La commission procède à l'audition ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères.
La séance est ouverte à 18 h 10.
Présidence de M. Jean-Louis Bourlanges, Président
- Minute de silence et point sur la situation au Proche-Orient à la suite des attentats du 7 octobre 2023 sur le territoire de l'État d'Israël.
Mes chers collègues, bien que cela ne constitue pas l'objet de notre réunion, dans les circonstances dramatiques marquées par les événements qui se déroulent au Proche-Orient, je tiens à exprimer, en ouverture de notre séance, notre condamnation la plus totale des opérations terroristes et des exactions perpétrées contre des civils innocents par des commandos terroristes du Hamas depuis samedi dernier. Quelles que soient les explications que l'on puisse donner à des engagements politiques, la nature des moyens employés est absolument injustifiable. J'adresse mes pensées profondément attristées, notre soutien et notre solidarité aux familles des victimes, en particulier françaises.
Le droit à l'existence pacifique de l'État d'Israël et de ses ressortissants n'est pas négociable, pas plus que le droit des Palestiniens à vivre sur leur terre. Les actes ignobles qui ont été commis par la branche armée du Hamas dans le seul but de tuer, de brutaliser et de choquer les Israéliens ne font malheureusement qu'éloigner un peu plus cette perspective.
Avant de poursuivre, je vous propose que nous marquions notre émotion et notre respect à l'égard des victimes par une minute de silence.
(Mmes et MM. les députés et Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, se lèvent et observent une minute de silence)
Je vous remercie.
Madame la ministre, peut-être pouvez-vous nous faire un point rapide sur la situation avant que nous en venions à l'objet initial de notre réunion ?
Je vous remercie, monsieur le président, de m'inviter à donner quelques indications sur les événements dramatiques qui se déroulent depuis plusieurs jours en Israël et à Gaza.
La France a condamné avec la plus grande fermeté les attaques terroristes contre Israël et sa population : le président de la République, la première ministre et moi-même l'avons clairement dit ce week-end et l'avons depuis répété à de nombreuses reprises : le président de la République s'est exprimé très clairement aujourd'hui en Allemagne à l'occasion des consultations franco-allemandes, comme la première ministre tout à l'heure dans l'hémicycle de votre Assemblée.
Il n'y a aucune justification possible au terrorisme, que nous rejetons de manière absolue. Les actes de terreur perpétrés contre les civils sont injustifiables et inacceptables. Rien ne justifie le terrorisme. Jamais ! Aucune ambiguïté ne saurait être de mise sur ce point, et je vous invite à vous réunir dans cette condamnation.
Nous pensons, en ces jours sombres, aux proches des victimes et souhaitons un prompt rétablissement aux blessés. Le bilan n'est pas encore définitivement établi. La France condamne les prises d'otages de civils – peut-être y a-t-il des enfants parmi eux – et de soldats. Ces actes abjects démontrent, s'il en était besoin, la nature terroriste du Hamas. Les otages doivent être immédiatement libérés, sans condition. La France est attachée à la sécurité d'Israël, qui, face à ces attaques odieuses, a le droit de se défendre.
Nous suivons avec une grande attention l'évolution de la situation en Cisjordanie, en lien avec l'ensemble de nos partenaires, notamment dans la région. Nous avons tenu, plus tôt dans la journée, un Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne réunissant les vingt-sept Etats membres, au cours duquel nous avons échangé sur cette situation dramatique. Notre responsabilité est de contribuer à éviter un embrasement régional et une contagion de la violence à la Cisjordanie et au Liban, voire ailleurs. C'est le message passé par le président de la République, la première ministre et moi-même à nos homologues dans la région comme aux responsables européens et américains ; vous avez pu constater l'intensité de l'activité diplomatique depuis samedi.
Ces violences rappellent encore une fois l'urgence pour la communauté internationale de se remobiliser afin de trouver une issue au conflit israélo-palestinien, issue qui sera nécessairement politique. La France a toujours soutenu la paix et continuera de le faire. La première ministre a rappelé cette constante cet après-midi à l'Assemblée nationale.
Nous avons dû annoncer aujourd'hui le décès de quatre victimes françaises supplémentaires ; en outre, nous sommes sans nouvelles de quatorze personnes, pour lesquelles nous tentons, avec leurs familles et en lien avec les autorités israéliennes, de trouver des informations. Au fur et à mesure que les autorités israéliennes procèdent aux vérifications et aux identifications, le bilan des victimes s'alourdit nettement. C'est ainsi que nous déplorons, à cette heure, le décès de huit compatriotes dans les attaques terroristes du Hamas. Nous sommes sans nouvelles de vingt Français disparus près de Gaza. Certains d'entre eux ont très probablement été enlevés : au moins un enfant a subi ce sort.
Je pense à eux et à leurs proches avec émotion et respect. Les équipes du ministère de l'Europe et des affaires étrangères sont en contact étroit avec les autorités israéliennes pour clarifier la situation de nos compatriotes et tout faire pour les libérer lorsqu'ils sont otages, et avec leurs familles pour les accompagner dans cette terrible épreuve.
Nous sommes pleinement mobilisés pour apporter à la communauté française sur place, ainsi qu'aux nombreux Français de passage, les informations et les conseils utiles, répondre à leurs demandes et traiter toutes les urgences. Nous avons ouvert une cellule de crise à cet effet. Enfin, nous travaillons avec Air France à la reprise des vols vers Israël, suspendus depuis samedi. Je suis en mesure de vous annoncer la mise en place d'un vol spécial affrété par Air France, ce jeudi, dans le cadre d'une opération coordonnée par le centre de crise et de soutien de mon ministère.
Voilà les éléments que je pouvais vous communiquer sur ces événements, toujours en cours. Il est à craindre que de nouvelles victimes soient à déplorer. Nous vous tiendrons bien sûr informés chaque fois que nous le devrons.
Nous exprimons aux familles de nos compatriotes toute notre compassion et toute notre solidarité devant le malheur injustifiable qui les frappe. Tous les parlementaires doivent ressentir l'indignation devant les moyens, ainsi que de la compassion et de la solidarité envers les victimes. Nous l'avons exprimé, en séance publique tout à l'heure, et nous l'exprimons ici : les membres de la commission des affaires étrangères doivent assumer les devoirs de l'analyse, de l'explication et de la définition des orientations et des options qui s'offrent à la diplomatie française, à son homologue européenne et à la communauté internationale. Nous devrons engager ce travail dans les jours et les semaines qui viennent : l'indignation ne nous dispense pas de la réflexion et de l'analyse.
J'ai demandé, en conférence des présidents, qu'un débat soit prochainement organisé en séance publique sur cette grave question : cette requête semblait faire consensus. Nous vous inviterons, madame la ministre, à participer aux travaux de notre commission sur le sujet. Nous avons d'ores et déjà organisé une première réunion de réflexion, qui se tiendra demain à quinze heures et à laquelle participeront Elie Barnavi, depuis Israël, et deux autres invités. M. Barnavi est une personnalité singulière et un ami personnel ; il fut un très grand ambassadeur d'Israël à Paris et il nous apportera son analyse décapante, qui ne recueillera sans doute pas l'approbation unanime de notre commission.
Ces événements sont une horreur absolue. Ils prennent place dans un écheveau géopolitique d'une immense complexité. Ils suscitent la perplexité sur les orientations que la communauté internationale et les différentes puissances doivent adopter pour faire face à une situation entièrement inédite. Nous sommes dans la peine, la compassion et l'indignation mais il faudra également que nous nous situions dans la réflexion et, si nous en sommes capables, dans la proposition. Voilà le rôle que je pense devoir être celui de la commission des affaires étrangères dans cette situation totalement hors normes, qui nous a tous profondément bouleversés.
- Audition ouverte à la presse, de Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances initiale pour 2024.
Notre ordre du jour vise à vous auditionner, madame la ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur le projet de loi de finances (PLF) initiale pour 2024. Nous vous sommes reconnaissants de revenir devant nous, moins d'une semaine après votre audition sur d'importantes questions touchant à nos rapports à l'Afrique, pour un sujet lui aussi essentiel : les dotations budgétaires à votre ministère pour l'an prochain. Il s'agit de l'acte inaugural de l'examen par notre commission du PLF pour 2024. Nous abordons ce rendez-vous avec attention et vigilance, alors que des engagements forts ont été pris par le président de la République et par vous-même en faveur du « réarmement » de notre diplomatie.
Après une loi de finances pour 2023 plutôt satisfaisante, le PLF pour 2024 s'annonce sous des auspices prometteurs, puisque le budget du ministère de l'Europe et des affaires étrangères devrait s'établir à un peu moins de 6,8 milliards d'euros, soit une augmentation de 293 millions d'euros et de 4,5 % de ses crédits.
Dans cette épure, les crédits de la mission Action extérieure de l'État se monteront à un peu plus de 3,5 milliards d'euros, en hausse de 9 %. Pour mémoire, les dépenses de fonctionnement du ministère ne représentent que 17 % de cette enveloppe : il faut toujours rendre hommage à ce ministère, qui n'est pas un grand consommateur de crédits de fonctionnement.
