COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 3 avril 2024
Présidence de M. Pieyre-Alexandre Anglade, Président de la Commission,
La séance est ouverte à 15 heures 15.
Je tiens à vous remercier, chers collègues, de m'accueillir au sein de cette commission pour présenter cette proposition de résolution européenne visant à inviter le Gouvernement français à soutenir un moratoire sur tous les accords de libre-échange non encore entrés en vigueur et à amplifier l'utilisation des clauses de sauvegarde.
Ce texte cherche à ouvrir débat que je crois essentiel en cette période : quel commerce international et quelles protections pour les productions vulnérables et stratégiques de nos économies souhaitons-nous ?
J'ai concentré mon travail sur l'agriculture car il s'agit du secteur le plus affecté par le libre-échange. Le libre-échange, celui des formes de concurrence déloyales venues de l'autre bout du monde, provoque en effet de graves préjudices pour nos agriculteurs.
L'agriculture a longtemps eu un statut particulier dans le commerce international, jusqu'aux années 1990 avec l'intégration de l'agriculture au Cycle de Doha. Cependant, dans les faits, toutes les grandes puissances agricoles à l'exception de l'Union européenne continuent à protéger leur agriculture par une régulation des prix et par des droits de douane ciblés sur les filières sensibles. C'est le cas de la Chine, des États-Unis, ou encore de la Russie.
L'Europe, en multipliant depuis les années 1990 les accords de libre-échange, a bien plus libéralisé son marché agricole que le reste du monde. Elle a, ainsi, signé 45 accords de libre-échange avec des États tiers tandis que les États-Unis n'en ont signé que 14. L'agriculture est souvent utilisée comme une monnaie d'échange par l'Union européenne dans ses accords de libre-échange, pour promouvoir l'exportation de biens industriels et de services vendus par des multinationales exportatrices.
L'Union européenne a conclu ces dernières années pléthore d'accords de libre-échange. Le CETA a été conclu en 2016, des accords avec Singapour, le Japon et le Mexique sont en vigueur depuis 2019, un accord avec le Vietnam est en vigueur depuis 2020, tandis que des accords viennent d'être conclus avec la Nouvelle-Zélande, le Chili ou encore le Kenya.
Des accords de libre-échange sont actuellement en cours de négociation avec des puissances agricoles de premier plan, comme l'Australie, l'Inde, la Thaïlande ou encore le bloc Mercosur. Ce sont ces accords qui sont visés par cette proposition de résolution européenne.
Il est souvent expliqué que ces accords de libre-échange pourraient être justes s'ils étaient mieux aménagés. Je tiens à rappeler la définition première d'un accord de libre-échange telle que énoncée par les règles de l'Organisation mondiale du commerce : un accord de libre-échange comporte une baisse drastique des droits de douane entre les parties à l'accord et une baisse des barrières non-tarifaires, c'est-à-dire les normes sanitaires, environnementales ou encore sociales.
Ainsi, ces accords provoquent un appel d'air en termes d'importations à bas coûts de produits agricoles qui ne respectent pas les normes pourtant imposées à nos agriculteurs.
Prenons l'exemple du CETA. Au Canada, en matière de viande bovine, il existe des unités d'engraissement de 26 000 bêtes tandis qu'en France ces unités n'accueillent que 50 bêtes. De plus, les agriculteurs canadiens utilisent des antibiotiques de croissance et des farines animales interdits en Europe. L'utilisation de clauses miroirs dans cet accord n'est pas une mesure suffisante, tant les normes environnementales et les coûts de production divergent. Effectivement, cet accord bénéficie à certains secteurs, notamment aux exportations de fromage français, mais ces bénéfices sont faibles dans la mesure où les exportations de fromage français vers le Canada ne représentent que 0,5 % de la production de fromage français. L'ensemble des syndicats agricoles approuvent cette résolution car, si ces accords favorisent en effet certains secteurs de manière minime, ils sont fortement défavorables à un très grand nombre de secteurs.
Cette concurrence déloyale se présente dans de nombreux accords de libre-échange et pas seulement en matière d'élevage. Il est nécessaire de mentionner le secteur des fruits et légumes, avec notamment les pommes chiliennes ou sud-africaines qui coûtent 50 à 100 % moins chères que les pommes françaises[FA1], ou encore les haricots du Kenya récoltés par des travailleurs sans salaire minimum, ni protection sociale.
