Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Jeudi 4 juin 2020
La séance est ouverte à 14 heures trente
Présidence de M. Mansour Kamardine, président
Cette dernière réunion de notre commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer est consacrée à l'examen du projet de rapport et au vote sur son adoption.
Si l'ensemble de la France est confronté à des risques majeurs, les collectivités ultramarines présentent trois spécificités. Leur nature les expose à des aléas particuliers – cyclones, volcanisme – de grande ampleur – séismes, tsunamis, épisodes de submersion marine. Elles peuvent également être exposées à des phénomènes atypiques, comme la prolifération des algues sargasses aux Antilles. Enfin, les risques pour les populations sont exacerbés par la concentration urbaine sur le littoral et la forte vulnérabilité du bâti accentuée par le recul du trait de côte, ce dernier phénomène étant amplifié par le changement climatique. Les territoires ultramarins par leur éloignement, leur insularité, à l'exception de la Guyane, et leur environnement régional faiblement interconnecté sont plus vulnérables et moins aisés à protéger et à secourir, ce qui place les 2,6 millions de Français qui y vivent face à des périls majeurs. L'ensemble de la représentation nationale avait naturellement vocation à examiner l'exposition des outre-mer aux risques naturels, à exercer ses prérogatives de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement, et à formuler des propositions d'amélioration de la protection de nos compatriotes ultramarins et de la réponse collective apportée aux catastrophes naturelles.
À l'initiative du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (LFI-NUPES), une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la gestion par l'État des risques naturels majeurs dans les territoires transocéaniques de France, dits d'outre-mer, a été inscrite à l'ordre du jour par la conférence des présidents du 8 novembre 2023. Les amendements adoptés par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, puis en séance publique le 30 novembre 2023, ont eu pour effet d'élargir le champ de la commission d'enquête, en supprimant la référence exclusive à la gestion de l'État dans l'article unique et dans le titre, et de substituer l'expression « d'outre-mer » à celle de « transocéaniques français ». L'Assemblée a ensuite adopté la proposition de résolution avec l'appui unanime des groupes d'opposition et les voix partagées de ceux de la majorité.
Le recours à un vote en séance publique, au lieu de l'usage du droit de tirage annuel dont disposent les groupes d'opposition, a permis de solenniser la procédure mais aussi d'organiser la commission d'enquête selon les modalités classiques de mise en œuvre de l'article 51-2 de la Constitution. Le 20 décembre 2023, la commission d'enquête s'est réunie pour constituer son bureau : elle a désigné M. Guillaume Vuilletet rapporteur et, en application de la règle qui veut que majorité et opposition se partagent la direction des travaux d'une commission d'enquête, elle m'a fait l'honneur de m'élire comme président, ce dont je la remercie une fois de plus. Considérant que la règle démocratique de l'élection n'avait de sens que si elle nommait président l'un de ses membres, le groupe LFI-NUPES a décidé de démissionner de la commission, choix que je regrette aussi bien sur la forme que sur le fond compte tenu de l'importance du sujet examiné, notamment pour nos compatriotes des Antilles et de Guyane.
En cinq mois de travaux, nous avons consacré près de soixante heures à quarante-six auditions, au cours desquelles nous avons entendu 160 personnes. La commission d'enquête a envoyé une délégation en mission à Mayotte et à La Réunion pour de nombreux entretiens et tables rondes. Je veux saluer le travail considérable réalisé par le rapporteur et par les collègues qui se sont mobilisés, notamment les députés ultramarins de l'Atlantique, du Pacifique et de l'océan Indien. Toutes les auditions de la commission d'enquête ont été publiques et retransmises en direct sur le site de l'Assemblée, dans un souci de transparence et d'information de nos concitoyens ; elle n'a pas organisé d'auditions à huis clos comme les textes applicables lui en offrent la possibilité, même si l'examen du projet de rapport doit obligatoirement se faire hors champ des caméras. Ces auditions ont été complétées par des déplacements qui ont permis d'appréhender les réalités au plus près des territoires.
Élu d'un territoire qui a récemment connu l'émergence d'un risque naturel majeur avec la découverte du volcan sous-marin Fani Maoré, je mesure l'urgence qu'il y a à renforcer toute la chaîne de prévention et de préparation, en partant de l'observation scientifique qui modélise les risques jusqu'à la résilience des réseaux qui assure la continuité de la vie de nos concitoyens en cas de survenance d'un aléa.
