Paris, la Première ministre a annoncé un investissement français dans la recherche et l'industrie spatiale de plus de neuf milliards d'euros pour les trois prochaines années. Ce budget sera articulé autour de trois ambitions faisant écho au discours du Président de la République qui sont l'autonomie d'accès à l'espace, l'accélération et l'innovation sur les constellations de mini satellites, l'innovation de pointe sur le spatial au service du climat.
C'est dans ce contexte que l'Office a organisé l'audition publique du 3 novembre dernier. Elle a réuni aussi bien des acteurs majeurs de l'écosystème spatial français que des structures de plus petite échelle, des start-up, qui elles aussi évoluent dans le cadre dessiné par les décisions prises au niveau national ou européen.
Le président du Centre national d'études spatiales (CNES), Philippe Baptiste, a ouvert l'audition en présentant les contours de la politique spatiale française ainsi que les enjeux du conseil ministériel de la semaine prochaine. Puis, chacun à leur tour, les grands groupes industriels et les start-up invités ont présenté leur activité et leur vision.
Philippe Baptiste a rappelé le cadre mondial des budgets dédiés aux activités spatiales. Le budget américain annuel – contributions civiles et militaires – s'élève à 50 milliards de dollars, alors que le dernier conseil ministériel de l'ESA a voté en 2019 un budget triennal de 14,5 milliards d'euros. En raison de cet écart, la stratégie européenne ne peut être comparée strictement à la stratégie américaine, notamment dans la définition des priorités et des moyens d'action. Pour son prochain plan triennal 2022-2025, l'ESA demande un budget de 18 milliards d'euros. Si, à toutes les échelles, la dynamique reste très forte, notons que le président du CNES a jugé cette demande, je cite, un peu ambitieuse.
Au niveau national, j'ai indiqué précédemment que l'ambition française se concrétise par une enveloppe de neuf milliards d'euros pour les trois prochaines années. La contribution française à l'ESA devrait suivre ce mouvement. Selon André-Hubert Roussel, PDG d'ArianeGroup, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) a proposé une contribution française de 3,6 milliards d'euros soit 20 % du budget total demandé.
La répartition du budget global entre les différentes filières du spatial est tout aussi essentielle. Au conseil ministériel de 2019, les besoins importants en matière de lanceurs, notamment pour Ariane 6, avaient « pesé » sur les autres domaines. En 2022, il est attendu un rééquilibrage de la répartition budgétaire, notamment au bénéfice des activités liées à l'observation de la Terre. Face à la multiplication des enjeux en orbite, la France ambitionne de conserver une certaine agilité grâce à l'écosystème du New Space, vecteur d'opportunités incroyables d'après le président du CNES, en travaillant avec ces nouveaux acteurs du spatial via le programme France 2030.
C'est par exemple le cas du vol et de l'exploration habités. Spécialisée dans la construction de modules adaptés aux milieux extrêmes, comme les conditions rencontrées sur la Lune, la start-up Spartan Space a présenté ses différents projets. Loin d'être des chimères, ils reposent sur des technologies matures et disponibles dans les États membres de l'Union européenne ou de l'ESA.
Le questionnement lié au vol et à l'exploration habités ne repose donc plus aujourd'hui sur la disponibilité des moyens technologiques mais bien sur la disponibilité des moyens financiers et naturellement sur l'existence d'une volonté politique. Le positionnement de l'Europe sur le vol habité sera discuté au prochain conseil ministériel et il faut envoyer un message politique fort dès à présent. Une vision à long terme inspirante permettra aussi de conserver des talents et d'enrayer la fuite des cerveaux vers les pays déjà engagés dans la course vers la Lune.
De l'avis général, la souveraineté française et européenne passe aussi par la conservation d'un accès autonome à l'espace. André-Hubert Roussel a rappelé que cette souveraineté a un coût et demande des engagements politiques forts et sur la durée. Le développement d'Ariane 6 s'inscrit dans cette optique. C'est un véritable marathon – si l'on peut s'exprimer ainsi – qui rencontre encore quelques obstacles dans ses phases finales d'intégration et d'assemblage. Il est fort probable que le vol inaugural ait lieu à l'automne 2023. Respecter cette échéance est une priorité absolue pour ArianeGroup et le CNES, autant pour des raisons commerciales, avec 29 lancements déjà réservés, que stratégiques, avec l'impossibilité d'utiliser Soyouz et la perte temporaire d'autonomie de l'Europe.
Sur la question des lanceurs, le conseil ministériel de l'ESA sera crucial pour les États membres qui souhaitent s'assurer un accès à Ariane 6 dans la prochaine décennie. En effet, le budget de l'ESA devra pouvoir assurer la transition entre Ariane 5 et Ariane 6, puis la mise en route et la montée en puissance d'Ariane 6. Enfin, la suite se prépare aussi dès maintenant et le conseil ministériel sera l'occasion de réfléchir au successeur d'Ariane 6, qui sera un lanceur réutilisable.
Le marché des satellites devrait aussi être confronté à des évolutions significatives, notamment avec la multiplication des constellations de mini satellites, privées ou publiques, comme celle proposée par la Commission européenne en mars dernier. Orientée vers la connectivité sécurisée, cette flotte en orbite basse fera face aux concurrents américains Starlink de SpaceX et Kuiper d'Amazon.
Les constellations de mini satellites s'orientent aujourd'hui principalement vers des applications de connectivité ou d'observation de la Terre qui prennent tout leur sens face aux crises actuelles, dont la crise climatique. En effet, l'Internet satellitaire permet de s'affranchir d'infrastructures terrestres très coûteuses pour assurer la connectivité à n'importe quel endroit du globe. En parallèle, que ce soit comme instrument de la politique de sécurité et de défense, comme le montre la guerre actuelle en Ukraine, ou de la lutte contre le réchauffement climatique, l'observation de la Terre depuis l'espace reste un outil irremplaçable.
Sur ce marché, la Chine et les États-Unis ont presque cinq ans d'avance avec des programmes d'investissement et de commande publique massifs. L'Europe doit accélérer pour ne pas dépendre à terme d'images et de données américaines ou chinoises. Les investissements du plan France 2030 vont dans ce sens et répondent à ces enjeux stratégiques en générant de la commande publique et en favorisant la coopération entre les grands groupes et les start-up. Cette adaptation de l'écosystème européen au marché mondial est nécessaire, au niveau institutionnel comme au niveau industriel.
Les États-Unis, dont le marché spatial comprend 90 % de commandes institutionnelles, imposent une cadence soutenue au reste du monde. Les pays européens doivent continuer à travailler en collaboration et se donner les moyens de conserver un avantage. Rappelons-nous que les grands projets tels que Copernicus ou Galileo n'auraient jamais vu le jour sans un marché européen consolidé.
Cette stratégie de collaboration européenne doit s'appliquer à toute la chaîne de valeur. Par exemple, sur le programme Copernicus, il devient nécessaire de dynamiser le marché des utilisateurs car c'est de la demande finale que vient la valeur répartie sur l'ensemble de la filière. Il existe aujourd'hui des utilisateurs du spatial qui, d'une certaine manière, s'ignorent et dont la participation pourrait développer et dynamiser le marché dans son intégralité.
En conclusion, l'Europe doit voir loin, en consolidant ses positions actuelles, en anticipant les défis de demain et en se donnant les moyens de les relever. L'idée d'envoyer un astronaute européen sur la Lune ou sur Mars ne relève plus de la science-fiction, mais une mission de cette envergure ne s'improvise pas, même si les technologies nécessaires existent déjà. Il faut donc prendre des décisions dès maintenant, dans le cadre d'une vision globale et ambitieuse.
Une Europe agile et souveraine doit disposer de sa propre constellation de mini satellites pour assurer la connectivité dans plusieurs domaines tels que l'internet des objets, la couverture des zones blanches ou la politique de défense et de sécurité. En parallèle, les acteurs du New Space doivent trouver leur place dans le secteur des constellations et doivent être soutenus au niveau national et européen.
Les industriels privés jouent aussi un rôle crucial pour maintenir la compétitivité européenne. Ils doivent pouvoir compter sur un socle solide et pérenne de commande publique afin de rivaliser avec leurs concurrents américains et chinois, portés par des financements substantiels et des politiques de suprématie.
Sur la base de l'ensemble de ces considérations, je vous propose dix recommandations, dont l'ordre de présentation ne reflète aucune hiérarchie.
La première recommandation appelle à garantir une contribution française à la hauteur des annonces qui ont jalonné l'année 2022 et de l'ambition affichée pour une politique spatiale forte et souveraine. Cette contribution devrait être supérieure à celle du dernier plan triennal et permettre à la France de rester le premier contributeur au budget de l'ESA.
La deuxième recommandation consiste à assurer un accès autonome à l'espace pour la France et l'Europe, en maintenant sur la durée les efforts d'investissement demandés par les nouvelles générations de lanceurs, aussi bien Ariane 6 que son futur successeur réutilisable.
La troisième recommandation consiste à prendre dès à présent une décision de principe claire sur le futur du vol et de l'exploration habités, afin d'envoyer un message politique fort à destination du grand public et de soutenir une filière industrielle qui se positionne déjà clairement sur le sujet.
La quatrième recommandation demande à poursuivre la réflexion sur la forme que doit prendre la version européenne du vol et de l'exploration habités, dans la lignée du groupe de réflexion de haut niveau déjà mis en place par l'ESA. Il s'agira notamment de mettre en avant l'intérêt scientifique et souverain de l'exploration habitée, afin d'assurer l'adhésion du grand public à des projets d'envergure nécessitant un effort majeur.
La cinquième recommandation est de lancer les appels d'offres relatifs au projet de constellation européenne de mini satellites dès le premier semestre 2023.
La sixième recommandation appelle à faire de la conception de cette flotte de mini satellites un exemple pour définir des règles globales d'usage durable de l'espace, notamment sur le volet des débris spatiaux et de la pollution lumineuse – ce sont deux sujets qui viennent de plus en plus sur le devant de la scène.
La septième recommandation demande à soutenir l'écosystème du New Space aussi bien au niveau français qu'européen, afin de conserver agilité et capacité d'adaptation sur le marché mondial.
La huitième recommandation est de veiller à ce que la stratégie spatiale européenne porte une vision globale incluant tous les segments de la chaîne de valeur, de la conception de nouveaux lanceurs au développement de nouvelles applications satellitaires en passant par la mise au point de nouveaux satellites.
La neuvième recommandation demande à maintenir un socle solide et pérenne de commande publique pour donner aux acteurs industriels de grande ou petite taille les moyens de rivaliser avec leurs concurrents américains et chinois.
