Je vous remercie, monsieur le président, pour l'écoute et la convivialité avec lesquelles vous avez présidé la commission d'enquête ; ce fut un plaisir de travailler sous votre présidence au cours des six mois écoulés.
Tout le monde connaît l'histoire singulière de cette commission d'enquête : la proposition de résolution ayant abouti à son installation a été adoptée par l'Assemblée nationale, ce qui lui a donné une force symbolique particulière ; néanmoins, comme pour toutes les commissions d'enquête parlementaires créées par cette voie, il n'y avait ni droit de tirage ni priorité donnée au groupe ayant déposé la proposition de résolution pour l'attribution des postes de président et de rapporteur – seule la règle prévoyant que la majorité obtienne l'un des deux postes et l'opposition l'autre, prévalait. Les députés du groupe LFI-NUPES, frustrés par la répartition retenue, ont choisi de démissionner de la commission d'enquête alors qu'ils auraient pu l'intégrer dans leur droit de tirage : ils ne peuvent pas s'offusquer du respect des règles de fonctionnement de l'Assemblée nationale.
Une commission d'enquête n'est ni l'élaboration d'une liste d'évidences, ni la conduite d'un procès systématique, elle est l'occasion de dresser un constat lucide sur une réalité ; l'objectif est que l'Assemblée nationale formule des propositions destinées à améliorer la situation et à servir l'intérêt général. Nous avons travaillé de manière approfondie pendant six mois, sous la présidence de M. Kamardine. Tout au long de notre enquête, l'actualité nous a régulièrement rappelé l'importance et la gravité du sujet, que l'on pense au cyclone Belal survenu en janvier 2024 à La Réunion, dont la gestion fut exemplaire à plus d'un titre, aux récentes inondations qui ont touché le sud du Brésil ou au glissement de terrain qui vient de faire 2 000 victimes en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Certains risques naturels, autrefois faibles, ne cessent d'augmenter, conséquence du changement climatique.
Les territoires ultramarins sont concernés de longue date par des événements naturels extrêmes qui sont spécifiques et souvent plus dévastateurs que ceux susceptibles de frapper l'Hexagone : cyclones, séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, mouvements de terrain, submersions, inondations, etc. Les outre-mer sont exposés à tous les types d'aléas majeurs à l'exception du risque d'avalanche.
À plusieurs égards, la culture du risque y est bien plus développée que dans l'Hexagone : la mémoire collective et l'exposition régulière à des situations de crise préparent les populations à adopter les bons gestes et comportements et à faire preuve de résilience quand il s'agit de reconstruire. De multiples initiatives locales sont également déployées pour informer les publics des risques et les y sensibiliser. Il y a beaucoup à apprendre de la façon dont sont appréhendés les risques naturels majeurs dans ces territoires.
Mais nos travaux soulignent également qu'il y a encore beaucoup à faire pour réduire leur vulnérabilité particulière et améliorer l'efficacité des politiques publiques de prévention et de gestion des risques qui y sont menées. C'est un enjeu majeur alors que le changement climatique augmente déjà la fréquence et l'intensité de certains aléas naturels et va aggraver les dégâts et coûts des crises à venir.
Les conclusions que je vous présente reposent sur des échanges nourris avec l'ensemble des acteurs concernés à tous les niveaux : nous avons auditionné pas moins de 160 personnes au cours de 46 auditions et tables rondes – des experts, des chercheurs, les établissements scientifiques chargés de l'observation et de la surveillance des risques, des associations d'élus, de protection civile, des représentants des forces armées, du système de santé, du secteur du logement, du secteur des assurances ainsi que des opérateurs de réseaux, sans oublier les ministères concernés. Les spécificités de chaque territoire ont pu être appréhendées avec les préfets, les services de l'État, les services d'incendie et de secours, les collectivités locales et les associations locales. Je remercie les personnes auditionnées pour la qualité des échanges et des informations qui ont été transmises à notre commission d'enquête.
Du 26 au 29 mars 2024, le président et moi-même sommes également allés à Mayotte et à La Réunion. Ces déplacements étaient rendus nécessaires dans le premier cas par la naissance d'un jeune volcan sous-marin en mai 2018, dans le second par la survenue récente du cyclone Belal. Nous y avons rencontré les services de l'État et des collectivités, des élus, des opérateurs et réalisé des visites de terrain pour évaluer la préparation ou les conséquences des risques naturels. Je souhaite remercier l'ensemble de celles et ceux qui nous ont reçus.
Dans mon rapport, je commence par alerter sur les effets du changement climatique sur l'évolution des aléas climatiques outre-mer. Météo-France confirme, en lien avec la hausse des températures, l'augmentation des épisodes météorologiques extrêmes, comme les pluies intenses et les ouragans d'extrême intensité – de catégorie 4 et 5 – dans tous les bassins océaniques, ainsi que des risques accrus de sécheresse et d'incendie.