Après une première hausse de 100 équivalents temps plein (ETP) lors de l'exercice budgétaire en cours, les effectifs de votre ministère augmenteront de 165 ETP en 2024, inscrivant ainsi dans la durée le nécessaire renversement de tendance amorcé en matière de ressources humaines. Nous avons toujours dit ici que s'il fallait peut-être moins de fonctionnaires dans les ministères qui en comptaient beaucoup, il fallait aussi reconnaître que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères se trouvait « au-delà de l'os » : il est bon qu'il puisse faire face aux défis actuels avec des moyens nouveaux.
La hausse des crédits renforcera l'action de la France en Europe et dans le monde : les dotations du programme 105 vont ainsi progresser de 13 % et atteindre presque 1,5 milliard d'euros. L'accent est plus particulièrement mis sur notre soutien aux opérations de maintien de la paix et à l'Ukraine, ainsi que sur l'organisation d'événements importants comme le sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts – saluons la mémoire du roi François Ier –, le quatre-vingtième anniversaire du débarquement ou le sommet des chefs d'État et de gouvernement lors des Jeux olympiques. Je me réjouis que des enveloppes en hausse soient également dévolues à l'accroissement de la sécurité des personnels et des ambassades et à l'amélioration des conditions d'expatriation. Les agents diplomatiques français sont exposés à des situations de plus en plus difficiles et de plus en plus dangereuses, qu'ils affrontent avec un courage et un sens de l'État auxquels notre commission ne peut que rendre hommage.
Les dotations allouées à l'action consulaire et à l'assistance aux Français à l'étranger, rassemblées dans le programme 151, ne sont pas oubliées : elles augmentent de 17 % pour atteindre 165 millions d'euros. L'essentiel de cette hausse concerne les bourses scolaires des enfants français scolarisés dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, ce qui est une très bonne chose.
Enfin, toujours dans le cadre de la mission Action extérieure de l'État, les crédits destinés à la diplomatie culturelle et d'influence, regroupés dans le programme 185, progresseront de 8 %, à 721,2 millions d'euros, afin de revaloriser les moyens des Instituts français et ceux du réseau culturel et de coopération dans les zones géographiques prioritaires : là encore, cet effort est tout à fait nécessaire.
Les dotations inscrites dans le programme 209 de la mission Aide publique au développement sont, quant à elles, stabilisées à un peu moins de 3,3 milliards d'euros. Ces crédits, qui représentent le principal outil d'aide publique au développement (APD) du Quai d'Orsay, placent la France au quatrième rang mondial des bailleurs en la matière.
Dans cette enveloppe, l'aide humanitaire représente 900 millions d'euros, dont près d'un tiers est destiné à la provision pour crises majeures. Le financement de la coopération bilatérale augmentera de 5 %, à un peu moins de 2,2 milliards d'euros, afin d'abonder notamment les instruments dont nos ambassades disposent directement : cette hausse, très attendue, avait été annoncée par le président de la République dans un discours à l'Élysée avant sa visite en Afrique. Seuls les moyens dédiés à la coopération multilatérale diminueront de 4 %, à 796 millions d'euros, en raison de l'effet mécanique de la fin de dépenses à caractère exceptionnel.
Le programme 370, qui représente le montant des cessions de biens mal acquis pour les restituer sous forme de coopération aux populations spoliées, bénéficiera d'un premier versement, certes modeste – 6 millions d'euros – mais symbolique, au profit de la Guinée équatoriale. Le Parlement, qui a beaucoup œuvré à cet égard, ne peut qu'accueillir avec satisfaction ce premier pas dans la bonne direction.
Ce panorama, par définition incomplet, me porte à croire, madame la ministre, que vous êtes globalement satisfaite des arbitrages que vous avez obtenus et du contenu de ce budget pour 2024. Pour ma part, je constate de nombreux points positifs aux équilibres qui ont été trouvés.
Je suis heureuse de vous présenter le projet de budget du Quai d'Orsay pour la deuxième fois depuis ma prise de fonction, d'autant que les nouvelles sont positives.
En effet, ce budget offensif nous permettra, plus encore que l'année dernière, de mettre en œuvre les priorités fixées par le président de la République en mars dernier, lors de la clôture des états-généraux de la diplomatie, lancés il y a un peu moins d'un an.
Si votre Assemblée l'adopte, ce projet de loi de finances nous donnera les moyens d'affirmer nos principes, nos intérêts et nos solidarités, pour reprendre le titre de la dernière conférence des ambassadrices et des ambassadeurs tenue à la fin du mois d'août.
Avant de vous présenter l'économie générale du projet de budget et ses principales priorités, je souhaiterais évoquer rapidement le contexte international dans lequel nous nous trouvons et qui nous impose de nous affirmer toujours davantage. Sans revenir sur le Proche-Orient, notre environnement est marqué par une brutalité accrue, dont la guerre en Ukraine est le signe le plus net depuis un an et demi, mais dont témoigne aussi l'effondrement sécuritaire au Sahel, du Mali au Soudan, ou l'accroissement des tensions en Asie de l'Est ; en découle notamment l'accroissement des flux migratoires vers les zones stables et prospères comme l'Europe. C'est un monde également marqué par le « chacun pour soi », c'est-à-dire que les cadres habituels de la régulation internationale sont remis en cause : divisions au sein du G20, gouvernance financière internationale contestée, difficultés à trouver des compromis, même sur le climat, et recul des droits de l'Homme dans un nombre croissant de pays. Enfin, c'est un monde marqué par la propagande et les manipulations de l'information, à une échelle décuplée par les réseaux sociaux : cette situation ne manque pas d'être préoccupante pour la démocratie.
Dans ce contexte, nous devons combiner trois lignes d'action.
La première est de continuer à jouer notre rôle de partenaires de confiance. Nous le faisons en participant activement à la résolution des crises internationales de sécurité et en affichant, quand cela est nécessaire, notre fermeté au Sahel, en Ukraine ou dans le Caucase : j'ai eu l'occasion de le faire la semaine dernière lors de mes déplacements en Ukraine et en Arménie, comme je vous le disais lors de mon audition du 4 octobre.
Le même principe vaut évidemment pour les enjeux globaux. La France est vue comme un leader en la matière, du fait de sa mobilisation sur tous les fronts : climat, biodiversité, océans, finance internationale. La mise en œuvre des conclusions du sommet de Paris de juin dominera notre agenda des prochains mois, comme nous avons commencé de le faire à l'Assemblée générale des Nations Unies.
L'un des instruments de notre action dans ce domaine sera notre politique de partenariats solidaires, confortée et rénovée lors du conseil présidentiel du développement et du comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID). Dans cette optique, la fin des critères de concentration géographique au profit de la poursuite d'objectifs nous permettra de piloter l'aide publique au développement de manière plus politique.
Dans le même temps, dans cette atmosphère du « chacun pour soi », nous devons défendre avec lucidité et vigueur nos intérêts. C'est ce que nous faisons en matière de diplomatie économique, l'action du ministre délégué Olivier Becht visant à aider nos entreprises à conquérir des marchés et à attirer des investisseurs dans nos territoires. C'est aussi notre objectif en développant des partenariats aussi structurants que celui que nous avons conforté avec l'Inde le 14 juillet dernier. De la même manière, nous assumons pleinement la défense de notre modèle énergétique, notamment du nucléaire civil, à l'international ; nous l'avons encore fait aujourd'hui en Allemagne et je l'avais déjà réalisé fin septembre en Finlande, en participant à l'inauguration du premier réacteur pressurisé européen (EPR) en fonctionnement sur le continent européen, lequel a été construit par EDF sur place : cet EPR fournit déjà 30 % de la consommation électrique de ce pays et contribue donc à son autonomie stratégique.
Enfin, pour mieux réguler, comme pour mieux défendre nos intérêts, rien n'est possible sans l'Europe, qui est notre levier de puissance le plus évident. Nous poursuivrons donc l'application de l'agenda de souveraineté de Versailles : souveraineté économique, défense, énergie et migrations. Nous avons beaucoup progressé dans la définition de solutions européennes.
Deuxièmement, notre projet de budget est offensif afin de nous adapter à un contexte de plus en plus difficile. Le projet de loi de finances consacre le « réarmement » – n'ayons pas peur des mots ! – de la diplomatie française, grâce à une hausse de ses moyens que l'on n'avait pas vue depuis des décennies : 165 ETP supplémentaires et une augmentation de 4,5 % de nos crédits par rapport à 2023, qui marquait déjà une première inflexion. D'ici à 2027, il y aura 700 ETP supplémentaires, sans compter les 100 ETP de 2023, et une hausse des crédits de 22 %. En 2024, le budget du ministère atteindrait ainsi, si le Parlement l'adopte, 6,7 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions, soit une hausse de 293 millions d'euros par rapport à l'année précédente. La mission Action extérieure de l'État se verrait attribuer 3,344 milliards d'euros en crédits de paiement hors pensions et le programme 209 Solidarité à l'égard des pays en développement, 3,42 milliards d'euros, hors pensions également.