La dixième recommandation appelle à investir systématiquement dans des programmes de communication et de pédagogie destinés au grand public, plus particulièrement de cibler le jeune public et le public féminin – déficitaire dans le secteur spatial – afin d'entretenir un sentiment d'inspiration et de susciter des vocations professionnelles. Je tiens à ajouter que cette recommandation est particulièrement importante à mes yeux, car notre société a besoin de se projeter dans un futur offrant une part de rêve comme toute aventure spatiale peut en offrir.
- Merci, monsieur le rapporteur, pour la restitution de cette audition, la présentation de vos conclusions et recommandations et pour ces derniers mots pleins de sagesse.
- Je voudrais tout d'abord présenter des excuses pour n'avoir pas assisté personnellement à l'audition du 3 novembre dernier. Je présentais en effet le budget de l'enseignement scolaire à la commission des finances du Sénat. Je suis cependant absolument convaincu que notre ami Jean-Luc Fugit en a restitué toute l'importance et toute la saveur.
Une question me vient spontanément à l'esprit mais la réponse n'est peut-être pas simple ou son expression doit être diplomatique. Parvenons-nous, dans le domaine spatial, à afficher une solidarité européenne supérieure à celle que nous parvenons à afficher en matière d'équipements militaires ? On voit bien un effort des industries de défense, qui sont d'ailleurs très liées au spatial à bien des égards puisque le contrôle et la supervision d'un théâtre d'opérations sont satellitaires, mais nous avons des partenaires européens qui, pour des raisons parfaitement compréhensibles mais que je ne partage pas, se retournent vers le puissant parrain américain.
On observe peu de demandes de « parapluie » chinois en Europe, ce qui est déjà une satisfaction. En revanche, on voit bien que les pays baltes, la Pologne et l'Allemagne ne considèrent pas que l'Europe puisse être indépendante en matière d'équipements de défense. Or, on connaît la dualité des équipements spatiaux – usages de défense et usages civils – et le Président de la République a eu raison d'insister sur l'utilité, au regard du climat, de la connaissance précise de la Terre qu'apportent les systèmes satellitaires.
Nous dépensons chaque année pour la recherche et le développement sur le spatial le dixième de ce que font les États-Unis, donc la tentation doit être assez forte d'adopter une attitude de consommateur de produits sur étagère et de prestations de services plutôt que de se convaincre de la possibilité de notre autonomie.
- On peut dire en effet que la coopération en matière spatiale est meilleure que sur le plan militaire. Cela se voit notamment à travers des exemples très concrets tels les grands projets Copernicus et Galileo, qui sont le fruit d'une véritable collaboration mutualisant les moyens, les marchés et les résultats qui présentent un intérêt commun. Les problématiques d'observation de la Terre sont de plus en plus prégnantes, notamment sur des sujets comme l'observation et la compréhension des phénomènes climatiques ainsi que l'adaptation au changement climatique.
J'ouvre une petite parenthèse : on parle des évolutions climatiques, il faut donc pouvoir objectiver les phénomènes. Il ne s'agit pas de remettre en cause leur existence, c'est une évidence, mais de bien les objectiver. Je me réjouis de voir que nous aurons maintenant des applications satellitaires permettant de savoir quelles sont les productions réelles de CO2 ; c'est quand même une molécule dont la présence n'est pas si facile à détecter. On se gargarise souvent de calculs et, comme on le voit dans les débats politiques, on s'envoie des chiffres à la figure alors que la plupart des gens ne savent même pas ce que représente une tonne de CO2. C'est le chimiste qui vous parle : nous avons besoin de ces observations. Si de plus on veut comparer ce qui concerne le CO2 avec d'autres types de molécules, par exemple avec le méthane, émis par des phénomènes différents de ceux du CO2, on a encore plus besoin de ces observations.
Je pense que nous avons la chance d'avoir des données satellitaires qui peuvent être utiles – et qui le seront de plus en plus – au milieu agricole. Les systèmes assuranciels mettant en œuvre des mécanismes d'assurance paramétrique profitent de toutes les mesures et toutes les observations qui permettent d'anticiper ou de comprendre ce qu'il se produit d'un point de vue agricole – je le vois en consultant régulièrement les travaux du CNES. Ce n'est peut-être pas encore suffisamment utilisé mais ce le sera sûrement de plus en plus, au niveau européen et quel que soit le pays.
Il me semble donc que des causes telles que l'adaptation au changement climatique doivent encore plus favoriser ces collaborations. C'est déjà ce que l'on observe et le grand public peut être plus sensible aux sujets climatiques qu'aux questions militaires. En matière de partage d'intérêts communs et d'efficacité des coopérations, je pense que le domaine spatial est un peu plus avancé même si, évidemment, il faut sûrement faire beaucoup plus.
On s'aperçoit que beaucoup de sociétés actives sur les sujets liés au climat se trouvent parmi les start-up du New Space. Il est d'ailleurs intéressant de voir qu'un grand nombre de ces investissements se font autour de la question climatique et du partage de données. Cela va vraiment dans le bon sens.
Je fais une remarque en passant : pour comparer correctement les budgets d'investissement et de recherche, il faudrait faire des calculs approfondis qui tiennent compte du fonctionnement des différents pays. Je m'explique. Une partie de la recherche peut être financée par l'État ; par exemple, en France, un enseignant-chercheur peut travailler dans un laboratoire de recherche du CNRS. Comment son salaire – ou la moitié de son salaire puisqu'il est enseignant-chercheur – est-il comptabilisé dans l'effort d'investissement national dans le spatial ? Je suis toujours très prudent quand on analyse les budgets car il faut voir quel est le périmètre qui définit ces budgets. Il ne s'agit évidemment pas de dire que nous en faisons suffisamment, les conclusions sont très claires sur ce sujet, mais je pense que l'écart effectif est peut-être moindre que l'écart apparent.
J'ai voulu, dans ces recommandations, qu'une volonté politique soit clairement affichée dans tous ces domaines afin d'attirer des cerveaux pour travailler sur ces questions chez nous ; nous en avons besoin, et nous l'avons vu aussi sur les problématiques de défense.
Je viens de parler des problématiques climatiques mais n'oublions pas les problématiques d'aménagement du territoire, notamment pour que la connectivité soit la meilleure possible sur l'ensemble du territoire. Un problème d'équité se pose entre les fonds de certaines vallées et les centres-villes de certaines métropoles : il faut assurer la même qualité d'accès à Internet. Or, aujourd'hui, mettre de la fibre optique partout serait extrêmement coûteux. Un élu local peut y trouver l'occasion de montrer à ses concitoyens qu'il s'occupe d'eux en faisant des trous pour mettre la fibre optique, mais avoir une connectivité par des constellations de mini satellites coûte quatre à cinq fois moins cher.
En revanche, les constellations augmentent le nombre de satellites présents dans l'espace, avec, à terme, le sujet des débris et de l'état environnemental de l'espace. Pour moi, ce sujet devra être de plus en plus étudié et je pense d'ailleurs que l'Office devrait le suivre. Nous devrons continuer à être très vigilants, et il faudra peut-être faire évoluer des réglementations, voire regarder d'une manière générale la réglementation internationale. À un moment donné, il faudra savoir qui est responsable de quoi parce que l'encombrement de l'espace va devenir préoccupant et que la disponibilité de l'espace est presque un bien commun qu'il faudra préserver.
- Il faudrait une réglementation internationale sur les débris. La France se vante toujours de la loi spatiale qu'elle applique mais à quoi cela sert-il ? Nous sommes des nains par rapport à ce qu'il se passe dans l'espace.
Il existe des projets de récupération de débris. J'ai vu des projets suisses ou venant de nombreux autres pays ; ils ne sont pas financés parce que se pose dans l'espace le problème de l'appartenance. Ces débris sont souvent des restes de fusées ou des satellites de télécoms, mais ils peuvent aussi appartenir à une armée. On ne peut pas récupérer des débris lorsqu'ils proviennent d'un engin qui appartient à un autre pays ; on n'en a pas le droit. Tout le monde parle des débris mais, pour l'instant, personne ne fait rien et l'Europe elle-même ne fait rien. Elle ne propose pas d'étendre notre loi à tous les Etats membres. On pourrait au moins envisager de l'appliquer à tout ce qu'on envoie dans l'espace en coopération, même avec des pays hors Europe. Or, on ne le fait pas et je trouve que cela manque.
Il y a trois ans, nous avons davantage parlé de vol habité. Je vois l'intérêt du vol habité pour faire rêver, mais mes collègues n'étaient pas forcément convaincus par l'opportunité de faire rêver au regard du coût correspondant, et d'autres préoccupations sont en effet peut-être plus importantes.
Dans le projet de conclusions, je n'ai pas vu de réponse sur les risques de terrorisme dans l'espace. On peut certes penser à la destruction d'un satellite essentiel, mais je pense surtout aux dégâts que pourrait provoquer la destruction d'un mini satellite, les débris ainsi générés pouvant à leur tour créer des millions d'autres débris. Un débris d'un centimètre est une catastrophe dans l'espace et je pense qu'il faudrait avoir une stratégie de défense et pas simplement déplacer nos satellites quand c'est possible.
- Je vois très bien ce que veut dire notre collègue mais nous touchons là au périmètre des commissions de la défense de nos deux assemblées, même s'il ne nous est pas interdit de regarder le sujet, bien entendu.
J'avais soulevé le problème des débris durant la précédente législature et Catherine Procaccia l'a également fait à plusieurs reprises. Je souhaite que notre Office travaille sur ce sujet en 2023, de manière à pointer les problématiques, à les partager avec nos collègues parlementaires et à interpeller les ministères concernés. Les auditions de plusieurs conseillers de ministères m'ont montré qu'ils connaissent le sujet mais je pense qu'un travail de l'Office permettrait de le « porter » politiquement et inciterait la France à être leader de la prise de conscience sur ce sujet, en Europe et au niveau de l'ESA. Je pense que nous devons avoir un rôle d'initiateur et de stimulation, si je peux m'exprimer ainsi, monsieur le président.
- J'en suis d'accord et la prochaine réunion du bureau permettra d'ailleurs de cibler de manière prioritaire cet enjeu pour les perspectives de travail en 2023, de façon à ce que l'Office continue à être moteur sur la question des débris dans l'espace.