De plus, la Commission européenne a récemment mis à jour son étude globale de l'impact économique cumulé des accords de libre-échange à venir sur l'agriculture européenne. Cette étude souligne la vulnérabilité de certaines productions européennes telles que le bœuf, la viande ovine, la volaille, le sucre et le riz du fait des importations européennes accrues de ces marchandises en raison de la libéralisation des échanges. Cette vulnérabilité serait accentuée par l'entrée en vigueur des dix accords sur lesquels nous proposons un moratoire.
Nous avons auditionné l'ensemble des syndicats agricoles, et leur réponse est quasi unanime. À l'exception de la filière des vins et spiritueux, l'ensemble des organisations syndicales interprofessionnelles agricoles s'opposent à l'entrée en vigueur de nouveaux accords de libre-échange. Seule la filière laitière est divisée sur le sujet, une partie de cette filière étant dans un type d'élevage mixte, en produisant à la fois des produits laitiers et de la viande.
Pour l'ensemble de ces raisons, nous faisons écho à leurs demandes, et nous proposons au Gouvernement français de décider d'un moratoire sur tous les accords de libre-échange qui ne sont pas encore conclus, et de le faire valoir auprès du Conseil européen. Cela signifie d'arrêter les négociations en cours et ne pas en ouvrir de nouvelles, pour protéger nos agriculteurs et notre environnement. Ce moratoire est un appel vibrant à agir pour notre souveraineté alimentaire et pour la survie de nos territoires ruraux.
Nous proposons également, dans un second alinéa, que la France demande l'activation de toutes les clauses de sauvegarde existantes. Il en existe trois types : les mesures relevant de l'accord général de l'OMC, les mesures propres à l'accord sur l'agriculture de l'OMC et celles incluses dans les accords bilatéraux, trop rares, mais par exemple présentes dans l'accord avec le Japon. C'est un outil légal du point de vue du droit international du commerce, mais sous-utilisé, qui permettrait de protéger nos agriculteurs contre les importations qui mettent une filière en danger. Évidemment, leur usage doit être justifié, ciblé, ne peut être éternel, mais il n'emporte aucune difficulté juridique, et ne comporte pas de risque contentieux majeur. Il n'y a aucun obstacle à recourir davantage à ces clauses si ce n'est un obstacle idéologique.
Par ailleurs, nous avons auditionné les directions générales Agriculture et Commerce de la Commission européenne et leur avons demandé à quel point elles recouraient aux clauses de sauvegarde. Nous avons découvert que l'Union européenne ne s'en sert pas, ou très marginalement. En effet, l'Union dispose de 685 mesures potentielles de sauvegarde au titre de l'accord sur l'agriculture à l'OMC, dont 180 sur la viande ou encore 150 sur les produits laitiers. Or, elle n'en utilise aujourd'hui que 2. À titre de comparaison, les États-Unis utilisaient, en 2014, 44 clauses de sauvegarde tandis que l'Union en utilisait seulement 8. Les États-Unis sont ainsi dans une logique de protection et moins dans une logique de libéralisation par rapport à l'Union. En effet, ils ont signé trois à quatre fois moins d'accords de libre-échange et utilisent cinq à six fois plus leurs clauses de sauvegarde disponibles dans le droit de l'OMC. L'Union européenne est ainsi plus libérale que tous les libéraux.
Les agriculteurs demandent à être payés dignement pour leur travail, avec des prix rémunérateurs garantis. Cela n'est possible qu'en protégeant nos marchés domestiques. Si l'on souhaite rémunérer correctement nos agriculteurs, il faut qu'ils soient protégés de la concurrence. Il faut, dans ces conditions, stopper les accords de libre-échange à venir.
La bifurcation écologique ne sera possible qu'avec une protection face à la concurrence, car nous ne pouvons pas réclamer de nos agriculteurs de stopper l'utilisation de certains pesticides tout en tolérant l'importation de produits étrangers utilisant ces mêmes pesticides.
Enfin, un dernier enjeu est celui de l'autonomie alimentaire. Je tiens à rappeler que la balance agricole française est en chute depuis 2014, avec un creusement des importations nettes.
Pour répondre aux trois défis que constituent le maintien de l'agriculture familiale, la bifurcation agroécologique et l'autonomie alimentaire, je vous engage à soutenir ce texte visant à inviter le Gouvernement français à soutenir un moratoire sur tous les accords de libre-échange non encore entrés en vigueur et à amplifier l'utilisation des clauses de sauvegarde.
