Cette dernière réunion de notre commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer est consacrée à l'examen du projet de rapport et au vote sur son adoption.
Si l'ensemble de la France est confronté à des risques majeurs, les collectivités ultramarines présentent trois spécificités. Leur nature les expose à des aléas particuliers – cyclones, volcanisme – de grande ampleur – séismes, tsunamis, épisodes de submersion marine. Elles peuvent également être exposées à des phénomènes atypiques, comme la prolifération des algues sargasses aux Antilles. Enfin, les risques pour les populations sont exacerbés par la concentration urbaine sur le littoral et la forte vulnérabilité du bâti accentuée par le recul du trait de côte, ce dernier phénomène étant amplifié par le changement climatique. Les territoires ultramarins par leur éloignement, leur insularité, à l'exception de la Guyane, et leur environnement régional faiblement interconnecté sont plus vulnérables et moins aisés à protéger et à secourir, ce qui place les 2,6 millions de Français qui y vivent face à des périls majeurs. L'ensemble de la représentation nationale avait naturellement vocation à examiner l'exposition des outre-mer aux risques naturels, à exercer ses prérogatives de contrôle et d'évaluation de l'action du Gouvernement, et à formuler des propositions d'amélioration de la protection de nos compatriotes ultramarins et de la réponse collective apportée aux catastrophes naturelles.
À l'initiative du groupe La France insoumise-Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (LFI-NUPES), une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la gestion par l'État des risques naturels majeurs dans les territoires transocéaniques de France, dits d'outre-mer, a été inscrite à l'ordre du jour par la conférence des présidents du 8 novembre 2023. Les amendements adoptés par la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, puis en séance publique le 30 novembre 2023, ont eu pour effet d'élargir le champ de la commission d'enquête, en supprimant la référence exclusive à la gestion de l'État dans l'article unique et dans le titre, et de substituer l'expression « d'outre-mer » à celle de « transocéaniques français ». L'Assemblée a ensuite adopté la proposition de résolution avec l'appui unanime des groupes d'opposition et les voix partagées de ceux de la majorité.
Le recours à un vote en séance publique, au lieu de l'usage du droit de tirage annuel dont disposent les groupes d'opposition, a permis de solenniser la procédure mais aussi d'organiser la commission d'enquête selon les modalités classiques de mise en œuvre de l'article 51-2 de la Constitution. Le 20 décembre 2023, la commission d'enquête s'est réunie pour constituer son bureau : elle a désigné M. Guillaume Vuilletet rapporteur et, en application de la règle qui veut que majorité et opposition se partagent la direction des travaux d'une commission d'enquête, elle m'a fait l'honneur de m'élire comme président, ce dont je la remercie une fois de plus. Considérant que la règle démocratique de l'élection n'avait de sens que si elle nommait président l'un de ses membres, le groupe LFI-NUPES a décidé de démissionner de la commission, choix que je regrette aussi bien sur la forme que sur le fond compte tenu de l'importance du sujet examiné, notamment pour nos compatriotes des Antilles et de Guyane.
En cinq mois de travaux, nous avons consacré près de soixante heures à quarante-six auditions, au cours desquelles nous avons entendu 160 personnes. La commission d'enquête a envoyé une délégation en mission à Mayotte et à La Réunion pour de nombreux entretiens et tables rondes. Je veux saluer le travail considérable réalisé par le rapporteur et par les collègues qui se sont mobilisés, notamment les députés ultramarins de l'Atlantique, du Pacifique et de l'océan Indien. Toutes les auditions de la commission d'enquête ont été publiques et retransmises en direct sur le site de l'Assemblée, dans un souci de transparence et d'information de nos concitoyens ; elle n'a pas organisé d'auditions à huis clos comme les textes applicables lui en offrent la possibilité, même si l'examen du projet de rapport doit obligatoirement se faire hors champ des caméras. Ces auditions ont été complétées par des déplacements qui ont permis d'appréhender les réalités au plus près des territoires.
Élu d'un territoire qui a récemment connu l'émergence d'un risque naturel majeur avec la découverte du volcan sous-marin Fani Maoré, je mesure l'urgence qu'il y a à renforcer toute la chaîne de prévention et de préparation, en partant de l'observation scientifique qui modélise les risques jusqu'à la résilience des réseaux qui assure la continuité de la vie de nos concitoyens en cas de survenance d'un aléa.
Tout au long de ce travail, j'ai pu observer la grande détermination des différents services et des élus, ainsi que la nécessaire humilité qu'il convient d'adopter en face de la force irrésistible de la nature, nature qui parle mais que « le genre humain n'écoute pas », comme l'écrivait Victor Hugo.