Il faut notamment regarder le volet de la coopération internationale parce que, comme l'a dit Catherine Procaccia, nous pouvons à juste titre nous vanter d'être très vertueux en France mais encore faut-il que les partenaires de nos missions de coopération aient les mêmes règles. Si nous voulons pouvoir formuler des recommandations précises et pertinentes, nous devons regarder les règles en vigueur dans les différents pays partenaires, ce qui nécessite d'engager une étude approfondie. J'ai le sentiment que cette perspective rencontre un certain consensus.
- Je me joins aux appréciations positives qui ont été données sur cette audition, sur un sujet dont on parle souvent, la conquête spatiale et le rêve qu'elle offre, mais qui recouvre quand même des réalités extrêmement diverses.
Je commence mon propos par la dixième recommandation. Je pense que le Gouvernement précédent porte une grande responsabilité en ayant rendu optionnelles les mathématiques dans les lycées. Je suis extrêmement satisfaite que l'on ait pris la mesure de cette erreur – car c'est vraiment une erreur – pour les générations futures, notamment pour le public féminin. Revenir sur cette décision était extrêmement important pour toutes les filières scientifiques, pour tous les métiers scientifiques et pour le secteur spatial en particulier puisque c'est celui qui nous occupe.
Sur les débris, je constate quand même que nous avons en cinquante ans pollué la terre, les rivières, les océans et que nous en arrivons à polluer l'espace. Il faut avouer que l'activité humaine a un signal unique : elle détruit tout ce à quoi elle touche, en l'occurrence même l'espace. On n'arrive pas à nettoyer les océans, donc il est très opportun qu'on s'intéresse à la question des débris dans l'espace. Si l'Office peut agir en ce sens, ce serait très important. Nous pourrions même traiter océans et espace en même temps. Pourquoi pas ? Ce sont des dimensions d'immensité qui se correspondent un peu et il me semble qu'elles pourraient être embrassées de façon plus globale.
Je souhaite enfin revenir sur la conquête spatiale. Aujourd'hui, cette conquête spatiale est très tournée vers la Terre puisqu'on ne parle que de l'observation de la Terre pour des buts agricoles, pour surveiller la montée des océans et les pollutions, pour faciliter les recherches minières, pour un grand nombre d'autres objectifs. On a complètement inversé ce qu'il s'est passé il y a une soixantaine d'années, où le rêve était la conquête de l'espace, la conquête de la Lune était presque de la science-fiction. Aujourd'hui, l'accent est plutôt mis sur les usages de défense et de sécurité et sur l'observation de la Terre au profit des secteurs industriels ou agricoles. Il s'est donc produit une évolution majeure et cela interroge d'autant plus sur l'opportunité du vol habité et des enjeux financiers qui lui sont sous-jacents.
Je formule enfin une petite critique. On parle du vol habité et de l'exploration de l'espace, mais on ne parle pas de l'exploitation de l'espace, notamment de la Lune. Il faudrait peut-être se positionner sur les stratégies de la Chine et des États-Unis. Les Chinois et les Américains ne s'intéressent pas au vol habité et au retour de l'Homme sur la Lune uniquement pour la grandeur de la conquête spatiale et pour faire rêver, mais pour préparer l'exploitation d'autres planètes, d'abord le corps céleste qui est le plus proche, la Lune, et un jour peut-être d'autres. Comme nous arrivons à la fin de l'exploitation de notre planète, il faut conquérir les autres pour continuer à vivre toujours de la même façon, sans engager de véritable réflexion sur nos modes de vie. Je pense que cette analyse manque à ce rapport. Une recommandation appelle à continuer à travailler sur ce sujet pour une décision politique à destination du grand public et pour soutenir une filière industrielle, mais de quelle filière s'agit-il ? Ce n'est pas la filière spatiale : on parle en fait de la filière industrielle d'exploitation minière et je trouve que ce n'est pas dit suffisamment clairement dans ce rapport. C'est un point qu'il conviendra de développer pour se positionner politiquement sur cette question.
- Je pense que la question du « nettoyage » est plus difficile pour les océans que pour l'espace. L'Office s'y est intéressé durant la législature précédente, avec l'excellent rapport d'Angèle Préville et Philippe Bolo sur la pollution plastique. Ce rapport présente la situation de manière très objective et l'on doit espérer que tous les parlementaires l'aient lu. Il faut populariser, rendre plus visible ce type de rapport ; je crois d'ailleurs que les deux rapporteurs l'ont fait en le présentant dans des lycées, à des jeunes. De façon générale, l'Office doit parvenir à mieux faire connaître ses travaux. Pour en revenir aux débris, une prise de conscience est indispensable et doit déboucher sur des décisions.
Pour ce qui concerne l'exploration, l'audition publique n'avait pas vocation à débattre de toutes les questions spatiales. C'était certes une matinée riche et dense mais nous n'avons pas pu creuser tous les sujets. Nous avions à préparer le conseil ministériel de la semaine prochaine. J'estime d'ailleurs que l'Office devrait avoir chaque année un temps d'échange approfondi avec tous les acteurs du spatial, indépendamment de la périodicité triennale des conseils ministériels.
Quand on compare aux années 1960, il n'est pas évident que l'exploration coûte si cher que cela aujourd'hui, d'autant que beaucoup de choses ont déjà avancé. Ensuite – peut-être est-ce le côté un peu rêveur du savant – je pense que comprendre ce qu'il se passe, par exemple connaître la composition chimique du sol ou de l'atmosphère de Mars ou de la Lune, est quand même intéressant. Évidemment, il faut voir ensuite quel usage nous en faisons. C'est en fait une question qui est posée pour toute technologie : ce n'est pas la technologie elle-même qui pose problème, c'est l'usage qu'on entend lui donner.
L'exploration me semble donc intéressante pour comprendre le monde qui nous entoure, avec de plus une petite partie de rêve. Cela fait partie de la nature humaine que d'avoir envie de se projeter ainsi. C'est un fils d'agriculteur qui vous le dit : on peut avoir les pieds bien sur terre mais aussi, de temps en temps, avoir envie de se projeter.
Enfin, le thème de l'exploitation a également une forte dimension juridique. Le contexte est très mouvant et il n'en est que plus important pour l'Office de le suivre. D'ailleurs, la diversité des membres de l'Office lui permet d'avoir des regards croisés, avec des sensibilités et des approches qui peuvent être un peu différentes. C'est beaucoup plus riche, à la fois pour éclairer la représentation nationale et pour faire en sorte que nos conclusions soient le plus partagées possible au niveau médiatique et surtout auprès du grand public. Cet enjeu me paraît majeur pour les années qui viennent.
- Je ne nie pas la part de rêve sur ce sujet. J'ai rêvé moi-même, mais il ne faut pas laisser penser qu'on souhaite explorer uniquement pour le rêve. Si les Chinois et les Américains se positionnent aujourd'hui si clairement sur une partie de la Lune, ce n'est pas juste pour le rêve. Lorsque la conquête spatiale était inscrite dans la concurrence avec l'URSS, c'était le rêve mais aussi la conquête de la prédominance sur Terre. Ne restons pas que dans le rêve, ayons également en tête les vrais enjeux, ceux sur lesquels nos États impérialistes actuels sont en train de se battre.
- Je suis tout à fait d'accord qu'existe aussi la volonté de montrer ses muscles. Je me suis peut-être mal exprimé avec le mot « rêve » mais, pour avoir fait pendant vingt ans de la recherche en plus de mes activités d'enseignement, je pense qu'il faut accepter l'idée que la recherche comporte toujours, peut-être pas du rêve mais une part d'imagination. On essaie toujours de faire avancer les choses et, parfois, on va sur des chemins dont on ne voit pas immédiatement où ils mènent. Dès lors, je peux comprendre que l'élan de l'exploration ne soit pas toujours partagé et que l'on soit soupçonné d'avoir des idées derrière la tête, si je peux m'exprimer ainsi.
Connaître les planètes qui nous entourent, la composition chimique de leur atmosphère et de leur sol, comprendre comment l'ensemble est structuré est nécessaire, puisque l'humanité a besoin de comprendre le monde où elle vit et d'améliorer celui qui l'entoure de manière très directe. Je ne nie pas les enjeux autres que celui que ce que j'évoque ici mais je pense qu'il revient à notre pays de se positionner pour éviter un certain nombre de dérives.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle l'approche française, tant au sein de l'ESA que de l'Union européenne, est sensiblement différente de celle de ses partenaires, et c'est tant mieux. L'approche française s'enrichit aussi de cette diversité et la France ne doit pas être absente de ces débats, justement pour éviter que les deux, voire trois, importants protagonistes mentionnés précédemment soient seuls à la manœuvre.
- Pour aller dans le sens du rapporteur comme dans celui de Christine Arrighi, je pense qu'il faut effectivement garder cette troisième voie face aux deux fortes concurrences qu'imposent les Etats-Unis et la Chine : la stratégie européenne doit conserver une dimension éthique forte pour éviter des dérives dans l'exploration et, plus encore, l'exploitation spatiales, comme vous l'évoquiez.
L'Office peut aussi porter des messages. Il le fait notamment sur les débris spatiaux et il continuera évidemment sur l'ensemble des domaines scientifiques. Dans les recommandations qui ont été présentées par le rapporteur ce matin, on trouve cet impératif éthique mais, au-delà de l'affirmation des principes, il faut être surtout vigilant dans leur application.
Il n'est pas évident de rivaliser avec les Etats-Unis ou la Chine, mais la France doit continuer à porter au niveau européen une politique d'exploration spatiale qui reste éthique, notamment avec la prise en compte des changements climatiques majeurs sur Terre.
- On le dit à demi-mot dans la quatrième recommandation. Oui, les Américains avancent de leur côté, à leur rythme et avec leur propre façon de voir les choses, mais les Européens peuvent s'enorgueillir d'avoir créé au sein de l'ESA un groupe qui réfléchit à la forme que doit prendre la vision européenne du vol habité. Cette démarche collective a bien plus de chances d'adopter une approche éthique qu'un pays qui agit tout seul.
On peut déplorer ce que font les Américains et les Chinois mais être quand même satisfait de voir l'orientation prise en Europe. La réflexion est menée en mettant en avant l'intérêt scientifique et souverain de l'exploration habitée, avec une finalité a priori différente au niveau européen. On prend le temps d'avoir un échange approfondi pour clarifier l'ensemble des choix, et il faut aussi se faire confiance.
C'est pourquoi le conseil ministériel et les autres discussions de la semaine prochaine au sein de l'ESA, avec toutes les agences spatiales, sont importants. Ils permettront peut-être de définir une position européenne différente de celle des Américains et des Chinois, une position qui correspond plus à ce qui est souhaité dans un pays comme le nôtre. Les membres de l'Office semblent être plutôt d'accord pour ne pas souhaiter nécessairement suivre l'orientation prise par les États-Unis.