Ce budget est novateur en ce qu'il renforce très substantiellement la mission Action extérieure de l'État pour nous donner les moyens de la transformation souhaitée par le président de la République, dans le prolongement des états-généraux de la diplomatie. La mission connaîtrait ainsi sa plus forte hausse depuis 2005, avec 11 % d'augmentation.
Je voudrais me concentrer d'abord sur le programme 105, qui regroupe les moyens de notre action diplomatique et les crédits de fonctionnement des ambassades et consulats. Le budget de ce programme croîtrait de 13 % l'année prochaine. Ces nouveaux crédits nous permettront de moderniser et de transformer le ministère : en poursuivant nos investissements dans le domaine numérique pour installer des outils collaboratifs et moderniser le travail diplomatique, ainsi que nos capacités d'analyse et d'anticipation ; en investissant davantage dans l'immobilier, y compris dans l'efficacité énergétique de nos bâtiments en France et à l'étranger ; en renforçant certains services en France ou certains postes à l'étranger de manière à mieux adapter les moyens humains aux besoins. Cela concernera la direction de la communication et de la presse et les services de presse de nos ambassades mais aussi le protocole, qui a son rôle dans la conduite de notre diplomatie publique, la future académie diplomatique ou encore nos plus petites ambassades, les 25 postes de présence diplomatique (PPD), que nous souhaitons tous renforcer de quelques ETP supplémentaires, tant l'expérience montre qu'on les a trop réduits.
Ces crédits supplémentaires permettront également de porter une attention plus grande au quotidien des agents et de leurs familles, ce qui se traduira notamment par un effort supplémentaire en matière de logement social ou encore par une meilleure couverture des frais de scolarité à l'étranger.
Troisièmement, je voudrais insister sur quelques priorités qui me tiennent particulièrement à cœur, sans prétendre à l'exhaustivité.
Première priorité : les fonctions politiques, y compris les enjeux globaux. En 2024, le programme 209 bénéficierait d'un budget s'établissant, hors dépenses de personnel, à 3,265 milliards d'euros en crédits de paiement, ce qui permettra de faire face à tous nos engagements et à la France d'être le quatrième bailleur au monde. L'aide humanitaire, dont le caractère prioritaire a été réaffirmé par le CICID de juillet 2023, serait maintenue à près de 900 millions d'euros en 2024. Ce montant comprend la provision pour crises majeures, inaugurée en loi de finances initiale pour 2022, augmentée en 2023 et maintenue à 270 millions d'euros, pour répondre efficacement et rapidement en 2024 à de nouveaux engagements non anticipés.
Permettez-moi quelques mots supplémentaires sur cette provision. Elle nous a permis d'activer très rapidement, sans passer par de longs processus d'arbitrages budgétaires, des moyens d'aide humanitaire dans des pays touchés par des crises : l'Ukraine, bien entendu, mais aussi la Turquie frappée par un tremblement de terre en février, le Soudan en proie à la guerre civile, ainsi que les pays limitrophes qui reçoivent des réfugiés soudanais, la Libye après les inondations de septembre et, plus récemment, les populations fuyant le Haut-Karabagh : nous avons augmenté notre aide humanitaire à l'Arménie pour plus de 12 millions d'euros. Je veille personnellement à ce que l'usage de cette provision reste conforme à son objet, avec des actions très ciblées et à fort impact. Le projet de loi de finances qui vous est proposé reconduit cette provision pour crises majeures, qui a donné à la France les moyens d'agir vite et bien partout où elle était attendue.
Nous consacrerions aussi 76 millions d'euros de plus qu'en 2023 aux mesures d'assistance à l'Ukraine, en partenariat avec les États membres de l'Union européenne. Nous devons prévoir d'être à ses côtés dans la durée. La Facilité européenne pour la paix deviendrait ainsi le bénéficiaire de notre plus importante contribution internationale en 2024.
La coopération bilatérale financée par le programme 209 serait quant à elle rehaussée de 109 millions d'euros, soit une augmentation de 5 %, s'établissant à 2,184 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce renforcement de l'aide bilatérale abonderait significativement les outils à la disposition directe de nos ambassades. Ainsi, les moyens alloués aux Fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI), dont l'efficacité est saluée par tous, augmenteraient de 20 millions d'euros, atteignant 100 millions d'euros. Le Fonds équipe France (FEF) et le Fonds d'appui à l'entrepreneuriat culturel (FAEC), dispositifs d'aide bilatérale plus réactifs, visibles et lisibles créés en 2023, bénéficieraient quant à eux de 77 millions d'euros. Enfin, le don-ONG alloué à l'Agence française de développement (AFD) augmenterait de 7 millions d'euros en crédits de paiement, conformément à notre volonté de soutenir les organisations de la société civile.
Le montant des crédits consacrés à la coopération multilatérale baisserait légèrement pour s'établir à 796 millions d'euros en crédits de paiement. Cette contraction tient au fait que d'importantes dépenses réalisées en 2023 présentaient un caractère exceptionnel et ne seront pas renouvelées en 2024. Je pense par exemple à l'arriéré de contribution au Fonds mondial de lutte contre le syndrome d'immunodéficience active (SIDA), la tuberculose et le paludisme, pour 70 millions d'euros, et à la Facilité pour les réfugiés en Turquie, pour 20 millions d'euros. En réalité, ce niveau de 796 millions d'euros permettrait de consacrer des moyens pour de nouveaux engagements et de renforcer les contributions volontaires françaises dans les thématiques prioritaires du climat, de la santé, de l'égalité femme-homme ou de l'éducation. J'ajoute que l'extinction progressive du Fonds européen de développement (FED) jusqu'en 2027 libèrera des marges pour financer de nouveaux projets à budget constant au titre du programme 209.
Deuxième priorité : l'influence. En 2024, la dotation du programme 185 hors dépenses de personnel croîtrait de 50 millions d'euros par rapport à 2023, s'établissant à 721,2 millions d'euros, soit une hausse de 8 %. Cette politique d'influence se structurerait autour de deux grands axes : d'une part, le développement d'un nouveau partenariat culturel et solidaire avec le continent africain ; d'autre part, la consolidation de l'attractivité française dans les autres pays prioritaires, notamment dans la zone indopacifique.
Un renforcement du réseau culturel est engagé. Les dotations aux établissements à autonomie financière, principalement les Instituts français et les Instituts français de recherche à l'étranger, augmenteraient de 8,2 millions d'euros par rapport à 2023.
De même, les crédits alloués au réseau des Alliances françaises augmenteraient de 1,5 million d'euros, soit une hausse de 20,8 %, pour financer leur sécurisation, leur transformation numérique et le renforcement de leur attractivité. Enfin, une hausse des crédits d'intervention de 24,3 millions d'euros, soit une progression de 60 % ciblant en priorité les postes, permettrait d'offrir de nouvelles marges d'action au réseau culturel et de coopération sur les géographies prioritaires, de renforcer le soutien aux industries culturelles et créatives – certains d'entre vous sont peut-être allés au forum Création Africa ce week-end – et de financer de nouveaux campus ou des résidences d'artistes.
Dans un contexte de compétition internationale accrue, la politique d'attractivité étudiante fera par ailleurs l'objet d'un investissement important, afin de maintenir le rang de la France. Les crédits alloués aux bourses pour les étudiants étrangers en France seraient portés à 70 millions d'euros, soit une augmentation de 6 millions par rapport à 2023 et une hausse de 9 %, notamment pour faire venir des profils qualifiés dans des secteurs en tension. De même, une augmentation de 2 millions d'euros, soit une hausse de 15 %, est prévue pour les échanges d'expertise et scientifiques, qui contribuent à la politique d'attractivité de la France.
Enfin, avec ces crédits, mon ministère continuera d'œuvrer pour renforcer la place de la France dans le système multilatéral, grâce à notre contribution aux opérations de maintien de la paix, de prévention et de médiation des conflits. En 2024, 6,5 millions d'euros de contributions supplémentaires à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) sont prévus dans le sillage du sommet de Madrid, tandis que les versements aux différents organes des Nations Unies augmenteraient de 17 millions d'euros.
Troisième priorité : la communication et la diplomatie publique. En matière de communication et de presse, les moyens progresseraient de 2,2 millions d'euros. Ces crédits visent à accroître le rôle du ministère dans le pilotage de la communication de la France à l'étranger, ainsi que les capacités de nos ambassades dans les géographies prioritaires comme l'Afrique ou l'Indopacifique. La direction de la communication et de la presse continuera d'être renforcée en moyens humains et en outils de promotion et de riposte.
Nous souhaitons doter le ministère d'une nouvelle culture de la communication stratégique, selon deux axes principaux : la dynamisation et le renforcement de notre présence dans les médias et sur les réseaux sociaux, pour toucher de nouveaux publics, grâce à l'accroissement de nos capacités de production audiovisuelle, au décryptage de l'action diplomatique par le biais de nouveaux produits dédiés, aux vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et à un travail avec les influenceurs ; le renforcement de nos capacités à lutter contre les manipulations, le développement de notre veille sur les réseaux sociaux, la mise en place d'un fonds d'innovation destiné à sélectionner et aider financièrement les projets des postes les plus pertinents, ainsi que le développement de mécanismes de coordination avec nos partenaires internationaux.