Tout au long de ce travail, j'ai pu observer la grande détermination des différents services et des élus, ainsi que la nécessaire humilité qu'il convient d'adopter en face de la force irrésistible de la nature, nature qui parle mais que « le genre humain n'écoute pas », comme l'écrivait Victor Hugo.
Pour autant, l'histoire nous rappelle aussi la nécessité de réagir vite et avec méthode à la suite d'un aléa majeur. La complexité du sujet tient à la coexistence de plusieurs facteurs spatiotemporels qui s'imposent à nous : le temps long des phénomènes volcaniques, les volcans pouvant rester en sommeil pendant plusieurs centaines d'années entre deux éruptions ; la récurrence des phénomènes cycloniques dans l'Atlantique Nord, dont la saison s'étend de juin à novembre ; les effets perturbateurs liés au réchauffement climatique et à El Niño ; enfin, il reste impossible de prévoir où, quand et avec quelle intensité un séisme surviendra.
L'un des enseignements du travail de la commission réside dans la nécessité de prendre en considération le risque, sans doute plus prégnant avec le réchauffement climatique, de cumul d'aléas naturels ou d'enchaînement d'un aléa naturel et d'un risque technologique. L'approche des pouvoirs publics présente des lacunes dans ce domaine, car ceux-ci raisonnent, comme le relève le rapporteur, aléa par aléa.
Alors que nous constatons la multiplication des inondations et des tempêtes ainsi que le recul du trait de côte dans l'Hexagone, il convient de souligner les spécificités des territoires ultramarins, lesquelles multiplient les dégâts provoqués par les aléas naturels. Les constructions près du rivage, induites par le manque de foncier, le déficit d'infrastructures routières et d'entretien des ouvrages d'art, la plus grande fragilité des populations, dont une grande proportion vit sous le seuil de pauvreté et se tourne vers le logement informel, et l'éloignement des autres territoires et États voisins rendent indispensable l'octroi de davantage de moyens en personnels, matériel scientifique et ingénierie logistique à ces territoires.
Alors que le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) est entré dans sa phase de consultation, nous devons réfléchir à la stratégie globale à adopter face aux risques naturels majeurs. Le concept de mitigation, c'est-à-dire d'atténuation, qui repose sur le déploiement de mesures destinées à réduire les dommages associés à des risques, est désormais associé à celui d'adaptation, lequel a pour objectif d'anticiper les impacts prévisibles du changement climatique et de limiter leurs dégâts éventuels en intervenant sur les facteurs qui influent sur leur ampleur.
L'exercice d'une présidence de commission d'enquête a ceci de paradoxal qu'il consiste, entre autres, à introduire un rapport dont l'auteur appartient à un camp politique opposé. Cela n'empêche pas la qualité du travail commun et des relations personnelles. Je tiens, à ce titre, à remercier tout particulièrement le rapporteur Guillaume Vuilletet, qui a conduit nos travaux avec beaucoup de pugnacité et a mis sa connaissance des réalités géographiques, économiques et institutionnelles des territoires ultramarins au service de nos collègues.
Nous devons, en tant qu'élus responsables de la nation, reconnaître l'importance des moyens déployés par les services de l'État, sous la houlette des deux ministres compétents, et par les collectivités, mais aussi pointer les manques en termes de matériel scientifique d'observation et de veille, comme les radars et les capteurs, et, peut-être, de pilotage, tant la création d'une administration de mission sous la forme d'une délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer avait apporté l'impulsion et la réactivité indispensables pour éviter qu'un risque naturel majeur n'entraîne une catastrophe humaine.
Je me félicite que les recommandations du rapport portent sur l'ensemble du spectre des actions concernant les risques naturels majeurs outre-mer, qu'il s'agisse des connaissances scientifiques, de la prévention, de la planification, du pilotage, de l'encadrement législatif et réglementaire, et de la gestion de crise.
Enfin, en marge des travaux, nous avons perçu la nécessité de développer une réflexion sur la coopération et l'intégration régionales en matière de sécurité civile et sur le risque naturel majeur, potentiellement dévastateur pour nos territoires ultramarins, qu'est l'effondrement actuel de leur importante biodiversité. Déjà en 1970, le président de la République, Georges Pompidou, déclarait que l'emprise de l'homme sur la nature était devenue telle qu'elle comportait « le risque de destruction de la nature elle-même » ; et le chef de l'État d'ajouter qu'il était frappant de constater qu'au moment où s'accumulaient et se diffusaient de plus en plus les biens dits de consommation, c'étaient les biens élémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l'air et l'eau, qui commençaient à faire défaut. Assurément, la représentation nationale sera amenée à poursuivre ultérieurement des travaux sur ce point critique.