- J'ai deux petites remarques sur la formulation des recommandations. La neuvième appelle à « maintenir un socle solide et pérenne de commande publique » ; j'aimerais que nous ajoutions « européenne » parce que cela pèche surtout du côté européen.
- La deuxième recommandation évoque « les nouvelles générations de lanceurs, aussi bien Ariane 6 que son futur successeur réutilisable ». Je rappelle que, si l'Europe est en retard, c'est parce qu'elle n'a pas voulu y réfléchir voici dix ans. Même si les industriels d'Ariane 6 ont encore du mal à mettre au point cette fusée, il est plus que temps d'engager les réflexions et les travaux sur son successeur. J'aimerais donc trouver une expression qui insiste sur l'avenir d'Ariane 6, car celle-ci est déjà périmée. Il faut démarrer dès maintenant un véritable travail sur le futur lanceur, parallèlement à la sortie d'Ariane 6.
- C'est intéressant mais il est délicat d'écrire qu'Ariane 6 est déjà périmée alors que le vol inaugural n'a pas encore eu lieu. Ce n'est pas comme un pot de yaourt qu'on a laissé au réfrigérateur pendant quinze jours, ça n'a pas le même impact financier. Nous pourrions peut-être inviter à accélérer les travaux de conception du futur lanceur réutilisable. Pour l'ensemble de la deuxième recommandation, cela donnerait : « Assurer un accès autonome à l'espace pour la France et l'Europe en maintenant sur la durée les efforts d'investissement demandés par Ariane 6 et en accélérant la conception du futur lanceur réutilisable. » Cela vous paraît-il plus tonique et plus directif ?
- Oui, et on évoque bien les efforts d'investissement. Et pour la neuvième recommandation ?
- Très bien. Nous avons pris bonne note de ces deux modifications. Les recommandations sont formulées dans la perspective du conseil ministériel de la semaine prochaine donc il est important qu'elles correspondent exactement aux attentes de l'Office.
- La quatrième recommandation se conclut par la phrase : « Il s'agira de mettre en avant l'intérêt scientifique et souverain de l'exploitation habitée afin d'assurer l'adhésion du grand public à des projets d'envergure nécessitant un effort majeur. » Nous pourrions compléter cette phrase pour intégrer la remarque de Christine Arrighi, que je trouve pertinente, sur la nécessité d'avoir une réglementation sur l'exploitation des ressources. Je pense qu'il faut cet ajout car il est le fruit de nos débats, monsieur le président.
- Je propose d'ajouter : « Il conviendra de veiller à la mise en place d'une réglementation sur l'exploitation des ressources. ». On pourrait peut-être insérer le mot « éthique », mais il faudrait surtout préciser que cette réglementation doit être internationale.
- Cela montre la continuité des travaux de l'Office et c'est le fruit de notre travail collectif ce matin, donc autant le faire dès à présent. Il me semble que le message est suffisamment clair.
- Très bien. Un grand merci à vous tous pour ces contributions, et particulièrement à notre rapporteur. Je vous propose donc de valider ces conclusions assorties des dix recommandations, qui deviennent donc les recommandations de l'Office, avec les trois modifications dont nous avons débattu. Je ne vois pas d'avis contraire.
L'Office adopte les conclusions de l'audition publique du 3 novembre 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions
* * *
Examen des conclusions de l'audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments (Pierre Henriet, député, et Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs).
- Nous pouvons maintenant passer au deuxième point de l'ordre du jour et je vous propose d'atterrir, de redescendre sur Terre avec des considérations plus matérielles mais également très stratégiques puisque nous allons examiner les conclusions de l'audition publique organisée le 6 octobre dernier sur la rénovation énergétique des bâtiments. Je vous présente la première partie de nos conclusions et je céderai ensuite la parole à Gérard Longuet.
Les objectifs ambitieux assignés au secteur du bâtiment, à l'instar de l'objectif de neutralité carbone en 2050, continuent de contraster avec la faiblesse des moyens disponibles pour les atteindre : environ quatre milliards d'euros sont dépensés chaque année pour la rénovation. Pourtant, plus que jamais, les motivations environnementales se conjuguent aux motivations économiques en vue de diminuer la facture énergétique de ce secteur, si important pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES).
Cette audition a permis à l'Office de faire le suivi d'un sujet sur lequel il se penche régulièrement. En 2009, sur le fondement de l'article 4 de la loi de mise en œuvre du Grenelle de l'environnement, nos anciens collègues Christian Bataille et Claude Birraux s'interrogeaient, en sous-titre de leur rapport, sur « la performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? »
Outre l'accélération de la diffusion des solutions les plus performantes et le fait de privilégier les meilleures solutions techniques sans a priori, deux propositions structurantes étaient particulièrement mises en avant :
Ce dernier sujet est revenu de manière récurrente au cours de l'audition publique organisée le 6 octobre 2022.
Quelques années après, nos anciens collègues Jean-Yves Le Déaut et Marcel Deneux ont estimé en 2014, dans le titre de leur rapport, que les freins réglementaires à l'innovation en matière d'économie d'énergie dans le bâtiment nécessitaient une « thérapie de choc ». Ils proposaient notamment de recentrer les missions du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), de simplifier les aides et de les rendre plus globales – à l'image de Ma prime rénov' – ou encore de faire de la rénovation un axe majeur de la Stratégie nationale de la recherche.
Enfin, en 2018, nos collègues Jean-Luc Fugit et Loïc Prudhomme ont réalisé une note scientifique de l'Office sur la rénovation énergétique des bâtiments dans laquelle, tout en reprenant certaines des recommandations précédentes, ils ont préconisé de mesurer le nombre de rénovations effectuées ainsi que leurs qualités précises, de traiter en priorité les 7,4 millions de passoires thermiques et, plus largement, de soutenir l'innovation et de mieux financer la recherche associée.
En France, environ un quart des émissions de gaz à effet de serre est dû au bâtiment. La rénovation énergétique des bâtiments implique aussi des enjeux politiques et sociaux en termes d'indépendance énergétique et de réduction de la précarité énergétique. L'atteinte des objectifs nationaux de réduction des émissions de GES et de consommation d'énergie finale est fortement dépendante de la réalisation des objectifs fixés au secteur du bâtiment.
Depuis une trentaine d'années, on observe que le parc de logements ne se renouvelle que de 1 % par an. Il est donc nécessaire de rénover spécialement le bâtiment existant, faute de quoi il s'écoulerait une centaine d'années avant que l'ensemble du parc soit devenu performant. En effet, les progrès considérables réalisés sur la performance des bâtiments neufs ne peuvent avoir qu'un effet limité sur les caractéristiques des émissions de GES et de consommation d'énergie du parc considéré globalement, même à l'échelle de deux décennies.
De plus, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015, mettant en place la stratégie nationale bas carbone et encadrant la programmation pluriannuelle de l'énergie, fixe l'objectif d'un secteur du bâtiment neutre en carbone à l'horizon 2050, c'est-à-dire par exemple uniquement composé de logements à diagnostic de performance énergétique (DPE) A ou B. Cet objectif impose de rénover à l'échelle nationale plus de 27 millions de logements d'ici à 2050, soit une cible de 700 000 rénovations chaque année. Celle-ci est loin d'être atteinte puisqu'il n'y a actuellement que 70 000 à 80 000 rénovations par an.
La rénovation énergétique des bâtiments représente un investissement annuel de l'ordre de quatre milliards d'euros, dont 2,8 milliards d'euros pour Maprime rénov'. Comme l'affirmait la note scientifique de l'Office en 2018, il est important dans un tel contexte de prioriser la rénovation des bâtiments existants par rapport à une course à la performance dans l'amélioration des bâtiments neufs.
Aussi, en conclusion de l'audition publique du 6 octobre 2022, Gérard Longuet et moi-même vous présentons plusieurs propositions, certaines ayant été explicitement évoquées lors de l'audition. Il s'agit de promouvoir trois axes d'amélioration, chaque axe donnant lieu à trois recommandations. Nous avons par ailleurs veillé à ce que les neuf recommandations forment un ensemble cohérent.
Le premier axe propose un véritable pilotage public de la rénovation énergétique des bâtiments et s'accompagne de trois séries de mesures. La principale consiste à préconiser la refonte, la simplification et la stabilisation des dispositifs d'aides directes. Il faut éviter la multiplication des dispositifs, recentrer les mesures de soutien autour du nom Ma prime rénov', quitte à décliner cette dernière selon plusieurs modalités d'application. Ce cadre doit être stabilisé car la lisibilité du système d'aides est une condition de son succès.
Par ailleurs, les aides sont fournies indépendamment du contenu réel des travaux alors que beaucoup ne permettent pas de diminuer significativement la consommation énergétique. C'est pourquoi la question de l'efficacité des travaux doit devenir un objectif, à la fois en termes de consommation d'énergie et d'émission de CO2.
De manière moins opérationnelle, je mentionne deux autres pistes possibles, celle d'un « viager énergétique » et celle d'une non-prise en compte des dépenses en faveur de la rénovation énergétique dans le calcul du déficit public au sens de Maastricht.
Je poursuis avec la deuxième série de mesures de ce premier axe. Il convient d'inciter plus et mieux en mobilisant des outils de fiscalité et de communication. Il faut moduler les incitations fiscales de sorte que les rénovations globales et les parcours types de travaux bénéficient de régimes fiscaux encore plus favorables. On peut également imaginer la mise en place d'une incitation fiscale sous forme de crédit d'impôt à l'intention des ménages les plus précaires, ainsi que pour les copropriétés au sein desquelles, trop souvent, l'intérêt de la rénovation énergétique ne parvient pas à se diffuser.
Les incitations non fiscales passent notamment par une réorientation de la communication sur la rénovation énergétique des bâtiments en vue de rétablir la confiance des ménages. De plus, il faut recourir davantage aux certificats d'économie d'énergie qui sont de très bons moyens de financer les travaux de rénovation sans nécessiter des crédits d'État ou des prêts bancaires, puisqu'il s'agit de mécanismes obligeant les fournisseurs d'énergie – électricité, gaz, fuel, carburant, GPL – à encourager les travaux d'économie d'énergie des particuliers, des syndicats de copropriété, des collectivités locales ou encore des entreprises.