Agricultrice et députée bretonne, j'ai lu avec attention votre proposition de résolution. Je partage l'une de vos convictions : les accords de libre-échange conclus par l'Union européenne sont effectivement imparfaits, mais, par définition, chaque accord comporte des compromis et des concessions. L'objectif de l'Union européenne et de la France est de trouver le juste équilibre. Si cet équilibre n'est pas atteint, comme cela est le cas avec le Mercosur, la France s'oppose fermement pour bâtir un nouvel accord plus responsable. Permettez-moi de rétablir quelques vérités car, à aucun moment, vous n'avez évoqué les bénéfices des accords pour le consommateur européen, pour les entreprises et pour les pays en voie de développement. Vous résumez l'accord entre l'Union européenne et le Kenya à un accord qui permet d'exporter des haricots verts en Europe, cela est réducteur. Cet accord est le plus ambitieux conclu par l'Union avec un pays en voie de développement, notamment en ce qui concerne les dispositions en termes de durabilité comme la protection de l'environnement, les droits sociaux et l'égalité homme femme. Les accords commerciaux renforcent les liens politiques et stratégiques entre nos pays. Ce sont des outils efficaces pour promouvoir des normes environnementales et ouvrir de nouvelles perspectives pour nos entreprises.
Nos producteurs sont par exemple favorisés par l'accord avec la Nouvelle-Zélande, tandis que certains secteurs sensibles sont exclus de la libéralisation des échanges afin de les protéger. Vous n'évoquez à aucun moment les mesures miroirs qui visent à appliquer les standards européens à tous les produits importés.
Nous soutiendrons votre proposition de résolution demandant au Gouvernement français un moratoire sur tous les accords de libre-échange non encore entrés en vigueur. Mon groupe le demande au Parlement européen depuis de très nombreuses années. Je note d'ailleurs que les dossiers qui incluent des accords de libre-échange ont été votés par de très nombreux groupes politiques ici. Plus généralement, un accord de libre-échange n'est justifié que s'il permet aux deux parties d'en tirer profit. Inclure quasi systématiquement l'agriculture et des clauses environnementales intenables pour certains pays tiers est manifestement un gage d'échec surtout si on omet des clauses de sauvegarde, de revoyure ou des clauses miroirs. Aujourd'hui, l'agriculture est malmenée tant dans ses valeurs que sa qualité via les prix pratiqués sous une pression permanente toujours à la baisse. Nous souhaitons donc la réorientation de la politique commerciale européenne pour privilégier les agriculteurs et les impératifs écologiques. Pour vous avoir précédé sur cette voie, nous vous soutenons donc aujourd'hui car il faut être le plus nombreux possible en tant que représentants des peuples européens pour arrêter la marche aveugle et déshumanisée de la Commission européenne.
Les manifestations d'agriculteurs et d'agricultrices ces derniers mois ont mis sur le devant de la scène la question des revenus des agriculteurs mais aussi celle de la concurrence déloyale causée par les accords de libre-échange. Cette proposition de résolution est donc particulièrement pertinente. Je note que tous les groupes européens auxquels appartiennent la majorité des représentants des délégations françaises au Parlement européen ont voté en faveur de ces traités, sauf le groupe de La Gauche présidé par Manon Aubry. L'Union européenne a signé trois fois plus d'accords de libre-échange que les États-Unis mais utilisé quatre fois moins les clauses de sauvegarde permises par l'OMC. L'Union européenne fait du zèle dans la course au libéralisme et dans le travail de sape de toute protection sociale. Rappelons également que cette obsession pour les accords de libre-échange constitue un véritable déni démocratique puisque leur ratification s‘effectue sans l'aval des parlements nationaux. Le Gouvernement français a ratifié en catimini le traité avec la Nouvelle-Zélande en novembre 2023 et a laissé passer les traités avec le Chili et le Kenya en février 2024. Après le vote du Sénat contre la ratification du CETA, l'adoption de cette proposition de résolution permettrait d'interrompre les négociations en cours. Face à l'urgence climatique et sociale, continuer à conclure des accords est climaticide.