L'élévation du niveau de la mer a également déjà pour effet d'accélérer l'érosion côtière et d'aggraver la vulnérabilité des zones littorales face aux risques de submersion marine, notamment en cas de cyclone. L'étude récemment publiée par le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement) à l'initiative de notre vice-présidente, Mme Panonacle, confirme l'exposition de nombreux bâtiments au recul du trait de côte outre-mer, en particulier en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane.
Il est urgent d'agir et d'appréhender ce nouveau risque : les outils prévus par la loi « climat et résilience » doivent être davantage mis en œuvre dans ces territoires. Je recommande également d'intégrer au projet de loi de finances pour 2025 un dispositif financier dédié à la lutte contre l'érosion côtière.
Dans un contexte marqué par l'incertitude liée au changement climatique, il est absolument nécessaire de doter les établissements chargés de la surveillance et de la prévision des risques naturels de moyens à la hauteur des enjeux. Je pense à Météo-France, dont les effectifs et les moyens outre-mer diminuent alors que des investissements sont requis pour y assurer un niveau de prévision équivalent à celui atteint dans l'Hexagone. Sont attendus, en particulier, la fourniture de projections à haute résolution sur le changement climatique outre-mer, le déploiement des cartes de vigilance vagues-submersion et canicule et l'équipement en radars de précipitations à Mayotte et à Tahiti.
Alors que nos volcans sont tous placés en vigilance jaune, les observatoires volcanologiques et sismologiques ultramarins ne disposent pas de financements pérennes pour assurer une mission de surveillance. Je recommande également l'installation d'un observatoire de plein exercice à Mayotte pour mieux appréhender le nouveau risque sismique et volcanologique lié à l'éruption du volcan sous-marin.
Concernant nos politiques de prévention dans les outre-mer, absolument essentielles, je regrette, d'une manière générale, qu'elles soient trop souvent reléguées au second plan par rapport à d'autres priorités d'aménagement et de développement des territoires.
Je pense en particulier aux plans de prévention des risques naturels (PPRN) et à la délimitation de zones exposées et inconstructibles. L'élaboration de ces plans soulève toujours des difficultés, en particulier à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Dans les territoires les mieux dotés, comme en Guadeloupe et en Martinique, ils sont anciens et leur révision, urgente, est actuellement menée par les services de l'État en partenariat avec les collectivités concernées. L'émergence d'une nouvelle réglementation en Polynésie française, pour adapter l'outil aux contraintes de l'archipel, est également à souligner.
Une réflexion doit être menée sur les procédures d'élaboration et de révision des plans de prévention des risques dans les territoires d'outre-mer, ainsi que sur les moyens de favoriser leur appropriation par les populations, par exemple en assurant leur publication en ligne dans un format pédagogique.
S'agissant du fonds Barnier, principale source de financement de la politique nationale de prévention des risques naturels majeurs, je salue les améliorations récentes, en particulier son intégration au budget général de l'État et l'augmentation de ses ressources depuis 2021. Toutefois, il continue de bénéficier très inégalement aux territoires ultramarins : le plan séisme Antilles (PSA) représente plus de 80 % des financements alloués à l'outre-mer dans ce cadre. Un rééquilibrage est absolument nécessaire.
Je regrette également la sous-mobilisation du fonds pour traiter les situations urgentes liées à la présence d'habitations informelles dans les zones exposées aux risques. La mise en œuvre de l'article 6 de la loi Letchimy du 23 juin 2011 est embryonnaire ; les collectivités doivent être accompagnées sur ce volet et au moins 5 % du fonds Barnier devrait être mobilisé pour l'habitat informel, contre moins de 1 % aujourd'hui.
Aux Antilles, le fonds Barnier aura toutefois permis d'engager des opérations notables dans le cadre du plan séisme Antilles déployé depuis 2007, bien que des travaux d'ampleur restent à mener pour sécuriser le bâti public, en particulier dans les écoles du premier et du second degré.
S'agissant de la gestion des crises liées aux événements naturels majeurs, j'ai pu constater l'existence d'une réelle culture partagée de la préparation et de la gestion opérationnelle outre-mer. Toutefois, l'ensemble des territoires ultramarins ne sont pas également préparés à la survenue de crises, ce qui pourrait entraîner des coûts importants, tant matériels qu'humains. Cela dit, une égale préparation n'implique pas une préparation uniforme : du fait des spécificités de chaque territoire, les risques naturels requièrent une préparation adaptée à chacun, donc différenciée.
Parmi les éléments hétérogènes dont les auditions ont fait état ou que j'ai pu observer, je retiens particulièrement les plans Orsec (organisation de la réponse de sécurité civile) et les plans communaux de sauvegarde. Hétérogènes sur la forme, ces plans le sont également sur le fond et intègrent trop peu souvent l'hypothèse d'un « big one » ou d'une conjonction d'événements. À ce sujet, notre président nous soumettra une proposition d'ajout au rapport que je soutiendrai.
De même, les moyens humains et matériels disponibles restent disparates d'un territoire à l'autre et, en moyenne, inférieurs à ceux observés dans l'Hexagone. Pour cette raison, je recommande notamment le développement des sapeurs-pompiers volontaires et la mobilisation du fonds exceptionnel d'investissement pour améliorer les équipements. Je retiens également l'organisation singulière de la sécurité civile dans les territoires du Pacifique. À cet égard, le Beauvau de la sécurité civile représente l'occasion d'identifier des voies d'amélioration.