Enfin, nous avons besoin de mobiliser les collectivités territoriales, qui peuvent donner une impulsion, d'autant que l'audition a souligné le fait que l'échelle locale est souvent pertinente pour déployer une stratégie de rénovation énergétique, ne serait-ce que parce que la France connaît plusieurs types de climat. Plutôt qu'être pensée au seul niveau du logement individuel ou du bâtiment, la rénovation doit être pensée dans un cadre certes local, mais plus large. Le raisonnement et l'action doivent par exemple se déployer au niveau d'un pâté de maisons, d'un îlot, d'un quartier, voire d'une commune.
Je cède la parole à Gérard Longuet pour présenter la suite de nos conclusions.
- Le deuxième axe de nos propositions s'intitule : Pour un cadre plus favorable à la rénovation énergétique des bâtiments, mieux former, mieux suivre et mieux contrôler. Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation et propose à cette fin de s'appuyer sur la recherche, évidemment, sur la démultiplication de l'offre de service, ce qui est déjà plus intéressant et sur une meilleure prise en compte des problématiques environnementales, notamment grâce à l'utilisation de matériaux biosourcés.
Sur le volet formation, que dire ? Il faut développer un dispositif de formations attractives et bien encadrées qui facilite les 700 000 rénovations nécessaires chaque année et faire en sorte qu'elles soient de bonne qualité. Ceci nécessite de mettre en place un référentiel commun de formation pour toute la filière – il n'existe pas –, d'augmenter l'attractivité de la filière pour avoir plus de main d'œuvre et de poursuivre la montée en compétences de l'ensemble de ces professionnels.
Plus précisément, il faut doter les professionnels de la capacité de définir clairement un parcours de travaux dans le cadre d'une rénovation par étapes, ce qui est extrêmement fréquent. Ceci passe notamment par des formations à l'interfaçage des travaux pour assurer que plusieurs opérations successives de rénovation aient le même impact qu'une rénovation réalisée en une seule fois.
Dans le même ordre d'idées et de manière à éviter qu'une succession désordonnée de travaux réduise l'efficacité des démarches entreprises, il faut t que les rénovations bénéficient systématiquement de mesures d'accompagnement. Lors de l'audition publique, Franck Perraud, vice-président de la Fédération française du bâtiment, a suggéré de mettre en place un passeport rénovation en plusieurs étapes se succédant au fil des années et de généraliser la distribution d'un petit guide à l'attention des clients afin de leur permettre d'apprendre le bon usage des dispositifs techniques installés chez eux. Je suis complètement d'accord avec cela, car régler un thermostat peut être une aventure pleine d'aléas et de déceptions.
Par ailleurs, une meilleure connaissance du parc est nécessaire. Le CSTB a créé pour cela une base de données nationale des bâtiments qui intègre des données non seulement cadastrales mais aussi de constitution du bâti, voire d'enveloppes de consommation d'énergie. Cette base de données reste à compléter et l'intelligence artificielle peut être utile à son exploitation.
Le deuxième axe recommande également de mettre en œuvre des mesures de suivi et de contrôle. Alors que l'efficacité des travaux doit évidemment devenir une priorité, l'un des points faibles de la rénovation énergétique en France est l'absence de suivi. Personne ne vérifie réellement la qualité des travaux réalisés ni celle du diagnostic de performance énergétique. Ces défauts de suivi peuvent favoriser ce que l'on qualifie parfois d'éco-délinquance, qui repose sur des diagnostics ou des travaux bâclés.
Il faut reconnaître que certaines publicités, sur Internet ou insérées dans nos quotidiens préférés, sont vraiment du racolage qui défie le bon sens et devrait mettre en alerte tout esprit avisé. Une mesure de performance après rénovation serait l'idéal, mais un tel dispositif exigeant serait compliqué à mettre en place, c'est évident. Souvenons-nous que cela doit concerner à terme 27 millions de logements.
De manière plus réaliste, un suivi des travaux de rénovation par un expert thermicien est souhaitable. Après tout, les voitures passent au contrôle technique ; les logements pourraient suivre un même cheminement. Dans le rapport de 2014 précité, l'Office proposait de créer des conseillers à la rénovation qui auraient vocation à intervenir de l'amont à l'aval des travaux. Ceci me paraît plus compliqué à mettre en place parce que les enjeux financiers sont considérables pour l'immense majorité de nos compatriotes.
Toutes ces évolutions visant à mieux former, mieux suivre et mieux contrôler auront pour effet de prévenir l'éco-délinquance, mais il faut également lutter contre ce phénomène en le réprimant plus sévèrement. Les sanctions restent rares, d'autant que l'efficacité des travaux est parfois difficile à quantifier. Lors de l'audition, plusieurs intervenants ont évoqué les grandes difficultés qu'éprouvent les organismes délivrant le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) lorsqu'il faut le retirer aux entreprises indélicates. De plus, l'éco-délinquance ne concerne pas uniquement les travaux de rénovation, mais également les DPE, tant au niveau de leur réalisation que de leur préparation, par exemple le démarchage par téléphone ou par courrier électronique. Le racolage est permanent.
Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation. Il convient d'abord de s'appuyer sur la recherche, c'est évident. Elle a déjà donné des résultats solides en matière de techniques d'isolation, et les rapports sur le sujet ainsi que les intervenants de l'audition publique confirment que des campagnes de rénovation massives permettant d'atteindre des performances élevées sont possibles dès maintenant.
Cependant, quelques voies d'amélioration sont bel et bien identifiées par la profession. La recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit donc être poursuivie et amplifiée.
Tout d'abord, le financement de la recherche doit être significativement augmenté. Son niveau est extrêmement faible dans cette filière. Il représenterait pour le secteur privé environ un à deux pour mille des 130 milliards d'euros de chiffre d'affaires du secteur en 2018 – ce montant, très important, me paraît être celui de la construction plutôt que de la seule rénovation. La communauté de la recherche publique française du secteur voit ses effectifs décroître depuis plusieurs années. Cette tendance doit donc être inversée. La recherche sur le bâtiment doit être remise au cœur de la politique française d'économies d'énergie et de nos stratégies de recherche en général.
Ensuite, des études restent à faire pour rénover dès que possible des bâtiments différents en utilisant les mêmes techniques, ce qui permettrait de gagner de l'efficacité et donc de rénover de plus en plus vite à l'image du mouvement européen EnergieSprong.
Enfin, il faut s'appuyer sur les technologies numériques et sur d'autres technologies innovantes, à l'instar des isolants minces qui demeurent assez peu développés et doivent encore faire la preuve de leur efficacité, ne serait-ce que pour ne pas perdre trop de surface dans les isolations intérieures. Sans attendre de nouveaux résultats à court terme, il est important d'augmenter le financement de la recherche pour déployer ensuite à moyen terme des solutions de plus en plus efficaces et de moins en moins encombrantes.
Comme l'évoquait la note scientifique de l'Office, les sciences sociales ne doivent pas être oubliées. Elles peuvent faciliter la mise en œuvre de toutes les mesures présentées, notamment en aidant les pouvoirs publics à identifier les leviers qui permettront d'inciter à la rénovation. Je renvoie d'ailleurs à la conclusion du premier axe qui évoquait l'action des collectivités locales. L'action collective, avec l'effet d'entraînement qui est bien connu des spécialistes en sciences sociales, doit être à mon avis fortement soutenue pour mobiliser les plus sceptiques. En 2018, l'Office avait, de manière plus générale, proposé de créer un institut de recherche pluridisciplinaire spécifique dédié à la rénovation et financé, le cas échéant, par le secteur privé. Je ne suis pas persuadé que ce soit une priorité.
Pour accélérer, il faut démultiplier les actes de rénovation et rénover les bâtiments publics. J'ajoute qu'il faut impliquer ceux qui financent, c'est-à-dire les banques dans leurs relations avec les particuliers, qui restent parfois très en retrait. En effet, le nombre de rénovations n'est pas à la hauteur des objectifs. Il faut mobiliser beaucoup mieux les acteurs en améliorant en quantité et en qualité l'offre de services et de travaux sur tout le territoire et diminuer la complexité administrative – pas seulement dans ce secteur, d'ailleurs.
Je crois beaucoup à la mobilisation des collectivités territoriales mais, plus largement, les pouvoirs publics doivent déployer une stratégie dynamique d'impulsion nationale en faveur de la rénovation des bâtiments publics. Je vous raconterai une petite histoire fiscale ensuite, pour faire comprendre qu'une telle stratégie bute sur les réalités de la fiscalité et des changements incessants de fiscalité, avec de vraies déceptions. Les bâtiments scolaires et les bâtiments de santé qui dépendent d'autorités publiques représentent 250 millions de mètres carrés. Imaginez tout ce qu'il est possible de réaliser comme économies d'énergie.
Cependant, les seules aides de l'État ne suffiront pas à financer toutes les rénovations. Elles sont d'ailleurs insuffisantes pour les ménages qui ne peuvent pas payer le reste à charge de 20% après attribution de Ma prime rénov'.
Il faut donc impliquer davantage les banques et leur faire jouer le jeu de l'accélération de la rénovation énergétique des bâtiments. C'est d'ailleurs une façon de valoriser le patrimoine de leurs clients puisqu'un bâtiment rénové thermiquement a évidemment plus de valeur qu'un bâtiment qui ne l'est pas. Il faut donc débloquer le crédit bancaire et réfléchir à une initiative permettant aux banques d'accorder des prêts à taux zéro pour financer les rénovations, et pas uniquement pour acheter un logement.
Enfin, les problématiques environnementales doivent être mieux prises en compte, en s'appuyant sur l'usage de matériaux biosourcés afin de réduire l'empreinte carbone des logements rénovés, voire de les transformer en puits de carbone, perspective qui peut sembler cependant un peu utopique. Un rêve accessible, immédiatement utilisable et profitable à tous consiste à utiliser comme matériaux de construction des matériaux biosourcés, issus de la matière organique renouvelable, de la biomasse comme le bois, le chanvre, la paille, l'ouate de cellulose, les textiles recyclés, les balles de céréales, le miscanthus, le liège, le lin, la chaume, les herbes de prairie, etc. Ces matériaux ne sont pas seulement utiles pour la rénovation thermique, mais aussi pour la construction, par exemple les structures, les isolants, les mortiers, les bétons, les matériaux composites plastiques et plus généralement la chimie du bâtiment. On peut faire des choses tout à fait nouvelles et tout à fait innovantes mais je m'éloigne là du cœur de notre audition. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte – qui s'est trompée sur de nombreux points – a quand même le mérite d'encourager l'utilisation de ces matériaux, comme le fait aussi la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement et de l'aménagement et du numérique, dite « loi Elan ». Il faut maintenant traduire en axes cette stratégie d'utilisation de matériaux biosourcés.