Le groupe Les Républicains a toujours su prendre ses responsabilités quand il estimait que des accords de libre-échange instauraient des distorsions de concurrence entre producteurs européens et producteurs étrangers. Dès 2019, les Républicains avaient à la quasi-unanimité voté contre le traité de libre-échange avec le Canada. Mais ne mélangeons pas tout. Les accords de libre-échange ne sont pas en eux-mêmes nocifs mais seulement les accords qui introduisent des distorsions de concurrence. Le libre-échange participe à la prospérité et au développement. Il suffit de voir le marché intérieur européen. Je m'étonne de voir le Rassemblement national favorable à l'idéologie gauchisante de la décroissance et de l'autarcie. Nous allons voter contre cette proposition de résolution. Oui au libre-échange, non aux accords qui introduisent des distorsions de concurrence.
Dans un monde où les échanges commerciaux progressent inexorablement, il y a un impératif de maintenir des relations équilibrées avec nos partenaires. L'importance d'un commerce équilibré avec les pays dont nous partageons les intérêts ne saurait être sous-estimée tant sur le plan économique que géopolitique. Actuellement, plusieurs accords sont en discussion avec des partenaires clefs. Dans ce contexte, votre proposition de résolution vise à instaurer un moratoire. Nous plaidons pour des règles bilatérales efficaces plutôt qu'une absence de cadre. Les accords de libre-échange offrent une plateforme d'échanges privilégiés avec nos partenaires, encadrés par des règles qui favorisent l'accès pour nos entreprises à des marchés. Un moratoire priverait notre économie d'un levier d'action et de transformation. Les traités de libre-échange conditionnent les importations au respect de normes sanitaires et environnementales, souvent les plus exigeantes du monde. En ce qui concerne les mesures de sauvegarde, la France agit déjà pour inciter la Commission européenne à utiliser ces outils de défense commerciale afin de protéger les filières sensibles. Le groupe Démocrate votera donc contre cette proposition de résolution.
Madame la rapporteure, vous voulez que l'on soutienne un moratoire sur tous les accords de libre-échange, sans aucune distinction. La position de la France est claire sur le Mercosur ; celui-ci n'avancera pas, alors que le CETA est un accord plutôt bien fait, qui est l'exemple du type d'accords que l'on souhaite promouvoir.
Il ne faut pas oublier qu'un accord de libre-échange c'est une négociation. Avec votre PPRE, on ne pourrait plus faire évoluer les choses puisque l'on ferait un moratoire sur tous les accords, interrompant les négociations engagées.
Je crois que ce qui est essentiel, c'est de promouvoir les clauses miroirs qui sont un outil extrêmement intéressant. En revanche, il faudrait proposer non pas que l'on ait les mêmes normes, mais que l'on se concentre sur les normes que l'on peut contrôler. Il faudrait baser les clauses miroirs sur ce type d'indicateurs que sont les limites maximales de résidus.
Nous voterons contre votre proposition de résolution.
Je tiens à saluer l'initiative de madame la rapporteure dans le contexte du vote de rejet au Sénat de la ratification de l'accord CETA et de l'affirmation par la majorité qu'il serait appliqué malgré tout et ne serait pas inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. La représentation nationale devrait pouvoir débattre de cet accord qui engage notre vision du commerce international et le quotidien de nos agriculteurs. Au lieu de cela, un accord sera appliqué sans jamais avoir été validé par le Parlement.
Le vote récent du Sénat n'est pourtant pas anodin, c'est une critique du bien-fondé du caractère équilibré des accords de libre-échange conclus par l'Union européenne. Ces accords privilégient l'ouverture des marchés extérieurs aux biens industriels européens, au détriment de la concession par l'Union européenne de quotas de produits agricoles en provenance de pays tiers.
Cette proposition de résolution européenne permet donc de répondre à ce qui s'apparente à une forme de faillite démocratique. Elle va dans le bon sens et nous la soutiendrons : les accords de libre-échange, en particulier quand ils présentent un danger pour les filières agricoles ou le respect des normes sanitaires et environnementales, comme c'est le cas avec le Mercosur et le CETA, doivent pouvoir être remis en cause par le Parlement.
Plus largement, il semble nécessaire, bien que l'activation d'outils existant tels que les moratoires et mesures de sauvegarde soient politiquement opportuns, de travailler également à la modification du droit existant pour rendre ces outils de défense commerciale véritablement efficaces. C'est le sens de l'un des amendements déposés par notre groupe.
Notre second amendement vise à inviter, à titre subsidiaire, le Gouvernement à un moratoire immédiat sur tous les accords de libre-échange non entrés en vigueur contenant des dispositions relatives aux produits agricoles. En effet, les importations non régulées de produits agricoles déstabilisent profondément les filières, nos préférences collectives, et le modèle de société de nombre d'États membres, comme l'ont attesté les récentes manifestations d'agriculteurs dans toute l'Europe.