Enfin, une enveloppe de 600 000 euros est prévue au titre des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 pour activer un programme spécifique d'invitation de journalistes et accompagner notre communication sur les Jeux.
Quatrième priorité : les Français de l'étranger. Le programme 151 regroupe les moyens de l'action consulaire et d'assistance aux Français à l'étranger. En 2024, il verrait ses crédits hors dépenses de personnel croître de 24 millions d'euros par rapport à 2023, soit une hausse de 17 %, pour atteindre un montant de 165,2 millions d'euros. En 2024, se tiendront les élections européennes, dont le coût de l'organisation à l'étranger est estimé à 6 millions d'euros. À ce titre, le programme 151 bénéficiera d'une augmentation de 1,1 million d'euros de son enveloppe, laquelle sera complétée par un transfert de 4,4 millions d'euros en provenance du ministère de l'intérieur et des outre-mer.
Les crédits consacrés à l'accès des élèves français au réseau scolaire de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) et à la langue française s'élèveraient à 120,5 millions d'euros en 2024, soit une hausse de 14,8 millions d'euros par rapport à cette année. Cette enveloppe financera principalement les bourses scolaires des enfants français dans le réseau de l'enseignement français à l'étranger, pour permettre aux familles de faire face à l'accroissement des frais de scolarité en raison de l'inflation élevée. De plus, 1,5 million d'euros seraient alloués aux élèves en situation de handicap. Enfin, 1 million d'euros financeraient l'instauration du pass éducation en langue française, annoncé par le président de la République, pour permettre aux enfants de nos compatriotes scolarisés localement qui en ont besoin, de se remettre à niveau en langue française.
Les crédits alloués au service public consulaire ainsi qu'à la modernisation de l'administration consulaire augmenteraient de 2,8 millions d'euros, afin d'améliorer la qualité des services rendus aux Français de l'étranger, notamment grâce à la poursuite du déploiement du service France consulaire, du vote électronique et de la finalisation du registre d'état civil électronique (RECE).
Telles sont les principales informations que je souhaitais porter à votre attention dans le cadre du projet de loi de finances pour 2024. Comme vous pouvez le constater, ce deuxième budget du quinquennat reflète plus encore que l'année dernière l'importance accordée à notre diplomatie. Il ne s'agit, ni plus ni moins, que d'engager son réarmement complet jusqu'à 2027. Je tiens à vous remercier pour les efforts que vous avez déployés, afin d'offrir à notre diplomatie les moyens nécessaires.
C'est très satisfaisant, madame la ministre, de constater une telle progression des effectifs. Nous sommes convaincus ici que les affaires du monde sont les affaires de tout le monde et non pas des affaires extérieures.
Je donne à présent la parole aux orateurs des groupes politiques.
À mon tour, je tiens à exprimer notre profonde émotion et nos condoléances attristées aux civils victimes des terroristes du Hamas, aux victimes directes, israéliennes, et victimes indirectes, palestiniennes, dans ce drame qui remet en cause les accords de paix dans cette région sensible.
Je souhaite appeler votre attention sur le XIXe sommet de la francophonie, qui se tiendra en France, en novembre 2024. Ce sommet, le premier organisé en France depuis plus de trente ans, représente une occasion unique de renforcer les liens au sein de l'espace francophone. Cependant, il me semble important de souligner un paradoxe : alors que la francophonie représente un espace géopolitique et culturel majeur et que l'Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) se félicitait de compter 22 millions de locuteurs supplémentaires en 2022, il est regrettable de constater un désintérêt réel ou supposé des citoyens et des responsables politiques français à son égard. J'ai dû faire ce constat préoccupant en tant que présidente déléguée de la section française de l'APF.
Dans ce contexte, madame la ministre, pourriez-vous nous indiquer quels sont les objectifs stratégiques de la France pour ce sommet, notamment en matière de sensibilisation et d'engagement du public et des responsables politiques français ? Quels moyens humains, financiers et diplomatiques votre ministère compte-t-il mobiliser pour assurer le succès de cet événement et inverser la tendance du désintérêt ? Enfin, comment envisagez-vous d'utiliser ce sommet pour aborder les crises politiques qui affectent certains pays, notamment en Afrique ?
Je vous assure que je mettrai toute mon énergie, ainsi que celle de mes collègues de l'APF, pour contribuer à faire de ce sommet un succès. Je ne peux terminer mon intervention sans exprimer ma plus profonde gratitude à l'endroit de nos diplomates et agents dévoués sur le terrain, au Quai d'Orsay, ainsi qu'au centre de crise et de soutien du ministère, qui font un travail extraordinaire. Je salue enfin l'augmentation absolument inédite de 165 postes.
Je vous remercie, madame la députée, des propos que vous avez tenus à l'égard des agents de mon ministère, qui y sont très sensibles et le méritent.
La France accueillera le prochain sommet de la francophonie, pour la première fois depuis trente-trois ans exactement. Nous avons pour ambition de faire vivre une francophonie attractive, ouverte, inclusive, comme on le dit désormais, et multiple. Nous voulons bien évidemment promouvoir la langue française et le plurilinguisme, les deux allant de plus en plus de pair, mais aussi défendre plusieurs grandes causes, notamment l'égalité entre les femmes et les hommes, l'éducation, l'employabilité, favorisée par le fait de parler le français. Nous mettrons en valeur la créativité du monde francophone, en particulier celle de la jeunesse qu'il faut encourager à avoir beaucoup d'idées et d'ambition. Je me rendrai prochainement à la Conférence ministérielle de la francophonie à Yaoundé, au Cameroun.
Quant au sommet, qui se tiendra au mois d'octobre 2024, il sera aussi l'occasion de mettre en lumière, et pour longtemps, la nouvelle Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts, en hommage au roi François Ier, qui sera inaugurée le 19 octobre par le président de la République. Ce sera un lieu d'exposition, dédié à la créativité francophone et ouvert à la diversité des expressions. Nous espérons aussi que ce sommet sera l'occasion d'évoquer des questions d'actualité et de réunir autant que possible les membres de la famille francophone autour des valeurs qui sont les leurs, au titre de la charte qu'ils ont signée.
Madame la ministre, le budget de votre ministère ainsi que celui des missions dont il a la charge, sur l'aide au développement et l'action extérieure de l'État, ne sont pas suffisamment transparents pour répondre efficacement aux enjeux et aux bouleversements actuels. Nous sommes également frappés par le manque de sérieux de l'utilisation des fonds. Un seul exemple pris à la page 35 du projet annuel de performances de la mission Aide publique au développement : on y lit une dépense de 609,5 millions d'euros en autorisations d'engagement pour le continuum finances publiques, alors que le détail du calcul de tous les postes n'atteint que 300 millions d'euros. Pourriez-vous nous dire quels projets sont financés par cette somme ?
Ce manque de transparence est d'autant plus grave que les budgets augmentent. Le projet annuel de performances pour 2024 pour l'APD fait ainsi état d'une dynamique de hausse sans précédent des moyens publics consacrés à la politique de développement depuis 2017. Rappelons également que, la France aidant aussi indirectement en participant aux programmes européens, nous contribuons doublement.
S'agissant des bouleversements que nous traversons, j'ai eu l'occasion, madame la ministre, de vous demander quels étaient les pays bénéficiaires de l'APD qui étaient désormais autonomes. Vous m'aviez répondu qu'il n'y en avait aucun. Est-ce toujours le cas ?
Vous pensez défendre les intérêts de la France, mais il faut aussi défendre les intérêts des Français, qui font de plus en plus de sacrifices et ont de plus en plus de difficultés. C'est pourquoi nous devons être d'autant plus vigilants. Nous demandons une simplification des organismes et le retour à une aide strictement bilatérale. Nous refusons en effet le multilatéralisme, par lequel le peuple français enrichit les organisations non gouvernementales (ONG), qui sont généreuses en notre nom.
Vous évoquez un prétendu manque de sérieux. Les équipes qui gèrent les fonds du ministère de l'Europe et des affaires étrangères s'appliquent à le faire avec le plus grand sérieux. Dans le domaine de l'aide publique au développement, des audits internes et externes sont menés. Si des fonds devaient être mal dépensés, des mécanismes de remboursement existent.
Je reviendrai vers vous pour ce qui est de la décomposition précise de l'usage des 609,5 millions d'euros d'autorisations d'engagement au sein de la mission Aide publique au développement.
Enfin, je vous confirme la réponse que je vous avais faite : notre aide au développement ne suffit pas à sortir des pays du sous-développement. Il est néanmoins de notre intérêt de favoriser les progrès de ces pays et de faire sortir leur population de la pauvreté absolue. Si dans cette action, la France doit être épaulée par tous les autres pays, nous sommes l'un des rares dont l'aide publique au développement ait augmenté au point de faire de nous le quatrième bailleur mondial.