Voilà, pour l'essentiel, ce que l'audition publique a montré comme valeur ajoutée.
- C'est un vaste programme. Je suppose que cela suscite beaucoup de réflexions chez nos collègues.
- Je bois du petit lait à prendre connaissance de ce rapport puisque, depuis des années, les écologistes pointent les difficultés rencontrées dans le domaine de la rénovation énergétique des bâtiments et sur la question de la sobriété. C'est aussi un sujet social puisque ce sont toujours les plus précaires qui subissent les inconvénients des passoires énergétiques ou thermiques, ayant trop chaud l'été et trop froid l'hiver. La rénovation – c'est important de le dire dans une ère de réchauffement climatique – concerne aussi l'été, et pas seulement l'hiver.
Les recommandations proposées sont très intéressantes. Il est dommage qu'elles n'aient pas été présentées dans l'hémicycle lorsque nous avons débattu du PLF puisqu'un amendement a été voté pour donner des moyens supplémentaires au dispositif Ma prime rénov', notamment pour s'engager résolument dans un dispositif sur les rénovations globales. Il est important que ce soit dit également dans ce rapport, même si faire des rénovations partielles est souvent intéressant. On voit bien que ce qui pèche dans Ma prime rénov' est d'abord l'accès à la prime. La Défenseure des droits a dénoncé encore récemment les difficultés que rencontrent les plus précaires pour bénéficier du dispositif.
Le principe d'un suivi et d'une évaluation des rénovations partielles ou très ponctuelles est intéressant ; c'est d'ailleurs le cas pour des sujets tels que l'électricité et l'amiante ou quand on loue un appartement. Je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas le cas pour la rénovation, que ce soient des rénovations d'ampleur chez les particuliers ou des rénovations globales dans des logements collectifs, où l'on se heurte plutôt à la situation financière des organismes sociaux, qui ont des difficultés à engager ce type d'opération.
Toutes ces recommandations sont extrêmement intéressantes mais il manque les moyens financiers pour les mener à bien. Un argument est souvent opposé : les artisans ne seraient de toute façon pas suffisamment nombreux pour mettre en œuvre les rénovations souhaitées, quand bien même les moyens financiers seraient disponibles. Mais c'est l'histoire de la poule et de l'œuf ! Si l'on n'a pas les moyens, on ne va pas faire de la formation et, si on fait de la formation mais qu'on n'a pas les moyens, on ne pourra pas mettre en œuvre les rénovations.
Enfin, quelle échéance se fixent ces recommandations ? Nous sommes en 2022 et nous avions véritablement l'occasion d'amorcer quelque chose sur ce sujet important. J'ai toujours de l'espoir puisque la deuxième lecture du PLF est proche – et nous comptons beaucoup sur le Sénat – mais il faut amorcer le processus très vite, surtout dans le contexte actuel de cherté de l'énergie. Toute la chaleur qui fuit par les fenêtres ne chauffe pas les personnes qui sont à l'intérieur. J'aurais bien d'autres choses à dire mais je m'en tiens là.
- C'est exactement ce qu'il se passe. Quand on a une passoire énergétique, on chauffe beaucoup, ça coûte très cher et ça ne chauffe pas.
- Tout à fait. Je reviens sur les moyens financiers. Il est difficile pour l'Office de faire une évaluation financière des besoins, ce n'est pas son rôle mais plutôt celui de la commission des finances. Il faut que l'Office reste dans son périmètre d'action et d'évaluation.
Je me réjouis que vous ayez, selon vos propres termes, bu du petit lait avec ces recommandations. Nous avons effectivement des vues largement partagées sur ce sujet et c'est l'esprit, la vocation de l'Office que de poursuivre ces évaluations et les recommandations que l'on peut en tirer.
Vous avez estimé qu'il serait pertinent de présenter ces recommandations dans l'hémicycle. Ceci me conduit à ouvrir une parenthèse plus générale. Il nous faut mieux valoriser les travaux de l'Office. J'ai eu le plaisir d'échanger avec la présidente de l'Assemblée nationale voici deux jours – il serait intéressant que je fasse, en compagnie du premier vice-président, le même exercice avec le président du Sénat. La présidente de l'Assemblée est très ouverte à l'idée que l'Office puisse bénéficier d'un temps dédié dans les discussions générales liées aux sujets qu'il traite.
- C'est ce que j'ai demandé au président Larcher.
- Si nous arrivons à engager nos deux chambres dans cette évolution, ce sera une avancée majeure pour la reconnaissance des travaux de l'Office. Cela permettra de proposer ces recommandations, qui sont déjà travaillées de façon consensuelle, à l'ensemble de nos collègues parlementaires en séance publique. J'espère que nous pourrons mettre en œuvre cette idée très prochainement. C'est une très belle opportunité pour valoriser nos travaux.
J'ai un petit regret à l'issue de l'audition publique et de nos débats de ce jour : il apparaît que les travaux de rénovation thermique ne sont pas soumis à un processus d'évaluation rigoureux. Comme l'a dit notre collègue Christine Arrighi, alors qu'un nombre important de Français connaissent des problèmes de pouvoir d'achat et de compatibilité entre leurs ressources et le coût du chauffage – ainsi que le coût de la protection contre les chaleurs estivales inhabituelles dont nous savons qu'elles se multiplieront dans les années à venir –, nous devrions avoir des argument plus forts pour y remédier.
Je trouve que nos arguments sont excellents pour un étudiant préparant l'ENA et devant rendre une note objective sur les politiques gouvernementales mais nous sommes des femmes et des hommes politiques. Nous sommes au contact des Français qui ont une vie difficile, qui voient s'envoler les prix du carburant, du gaz et de l'électricité, qu'ils soient particuliers ou entrepreneurs, même si nous nous occupons essentiellement des particuliers et des collectivités locales.
Les budgets mobilisés pour les opérations de rénovation énergétique sont des sommes énormes qui posent des problèmes insolubles pour l'équilibre des budgets, aussi bien pour les villes que pour les particuliers, et la dimension économique n'apparaît pas assez dans ce travail. Elle apparaît indirectement avec la recommandation qui évoque un suivi des différentes étapes d'une rénovation étalée dans le temps. Dans ce genre d'opération, il est évident que l'on commence par faire ce qui est le plus visible, le plus efficace ou le moins cher. À chaque étape, on étudie le rapport coût-bénéfice de la décision. Pour un pavillon, isoler des combles est sans doute le moins cher et le plus efficace. Éviter les ponts thermiques, reprendre les ouvertures, améliorer les isolations verticales est déjà plus compliqué ; il faut le mettre en proportion de l'argent dépensé.
Outre l'étalement dans le temps, nous aurions pu approfondir la dimension économique de la rénovation lorsque nous avons évoqué l'intervention des banques. Nous connaissons les banques. Elles ne font jamais que prêter l'argent qu'on leur confie et l'on peut comprendre qu'elles n'aient pas envie de le jeter par les fenêtres. Il serait intéressant pour elles de savoir qu'en prêtant à leurs clients pour une rénovation énergétique, elles leur font économiser de l'argent, d'où un retour sur investissement. Ce retour peut être long, dix ou quinze ans souvent, mais il peut aussi être beaucoup plus court. Je pense donc que cette approche est intéressante.
C'est la raison pour laquelle, intuitivement, je suis très favorable aux actions collectives de rénovation des logements particuliers conduites sur des espaces définis par les collectivités locales. Pourquoi ? Parce que se crée alors une dynamique de groupe avec des propriétaires, des locataires, des propriétaires-bailleurs, des organismes publics qui se disent : « Oui, on va faire cette opération. Voici ce que cela coûtera, mais voilà ce que cela rapportera finalement. » L'échange entre acheteur et vendeur est plus pratique, plus réaliste que le face-à-face entre un marchand de chaudières à condensation ou de pompes à chaleur et un particulier. Le marchand de pompes à chaleur ou de chaudières à condensation expliquera toujours des choses formidables au couple de retraités qui panique devant sa facture énergétique tandis que, dans une opération collective, le rapport de forces s'inverse. Des gens qui connaissent le sujet sont présents – des élus locaux, des gens qui ont déjà fait des travaux, un bailleur social qui s'y connaît un peu, etc. – et ils peuvent dire si le vendeur de solutions exagère ou s'il fait une offre raisonnable.
Je pense donc que l'analyse économique de la rénovation énergétique et l'action collective sont utiles. On ne fait pas une rénovation énergétique tous les mois. Quand on achète sa baguette tous les matins, on est capable de comparer les prix. De même, pour les voitures ou toutes autres sortes d'objets ou de services, le client maîtrise à peu près le prix du service ou de l'objet qu'il achète. Par contre, dans la rénovation énergétique qu'on fait une fois tous les 20 ans et peut-être une fois dans sa vie, on n'a pas d'expérience. Les opérations collectives permettent d'entraîner tout un quartier et de donner à ses habitants la chance d'être soutenus dans une démarche qui reste difficile.
Je suggère donc de mieux parler de l'information économique, de mieux appréhender le rapport coût-rendement et de tirer le maximum de profit d'actions collectives où l'initiative de chacun est soutenue par l'engagement de tous.
- Cela fait partie des choses qui manquaient, à mon avis. Lors de l'audition, les questions de coût ont quand même été beaucoup évoquées et je me souviens d'avoir entendu mentionner des sommes considérables dont nous disions qu'elles n'étaient absolument pas supportables. Ce n'est pas évoqué dans les recommandations.
Je trouve très bien que l'Office parle de recherche, de nouveaux matériaux, d'évaluation mais rien n'est dit sur la recherche de la diminution des coûts, sur le développement de matériaux nouveaux qui seraient moins chers que les matériaux actuels. Ce qui m'a gênée dans l'audition est que ce sont les mêmes qui proposent les matériaux, qui font les travaux et qui s'évaluent tout seuls. Ils vivent en vase clos et je me demande si ce n'est pas la raison pour laquelle les choses ne progressent pas plus.
Je pose une question sur un point que je ne connais pas : les appels à projets de l'Agence nationale de la recherche (ANR) concernent-ils la rénovation thermique ? Il faudrait que le sujet sorte du cercle des seules personnes qui vendent des fenêtres et des portes-fenêtres isolantes, installent des pompes à chaleur et fabriquent de la laine de verre. Ils essaient d'améliorer leurs techniques mais les conclusions montrent bien que très peu de recherches sont menées dans ce secteur. Ne faut-il pas que la recherche sorte du cercle restreint de ces personnes qui, finalement, n'ont pas vraiment envie d'innover ? D'ailleurs, s'ils innovent, il faudra qu'au sein même du CSTB, où ils se retrouvent, ils s'autoévaluent sur des nouveaux matériaux que les concurrents ne font pas. Cela me gêne beaucoup.