Il convient donc, comme cette proposition de résolution européenne le prévoit, de trouver tous les moyens de protéger les consommateurs français et européens ainsi que nos agriculteurs. Notre souveraineté alimentaire et la qualité de nos agricultures sont en jeu.
Le groupe Socialistes et apparentés votera donc en faveur de la proposition de résolution.
Je voudrais vous remercier pour cette proposition de résolution européenne qui répond à un enjeu absolument fondamental, d'ailleurs souligné dans la loi d'orientation agricole, celui de notre souveraineté alimentaire. C'est celle-ci qui laisse la possibilité de mettre en place les politiques agricoles les mieux adaptées à leurs populations, sans qu'elles puissent porter atteinte aux populations d'autres pays. La souveraineté alimentaire rompt avec l'organisation des marchés agricoles mise en œuvre par l'Organisation mondiale du commerce. Ce principe est au cœur de la vision des écologistes en matière agricole. Il est par essence incompatible avec la soumission de nos paysans, aux impératifs de compétitivité ultra-concurrentiels issus d'une globalisation non-régulée.
Les accords de libre-échange que vous dénoncez vont à l'encontre de la possibilité pour les peuples de déterminer les politiques agricoles, pour et par eux-mêmes, et non pas pour satisfaire des contraintes de marché. Ce principe fondamental ne peut souffrir d'aucun compromis, c'est la position des écologistes depuis toujours. En cela, notre groupe soutient totalement la demande d'un moratoire immédiat et ferme sur ces accords, qui tuent les agriculteurs, qui échangent indifféremment voitures ou minéraux rares, contre des agneaux, du blé ou des patates, qui portent atteinte à l'environnement et à la souveraineté des peuples.
Chers collègues, entendons-nous bien, le débat ne porte pas sur « voulons-nous mettre fin au commerce international ? ». En effet, 70 % des importations européennes de viande bovine proviennent déjà des pays du Mercosur. L'Europe est également le troisième partenaire commercial de la Nouvelle-Zélande. La question est bien « comment faire en sorte que les règles du commerce international bénéficient aux populations, et non plus aux grandes firmes multinationales ? »
La réponse ne viendra pas du CETA, que certains ici entendent continuer à appliquer sans l'aval des peuples européens, ni du Mercosur, ni des accords avec le Chili, l'Afrique du Sud ou la Nouvelle-Zélande.
À l'heure où des millions de Français font face à la hausse des prix et peinent à accéder à une alimentation saine et durable, où se produisent des importations massives de produits destinés à l'alimentation soumis à des normes sociales et environnementales inférieures aux nôtres, à l'heure d'un plan social massif en agriculture, à l'heure de l'effondrement du vivant et des changements climatiques qui devraient nous conduire à nous interroger sur l'ensemble des politiques que nous menons, à l'heure où tant d'entre vous ont défendu la fin de la concurrence déloyale, notre priorité doit être celle d'un moratoire et de clauses de sauvegarde protégeant l'exception agricole française et européenne, nos agriculteurs et l'environnement.
Pour ce qu'il nous faudra faire par la suite, les écologistes prônent une révision fondamentale de notre approche commerciale internationale, notamment sur le commerce des produits agricoles, afin de l'aligner avec des impératifs de justice sociale, de protection environnementale et de résilience économique locale. Nous l'avons fait par le passé, nous devons le faire pour l'avenir : alors, faisons-le.
Les députés communistes et GDR souscrivent pleinement au contenu de cette proposition de résolution européenne en faveur d'un moratoire sur la conclusion de tous les accords de libre-échange.
Ce rapport revient très utilement sur les fondements de l'accélération des négociations et de la conclusion de ces accords. Les racines du problème sont en effet éminemment politiques : la multiplication des accords de libre-échange est arrimée au mythe néolibéral des vertus intrinsèques de l'expansion du commerce international. Un mythe qui nourrit cette obsession des dirigeants européens de faire du libre-échange une grande priorité politique de l'Union, quels qu'en soient les impacts et les effets, en particulier sur le secteur agricole, sur l'environnement et nos engagements climatiques, ou sur le plan social.