Pour porter une parole claire en faveur du dialogue et de la paix, la diplomatie a besoin d'importants moyens humains et financiers. À vous entendre, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères est à même, grâce à un budget en hausse pour la deuxième année consécutive, de mener sa mission. Certes, le projet de loi de finances pour 2024 prévoit une hausse de 165 ETP, mais c'est un succès en trompe-l'œil, le Quai d'Orsay ne faisant finalement que retrouver son niveau d'avant 2018. Le désossement subi ces trente dernières années s'est par ailleurs accompagné de la suppression effective des corps diplomatiques, décision unilatérale et très contestée, suivie par des états-généraux de la diplomatie dont les conclusions étaient connues d'avance.
Les Français de l'étranger sont les premiers à pâtir des effets de cette politique. Les délais de traitement des services consulaires continuent de s'accroître. Le délai d'obtention de visas de court séjour a été trois fois plus long que l'objectif fixé. Notre crédibilité sur la scène internationale souffre aussi des effets de cette politique, ce qui est fâcheux dans un contexte de multiplication des tensions internationales.
Vous dites, à propos de la situation israélo-palestinienne, que la France est toujours du côté de la paix. Je suis heureuse d'entendre ce mot, malheureusement absent des deux derniers communiqués du Quai d'Orsay. Mais, concrètement, que faites-vous ? Pour Denis Sieffert, spécialiste de ce conflit, il n'existe plus aucune alternative politique à la violence depuis l'échec de Camp David en juillet 2000. C'est ce qui a conduit au drame que nous savons.
Par ailleurs, si la France est du côté de la paix, comment expliquer qu'elle pratique le chantage à l'aide publique au développement en sanctionnant tel ou tel peuple au gré des alliances diplomatiques ? Ce n'est pas l'esprit de la loi de 2021, qui ne trie pas les peuples en fonction des régimes qui les gouvernent.
En outre, les budgets alloués à l'aide publique au développement destinée à soutenir les pays en difficulté économique ne répondront pas à l'ambition affichée en 2021. La France devait, en 2023, dédier 0,61 % de son revenu national brut (RNB) à l'APD ; elle ne l'a pas fait, comme elle n'atteindra pas les 0,66 % en 2024. La trajectoire place la France au quatrième rang mondial des contributeurs : au vu des autorisations d'engagement et des crédits de paiement, nous n'aurons pas maintenu ce rang en fin de quinquennat.
Pourquoi la France a-t-elle reculé son objectif de consacrer 0,7 % de son RNB à l'aide publique au développement ? La santé mondiale, notamment, paiera le prix de ces choix regrettables.
Les états-généraux de la diplomatie se sont tenus parce que je l'ai proposé au président de la République et à la première ministre, et leurs conclusions n'étaient nullement connues d'avance. Consulter autant d'agents, de tous niveaux, de toutes catégories, en poste partout dans le monde, était un exercice inédit. L'augmentation budgétaire pluriannuelle que connaît le ministère, après trois décennies de déclin, n'était pas non plus connue d'avance.
Je ne reviens sur la réforme de la haute fonction publique que pour vous donner une information : 70 % des agents concernés ont déjà basculé vers le nouveau corps des administrateurs de l'État, le choix pouvant être exprimé jusqu'à la fin de l'année 2023.
Nos ressources connaissent une hausse sans précédent. La France consacre bien 0,55 % de son revenu national brut à l'aide publique au développement, ce qui n'était pas le cas jusqu'ici. Peu nombreux sont les pays à le faire.
Je ne parlerais pas comme vous le faites de suspensions punitives. Certains pays ont connu des coups d'État, parfois à plusieurs reprises. Nous ne pouvons pas prendre le risque que l'argent du contribuable finisse dans les mains de putschistes. Notre position est claire et conforme à nos valeurs : vous devriez vous en réjouir.
En ce qui concerne le Proche-Orient, nous serons difficilement d'accord, sauf sur un point : il faudra en effet restaurer un horizon politique, le moment venu. Nous nous y efforçons en prenant des contacts afin d'éviter l'embrasement et en rappelant cette perspective nécessaire.
Le groupe Les Républicains soutient Israël face à l'agression brutale et barbare survenue ce week-end.
En tant que rapporteur pour avis des crédits de l'action diplomatique et consulaire, j'ai constaté que la plupart des acteurs de la diplomatie se félicitent de la hausse inédite des moyens, après de nombreuses années de restriction : le réarmement de notre diplomatie est un impératif au moment où les crises se multiplient et s'intensifient.
Cependant, nous nous interrogeons sur l'allocation de ces moyens nouveaux. Des moyens humains supplémentaires étaient prévus dans la loi de finances pour 2023 : pourriez-vous dresser un bilan de leur usage ? Quelles sont les perspectives pour l'année prochaine, et à quelles actions précises seront destinés ces nouveaux moyens humains et financiers ?
La France est régulièrement cheffe de file dans les opérations d'évacuation, non seulement de nos compatriotes mais aussi de ressortissants de pays tiers, notamment européens. Pourriez-vous revenir sur le coût de ces opérations et sur le soutien logistique et financier apporté par les institutions européennes comme par nos alliés ? Les Européens ne devraient-ils pas être davantage mobilisés pour mener à bien de telles opérations ?
Vous avez évoqué la diplomatie d'influence et les crédits destinés à la communication. Quelles zones géographiques constituent vos priorités en la matière ?
Au cours de l'exercice 2023, un peu plus de la moitié des nouveaux emplois ont été affectés à notre réseau diplomatique, et le reste à la France. Ils ont soutenu nos priorités : renforcement de nos ambassades dans le Pacifique – vous avez suivi la tournée du président de la République au mois de juillet –, sécurisation de nos emprises, cybersécurité et lutte contre les manipulations de l'information.
En ce qui concerne les opérations d'évacuation, elles sont confiées au centre de crise et de soutien du ministère, toujours en étroite coordination avec le ministère des armées et la présidence de la République. Malheureusement, nous avons dû procéder à plusieurs opérations de ce type cette année. Nous avons ainsi évacué du Soudan 998 personnes, dont un peu plus d'un quart de Français ; mon ministère a déboursé 900 000 euros pour payer la projection des équipes, les vols civils… S'agissant du Niger, nous avons dû engager 2,8 millions d'euros mais un remboursement sera fait par le biais du mécanisme européen de protection civile, à hauteur de 75 % me semble-t-il.
S'agissant de l'influence, le temps qui m'est imparti pour vous répondre ne me permettra que de citer la zone indopacifique et l'Afrique comme priorités géographiques.
Je ne reviens pas sur l'émotion qui nous saisit depuis deux jours.
Le groupe Démocrate salue avec moi ce budget en hausse. Il faut marteler que nos budgets augmentent car je rencontre encore des gens qui pensent le contraire.
Vous avez annoncé l'introduction du pass éducation en langue française. C'est le respect d'une promesse de campagne présidentielle. Nous souhaitons être associés à sa mise en place, afin d'éviter qu'il ne devienne une usine à gaz. Ce très vieux projet a été intégré au programme de campagne après des années d'efforts des élus locaux des Français à l'étranger, et il serait dommage que toutes les décisions soient prises dans un bureau parisien. Je vous en prie, appuyez-vous sur les élus locaux et les parlementaires pour que ce soit une réussite.
En tant que rapporteur du programme 185 Diplomatie culturelle et d'influence, je me réjouis de la hausse de ce budget. Je salue en particulier les diplomates, qui s'adaptent à de nouveaux outils comme le FSPI et qui travaillent en coordination. Je vois un extraordinaire engagement et une grande capacité de transformation des méthodes.
Je me félicite également de la consolidation de France Médias Monde.
Ma question porte sur le soutien que nous apportons aux ONG et aux organisations de la société civile (OSC). La loi du 4 août 2023 a créé les conditions d'une APD plus participative, plus transversale, plus transparente et mieux coordonnée. Dans le contexte des crises multiples que nous connaissons, pouvez-vous confirmer qu'il n'y aura pas d'annulations, mais des suspensions ? Pouvez-vous aussi confirmer qu'il y a bien du cas par cas mais pas de doctrine ? Comment ces choix seront-ils opérés pour être transparents et pour ne pas mettre en danger les équipes de terrain ? Comment entendez-vous maintenir l'esprit d'unanimité de la loi du 4 août 2021, malgré les fracas du monde ?
Le pass éducation en langue française est en effet un engagement du président de la République. Nous allons d'abord l'expérimenter et c'est bien volontiers que je vous associerai, ainsi que les élus locaux.
En ce qui concerne le programme 185, nous allons privilégier les fonds innovants, dont nous avons constaté qu'ils fonctionnent bien.