Je vous indique que ceux qui souhaitent apporter une contribution au rapport peuvent le faire jusqu'au mercredi 29 mai à dix-huit heures.
Je vous remercie, monsieur le président, pour l'écoute et la convivialité avec lesquelles vous avez présidé la commission d'enquête ; ce fut un plaisir de travailler sous votre présidence au cours des six mois écoulés.
Tout le monde connaît l'histoire singulière de cette commission d'enquête : la proposition de résolution ayant abouti à son installation a été adoptée par l'Assemblée nationale, ce qui lui a donné une force symbolique particulière ; néanmoins, comme pour toutes les commissions d'enquête parlementaires créées par cette voie, il n'y avait ni droit de tirage ni priorité donnée au groupe ayant déposé la proposition de résolution pour l'attribution des postes de président et de rapporteur – seule la règle prévoyant que la majorité obtienne l'un des deux postes et l'opposition l'autre, prévalait. Les députés du groupe LFI-NUPES, frustrés par la répartition retenue, ont choisi de démissionner de la commission d'enquête alors qu'ils auraient pu l'intégrer dans leur droit de tirage : ils ne peuvent pas s'offusquer du respect des règles de fonctionnement de l'Assemblée nationale.
Une commission d'enquête n'est ni l'élaboration d'une liste d'évidences, ni la conduite d'un procès systématique, elle est l'occasion de dresser un constat lucide sur une réalité ; l'objectif est que l'Assemblée nationale formule des propositions destinées à améliorer la situation et à servir l'intérêt général. Nous avons travaillé de manière approfondie pendant six mois, sous la présidence de M. Kamardine. Tout au long de notre enquête, l'actualité nous a régulièrement rappelé l'importance et la gravité du sujet, que l'on pense au cyclone Belal survenu en janvier 2024 à La Réunion, dont la gestion fut exemplaire à plus d'un titre, aux récentes inondations qui ont touché le sud du Brésil ou au glissement de terrain qui vient de faire 2 000 victimes en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Certains risques naturels, autrefois faibles, ne cessent d'augmenter, conséquence du changement climatique.
Les territoires ultramarins sont concernés de longue date par des événements naturels extrêmes qui sont spécifiques et souvent plus dévastateurs que ceux susceptibles de frapper l'Hexagone : cyclones, séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, mouvements de terrain, submersions, inondations, etc. Les outre-mer sont exposés à tous les types d'aléas majeurs à l'exception du risque d'avalanche.
À plusieurs égards, la culture du risque y est bien plus développée que dans l'Hexagone : la mémoire collective et l'exposition régulière à des situations de crise préparent les populations à adopter les bons gestes et comportements et à faire preuve de résilience quand il s'agit de reconstruire. De multiples initiatives locales sont également déployées pour informer les publics des risques et les y sensibiliser. Il y a beaucoup à apprendre de la façon dont sont appréhendés les risques naturels majeurs dans ces territoires.
Mais nos travaux soulignent également qu'il y a encore beaucoup à faire pour réduire leur vulnérabilité particulière et améliorer l'efficacité des politiques publiques de prévention et de gestion des risques qui y sont menées. C'est un enjeu majeur alors que le changement climatique augmente déjà la fréquence et l'intensité de certains aléas naturels et va aggraver les dégâts et coûts des crises à venir.
Les conclusions que je vous présente reposent sur des échanges nourris avec l'ensemble des acteurs concernés à tous les niveaux : nous avons auditionné pas moins de 160 personnes au cours de 46 auditions et tables rondes – des experts, des chercheurs, les établissements scientifiques chargés de l'observation et de la surveillance des risques, des associations d'élus, de protection civile, des représentants des forces armées, du système de santé, du secteur du logement, du secteur des assurances ainsi que des opérateurs de réseaux, sans oublier les ministères concernés. Les spécificités de chaque territoire ont pu être appréhendées avec les préfets, les services de l'État, les services d'incendie et de secours, les collectivités locales et les associations locales. Je remercie les personnes auditionnées pour la qualité des échanges et des informations qui ont été transmises à notre commission d'enquête.