Cette obsession fait suite à l'échec, après 2006, des négociations de libre-échange du cycle de Doha au sein de l'Organisation mondiale du commerce et aux impasses successives à l'adoption de traités multilatéraux, comme l'accord sur le commerce et les services.
Il est important de rappeler que les concurrences déloyales et la pression sans précédent sur les prix sont le fruit de cette continuité idéologique et politique. Une continuité libérale, qui ne constitue que le prolongement des ambitions initiales de l'Organisation mondiale du commerce, du mythe d'un capitalisme mondialisé et financiarisé, et d'une société du tout marché, supposée bienfaitrice de l'humanité.
Si ces accords sont aujourd'hui si contestés, c'est parce qu'ils apparaissent totalement dépassés au regard des enjeux humains et environnementaux du XXIe siècle. Ils sont déconnectés de ces enjeux internationaux prioritaires. Plus grave encore, la poursuite de la conclusion de ces accords porte des logiques dangereuses qui contribueront à approfondir les conflictualités entre États ou régions, plutôt que de construire des coopérations bilatérales et multilatérales, qui, seules, peuvent permettre de répondre aux défis climatiques, environnementaux, sociaux, et en matière de paix mondiale.
J'ajouterais que le principe d'un moratoire ne saurait constituer un aboutissement. Il faut substituer à cette politique insensée, une nouvelle ambition d'accords de coopération et de maîtrise du commerce international et des investissements. Une telle révolution copernicienne pourrait d'ailleurs s'appuyer sur l'article 217 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui autorise des accords d'association, permettant à l'Union européenne, « de conclure avec un ou plusieurs pays tiers ou organisation internationale, des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun, et des procédures particulières ».
Je veux donc rassurer les collègues, qui ne manquent pas de donner des leçons de responsabilité : une autre politique de coopération européenne est possible. Commençons par voter cette proposition de résolution européenne qui donnerait un premier signal en ce sens.
L'esprit du libre-échange a visiblement altéré les capacités de décision des dirigeants européens et de certains députés. Les politiques introduites depuis quelques années exposent nos agriculteurs à une concurrence qui est insupportable. Il s'agit avant tout de restrictions sanitaires, quotas, et autres limites imposées par les décideurs européens, alors que l'Union européenne ouvre ses marchés à une infinité de produits surchargés de pesticides, issus de pays ne respectant nullement les normes requises.
Les multiples accords de libre-échange entre l'Union européenne et des pays comme la Nouvelle-Zélande démontrent une nouvelle fois l'hypocrisie de l'Union européenne, au prétexte de vouloir respecter les normes du Green Deal. Les députés du Rassemblement national sont les seuls qui se sont opposés à ce nouvel accord commercial désastreux pour nos agriculteurs, contrairement aux députés de la majorité présidentielle et aux Républicains au Parlement européen.
Nous devons cesser avec ces politiques qui malmènent l'agriculture française et la souveraineté alimentaire de notre pays. Les élus du Rassemblement national soutiennent cette demande de moratoire sur les accords de libre-échange et demandent au Gouvernement d'aller plus loin dans la préservation de notre souveraineté agricole.
En effet, la préservation de notre souveraineté alimentaire passera par l'inscription dans la loi que l'agriculture est d'intérêt général, au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation.
Je souhaiterais connaître, madame la rapporteure, l'état d'avancement des négociations pour un accord de libre-échange entre l'Union européenne et l'Australie, alors que les négociations avaient échoué en marge du G7, à l'automne 2023.
Pour répondre à Madame Obono, je tiens à sa disposition le procès-verbal des votes du Parlement européen de son groupe, et notamment des socialistes, sur la stratégie de la ferme à la fourchette. Je vois que Madame Aubry a voté en faveur de ce texte, ainsi que Monsieur Glucksmann. Quand vous avez voté en faveur de la limitation du nombre de productions agricoles en Europe, cela impliquait le recours à plus de libre-échange. Les seuls députés qui ont été cohérents sur le sujet sont bien ceux du Rassemblement national.
Je remercie la rapporteure pour son exposé. Même si nous avons une conception idéologique très différente sur le sujet, je reconnais volontiers la profondeur de son travail.
La question agricole a mis en lumière les failles de ces accords de libre-échange. En effet, ils sont conclus au niveau européen alors que nous avons une agriculture performante, exportatrice – la France est là sixième puissance exportatrice mondiale –, même s'il s'agit d'un des moteurs de notre balance commerciale qui souffre beaucoup ces dernières années. On voit que ces accords de libre-échange font la part belle à des produits industriels et offrent souvent des quotas très généreux à des pays qui n'ont pas une agriculture semblable à la nôtre.