Pour autant, l'histoire nous rappelle aussi la nécessité de réagir vite et avec méthode à la suite d'un aléa majeur. La complexité du sujet tient à la coexistence de plusieurs facteurs spatiotemporels qui s'imposent à nous : le temps long des phénomènes volcaniques, les volcans pouvant rester en sommeil pendant plusieurs centaines d'années entre deux éruptions ; la récurrence des phénomènes cycloniques dans l'Atlantique Nord, dont la saison s'étend de juin à novembre ; les effets perturbateurs liés au réchauffement climatique et à El Niño ; enfin, il reste impossible de prévoir où, quand et avec quelle intensité un séisme surviendra.
L'un des enseignements du travail de la commission réside dans la nécessité de prendre en considération le risque, sans doute plus prégnant avec le réchauffement climatique, de cumul d'aléas naturels ou d'enchaînement d'un aléa naturel et d'un risque technologique. L'approche des pouvoirs publics présente des lacunes dans ce domaine, car ceux-ci raisonnent, comme le relève le rapporteur, aléa par aléa.
Alors que nous constatons la multiplication des inondations et des tempêtes ainsi que le recul du trait de côte dans l'Hexagone, il convient de souligner les spécificités des territoires ultramarins, lesquelles multiplient les dégâts provoqués par les aléas naturels. Les constructions près du rivage, induites par le manque de foncier, le déficit d'infrastructures routières et d'entretien des ouvrages d'art, la plus grande fragilité des populations, dont une grande proportion vit sous le seuil de pauvreté et se tourne vers le logement informel, et l'éloignement des autres territoires et États voisins rendent indispensable l'octroi de davantage de moyens en personnels, matériel scientifique et ingénierie logistique à ces territoires.
Alors que le troisième plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) est entré dans sa phase de consultation, nous devons réfléchir à la stratégie globale à adopter face aux risques naturels majeurs. Le concept de mitigation, c'est-à-dire d'atténuation, qui repose sur le déploiement de mesures destinées à réduire les dommages associés à des risques, est désormais associé à celui d'adaptation, lequel a pour objectif d'anticiper les impacts prévisibles du changement climatique et de limiter leurs dégâts éventuels en intervenant sur les facteurs qui influent sur leur ampleur.
L'exercice d'une présidence de commission d'enquête a ceci de paradoxal qu'il consiste, entre autres, à introduire un rapport dont l'auteur appartient à un camp politique opposé. Cela n'empêche pas la qualité du travail commun et des relations personnelles. Je tiens, à ce titre, à remercier tout particulièrement le rapporteur Guillaume Vuilletet, qui a conduit nos travaux avec beaucoup de pugnacité et a mis sa connaissance des réalités géographiques, économiques et institutionnelles des territoires ultramarins au service de nos collègues.
Nous devons, en tant qu'élus responsables de la nation, reconnaître l'importance des moyens déployés par les services de l'État, sous la houlette des deux ministres compétents, et par les collectivités, mais aussi pointer les manques en termes de matériel scientifique d'observation et de veille, comme les radars et les capteurs, et, peut-être, de pilotage, tant la création d'une administration de mission sous la forme d'une délégation interministérielle aux risques majeurs outre-mer avait apporté l'impulsion et la réactivité indispensables pour éviter qu'un risque naturel majeur n'entraîne une catastrophe humaine.
Je me félicite que les recommandations du rapport portent sur l'ensemble du spectre des actions concernant les risques naturels majeurs outre-mer, qu'il s'agisse des connaissances scientifiques, de la prévention, de la planification, du pilotage, de l'encadrement législatif et réglementaire, et de la gestion de crise.
Enfin, en marge des travaux, nous avons perçu la nécessité de développer une réflexion sur la coopération et l'intégration régionales en matière de sécurité civile et sur le risque naturel majeur, potentiellement dévastateur pour nos territoires ultramarins, qu'est l'effondrement actuel de leur importante biodiversité. Déjà en 1970, le président de la République, Georges Pompidou, déclarait que l'emprise de l'homme sur la nature était devenue telle qu'elle comportait « le risque de destruction de la nature elle-même » ; et le chef de l'État d'ajouter qu'il était frappant de constater qu'au moment où s'accumulaient et se diffusaient de plus en plus les biens dits de consommation, c'étaient les biens élémentaires les plus nécessaires à la vie, comme l'air et l'eau, qui commençaient à faire défaut. Assurément, la représentation nationale sera amenée à poursuivre ultérieurement des travaux sur ce point critique.
Je vous indique que ceux qui souhaitent apporter une contribution au rapport peuvent le faire jusqu'au mercredi 29 mai à dix-huit heures.