Du 26 au 29 mars 2024, le président et moi-même sommes également allés à Mayotte et à La Réunion. Ces déplacements étaient rendus nécessaires dans le premier cas par la naissance d'un jeune volcan sous-marin en mai 2018, dans le second par la survenue récente du cyclone Belal. Nous y avons rencontré les services de l'État et des collectivités, des élus, des opérateurs et réalisé des visites de terrain pour évaluer la préparation ou les conséquences des risques naturels. Je souhaite remercier l'ensemble de celles et ceux qui nous ont reçus.
Dans mon rapport, je commence par alerter sur les effets du changement climatique sur l'évolution des aléas climatiques outre-mer. Météo-France confirme, en lien avec la hausse des températures, l'augmentation des épisodes météorologiques extrêmes, comme les pluies intenses et les ouragans d'extrême intensité – de catégorie 4 et 5 – dans tous les bassins océaniques, ainsi que des risques accrus de sécheresse et d'incendie.
L'élévation du niveau de la mer a également déjà pour effet d'accélérer l'érosion côtière et d'aggraver la vulnérabilité des zones littorales face aux risques de submersion marine, notamment en cas de cyclone. L'étude récemment publiée par le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) à l'initiative de notre vice-présidente, Mme Panonacle, confirme l'exposition de nombreux bâtiments au recul du trait de côte outre-mer, en particulier en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
Il est urgent d'agir et d'appréhender ce nouveau risque : les outils prévus par la loi « climat et résilience » doivent être davantage mis en œuvre dans ces territoires. Je recommande également d'intégrer au projet de loi de finances pour 2025 un dispositif financier dédié à la lutte contre l'érosion côtière.
Dans un contexte marqué par l'incertitude liée au changement climatique, il est absolument nécessaire de doter les établissements chargés de la surveillance et de la prévision des risques naturels de moyens à la hauteur des enjeux. Je pense à Météo-France, dont les effectifs et les moyens outre-mer diminuent alors que des investissements sont requis pour y assurer un niveau de prévision équivalent à celui atteint dans l'Hexagone. Sont attendus, en particulier, la fourniture de projections à haute résolution sur le changement climatique outre-mer, le déploiement des cartes de vigilance vagues-submersion et canicule et l'équipement en radars de précipitations à Mayotte et à Tahiti.
Alors que nos volcans sont tous placés en vigilance jaune, les observatoires volcanologiques et sismologiques ultramarins ne disposent pas de financements pérennes pour assurer une mission de surveillance. Je recommande également l'installation d'un observatoire de plein exercice à Mayotte pour mieux appréhender le nouveau risque sismique et volcanologique lié à l'éruption du volcan sous-marin.
Concernant nos politiques de prévention dans les outre-mer, absolument essentielles, je regrette, d'une manière générale, qu'elles soient trop souvent reléguées au second plan par rapport à d'autres priorités d'aménagement et de développement des territoires.
Je pense en particulier aux plans de prévention des risques naturels (PPRN) et à la délimitation de zones exposées et inconstructibles. L'élaboration de ces plans soulève toujours des difficultés, en particulier à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Dans les territoires les mieux dotés, comme en Guadeloupe et en Martinique, ils sont anciens et leur révision, urgente, est actuellement menée par les services de l'État en partenariat avec les collectivités concernées. L'émergence d'une nouvelle réglementation en Polynésie française, pour adapter l'outil aux contraintes de l'archipel, est également à souligner.
Une réflexion doit être menée sur les procédures d'élaboration et de révision des plans de prévention des risques dans les territoires d'outre-mer, ainsi que sur les moyens de favoriser leur appropriation par les populations, par exemple en assurant leur publication en ligne dans un format pédagogique.
S'agissant du fonds Barnier, principale source de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels majeurs, je salue les améliorations récentes, en particulier son intégration au budget général de l'État et l'augmentation de ses ressources depuis 2021. Toutefois, il continue de bénéficier très inégalement aux territoires ultramarins : le plan séisme Antilles (PSA) représente plus de 80 % des financements alloués à l'outre-mer dans ce cadre. Un rééquilibrage est absolument nécessaire.
Je regrette également la sous-mobilisation du fonds pour traiter les situations urgentes liées à la présence d'habitations informelles dans les zones exposées aux risques. La mise en œuvre de l'article 6 de la loi Letchimy du 23 juin 2011 est embryonnaire ; les collectivités doivent être accompagnées sur ce volet et au moins 5 % du fonds Barnier devrait être mobilisé pour l'habitat informel, contre moins de 1 % aujourd'hui.