En matière d'aide publique au développement, nous préservons toujours l'aide humanitaire, en dialogue avec les ONG : il ne s'agit pas de pénaliser les populations. Afin de ne pas financer des régimes putschistes que nous condamnons et qui font une fort mauvaise utilisation de ces fonds, nous avons effectivement dû suspendre nos aides publiques au développement au Mali, au Burkina Faso et au Niger. L'avenir dépend du comportement de ces régimes et des calendriers de transition. Dans le cas du Niger, aucun processus de transition n'est prévu et le président Mohamed Bazoum n'a pas été libéré ; les putschistes n'ont montré aucun intérêt pour les différentes médiations et approches diplomatiques, de la part de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) ou d'autres pays.
Depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, nous sommes vraisemblablement entrés dans une nouvelle ère des relations internationales, plus incertaine, plus violente. Les atrocités du week-end en Israël viennent, hélas, confirmer cette tendance. Notre discussion budgétaire est placée sous ces auspices inquiétants et il conviendra d'en tenir compte dans nos arbitrages, nos expressions et nos amendements.
L'Allemagne et l'Autriche notamment ont fait savoir qu'ils reconsidéraient l'attribution de leur aide au développement au Proche-Orient. Que vont décider la France et l'Europe ?
Notre stratégie d'influence est malmenée par les ambitions assumées de désinformation de pays comme la Russie, la Chine ou la Turquie. Je ne vous demande pas de dévoiler des informations secrètes mais notre travail est lié à ces événements : pouvez-vous nous éclairer sur la situation militaire en Ukraine, dont on ne parle plus guère depuis quelques jours ?
En ce qui concerne l'aide au développement, le président de la République s'est exprimé aujourd'hui même à Hambourg, lors de la conférence de presse qu'il a donnée avec le chancelier Scholz.
Pour ce qui est du volet bilatéral, notre aide s'élève à environ 95 millions d'euros, si l'on inclut les quelque 22 millions de notre contribution à l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNWRA). Les mécanismes de distribution sont précis et rigoureux, afin de nous assurer que les fonds parviennent bien aux populations ; nous agissons notamment beaucoup dans le domaine de l'éducation. Les garanties nous paraissent suffisantes pour ne pas prendre la décision de ne plus accorder cette aide. Ce serait même contre-productif et nombre de nos partenaires le comprennent.
En ce qui concerne l'aide européenne, nous avons regretté la confusion d'hier soir dans les prises de position au sein de la Commission, exprimées sans concertation même au sein du collège des commissaires, avec une série de propositions qui ont été précisées par la suite. Il n'y a pas non plus lieu de suspendre cette aide, qui obéit à des procédures tout à fait strictes. Nous pourrons vérifier précisément une nouvelle fois ce qu'il en est.
S'agissant de l'Ukraine, les vingt-sept étaient exceptionnellement réunis lundi dernier en Conseil des affaires étrangères à Kiev. Ils ont réaffirmé leur soutien militaire, économique et diplomatique, envisagé des mesures pour aider l'Ukraine à passer l'hiver et examiné les meilleurs moyens de demeurer aux côtés de ce pays, sur le plan militaire mais pas seulement, dans une guerre sans doute appelée à durer. Sur le terrain, je ne vous apprends rien en vous disant que la contre-offensive est difficile mais se traduit par des progrès, tandis que la Russie n'a pas atteint ses objectifs stratégiques et ne progresse plus. La Russie devra s'interroger sur cet échec stratégique.
Le groupe Horizons et apparentés se réjouit du fait que ce budget confirme l'engagement de la précédente loi de finances. Les crédits supplémentaires alloués à la mission Action extérieure de l'État sont bienvenus pour faire face à la montée des tensions internationales depuis le début de la guerre en Ukraine.
Pour nos compatriotes résidant hors de France, les dangers se multiplient ; ils doivent pouvoir compter sur notre diplomatie et notre réactivité en cas de crise. Je salue les agents du centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, qui informent, rassurent et orientent nos ressortissants vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant les crises majeures. C'est en partie grâce à eux que des aides d'urgence ont pu être apportées, par exemple lors des séismes en Turquie et en Syrie ; ils s'occupent de l'acheminement de matériel médical vers l'Arménie face au nettoyage ethnique en cours au Haut-Karabagh ; ils ont permis les évacuations depuis le Niger ou le Soudan, avec l'appui des armées ; ils apportent leur soutien après les actes terroristes abominables qui ont frappé Israël.
Face à cette multiplication des crises, quelles évolutions peut-on attendre pour le centre de crise et de soutien en 2024 ?
Merci des mots que vous avez eus pour ces agents. Leur activité a été intense cette année. Les moyens destinés à la protection de nos communautés expatriées sont en augmentation de 5 millions d'euros. Le centre de crise et de soutien sera sans doute fort sollicité à nouveau dans les mois et les années à venir. Il travaille de façon admirable et avec une grande réactivité, dans des situations parfois dangereuses. Ainsi, dès demain, des agents seront déployés à Jérusalem et à Tel-Aviv. Ce service est relativement modeste, puisqu'il compte 104 agents, en grande majorité chargés de la sécurité de nos compatriotes. Au-delà du budget propre du centre, nous avons créé puis augmenté une provision pour crise, qui se révèle utile et efficace ; elle nous permet de réagir très vite.
Mes pensées se dirigent vers les familles et les proches des victimes en Israël et dans la bande de Gaza. La paix n'est pas une option, c'est une impérieuse nécessité et notre diplomatie doit être à la hauteur de cette urgence. Le président de la République a exprimé le 16 mars dernier devant les états-généraux de la diplomatie le souhait d'un réarmement complet de notre diplomatie. Dans ces discussions budgétaires, nous devons nous assurer que ce vœu se traduise dans des actions concrètes.
Avec la hausse des crédits alloués à la mission Action extérieure de l'État, nous avançons dans la bonne direction, mais nous devons aller plus loin. Ces augmentations font notamment suite à une longue grève menée par les diplomates, dans un contexte de démantèlement du ministère chargé des affaires étrangères, qui a perdu en trente ans la moitié de ses effectifs. Nous sommes donc encore bien loin du compte.
Alors que la guerre fait rage en Ukraine et que le Moyen-Orient s'enflamme à nouveau, les nations se réarment. Nous, écologistes, sommes partisans d'une stratégie d'équilibre : ouvrir d'importants crédits à nos armées – c'est nécessaire – sans en faire de même pour le Quai d'Orsay, c'est éloigner les perspectives de la paix. L'actualité nous rappelle les défis auxquels notre diplomatie est confrontée, notamment en Afrique où la désinformation et les narratifs antifrançais gagnent toujours davantage de terrain. Les coups d'État au Niger et au Gabon ont non seulement déstabilisé ces pays mais poussé la France à faire évoluer ses positions militaires sur le continent africain.
Il est légitime de s'interroger : si le Quai d'Orsay avait été doté de moyens plus conséquents au cours de la dernière décennie, aurions-nous pu jouer un rôle plus actif pour prévenir ces crises, en Afrique comme aux frontières Est de l'Europe ? Aurions-nous pu anticiper et peut-être atténuer les impacts des bouleversements politiques ? Alors que la désinformation joue un rôle crucial dans la déstabilisation des nations, il est impératif que notre diplomatie soit équipée pour contrer efficacement ces menaces. De quelles manières les crédits de la mission seront-ils mis au service de cet objectif ?
L'heure est grave et nos responsabilités sont immenses. Nous avons besoin d'une diplomatie robuste, agile et résolument tournée vers l'avenir, capable de répondre aux défis d'un monde en mutation.
Il serait erroné de parler de démantèlement de l'outil diplomatique alors que nous sommes en train d'augmenter fortement ses moyens. J'utilise volontiers le mot de réarmement, justement parce qu'il s'oppose au concept que vous avez utilisé. L'augmentation des moyens humains et budgétaires n'a rien de rhétorique : elle permet plus de sécurité, plus de communication stratégique, plus de capacité d'influence, plus d'aides, plus de capacités à gérer des crises. L'effort sur l'aide publique au développement est constant puisque celle-ci a crû de 50 % depuis 2017. Aurions-nous pu empêcher les désordres du monde ? J'aimerais le croire mais je me contenterai d'espérer que notre rôle peut être bénéfique.
Nous ne cessons d'appeler votre attention sur la communication stratégique car la désinformation et les manipulations masquent souvent une tentative d'atteinte au modèle démocratique lui-même. Ce sont des enjeux importants, sur lesquels nous pouvons nous réunir.
Nous avons beaucoup renforcé la direction de la presse et de la communication en 2022, puis en 2023. Avec 118 agents en administration centrale et un réseau de 480 personnes dans nos ambassades, cette direction pilote nos moyens de communication. France diplomatie s'exprime en six langues depuis Paris et cinquante depuis nos ambassades. Au total, nous avons 16 millions d'abonnés sur les réseaux sociaux et une centaine de millions de visites par an sur les sites du ministère et de nos ambassades. Nous continuerons à renforcer ces moyens en personnel et en actions.
Madame la ministre, nous avons des échos de problèmes de ressources humaines tant dans votre ministère qu'à l'AFD, les syndicats nous faisant remonter des problèmes de management. Le budget que vous nous présentez permettra-t-il d'améliorer les conditions de travail des salariés ?