À la page 9, vous dites : « une mesure de performance après rénovation serait l'idéal, elle est difficile à mettre en place », mais je ne vois pas pourquoi elle serait difficile à mettre en place. On pourrait très bien prévoir un système imposant qu'un DPE soit réalisé avant et après les travaux, la mesure d'efficacité n'étant pas à la charge de la collectivité, du locataire ou du propriétaire qui rénove mais à la charge de l'entreprise qui intègre alors ce coût dans son prix.
J'ai une autre remarque à la page 11, à propos des « technologies innovantes, à l'instar des isolants minces, qui demeurent assez peu développées – je suis d'accord – et doivent faire preuve de leur efficacité. » Le problème est : qui mesure l'efficacité ? Oui, les technologies innovantes doivent faire preuve de leur efficacité, mais ce sont ceux qui proposent des technologies pas innovantes qui disent si c'est efficace ou pas. C'est ce qui me gêne. J'aimerais que nous formulions différemment le point sur la preuve de l'efficacité.
En tout cas, la rénovation énergétique ne pourra se faire qu'à partir du moment où elle sera abordable. Sinon, nous faisons des vœux pieux et on en reste au même point que pour les débris dans l'espace.
- Deux exemples me viennent à l'esprit dans le monde rural que je représente en partie. Il y avait autrefois des médecins propharmaciens, c'est-à-dire des médecins qui prescrivaient des médicaments et les vendaient. On a mis fin à ce système, un peu « limite » je l'admets, en raison de la multiplication des pharmacies, y compris en milieu rural, et de la généralisation de l'usage de la voiture, ce qui fait que les gens ne sont plus tributaires de leur médecin.
Un autre exemple est une décision, d'ailleurs un peu plus discutable que la précédente, qui a interdit aux coopératives et aux entreprises privées qui vendent des intrants pour l'agriculture d'avoir des salariés conseil, en partant du principe que l'on ne pouvait être à la fois conseiller de l'agriculteur et vendeur. Pour les voitures, on n'imagine pas que le contrôle technique soit assuré par le garagiste qui entretient votre véhicule. Ce serait plus simple mais ce serait dangereux pour l'honnêteté du contrôle. Pour la rénovation énergétique des bâtiments, c'est un peu le cas.
- Le projet de conclusions résume bien ce que nous avons entendu mais il y manque un peu notre esprit critique de l'Office, critique au sens où, tout simplement, nous pouvons faire état d'informations complémentaires comme dans les autres rapports et faire des propositions qui ne soient pas simplement le reflet de ce qui nous a été dit.
- Il ne faut absolument pas avoir peur de l'esprit critique ni de la critique.
Je vous propose de reprendre la phrase qu'a évoquée Catherine Procaccia en supprimant la référence aux isolants minces et en reformulant ce qui concerne la preuve de l'efficacité des techniques innovantes. Pour celles-ci, je pense que nous ne pouvons pas savoir. Il existe énormément de technologies, souvent portées par des start-up, qui sont très prometteuses mais qui ont du mal à se positionner sur le marché, voire ne sont pas encore mises en application sur un plan industriel parce que, comme nous l'avons vu lors de l'audition et comme Catherine Procaccia l'a rappelé, certains acteurs ont une autorité scientifique et technologique qui rend très difficile l'évaluation de la déperdition d'énergie et, plus généralement, de l'efficacité de la rénovation énergétique.
Plus largement, il serait très opportun que l'Office travaille sur les technologies innovantes de la rénovation énergétique et plus généralement de la construction, peut-être sous la forme d'une note scientifique. Je peux vous assurer qu'après l'audition du 6 octobre dernier, un certain nombre d'acteurs se sont manifestés pour alerter sur le fait qu'on n'arrivera absolument pas à atteindre les objectifs de 2050 au regard de ce que présentent les organismes ayant pignon sur rue. Ils ont aussi indiqué qu'ils avaient souvent des difficultés à faire reconnaître sous forme normative ou réglementaire des technologies innovantes qui sont parfois validées par le CSTB. Il faudrait regarder plus en détail le sujet.
- Le fond du problème est que tous ces organismes professionnels sont financés par les entreprises, par un pourcentage de leur chiffre d'affaires. Les plus gros ont donc une voix plus forte et les plus petits ont une voix plus faible.
- Nous pourrions intégrer plus clairement ces considérations dans le projet de conclusions.
- Ceci pourrait se faire à la suite de la mention des « autres technologies qui demeurent assez peu développées ». Notre message doit être que, dès lors que l'efficacité d'une technique est établie, celle-ci doit pouvoir accéder au marché sans entrave.
- Il me semble qu'il faudrait approfondir l'analyse du dispositif Ma prime rénov'. Un rapport très récent du Défenseur des droits dénonce le fait que l'accès à Ma prime rénov' est très compliqué et que beaucoup n'y recourent donc pas. Ceci concerne surtout les personnes les plus précaires, comme pour le RSA, et ce sont également ceux qui vivent dans les logements les plus précaires.
Mon deuxième point concerne les montants dont dispose l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) pour le financement de Ma prime rénov'. Les bailleurs sociaux réclament eux aussi le bénéfice de Ma prime rénov'. Les propriétaires les plus précaires n'y accèdent pas nécessairement et le reste à charge est trop élevé. Comme il n'est pas prévu suffisamment d'argent, nous avions proposé un amendement qui a été adopté mais qui n'a pas été retenu par le Gouvernement. J'espère donc beaucoup du Sénat …
Ma troisième remarque porte sur les rénovations globales. On sait très bien que ce n'est pas par de petites touches que nous parviendrons à lancer un plan massif de rénovation. Il faut donc agir sur les opérations de rénovation globale, tout particulièrement auprès des bailleurs sociaux qui réclament de bénéficier de Ma prime rénov'. Ce dispositif mériterait d'être amélioré en ce sens. Tous les logements construits dans la précipitation dans les années 1960, qui n'obéissent à aucune exigence environnementale, devraient être profondément revus, voire démolis pour certains. Il faut pour cela des moyens financiers et cette dimension manque dans les conclusions.
- Il faut dire que, lors de l'audition publique, les acteurs qui pouvaient nous informer sur ces points n'étaient pas tous présents. Encore une fois, je pense qu'il faut continuer à pousser la réflexion sur ce sujet, notamment pour ne pas laisser à l'écart le public précaire. Cet aspect est quand même présent dans les propositions, même si je conviens qu'il manque de quoi être plus précis sur les recommandations à venir. C'est pourquoi je propose que l'Office se penche sur le volet recherche et innovation puisque c'est ce qui le concerne le plus directement.
Nous pourrons aussi chercher à avoir plus d'informations sur la politique de l'ANR dans ce domaine, notamment sur les biomatériaux, sur l'innovation dans les matériaux, sur l'innovation dans la rénovation énergétique et plus globalement dans la construction. Je ne sais d'ailleurs pas quel est le lien entre l'ANR et le CSTB. Font-ils des appels à projets ? Tout cela mérite que nous nous penchions sur la question.
- Les auditions habituelles de l'Office incluent-elles l'ANR ?
- Non, aucune audition n'est prévue de façon systématique mais nous pouvons tout à fait organiser une audition ponctuelle ou échanger avec eux hors réunion plénière. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le président de l'ANR voici deux mois. Celui-ci pourra bien sûr venir nous parler du sujet qui nous occupe aujourd'hui si nous le lui demandons.
- Il faut savoir comment l'ANR choisit les projets et comment elle détermine les priorités, car ceci reste un peu obscur. Le taux de réussite des appels d'offres est passé de 13 % à 20 % des projets présentés. Pour évoquer un sujet sur lequel je travaille pour l'Office, je demandais depuis dix ans qu'il y ait des projets de recherche sur la chlordécone et la directrice de la recherche pour la chlordécone m'a indiqué qu'il existe enfin un plan chlordécone à l'ANR.
- D'où l'importance que l'Office insiste sur ce type de fléchage. Encore une fois, je pense que le fait d'approfondir ce sujet par un échange avec l'ANR permettra aux membres de l'Office de comprendre ce qu'il en est de la politique de recherche, à la fois sur les matériaux, la rénovation énergétique et la construction.
- Je veux d'abord formuler le regret de n'avoir pas pu être présent à l'audition du 6 octobre car je présentais devant la commission des finances de l'Assemblée des amendements sur les crédits budgétaires dont je suis rapporteur. Je le regrette vraiment parce que c'est un sujet qui me tient à cœur et sur lequel j'ai travaillé sous la législature précédente avec notre collègue Loïc Prudhomme.
Je voudrais aborder les problématiques de la qualité de l'air intérieur et de la ventilation. Vous savez que je suis un peu spécialiste de ces sujets. Le souci en rénovation est que, lorsqu'on isole un bâtiment, on risque de détériorer la qualité de son air intérieur. Que signifie la qualité de l'air intérieur ? Ceci recouvre le renouvellement de l'air – je rappelle les débats relatifs aux capteurs de CO2 – mais aussi les émissions de particules et la nature des usages à l'intérieur. La crise de la Covid-19 en a bien montré l'importance.
Le renouvellement de l'air est fondamental dans un bâtiment ou dans un logement mais aussi dans un habitacle de véhicule ou dans le métro. Dans les modes de vie occidentaux, la population passe 80 à 90 % de son temps dans un milieu clos et la qualité de l'air intérieur est donc fondamentale.
Je continue à suivre ce sujet de très près et il a fallu attendre début 2021 pour que soit créée l'Association française de ventilation, qui réunit toutes les professions concernées. En toute transparence, je suis l'un des deux parlementaires parrains de cette association et, en même temps, je dis très clairement que je n'ai aucun lien d'intérêt avec une quelconque entreprise intéressée. Je suis un universitaire en position de détachement pour le temps de mon mandat politique.
Par-delà ma situation personnelle, la qualité de l'air intérieur est un sujet important. Je prends l'exemple des écoles. 75 % des salles de classe n'ont actuellement pas de ventilation mécanique contrôlée. Je ne parle pas de double flux : elles n'ont même pas de ventilation simple flux. Les maires disent que 60 % de ces salles de classe seront rénovées dans les cinq ans qui viennent, ce qui signifie faire une rénovation thermique. Il faut en profiter pour s'intéresser à la qualité de l'air intérieur, et ce faisant, on améliore le renouvellement de cet air.
