Intervention de Gérard Longuet

Réunion du jeudi 17 novembre 2022 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur :

- Le deuxième axe de nos propositions s'intitule : Pour un cadre plus favorable à la rénovation énergétique des bâtiments, mieux former, mieux suivre et mieux contrôler. Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation et propose à cette fin de s'appuyer sur la recherche, évidemment, sur la démultiplication de l'offre de service, ce qui est déjà plus intéressant et sur une meilleure prise en compte des problématiques environnementales, notamment grâce à l'utilisation de matériaux biosourcés.

Sur le volet formation, que dire ? Il faut développer un dispositif de formations attractives et bien encadrées qui facilite les 700 000 rénovations nécessaires chaque année et faire en sorte qu'elles soient de bonne qualité. Ceci nécessite de mettre en place un référentiel commun de formation pour toute la filière – il n'existe pas –, d'augmenter l'attractivité de la filière pour avoir plus de main d'œuvre et de poursuivre la montée en compétences de l'ensemble de ces professionnels.

Plus précisément, il faut doter les professionnels de la capacité de définir clairement un parcours de travaux dans le cadre d'une rénovation par étapes, ce qui est extrêmement fréquent. Ceci passe notamment par des formations à l'interfaçage des travaux pour assurer que plusieurs opérations successives de rénovation aient le même impact qu'une rénovation réalisée en une seule fois.

Dans le même ordre d'idées et de manière à éviter qu'une succession désordonnée de travaux réduise l'efficacité des démarches entreprises, il faut t que les rénovations bénéficient systématiquement de mesures d'accompagnement. Lors de l'audition publique, Franck Perraud, vice-président de la Fédération française du bâtiment, a suggéré de mettre en place un passeport rénovation en plusieurs étapes se succédant au fil des années et de généraliser la distribution d'un petit guide à l'attention des clients afin de leur permettre d'apprendre le bon usage des dispositifs techniques installés chez eux. Je suis complètement d'accord avec cela, car régler un thermostat peut être une aventure pleine d'aléas et de déceptions.

Par ailleurs, une meilleure connaissance du parc est nécessaire. Le CSTB a créé pour cela une base de données nationale des bâtiments qui intègre des données non seulement cadastrales mais aussi de constitution du bâti, voire d'enveloppes de consommation d'énergie. Cette base de données reste à compléter et l'intelligence artificielle peut être utile à son exploitation.

Le deuxième axe recommande également de mettre en œuvre des mesures de suivi et de contrôle. Alors que l'efficacité des travaux doit évidemment devenir une priorité, l'un des points faibles de la rénovation énergétique en France est l'absence de suivi. Personne ne vérifie réellement la qualité des travaux réalisés ni celle du diagnostic de performance énergétique. Ces défauts de suivi peuvent favoriser ce que l'on qualifie parfois d'éco-délinquance, qui repose sur des diagnostics ou des travaux bâclés.

Il faut reconnaître que certaines publicités, sur Internet ou insérées dans nos quotidiens préférés, sont vraiment du racolage qui défie le bon sens et devrait mettre en alerte tout esprit avisé. Une mesure de performance après rénovation serait l'idéal, mais un tel dispositif exigeant serait compliqué à mettre en place, c'est évident. Souvenons-nous que cela doit concerner à terme 27 millions de logements.

De manière plus réaliste, un suivi des travaux de rénovation par un expert thermicien est souhaitable. Après tout, les voitures passent au contrôle technique ; les logements pourraient suivre un même cheminement. Dans le rapport de 2014 précité, l'Office proposait de créer des conseillers à la rénovation qui auraient vocation à intervenir de l'amont à l'aval des travaux. Ceci me paraît plus compliqué à mettre en place parce que les enjeux financiers sont considérables pour l'immense majorité de nos compatriotes.

Toutes ces évolutions visant à mieux former, mieux suivre et mieux contrôler auront pour effet de prévenir l'éco-délinquance, mais il faut également lutter contre ce phénomène en le réprimant plus sévèrement. Les sanctions restent rares, d'autant que l'efficacité des travaux est parfois difficile à quantifier. Lors de l'audition, plusieurs intervenants ont évoqué les grandes difficultés qu'éprouvent les organismes délivrant le label « reconnu garant de l'environnement » (RGE) lorsqu'il faut le retirer aux entreprises indélicates. De plus, l'éco-délinquance ne concerne pas uniquement les travaux de rénovation, mais également les DPE, tant au niveau de leur réalisation que de leur préparation, par exemple le démarchage par téléphone ou par courrier électronique. Le racolage est permanent.

Le troisième et dernier axe vise à accélérer la rénovation. Il convient d'abord de s'appuyer sur la recherche, c'est évident. Elle a déjà donné des résultats solides en matière de techniques d'isolation, et les rapports sur le sujet ainsi que les intervenants de l'audition publique confirment que des campagnes de rénovation massives permettant d'atteindre des performances élevées sont possibles dès maintenant.

Cependant, quelques voies d'amélioration sont bel et bien identifiées par la profession. La recherche sur la rénovation, l'isolation, la qualité de l'air et le bâti doit donc être poursuivie et amplifiée.