La diplomatie, c'est la prévention, la science de l'anticipation pour prévenir le déclenchement de guerres et pour régler les conflits avant qu'ils ne dégénèrent. Je me demande si ce budget vous le permet, même si nous reconnaissons qu'il est en progression.
Les derniers événements en Israël et dans la bande de Gaza ont fait de nombreuses victimes. J'ai passé des années dans cette commission à alerter sur la situation dans cette région. La dernière fois que nous avons abordé ce sujet, c'était après l'opération Plomb durci – comme s'il fallait attendre qu'il y ait des victimes pour que nous en discutions. D'autres conflits méritent aussi l'attention de notre commission mais il semble que la diplomatie des affaires s'accommode mal du débat sur ce sujet. Or la confrontation d'idées a du sens et pourrait même, qui sait, aboutir à un dispositif de paix ou à une proposition d'amélioration. J'espère que votre budget vous permettra d'enclencher cette dynamique.
Nous sommes en dialogue régulier avec les syndicats au ministère ; je ne me prononcerai pas sur l'AFD, dont je connais moins le fonctionnement interne. Les moyens supplémentaires dont nous disposons dans le cadre d'un plan pluriannuel permettront d'aider les agents au quotidien, aussi bien à l'étranger qu'à Paris. En 2023, nous avons renforcé les directions les plus sollicitées grâce à des créations d'emplois : les premières depuis trente ans. J'ai évoqué les conditions de vie, de transport, de logement et de scolarisation des enfants pour ceux de nos agents qui vivent à l'étranger. Nous avons également renforcé des chancelleries politiques.
Il est essentiel d'augmenter nos capacités d'anticipation et d'analyse : je vous rejoins sur ce sujet. C'est pourquoi ces moyens humains nous étaient indispensables. Cela peut-il contribuer à la paix dans le monde ? Je veux le croire. En tout cas, notre mission est bien, en effet, d'apaiser les tensions, voire d'aider à faire la paix.
Je ne peux pas vous suivre totalement lorsque vous dites qu'on ne parle du Proche-Orient qu'en cas de crises ou de drames : il m'est arrivé d'en parler devant vous. Toutefois, je prends votre rappel de l'exigence de lucidité comme un signe positif.
Notre groupe salue la hausse du budget du ministère et de l'action extérieure de l'État.
Madame la ministre, que fait votre ministère pour Mayotte, seul territoire français habité revendiqué par un voisin ouvertement hostile ? Que faites-vous pour faire plier les Comores ? Que faites-vous pour faire reconnaître Mayotte comme française par la communauté internationale ? Votre inertie nous indigne.
Lors de son discours aux Nations Unies, le mois dernier, le président Azali a encore une fois répété que Mayotte est comorienne, une hostilité claire : pas un mot du Quai d'Orsay.
Encore une fois, lors des Jeux des îles de l'océan indien, cet été, les athlètes mahorais n'ont pas eu le droit de défiler avec le drapeau tricolore, parce que les Comores s'y opposent. Comme des apatrides, nos athlètes ont arboré les couleurs des Jeux, avec un hymne ridicule à défaut de pouvoir chanter La Marseillaise : pas un mot du Quai d'Orsay.
Pendant l'opération Wuambushu, le président Azali a multiplié les interviews pour revendiquer Mayotte, pour contester au gouvernement français une opération de maintien de l'ordre sur son territoire et pour assumer son chantage migratoire en refusant de reprendre ses ressortissants en situation irrégulière : face à cette ingérence, pas un mot du Quai d'Orsay.
Je vous pose donc la question : qui ne dit mot consent ? Est-ce trop vous demander que de condamner enfin et sans ambages les propos du président Azali et d'exiger le respect de l'intégrité territoriale nationale ? Quand mobiliserez-vous vos services pour le respect des frontières de la République, à laquelle Mayotte appartient depuis 1841 ?
Vous êtes face à nous pour défendre le budget de votre ministère. Regardons donc comment vous dépensez cet argent pour financer un pays ouvertement hostile à la France. L'Agence française de développement annonce qu'elle a financé vingt-cinq projets aux Comores en engageant 150 millions d'euros sur dix ans, et 150 millions d'euros supplémentaires pour le récent plan de développement. Nous apprenons même que l'agence des Comores fait partie de la direction régionale océan indien de l'AFD, qui est chargée de la coopération régionale. De quelle coopération régionale voulez-vous parler ? De la Commission de l'océan indien (COI), financée par Paris mais sans Mayotte ?
Ces centaines de millions d'euros qui financent les Comores, en partie payés par les contribuables mahorais, sont une obscénité. Cet argent français aurait dû financer le territoire français de Mayotte, par exemple pour sa production en eau potable ou pour la piste longue. Les positions publiques d'Azali lors de l'opération Wuambushu le démontrent : cet argent n'a rien changé aux revendications comoriennes. Votre stratégie du carnet de chèques ne mène à rien. Le financement des Comores rappelle que, contrairement à vos déclarations, Paris soutient certains putschistes africains et leur déroule le tapis rouge. Dans le cas d'espèce, le président Azali, un général arrivé au pouvoir par un putsch en 1999, est reçu à l'Élysée.
Nombre de questions que vous avez posées s'adressent plutôt au ministre chargé de l'outre-mer, qui a d'ailleurs répondu en partie au sujet de l'enjeu de l'eau.
Je n'ai pas posé de question sur l'eau, monsieur le président ! C'était un constat ; mes questions s'adressent bien au Quai d'Orsay.
Mme la députée Youssouffa a l'habitude de critiquer la diplomatie française, en se montrant oublieuse de ce que celle-ci fait pour Mayotte et pour assurer sa place dans la République. Je ne peux pas vous laisser tenir de tels propos, madame la députée. D'autre part, je veux vous assurer qu'il n'y a pas de divergence de points de vue et d'action au sein du Gouvernement.
La place de Mayotte dans la République est défendue par tous les ministères et la diplomatie française y prend toute sa part, notamment aux Nations Unies, où nous évitons, année après année, depuis plus de trente ans, que soient présentées à l'Assemblée générale des résolutions qui la remettraient en cause. Je voudrais au moins que vous nous en fassiez crédit.
Nous le faisons aussi lorsque nous travaillons à réduire la pression migratoire en provenance des Comores. C'est mon ministère qui a négocié l'accord de 2019, lequel permet d'opérer davantage de reconduites vers les Comores.
C'est également mon ministère qui défend l'intégration régionale de Mayotte dans son environnement. Nous avons obtenu l'accord des Comores et des autres États membres de la Commission de l'océan indien pour associer Mayotte à plusieurs projets de la COI. Je pourrais continuer cette énumération et contester point après point tout ce que vous avez dit sur la diplomatie française.
Pour la deuxième année consécutive, le budget de votre ministère est en hausse : cette année, de 4,5 %, soit près de 300 millions d'euros. Cette augmentation permettra d'affecter 1 million d'euros à la création du pass éducation en langue française, promesse du président de la République. Je m'en réjouis car j'avais déposé un amendement en ce sens dans le projet de loi de finances pour 2023. Le pass facilitera l'accès à l'enseignement de la langue française aux enfants français résidant à l'étranger. Pourriez-vous nous préciser quand il pourra être lancé et s'il sera piloté par l'AEFE ?
Par ailleurs, les moyens de nombreux consulats dans ma circonscription, comme au Chili ou en Colombie, sont insuffisants. Pourriez-vous nous indiquer si les augmentations budgétaires prévues se traduiront par davantage de moyens pour les consulats, et donc pour les Français d'Amérique latine et des Caraïbes ?
Le pass éducation en langue française entrera en vigueur en 2024, si votre Assemblée approuve le projet de loi de finances. Il comportera une première phase d'expérimentation d'un dispositif d'apprentissage sous format numérique. Le pass s'adressera aux enfants inscrits au registre des Français établis hors de France mais non scolarisés dans un établissement français, qui ont donc potentiellement besoin d'être remis à niveau en français. Nous aurons le soutien de l'AEFE, du Centre national d'enseignement à distance (CNED) et du réseau Flam – Français langue maternelle –, qui est particulièrement utile et efficace.
Votre deuxième question portait sur les consulats. C'est très simple : oui, les moyens seront augmentés. Nous traitons de façon séparée la question des visas.
La stagnation des crédits de la mission Aide publique au développement et le report à 2030 de l'atteinte de l'objectif de 0,7 % du RNB dédié à l'APD constituent un recul sans précédent, alors que la France a un rôle crucial à jouer pour la solidarité internationale. Les besoins n'ont jamais été aussi forts et le désengagement de l'APD française est une catastrophe pour les populations civiles.
La suspension de l'APD bilatérale française pour le Mali, le Burkina Faso et le Niger risque ainsi de précariser encore plus des populations particulièrement fragiles. Lors de mes auditions de rapporteure pour avis sur les crédits de l'APD, plusieurs acteurs m'ont alertée sur le recul des indicateurs de santé au Niger. Cette décision, qui n'influera pas sur le choix des élites au pouvoir, risque en revanche d'accroître l'hostilité d'une partie des sociétés civiles de ces pays à l'égard de la France et de défaire des années de travail des ONG, des associations et de l'AFD. La boussole de notre APD doit être le développement et la protection des biens communs.