Aux Antilles, le fonds Barnier aura toutefois permis d'engager des opérations notables dans le cadre du plan séisme Antilles déployé depuis 2007, bien que des travaux d'ampleur restent à mener pour sécuriser le bâti public, en particulier dans les écoles du premier et du second degré.
S'agissant de la gestion des crises liées aux événements naturels majeurs, j'ai pu constater l'existence d'une réelle culture partagée de la préparation et de la gestion opérationnelle outre-mer. Toutefois, l'ensemble des territoires ultramarins ne sont pas également préparés à la survenue de crises, ce qui pourrait entraîner des coûts importants, tant matériels qu'humains. Cela dit, une égale préparation n'implique pas une préparation uniforme : du fait des spécificités de chaque territoire, les risques naturels requièrent une préparation adaptée à chacun, donc différenciée.
Parmi les éléments hétérogènes dont les auditions ont fait état ou que j'ai pu observer, je retiens particulièrement les plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) et les plans communaux de sauvegarde. Hétérogènes sur la forme, ces plans le sont également sur le fond et intègrent trop peu souvent l'hypothèse d'un « big one » ou d'une conjonction d'événements. À ce sujet, notre président nous soumettra une proposition d'ajout au rapport que je soutiendrai.
De même, les moyens humains et matériels disponibles restent disparates d'un territoire à l'autre et, en moyenne, inférieurs à ceux observés dans l'Hexagone. Pour cette raison, je recommande notamment le développement des sapeurs-pompiers volontaires et la mobilisation du fonds exceptionnel d'investissement pour améliorer les équipements. Je retiens également l'organisation singulière de la sécurité civile dans les territoires du Pacifique. À cet égard, le Beauvau de la sécurité civile représente l'occasion d'identifier des voies d'amélioration.
Au-delà des progrès à faire, je tiens à souligner les éléments robustes que nos six mois de travaux ont mis en évidence en matière de préparation et de gestion des crises. Je pense notamment à la gouvernance de crise, qui a fait ses preuves, ou à la doctrine française visant à prépositionner des moyens de manière limitée outre-mer et à projeter des moyens hexagonaux en amont ou en aval d'un événement naturel.
Par ailleurs, malgré une coordination complexe, les coopérations régionales telles que les plateformes d'intervention régionale de la Croix-Rouge sont essentielles à la préparation et à la gestion des crises. Je recommande d'améliorer leur formalisation et leur animation.
Enfin, la préparation et la gestion des crises est l'affaire de tous : autorités, population, opérateurs, acteurs économiques. En la matière, j'ai pu observer des comportements optimaux. Je tiens par exemple à saluer le travail d'EDF à La Réunion ou de l'aéroport de Dzaouzdi à Mayotte. Je recommande que leur préparation et leur capacité de réponse soient étendues à d'autres acteurs, dans d'autres territoires.
Ces constats et recommandations reposent également sur l'étude approfondie de deux crises majeures récentes : Irma, en 2017 à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et Belal, en 2024 à La Réunion. S'agissant d'Irma, compte tenu des précédents disponibles et malgré une anticipation réelle, il nous est apparu que l'État n'avait pu éviter les conséquences majeures de l'ouragan. S'agissant de Belal, c'est grâce à une préparation et à une constante adaptation au risque cyclonique, à une prévision extrêmement fiable du phénomène et à des décisions adaptées et proportionnées des services de l'État, sous l'autorité du préfet, que la gestion de la crise a été exemplaire.
Enfin, les travaux de la commission d'enquête ont porté sur la période de reconstruction, moment crucial de la gestion d'un événement naturel majeur dès lors que l'urgence absolue est considérée comme terminée. Impliquant la mise en œuvre, dans un temps contraint, d'impératifs nombreux et parfois contradictoires, la reconstruction ne débute pas sur une feuille blanche. Au contraire, elle repose sur l'histoire du territoire, ses structures sociale, politique, économique et culturelle. Pour étudier cette période, je me suis particulièrement intéressé à la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
La période de reconstruction est marquée par un vif souhait de la population et des acteurs économiques de revenir à la normale le plus rapidement possible. Cependant, il est nécessaire de prendre en compte les impératifs du build back better – « reconstruire en mieux ». Pour ce faire, je recommande la constitution de cellules de soutien, interministérielles ou sectorielles, bénéficiant au besoin de renforts hexagonaux.