Au-delà des progrès à faire, je tiens à souligner les éléments robustes que nos six mois de travaux ont mis en évidence en matière de préparation et de gestion des crises. Je pense notamment à la gouvernance de crise, qui a fait ses preuves, ou à la doctrine française visant à prépositionner des moyens de manière limitée outre-mer et à projeter des moyens hexagonaux en amont ou en aval d'un événement naturel.
Par ailleurs, malgré une coordination complexe, les coopérations régionales telles que les plateformes d'intervention régionale de la Croix-Rouge sont essentielles à la préparation et à la gestion des crises. Je recommande d'améliorer leur formalisation et leur animation.
Enfin, la préparation et la gestion des crises est l'affaire de tous : autorités, population, opérateurs, acteurs économiques. En la matière, j'ai pu observer des comportements optimaux. Je tiens par exemple à saluer le travail d'EDF à La Réunion ou de l'aéroport de Dzaouzdi à Mayotte. Je recommande que leur préparation et leur capacité de réponse soient étendues à d'autres acteurs, dans d'autres territoires.
Ces constats et recommandations reposent également sur l'étude approfondie de deux crises majeures récentes : Irma, en 2017 à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, et Belal, en 2024 à La Réunion. S'agissant d'Irma, compte tenu des précédents disponibles et malgré une anticipation réelle, il nous est apparu que l'État n'avait pu éviter les conséquences majeures de l'ouragan. S'agissant de Belal, c'est grâce à une préparation et à une constante adaptation au risque cyclonique, à une prévision extrêmement fiable du phénomène et à des décisions adaptées et proportionnées des services de l'État, sous l'autorité du préfet, que la gestion de la crise a été exemplaire.
Enfin, les travaux de la commission d'enquête ont porté sur la période de reconstruction, moment crucial de la gestion d'un événement naturel majeur dès lors que l'urgence absolue est considérée comme terminée. Impliquant la mise en œuvre, dans un temps contraint, d'impératifs nombreux et parfois contradictoires, la reconstruction ne débute pas sur une feuille blanche. Au contraire, elle repose sur l'histoire du territoire, ses structures sociale, politique, économique et culturelle. Pour étudier cette période, je me suis particulièrement intéressé à la reconstruction de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.
La période de reconstruction est marquée par un vif souhait de la population et des acteurs économiques de revenir à la normale le plus rapidement possible. Cependant, il est nécessaire de prendre en compte les impératifs du build back better – « reconstruire en mieux ». Pour ce faire, je recommande la constitution de cellules de soutien, interministérielles ou sectorielles, bénéficiant au besoin de renforts hexagonaux.
Par ailleurs, pour accélérer la reconstruction tout en l'inscrivant dans une démarche durable, je préconise la mise en œuvre, sous le contrôle du représentant de l'État, d'un droit temporaire de déroger aux lois et règlements en vigueur dans certains domaines, comme les marchés publics. Il pourrait être subordonné au respect des normes en matière de prévention des risques.
De même, le transfert temporaire à l'État de certaines compétences dévolues aux départements, régions ou collectivités d'outre-mer me semble susceptible d'avoir des effets positifs sur la reconstruction, à condition de s'effectuer en concertation avec les collectivités concernées.
Dans cette période de reconstruction, le rôle des assurances est crucial. Or les travaux de la commission d'enquête ont rappelé l'insuffisante couverture assurantielle des territoires ultramarins, allant de 6 % à Mayotte à 68 % à La Réunion quand le taux hexagonal s'établit à 97 % en 2017. Cette faible couverture, problématique face aux risques classiques ainsi qu'à certains risques tels que les tempêtes, l'est d'autant plus qu'elle interdit l'accès au régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, dit régime Cat nat. Pour ces raisons, je recommande la mise en œuvre urgente d'incitations fortes au recours à l'assurance dans les territoires ultramarins, à l'initiative conjointe des pouvoirs publics, des assurances et des tiers intéressés. Il convient aussi d'accompagner les plus fragiles, qu'ils disposent d'une habitation légalement construite ou non. En outre, j'appelle à des concertations à échéance régulière pour adapter le régime Cat nat, essentiel pour nos compatriotes et que bon nombre de pays nous envient. Il s'agit là d'un euphémisme pour dire l'importance de motiver les assurances à ce sujet.
L'ensemble de mes recommandations nécessitent un portage interministériel de haut niveau pour être mises en œuvre. À cette fin, la reconstitution de la délégation interministérielle aux risques naturels outre-mer me semble indispensable. Elle permettrait en outre d'assurer l'application ou le suivi des dispositions contenues dans le projet de loi qu'avait un temps envisagé le Gouvernement. Le cas échéant, il pourrait être nécessaire de légiférer pour pourvoir aux dispositions non encore adoptées.
Ce rapport est une pierre à l'édifice que représente l'amélioration de la résilience des territoires ultramarins face aux risques naturels. Je vous invite à l'adopter.