Madame la ministre, garantissez-vous solennellement que notre aide publique au développement, qu'elle passe par les canaux bilatéraux, européens ou multilatéraux, sera maintenue et allouée selon les besoins des populations ? Il y a une nuance entre financer des putschistes, pour reprendre vos propos, et suspendre toute l'APD.
L'aide publique au développement a énormément progressé depuis 2017 : 50 % d'augmentation en cinq ans, c'est tout à fait considérable ! Cette progression tient également à une diminution des dépenses, puisque nous avons rattrapé les 70 millions d'euros d'arriérés du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, ainsi que 20 millions d'euros par ailleurs.
Concernant le Mali, le Burkina Faso et le Niger, nous maintenons l'aide humanitaire, qui passe par le canal des ONG. En revanche, pour le reste, nous n'envisageons pas de maintenir l'aide à des régimes qui utilisent fort mal l'assistance qui peut leur être donnée soit par leurs partenaires, soit par les institutions financières internationales. Le Mali, qui a apporté une aide aux putschistes du Niger, en est un exemple patent.
L'actualité de ces derniers mois nous rappelle l'importance cruciale de l'audiovisuel extérieur de la France. Nos journalistes, qui risquent leur vie pour nous tenir informés, doivent bénéficier d'une plus grande considération et d'une protection renforcée. De plus, ces médias luttent activement contre la désinformation et tentent d'assurer au maximum une continuité d'information trop souvent menacée par des coupures d'ondes dans ces zones géographiques ébranlées politiquement.
Il est de notre devoir d'augmenter nos efforts budgétaires, afin d'assurer l'équilibre, la continuité et la fiabilité de cette information internationale. Le ministère chargé des affaires étrangères consacre une partie du budget de l'audiovisuel extérieur de la France au financement de divers projets audiovisuels locaux. Comment pérenniser et améliorer ce mode de financement indispensable à ces projets de proximité ? Envisagez-vous de simplifier les procédures d'appel à projets pour faciliter l'accès à ce financement ?
Il est indispensable que nos médias extérieurs conservent leur indépendance dans un contexte de concurrence brutale des pensées, je dirais même des visions du monde, s'éloignant bien souvent des valeurs démocratiques que nous défendons. La guerre informationnelle se joue à l'échelle mondiale ; il est important, à ce titre, de maintenir un bon niveau de capacité d'action, notamment pour France Médias Monde. Tel est le cas : après une dotation de 263 millions d'euros en 2023, ce groupe recevra 274 millions d'euros en 2024. Cela permet de financer des projets locaux tels que le hub que nous avons ouvert à Bucarest avec Radio France internationale (RFI), qui permet à des journalistes ukrainiens de diffuser dans la zone une information de qualité, ou encore le projet Afri'Kibaaru, qui diffuse en langue sahélienne.
De 2006 à 2015, la France a financé une station d'épuration dans le Nord de la bande de Gaza à hauteur de 16 millions d'euros. Depuis 2022, notre pays subventionne le réseau de distribution d'eau à partir de l'usine de dessalement de la bande de Gaza à hauteur de 10 millions d'euros. En 2019, le chef du Hamas dans la bande de Gaza a expliqué avoir à sa disposition « assez de tuyaux pour fabriquer des roquettes pour les dix prochaines années ». Il s'agit de tuyaux de distribution d'eau, comme j'ai pu le constater lors d'un déplacement à Sdérot, où les roquettes envoyées depuis Gaza sur les civils israéliens étaient exposées.
Pouvez-vous nous donner la garantie que les 26 millions d'euros donnés par la France à Gaza pour améliorer la distribution d'eau à la population gazaouie n'ont pas servi à envoyer des roquettes sur Israël ? Alors que la première ministre refuse de suspendre l'aide au développement à la Palestine, et donc à Gaza, quels moyens avez-vous de vous assurer que l'argent du contribuable français ne financera pas, demain, l'armement des terroristes du Hamas ?
Personne ne peut contester le fait que fournir de l'eau aux Palestiniens est une action utile. Je ne peux pas imaginer que vous pensiez qu'il faut les priver d'eau. Quant au fond du sujet, ce n'est pas la première ministre qui refuse ; je vous rappelle que le président de la République s'est exprimé et que nous nous sommes réunis dans un format européen sur ce sujet.
Nous souhaitons vérifier si toutes les procédures destinées à garantir que ce genre de choses ne se produit pas sont bien observées. Si elles devaient ne pas l'être, nous en tirerions les conséquences. Cela s'appelle une revue et c'est ce qui sera fait par la Commission européenne pour ce qui la concerne.
Nos procédures, à ma connaissance, sont suffisamment précises pour nous offrir des garanties.
Le 31 août dernier, le Gouvernement a lancé le programme Osez l'export !, doté de 125 millions d'euros. Il vise à passer de 150 000 entreprises françaises exportatrices à 200 000 d'ici 2030, ce qui me paraît excellent. Ce plan se décline en treize mesures portant sur la formation, la communication et la promotion du savoir-faire français. Il s'agit de miser sur les nouveaux marchés de croissance, à la fois sur le plan marketing et sur le plan des zones géographiques. Entendez-vous amplifier ce plan dans le cadre du PLF pour 2024 ? Faut-il au contraire prévoir des inflexions ?
Olivier Becht vient de présenter ce plan, qui s'inscrit dans une trajectoire allant jusqu'à 2030. Je ne prévois pas de le modifier quelques semaines après sa présentation mais, si tout se passe comme nous le souhaitons, il faudra peut-être renforcer les mesures destinées à augmenter le nombre d'entreprises françaises exportatrices, insuffisantes si l'on compare avec d'autres pays.
Quatre priorités ont été définies pour aider les entreprises françaises : un renforcement de la visibilité et de la lisibilité des dispositifs publics de soutien et d'aide ; le maintien d'une information de qualité sur les marchés extérieurs ; une meilleure offre de formation en direction des petites et moyennes entreprises (PME) et des établissements de taille intermédiaire (ETI) ; le développement de services numériques. Nous sommes sûrs que ce plan donnera de bons résultats. Nous verrons ensuite s'il faut le faire progresser.
Le commissaire européen à l'élargissement et à la politique européenne de voisinage, Olivér Várhelyi, a annoncé hier vouloir suspendre le versement des 691 millions d'euros d'aide publique au développement que verse l'Union européenne à la Palestine, avant de reculer face au refus de plusieurs pays membres. Il a non seulement demandé la suspension des versements mais aussi que les projets financés soient réétudiés. Au regard de la confusion provoquée par ses déclarations, le doute est désormais permis et vos affirmations, madame la ministre, ne suffisent pas à assurer une plus grande transparence dans l'attribution de l'aide au développement de l'Union européenne. Il est primordial que les peuples des États membres soient assurés que leur argent ne finance pas les organisations terroristes.
Nous nous rejoignons sur cet objectif. Je précise toutefois que si le commissaire a modifié sa déclaration, cela tient non pas à l'opposition des États membres mais au fait qu'il n'en avait informé ni le collège des commissaires, ni la présidente de la Commission. Je ne suis d'ailleurs pas certaine qu'il était dans ses pouvoirs de décider d'une telle suspension. La situation a été clarifiée hier soir, après un moment tout à fait inutile de flottement et d'interrogations.
Je vous remercie, madame la ministre, d'avoir répondu à toutes les questions, rapidement, fortement et sans biaiser. Vous avez eu la partie heureuse de défendre un budget dynamique mais c'est l'aboutissement public de l'action de longue haleine que vous avez entreprise au sein de votre ministère.
La séance est levée à 20 h 10.
Membres présents ou excusés
Présents. - M. Xavier Batut, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jérôme Buisson, Mme Eléonore Caroit, Mme Mireille Clapot, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Pierre-Henri Dumont, M. Hadrien Ghomi, Mme Claire Guichard, Mme Marine Hamelet, M. Michel Herbillon, Mme Stéphanie Kochert, Mme Amélia Lakrafi, M. Arnaud Le Gall, Mme Élise Leboucher, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Yaël Menache, M. Didier Parakian, M. Frédéric Petit, Mme Béatrice Piron, Mme Laurence Robert-Dehault, Mme Sabrina Sebaihi, M. Vincent Seitlinger, Mme Ersilia Soudais, Mme Laurence Vichnievsky, M. Lionel Vuibert, Mme Estelle Youssouffa, M. Frédéric Zgainski
Excusés. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Sébastien Chenu, M. Olivier Faure, M. Thibaut François, M. Michel Guiniot, M. Meyer Habib, Mme Brigitte Klinkert, Mme Marine Le Pen, Mme Karine Lebon, M. Vincent Ledoux, M. Bertrand Pancher, Mme Mathilde Panot, M. Jean-François Portarrieu, Mme Mereana Reid Arbelot, Mme Liliana Tanguy, M. Éric Woerth