Par ailleurs, pour accélérer la reconstruction tout en l'inscrivant dans une démarche durable, je préconise la mise en œuvre, sous le contrôle du représentant de l'État, d'un droit temporaire de déroger aux lois et règlements en vigueur dans certains domaines, comme les marchés publics. Il pourrait être subordonné au respect des normes en matière de prévention des risques.
De même, le transfert temporaire à l'État de certaines compétences dévolues aux départements, régions ou collectivités d'outre-mer me semble susceptible d'avoir des effets positifs sur la reconstruction, à condition de s'effectuer en concertation avec les collectivités concernées.
Dans cette période de reconstruction, le rôle des assurances est crucial. Or les travaux de la commission d'enquête ont rappelé l'insuffisante couverture assurantielle des territoires ultramarins, allant de 6 % à Mayotte à 68 % à La Réunion quand le taux hexagonal s'établit à 97 % en 2017. Cette faible couverture, problématique face aux risques classiques ainsi qu'à certains risques tels que les tempêtes, l'est d'autant plus qu'elle interdit l'accès au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime Cat nat. Pour ces raisons, je recommande la mise en œuvre urgente d'incitations fortes au recours à l'assurance dans les territoires ultramarins, à l'initiative conjointe des pouvoirs publics, des assurances et des tiers intéressés. Il convient aussi d'accompagner les plus fragiles, qu'ils disposent d'une habitation légalement construite ou non. En outre, j'appelle à des concertations à échéance régulière pour adapter le régime Cat nat, essentiel pour nos compatriotes et que bon nombre de pays nous envient. Il s'agit là d'un euphémisme pour dire l'importance de motiver les assurances à ce sujet.
L'ensemble de mes recommandations nécessitent un portage interministériel de haut niveau pour être mises en œuvre. À cette fin, la reconstitution de la délégation interministérielle aux risques naturels outre-mer me semble indispensable. Elle permettrait en outre d'assurer l'application ou le suivi des dispositions contenues dans le projet de loi qu'avait un temps envisagé le Gouvernement. Le cas échéant, il pourrait être nécessaire de légiférer pour pourvoir aux dispositions non encore adoptées.
Ce rapport est une pierre à l'édifice que représente l'amélioration de la résilience des territoires ultramarins face aux risques naturels. Je vous invite à l'adopter.
Je suis plus que favorable aux cinquante-quatre recommandations de notre rapporteur, particulièrement à trois d'entre elles.
J'approuve la proposition de renforcer le fonds Barnier, que ce soit sur le plan budgétaire ou sur celui de l'information des particuliers et des entreprises.
Je suis également très sensible à la recommandation n° 17, relative à l'intégration d'un volet « adaptation au changement climatique ».
Enfin, étant membre de la commission des affaires culturelles et de l'éducation, j'ai évidemment envie d'appuyer les recommandations en faveur de Météo-France et de la recherche. Il faut en effet renforcer les moyens de vigilance, notamment les radars d'observation, compte tenu des différents phénomènes à l'œuvre dans l'océan Pacifique et l'océan Indien, qui affectent notamment Tahiti et Mayotte : vagues de submersion, retrait du trait de côte, évolution de la pluviométrie, montée des eaux. La recherche en sismologie est primordiale, de même que celle qui nous permettra d'appréhender le phénomène des sargasses et de lutter contre ce fléau écologique qui sévit aux Antilles.
J'approuve les conclusions de ce rapport et je félicite le rapporteur de son travail.
J'aurais aimé davantage de recommandations concernant les agences régionales de santé (ARS). En cas de crise sanitaire, la capacité à délivrer les soins adéquats dépend d'infrastructures matérielles, mais aussi des moyens humains dont elles disposent. Or les hôpitaux et cliniques de certains territoires sont déjà en surcharge, notamment à Mayotte, où l'éruption du volcan découvert récemment pourrait aggraver la situation – je parle sous votre contrôle, monsieur le président. Il serait utile de compléter la recommandation n° 40 sur le recensement des personnes vulnérables et isolées en proposant de renforcer les plans de préparation aux crises sanitaires.
Je ne m'attarde pas sur le problème de l'eau, qui se répercute dans différents domaines.