Des études scientifiques ont permis d'objectiver le fait qu'une mauvaise qualité d'air intérieur provoque une baisse significative de la concentration psychique, que ce soit l'effet des polluants ou celui du CO2, qui n'est pas un polluant au sens où il n'a pas d'impact sur la santé, même s'il a un effet climatique. D'ailleurs, lorsqu'on est enfermé pendant un moment, on dit : « je vais aller prendre l'air ». La concentration en CO2 à l'extérieur est 400 ppm et la qualité de l'air intérieur commence à être sérieusement dégradée lorsqu'elle dépasse 1 000 ppm. Il a été prouvé que la qualité de l'air a autant d'influence sur les résultats scolaires que la catégorie socioprofessionnelle des parents. Pourtant, malgré l'importance de la qualité de l'air intérieur, on n'a pas souvent le réflexe de s'y intéresser quand on prépare un projet de rénovation.
Plusieurs entreprises m'ont expliqué qu'on peut réduire sensiblement la consommation énergétique d'un bâtiment avec un système de ventilation performant. On peut diminuer de 25 % la quantité d'énergie consommée pour chauffer un bâtiment et on arrive même à déstratifier l'air. En effet, l'air immobile se stratifie et, d'après la loi de Mariotte, les couches les plus élevées sont les plus chaudes ; les systèmes de ventilation peuvent donc déstratifier l'air intérieur, l'homogénéiser, ce qui permet de faire des économies de chauffage. On fait donc de la sobriété énergétique. De plus, le renouvellement permet de réduire la transmission des virus.
Je dis tout ceci parce que j'ai des regrets par rapport au passage du projet de conclusions qui dit que la recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit être poursuivie et amplifiée. Je ne dis pas qu'il ne faut pas continuer la recherche en matière de qualité d'air, mais on sait déjà beaucoup de choses. Par contre, j'ai réussi à faire inscrire dans la loi climat-résilience la notion de rénovation performante en y incluant la question de la ventilation. J'ai été suivi, le Gouvernement ne s'est pas braqué et on a réussi à donner force de loi à cette notion. J'ai essayé d'aller encore un peu plus loin, mais j'ai senti que c'est un sujet sur lequel on a du mal à travailler.
Je voulais donc simplement attirer votre attention sur le fait qu'il est de la responsabilité de l'Office de continuer à s'intéresser à la qualité de l'air intérieur, dans l'esprit de ses travaux sur le covid. Les considérations scientifiques, technologiques et sanitaires sous-jacentes sont extrêmement importantes, y compris sur les plan scolaire et social.
J'ai déposé en toute fin de législature une proposition de loi, travaillée avec les ministères, qui vise à réduire l'exposition de la population à la pollution de l'air de manière générale, et pas seulement aux émissions de polluants. L'une de ses dispositions consiste à expérimenter un diagnostic de performance de la qualité de l'air intérieur (DPQAI), ciblé dans un premier temps sur le renouvellement de l'air puis éventuellement dans un second temps sur d'autres polluants. L'idée serait d'ouvrir aux collectivités qui le souhaitent la possibilité de l'expérimenter sur des bâtiments publics. Évidemment, le dispositif pourrait être ensuite élargi, un peu comme le DPE. Je m'inquiète d'ailleurs comme vous que le DPE ne soit pas encore très au point. Il faudra évidemment progresser.
Vous préconisez la création de véritables conseillers et je trouve cela très bien, mais ne pourrait-on pas imaginer qu'au-delà de la problématique énergétique, ces conseillers regardent aussi ce qu'est le « bien vivre » dans un logement, en intégrant la qualité de l'intérieur ? Le bien-être n'est pas seulement une question de chaud et de froid mais touche aussi à ce qu'on respire, aux problématiques acoustiques, etc. Je sais qu'il existe des conseillers en environnement intérieur mais je ne sais pas vraiment où on les trouve ni comment on les mobilise. Je crois en tout cas intéressant de se poser la question.
J'insiste sur ce sujet parce que les maladies liées au transport de virus, comme la Covid-19, sont aussi liées au renouvellement et à la qualité de l'air. On sait très bien que, si l'on purifiait l'air dans les salles communes des EHPAD par exemple, on réduirait fortement la transmission de virus comme la grippe ou le coronavirus. Ce serait une belle amélioration.
Je m'intéresse beaucoup à la santé respiratoire de nos concitoyens et je pense qu'être dans un logement ou dans un bâtiment bien isolé d'un point de vue thermique est extrêmement important mais qu'il est tout aussi important d'y respirer un air de qualité. Or cet enjeu est beaucoup moins bien perçu. C'est la raison pour laquelle j'essaie d'être clair. Je cherche à voir si nous ne pouvons pas avoir une approche liant énergie et qualité de l'air intérieur, de manière à ce que la qualité de l'air intérieur soit en quelque sorte « prise dans le wagon » de tout ce qui est amélioration des performances énergétiques des bâtiments. Tout le monde souhaite aujourd'hui aller de plus en plus loin sur ce sujet et je voudrais profiter de ce vecteur pour que les problématiques de qualité de l'air intérieur soient également prises en compte.
Je m'excuse d'avoir été un petit peu long et j'espère ne pas avoir entraîné de baisse significative de concentration psychique, comme peut le faire le CO2. Si vous vous intéressez à ce sujet, vous verrez que c'est passionnant.
- Sur la prise en compte de l'amélioration de la qualité de l'air dans la rénovation énergétique des bâtiments, il faut faire le lien avec la maîtrise d'œuvre et avec les architectes. Ceci peut faire l'objet d'un échange ou d'une audition des différents acteurs. L'Office pourrait ainsi être une sorte de lanceur d'alerte, même si l'alerte est déjà bien comprise et bien intégrée dans les différentes instances concernées, notamment le Conseil national de l'air. Je pense que l'Office peut être un bon vecteur pour asseoir l'ensemble des acteurs autour de la table et essayer d'avancer sur la prise en compte de ce sujet.
- Pendant la législature précédente, je siégeais au conseil d'administration du CSTB, qui abrite ce que l'on appelle l'Observatoire de la qualité de l'air intérieur, créé en 2001. On appelle ça un observatoire mais, pour moi, ce n'en est pas un. J'avais demandé un audit. Il a été réalisé, sans être très bien vécu, mais il ne s'est pas passé grand-chose ensuite.
Au vu du projet de conclusions et des échanges de ce matin, je me dis que nous sommes en début d'une nouvelle période de travail au sein de l'Office. La note que vous présentez ce matin redonne un cadre sur le sujet de la rénovation énergétique. Nos discussions soulèvent des points complémentaires sur lesquels il faudra peut-être aller un peu plus loin. Je trouve que c'est ainsi qu'il faut le vivre : un cadre général est posé qu'il faut reprendre en regardant de près quelques objets précis, tels ceux que vous avez évoqués tout à l'heure, notamment les rénovations globales ou les conditions de démarchage. Nous pouvons plus que jamais être force de proposition et peut-être force de stimulation vis-à-vis du Gouvernement. De plus, cette méthode permettrait aussi de partager plus et donc de mieux objectiver le sujet traité.
Il m'est arrivé d'avoir des doutes sur le CSTB lorsque j'y siégeais. On y trouve des gens de très haut niveau scientifique, la question n'est pas là, mais je pense qu'ils ne sont pas suffisamment challengés et peut-être, entre guillemets, « bousculés » d'un point de vue scientifique. Il peut arriver que cela ronronne un peu. Le CSTB pourrait être organisé différemment. Je l'ai ressenti en y siégeant. Je siégeais au conseil d'administration et j'ai assisté à deux ou trois réunions de recherche. Les participants étaient surpris que je vienne mais, comme ils m'avaient invité, je leur ai répondu : « Si vous m'invitez, vous prenez le risque que je vienne. » Du coup, j'avais un peu mis les pieds dans le plat et par la suite j'avais reçu un courrier de certains qui m'avaient dit que je dérangeais un peu. J'ai senti que j'étais allé peut-être un peu loin. Je me permets d'autant plus facilement d'évoquer ceci ce matin que je ne siège plus au CSTB.
- Pour rebondir sur cette toute dernière remarque, je pense que l'Office pourrait avoir des liens avec ceux de nos collègues parlementaires qui siègent dans ce type d'instance. Ils pourraient venir présenter un panorama des travaux conduits sur les sujets qui nous intéressent. Cela permettrait de renforcer le lien entre l'Office et l'ensemble du Parlement.
- Il faudrait peut-être discuter avec les présidents de commission pour voir comment ils pourraient nommer dans les organismes à caractère scientifique un membre de leur commission qui soit aussi membre de l'Office.
- Il me semble que les conclusions devraient recevoir quelques compléments : sur le fait qu'un sujet extrêmement important est évoqué dans l'introduction sans que l'audition ait permis d'en approfondir l'analyse ; sur le fait que certains points spécifiques seront explorés ultérieurement par l'Office. Nous pourrions ainsi indiquer clairement que ce travail n'est pas terminé.
- Les conclusions s'efforcent effectivement de laisser la porte ouverte à de futurs travaux sur le sujet. Je vous invite donc à proposer des initiatives en ce sens. En définitive, nous présentons l'ouverture d'un chantier, pour reprendre un terme de la construction, que l'on porte à la connaissance de l'Office. Il faut que, dans la continuité des travaux de l'Office depuis 2009 et dont j'ai présenté rapidement l'historique en introduction, nous nous saisissions plus précisément de certains des sujets évoqués, en étant centrés sur l'évaluation scientifique et technologique pour bien rester dans notre domaine de compétences.
Avec l'engagement de traduire dans leur texte la teneur de nos débats et des compléments sur lesquels nous nous sommes accordés, je vous propose d'adopter les conclusions de l'audition publique sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Je ne vois pas d'avis contraire et, comme le disait Jean-Luc Fugit tout à l'heure, nous allons lever la séance et prendre l'air.
L'Office adopte les conclusions de l'audition publique du 6 octobre 2022 et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de l'audition et de ces conclusions.
La réunion est close à 11 h 50.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 17 novembre 2022 à 9 h 30
Députés
Présents. - Mme Christine Arrighi, M. Moetai Brotherson, M. Jean-Luc Fugit, M. Pierre Henriet
Excusé. - M. Philippe Bolo
Sénateurs
Présents. - M. Gérard Longuet, Mme Catherine Procaccia
Excusés. - M. André Guiol, Mme Annick Jacquemet, Mme Sonia de la Provôté, M. Pierre Médevielle