Malgré tout, il n'est pas question de rejeter tout accord de libre-échange : je crois que beaucoup des députés qui se battent férocement contre le libre-échange, travaillent eux-mêmes avec des équipements numériques qui viennent de l'étranger. Je placerais donc la question sur un autre registre, en abordant deux points.
Le premier est celui de la compétitivité de notre agriculture et de notre économie française. Sur cet aspect, nous n'avons pas une vision décroissante et décliniste de l'économie. Les caricatures que vous faites sont relativement inquiétantes en pensant qu'une exploitation ne devrait pas compter plus de cinquante vaches, car ce serait la meilleure façon de bien traiter les questions environnementales. Vous pouvez avoir des fermes qui comptent un millier de vaches, mais avec plusieurs agriculteurs qui travaillent de manière coordonnée et où les bêtes peuvent être mieux traitées que dans de plus petites exploitations. C'est ce que m'ont appris les nombreuses visites de fermes que j'ai réalisées durant mes mandats.
Ensuite, sur la question de l'application des clauses miroirs, si les contrôles douaniers doivent être renforcés, le rejet de prime abord de tout libre-échange ne serait pas une solution pour la plupart de nos agriculteurs. Vous aggraveriez encore leur situation.
Quel dogmatisme que de refuser tout accord d'échange et de libre-échange ! Le contrat est la base de notre société démocratique, par opposition aux sociétés autocratiques qui prônent le rapport de force. Les accords de libre-échange ont permis la construction de l'Union européenne en favorisant la paix et la prospérité, d'abord à l'Ouest, puis à l'Est. Des accords déséquilibrés ont été conclus au détriment de l'agriculture. Mais, il nous revient de travailler à la conclusion d'accords équilibrés. Refuser a priori des rapports d'échange avec des États qui peuvent partager, comme le Canada, nos valeurs démocratiques me semble regrettable pour la paix et la prospérité de nos pays respectifs.
Je souhaite d'abord rappeler à nos collègues Les Républicains que les échanges internationaux et commerciaux existaient avant les accords de libre-échange. Faire croire que le refus des accords de libre-échange et de leur multiplication reviendrait à l'autarcie et au refus de tout échange international est de mauvaise foi.
Monsieur François, nous abordons aujourd'hui la question des accords de libre-échange et non celui du vote sur la stratégie de la ferme à l'assiette. Cependant, les députés européens membres du groupe Identité et Démocratie ont voté majoritairement en faveur de l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande.
Enfin, tous se revendiquent des clauses miroirs pour masquer leur soutien aux accords de libre-échange. Pourtant, aucun observateur sérieux ne considère l'Union européenne capable de contrôler le respect de telles clauses par les pays avec lesquels nous aurions conclu des accords de libre-échange.
Si l'on tient aux agriculteurs et à la production agricole, la priorité est de s'opposer à la poursuite de ces accords de libre-échange. Au cours des auditions, l'ensemble des syndicats agricoles nous ont fait part de leur volonté d'adoption d'un moratoire sur les nouveaux accords de libre-échange.
Nous ne sommes pas opposés au commerce international, nous soutenons un commerce équilibré. Un accord de libre-échange, selon les règles de l'OMC, est fait pour « baisser drastiquement les droits de douane des deux parties et les normes de protection », à savoir les normes de santé et d'environnement. Nous vous proposons de stopper la multiplication des accords de libre-échange que seule l'Europe entreprend dans le monde. Les États-Unis sont partie à 14 accords de libre-échange, l'Union européenne 45. Jusqu'où l'Europe ira-t-elle en matière de commerce international, alors que le Brésil, la Chine, les États-Unis, ou la Russie régulent leurs marchés agricoles ?
Premièrement, la multiplication des accords de libre-échange met en danger la souveraineté et la sécurité alimentaire de l'Union européenne, la production agricole, les volailles, la viande bovine, les fruits, les légumes et les protéines végétales. La Commission européenne le souligne dans son dernier rapport sur les effets cumulés des accords de libre-échange.
Deuxièmement, les accords de libre-échange avantageraient les consommateurs européens. Mais quels en seraient les effets concrets pour le consommateur européen ? Est-ce de pouvoir manger de la viande traitée par des antibiotiques de croissance nourris avec des farines animales dans des élevages de 26 000 bêtes ?