Outre le fonds Barnier, qui fonctionne de mieux en mieux, j'aurais apprécié que soient mentionnés les fonds européens qui interviennent directement dans les travaux de prévention ou par le biais de la réserve européenne de ressources (RescEU). Quelle que soit notre vision de l'Europe, nous ne pouvons qu'approuver cette coopération entre les pays en cas de crise sanitaire. Au sein de la commission des affaires européennes, je me suis intéressée au recours aux fonds européens en cas de catastrophe météorologique ou climatique, d'où ma suggestion, même s'ils ne relèvent pas directement du périmètre de nos travaux.
Je suis d'accord avec Cécile Rilhac concernant l'utilité de Météo-France et son influence sur les décisions prises. Il faut faire en sorte que les populations acceptent les règles de prévention imposées au nom de l'intérêt général et de leur propre sauvegarde. Mais quand on a le choix entre faire l'autruche et quitter sa maison en raison d'un risque qui pourrait se concrétiser dans les quarante ans à venir, on peut être tenté par la première option. Il faut donc veiller à ce que les cartes soient élaborées avec une extrême rigueur, ce qui passe souvent par l'expertise de Météo-France, dont les équipements et les moyens doivent être renforcés.
En matière de recherche, notamment au sujet des sargasses, il faut miser sur une innovation capable de s'inspirer de la tradition et des savoirs locaux. Reconstituer les mangroves parce qu'elles permettent d'absorber une partie des aléas, c'est tenir compte d'un savoir local très ancien. Le raisonnement vaut pour les matériaux : il faut choisir ceux qui sont non seulement biosourcés, mais aussi maîtrisés par les populations locales qui savent les utiliser pour leur résistance aux aléas.
S'agissant de l'importance de la culture du risque, je voudrais rappeler le projet « Paré pas paré », destiné aux élèves de CM1, CM2 et sixième de La Réunion. Il permet aux enfants de s'approprier complètement la gestion du risque et, comme dans d'autres domaines, de devenir prescripteurs.
Madame Mélin, les ARS interviennent dans le cadre du plan Orsec. En cas d'aléa majeur, on est projeté dans un autre monde, régi par ses propres règles. Nous avons réfléchi aux renforts potentiels et à l'opportunité de prépositionner des moyens. On nous a répondu – et je fais confiance aux professionnels sur ce point – qu'il était préférable de laisser des moyens à distance pour éviter qu'ils ne soient eux-mêmes affectés par les aléas.
Il est vrai que nous nous sommes peu intéressés aux fonds européens – mais les contributions des groupes peuvent pallier ce manque. Le principal d'entre eux est le Fonds de solidarité de l'Union européenne, intervenant a posteriori, dont les règles ont été beaucoup assouplies. Le Fonds européen de développement régional (Feder) et le Fonds social européen (FSE) allouent 1,7 million d'euros, gérés par les services déconcentrés de l'État, aux régions ultrapériphériques (RUP) et à la Plateforme d'intervention régionale de l'océan Indien (Piroi). L'Europe laisse la prévention aux acteurs locaux et se concentre sur la réparation, ce qui est sage. En revanche, le débat reste ouvert sur le choix des nouvelles constructions, plus adaptées aux risques : doit-il être fait au niveau national ou européen ? Ma préférence va au niveau national, dont l'expertise me semble plus précise et plus solide.
Quoi qu'il en soit, je vous remercie pour vos commentaires sur le travail accompli.
J'ai déposé un amendement à la recommandation n° 32, ayant reçu un avis favorable du rapporteur, ainsi rédigé : « Élaborer au niveau national un plan de réaction rapide, par territoire, en cas de survenue d'un événement du type “ big one ˮ, avec calibrage d'une force de réaction rapide et d'un état-major opérationnel prédéfini. » Il s'agit de pouvoir réagir au niveau national en cas d'aléa ou de sinistre sur tel ou tel territoire.
La commission adopte l'amendement.
Avant de passer au vote sur le rapport, je vous rappelle que ceux qui souhaitent y apporter une contribution peuvent le faire jusqu'au mercredi 29 mai, dix-huit heures.
La commission adopte le rapport modifié à l'unanimité et autorise sa publication.
La séance se lève à quinze heures dix.
Membres présents ou excusés
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer
Réunion du lundi 27 mai 2024 à 14 h 30
Présents. – Mme Olga Givernet, M. Mansour Kamardine, Mme Joëlle Mélin, Mme Béatrice Piron, Mme Cécile Rilhac, M. David Valence, M. Guillaume Vuilletet.
Excusés. – M. Xavier Batut, Mme Florence Goulet, Mme Sophie Panonacle.