Tout d'abord, le financement de la recherche doit être significativement augmenté. Son niveau est extrêmement faible dans cette filière. Il représenterait pour le secteur privé environ un à deux pour mille des 130 milliards d'euros de chiffre d'affaires du secteur en 2018 – ce montant, très important, me paraît être celui de la construction plutôt que de la seule rénovation. La communauté de la recherche publique française du secteur voit ses effectifs décroître depuis plusieurs années. Cette tendance doit donc être inversée. La recherche sur le bâtiment doit être remise au cœur de la politique française d'économies d'énergie et de nos stratégies de recherche en général.

Ensuite, des études restent à faire pour rénover dès que possible des bâtiments différents en utilisant les mêmes techniques, ce qui permettrait de gagner de l'efficacité et donc de rénover de plus en plus vite à l'image du mouvement européen EnergieSprong.

Enfin, il faut s'appuyer sur les technologies numériques et sur d'autres technologies innovantes, à l'instar des isolants minces qui demeurent assez peu développés et doivent encore faire la preuve de leur efficacité, ne serait-ce que pour ne pas perdre trop de surface dans les isolations intérieures. Sans attendre de nouveaux résultats à court terme, il est important d'augmenter le financement de la recherche pour déployer ensuite à moyen terme des solutions de plus en plus efficaces et de moins en moins encombrantes.

Comme l'évoquait la note scientifique de l'Office, les sciences sociales ne doivent pas être oubliées. Elles peuvent faciliter la mise en œuvre de toutes les mesures présentées, notamment en aidant les pouvoirs publics à identifier les leviers qui permettront d'inciter à la rénovation. Je renvoie d'ailleurs à la conclusion du premier axe qui évoquait l'action des collectivités locales. L'action collective, avec l'effet d'entraînement qui est bien connu des spécialistes en sciences sociales, doit être à mon avis fortement soutenue pour mobiliser les plus sceptiques. En 2018, l'Office avait, de manière plus générale, proposé de créer un institut de recherche pluridisciplinaire spécifique dédié à la rénovation et financé, le cas échéant, par le secteur privé. Je ne suis pas persuadé que ce soit une priorité.

Pour accélérer, il faut démultiplier les actes de rénovation et rénover les bâtiments publics. J'ajoute qu'il faut impliquer ceux qui financent, c'est-à-dire les banques dans leurs relations avec les particuliers, qui restent parfois très en retrait. En effet, le nombre de rénovations n'est pas à la hauteur des objectifs. Il faut mobiliser beaucoup mieux les acteurs en améliorant en quantité et en qualité l'offre de services et de travaux sur tout le territoire et diminuer la complexité administrative – pas seulement dans ce secteur, d'ailleurs.

Je crois beaucoup à la mobilisation des collectivités territoriales mais, plus largement, les pouvoirs publics doivent déployer une stratégie dynamique d'impulsion nationale en faveur de la rénovation des bâtiments publics. Je vous raconterai une petite histoire fiscale ensuite, pour faire comprendre qu'une telle stratégie bute sur les réalités de la fiscalité et des changements incessants de fiscalité, avec de vraies déceptions. Les bâtiments scolaires et les bâtiments de santé qui dépendent d'autorités publiques représentent 250 millions de mètres carrés. Imaginez tout ce qu'il est possible de réaliser comme économies d'énergie.

Cependant, les seules aides de l'État ne suffiront pas à financer toutes les rénovations. Elles sont d'ailleurs insuffisantes pour les ménages qui ne peuvent pas payer le reste à charge de 20% après attribution de Ma prime rénov'.

Il faut donc impliquer davantage les banques et leur faire jouer le jeu de l'accélération de la rénovation énergétique des bâtiments. C'est d'ailleurs une façon de valoriser le patrimoine de leurs clients puisqu'un bâtiment rénové thermiquement a évidemment plus de valeur qu'un bâtiment qui ne l'est pas. Il faut donc débloquer le crédit bancaire et réfléchir à une initiative permettant aux banques d'accorder des prêts à taux zéro pour financer les rénovations, et pas uniquement pour acheter un logement.

Enfin, les problématiques environnementales doivent être mieux prises en compte, en s'appuyant sur l'usage de matériaux biosourcés afin de réduire l'empreinte carbone des logements rénovés, voire de les transformer en puits de carbone, perspective qui peut sembler cependant un peu utopique. Un rêve accessible, immédiatement utilisable et profitable à tous consiste à utiliser comme matériaux de construction des matériaux biosourcés, issus de la matière organique renouvelable, de la biomasse comme le bois, le chanvre, la paille, l'ouate de cellulose, les textiles recyclés, les balles de céréales, le miscanthus, le liège, le lin, la chaume, les herbes de prairie, etc. Ces matériaux ne sont pas seulement utiles pour la rénovation thermique, mais aussi pour la construction, par exemple les structures, les isolants, les mortiers, les bétons, les matériaux composites plastiques et plus généralement la chimie du bâtiment. On peut faire des choses tout à fait nouvelles et tout à fait innovantes mais je m'éloigne là du cœur de notre audition. La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte – qui s'est trompée sur de nombreux points – a quand même le mérite d'encourager l'utilisation de ces matériaux, comme le fait aussi la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement et de l'aménagement et du numérique, dite « loi Elan ». Il faut maintenant traduire en axes cette stratégie d'utilisation de matériaux biosourcés.

Voilà, pour l'essentiel, ce que l'audition publique a montré comme valeur ajoutée.

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