Il est dit que les accords de libre-échange pourraient être bénéfiques pour les pays en développement. Cependant, le principal syndicat d'agriculteurs d'Afrique de l'Ouest considère que les accords de partenariat économique signés avec les pays africains sont une catastrophe. La multiplication des accords de libre-échange avec les pays africains n'a fait qu'augmenter la dépendance alimentaire de ces pays. L'enjeu est de stopper la logique libre-échangiste pour leur offrir une souveraineté alimentaire.
Troisièmement, il existe en effet des quotas tarifaires : après un certain volume, les droits de douane nuls sont suspendus. Cependant, le quota est de 38 000 tonnes pour la viande d'agneau provenant de Nouvelle-Zélande, une quantité qui déstabilise les marchés agricoles.
Enfin, la position du groupe Renaissance, qui est de considérer l'accord CETA comme « plutôt bien fait » est cohérente mais contraire à celle de tous les syndicats agricoles et interprofessions agricoles. Je suis cependant surprise par la position du groupe Les Républicains qui s'oppose au CETA, mais serait favorable à poursuivre les négociations avec le Mercosur, l'Australie, l'Inde, l'Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et la Malaisie, et s'oppose à la présente proposition de résolution européenne.
Amendement n°1
Cet amendement vise à mieux cibler le moratoire sur les accords de libre-échange en précisant qu'il s'appliquerait à tous les accords non encore entrés en vigueur « et contenant des dispositions relatives aux produits agricoles ».
Je suis d'accord sur le principe, mais nous considérons que votre amendement est déjà satisfait puisque le secteur agricole est concerné par tous les accords de libre-échange, directement ou indirectement comme c'est le cas de l'accord avec Singapour.
L'amendement n°1 est retiré.
Amendement n°2
L'amendement proposé par Mme Marietta Karamanli invite le Gouvernement à œuvrer de manière plus volontariste dans les instances compétentes en faveur de la réforme du droit européen et du droit international relatifs aux mesures de défense commerciale, et particulièrement afin de faciliter le mise en œuvre des mesures de sauvegarde. En effet, les outils juridiques en vigueur dans le droit du commerce international et dans le droit de l'Union européenne sont largement insuffisants dans la pratique et souvent inopérants pour avoir un impact efficace sur nos filières agricoles.
Je suis favorable à cet amendement qui permet d'élargir la demande faite au Conseil européen d'agir en faveur d'une application plus forte, non seulement du mécanisme de clauses de sauvegarde, mais aussi des mécanismes antidumping et antisubventions. Seulement deux clauses de sauvegarde ont été activées quand les États-Unis en affichent près d'une cinquantaine.
Je considère que cet amendement est déjà satisfait car le Gouvernement le fait depuis de nombreuses années. En effet, sous l'impulsion de la France, la Commission européenne a créé un poste de procureur commercial européen veillant à ce que nos partenaires respectent leurs engagements et assurant que nos PME tirent le meilleur parti de nos accords commerciaux.
Le Rassemblement national s'abstiendra sur cet amendement dont l'apport au texte est nul. M. Bompard, je vous indique que nous avons voté contre l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande.
L'amendement n°2 est rejeté.
L'article unique de la proposition de résolution européenne est rejeté.
La proposition de résolution européenne est donc rejetée.
La séance est levée à 16 heures 15.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Henri Alfandari, M. David Amiel, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Rodrigo Arenas, Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Manuel Bompard, M. Mickaël Bouloux, Mme Pascale Boyer, M. Stéphane Buchou, M. André Chassaigne, Mme Sophia Chikirou, Mme Annick Cousin, Mme Laurence Cristol, M. Fabien Di Filippo, M. Pierre-Henri Dumont, M. Thibaut François, M. Benjamin Haddad, Mme Brigitte Klinkert, Mme Constance Le Grip, Mme Nicole Le Peih, M. Denis Masséglia, Mme Joëlle Mélin, Mme Lysiane Métayer, Mme Louise Morel, Mme Danièle Obono, Mme Nathalie Oziol, M. Frédéric Petit, Mme Anna Pic, Mme Marie Pochon, M. Jean-Pierre Pont, Mme Sandra Regol, M. Alexandre Sabatou, M. Vincent Seitlinger, Mme Sabine Thillaye, Mme Aurélie Trouvé, M. Nicolas Turquois
Excusé. - M. Charles Sitzenstuhl